Poietique Et Histoire - Rene Passeron

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Espaces Temps

Poïétique et histoire
René Passeron

Résumé
L'auteur propose d'appliquer au récit historique les apports des travaux analysant les conduites créatrices (poïétique), à partir
notamment des notions d 'œuvres et de création. D'autre part il s'interroge sur les apports spécifiques de l'histoire à une
réflexion sur l'apparition des œuvres - centrée sur la notion d'événement- et sur leur historicité.

Abstract
The author proposes to apply to historic narrative the works which analyse poïétique" (or creative behavior) based in particular
on the notions of work and of creation. He also discusses what precisely history contributed to a reflection on the emergence of
work (based on the notion of events) and on their historicity.

Citer ce document / Cite this document :

Passeron René. Poïétique et histoire. In: Espaces Temps, 55-56, 1994. Arts, l'exception ordinaire. Esthétique et sciences
sociales. pp. 98-107;

doi : https://doi.org/10.3406/espat.1994.3912

https://www.persee.fr/doc/espat_0339-3267_1994_num_55_1_3912

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René Passer on.

Poïétique et histoire.

L'auteur propose d'appliquer au récit historique les apports des travaux


analysant les conduites créatrices (poïétique), à partir notamment des
notions d 'œuvres et de création. D'autre part il s'interroge sur les apports
spécifiques de l'histoire à une réflexion sur l'apparition des œuvres -
centrée sur la notion d'événement- et sur leur historicité.
The author proposes to apply to historic narrative the works which
analyse poïétique" (or creative behavior) based in particular on the notions
of work and of creation. He also discusses what precisely history
contributed to a reflection on the emergence of work (based on the notion of
events) and on their historicity.
René Passeron est directeur de recherches au CNRS et Président de la Société
internationale de Poïétique.
EspacesTemps 55-56/1994, pp. 98-107.
La science spécifique 1 des conduites créatrices, que Paul Valéry, 1 Conférence prononcée au
dès 1937, dans son cours au Collège de France a appelé la poïé- Colloque Idées, Mentalités, Histoire,
Université de Sfax. Tunisie, le 9 mai

:
tique, s'est développée ces dernières années et, sans perdre sa 1992. Texte publié avec l'aimable
cible propre qui est assez restreinte, s'est élargie à tous les domaines autorisation de la Société
internationale de poïétique.
où l'homme se fait instaurateur d'œuvres. Remontant en amont de
celles-ci et s'intéressant surtout à leur élaboration, la poïétique a pour 2 «René Passeron (dir.). Recherches
objet topique, non tant l'auteur qui agit ou l'œuvre qui censément poïétiques, t. I, Paris Klincksieck,
1975.

:
apparaîtra, mais le travail-même qui prend place entre l'auteur et t. Il, Les problèmes du matériau, ibid,
l'objet qu'il produit. Et certes, nous l'avons montré dans plusieurs 1976.
t. III, La création collective, Paris
ouvrages 2, l'auteur n'est pas toujours une personne individuelle, et Clancier-Guénaud, 1981.

:
t. IV, Création et répétition, ibid, 1982.
l'œuvre n'est pas toujours un objet matériel. Les langues dites t. V, La présentation, Paris Éditions
naturelles, par exemple, sont des œuvres, produites par une sorte de du CNRS, 1985.

:
création continuée et collective des générations qui se succèdent, et leur • René Passeron, Pour une philosophie
de la création, Paris Klincksieck,
texture linguistique, surtout au niveau premier de la parole, doit être 1989.

:
étudiée comme le produit, vivant et mouvant, d'un travail historique.
Cette étude scientifique de l'apparition des œuvres se couronne
d'une réflexion philosophique sur le concept de création et,
secondairement, sur le rôle des conditions concrètes de celles-ci, la liberté, le
vouloir, l'inconscient, le temps, la tradition, et les différentes instances
du pouvoir politique, souvent contestées par la puissance créatrice.
Elle promeut ainsi une partie de l'anthropologie, qui se doit de
souligner que l'homme, s'il n'est plus, quant aux mœurs et aux
institutions, ce qu'il était dans les temps anciens, est sans doute, en quelque
mesure, responsable de ce qu'il est devenu. L'évolution des
civilisations est-elle entre les mains de l'homme ? Une conclusion, même
partiellement positive, sur ce point, aura des conséquences
inévitables sur le plan de la philosophie politique.
D'où l'importance de la question que nous voulons aborder
aujourd'hui, des rapports entre poïétique et histoire.

Les devoirs épistémologiques de l'historien.

Si l'on entend par histoire le récit, qu'un spécialiste, l'historien,


rédige pour relater des faits passés, établis par lui et son équipe - et
je n'insiste pas sur les méthodes qui justifient ce travail - la poïétique
entre de toute évidence en jeu. Le récit historique est une œuvre. Les
conceptions de ce récit, plus ou moins littéraire, et de son rôle
socioculturel, ont elles-mêmes une histoire : légendaire, moralisateur, voire
objectif, le récit historique doit toujours quelque chose à celui qui se
porte garant mémoriel d'un passé, dont le statut ontologique est
l'irrévocable disparition, et que, pourtant, il raconte. Et bien sûr, on pourra
dire qu'il le raconte pour répondre, volontairement ou non, à des
problèmes posés par le présent, tout récit de l'histoire étant une
émanation datée. Je ne suis pas de ceux qui opposent brutalement la
philosophie et l'histoire, considérant la première, selon le mot de Lucien 3 «Lucien Febvre, Combats pour
Fèbvre, comme un "crime capital" 3. Car la méditation critique sur le l'histoire. Paris Armand Colin, 1933, p.
rapport d'un récit présent à son objet passé relève bien de la métho- 433.
:

Poïétique et histoire. 99
dologie et de l'épistémologie comme disciplines philosophiques. Il
faut aller plus loin. Je dirai volontiers que l'historien a des devoirs
envers le passé, et que ces devoirs sont d'ordre épistémologique 4. Le 4 • Cf. ce que Jacques Le Goff
philosophe a des devoirs envers l'avenir et ces devoirs sont d'ordre ap el e, non pas une éthique, comme
Georges Duby. mais bien une
éthique. Les devoirs épistémologiques de l'historien et les devoirs "déontologie" de l'historien. «Jacques Le
éthiques du philosophe se rencontrent dans le présent, qui n'est pas Goff, Histoire et mémoire, Paris
Gallimard. 1988, p. 224.

:
seulement le lieu d'une "histoire au présent" 5, ou d'une futurologie
qui n'est qu'une extrapolation de l'histoire, mais le lieu et le temps de 5 L'ilistoire immédiate" de Jean
Lacouture, la "clinique sociale"
la décision politique, de l'action et souvent de la création, instant d'Edgar Morin et du "Groupe de
présent par lequel l'homme, historien ou non, verse dans la Geschichte, diagnostic sociologique" fondé en 1970,
quitte à raconter celle-ci, ensuite, à sa façon, dans ses mémoires. ont significativement attiré l'attention
du chercheur et du militant politique
Car le problème de l'histoire comme œuvre, une fois accordé à sur "ce qui se passe". L'Institut
l'évidence que le récit en est une, rebondit : l'objet de ce récit n'a-t-il d'Histoire du Temps Présent a été
fondé dans le cadre du CNRS en
pas été, en quelque mesure, lui aussi, une œuvre? Quel est donc ce 1978. Ainsi "l'histoire avec témoins"
réel, dont un récit véridique voudrait rendre compte ? Que sont les prend le présent lui-même pour objet.
Une des tâches de la conscience
res gestae que Yhistoria rerum gestarum prétend nous présenter ? poïétique est de déceler dans le présent
Cette question peut apparaître vainement philosophique à la plupart les créneaux d'une création possible.
des historiens, tant ils ont confiance en la scientificité de leur travail.
Le positivisme aurait-il une persistance perverse ? Jusqu'à la guerre de
1914, l'historicisme (historismus) a pu identifier le récit historique La philosophie n'est pas pour
"objectif" à son objet, mais, comme le note Ignace Meyerson, les l'histoire un "crime capital".
grands bouleversements de cette période ont provoqué la "crise de
l'historisme", et l'on a pensé alors (je cite) "qu'à la révolution de la
Geschichte doit correspondre une révolution de la Historié' '6. 6 «Ignace Meyerson, Écrits, 1920-
Je remarque au passage que, malgré l'usage courant, qui reste 1983, Pour une psychologie historique,
Paris Puf. 1987.
confus, les deux mots allemands Geschichte et Historié sont employés

:
par Meyerson, après d'autres 7, pour séparer nettement le réel 7 Kant à la fin de Y Opuscule sur
l'Histoire universelle, parle de "faire
historique et l'expression relative qu'on en donne, fût-elle scientifique. l'histoire". De son côté Hegel écrit
Quand l'historien dit qu'il y a plusieurs passés (autant que ''dans notre langue, le mot histoire

:
d'historiens, peut-être), le philosophe en convient, mais ajoute aussitôt qu'au (Geschichte) réunit le côté subjectif et
le côté objectif, et signifie aussi bien
niveau de la Geschichte, c'est-à-dire de la vie, il n'y en a qu'un, qui a Historian! rerum gestarum que res
laissé des traces multiples sur lesquelles les historiens concentrent gestae, aussi bien le récit historique
que l'événement, les actes et les faits"
leur travail. Ainsi la Geschichte est l'horizon de toutes les Historié ( «Hegel, La Raison dans l'histoire.
mais c'est dans cet horizon que nous vivons et que nous avons vécu. Introduction à la philosophie de
l'histoire, Paris Pion, collection
Eu égard au fait indéniable que nos facultés créatrices s'enracinent 10/18, 1965, p. 193). Mais Heidegger
:

dans la vie, la question que je pose est donc celle-ci : ce réel distingue nettement Geschichte et
historique présent (non encore écrit), et qui fut présent à chaque instant Historié dans les paragraphes 72, 73
et 76 de Sein und Zeit On trouvera
de la Geschichte, ne va-t-il pas concerner lui aussi la poïétique ? ensuite André Malraux - dans De la
.

Dans l'affirmative, la notion d'œuvre doit intervenir ici, non conscience historique- et Raymond
Aron - dans ses Leçons pour l'histoire
comme entité globale (où l'humanité, à travers l'histoire, serait - qui. pour répondre à la question
l'œuvre de Dieu, ou bien, selon la formule que Michelet emprunte à "Qu'est-ce que l'histoire ?", entérinent
Vico, l'œuvre de l'humanité elle-même), mais comme concept élaboré la distinction entre Geschichte et
Historié. Bien que Jacques Le Goff
par les hommes sur les produits de leur travail, hic et nunc, dans les fasse état de cette distinction dans
"à-présents" dont Benjamin nous dit que l'histoire est faite 8. Les Histoire et mémoire (op. cit. n. 4, p.
350). je remarque que ce sont surtout
œuvres, au pluriel. C'est bien dans la Geschichte que s'enracine leur des philosophes qui ont aiguisé le
création sans qu'on en ait toujours conscience. Dans les domaines concept. Le • Dictionnaire des
sciences historiques (sous la direction
distincts des mœurs, des coutumes, du droit, des religions, des rites d'André Burguiére, Paris Pit, 1986)
sociaux, des arts, des techniques et des sciences, il arrive que des qui prononce beaucoup de mots
:

abstraits sans chercher à les préciser,


hommes, des ateliers, des corporations, des bureaux d'études, des même dans une optique historique,
laboratoires, produisent des œuvres qui sont en rupture avec les n'en dit pas un mot.

100 Arts l'exception ordinaire.


idées reçues et l'archéologie, ou la "conscience possible", ou les La Geschichte est l'horizon
mentalités, de leur époque, en sorte que l'incompréhension à laquelle de toutes les Historié.
d'abord elles se heurtent, tourne, dans les meilleurs cas, à la déroute
des censures, et se transforme en une adoption plus ou moins 8 «Walter Benjamin, Uber den Begriff
tardive, une "récupération", dont bénéficie la société entière. Combien des Geschichte. Cf. Poésie et
d'exemples seraient ici probants, où l'on verrait les idées, de penseurs révolution, t. II, Paris Denoël, 1971, p. 285.

:
plus ou moins solitaires, parfois voués au bûcher ou au goulag, ayant, 9 • Henri Bergson, Les deux sources
après la mort de leur auteur, fait leur chemin dans les esprits et remis de la morale et de la religion, Paris
Alcan, 1932. Ce texte célèbre a été

:
en question les pouvoirs qui, d'abord, avaient tenté de tuer l'idée en récemment éclairé par le livre de
tuant l'homme. La philosophie bergsonnienne du "héros moral" dans •Philippe Soûlez, Bergson politique,
ses rapports avec la "société close" ne saurait, ici, être oubliée 9. Et la Paris Adam Biro, 1991.

:
psychologie comparative historique d'Ignace Meyerson a bien 10 Ignace Meyerson, op. cit. n. 6, et
montré 10 que, dans les différentes voies où la création chemine, les 'Forme, couleur, mouvement dans les
arts plastiques (1953-1974), Paris
fonctions psychologiques — la mémoire, l'entendement, la personne, Adam Biro, 1991.

:
(et je dirai, aussi, la créativité elle-même) — sont à la fois produites ou
modifiées par les œuvres, et productrices d'œuvres qui infléchissent
le cours des choses et la vie de l'esprit.

Le concept de création et l'anthropologie


historique. 11 "La mort d'un être est son emplis-
sement d'habitude, son emplissement
de mémoire, c'est-à-dire son
Or, le récit historique, même s'il ne reste pas immergé dans les emplis ement de vieillissement", «Charles
préjugés de son époque, par le seul fait qu'il tende à nous "emplir de Péguy, "Note sur Bergson et la
philosophie bergsonnienne", Cahier n° 8
mémoire" (selon le mot de Péguy n), risque d'entraver l'invention de la XVe série, 26 avril 1914.
d'institutions et d'idées nouvelles, ou d'œuvres surprenantes, dans le
présent. La mémoire serait-elle lourde, comme un sommeil ? Tant de L'historien avance à reculons.
sociétés se nourrissent et se contentent d'images du passé, où elles
vont, par une sublimation de leur origine, trouver la source de leur 12 Paris : Pion, 1958, p. 32.
identité. C'est ce que disait Valéry dans ses différentes charges contre 13 • Paul Valéry, Œuvres, Paris
l'histoire. Ce poète, qui avait un sens aigu de la création (et à qui Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade,
:
nous devons au moins le mot poïétiqué) n'avait de cesse de s'en t. n, p. 923 et 935. Citant cette pensée
de Valéry, Jacques Le Goff ajoute que
prendre à l'histoire, je veux dire à la Historié. Dans son Discours sur "cet esprit si aigu par ailleurs confond
l'histoire ( Variété V), il affirme que, si nous gardons les yeux fixés sur l'histoire humaine et l'histoire
le passé, "nous entrons dans l'histoire à reculons". Et dans Regard sur scientifique, et montre son ignorance du
travail historique" {Histoire et mémoire,
le monde actuel, celui qui proclamait lucidement que "le temps du op. citn. 4, pp. 198-199). Il y va
monde fini commence", écrit que l'histoire est le produit le plus plutôt, à mon sens, d'une constatation
que le scientifique fait partie de
dangereux de la chimie de l'esprit. Elle fait rêver les peuples, les enivre, l'humain et que l'histoire la plus
les tourmente, elle rend les nations amères. Et Claude Lévi-Strauss qui "savante" peut nous grever, elle aussi,
d'une histoire lourde et venimeuse,
n'est pas un littérateur, mais un "scientifique", écrit de même : "Nous car, c'est aussi la vérité dont parle Paul
pouvons pleurer sur le fait qu'il y ait de l'histoire" et dans Veyne, souvent, elle n'est pas "bonne
Anthropologie structurale 12, que "l'historien avance, pour ainsi dire, à à dire". En fait la notion de structure,
chez Lévi-Strauss est beaucoup plus
reculons". On croirait entendre Valéry ! La résurgence actuelle de contraire à l'esprit historique que la
vieilles vendetta nationalistes, semblent, hélas, leur donner raison. Et méfiance de Valéry, laquelle n'est pas
réductible à une méconnaissance du
quand Valéry ajoute que le caractère réel de l'Histoire est de prendre travail des historiens, mais liée à une
part à l'histoire elle-même x$, il souligne simplement que l'œuvre de réflexion sur les bienfaits de l'oubli
comme faculté de la mémoire, dont la
l'historien prend place parmi les œuvres qui infléchissent le présent science historique raviverait plutôt les
de la Geschichte, pour maintenir son immersion dans un passé trop plaies...

Poïétiqué et histoire. 101


réel, qu'on souhaiterait sans doute voir révolu. On retrouve là le
"fardeau" de la Gescbicbte, dont parlait Hegel. Rendu arncr, voire
agressif, par sa mémoire, tel peuple songerait plus à se battre qu'à créer,
ou bien, satisfait de son passé par l'idée qu'on lui en donne, il
s'endormirait sur ses lauriers, et ne songerait même plus à prendre en
main les problèmes de sa vie présente.
Le regard sur le passé, quand il est scientifiquement éclairé, nous
apporte pourtant plusieurs leçons dont la poïétique doit tenir compte.
D'abord, comment saurions-nous que nous avons un avenir devant
nous, si nous n'avions, à chaque instant, le sentiment de sortir du
passé, — et même, d'être nous-mêmes, en quelque mesure, son
œuvre ? Ce qu'il y a de commun à des œuvres très antiques, voire
préhistoriques, et à des œuvres contemporaines, c'est que toutes ont
été faites. L'histoire des créations est aussi l'histoire d'une fonction
créatrice des humains et des scénarios divers qu'ils ont inventés pour
être plus efficacement créateurs. Nous avons à en prendre de la
graine. Certes, les contextes religieux, philosophiques et idéologiques de
l'apparition des œuvres doivent être l'objet d'analyses, où les
différences sont plus instructives que les ressemblances. Reste que, par
une sorte de constance diachronique qui exclut tout fixisme, quelques
conditions fondamentales peuvent se remarquer à la source des
conduites créatrices et constituent les préliminaires obligés du
passage à l'acte. Il s'agit d'abord d'une insatisfaction devant ce qui est, qui,
dans les cas qui nous occupent, provoque la réaction de se mettre à
la tâche du devant être. Si l'homme n'avait pas en lui cette faille d'être
insatisfait de lui-même, comme des conditions de sa vie, sa place
serait marquée parmi les animaux qui restent instinctuellement
immergés dans leur ethos naturel. L'insatisfaction souvent
émotion el e, où l'on trouve toutes les formes de la révolte, suffit-elle à mobiliser
l'activité créatrice ? Certes non. L'acte d'affirmer son insatisfaction fait,
en général, jaillir l'étincelle d'une liberté, et cette liberté donne place,
non seulement à l'émotion qui risquerait de rester brouillonne, mais à
cette fonction psychologique dont je parlais à l'instant avec Meyerson,
et qui se forme, s'aiguise, se développe, en s'exerçant. Si l'on observe
donc, dans le passé, la longue chaîne des œuvres créées et surtout les
conduites qui les ont portées à l'existence, voici que l'histoire devient
utile à l'histoire, puisqu'elle nous offre aussi bien l'exemple de
conduites créatrices de civilisation, que l'exemple des crimes et des
atrocités dont il vaut mieux se souvenir pour être alertés sur leur Le mot création peut
possibles résurgences et créer, dans notre présent ou notre avenir s'éclairer par une analyse de la
proche, les conditions de leur dépassement définitif. La mémoire peut structure mouvante des
être vigilante sans être rancunière, et je ne vois pas antinomie conduites orientées vers
nécessaire entre passer l'éponge et n'oublier jamais. L'histoire peut donc, si l'instauration des œuvres.
elle est conçue comme une lumière apportée à la conscience
créatrice, aussi bien nous libérer de notre passé, que nous défier d'en être
dignes.
Insatisfaction, liberté, émotion et mise en route des fonctions
créatrices de la personne individuelle ou collective, telles seraient donc au
bas mot, les conditions de la création des œuvres. Le mot création,
réputé obscur, peut alors s'éclairer par une analyse de la structure

102 Arts l'exception ordinaire.


mouvante des conduites diverses qui sont orientées vers l'instauration
des uvres. Nous avons ailleurs développé cette analyse 14 ; et je n'y 14 Pour une approche poïétique de la
reviens ici que pour donner place au problème qu'elle fait surgir du création, Encyclopaedia Universalis,
t. xxii, Symposium, Les enjeux, 1984,
côté des conceptions de l'histoire. p. 149 sq. et Pour une philosophie de
Le concept de création, avons-nous dit, prend place dans le cadre la création, op. cit. n. 2, p. 155.
général de la production (et, sortie de ce genre, la création, qu'il faut
maintenant spécifier par des différences qui lui sont propres, n'aurait
plus de consistance). La création est donc une production qui est :
1/ singulière, même si l'objet produit est fait pour être multiplié ou
s'il ouvre la voie à des imitations répétitives.
2/ Elle est la production d'un "pseudo-sujet" (selon le mot de
Dufrenne), sorte de personne plus ou moins matérielle, ayant ses
droits propres (celui notamment d'être conservée dans un
patrimoine), et qui nous donnerait, en cas de disparition, le sentiment du
deuil.
3/ Elle est une production qui, en outre, compromet son auteur,
soit dans le succès, qui déclenche une pression sociale visant à la
répétition du réussi, soit dans la réprobation, qui peut aller jusqu'aux
excès que l'on sait.
Ces critères de la création s'appliquent aussi bien aux uvres
d'art, où la poïétique a d'abord trouvé ses dossiers les plus probants,
qu'à tous les domaines de l'anthropologie historique. Dans un
colloque récent, à Caracas, où j'avais à traiter cette question, j'ai pris
l'exemple de deux créations politiques, dont la portée historique est
évidente sur le plan de la Geschichte : Solidarinoszc et la création
actuelle de l'Europe. Deux phénomènes historiques qui sont
singuliers, sont des personnes auxquelles on tient, et compromettent leurs
auteurs. Mais, apparaît aussitôt le problème. Si l'uvre est ponctuelle
- et selon les échelles temporelles ramenée à un événement, même si
elle a demandé à ses auteurs une longue ténacité - la poïétique va-t-
elle proposer la restauration d'une histoire événementielle, en dépit
du mouvement novateur qui, depuis l'École des Annales (1929), place
les phénomènes anthropologiques lents au cur de la connaissance
du passé ? Va-t-elle appuyer ce qu'on a appelé récemment un "retour
de l'événement" *5 ? 15 «Pierre Nora, "Le retour de
l'événement", in Faire de l'histoire, Paris
Gallimard, 1974, p. 210 sq. «Jacques
:
Le Goff, Histoire et mémoire, op. cit.
;

n. 4, p. 307.
L'imprévisible rupture du temps.

Avouons-le, "l'histoire bataille" trouverait pas mal de referents


dans diverses "batailles" culturelles, comme la querelle des Anciens et
des Modernes, la bataille d'Hernani, le scandale de l'Olympia de
Manet ou celui du Balzac de Rodin, pour ne parler que d'histoire de L'événement imprévu est la
mise-au-monde d'une uvre
l'art. Mais, dans tous les autres domaines, il en va de même. Combien porteuse d'une aura.
d'événements, pas toujours évidents du premier coup, ont marqué ce
qu'on appelle des "tournants de l'histoire". Qui niera que des
changements de conception, dans les sciences (y compris dans l'histoire), les
arts, les murs, les religions, les philosophies, sont dûs à l'étincelle

Poïétique et histoire. 103


d'Lin événement imprévu? Mais cet événement premier n'est pas
n'importe quelle anecdote plus ou moins étrange, ou saut qualitatif
(catastrophique ou non) dû à l'évolution lente cle quantités mal
connues, ou jalon sur le chemin d'un processus programmé par une
génésis économique, démographique, psycho-physiologique, il est la
mise-au-monde d'une uvre porteuse du rayonnement que Benjamin
appelle son aura 16. L'événement qui noLis intéresse est donc celui 16 Walter Benjamin, "L'uvre d'art à
l'heure de sa reproductihilité
qui tranche sur son archéologie, par ce que les peintres du fugenstil, technique", in L'homme, le langage, les
à Munich et à Vienne, fin xixe siècle, ont appelé une Sezession. Le cultures, Paris Denoël, 1971, p. 145.

:
Discours de la Méthode a fait sécession. La nuit du 4 août, le mémoire
de Gallois sur la théorie cles ensembles, les expériences de Pasteur
sur les causes des maladies infectieuses ont fait sécession. Tous ces
événements, et bien d'autres, ont marqué, selon le mot de Maurice
Blanchot, une "déchirure temporelle" 17. 17 À propos de Mallarmé, Blanchot
écrit dans » Le livre à venir, Paris
On en a dit autant des textes chrériens du Nouveau Testament, où Gallimard, 1959, p. 315, que l'uvre

:
l'Incarnation marque brusquement un devenir historique orienté, dès intervient contre le temps historique,
"mettant en évidence le conflit, la
lors, de cet "alpha vers un oméga". Mais pour la pensée juive, cet déchirure temporelle, afin d'en tirer
événement est encore à venir et il est imprévisible. Stéphane Mosès, une clarté". Dans L'espace littéraire,
Paris Gallimard, 1955. il écrit "Que
étudiant la pensée de Rosenzweig, Benjamin et Scholem 18, souligne l'uvre soit, marque l'éclat, la

:
leur conception commune de l'histoire elle est à tout instant soumise fulguration d'un événement unique, dont la
compréhension peut ensuite
:

à une imprévisible "rupture du temps". Et, dans l'Islam, l'événement- s'emparer, auquel ellecommencement..."
se sent redevable
princeps étant la révélation du Prophète, "tout se passe", écrit comme à son
Jocelyne Dakhlia 19, dans le contexte d'une "orthodoxie plurielle", (p. 303). "L'uvre dit le mot
commencement, et ce qu'elle prétend donner
comme si, je cite, "l'absolue légitimité clu Prophète et des quatre à l'histoire, c'est l'iniative, la
premiers califes, qui est seule universellement admise dans l'Islam pos iblité d'un point de départ" ( p. 304).
sunnite, avait dû engendrer une perpétuelle tension entre la certitude de 18 «Stéphane Mosès, L'ange et
pouvoir remonter le temps jusqu'à cette origine, de pouvoir abolir l'histoire, Paris Seuil, 1992. Cf. Roger-Pol
Droit. "Les imprévisibles fractures du
:
l'histoire qui sépare les hommes de la Révélation, et la certitude, tout temps", le Monde, 6 mars 1992.
aussi enracinée, que les hommes auxquels la vérité fut révélée étaient
d'une autre nature que ceux d'aujourd'hui, qu'il serait à la limite de 19 «Jocelyne Dakhlia, "Islam et
nationalisme la fin des États de grâce, ;';/
l'impiété cle prétendre changer de monde"... Ces trois grandes Le religieux dans le politique. Paris
:

religions de l'Événement conçoivent toutes une intrusion de la Seuil. 1991, p. 19 sq.

:
transcendance divine dans l'histoire, et leurs différences amènera l'historien à
déceler, en chacune d'elles, la part d'invention du divin propre à la
conscience religieuse. Les Écritures premières suscitent à travers leur
exégèse et nombre de débats, une chaîne de créations nouvelles. Le
catholicisme, notamment, n'a-t-il pas proclamé le dogme de
l'Immaculée Conception en 1854 et celui de l'Assomption de la Vierge
en 1950 ? La belle étude de Jacques Le Goff sur La naissance du
Purgatoire donne une place éminente au Songe de Perpétue comme
"première imagination d'un purgatoire" 20. Il est "impressionnant, 20 «Jacques Le Goff. La naissance du
Purgatoire, Paris Gallimard, 1981,
écrit-il, que le Purgatoire balbutie dans ce texte admirable, sous les p. 74 sq. cite Passio sanctorum
:

auspices d'une sainte aussi émouvante". L'histoire de l'imaginaire suit Perpetuae et Felicitatis, Nimègue C.
van Beek. 1936. p. 20 sq.
:

pas à pas la formation des mythes sur de longues périodes, mais elle
donne forcément place au scintillement de rêves rédigés ou figurés,
donc de textes ou d'images, qui jalonnent ce devenir et attirent
l'attention de la poïétique sur ce qu'il y a cle création dans une
naissance, ou de poïesis dans une genesis.
J'ajoute que l'imprévisible historique, nous le savons bien, n'est
pas toujours de l'ordre des uvres. Sans parler de l'aléa des batailles,

104 Arts l'exception ordinaire.


il peut être physique, géologique, physiologique (une épidémie).
Mais les catastrophes naturelles concernent parfois les uvres et les
provoquent. Les tremblements actuels de la terre en Californie
rappellent l'attention des savants à des études prévisionnelles, qui restent
incapables de déterminer la date exacte du cataclysme attendu. Le
tremblement de terre de Lisbonne est intervenu dans l'uvre de
Voltaire, mais c'est Voltaire qui a fait uvre.
En somme, tranchant sur le paysage de leur apparition, les
événements créateurs ne sont pas isolables de leurs répercussions à long Les événements créateurs
terme, dont on peut dire qu'ils sont certes l'origine, mais qui vont jusqu'à susciter une
infléchissent leur contenu et leur sens en fonction des besoins sociaux des "poïétique du malentendu".
nouvelles générations, et vont jusqu'à susciter ce que nous avons
appelé une "poïétique du malentendu". Francis Zimmermann a bien
montré comment, dans l'Inde classique, les "disciples du maître", en
recopiant des traités de médecine, ont fini par en changer le
contenu 21... Bref, l'uvre est souvent créée comme singulière, mais son 21 «Francis Zimmermann, "Les
historicité, sans rien enlever au caractère imprévisible de la poïésis, disciples du maître", in Recherches
politiques, iv, Création et répétition, op.
fait tache d'huile avant et après la date ponctuelle de son apparition. cit. n. 2, p. 187 sq.
Et l'on peut dire que, par son avènement historique, l'uvre n'est
proposée comme événement-prmceps qu'après une certaine longueur
de temps, ce temps de latence qui va du premier choc qu'elle a
produit sur quelques-uns, à son adoption par ceux, en grand nombre,
qui maintenant la font leur en l'interprétant. Et c'est l'historien qui,
alors, apporte sa pierre à la poïétique : il met en lumière et raconte à
la fois les surprises de la création imprévisible (où il faut placer les
fameux hasards de la recherche scientifique) et l'intégration
temporel e, à plus ou moins long terme, de ces éclairs dans le ciel plutôt
sombre de la Geschichte.

Une poïétique de la Geschichte.

Il suit de là que la poïétique, malgré le cheminement imprévisible


des faits dont elle s'occupe, ne peut rester étrangère à l'anthropologie
historique. Elle lui apporte d'abord un regard, qu'on peut dire
historien, sur l'accumulation passée des uvres qui, toutes, furent
marquées, en leur temps, d'une venue insolite, et prennent place
maintenant dans le trésor de l'homme objectif (où, d'ailleurs, l'imprévisible
est assimilé, par une vision rétrospective qui risque de le faire
oublier).
Elle lui apporte aussi une sorte de tremblement et d'incertitude
dans les prévisions de l'avenir. C'est la considération de l'imprévisible
dans l'apparition des uvres que l'historien le plus érudit et le plus
lucide doit donner pour leçon à tous ceux qui tentent d'appliquer
leur connaissance de l'histoire à la gestion de l'avenir. L'ouverture aux
surprises futures introduit une béance dans la prospective. Cette
ouverture n'est pas seulement une vertu de l'esprit, attentif à ce qui
va surgir, elle est une véritable reconnaissance d'un point spécifique
de la réalité humaine. Le professeur Bernard, eminent médecin, prési-

Poïétique et histoire. 105


dent du "Comité d'Ethique", dans un discours prononcé à la
Conférence Euro t-\<=>/=>nnp de la Culture, à Lausanne, rin 1989, n'a pas
hésité à proposer qu'une grande part des budgets de la recherche
scientifique soient consacrés d'avance aux idées aberrantes et aux
recherches marginales, d'où l'on sait maintenant, grâce à l'histoire des
sciences, que peuvent surgir les idées les plus nouvelles et, surtout,
les plus heuristiques 22. De même en politique. Un responsable, à 22 Un exemple récent le docteur
Jacques Benvéniste a été sanctionné

:
l'affût des états naissants de la culture et des valeurs de son temps, pour ses travaux sur la "mémoire de
doit adopter une attitude créatrice. Il y faut de la lucidité et du l'eau" et rétabli ensuite, avec honneur,
courage. Et je sais bien qu'un chef politique peut créer des uvres aux dans ses fonctions au CNRS. Cf. son
article «"La vérité scientifique vrai
suites catastrophiques. Je n'ignore pas qu'il existe, dans tous les faux passeport pour de vraies

:
domaines de la création, une poïétique du mal, volontaire ou non. frontières", Traverses, 47, novembre 1989-
Freud, décrivant le rôle du président Wilson, montre qu'il a signé le 23 Texte rédigé en collaboration avec
Traité de Versailles sans savoir exactement ce qu'il faisait 23. Cet William Bullit entre 1923 et 1933.
irréalisme ne peut avoir pour remède qu'une "fonction du réel" où publié en 1966. Cf. Thomas
Woodrow Wilson, Paris Albin Michel,
l'histoire sera d'un appoint décisif. Marc Bloch a participé sous l'Occupation, 1967.

:
à la rédaction du programme du Conseil National de la Résistance,
avant de payer de sa vie son engagement - et souvenons-nous de
l'effervescence créatrice des "espoirs de la Libération". Nous devons
saluer en lui l'exemple qu'il nous donne du renversement dialectique
d'un passé historique connu et d'un présent intolérable, vers un
avenir à promouvoir. Mais à promouvoir comment et selon quels
modèles ?
Une poïétique de la Gesc hic bte-à-faire prendra-t-elle pour modèle
l'activité des artistes, dont il est indéniable qu'ils ont apporté au passé
de tous les pays, beaucoup plus que des ornements, mais bien
souvent l'exemple du courage et de la liberté ? Ou bien, le modèle des
ingénieurs ? L'artiste et l'ingénieur au travail ont en commun Marc Bloch donne l'exemple
d'affronter un matériau pour en faire l'ingrédient de leur uvre. Les chefs d'un renversement
révolutionnaires, et notamment ceux que le marxisme a inspirés dans dialectique d'un passé historique
leur volonté de créer l'homme nouveau, se sont heurtés, à ce que le connu et d'un présent
peintre Dubuffet a appelé un "matériau qui regimbe". Et le problème intolérable, vers un avenir à
éthique posé par une poïétique de la Geschichte est bien là : si promouvoir.
l'homme est à la fois le créateur et le matériau de son histoire,
comment faire l'histoire sans abuser d'un matériau qui est l'homme ? Est-il
besoin d'évoquer la leçon que la fin du xxe siècle vient de donner, de
façon cinglante, à tous ceux qui voulaient être les artistes, ou les
ingénieurs, de l'histoire - y compris celui, caricatural, qui se faisait
appeler le "génie des Carpathes" ?
En vérité, l'erreur d'une poïétique du futur historique serait ici de
s'en tenir au modèle de l'artiste. Celui-ci, même quand ses uvres
sont apparemment modestes, malmène par trop son matériau et
n'hésite pas à le soumettre complètement à sa volonté férocement
créatrice. Devons-nous pour autant nous abandonner à l'idée que
notre responsabilité historique tend vers zéro, devant une béance
excessivement ouverte et libérale d'un futur aléatoire ? Sommes-nous
sommés, par l'effondrement des idéologies des lendemains qui
devaient chanter, de nous en remettre à Dieu de l'avenir des
civilisations - c'est la position de l'ancien marxiste Garaudy - ou aux rêves
passifs d'une apocalypse d'autant plus probable que notre planète

106 Arts l'exception ordinaire.


n'est pas éternelle et que l'accélération de l'histoire des hommes
semble s'engouffrer dans un goulot d'étranglement, à la fois
écologique et démographique ?
Devant une telle perspective, seule une déontologie
néo-stoïcien e peut assurer notre dignité, dans la persistance acharnée du projet
civilisateur. C'est parmi les professeurs que se trouve le modèle que
je cherche. Il s'agit de ce philosophe, redescendu (pour parler
comme Platon) affronter les problèmes de la Caverne, qu'on appelle
quelquefois encore un "intellectuel engagé", non pas engagé par une
passion obscure et fanatique, mais engagé pour son savoir et son
goût du dialogue. Le personnage du professeur astucieux, pondéré,
expert en humanité, que ce soit en médecine, en droit, en sciences
des choses - peut-être même en histoire ! - est un des mythes vivants C'est dans le personnage du
professeur qu'il faut trouver
de notre actualité. S'il porte lumière - au sens de la Philosphie des le modèle d'une éthique
Lumières - c'est en lui qu'il faut trouver, je pense, le modèle d'une pondérée de la prudence.
éthique pondérée de prudence, l'humain protégé de ses propres
démesures, et la puissance créatrice de l'homme orienté vers ce
qu'Apollinaire a appelé la "raison ardente", dont nous savons bien
qu'elle est une uvre. À l'instar des instituteurs qui ont fait pénétrer
la République dans la France profonde pendant plus d'un siècle, c'est
le professeur plutôt que l'artiste, qui donne la leçon historique d'une
création de l'homme par l'homme.

Poïétique et histoire. 107

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