Les Vikings - Bauduin Pierre
Les Vikings - Bauduin Pierre
Les Vikings - Bauduin Pierre
Les vikings
PIERRE BAUDUIN
Introduction
Études et rencontres sur les Vikings voient ainsi converger des disciplines
différentes, qui ont chacune élaboré leur propre méthode critique des
sources. L’historien doit prendre en considération la diversité et la
spécificité de ces champs de recherche, en ayant la sincérité de reconnaître
qu’il n’entretient pas avec tous la même familiarité : de là des approches
différentes de la période viking qui se greffent parfois sur des discours
idéologiquement marqués.
Chapitre I
Des sociétés en mouvement
La mer n’est jamais très loin. Elle environne les pays scandinaves, remonte
loin à l’intérieur des terres par des vallées ennoyées (Norvège) et laisse
émerger un nombre important d’îles et d’archipels. Du cap Nord à l’Eider
(qui a séparé le Danemark de l’Allemagne jusqu’en 1864), la Scandinavie
s’allonge sur près de 2 000 km – une distance équivalente à celle qui sépare
la péninsule Jutlandaise de l’Afrique du Nord – entre 54 et 71° de latitude
nord. Ce vaste ensemble ne présente pas d’unité topographique. L’Ouest de
la péninsule Scandinave – une grande partie de la Norvège – est dominé par
une chaîne de montagnes dont les sommets culminent à plus de 2 000 m. À
l’est de ce relief, sur une vaste plate-forme de roches sédimentaires, bas
plateaux et plaines s’étendent au travers de la Suède et de la Finlande. Au
sud, le Jutland, l’archipel danois et la partie méridionale de la Suède
actuelle sont le prolongement de la grande plaine d’Europe du Nord, où
dominent les terrains sédimentaires horizontaux. L’ensemble fut presque
totalement recouvert par les glaciers qui y creusèrent d’importantes vallées
aux murailles abruptes, ensuite envahies par les eaux donnant naissance, du
côté norvégien, à des fjords qui s’enfoncent très loin à l’intérieur des terres.
La période viking coïncide avec une expansion agricole entamée vers 700,
sinon avant dans certains secteurs. La culture du seigle progresse, et son
introduction dans le système des cultures témoigne de l’émergence d’un
système de rotation, qui nécessitait une organisation des communautés
rurales sans doute plus élaborée qu’on ne l’a longtemps imaginée. À partir
des alentours de l’an mil la généralisation du seigle d’hiver est l’indice
d’une intensification de la céréaliculture. L’extension des terres labourées et
l’adoption de nouveaux systèmes de culture favorisent la croissance des
récoltes. L’outillage progresse également, en relation avec l’amélioration
des techniques métallurgiques. On note ainsi la diffusion de nouveaux outils
en Suède dès le VIesiècle (faux à lames plus longues, socs d’araires en
fer…). Si l’araire prédomine, l’usage de la charrue et de la herse est connu,
sans qu’on puisse préciser la diffusion de ces outils. Le moulin à eau est
attesté en Scandinavie au moins depuis le IXesiècle, mais il reste une
exception et ne se généralise que durant le Moyen Âge.
De fait, cet essor des échanges doit être replacé dans un contexte plus large,
qui voit durant les VIIe-VIIIesiècles le développement, principalement à
l’initiative des Frisons, d’itinéraires commerciaux entre l’Occident, la
Scandinavie et les rivages de la Baltique. Le matériel archéologique
recueilli sur les sites de Ribe et de Dankirke, sur la côte occidentale du
Jutland, indique des contacts étroits avec la Frise et son arrière-pays rhénan
dès la première moitié du VIIIesiècle, et ce sont peut-être des Frisons qui,
avec l’accord des Danois, créèrent vers le milieu du VIIIesiècle un premier
comptoir à Hedeby, ouvrant aux marchands occidentaux un accès aux
marchés de la Baltique. Ceux-ci étaient alors en pleine expansion avec
l’implantation des Scandinaves sur les rives méridionale et orientale de la
Baltique (à Grobin, en Lettonie, dès le milieu du VIIesiècle) et bientôt, à
partir des années 750, au nord de la Russie.
Le site de Ribe fut aménagé vers 704 avec l’établissement d’un marché
saisonnier, sur la rive droite de la Ripa. L’espace fut plus tard divisé en
parcelles vouées à des activités commerciales, artisanales (fabrication de
peignes en bois de cervidés, textile, travail du cuir, de l’ambre, du verre,
métallurgie) et à la construction ou la réparation navales. Sa mise en œuvre
a été rapprochée de deux autres réalisations danoises pratiquement
contemporaines, le canal de Kanhave, sur l’île de Samsø (726), et des
sections du Danevirke (il s’agit du système de rempart établi pour protéger
le Sud du Jutland) réalisées vers 737. Ces chantiers indiquent qu’un pouvoir
puissant était établi au Danemark, peut-être celui du roi Ongendus
(Angantyr), que l’évêque d’Utrecht Willibrord rencontra lors de sa mission
dans le pays au début du VIIIesiècle. La place était vouée au commerce,
débouché des productions régionales (bétail, produits de l’artisanat local
destinés au marché nordique) ou d’un négoce plus lointain avec la
Scandinavie (pierres à aiguiser, récipients en stéatite, os de baleine et sans
doute fourrures) et surtout l’Occident (produits de la métallurgie ou de la
verrerie rhénanes, céramiques de Badorf ou de Tating, meules de l’Eifel).
D’abord marché temporaire, Ribe acquiert ensuite un caractère urbain plus
marqué. Un fossé, sans doute à valeur symbolique, est creusé autour du
bourg au cours de la première moitié du IXesiècle – plus tard (2nde moitié
du IXe-début Xesiècle) remplacé par un ouvrage plus important –,
délimitant jusqu’à la rivière un espace d’une douzaine d’hectares. D’après
la Vita Anskarii de Rimbert, l’évêque Ansgar (= Anschaire) obtient du roi
Horik un terrain à Ribe, avec la permission d’y construire une église. La
ville reçut ultérieurement un évêque (948) et de nouvelles fortifications.
2. Les esclaves
Les esclaves (thrællar) étaient probablement nombreux à l’époque viking.
L’esclavage pouvait punir certains crimes et était la condition d’un enfant
issu de parents serviles. La guerre et les razzias, notamment en Irlande et en
Europe orientale, constituaient une source d’approvisionnement importante
et alimentaient un commerce fructueux.
Les esclaves travaillaient à des tâches domestiques ou sur les terres des
propriétaires. Leurs tâches et leurs conditions de vie variaient en fonction
de leur qualification, comme artisan par exemple, et des liens entretenus
dans la maisonnée. Il arrivait qu’une esclave épouse le maître de maison.
De manière plus dramatique, l’esclave pouvait accompagner son maître
dans la mort comme l’indiquent certaines sépultures doubles dont l’un des
individus avait subi une mort violente ou les rites funéraires des Rus décrits
par Ibn Fadlan vers 922.
L’affranchissement était possible. Une pierre runique élevée peu après l’an
mil à Hørning, dans le Nord du Jutland, fut ainsi gravée par un esclave,
forgeron de son état, nommé Toki, pour commémorer son maître qui lui
avait « donné de l’or et la liberté ». L’affranchi ne recevait pas
immédiatement une pleine liberté, et lui-même et ses descendants devaient
rester dans la dépendance de leur patron. L’introduction du christianisme
n’entraîne pas la disparition de l’esclavage, mais a contribué à une
amélioration du sort de l’esclave. L’Église encourage l’affranchissement,
interdit la réduction en servitude ou la vente de chrétiens, mais ne
condamne pas l’institution. L’esclavage disparaît tardivement de
Scandinavie entre le XIIe et le XIVesiècle.
3. Les hommes libres
Ils ont en commun un certain nombre de prérogatives : la protection de la
loi et la solidarité du clan familial, le droit de porter les armes, la
participation à l’assemblée saisonnière, le thing. Ce dernier est l’institution
la plus importante dans la Scandinavie ancienne et existe à différents
échelons, locaux ou régionaux. Ces assemblées, tenues en plein air, avaient
de multiples fonctions : on y débattait des affaires touchant la communauté,
là se tenaient aussi les procès et intervenaient les déclarations publiques,
l’élaboration des lois ou leur modification. Les chefs locaux ou le roi
présidaient les débats et sollicitaient l’accord des participants qui
entrechoquaient leurs armes (vapnatak) en signe d’approbation. N’en
idéalisons pas le fonctionnement : les débats étaient souvent dominés par
les plus puissants.
La catégorie la plus nombreuse était formée par les paysans libres, les
boendr, qui formaient l’assise des sociétés scandinaves. Celles-ci ont
longtemps été dé- crites comme une sorte de démocratie de paysans
propriétaires de niveau social plus ou moins équivalent. Cette vision
mythique est contredite par les découvertes archéologiques qui montrent, au
contraire, des différences socio-économiques importantes et suggèrent
l’existence de petites exploitations subordonnées à la résidence d’un chef
local ou d’un grand propriétaire. À côté de paysans propriétaires, qui
pouvaient jouir de leur propriété ancestrale (oðal), existait une paysannerie
dépendante soumise à des services et à diverses prestations économiques.
3. La royauté
La royauté était exercée par des familles qui, très tôt, revendiquèrent une
origine prestigieuse. Les rois svear et norvégiens furent, au moins dès la fin
du IXesiècle, associés à la dynastie semi-légendaire des Ynglingar, issue du
dieu Freyr. Les sources écrites et les noms des souverains danois connus au
IXesiècle suggèrent que la royauté circulait entre des clans familiaux, dont
les membres pouvaient se réclamer d’une ascendance royale. Il n’existait
pas en revanche de système de succession régulier. Les fils succédaient
habituellement à leur père, mais la compétition pouvait être féroce, tout
prince de sang royal (en lignée masculine ou féminine) étant susceptible de
prétendre au trône. L’une des alternatives consistait à associer divers
candidats au pouvoir ; une autre, à rechercher l’appui d’un souverain
étranger ou de tenter l’aventure au loin pour acquérir gloire et richesses
avant de revenir revendiquer le trône. Origines prestigieuses, victoires et
pratiques ostentatoires soutenaient une légitimité qu’il fallait d’autant plus
affirmer qu’elle était à la merci de compétiteurs redoutables.
V. – Croyances et valeurs
La religion ancienne des Scandinaves différait beaucoup du christianisme.
Elle ne reposait pas sur un ensemble de dogmes, ne disposait pas d’une
structure organisée, comparable à l’Église, ni d’un clergé spécialisé. À la
différence du christianisme, qui n’admet qu’un seul Dieu, le paganisme
scandinave tolérait d’autres divinités. Les païens honoraient un panthéon
dans lequel le Christ pouvait être inclus sans grandes difficultés : cela
explique en partie pourquoi les missionnaires chrétiens ont pu être bien
reçus par des princes scandinaves et même autorisés à élever des églises. La
religion ancienne restait ouverte à des idées religieuses, et les païens ont pu
intégrer certaines conceptions du christianisme (voire de la religion
musulmane) à leur propre vision du monde. Enfin, il ne faut pas la
considérer comme un ensemble monolithique : le culte à certaines divinités
et les pratiques ont varié dans l’espace et dans le temps, et ne formaient pas
un tout aussi cohérent que le suggèrent certains textes ultérieurs.
Les pratiques funéraires présentent une grande diversité, tant régionale que
sociale. La crémation et l’inhumation coexistaient au Danemark, en
Norvège, dans le Sud de la Suède et sur l’île de Gotland (bien que la
seconde fût plus répandue dans ces régions) alors qu’une bonne partie de la
Suède resta attachée à l’incinération jusqu’à la fin de la période viking. La
forme extérieure des sépultures est également variée, la tombe pouvant être
signalée par un monument en pierre, un alignement en forme de bateau, un
tertre ou un grand tumulus. Des objets accompagnaient les défunts, de
simples ustensiles pour les plus modestes au splendide mobilier d’apparat
des tombes princières. Souci de la renommée ou prestige social du défunt et
de sa famille se combinent ici avec des préoccupations religieuses. Les
sources écrites nous donnent une vue assez vague des représentations de
l’Au-delà et des séjours des morts – Hel des simples mortels, Valhöll des
guerriers choisis pour le Ragnarök – qui par ailleurs ont pu être influencées
par le christianisme ou l’islam. Le mobilier découvert dans les tombes et
certaines coutumes funéraires suggèrent une croyance dans la vie après la
mort et que le royaume des morts était atteint après un voyage.
Chapitre II
Marins, marchands et guerriers
Les Vikings sont entrés dans l’histoire en bateau, comme des pillards et des
guerriers redoutables, de hardis colons qui peuplèrent des contrées parfois
très éloignées, des fondateurs d’entités politiques plus ou moins durables.
L’âge viking débute lorsque les sources occidentales enregistrent des
manifestations de l’expansion scandinave qui prolongent, nous l’avons vu,
une évolution engagée bien avant la fin du VIIIesiècle. Il s’agira maintenant
d’en saisir quelques-uns des acteurs avant d’aborder, sous la forme d’un
bilan, les origines du phénomène viking.
I. – En bateau
1. Un outil remarquable
La géographie et les conditions de circulation en Scandinavie ont très tôt
disposé les populations littorales à pratiquer la navigation. Des gravures
rupestres ou réalisées sur du mobilier en bronze représentent de grands
canots dès le milieu du IIe millénaire avant notre ère. L’embarcation mise
au jour à Hjortspring (Danemark, IVesiècle av. J.-C.) témoigne déjà d’une
grande maîtrise du travail du bois et atteste clairement l’usage du bateau à
des fins guerrières. Plus tard, le navire de Nydam (Danemark, début
IVesiècle) présente déjà quelques-unes des caractéristiques (construction à
clin, rivets en fer, propulsion à la rame, système de gouvernail) des
vaisseaux vikings ultérieurs.
Si les grandes caractéristiques des navires vikings semblent être établies dès
le début du IXesiècle, la construction navale connaît ensuite des
changements significatifs avec un accroissement de la capacité des bateaux
et l’apparition d’embarcations spécialisées. Les vaisseaux de guerre, de
forme très allongée, utilisaient les deux modes de propulsion, à voile et à
rame. Les grands navires du IXesiècle (Oseberg : 21,5 m, 30 rames ;
Gokstad : 23,2 m, 32 rames, une capacité de charge estimée à 7 t) pouvaient
transporter 40 à 60 hommes ; ceux réalisés à partir de la fin du Xesiècle
(Hedeby 1 : 31 m, 60 rames) purent emmener des équipages plus importants
(60-100 hommes). La capacité de charge des navires s’accrut
considérablement après l’introduction, dans le courant du Xesiècle (et peut-
être dès le IXesiècle), de navires spécialisés dans le transport de
marchandises, qui furent sans doute également utilisés pour les entreprises
de colonisation vers l’Islande et le Groenland. Plus larges, dotés d’une
charpente plus forte et d’une partie centrale destinée à recevoir la cargaison,
ces navires manœuvrés par un équipage réduit utilisaient la voile comme
moyen de propulsion et comportaient un petit nombre de rames pour les
manœuvres au départ, à l’arrivée et lors des passages difficiles. Les
différents types d’embarcations rencontrées au XIesiècle, du petit porteur
emmenant moins de 10 t de fret (Skuldelev 6, v. 1030) au vaisseau doté
d’une capacité importante (Hedeby 3, v. 1025, 50-60 t), suggèrent une
spécialisation croissante, fonctionnelle et régio- nale, de ces navires.
2. La navigation
Les reconstitutions opérées donnent une idée assez précise des
performances (théoriques) des navires. Un vaisseau de type Skuldelev 5
pouvait maintenir, dans de bonnes conditions, une vitesse moyenne de
4,5 nœuds à la rame et de 6 nœuds à la voile (jusqu’à 14 par grand vent). La
réplique de Skuldelev 1, un navire de charge capable d’affronter les eaux de
l’Atlantique nord, pouvait transporter une cargaison (une vingtaine de
tonnes) à une vitesse moyenne de 5-6 nœuds et, depuis la côte norvégienne,
gagner les Shetland en deux jours et l’Islande en quatre jours. Les sources
écrites contemporaines (Vita Anskarii, Old English Orosius, Adam de
Brême) donnent, pour divers trajets en mer Baltique, des temps de parcours
variables, entre 30-35 et (pour une navigation rapide) 60-70 milles par jour.
Les effectifs des armées vikings donnés par les sources occidentales sont
souvent sujets à caution. Globalement, durant les premières phases des raids
en Occident, les bandes scandinaves ne paraissent pas avoir réuni plus de
quelques centaines d’hommes et souvent moins encore. Des armées plus
importantes opèrent en Angleterre à partir du milieu des années 860 et dans
le monde franc durant les années 880. La « grande armée danoise » qui
ravage et conquiert une partie de l’Angleterre après 865 rassembla quelques
milliers de guerriers, sans doute guère plus de 2 000-3 000 hommes.
Alfred mit à profit le répit accordé par le départ de la grande armée danoise
pour renforcer sa flotte, organiser des milices (fyrd) et surtout édifier un
réseau de forteresses, les burhs, destiné à entraver la progression de
l’ennemi. Ces mesures défensives prouvèrent leur efficacité lors d’une
nouvelle invasion danoise de 892 à 896. Les successeurs d’Alfred, forts
d’une autorité et d’un prestige accrus par la résistance victorieuse contre les
Vikings, entamèrent la conquête des possessions danoises. En 917,
l’Estanglie et la Mercie danoises sont soumises par Édouard l’Ancien. Son
fils Athelstan (924-939) poursuit les conquêtes de son père et s’empare
d’York en 927. À deux reprises (939-944, 948-954), les rois scandinaves de
Dublin puis Éric à la Hache sanglante (chassé auparavant du trône de
Norvège) réussirent à recouvrer York qui repassa définitivement sous
domination anglaise en 954. Le royaume d’Angleterre était désormais
unifié sous l’égide de la dynastie de Wessex dont les souverains peuvent
s’intituler, dès Athelstan, « roi des Anglo-Saxons et des Danois ».
Sur le continent, les raids reprennent avec une intensité sans pareille à la fin
des années 870. En 882, l’empereur Charles le Gros, après avoir assiégé
sans succès les assaillants à Asselt sur la basse Meuse, s’accorde avec
Godfrid, qui accepte de recevoir le baptême en échange d’une cession
territoriale en Frise et d’un tribut substantiel. L’expérience tourna court, car
le chef danois ne tarda pas à se mêler des querelles dynastiques
carolingiennes et fut finalement assassiné en 885. Après avoir épuisé durant
cinq années le Nord de la Francie et la Rhénanie, les Vikings quittent les
pays de l’Escaut pour la vallée de la Seine. La flotte de Sigfrid s’empare de
Rouen et met le siège devant Paris (novembre 885), défendu par Eudes,
comte de Paris (fils de Robert le Fort, tué en 866), et l’évêque Gauzlin.
Lorsque, après une année de siège, Charles le Gros arrive enfin au secours
des assiégés (octobre 886), il préfère acheter le départ des Normands et les
autorise à aller hiverner en Bourgogne. Revenu en Germanie totalement
déconsidéré, il est peu après déposé et meurt en janvier 888. L’Empire
carolingien éclate ; en Francie, les grands du Royaume portent le défenseur
de Paris, Eudes, sur le trône. Victorieux à Montfaucon, le nouveau roi se
voit contraint d’acheter le départ des Vikings revenus attaquer Paris en 889.
Les assaillants tentent alors leur chance en Bretagne. Repoussés par les
Bretons, les Vikings ravagent le Nord du Royaume et la Lotharingie. Ils
sont alors vaincus par Arnulf de Germanie puis gagnent l’Angleterre (892).
Des raids plus sporadiques touchent ensuite la vallée de la Seine (896), la
Bourgogne (898) et Tours (903).
Il est probable que, dès la fin du IXesiècle, les Scandinaves ont commencé à
s’installer à l’embouchure de la Seine et à prendre en main la région, peut-
être avec l’accord tacite des autorités franques, laïques et ecclésiastiques.
Cette paix est rompue en 911, lorsque les Normands de Rollon dévastent le
territoire du marquis de Neustrie, Robert, et mettent le siège devant
Chartres où ils sont sévèrement battus. Décidé à régler le problème
normand, Charles le Simple entame peu après les pourparlers qui
débouchent sur l’entrevue et l’accord de Saint-Clair-sur-Epte. En échange
d’une cession territoriale comprenant le territoire entre l’Epte et la mer,
avec Rouen et la basse Seine, Rollon acceptait le baptême, devenait le
fidèle du roi et s’engageait à assurer la tutela regni, la « protection du
Royaume », en premier lieu contre les bandes scandinaves qui pouvaient
être tentées de remonter la Seine. Ce qui devient la Normandie se révéla la
plus durable des fondations politiques créées par les Scandinaves en
Occident.
Les contacts entre les cultures anglo-saxonne et scandinave ont produit une
identité anglo-scandinave qui a profondément marqué l’Angleterre. Le nom
« Danelaw » apparaît tardivement dans les sources (v. 1008) et fut ensuite
employé à plusieurs reprises dans les codes de lois des XIe-XIIesiècles. Si
la spécificité des usages juridiques des régions colonisées par les Danois fut
reconnue par les souverains anglo-saxons après la conquête du Xesiècle, la
part de l’origine scandinave de ces coutumes reste mal établie. De même, la
connotation ethnique du mot « Danois », avérée par certaines sources, ne
peut être généralisée, car il fut aussi utilisé pour désigner les habitants du
Danelaw quelle que soit leur origine. L’influence scandinave sur la langue,
les modes de dénomination des personnes ou des lieux, les productions
artistiques ou artisanales laisse ouvertes d’autres interprétations qu’une
colonisation massive ou le maintien d’une entité scandinave distincte en
terre anglaise. L’identité du Danelaw résulte de transferts culturels et
sociaux complexes dont les acteurs furent à la fois scandinaves et indigènes,
dans des contextes différents. Son expression renvoie à la formation d’une
identité anglo-danoise dont la documentation nous laisse davantage
entrevoir le résultat que le processus ou la chronologie. L’interprétation des
matériaux disponibles donne lieu à des débats que l’on ne peut détailler ici.
L’influence du norrois sur l’anglais fut importante (environ 1 000 mots dont
beaucoup de termes courants) et affecta la structure même de la langue. Elle
suggère d’intenses contacts de langue, aux différents niveaux de la société,
dont l’explication ressortit d’un ensemble de facteurs où interviennent non
seulement le nombre de migrants, mais aussi la proximité des deux langues,
le statut des locuteurs, voire des processus de créolisation de la langue
anglaise ou de formation d’un médium de communication commun entre
les communautés anglo-saxonnes et scandinaves. Des questions se posent
également à propos des modes de dénomination des personnes – où
l’indéniable influence norroise ne bouleverse pas les traditions
onomastiques anglo-saxonnes –, dont le choix résulte probablement plus de
facteurs familiaux et sociaux que de considérations ethniques. Les
témoignages archéologiques relatifs à la présence viking en Angleterre sont
plus nombreux que sur le continent, mais leur représentativité et l’affichage
identitaire auxquels ils renvoient demeure une question ouverte. Les
éléments étiquetés comme « scandinaves » ne sont pas réductibles à une
identité ethnique et, s’ils ont pu en être parfois un vecteur, ils se
combinaient avec d’autres facteurs pour exprimer le statut ou l’ambition des
individus et les diverses formes ou stratégie d’accommodation culturelle
avec la population anglo-saxonne. Certains paraissent relever davantage
d’un contexte colonial suffisamment dynamique pour engendrer des formes
d’expression originales et nouvelles à la fois pour les immigrants et les
populations indigènes. La prégnance d’une culture scandinave
profondément ancrée dans le milieu anglo-saxon constitue l’un des traits
originaux du legs viking en Angleterre.
Cette réussite n’aurait pas été possible sans les progrès de la construction
navale et de la navigation. Les archipels écossais permettaient de faire
étape, mais 675 km séparent la Norvège des Féroé et l’Islande est située à
460 km de celles-ci. Les bateaux utilisés étaient probablement des navires
de transport, comparables à l’épave 1 de Skuldelev, indispensables pour des
entreprises de colonisation où embarquaient les hommes et leurs familles,
avec les animaux domestiques, les vivres et l’outillage nécessaires.
Les circonstances ou motivations qui poussaient les colons à gagner ces
terres lointaines pouvaient être diverses. Sans doute les hasards de la
navigation – lorsque le navire était dérouté, par exemple – et l’esprit
d’aventure eurent-ils leur part dans l’exploration de nouvelles contrées. La
tradition islandaise a aussi retenu la « tyrannie » du roi Harald à la Belle
Chevelure, qui aurait poussé à l’exil de nombreux migrants : la raison
invoquée reflète probablement davantage les préoccupations des auteurs
islandais du XIIesiècle et laisse dubitatifs nombre d’historiens. La
motivation principale fut la recherche de nouvelles terres et celles-ci
offraient des ressources non négligeables pour des hommes qui, venus
majoritairement de Norvège, pouvaient adopter un mode d’exploitation
somme toute assez proche de celui de leur patrie d’origine, pour y
développer l’élevage et opérer un prélèvement sur la faune, poissons,
oiseaux et mammifères marins.
2. L’Islande
Dans l’Íslendingabók, Ari Thorgilsson donne une chronologie précise des
débuts de la colonisation de l’Islande peu après 870, une datation qui
s’accorde assez bien avec celle retenue aujourd’hui par les historiens. Bien
des réserves, on l’a vu, sont émises sur les raisons avancées pour cette
migration – la supposée « tyrannie » du roi Harald – et sur les premiers
découvreurs scandinaves de l’Islande cités par la Landnámabók (Livre de la
colonisation), Naddoð, Garðar Svarvasson et Flóki Vilgerðason, qui passent
pour avoir respectivement donné au pays le nom de Snaeland (« Pays de la
neige »), de Garðarholm (« ilôt de Garðar ») et finalement d’Ísland (« Pays
de glace »). L’exploration de l’île fut sans doute entreprise dans les
années 850-860, peut-être à la suite d’une navigation déroutée vers le nord-
ouest ou, si l’on retient la présence d’ermites irlandais sur l’île, à la faveur
d’informations recueillies auprès des populations celtiques des îles
Britanniques. La colonisation de l’île débuta dans les années 870, après
l’établissement du Norvégien Ingolf Arnarson dans la région de Reykjavík ;
elle était, selon Ari Thorgilsson, à peu près achevée soixante ans plus tard.
La plupart des régions semblent avoir été colonisées dans les premiers
temps, y compris celles situées au nord, moins fertiles mais pourvues
d’autres ressources fournies par le milieu marin. Les nouveaux venus
s’implantèrent d’abord dans les régions côtières et les plaines du sud de
l’île ; l’intérieur du pays, plus montagneux et partiellement recouvert de
glaciers, était en bonne partie inhabitable. Des colons tentèrent aussi de
s’établir dans des vallées plus isolées, en bordure des terres hautes et, de
façon exceptionnelle, dans des secteurs désertiques du centre, mais ces
tentatives n’aboutirent à rien de durable. L’exploitation des terres,
notamment à des fins de pâturage, provoqua une transformation du milieu,
avec le recul de la végétation naturelle de l’île (bouleau, angélique) et une
érosion concomitante des sols. Des éruptions volcaniques, comme celle de
l’Hekla en 1104, eurent également raison d’un certain nombre
d’exploitations.
Ces colons établirent des fermes comparables à celles que l’on retrouve sur
des sites contemporains à l’Ouest de la Norvège, à Jarlshof (Shetland) ou à
Kvívík (Féroé). Un grand bâtiment en forme de halle, long d’une vingtaine
de mètres (40 à Hofstadir au nord de l’île), était construit, prolongé par une
ou deux pièces. D’autres bâtisses, à usage domestique, se trouvaient à
l’écart. Au cours de l’époque viking, cette disposition se modifia, peut-être
en raison des conditions locales liées au climat et à la rareté du bois de
construction ; les bâtiments annexes (atelier pour le travail de la laine,
cellier, étuve, lieux d’aisance) furent adjoints à la halle, formant un
ensemble plus compact, comme on peut le voir pour le site de Stöng, dans
la vallée du Thjórsárdalur, dans un secteur touché par l’éruption de l’Hekla.
De même qu’en Écosse ou aux Féroé, la colonisation scandinave ne suscita
pas ici de villes, bien que les Islandais eussent avec le monde extérieur des
contacts intenses pour importer les produits que l’île ne pouvait fournir en
suffisance.
Le Groenland n’était sans doute pas le pays heureux dont Éric le Rouge
vantait les attraits pour faire venir les colons. Ceux-ci pouvaient cependant
y trouver des conditions suffisamment favorables pour développer un mode
de vie comparable à celui de l’Islande, d’où ils venaient. L’économie était
fondée sur l’élevage du bétail (bovins, moutons, chèvres) qu’on pouvait
nourrir avec le foin récolté pendant la belle saison, notamment dans les
vallées abritées ou les fertiles étendues morainiques situées au fond des
fjords. Les habitants du Groenland exploitaient aussi les abondantes
ressources que leur fournissaient la pêche et la chasse, dont ils tiraient
également les produits (fourrures d’ours blanc et de renard arctique,
défenses de morse et de narval, cordages, faucons…) nécessaires pour
acquérir les biens essentiels à la vie courante (fer, bois, céréales) et les
marchandises de luxe venues d’Europe. Des échanges ont pu s’opérer avec
les populations de l’Arctique, comme le suggérerait la découverte d’objets
médiévaux sur des sites inuit, sans toutefois qu’il soit possible de
déterminer les conditions dans lesquelles ils y furent apportés.
I. – Les conditions
Sur les côtes méridionales de la Baltique et en Europe orientale, les
Scandinaves rencontraient des conditions notablement différentes de celles
qui pouvaient prévaloir à l’ouest du continent européen. On ne trouvait ici
point de riche monastère à piller, ni la proximité d’États solidement
organisés. Il fallait parcourir des distances considérables pour atteindre
Byzance ou le califat. Les richesses cependant étaient considérables et
accessibles : l’ambre, sur le littoral de la Baltique ; les fourrures, dans la
zone forestière septentrionale de la Russie ; les tissus et métaux précieux
venus des mondes musulman ou byzantin ; les esclaves qui alimentèrent
bientôt une traite importante. Une fois la Baltique franchie, les grands
fleuves russes ouvraient largement sur l’intérieur du continent, permettant
de rejoindre, par le Dniepr ou la Volga, la mer Noire ou la Caspienne. Les
voyages n’étaient pas sans risques. La navigation sur les fleuves était
fréquemment interrompue par des rapides périlleux, de longs portages
s’avéraient nécessaires pour gagner des eaux praticables, et il fallait parfois
composer avec des tribus hostiles. Il y avait beaucoup à gagner vers le sud
et l’est, mais les Scandinaves durent organiser des systèmes de collecte des
richesses naturelles, établir des itinéraires et des centres de commerce,
rencontrer des sociétés dont on mesure mieux aujourd’hui le dynamisme,
sans lequel l’aventure eût peut-être été sans lendemain.
Ils entrèrent en contact avec des peuples très différents. Sur le littoral
méridional de la Baltique vivaient des populations slaves, baltes et finno-
ougriennes. Les Slaves occidentaux (Abodrites, Wilzes, Ranes, Wolines,
Poméraniens), connus par les sources sous le nom générique de Wendes,
étaient établis entre le golfe de Kiel et l’embouchure de la Vistule ; ils
entretenaient depuis longtemps des rapports, conflictuels ou amicaux, avec
leurs voisins francs, saxons et scandinaves, partageant avec ces derniers
nombre de traits communs sur le plan du développement technique et de
l’évolution sociale comme, par exemple, l’essor d’agglomérations
marchandes dès avant le début du IXesiècle. Les régions comprises entre la
Vistule et le golfe de Finlande étaient peuplées de populations baltes et
finnoises. Les tribus finnoises occupaient également une partie de l’Est et
du Nord-Est de l’actuelle Russie d’Europe jusqu’au haut bassin de la Volga,
d’où elles purent développer des liens commerciaux avec l’Asie centrale, le
Caucase et Byzance.
Dans la zone des steppes, les Khazars, un peuple turcophone, ont établi leur
domination au Nord du Caucase et sur la basse Volga, où ils transfèrent leur
capitale, Itil, avant 729-730. De là, franchissant le Don, leur expansion
atteint la Crimée (dès la fin du VIIesiècle) puis les régions situées au nord
et au nord-ouest où leur zone d’influence s’étend sur une partie des bassins
de la Volga, de la Kama et du Dniepr, imposant leur suzeraineté aux
Bulgares de la Volga et à différentes tribus slaves. Jusqu’au milieu du
Xesiècle, et malgré la menace des Petchénègues, l’Empire khazar assure
une relative stabilité de la zone des steppes, favorisée par la tolérance des
souverains à l’égard des groupes ethniques et religieux et une politique de
paix favorable au commerce, dont la Khazarie fut l’un des foyers majeurs.
Durant le dernier tiers du VIIesiècle, les Khazars avaient écrasé l’État
bulgare du Kouban, entraînant la fuite d’une partie des tribus bulgares vers
la moyenne Volga et la Kama inférieure, où elles reconstituèrent un
royaume connu sous le nom de Bulghar (ou « Bulgarie de la Volga »),
vassal du khagan khazar. Situé au croisement de plusieurs itinéraires
commerciaux vers la mer Blanche (au nord), le golfe de Finlande et la
Baltique (au nord-ouest), la Caspienne (au sud), l’Asie centrale (au sud-est)
et le bassin du Dniepr (à l’ouest), le pays était devenu, selon les termes d’un
géographe arabe du Xesiècle (Ibn Hakwal), « le centre commercial de tous
les pays avoisinants » et un lieu de rencontre pour les marchands et artisans
étrangers.
Des contacts moins pacifiques avaient également lieu, résultant des actions
de piraterie ou des ambitions politiques des différents protagonistes. Au
début du IXesiècle, le roi danois Godfrid s’en prit aux Abodrites, alliés des
Francs. En 808, il attaqua leur emporium, Reric, dont il emmena les
marchands à Hedeby, puis l’année suivante fit assassiner leur roi, Drasco.
Plus tard, en 838, le roi Horik Ier tenta de restaurer l’influence danoise sur
ce peuple. Danois et Suédois tentèrent également d’imposer tribut aux
habitants de la Courlande. La Vita Anskarii rapporte ainsi l’échec d’une
expédition danoise au milieu du IXesiècle et le succès d’un roi de Birka,
Olaf, qui conduisit une attaque victorieuse contre Seeburg (Grobin) et
Apulia (peut-être Apuolé, au sud-est de Grobin) puis rétablit le tribut
autrefois imposé par le Svear aux habitants de la région. À la fin du
Xesiècle, plusieurs princes slaves établirent des alliances matrimoniales
avec des rois scandinaves qui purent tirer ainsi parti de ces liens pour
étendre leur influence et pour tenter de contrer l’expansion du Royaume de
Germanie.
Les Rus ont donné une impulsion décisive à l’ouverture de nouvelles voies
commerciales entre l’Orient et l’Europe du Nord, quand bien même ce rôle
ne doit pas occulter celui d’autres acteurs, marchands byzantins, juifs ou
arabes, commerçants venus d’Asie centrale ou de Perse, ni les conditions
favorables aux échanges permises par la pax khazarica, la présence de
grands marchés sur le territoire du Bulghar ou les liens commerciaux noués
par certaines tribus finnoises de la Volga.
Quelles que soient les controverses suscitées, il est évident que les Rus
impliqués dans les échanges ont opéré à partir des centres apparus le long
des principaux itinéraires. Leur activité en Russie nécessita, dès le milieu du
IXesiècle, d’organiser un système de collecte des richesses et de garantir un
minimum de sécurité le long des voies qu’empruntait le trafic – en un mot,
de s’assurer le contrôle d’espaces plus ou moins étendus. Dans le détail, ce
processus nous échappe en grande partie, et le Récit des temps passés ne
retient que le succès d’un groupe mené par un héros dont l’historicité n’est
pas formellement établie – Riurik –, occultant le rôle d’autres chefs
indépendants à la tête de principautés qui, pour certaines, perdurèrent
jusqu’aux années 970. Les sources écrites et archéologiques laissent
clairement entrevoir qu’à partir des années 870 la mise en place de ces
constructions politiques s’accompagna de troubles graves, diversement
interprétés, mais témoignant sans doute d’une compétition accrue pour le
contrôle de territoires, dont les potentialités s’avéraient immenses. L’arrivée
d’Oleg à Kiev, au début des années 880 si l’on retient la chronologie
traditionnelle, marque une étape décisive dans la construction du nouvel
État russe qui étend son influence au détriment de l’Empire khazar et met
au pas les différentes tribus, slaves, finnoises ou baltes. Les conquêtes des
princes de Kiev s’échelonnèrent sur près d’un siècle. Certaines populations
slaves, comme les Drevjlanes, établis au Nord-Ouest de Kiev et conquis par
Olga peu après la mort d’Igor (945), opposèrent une résistance sérieuse.
Dans les années 960, Sviatoslav entama la conquête des tribus de la haute
Volga, qui fut poursuivie par son successeur Vladimir. Entre-temps, les
princes riurikides avaient emporté une victoire décisive sur les Khazars
(965) et mis au pas les principautés russes indépendantes (prise de Polotsk,
à la fin des années 970). Vers l’an mil, l’essentiel du territoire de la Russie
était rassemblé dans un pays depuis peu converti au christianisme et dont
les éléments scandinaves étaient slavisés.
Les Rus avaient très tôt établi des relations commerciales et diplomatiques
avec l’Empire byzantin et tenté un raid contre Constantinople en 860.
L’expansion de l’État riurikide dans le bassin du Dniepr conduisit à une
intensification des contacts avec le monde byzantin, que vint bientôt
confirmer la conclusion de traités (907, 911) offrant aux marchands rus des
facilités pour commercer avec Byzance. Les rapports entre les deux
partenaires ne furent cependant pas toujours faciles. En 941, une flotte rus
vint en mer Noire ravager les villes byzantines de la côte avant d’être
détruite par les escadres du basileus. Peu après, en 945, un nouveau traité
russo-byzantin fut conclu et, dans la seconde moitié du Xesiècle, les
empereurs byzantins sollicitèrent à plusieurs reprises l’aide militaire des
princes de Kiev. L’adoption du christianisme contribua à resserrer ces liens.
Dès 945, parmi les Rus qui avaient juré le traité avec Byzance se trouvaient
des chrétiens. Un peu plus tard (vers 957), la veuve d’Igor, Olga, fut le
premier membre de la dynastie à se convertir. L’étape décisive fut franchie
en 988 lorsque Vladimir, pour renforcer la cohésion d’un État hétérogène,
adopta la foi chrétienne. Le passage au christianisme ouvrit davantage le
pays à la culture byzantine qui contribua tant à l’émergence d’une
spécificité russe.
I. – L’affirmation de pouvoirs
monarchiques centralisés
1. Au Danemark : la dynastie de Jelling
L’affirmation du pouvoir monarchique est, là encore, plus précoce au
Danemark, où les rois de la dynastie de Jelling s’emparent du trône durant
le premier quart du Xesiècle et préparent, dès Gorm l’Ancien (v. 936-958),
la restauration de l’unité danoise. Le fils de Gorm, Harald à la Dent bleue,
s’en proclama l’artisan sur la stèle monumentale élevée à Jelling pour
commémorer ses parents. L’expression la plus remarquable de ce pouvoir
royal centralisé réside dans les grands camps circulaires élevés au début des
années 980 : Trelleborg (Sjælland), Fyrkat, Aggersborg (Jutland),
Nonnebakken (Fionie), sans doute un autre Trelleborg et Borgeby (en
Scanie), destinés à servir de point d’appui à l’autorité d’Harald sur le pays.
Ces chantiers monumentaux, auxquels il faut ajouter le renforcement du
Danevirke, les fortifications des centres urbains (Hedeby, Ribe, peut-être
Århus), les aménagements du site de Jelling et, non loin de là, la
construction du pont de Ravning, nécessitèrent sans doute, bien qu’aucune
source n’y fasse directement allusion, un système de prélèvement des
ressources et de la main-d’œuvre. Ils témoignent d’un gouvernement
déterminé à imposer son autorité sur l’ensemble du Royaume.
Pour des raisons mal connues, Harald fut chassé du trône par une rébellion
menée par son fils Sven à la Barbe fourchue (987-1014) et mourut peu
après. L’autorité royale ne paraît pas avoir été sévèrement compromise.
Sven fut le premier souverain scandinave à émettre des monnaies à son
nom ; les camps élevés sous le règne précédent, rapidement devenus
inutiles, furent laissés à l’abandon. Dès 994 (et peut-être déjà en 991), Sven
lança plusieurs expéditions contre l’Angleterre, un moyen pour lui
d’acquérir des richesses pour conforter son pouvoir au Danemark et de
contrer d’éventuels rivaux. Un temps retenu par les affaires norvégiennes,
pour œuvrer à la défaite du roi Olaf Tryggvason (1000), il réapparaît vite
sur les côtes anglaises. Sa décision de conquérir l’Angleterre en 1013 a pu
être en partie motivée par la montée en puissance d’un redoutable chef
viking, Thorkell le Grand, rallié l’année précédente à la cause d’Ethelred II.
À sa mort (février 1014), Sven laissait deux fils. Harald II lui succéda au
Danemark et Cnut fut reconnu en Angleterre par la flotte danoise, mais dut
reconquérir le trône anglais en 1016. Il succéda à son frère au Danemark
(1019), rétablit plus tard (1027-1028) la domination danoise sur la Norvège
et exerça une suzeraineté sur une partie de la Suède, où des monnaies furent
émises à son nom. L’Empire danois ne survécut pas à la mort de son
fondateur (1035). Les ambitions impériales danoises, un moment reléguées
au second plan après les difficultés nées de la succession de Cnut, furent
ravivées par Sven Estridsen (1047-1074) puis, en dernier lieu, par Cnut le
Saint (1080-1086). Leur règne vit également un accroissement des
prérogatives royales. Cnut le Saint, en particulier, les étendit dans les
domaines fiscal et militaire, tentant d’imposer à tous ses sujets les
obligations militaires publiques ou une taxe de remplacement. Cnut
s’appuya sur l’Église et, comme ses contemporains européens, voulut faire
reconnaître la paix du roi. Le renforcement de l’autorité royale suscita
cependant des réactions hostiles qui débouchèrent sur une révolte ouverte
lors des préparatifs d’invasion de l’Angleterre et l’assassinat du roi dans la
cathédrale d’Odense.
La Suède fut le dernier des pays scandinaves à réaliser son unité politique.
L’histoire du pays nous échappe presque totalement pendant la plus grande
partie du Xesiècle. C’est probablement à l’initiative d’un roi svear, peut-être
Éric le Victorieux, que fut fondée Sigtuna vers 970-975. Son fils
Olof Skötkonung (v. 995-1022) fut le premier roi à gouverner les Svear et
les Götar. Prince chrétien, c’est également sous son règne que fut fondé le
premier évêché suédois, à Skara. Olof, dont la mère s’était remariée à Sven
à la Barbe fourchue, conserva des relations étroites avec le Danemark dont
il paraît bien avoir été tributaire. Son fils, Önund Jacob (v. 1022-1050),
mena un temps une politique indépendante, mais finit par reconnaître la
suzeraineté de Cnut le Grand. La disparition de celui-ci permit au roi
suédois de recouvrer son indépendance. Le pays entra dans une profonde
période d’instabilité politique après la mort d’Önund. Ce n’est pas avant le
XIIesiècle que la Suède fut véritablement unifiée.
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