L'Église, Intermédiaire Entre Le Royaume Et Le Monde: Jean-Guy Pagé
L'Église, Intermédiaire Entre Le Royaume Et Le Monde: Jean-Guy Pagé
L'Église, Intermédiaire Entre Le Royaume Et Le Monde: Jean-Guy Pagé
2021 14:09
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1020111ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1020111ar
Éditeur(s)
Laval théologique et philosophique, Université Laval
ISSN
0023-9054 (imprimé)
1703-8804 (numérique)
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Royaume et Église
Le Règne de Dieu est donc à l’œuvre dans le monde, mais il l’est,
pour une bonne part, par l’intermédiaire de l’Église. Ce qui pose la
question de l’identification ou de la non-identification du Règne et de
1. Les sigles utilisés ici pour quelques documents de Vatican I I sont : L.G. pour la
Constitution sur l'Église Lumen gentium et G. S. pour la Constitution sur l’Église dans le
monde de ce temps Gaudium et Spes. Les textes sont cités en français d’après les traduc
tions suivantes : pour Lumen gentium, celle de P.-Th. Camelot parue dans la collection
Unarn Sanctam, n° 51, en regard du texte latin ; pour Gaudium et Spes, celle parue aux
éditions du Centurion (Paris) dans la collection Documents conciliaires, n° 3, et établie par
les soins de l’épiscopat français.
2. La théologie affirme que toutes les oeuvres divines ad extra doivent être attribuées
aux trois Personnes agissant conjointement comme cause efficiente, bien que certains effets
puissent être « appropriés » davantage à telle Personne.
3. Le P. Schillebeeckx remarque que cette nécessité de l’Église comme intermédiaire
entre le Royaume et le monde est fort contestée ou, du moins, acceptée sans enthousiasme
par certains croyants séparés de l’Église. « Ils ne sauraient affirmer l’Église — e t ne le
feraient avec enthousiasme — que si, en fin de compte, l’Église ne signifiait rien d’autre que
la fondation d’une communauté entre les hommes c’est-à-dire rien d’autre que la forme
particulière que doit constituer en ce monde la solidarité humaine universelle. Ce dont
il s’agit, c’est d’un christianisme sans structure ecclésiale, où la solidarité humaine, la
fraternité entre les hommes, se présente comme étant la véritable <Église). » (L’Église
et l’humanité, Concilium I, 1965, p.58). O. Semmelroth constate un malaise similaire
même chez les chrétiens vivant dans l’Église : ils voudraient rencontrer Dieu directement,
sans intermédiaire et sans engagement, ou par d’autres intermédiaires que l’2?glise (Die
Kirche als Ursakrament, Frankfurt, Knecht Verlag, 1953 ; tr. fr. de G. Varin : L ’Église,
sacrement de la rédemption, Paris, éd. Saint-Paul, 1962, p.70). C’est dire l’importance du
sujet que nous étudions dans cet article.
198 LAVAL THÉOLOGIQUE ET PHILOSOPHIQUE
1. Sur ces différentes positions et leurs tenants, cf. card. J otjrnet, L'Église du
Verbe incarné, Paris, Desclée de Brouwer, 2e éd., 1962, tome II, pp.84s.
Une des études récentes les plus sérieuses sur le Royaume e t ses rapports avec l’Église
est celle de R. S c h n a c k e n b u rg , entre autres dans Gottes Herrschaft und Reich, Freiburg,
Herder Verlag, 1958 ; tr. fr. de R. M a r l é : Règne et Royaume de Dieu, Paris, éd. de
l’Orante, 1962 ; Die Kirche im Neuen Testament, Freiburg, Herder Verlag, 1961 ; tr. fr.
de R. L. Œ c h s lin : L ’Église dans le Nouveau Testament, Paris, Cerf, 1964.
Schnackenburg préfère qu’on réserve le terme « Royaume » {Reich) à l’eschatologie
consommée et que, pour ici-bas, on parle de « Règne de Dieu ou du Christ » (Herrschaft)
pour l’exercice de la <(royauté divine » (Königtum) (à laquelle participe le Christ-Seigneur)
s’établissant sur le monde par et dans l'Église. Peut-être cette terminologie finira-t-elle
par s’imposer, mais elle n’a pas été reprise telle quelle par Vatican II.
2. O. Semmelroth dit : « Le Royaume des cieux a sur cette terre son aspect visible
dans l’ecclesia. L’Église visible est en effet un gage et un signe du Royaume, elle en est
l’image sacramentelle. » (L ’Église, sacrement de la rédemption, p.214).
L'ÉGLISE, INTERMÉDIAIRE ENTRE LE ROYAUME ET LE MONDE 199
Église et monde
L’Église, qui se distingue du Règne au moins comme la graine
se distingue du fruit, est encore plus à distinguer du monde, bien
A. Préparation de Vatican I I
Centrons notre courte investigation historique autour d ’un point
précis : l’encyclique Mystici Corporis de Pie X II. C’est là un texte
important du Magistère sur ce sujet : il était une rectification de
certains courants théologiques et il se présentait sous une forme très
précise et assez élaborée, de sorte que les théologiens qui, par après,
traitèrent le sujet durent en tenir largement compte.
Dès sa première phrase, Mystici Corporis identifiait parfaitement
le «Corps mystique du Christ» et «l’Église», i.e. l’Église catholique
romaine. Sous diverses formes, cette affirmation devait se maintenir
1. Pour être juste et plus complet, disons, avec le P. Congar, qu’«il s’est produit
une redécouverte de l’idée de Peuple de Dieu, antérieurement aux études critiques de
Koster ou de Cerfaux...» (L ’Église comme peuple de Dieu, Concilium I (1965), p.17,
note 1.) Nous nous inspirons largement de cet article pour retracer en quelques lignes
l’histoire de la théologie de l’Église dans les quelques années qui ont précédé et suivi Mystici
Corporis. Cf. ibid., pp.91100־, l’article de R. Schnackenburg et J. Dupont, L ’Église, Peuple
de Dieu. Aussi le début des articles suivants : J. H a r v e y , Le Peuple de Dieu, sacrement du
dessein de Dieu, dans Laval théol. et philo., X X II, 1966, 1, pp.89-108 ; O. Semmelroth ,
L ’Église, nouveau Peuple de Dieu, dans l’ouvrage de Barauna-Congar déjà cité, pp.395-410.
Ces deux articles, surtout le second, remontent beaucoup plus haut que Mystici Corporis
dans leur aperçu historique.
2. Y. C ongar , art. cit., p.17.
3. On trouvera les références aux ouvrages de ces auteurs dans les deux articles cités
de Concilium I. Pour les PP. Lyonnet et Semmelroth, il s’agit de leurs contributions pour
le premier à l’ouvrage en collaboration La Costituzione dogmatica « De Ecclesia » (Colombo,
e tc ....) , Parma, 1965 ; pour le second à l’ouvrage de Barauna-Congar, pp.395-410 :
L ’Église, nouveau peuple de Dieu.
4. Sur ces différentes images, cf. L. C erfaux , Les images symboliques de l’Église
dans le Nouveau Testament, dans B arauna -C ongar , pp.243-258 ; card. J ournet , L ’Église
du Verbe incarné, II, pp.50-66 ; J. H arvey , art. cit., pp.95-96 ; Y. C ongar , Jalons pour une
théologie du laïcat, Paris, Cerf. 3e éd., 1964 ; pp.85-86, H. S chlier , Le temps de l’Église, p.184.
204 LAVAL THÉOLOGIQUE ET PHILOSOPHIQUE
tion, justifie le choix des trois vocables sous lesquels nous étudierons
plus loin les relations de l'Église et du monde.
B. Position de Vatican I I
Mais voyons auparavant comment, justement en son chapitre II
sur le Peuple de Dieu, Lumen gentium précise le plus la pensée conci
liaire au sujet des relations de l’Église avec les hommes et ceci sous
l’angle de Yappartenance de ces derniers à cette Église. La doctrine
que nous voulons expliciter ici est condensée dans les paragraphes
14-16. Elle est aussi développée dans le Décret sur l’œcuménisme et la
Déclaration sur les religions non chrétiennes.1
Tous les hommes sont mystérieusement reliés, mais à des degrés
divers, à l’Église. D ’abord parce que « tous les hommes sont appelés
au nouveau Peuple de Dieu» (L.G ., 13, 1). «Ce peuple, qui demeure
seul et unique, doit s’étendre au monde entier et à tous les siècles,
pour que s'accomplisse le propos de la volonté de Dieu qui au commen
cement a créé la nature humaine une, et veut rassembler enfin dans
l’unité ses enfants qui étaient dispersés» (ibid., référant à Jn 11 52).
La mission de l’Église est de grouper, en un seul Peuple et en un seul
Corps sous une seule Tête, toute l’humanité (ibid. alinéa 2 ; cf. G. S.,
1 ; 40, 2 ; 42, 3 ; 45, 1). L’universalité de l’Église, les relations plus
ou moins étroites qu’elle a nécessairement avec tout homme ont leur
origine radicalement dans l’unité du dessein créateur, dessein qui en
donnant l’être à l’homme non seulement l’élevait à l’ordre surnaturel,
mais prévoyait pour lui une participation plus large à cet ordre par la
rédemption du Christ. Tous les hommes sont appelés à la grâce et au
salut, tous le sont dans le Christ et dans l’Église qui le prolonge. Par
là on rejoint déjà la formule de saint Cyprien, si souvent reprise
depuis : «Hors de l’Église, point de salut».
L’allusion à la substance sinon à la lettre de la formule apparaît
d’ailleurs dans le dernier alinéa du paragraphe 13 de Lumen gentium
et dans le premier du paragraphe 14. Ainsi, par exemple, se termine
ce premier alinéa du paragraphe 14 : « C’est pourquoi ne pourraient
être sauvés les hommes qui, n ’ignorant pas que Dieu, par Jésus-Christ,
mais sous le mot « mystère ». Nous verrons bientôt l'histoire des relations entre le mustérion
grec et le sacramentum latin. Les Pères et même saint Thomas présentent l’Église comme
un sacrement (cf. E. M ersch , Théologie du Corps mystique, Paris, Desclée de Brouwer,
14e éd., 1954, tome II, pp.277s. ; E. S chillebeeckx , Le Christ, sacrement de la rencontre
de Dieu, Paris, Cerf, 1960, passim), mais la théologie posttridentine est trop préoccupée
des aspects juridiques de l’Église pour développer cet aspect où se rencontrent pourtant
l’élément visible et l’élément invisible de l’Église. Il faudra attendre Môhler et Scheeben
pour revoir cette notion en honneur dans la théologie.
1. Nous citons le Décret sur l’œcuménisme d’après la traduction française qu’en a
fait paraître, en regard du texte latin, la N. R. T., 1 janvier 1965 et nous utilisons pour lui
le sigle D. O. Pour le Décret sur les religions non chrétiennes, nous employons la traduction
parue dans les Documents conciliaires, éd. du Centurion, vol.2, avec le sigle D. R. N. C.
206 LAVAL THÉOLOGIQUE ET PHILOSOPHIQUE
1. Dans la relatio accompagnant le dernier schéma, il est rapporté que certains Pères
auraient désiré la reprise en la Constitution des termes « nécessité de moyen » et « nécessité
de précepte ». La Commission répond que l’intention est de parler d’une « nécessité de
moyen » et que cela est suffisamment exprimé par cette phrase du texte : « Seul le Christ
en effet est le médiateur et la voie du salut, (lui) qui se rend présent pour nous en son corps,
qui est l’Église ; or c’est lui qui, enseignant en termes exprès la nécessité de la foi et du
baptême (cf. Me 16 16 ; Jn 3 5), a en même temps confirmé la nécessité de l’Église, dans
laquelle les hommes entrent, comme par une porte, par le baptême » (L. G., 14, 1).
Ce ne serait pas, non plus, s’attacher à une simple étude grammaticale que d’analyser
les raisons des changements successifs de « temps » auxquels ont été soumis les verbes
posse et nolle dans la dernière phrase du même alinéa. Il y a des raisons théologiques ou,
au moins, pastorales à ces changements : les « temps » adoptés définitivement traduisent
le souci du Concile de se maintenir entre un optimisme trop large et un pessimisme trop
étroit au sujet de la « bonne foi » de ceux qui n’appartiennent pas officiellement ou exté
rieurement à l’Église bien qu’ils la connaissent.
On remarquera de même que la Constitution, contrairement à la Lettre du Saint-
Office à l’archevêque de Boston (D.S., 3866s. ; F.C., 505s.), n’emploie pas l’expression in re
vel in voto (explicito vel saltem implicito) pour l’appartenance à l’Église. Elle ne retient le
terme votum qu’en parlant des catéchumènes qui, par leur démarche même, indiquent leur
désir explicite d’être incorporée à l’Église (L . G., 14, 3). La lettre au cardinal Cushing (cf.
D .S., 3869-3872 ; F.C., 506-508) explicitait heureusement la pensée de Pie X II exprimée
à la fin de Mystici Corporis (cf. A . A . S., pp.242-243 ; D. S., 3821; C attin -C ontjs, 838).
Tout ceci est d’ailleurs à mettre en relation avec la doctrine du Concile de Trente sur le
baptême in re vel in voto (cf. D. S., 1524 ; F. C., 559). Comme l’exprime la relatio du dernier
schéma de L. G., on a préféré, du moins dans le n.15, une terminologie qui respecte davantage
le fait que les chrétiens non-catholiques ont non seulement le vœu du baptême, mais sa
réalité et, par conséquent, sont reliés à l’Église comme nous allons bientôt le montrer.
2. Ici aussi on notera un adoucissement de la doctrine de Mystici Corporis qui ré
servait exclusivement le titre de « membres » de l’Église aux catholiques. Nous avons
cependant dû nuancer notre pensée. E n effet, si L.G. n ’emploie le substantif «incorpo
ration » et le verbe correspondant que pour les seuls catholiques, D. 0 . le fait, au moins
quelques fois (3, 1 ; 22, 1 et 2), même pour les chrétiens non-catholiques. Il s’agit ce
L ’ÉGLISE, INTERMÉDIAIRE ENTRE LE ROYAUME ET LE MONDE 207
A. Nouveau Testament
Il n ’est pas question d ’étudier ici tous les textes néo-testamentaires
se rapportant spécialement à l’Église, mais quelques-uns qui marquent
1. Que nous soyons exégétiquement fondé en notre choix de textes et en l’ordre que
nous y mettons, le développement qui va suivre le prouvera, développement pour lequel
nous sommes en grande partie redevable à la minutieuse étude de J.-L. W it t e , L ’Église,
sacrement d’unité, en B arauna -C ongar (pour la partie scripturaire, pp.467-482).
2. Le peuple de Dieu, sacrement du dessein de Dieu, dans Laval théologique et philo
sophique, X X II, 1966, 1, p.93.
J.-L. W itte dit de même : <(Dans YÉpître aux Éphésiens, l’auteur développe le
fondement doctrinal de cette mission : la relation essentielle entre l’Église et le monde »
(art. cit., p.458) ; P. Smulders tient des propos analogues (aussi en B arauna -C ongar ,
surtout p.319).
Pour une étude plus complète de l’ecclésiologie néo-testamentaire, cf. L. C e r f aux ,
La théologie de l’Église selon saint Paul ; plus synthétique, bien que dépassant saint Paul :
R. S chnackenburo , L ’Église dans le Nouveau Testament·, H. S chlier , Le temps de
l’Église, spécialement les chapitres X I, XX et X X I (L’Église dans la pensée de saint Paul,
spécialement en Éphésiens).
l 'é g l is e , in t e r m é d ia ir e e n t r e l e r o y a u m e e t l e m o n d e 211
1. Bonne preuve, d’ordre exégétique, de ceci dana P. L amarche , Christ vivant, Paris,
Cerf, 1966, coll. Lectio divina, n° 43, ch.IV ; aussi B. R ey , Créés dans le Christ Jésus,
Paris, Cerf, 1966, même collection, n° 42, pp.202-226.
2. L’expression revient aussi en Ép 123 ; 319 ; 413 ; Col 2 9 et Jn 1 16 . Cf. d’autres
textes ayant relation au sujet en l’article de J.-L. Witte, pp.475-476.
Pour plus de détails sur la notion de «Plérôme», cf. Bible de Jérusalem, les notes
correspondant aux passages néo-testamentaires cités plus haut ; Vocabulaire de théologie
biblique, sous la direction de X. Léon-Dufour, Paris, Cerf, 1962, col.835-836 ; H. S ch lier ,
op. cit., p.179, n.15; B. R ey , op. cit., pp.214s. ; P. L amarche , op. cit., pp.79-81 ; P.
B en o ît , Corps, Tête et Plérôme dans les épîtres de la captivité, dans Revue Biblique, 63 (1956),
pp.31-44 ou Exégèse et Théologie, Paris, Cerf, 1961, tome II, pp.138-153 ; A. F e u ill et ,
L ’Église, plérôme du Christ d’après Éphésiens 1 £3, N . R. T., 78 (1956), pp.606s.
Retenons quelques conclusions capitales de ces études. Le substantif « plérôme »
(plèrôma) désigne ou bien la plénitude de Dieu, de la divinité, rayonnant sur l’humanité
du Christ surtout en sa résurrection (Col 119), ou bien cette plénitude du Christ se répan
dant sur l’Église qui devient elle-même nouveau plérôme ou nouvelle plénitude du Christ
(ailleurs, spécialement Ép 1 23). Les verbes correspondants (plèroun, «remplir»; pl'e-
rousthai « être rempli ») font référence au Christ qui « remplit » les chrétiens de la plénitude
de Dieu (Ép 1 23 et 4 10) ou à ces chrétiens qui eux-mêmes « remplis » (Ép 319 ; Col 2 10 )
remplissent le monde de cette plénitude ou, plus exactement, lui révèle qu’il en est déjà
rempli et qu’il a à l’accepter. Le « plérôme » du Nouveau Testament a des liens avec la
même rôle joué par la Sagesse vétéro-testamentaire ; il en a aussi avec la philosophie stoï
cienne et en particulier avec le mythe, transformé, de 1’« homme primordial ».
Sur les relations entre Christ, Église et monde, se rappeler ce que nous avons dit
dans les premières pages de cet article.
L’ÉGLISE, INTERMÉDIAIRE ENTRE LE ROYAUME ET LE MONDE 213
synthèse terrestre de la récapitulation de l’univers des hommes et des choses dans le Christ,
dans son Église et dans la charité de son Esprit, cf. F . X. D urrw ell , op. cit., pp.216-224 ;
H. M. F ér et , L ’Eucharistie, pâque de l’univers, Paris, Cerf, 1966, coll. Foi vivante, ch.IV ;
J. M ouroux , Sens chrétien de l’homme, Paris, Aubier, 1945, chap.V et X ; J.-M .-R . T il -
lard , L ’Eucharistie, pâque de l’Église, Paris, Cerf, 1964, coll. Unarn Sanctam (44) ; H. de
L ubac , Catholicisme, pp.63-83 (dans les pages précédentes, l’auteur montre les liens du
baptême et de la pénitence avec l’Église, corps du Christ : mêmes propos chez S ch lier ).
Sur le rôle du « corps » du Christ dans l’eschatologie : M. J. S cheeben , Mysterien des
Christentums, Freiburg, 1965 ; tr. fr. de A. K erkvoorde , Les mystères du christianisme,
Paris, D. de Br., 1947, p.686.
1. Sur la «gloire», cf. B. R ey , op. cit., pp.182s.
2. En se référant à Môhler, de Lubac écrit : « Si le Christ est le sacrement de Dieu,
l’Église est pour nous le sacrement du Christ» (Catholicisme, Paris, Cerf, 1952, coll.
Unam Sanctam (3), 5e éd., p.50).
3. Sur ceci cf. H. S chlier , op. cit., pp.178,188-189, 291-292 ; P. L amarche , op. cit.,
pp.81-82 ; B. R ey , op. cit., pp.97 et 229, note 108 ; Y. C ongar, Jésus-Christ, Paris, Cerf,
1965, coll. Foi vivante, I, pp.151-152.
l ’é g l i s e , i n t e r m é d i a i r e e n t r e l e r o y a u m e ET LE MONDE 215
B. Analyse théologique
que les membres de ces trois états sont d'abord tous membres du
Peuple de Dieu avant d ’y exercer des fonctions spéciales.1
Ce chapitre se divise en deux parties. Dans une première (nn. 9-
12), est esquissée la continuité de l’Église avec Israël (cf. aussi n.6)
ainsi que son développement au sein de l’histoire humaine et sont
exposées les qualités commîmes à tous ses membres antérieurement
à toute distinction d ’office ou d ’état. En une seconde partie (nn.13-
17), la Constitution montre que l’Église, comme Peuple, s’étend à
différentes catégories d’hommes inégalement situés cependant par
rapport à elle.
Il n’y a pas lieu de faire une étude exhaustive du chapitre. Nous
en avons déjà étudié la seconde partie ; de la première nous allons
extraire quelques idées éclairant particulièrement la notion de « peuple
de Dieu ». En plus de la mention de la continuité d’Israël à l’Église,
incluant la notion de préparation et de figure dont l’alliance nouvelle
est la réaüsation, il faut noter les rôles du Christ, chef de ce peuple
nouveau, et de l’Esprit qui y habite comme en un temple (9, 2). De
là la liberté de ce peuple dont la loi est l’amour (ibid.). Ensuite est
marquée sa fonction et aussi une certaine distinction par rapport au
Royaume (9, 2 et 3) : ce dont nous avons également parlé.
L’idée qui nous paraît la plus importante à souligner ici est l’iden
tification de ce peuple à l’Église. A part le passage du Décret sur
l’Œcuménisme que nous avons déjà signalé2 et qui pourrait susciter
quelque hésitation,3 Lumen gentium et Gaudium et Spes dans leur
1. Sur l’histoire de ce chapitre de L. G., en plus des art. retraçant l’historique général
de la composition de la Const, (articles déjà cités de l’ouvrage de Barauna-Congar), cf.
ibid., l’article également cité de O. Semmelroth, pp.400-404.
2. Cf. supra, p.206, note 2 : il s’agit de D.O., 3, 5. Nous dirons plus loin ce qu’il
faut, nous semble-t-il, en penser.
3. Vatican II a-t-il entériné une thèse de K. Rahner, comme le soutient le P. Riudor
dans Estudios ecclesiâsticos, 40 (1965), pp.301-318? On peut en douter. Rappelons les
grandes lignes de cette thèse exposée par Rahner sous le titre Die Gliedschaft in der Kirche,
dans Schriflen zur Theologie, Einsiedeln, Benziger, 1954, tome II, pp.7-94 (tr. fr. de R.
G ivord , L ’appartenance à l’Église, Écrits théologiques, Paris, D. de Br., 1958, tome II,
pp.7-112).
Le P. Rahner prend pour point de départ l’encyclique Mystici Corporis qu’il replace
dans le contexte de documents antérieurs du Magistère. Il scrute ainsi les conditions
d’appartenance à l’Église et la possibilité d’une union de grâce avec le Christ pour les
hommes qui ne réalisent pas toutes ces conditions. Très fidèle aux enseignements du
Magistère, le P. Rahner cherche ensuite, en vrai théologien, à prolonger la réflexion sur
les points laissés ouverts. Enracinant son argumentation dans sa théorie de « l’existential
surnaturel » et de l’inclusion radicale de toute l’humanité dans le Christ par l’incarnation
rédemptrice, il conclut qu’il existe — « antérieurement à une organisation sociale et juridi
que de l’humanité comme unité surnaturelle en Église — un peuple de Dieu qui s’étend
aussi loin que l’humanité. Ce peuple de Dieu précède son organisation sociale e t juridique
en ce que nous appelons l’Église, de la même manière qu’un peuple historique déterminé,
sur le plan de la réalité intérieure du monde, précède son organisation en état » (Écrits,
II, p.107).
218 LAVAL THÉOLOGIQUE ET PHILOSOPHIQUE
ch.VI ; card. J ournet , L ’Église du Verbe incarné, II, pp.903-934 ; H. de L ubac , Méditation
sur l’Église, pp.94-101 ; H. K tjng, dans Encyclopédie de la foi, Paris, Cerf, 1965, I, pp.443-
448 ; K. R ahner , Le péché dans l’Église, en B arauna -C ongar , pp.373-394.
Les Pères ne parlaient que de «réforme de l’homme», alors qu’au moyen-âge on a
commencé à parler de « réforme de l’Église ». G.B. L adner , The Idea of Reform, Its Impact
on Christian Thought and Action in the âge of the Fathers, Cambridge (Mass.), 1959 ; aussi
Y. C ongar, Vraie et fausse réforme dans l’Église, Paris, Cerf, 1950, coll. Unam Sanctam, 20.
1. Cf. Y. C ongar , Pour une Église servante et pauvre, Paris, Cerf, 1963, coll. L ’Église
aux 100 visa-ges, 8.
2. Pour ceci nous nous sommes particulièrement inspiré de l’article déjà cité de
Y. C ongar, L ’Église comme peuple de Dieu, Concilium I, pp. 15-32.
3. Ce souci d’affirmer la solidarité du Peuple de Dieu avec l’humanité est patent
tout au long de G. S., comme nous l’avons indiqué au début de cet article. À noter, ce
pendant, ce contraste qui marque l’Église, peuple de Dieu : « Vous qui jadis n’étiez pas
un peuple et qui êtes maintenant le Peuple de Dieu » (1 P 2 10 ). C’est le même dilemme
qui se trouve chez saint Jean, saint Paul et saint Jacques sous la forme d’opposition entre
Église et monde. « Là où les hommes vivent sans être membres du nouvel Israël, sans
le ferment de sanctification, <monde) est synonyme <d’inexistence de peuple)» (O. Sem
melroth , L ’Église nouveau peuple de Dieu, p.408).
l 'é g l i s e , i n t e r m é d i a i r e e n t r e l e r o y a u m e e t l e m o n d e 223
1. Cf. L. G., n.6 : où l’image de l’Église, épouse du Christ, est développée. Pour
juger de la correspondance entre la perspective de L. G. et celle des épîtres pauliniennes,
cf. le compendium de ces dernières fourni par R. S chnackenburg , dans L ’Église dans le
N . T., pp.183s. : Corps du Christ. Voici quelques conclusions de cet exégète. D ’abord
il résume ainsi la doctrine supposée plutôt que développée en 1 Co et Rm : l’expression
« Corps du Christ » est « plus qu’une simple image », elle dit immédiatement quelque chose
sur la relation de la communauté au Christ, sa profonde union avec lui par l’Esprit, bien
plus, son unité avec lui dans l’Esprit, le fondement de cette unité par le baptême et encore
d’une manière nouvelle par l’Eucharistie ; quelque chose aussi sur l’union intime des
(membres) entre eux, avec l’obligation de rendre visible et féconde cette union » (p.190).
Quant à la doctrine plus profonde et complète de Col et Ép, voici comment Schnackenburg
la synthétise : « le corps du Seigneur crucifié et ressuscité s’étend au <Corps >ecclésiologique
du Christ par la médiation de l’E sprit; par celui-ci le Seigneur (la <tête>) se construit
son Église (le <Corps >) et parvient avec elle à une pleine unité. L’Église devient de cette
manière une réalité qui est déjà présente dans le corps du Christ en croix et qui se <construit >
par une croissance intérieure et extérieure à partir de sa <tête) le Christ et prend possession
du cosmos, pour parvenir à sa forme parfaite » (p.195).
2. Nous disons « paraissait », parce que K. Rahner (dans l’article déjà cité, pp.86s.)
a montré quel but précis Mystici Corporis poursuivait en affirmant cette identification et
comment l’encyclique ne voulait pas récuser un usage traditionnel en théologie (surtout
médiévale) du vocable «Corps mystique» pour désigner surtout l’aspect spirituel de
l’Église qui déborde les cadres de son organisation terrestre, v. g. l’Église du ciel.
(S)
226 LAVAL THÉOLOGIQUE ET PHILOSOPHIQUE
1. Cf. L. G., 8, 2 (La relaiio du dernier schéma fournit des explications intéressantes) ;
23, 1 et 4 ; 25, 3, subf. ; D.O., dès le début ; 2, 4 ; 3, 1, et 4 (cf. L.G., 15) ; 4, 3, subf.
2. L. G., 15 et D. 0. passim (v. g. 15, 3). Il semble que la principale caractéristique
sur laquelle se base Vatican II pour distinguer entre « Églises » et « communautés » non
catholiques soit l’existence dans les premières d’un clergé validement ordonné et, consé-
quemment, de la réalité du mystère eucharistique.
3. Citations empruntées à l’étude biblique de J. Schmid sur L ’Église, dans Ency
clopédie de la Foi, pp.410-420.
4. Pour une analyse plus complète des relations entre Église universelle et Églises
locales selon Vatican II, cf. B. N eu n h eu seb , Église universelle et Églises locales, dans
BAltAUNa-ConGAB, I, pp.607-638. L’auteur conclut ainsi: «Nous pouvons dire que la
L’ÉGLISE, INTERMÉDIAIRE ENTRE LE ROYAUME ET LE MONDE 229
Mais tout ceci est dit des Églises particulières ayant à leur tête
un évêque en parfaite communion avec Rome et dont les fidèles réali
sent toutes les conditions de «pleine incorporation » à l’Église énumé
rées au paragraphe 14 de Lumen gentium (al. 2). Qu’en est-il des
groupements de chrétiens non-catholiques que Vatican I I appelle
quand même « Églises » ou, du moins, « communautés »? À cette
question, plusieurs réponses ont été fournies déjà avant Vatican II
et d ’autres depuis.1 Nous n’entreprendrons pas d’en donner un aperçu,
mais, en leur empruntant certains éléments, nous essaierons de synthé
tiser la théologie qui se dégage sur ce point des documents conciliaires.
À la suite de Lumen gentium (n.15), le Décret sur l’Œcuménisme
admet la valeur de ces Églises et communautés chrétiennes non-
catholiques en raison justement des «éléments de l’unique Église du
Christ» qu’elles retiennent (3, 2 et 4). L’Église étant un organisme
vivant, il doit y avoir et il y a toujours de fait, au moins sur une période
donnée assez large, progrès dans le désenveloppement des données de
foi. Vatican II a précisé davantage que Mystici Corporis certains
points de la doctrine du «Corps mystique» et, se basant sur ces
données, déjà les théologiens songent à aller plus avant. Il est certain
qu’actuellement le baptême in re valide est acquis comme base d ’une
«appartenance fondamentale» à l’Église.2 Le caractère baptismal
incorpore à l’Église, bien que cette incorporation puisse être graduée.3
Affirmer ceci dépasse, nous semble-t-il, la lettre de Vatican I I mais
probablement pas son esprit. Il faudrait étudier la question du
baptême in voto, vœu qui est souvent purement « implicite » chez ceux
qui ne connaissent pas suffisamment le Christ et son Église. Il y a
conception développée par le deuxième Concile du Vatican nous a aussi rendu, expressément
et dans une très grande mesure, la vision ecclésiologique qui a toujours déterminé en fait,
bien que le sentiment n’en ait pas toujours été très clair, la vie de l’Église. Universelle,
elle se réalise dans des communautés particulières qui ont leur propre vie et qui, unies à
Rome, forment la catholicité » (p.637).
1. Y. C ongar, Chrétiens désunis, Paris, 1937, Cerf, Unam Sanctam, 1 ; L afont-
L e G uillou , L ’Église en marche, Paris, D. de B r., 1964, pp.27-89 ; B. C. B utler , Les
chrétiens non catholiques et l’Église, B arauna -C ongar , II, pp.651-668 ; W . K asper ,
Tübingen, Theol. Quaest., 145 (1965), pp.42-62 ; G. B aum, La Réalité ecclésiale des autres
Églises, Concilium, IV, pp.61-80.
2. Vatican II parle plutôt d’«appartenance» pleine ou non-pleine et d’«union» à
l’Église. Que le Baptême incorpore à l’Église, cela est manifeste dans les articles déjà
cités de Lafont, Butler et Kasper. La question est davantage étudiée en l’article de Lafont,
mais il y a le désavantage que cet article, encore valable après Vatican II, n’en utilise pas
les textes.
3. D. B utleb écrit : « il ne semble pas infidèle à nos documents conciliaires, ni au
niveau théologique plus profond d’où ils sont issus, de dire que les deux aspects de l’unique
Église, le spirituel ou <mystique) d’une part, et le visible ou institutionnel de l’autre, se
rencontrent de façons diverses, selon le degré de plus ou moins grande perfection de notre
incorporation dans l’Église » (B arauna -C ongar, p.663). Supra, p.226, note 1, les propos
du cardinal Joum et sur la coextensivité et l’inadéquation du corps et de l’âme de l’Église.
230 LAVAL THÉOLOGIQUE ET PHILOSOPHIQUE
1. Nous avons dit plus haut (p.206, note 1, 3e par.) pourquoi Vatican II ne parle
pas de votum baptismi, mais cela ne signifie pas qu’il revient en deçà de la position de la
Lettre du Saint-Office au cardinal Cushing. Or, cette lettre affirmait : « pour que quelqu’un
obtienne le salut étemel, il n’est pas toujours requis qu’il soit en fait incorporé à l’Église
comme un membre, mais il est au moins requis qu’il lui soit uni par le désir ou le souhait.
Cependant, il n ’est pas toujours nécessaire que ce vœu soit explicite, comme il l’est chez
les catéchumènes, mais, quand l’homme est victime d’une ignorance invincible, Dieu
accepte aussi un désir implicite, ainsi appelé parce qu’il est inclus dans la bonne disposition
d’âme par laquelle l’homme veut conformer sa volonté à la volonté de Dieu » (F. C.,
507 ; D .S., 3870). Ceci est à rapprocher de ce passage de L .O : «Car ceux qui, sans
faute de leur part, ignorent l’Évangile du Christ et son Église, et cependant cherchent
Dieu d’un cœur sincère, et s’efforcent, sous l’influence de la grâce, d’accomplir dans leurs
œuvres la volonté de Dieu qu’ils connaissent par la voix de leur conscience, ceux-là peuvent
obtenir le salut étemel. La divine providence ne refuse pas les secours nécessaires pour
leur salut à ceux qui sans faute de leur part ne sont pas encore parvenus à une connaissance
explicite de Dieu, et s’efforcent, non sans le secours de la grâce, de mener une vie droite »
(par.16).
2. La synthèse du mystère du Christ et de son E sprit étant opérée en ce sommet
qu’est l’Eucharistie, il n ’est pas surprenant que l’Eucharistie soit également le sommet de
l’Église et la source de toutes les grâces que Dieu accorde, par elle (l’Église), au monde.
Il est significatif à ce sujet de lire ce que saint Thomas dit de la nécessité de l’Eucharistie,
au moins in voto, pour le salut (I I l a , q.73, a.3 ; aussi q.79, a.l, ad 1). Cf. supra p.213,
note 4, sub fine.
L’ÉGLISE, INTERMÉDIAIRE ENTRE LE ROYAUME ET LE MONDE 231
que l’influence de cette dernière s’étend plus loin que les cadres de son
organisation juridique. C’est la reprise du principe déjà énoncé par
saint Augustin : « est una Ecclesia, quae sola Catholica nominatur ;
et quidquid suum habet in communionibus diversorum a sua unitate
separatis, per hoc quod suum in eis habet, ipsa utique générât, non
illae >>.x
À cause de cela, en vertu d ’une certaine analogie, de même que
l’Église universelle agit dans les Églises particulières qui lui sont
«pleinement incorporées», ainsi opère-t-elle, mais à des degrés moin
dres, dans les Églises ou communautés qui lui sont « unies » par ces élé
ments d’elle-même que celles-ci conservent. L’Église du Christ étant
cette «unique réalité complexe, constituée d’un élément humain et
d ’un élément divin» (L.G ., 8, 1), seule l’Église catholique réunit à la
perfection (i. e. en soi, comme organisme spirituel et social, non néces
sairement en tous ses membres) tout ce qui constitue ces deux élé
ments.2 Dans la mesure où les Églises qui sont séparées d’elle re
tiennent plus ou moins de ce qui constitue ces deux éléments, l’Église
catholique agit en elles et y « engendre » des fils de Dieu. L’Eucharistie
étant le signe efficace le plus parfait de la synthèse de ces deux éléments,
on pourrait parler d’une « communion » (koinonia) entre l’Église
catholique et les autres Églises qui possèdent l’Eucharistie et le sacer
doce, spécialement les Églises orientales (D . 0., 15, 1 et 3). Toutefois,
cette communion ne deviendra «parfaite» qu’au moment où auront
été surmontés les obstacles qui la réduisent (ibid., 4, 3).
Resterait à étudier le rapport de l’Église aux religions et aux
individus non chrétiens. Pour eux aussi, comme nous l’avons déjà
vu, il faut parler d’une union à l’Église du Christ. Les éclaircisse
d ’une structure générale ou d ’une conception qui fait ap p araître l ’ensemble de l’économie
du salut, outre certains points particuliers. Il s ’agit de la foi au pouvoir e t au dessein
salvifique de Dieu, étayée par la vérité qu’il a pris chair. Ainsi, ils sont là parm i nous et
pour nous. L a foi nous donne le moyen de les constater, d ’en reconnaître le sens, de leur
donner notre assentim ent, de nous abandonner à eux e t de les faire nôtres, ou p lu tô t de
nous laisser saisir par eux. Il s’agit de comprendre que dèB ici-bas e t dans le tem ps Dieu
établit, par l’alliance q u ’est son incarnation, une pleine comm union avec l’homme qui est
corps e t esprit, personne e t être social, présent, passé e t futur. Source de vie e t salut
acquis, cette participation à la n atu re de D ieu est déjà réalisée, provisoirem ent, e t sym bo
liquement révélée ici-bas comme don dû à la prévenance divine e t à la victorieuse action
de la charité éternelle » [art. cit., p.325).
1. Saint A ugustin donne comme définition : « invisibilis gratiae form a visibilis #
(Quaest. in H ept., II I, c.84 ; P .L ., 34, 712 ; De civ. Dei, X, c.5 ; P .L ., 41, 282) ; la théo
logie du Moyen Âge en général : signum efficax gratiae, ou signum rei sacrae inquantum est
sanctificans homines (v. g. s a i n t T hom as, I I l a , q.60, a.2).
2. Sur les relations en tre le C hrist, l’Église e t les sacrem ents : cf. J.-L. W itte ,
art. cit., p.463 ; O. S e m m e lro th , L ’Église, sacrement de la rédemption, l re P., c h .III ;
E. S c h ille b e e c k x , Le Christ, sacrement de la rencontre de Dieu, ch.II-V II.
3. Voici quelques études récentes sur ce thèm e : K. R ahner , Kirche und Sakramente>
dans Quaest. disp. 10, Freiburg, 1960 ; id. dans l’article déjà cité, Écrits, II, pp.93-99 ;
O. S emmelroth , Die Kirche als Ursakrament, F ran k fu rt, K necht, 1953, tr. fr. L ’Église,
sacrement de la rédemption, Paris, édition Saint-Paul, 1962 ; E. H. S chillebeeck x , Le
Christ, sacrement de la rencontre de Dieu, su rto u t ch .II ; id., L ’Église et l’humanité, Con-
cilium, I, pp.57-78 ; H. de L ubac , Méditation sur l’Église, ch.VI ; id., Catholicisme, ch.V II ;
card. N ewman , Pensées sur l’Église, Paris, Cerf, 1956, Unam Sanctam, 30, pp.139-194 ;
E. M ersch , La théologie du Corps mystique, II, pp.277-299 ; M. J. S ch eeb en , Mystères,
pp.540-569 ; Y. C ongar , Jalons, pp. 146-154; P . S mulders , L ’Église, sacrement du salut,
B arauna -C on o ar , I, pp.313-338 ; J.-L. W itte , L ’Église «sacramentum unitatisn du
cosmos et du genre humain, ibid., pp.457-492 ; A. de Bovis, L ’Église et son mystère, Paris,
F a y a rt, 1961.
l ’é g l i s e , i n t e r m é d i a i r e e n t r e l e r o y a u m e e t l e m o n d e 235
être social, la grâce doit être manifestée à ses sens par des «signes»,
qu’elle ne peut se refermer sur une relation personnelle de chaque
homme avec la Trinité, mais doit ouvrir cet homme à ses frères.1 Jésus,
en vertu de sa mort rédemptrice occasionnée par le refus d’Israël,
appelle toute l’humanité à la koinonia, mais par l’intermédiaire de
l’Église, organisme à la fois social et spirituel. Par sa mort-résurrec
tion, Jésus, en lui livrant son Esprit, fait de son Église non seulement
son Peuple et son Corps, il en fait aussi et en même temps le sacrement
de l’humanité, prolongeant son Incarnation.
Pour le P. Schillebeeckx, l’Incarnation et particulièrement le
mystère pascal ont créé une situation nouvelle, une relation entre le
« Peuple de Dieu » co-extensif à l’humanité et ce Peuple identifié au
Corps du Christ qui est l’Église. Toute action du Christ sur les
hommes qui, apparemment, ne sont pas membres de son Église est
quand même efficience de cette Église. « Il s’ensuit qu’Église et hu
manité ne peuvent être simplement opposées l’une à l’autre, purement
et simplement en tan t qu’Église et non-Église. Au surplus, il y a
beaucoup de non-Église dans la vie de ceux qui sont d’Église ; il y a
beaucoup de l’Église dans la vie de l’humanité dans son ensemble».2
Le P. Schillebeeckx rejoint ainsi le P. Rahner pour une part et il le
concède (art. cit., p.71). L’humanité s’achemine inconsciemment et
d ’une façon «séculière» (mais sous l’influence de l’E sprit: cf. G.S.,
14, 2 ; 26, 4 ; 38, 1 ; 39, 3) vers l’Église visible et celle-ci va à sa
rencontre par son activité missionnaire.3 Comme exemple d’une
orientation du monde vers l’Église, le théologien flamand donne le
processus de désacralisation de fonctions autrefois considérées comme
un attribut réservé à l’Église : assistance sociale, soin des malades,
e tc .... Il souligne bien, cependant, que ce mouvement de marche
l’un vers l’autre ne connaîtra jamais son terme ici-bas : les deux cités
y demeureront toujours distinctes et telle est la volonté de Dieu.
Cependant, c’est par l’Église que le Christ réalise dans le monde son
œuvre de «récapitulation».
* * *
1. Sur ce que nous avons résumé ici en deux paragraphes, cf. P. S m t j l d e r s , art. cit.,
pp.325-329 ; K. R a h n e b , Kirche und Sacramente et Personale und sakramentale Frömmigkeit,
Schriften zur Theologie, II, tr. fr. Piété personnelle et piété sacramentelle, Écrits I I ; E.
S c h i l l e b e e c k x , art. cit.
2. Art. cit., p.67 ; spécialement le texte cité plus haut page 232 ; cardinal J o u b n e t ,
Théologie de l’Église, pp.323s. ; L ’Église du Verbe incarné, II, pp,1056s.
3. Ce sont des pensées souvent exprimées par L. G. et G. S. Elles forment aussi
sensiblement le thème du livre de H. Cox, The secular city, New-York, Macmillan, 1966.
Bien qu’il comporte des points de vue très suggestifs, ce livre n ’en appelle pas moins certaines
réserves du point de vue de la théologie catholique.
L’ÉGLISE, INTERMÉDIAIRE ENTRE LE ROYAUME ET LE MONDE 237
que, bien qu’elle soit plus facile à définir dans le cas des trois sacrements
qui impriment un « caractère » et dans l’Eucharistie. Dans l’Eucha
ristie, le «sacrement», c’est le pain et le vin d ’une part (matière)
et les paroles consécratoires d’autre part (forme) ; la res, c’est l’affer
missement de la koinonia avec la Trinité dans l’Église (unitas Ecclesiae) ;
le res et sacramentum, c’est le Christ eucharistié, son corps et son sang
sous les species du pain et du vin. Dans les sacrements imprimant un
« caractère», ce dernier constitue le res et sacramentum : il est à la fois
participation, à divers degrés spécifiquement différents, au sacerdoce
du Christ et lien d ’appartenance à l’Éghse.
C’est justement ici que les notions scolastiques auxquelles nous
nous sommes arrêtés découvrent leur valeur profonde. Cette notion
de res et sacramentum entre autres fait apparaître une réalité, visible
pour une part et invisible pour une autre, par-dessus laquelle nous
pourrions aisément passer. Il s’agit de l’aspect social de la grâce.
Non seulement, parce que nous sommes à la fois corps et âme, la grâce
doit nous être symbolisée et donnée à travers un signe sensible, mais,
parce que nous sommes des êtres sociables, elle doit nous être octroyée
au sein et par l’intermédiaire d ’une société à la fois visible et spiri
tuelle : l’Église. Ceci est particulièrement manifesté et opéré par le
«caractère sacramentel» et, d’une façon plus générale, par le res et
sacramentum de tout sacrement.
Nous pouvons, en respectant les limites de l’analogie, utiliser
pour l’Église les termes spécifiques que la théologie scolastique utilise
pour les sept sacrements. E t ceci nous permet spécialement de mieux
expliquer les rapports de l’Église et du monde. L’Église est d’abord
sacramentum tantum, c’est-à-dire «signe» dont la «matière» est
Yhumanité et, avec elle, le monde où elle vit ; 1 sa « forme », ce sont les
trois fonctions ecclésiales d’enseignement, de sanctification et de
gouvernement qui viennent donner (causalité instrumentale) une
signification et une valeur surnaturelles au sens social de l’homme.
Nous retrouvons ici le lien entre la valeur et la signification profanes
des réalités humaines et naturelles, d ’une part, et la valeur et la signifi
cation nouvelles de la grâce qui se greffent sur elles, d ’autre part. Ceci
est exprimé dès le début de Lumen gentium (par.l) : «L’Église est
dans le Christ comme un sacrement, ou un signe et un instrument de
l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre h u m ain ...» ,
voilà pour la signification et la valeur surnaturelles (koinonia) ;
« ... afin que les hommes, unis aujourd’hui plus étroitement par des
liens sociaux, techniques, culturels, parviennent aussi à une pleine
unité dans le Christ», voilà pour le fondement naturel sur lequel
1. Plus précisément, il s’agit de tous les éléments humains et naturels qui se trouvent
dans l’Église et qui, élevés par la grâce divine, deviennent capables de produire des effets
surnaturels, de donner un sens surnaturel à ce qui avait déjà un sens naturel ouvert sur le
divin.
l ’é g l i s e , i n t e r m é d i a i r e e n t r e l e r o y a u m e e t l e m o n d e 239
1. Déjà dans l’A. T., Dieu considère son peuple comme sa « fiancée » et son « épouse ».
L ’ÉGLISE, INTERMÉDIAIRE ENTRE LE ROYAUME ET LE MONDE 241
2. Nous disons « semblent », parce qu’il faudrait voir si certaines valeurs apparem
ment naturelles et profanes ne leur ont pas été véhiculées par l’intermédiaire de l’Église :
v. g. le respect de la personne humaine, etc___
(6)
242 LAVAL THÉOLOGIQUE ET PHILOSOPHIQUE
1. «Le Royaume de Dieu agit là même où l’Église v isib le... n’est pas présente
extérieurement. Partout où deux ou trois sont assemblés au nom de Jésus, là est le Christ
e t la Royauté de Dieu commence à se traduire en une communauté. E n vérité, là aussi
déjà le mystère de l’Église opère, même si c’est invisiblement. Oui, partout où un homme
cherche en Dieu son salut et s’efforce sincèrement de se donner à Dieu et de lui consacrer
son activité, là déjà la Royauté du Christ est à l’œuvre, même si son nom e t celui de l’Église
ne sont ni connus ni nommés. » (B. H ä r i n g , Macht und Ohnmacht ¿1er Religion, Salzburg,
O. Müller Verlag, 1956 ; tr. fr. Force et faiblesse de la religion, Paris, Desclée, 1964, p.45.)
2. V. g. card. J o u r n e t , Les âges de l’Église dans L ’Église du Verbe incarné, II, pp.278-
339 ; id. dans Théologie de l’Église, pp.25-37 et Introduction à la théologie, Paris, D. de
Br., 1947, pp.226-248 ; J . M o u r o u x , Le mystère du temps, I I I e Partie ; Y. C o n g a r ,
Jalons, ch.III ; id., Le mystère du temple (continuité et progrès d’Israël à l’Église).
3. L.G., 1 ; 5, 2, sub f. ; 7, 5-7 ; 8, 3, sub f. et 4 ; 9 ; 13, 2 ; ch.VII ; G.S., 1 ; 3, 1,
début ; 4, 1 ; chap. prélim., passim ; 11 ; 26, 4 ; 34, 1 ; 39 ; 40, 2-3 ; 45.
4. Cf. W. H e i s e n b e r g , La nature dans la physique contemporaine, tr. fr. d’une étude
parue originellement dans la Rowohlts Deutsche Enzyklopädie (1962), Paris, Gallimard,
N .R . F., coll. Idées, pp.34-36.
L ’ÉGLISE, INTERMÉDIAIRE ENTRE LE ROYAUME ET LE MONDE 243