Jung. Psychologie Et Religion

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Psychologie et religion

PARTIE II
ELEMENTS DE PSYCHOLOGIE JUNGIENNE

Dans la présente partie il s'agit de se familiariser avec les termes que


Jung utilise pour parler de la psyché ainsi qu'avec ce qu'il entend par
"processus d'individuation".

Cette partie contient six chapitres intitules comme suit :

I. Conscient et inconscient.

II. Le symbole.

III. Les archétypes.

IV. Interprétation au niveau de l’objet et au niveau du sujet.

V. Le processus d’individuation.

VI. Recherche de la personne et recherche religieuse.


1. CONSCIENT ET INCONSCIENT

La psychanalyse en général, repose sur l'hypothèse de l'existence d'un inconscient opposé


au conscient.

Dans "Psychologie et Religion" au premier chapitre, Jung s'efforce de démontrer


"l'autonomie de l'inconscient".

Pour en faire saisir l'idée, il donne des exemples empruntés à la psychologie des foules et a
celle des primitifs. L'attitude habituelle de l'homme devant l'inconscient est la crainte, " il
existe une sorte de terreur, deisidaimona primitive, concernant les contenus possibles de
l'inconscient ".

" Nous pouvons admettre que la personnalité est composée de deux éléments : d'abord du
conscient - et de tout ce qu'il contient - et ensuite d'un arrière-pays infiniment vaste de
psyché inconsciente. La personnalité consciente peut être délimitée et définie plus ou moins
clairement, mais lorsqu'il s'agit de l'ensemble de la personnalité humaine, on est obligé de
reconnaître l'impossibilité d'en fournir une description et une définition complètes. En
d'autres termes, il existe inéluctablement un élément indéfini et illimité, qui s'ajoute à toute
personnalité : cette dernière comprend une partie consciente, susceptible d'être observée,
mais elle n'englobe pas certains facteurs, dont cependant nous sommes forcés d'admettre
l'existence, si nous voulons expliquer certains faits observés. Ce sont ces facteurs inconnus
que nous appelons le secteur inconscient de la personnalité ".

Dans "Types Psychologiques" C.G.Jung donne sous forme d'un bref article une définition de
la conscience et de l'inconscient va me permettre de préciser quelque peu ce qui se cache
derrière ces termes.

"J'entends par conscience la mise en connexion avec le moi de contenus psychiques, il y a


conscience dans la mesure où le moi perçoit ce rapport ", et encore " le conscient est la
fonction, ou l'activité, qui entretient les rapports des contenus psychiques au moi ".

Le "moi" est un complexe qui est le "centre du champ conscientiel". Il est un complexe parmi
d'autres et se distingue du "soi", " le moi n'étant que le sujet de ma conscience, alors que le
soi est le sujet de la totalité de la psyché, y compris de l'inconscient ".

L'inconscient " [...] englobe tous les contenus ou tous les processus psychiques qui ne sont
pas conscients, c'est à dire dont le rapport avec le moi n'est pas perceptible ".

L'expérience psychopathologique a permis à C.G.Jung d'affirmer l'existence de contenus


psychiques inconscients. Lors de séances d'hypnose avec des patients hystériques, de tels
contenus accèdent au niveau de la conscience pour redisparaître dans l'inconscient. Ce
n'est qu'à condition d'un contact avec la conscience qu'un contenu inconscient peut être
objet de connaissance, l'inconscient en soi est insaisissable.
Les expériences d'association permettent également de receler l'existence de contenus
inconscients.

Les contenus inconscients peuvent être de natures diverses :

- un contenu conscient, par le mécanisme de l'oubli, perd sa valeur énergétique et peut


devenir inconscient ;

- un contenu psychique conscient peut, par le mécanisme du refoulement décrit par S.Freud,
devenir inconscient ;

- certaines perceptions sensorielles de trop faible intensité n'arrivent pas à "l'aperception


consciente".

- certaines connexions psychiques inconscientes " proviennent entièrement de l'activité


inconsciente ". C'est de ces derniers qu'il sera question dans ce travail.

Le conscient et l'inconscient sont liés et interagissent, il existe entre eux " un rapport
fonctionnel de compensation ". Ce processus de compensation correspond à son équivalent
physiologique, "l'autorégulation de l'organisme". Jung y voit une " équilibration fonctionnelle,
une sorte d'autorégulation de tout l'appareil psychique ". La conscience étant sélective,
seulement peu de contenus psychiques peuvent être en rapport avec le moi simultanément.
Cette sélectivité demande une direction donnée et " exige l'exclusion de tout ce qui ne
convient pas ".

Les contenus exclus sont inconscients mais ne cessent pour autant d'exister ; ils suscitent
une tension qui, une fois qu'elle est assez grande, leur permet de s'introduire dans la
conscience sous forme de rêves et d'images spontanées. Ainsi, la compensation opère et
permet au conscient d' " arriver à une adaptation totale ".

La thérapeutique analytique cherche " à rendre conscients les contenus inconscients pour
rétablir ainsi la compensation ". En thérapie, l'analyse des rêves et des imaginations du
patient tient un rôle central.
1.1 INCONSCIENT PERSONNEL
ET INCONSCIENT COLLECTIF
Au cours du traitement, arrive un moment où les imaginations des patients changent de
caractère et où l'interprétation ne peut plus se faire sur la base d'éléments personnels
refoules. Ceci amène C.G. Jung à définir l'inconscient personnel et l'inconscient collectif.

L'inconscient personnel provient des acquisitions de la vie personnelle, ce qui a été oublie et
refoule, et il contient les sensations subliminales qui sont des perceptions sensorielles qui
n'ont pas franchi le seuil de la conscience. " L'inconscient personnel correspond en grande
partie a cette figure qui apparaît souvent dans les rêves et que j'ai appelé "l'ombre".

Cet inconscient est celui que S.Freud décrit comme un dépotoir où séjournent tous les
contenus psychiques déplaisants au moi.

L'inconscient collectif est habite par les contenus psychiques qui " [...] proviennent des
possibilités congénitales du fonctionnement psychique en général, notamment la structure
héritée du cerveau. Ce sont des connexions mythologiques, des motifs et des images qui se
renouvellent partout et sans cesse, qu'il y ait tradition ni migration historique ".

" Dans chaque être individuel existent, outre les réminiscences personnelles, de grandes
images "originelles", [...]; ces figurations ancestrales sont constituées par les potentialités du
patrimoine représentatif, tel qu'il fut depuis toujours, c'est à dire par les possibilités,
transmises héréditairement, de la représentation humaine ".

Ici C.G.Jung semble fonder son inconscient sur des bases biologiques; dans "Psychologie
de l'Inconscient" Jung précise l'utilisation du terme "héréditaire" dans sa description de
l'inconscient collectif : " je n'affirme nullement la transmission héréditaire de représentations,
mais uniquement la transmission héréditaire de la capacité d'évoquer tel ou tel élément du
patrimoine représentatif. Il y a la une différence considérable ".

Dans un entretien avec John Freeman lors d'une émission télévisée de la B.B.C. C.G. Jung
est appelé à se prononcer sur les causes de sa rupture avec Freud; la réponse qu'il donne
illustre bien, en langage parle, l'élargissement de la conception freudienne de l'inconscient
qu'il amène: " Voyez-vous, nous dépendons en grande partie de notre histoire. Nous
sommes façonnes par notre éducation, l'influence de nos parents qui n'est, en aucun cas,
toujours personnelle. Soit ils avaient des préjuges (son père), soit ils étaient influences par
des idées historiques ou par ce qu'on appelle des dominantes (autre terme pour archétype)
qui constitue un des facteurs les plus décisifs de la psychologie. Nous ne sommes pas
d'aujourd'hui ni d'hier ; nous sommes d'un age immense ".

L'originalité de C.G. Jung réside dans l'ajout de cet inconscient collectif a l'inconscient
freudien. Il contient des archétypes qui se manifestent sous forme d'images et de symboles
qui seront décrits dans un chapitre suivant.
2. IMAGO ET SYMBOLE
Le symbole est un élément central de la psychologie analytique. Pour découvrir quelle réalité
se cache derrière ce terme je pars de l'imago pour arriver finalement à l'archétype. C'est le
cheminement que suit R.Hostie dans son livre "du Mythe à la Religion".

3. ARCHETYPE
Les définitions que Jung donne de l'archétype, comme ses conceptions du phénomène
religieux changent tout au long de son œuvre ce qui rend leur présentation difficile. D'autre
part les notions de mythes et d'archétypes apparaissent souvent dans une même phrase, les
premiers servant à démontrer l'existence des seconds.

Au debout de 1909, Jung voit dans la religion la sublimation des liens sexuels avec la perte
de laquelle résulte l'image d'un Dieu tout-puissant projeté à l'extérieur. C'est la l'explication
freudienne de la religion. Puis C.G. Jung veut savoir si la fascination qui résulte de cette
image est due à l'ascendant personnel du père ou à une force qui se manifeste à travers lui.
A l'origine des imagos parentales il n'y a pas le père ou la mère, mais des forces
inconscientes symbolisées et totalisées par l'objet extérieur, la personne du père ou de la
mère.

Ces forces inconscientes proviennent de l'inconscient collectif qui se manifeste sous la forme
d'archétypes, sorte de schèmes prédéterminés.

Dans "Psychologie de l'inconscient", Jung prend l'exemple du médecin Robert Mayer, qui au
XIXe siècle émit l'idée de la conservation de l'énergie, pour presser l'archétype. Je vais
suivre son exposé pour presser l'archétype. L'idée de conservation de l'énergie s'est
imposée à Mayer, sans qu'il la cherche et sans qu'il soit physicien. Comme le dit Helm, cite
par Jung, il ne s'agit pas d'une idée résultant d'un travail de réflexion scientifique et
rigoureux, mais plus d'une de ces " idées intuitivement perçues, qui, provenant d'autres
domaines de l'esprit, s'emparent, pour ainsi dire, de la pensée, et l'obligent à transformer
dans leur sens les idées traditionnelles ".

Dans la perspective jungienne, " l'idée de l'énergie et de sa conservation doit être une idée
originelle qui sommeillait dans l'inconscient collectif ".

" [...] l'archétype n'est pas une disposition qui sommeille, en attendant bien tranquillement
son actuation. Bien au contraire, c'est une disposition dynamique qui tend vers sa réalisation
". C'est la, il me semble, un point capital : l'inconscient mène une vie autonome et se
manifeste dans la conscience sans l'avis ou l'accord de celle-ci.

Pour donner la preuve de ce qu'il avance, Jung procède selon son habitude, " dès qu'une
image, d'origine inconsciente, présente des affinités avec des motifs mythologiques, il y voit
une indication de l'activité des archétypes " ; si une représentation psychique est apparue
dans les lieux les plus divers et à des ages différentiels de l'histoire de l'esprit humain, c'est
qu'elle est la manifestation d'un archétype sous forme d'une image originelle.
Jung trouve cette preuve dans l'exemple des religions primitives dites dynamistes qui
affirment " l'existence d'une force magique partout présente et qui est comme le centre de
toutes choses ". D'autre part, cette notion de force est chez les primitifs " la première
figuration de la conception de Dieu ", elle va se développer et réapparaître sans cesse.

" Cette idée est donc inscrite depuis des temps immémoriaux dans le cerveau humain. C'est
pourquoi elle se trouve disponible dans l'inconscient de chacun de nous " et donc dans
l'inconscient de Mayer aussi.

Le cas des religions primitives dynamistes, religions à l'état pur pourrait-on dire, sera repris
dans un chapitre ultérieur.

Un exemple de la parenté des mythes et de la psyché est celui des mythes solaires, où le
cours régulier du soleil est utilise pour exprimer le dynamisme psychique de progression et
de régression. On retrouve ces mythes dans des cultures différentes et éloignées tant par le
temps que par l'espace.

Les mythes et les créations poétiques ont donc une origine commune avec les éléments
oniriques qui proviennent de l'inconscient collectif. " Que pourrait être, que pourrait signifier
une religion dépourvue de mythe, alors que précisément une religion à la signification, si
signification elle a, d'être la fonction qui nous relie au mythe éternel ". Ce n'est pas "Dieu" qui
est un mythe, mais le mythe est la révélation d'une vie divine dans l'homme. Ce n'est pas
nous qui inventons le mythe, c'est lui qui nous parle comme "Verbe de Dieu" ".

Un mythe, comme l'imago " serait constitue tant par l'apport subjectif de la psyché que par
les données objectives du monde ambiant, qui semblent être seules visées ".

Cette démarche comparative entre les mythes et les productions de l'inconscient a permis à
C.G. Jung de démontrer, sur la base de matériel empirique, l'existence d'un inconscient
collectif contenant des archétypes. Ils sont responsables de la réapparition au cours de
l'histoire humaine des mêmes motifs symboliques, qui seuls peuvent être objets de
connaissance, l'archétype qui s'y constelle restant inconnaissable en soi.

L'aspect d'un archétype qui se présente à la conscience sous forme d'image archaïque ou
de symbole peut varier en fonction de la personne, mais sa structure est identique, quel que
soit le lieu, le temps, la culture dans lesquelles il apparaît.

Comme le dit R. Hostie, la confusion entre archétype, engramme et image archaïque est
fréquente, " l'image archaïque est la forme symbolique sous laquelle l'archétype affleure à la
conscience ; l'archétype lui-même est la disposition inconsciente et collective comme telle ;
l'engramme est le substrat physiologique de ce même archétype ". L'image archaïque est
seule à pouvoir être " directement appréhendée par la conscience ". L'image archaïque est
donc un symbole au sens où il a été défini ci-dessus.

Nous en resterons à cette description datant d'après "Psychologische Typen": L'archétype


est une " possibilité de représentation ", " une disposition à produire toujours les mêmes
représentations mythiques ". Ce ne sont pas des " [...] représentations héritées mais
dispositions innées qui produisent des représentations similaires. Les archétypes sont les
structures universelles et identiques de la psyché ".
3.1 EMERGENCE D'UN ARCHÉTYPE
R.Hostie décrit les étapes de l'émergence d'un archétype aux pp.99 et 100 de son ouvrage "
Du Mythe à la Religion".Je reprends ici ces étapes qui décrivent clairement un processus
complexe.

1- Un archétype se trouve dans l'inconscient collectif

2- Une constellation de données objectives correspondant à l'archétype est réalisée dans un


individu ou un groupe. Ceci provoque un apport d'énergie qui déclenche l'activité de
l'archétype.

3- La charge énergétique s'insinue dans la conscience, elle peut être vaguement perçue ou
déclencher une tempête psychique.

4- La conscience perçoit cette activité qui n'est pas sienne.

5- De l'interaction entre la conscience et ce flux énergétique naît le symbole. Le matériel


représentatif qu'apporte le sujet est ordonné, constellé par l'archétype qui lui donne sa
signification. Le revêtement symbolique de l'archétype varie en fonction du lieu, du temps et
de l'individualité dans lesquels il s'impose.

6- Le symbole se manifeste à la conscience comme une réalité ne venant pas du moi, il en


est indépendant.

7- La polyvalence du symbole invite la conscience à une confrontation, médiation, réflexion,


explication spontanée ou méthodique si elle se fait dans le cadre de l'analyse.

" L'expérience vivante d'un archétype est souvent éprouvée et cachée comme le secret le
plus individuel qui soit, précisément parce que le sujet se sent atteint au plus profond de son
être; elle est une sorte d'expérience originelle du non-moi de l'âme, d'un partenaire intérieur
qui invite au dialogue, à la discussion et a la confrontation ".
4. INTERPRETATION AU NIVEAU DE L'OBJET
ET AU NIVEAU DU SUJET
Ce paragraphe est tiré de "Psychologie de L'inconscient" au chapitre VI: "La méthode
synthétique ou constructive".

Les images symboliques qui apparaissent au cours du traitement peuvent être traitées de
deux manières:

1) par la méthode réductive;

2) par la méthode synthétique.

Ces deux méthodes se succèdent au cours du traitement psychothérapique.

4.1 La méthode réductive


La méthode réductive repose " sur un procédé exclusif de réduction causale, qui décompose
le rêve (ou les fantasmes) en ses constituants, réminiscences et motivations instinctuelles et
impulsives ". Elle ramène tout aux tendances primitives, à la surestimation du réel et rend le
sacrifice nécessaire.

Lorsque les "symboles oniriques" ne se laissent plus réduire ainsi, que ces motifs ne trouvent
plus d'explication dans la vie personnelle du sujet, c'est qu'il s'agit de productions de
l'inconscient collectif et " le moment est venu où il faut veiller avec une attention particulière à
l'apparition possible de motifs archétypiques [...] ".
4.2 La méthode synthétique
C'est à ce moment que la méthode synthétique est nécessaire. C.G. Jung n'a effectué le
passage de l'une à l'autre qu'une fois convaincu qu'après dissection il était nécessaire
d'opérer une synthèse. Certains matériaux psychiques sont " [...] d'une grande plénitude de
sens si au lieu de chercher à les décomposer, on les confirme dans leurs particularités et si
on élargi même, grâce à tous les moyens conscients dont nous disposons, leurs allusions
significatives : c'est la notion "d'amplification" ".

" [...] le procédé synthétique doit aider à intégrer l'ensemble en une expression générale et
compréhensible ". La méthode synthétique dégage des images un processus de
différentiation de la personnalité, elle " développe les fantaisies symboliques résultant de
l'introversion libidinale à la suite du sacrifice ".

Quel est ce sacrifice dont il est question ? Il s'agit de reconnaître les limites de la
personnalité en se détachant des projections et en retirant l'inflation. L'inflation est un
phénomène d'" extension de la personnalité " dû à un afflux d'énergie psychique résultant du
retrait des projections. A condition d'être vécu jusqu'au bout, le sacrifice n'est pas que deuil
et castration, mais " condition de la naissance d'un monde ". " Le monde apparaît quand
l'homme le découvre. Or il ne le découvre qu'au moment où il sacrifie son enveloppement
dans la mère originelle, autrement dit l'état inconscient du commencement ".
(Métamorphoses de l'Ame et de ses symboles, p.677)

A la méthode réductive correspond l'interprétation sur le plan de l'objet et à la méthode


synthétique, l'interprétation sur le plan du sujet.

" J'appelle interprétation sur le plan de l'objet toute interprétation dans laquelle les
expressions du rêve sont tenues pour identiques à des objets réels ".

" A l'oppose de cette interprétation se situe celle qui met en rapport avec la psychologie du
rêveur lui-même chaque élément du rêve, par exemple chacune des personnes agissantes
qui y figurent. Ce dernier procédé s'appellera interprétation sur le plan du sujet ".

Ces deux méthodes sont complémentaires et permettent le passage à une nouvelle attitude
appelée "fonction transcendante". Elle " [...] se fonde sur des données dont les unes sont
réelles, les autres imaginaires, ou encore dont les unes sont rationnelles, les autres
irrationnelles, et qui surmonte le ravin béant, la discontinuité séparant le conscient et
l'inconscient. Cette fonction transcendante constitue un processus naturel ; c'est une
manifestation de l'énergie libérée hors de la tension polaire entre les contraires, et elle se
matérialise en une suite de phénomènes imaginatifs qui surgissent spontanément dans des
rêves et des visions ". On retrouve ici la conciliation de l'objet et du sujet, de l'attitude réaliste
et nominaliste dont il était question en introduction sous 1.2.

La distinction entre interprétation au niveau de l'objet et interprétation au niveau du sujet


nous amène par la fonction transcendante vers le processus d'individuation.

" Le Soi est comme le but (asymptotique) du processus d'individuation. Pour mieux faire
comprendre la pensée de l'auteur on peut dire :

 que la "fonction transcendante" est la dynamique archétypique en confrontation


dialectique avec la dynamique du conscient, ses formes, ses normes, ses valeurs, ses
stéréotypes, ses rigidités.
 que le "processus d'individuation" est l'application de cette fonction transcendante, sa
mise en scène locale à la mesure de l'individu.

 que "le Soi" est l'esquisse de la personnalité globale et mieux intégrée à elle-même
qui naît, fruit de tout le travail psychologique et analytique que le sujet a assume ".

5. LE PROCESSUS D'INDIVIDUATION
Je n'entre pas dans une description détaillée du processus d'individuation, mais je vais
évoquer les éléments qui sont utiles pour voir s'articuler plus tard le processus
d'individuation, l'expérience de l'inconscient collectif et l'expérience religieuse.

" La croissance de la personnalité se fait à partir de l'inconscient ". (Jung, Les Racines de la
Conscience, p.280) " Généralement parlant, (le processus d'individuation) est le processus
de formation et de particularisation de l'individu; plus spécialement de l'individu
psychologique comme être distinct de l'ensemble, de la psychologie collective.
L'individuation est donc un processus de différentiation qui a pour but de développer la
personnalité individuelle ".

" L'individuation coïncide avec le processus du développement du conscient sortant de son


état primitif d'identité. L'individuation est donc l'élargissement de la sphère du conscient et de
la vie psychologique consciente ".

" Le conscient vit habituellement l'évidence, c'est à dire l'identité de ce qu'il éprouve, ou de
ce qu'il pense ". " L'identité psychologique a donc pour condition préalable l'inconscience ;
elle est un trait caractéristique de la mentalité primitive et le fondement de la "participation
mystique", qui n'est pas autre chose que la survivance de l'état primordial de non-
différentiation psychologique entre le sujet et l'objet, ou inconscience primordiale [...] ". " Le
processus psychologique d'individuation est étroitement lie à la fonction dite transcendante
qui détermine les lignes individuelles de développement que l'on ne saurait atteindre, par la
seule voie des normes collectives ".

" Dans le processus d'individuation, l'homme est à la fois individu et membre de la


collectivité, mais il a toutefois son identité propre, ce qui lui permet d'être d'autant plus a
l'aise et plus libre dans la société ". Bernard Kaempf parle de réconciliation, " d'une synthèse,
d'une remise côte à côte, d'un rétablissement d'un lien entre deux parties ou deux pôles.
Ainsi, un homme réconcilié avec lui-même est-il un homme qui a intégré le conscient et
l'inconscient collectif "

Humbert écrit : C.G.Jung a appelé ce processus " "individuation", non pas parce que
l'individu en serait à proprement parler le centre, mais parce que le rapport de l'individuel et
du collectif y dépasse, tout en l'assumant, la relation sujet-objet ".

Le processus d'individuation peut se dérouler inconsciemment ou consciemment :

a) " Quand le processus s'accomplit inconsciemment, il se projette dans des symboles


collectifs, mythes, religions, philosophies, à travers lesquels ceux qui y adhèrent reçoivent
une certaine animation ".

b) Lorsque le processus d'individuation devient conscient, lorsque le moi fait l'expérience de


l'inconscient collectif, il se transforme. " Cela se produit le plus souvent lors de la rencontre
avec l'ombre, ou dans la différentiation de l'anima et de l'animus d'avec leur projection ; et
toujours sous la forme d'un conflit où le moi se transforme ".

Le processus d'individuation mène à la reconnaissance, par le moi, du centre inconscient de


la personnalité, le Soi. Des lors les opposés coexistent et s'accordent. C'est cela " être
entier". (HU p.126) L'homme individué est un homme transformé. En se détachant de
l'indifférenciation sujet-objet, le sujet découvre que ce qu'il prenait pour réel était une
projection, " une part du sujet transférée sur l'objet ".

Le retrait des projections provoque une arrivée d'énergie au moi. " Cela produit une
"extension de la personnalité", que Jung appelle inflation ". (Dialectique de l'inconscient,
p.64) " Pour Jung, le processus qui part de l'identité archaïque et d'un état de possession du
conscient passe donc par deux temps : une séparation du monde extérieur et du moi, qui
s'opère par le retrait des projections ; et une séparation du moi et du monde intérieur, qui
s'opère par la prise de conscience de l'inflation et l'objectivation des forces collectives
inconscientes dans leur nature archétypique ".

C'est à ce moment que le sacrifice devient nécessaire et peut donner lieu à la conjonction
des opposes. La conjonction des opposés est à la fois l'état inconscient d'origine et le but du
processus d'individuation qui tend justement à sortir de l'inconscience primordiale. La tension
entre les opposés est le "générateur" d'énergie psychique. Jung écrit : " l'union des opposés
est à la fois la force qui provoque le processus d'individuation et son but ". Y a-t-il une
contradiction dans ces propos ? La complémentarité entre sujet et objet s'impose à
nouveau : " En l'absence d'un sujet, ces dynamismes restent chaotiques et, lorsqu'ils
trouvent un compromis, ils se projettent dans des religions ou des idéologies. Par contre si
un sujet les rend conscients et s'explique avec eux, ils entrent dans une histoire. Celui qui
parvient à tenir ensemble les mouvements opposés en est transformé ".

Les opposes sont présents dans la vie de Jung dès son enfance, lorsqu'il parle de ses
personnalités ainsi que dans les questions qu'il se pose assis sur une pierre, se demandant :
" Suis-je celui qui est assis sur la pierre, où suis-je la pierre sur laquelle il est assis ? ".

" Tous les concepts psychologiques énoncés, définis ou redéfinis par Jung se caractérisent
par leur structure polaire, par un côté positif et un côté négatif provocant la tension, d'où jaillit
l'énergie psychique ".

Il s'agit pour l'homme de concilier le conscient et l'inconscient, l'attitude extravertie avec


l'attitude introvertie. " La prise de conscience est culture au sens le plus large et par
conséquent la connaissance de soi est l'essence et le cœur de ce processus. Il est
indubitable que l'Orient attribue au Soi une valeur "divine" et que selon la vielle conception
du christianisme, la connaissance de soi est la route qui conduit à la cognitio Dei, à la
connaissance de Dieu ".

Au cours du processus d'individuation, l'homme rencontre successivement les archétypes


suivants : l'ombre, la persona, l'anima ou l'animus, la grande mère ou le vieux sage, et
finalement l'archétype du Soi, où les contraires sont unis pour former une totalité quaternaire.
Ces archétypes apparaissent dans les rêves comme des figures qui sont des
personnifications de contenus de l'inconscient. Des définitions de la persona et de l'anima
ainsi que du Soi seront données lorsqu'elles apparaîtront dans la partie III.
6. RECHERCHE DE LA PERSONNE ET
RECHERCHE RELIGIEUSE
Chez Jung la dualité fondamentale de l'être humain est omniprésente; dans les deux parties
de la vie, le matin et l'après-midi, dans l'attitude soit introvertie soit extravertie de l'individu,
dans la distinction qu'il effectue entre sujet et objet.

Certaines images se produisent chez de nombreux sujets au cours du processus


thérapeutique, en voie d'individuation comme par exemple l'ascension par degrés, le cercle,
le carré. " Jung a observe que cette structure (de la personnalité) s'exprime dans un modèle
quaternaire ".

" Et voici justement où la recherche de la "personne" coïncide avec la recherche religieuse.


Car il y a là un symbolisme qui se retrouve partout, dans les rites, dans les exercices
spirituels des différents peuples. Ainsi nous en constatons la présence dans les mandalas.
Mais nous le retrouvons aussi dans les données de l'alchimie européenne ". " C'est à dire
qu'il y a là des phénomènes intérieurs authentiques, qui ont donne naissance, selon les
hasards des doctrines et des époques, à toutes sortes d'interprétations fantaisistes et de
"projections" illusoires sur le monde physique et chimique mais qui, en tant que faits
psychologiques, continuent de mériter toute notre attention ".

C'est en étudiant l'histoire des symboles que C.G. Jung a pu mettre au point sa technique,
en étudiant les projections inconscientes que sont ces rites et exercices spirituels dont parle
Charles Baudouin. Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, ces projections sont
le produit d'un processus d'individuation qui reste inconscient. C'est en le rendant conscient
que l'homme accède à l'expérience religieuse personnelle, détachée de l'objet, et qu'il peut
prendre conscience de l'image de Dieu en lui.
Psychologie et religion

PARTIE III
DIEU ET IMAGE DE DIEU

Le thème de l'image de Dieu est, à mon sens, le thème central de la rencontre entre
psychologie et religion. L'image de Dieu est en même temps reflet de la divinité et symbole
de totalité psychique, le Soi.

Dans cette partie, je vais tenter d'approcher plus spécifiquement ce que C. G. Jung entend
par "image de Dieu" et par "expérience religieuse". Pour ce faire je me base essentiellement
sur deux sources : les conception de l'âme et de Dieu chez Maître Eckhart qui sont traitées
par Jung dans "Types Psychologiques" ainsi que le parallèle entre individuation et
incarnation, la nature paradoxale de Dieu et le problème du Mal qui sont traités dans
"Réponse à Job". L'exposé qui suit est lacunaire étant donnée la complexité des idées qui s'y
trouvent présentées. De plus, il ne m'a pas été possible d'y inclure l'ouvrage de Eliane
Amado Levy-Valensi intitulé "Job : Réponse à Jung" qui semble être une contribution
importante à la discussion qu'a suscité la parution de "Réponse a Job". Cet ouvrage figure
néanmoins dans la bibliographie à titre indicatif.

Jung s'occupe de l'image de Dieu dans l'âme, il parle par conséquent d'une réalité
psychique. Ceci lui a valu de nombreux reproches l'accusant de psychologiser Dieu desquels
il a souvent dû se défendre: " Vous n'avez pas remarqué que je parle de l'image de Dieu et
non pas de Dieu, parce que je suis tout à fait incapable de parler de ce dernier [...] Je n'ai
jamais pense qu'en me servant de la structure psychologique de l'image de Dieu, je m'étais
également saisi de lui-même ".

Cette attitude devant la réalité est celle de E. Kant " qui considère que "la chose en soi"
diffère de l'idée que nous nous en faisons, et qu'elle ne peut être reconnue dans son
authenticité et son essence par l'esprit humain. En religion, en particulier, nous sommes
incapables de concevoir et de saisir ce qui nous dépasse ".

Comme l'écrit Bernard Kaempf, l'image de Dieu est relative, " chacun se fait donc une image
de Dieu, avec ce qu'il est capable d'en saisir à travers les multiples facteurs qui interviennent
dans la représentation de Dieu : psychologie personnelle et collective, environnement social
et culturel.. ". Ceci est illustré dans les Actes de Pierre, où celui-ci prononce la parole
suivante devant l'apparition du Christ: " Et je le vis tel que j'étais capable de le saisir ".

La relativité de Dieu et de l'âme est traitée dans "Types psychologiques" sur la base de
textes de Maître Eckhart. Je vais présenter l'analyse que Jung fait des conceptions de ce
mystique médiéval allemand qui enseigne la "naissance de Dieu dans le cœur humain".
Auparavant, je vais consacrer un paragraphe à la Gnose, Jung s'y référant à maintes
reprises.
1. LA GNOSE
Michel Cazenave, dans l'avant-propos de l'ouvrage de Jung intitulé "La vie symbolique",
écrit : " Il n'est peut-être pas inopportun de remarquer, [...], que presque toute l’œuvre de
Jung s'encadre de deux textes "gnostiques" qui lui donnent le branle et la concluent à la fin,
et qu'aux Sept Sermons aux Morts. répondront, au crépuscule de sa vie, les pages
énigmatiques de la Réponse à Job. ". Ces deux textes traitent du problème de la religion et
de Dieu. Dans "Psychologie et Religion" Jung analyse un rêve d'un de ses patients, où
apparaît en vision "l'horloge du monde". Il semble s'agir d'un rêve à charge numineuse
d'après les dires du patient: " ce fut une sensation de la plus sublime harmonie ".

Jung en arrive à une interprétation basée sur des parallèles psychologiques et historiques
avec des auteurs médiévaux. " Nous serions contraints d'abandonner nos efforts pour
trouver des parallèles psychologiques, si nous ne possédions pas la caverne aux trésors du
symbolisme médiéval ". Les religions, les sciences et les théories de tous temps sont des
productions de l'âme ; les mêmes archétypes sont à l’œuvre depuis la nuit des temps. Ce
constat permet à Jung de comprendre les productions de l'âme de l'homme moderne a la
lumière de celles de nos ancêtres. La gnose est un des domaines dans lesquels Jung a
puise du matériel.

Les gnostiques semblent être les " premiers penseurs à s'être préoccupés (à leur manière)
des contenus de ce que l'on appelle l'inconscient collectif ". Les idées gnostiques " [...] ne
sont pas de simples symptômes d'une certaine évolution historique, mais des formes
nouvelles produites par la pensée créatrice, et elles furent en tant que telles de la plus
grande importance pour l'évolution de la pensée occidentale ". Je donne ici quelques
citations des "sermons" pour introduire le terme de "Plerôme" qui sera utilise ultérieurement :

" Les sermons, en un mot, introduisent au mouvement de reprise réflexive de la plus


profonde expérience intérieure; ils font le pont entre la connaissance immédiate et la science
organisée des structures du sacré [...] ".

De la lecture des "Sept Sermons aux Morts" il ressort un dualisme affirmé entre "Le Plerôme
et la Créature", le "Bien et le Mal", l'"Un et le Multiple", etc.. Dans le premier des "sept
sermons aux morts" Jung écrit : " Le Néant et la Plénitude, nous l'appelons le Plerôme. En lui
le penser et l'être cessent, car l'éternel-infini n'a pas de qualités. Nul n'est en lui, car qui
serait en lui serait distinct du Plerôme et aurait des qualités qui feraient de lui chose distincte
du Plerôme ".

" Nous sommes pourtant le Plerôme même, car nous sommes une partie de l'éternel et de
l'infini. Mais nous ne participons pas du Plerôme, nous en sommes infiniment éloignés, non
pas dans l'espace ou le temps, mais en essence, du fait que nous nous distinguons du
Plerôme dans notre essence même, en tant que Créature limitée dans le temps et l'espace ".
(VS p.26) La Créature tend naturellement à se différentier, et tend " vers le combat contre la
dangereuse identité des toutes premières origines. C'est là ce que l'on appelle Principium
Individuationis ". La Créature est donc emprisonnée dans les catégories de temps et
d'espace : " [...] la vie est ce fragment de l'existence, qui se déroule dans un système
universel à trois dimensions prévu spécialement a cette intention ".

Le gnosticisme, qui a été l'objet de persécutions et d'accusations d'hérésie, n'a pas pour
autant disparu mais a subsisté sous les traits de l'alchimie. Le texte des "VII Sermones ad
Mortuos" figure dans "La Vie symbolique". Jung parle de ce texte comme d'un " péché de
jeunesse " et s'insurge de voir ses critiques le traiter tour à tour de "gnostique" et
d'"agnostique" :

" Pourquoi ne dit-on pas simplement que je suis un psychiatre auquel il importe au premier
titre de presser et d'interpréter son matériel clinique ? "

2.2 DIEU ET DIVINITÉ


Avant d'aller plus en avant il me semble important de noter la distinction que fait Eckhart
entre "Dieu" et "divinité".

Eckhart dit: " Dieu et la divinité sont distincts comme l'agir et le non-agir ".

C.G.Jung le reprend dans son système en distinguant l'image de Dieu et le "tout" dont elle
provient. " [...] la divinité est le tout qui s'ignore et ne possède pas, tandis que Dieu apparaît
comme une fonction de l'âme, cette dernière étant une fonction de la divinité ". Dieu semble
issu de la divinité et de l'âme. " L'âme " l'exprime" en tant que créature ". Dieu est dans la
mesure où l'âme se distingue de l'inconscient, dans la mesure où elle perçoit les forces et les
contenus, et il disparaît aussitôt que l'âme plonge dans le "courant et la source" de la force
inconsciente ".

2.3 L'ÂME
Par une longue définition dans "Types psychologiques", Jung présente sa conception de
l'âme. Je donne ici un aperçu de ces pages afin d'être en mesure de mieux comprendre le
rôle qu'elle joue dans la relation entre l'homme et Dieu.

Jung fait une distinction entre "psyché" et "âme". " J'entends par "psyché" la totalité des
processus psychiques ; conscients et inconscients ; l'âme, au contraire, est un complexe
délimité de fonctions nettement déterminées ". Jung sépare également l'attitude interne de
l'attitude externe. La première correspond à "l'objet interne": l'inconscient, et la deuxième
marque le rapport avec "l'objet externe", avec le monde et les objets. " Si l'expérience
quotidienne nous autorise à parler d'une personnalité externe, elle nous autorise également
à admettre l'existence d'une personnalité interne, constituée par le comportement envers le
processus psychique : c'est l'attitude interne, le caractère tourné vers l'inconscient ".

Jung désigne l'attitude externe par le nom de persona et " l'attitude interne est l'anima,
l'âme ".

" Quant à l'âme, le principe général auquel m'ont conduit mes travaux est qu'elle est, grosso
modo, complémentaire du caractère externe ". Le terme équivalant d'anima pour la femme
est le terme d'animus. Entre persona et anima il y a des rapports de compensation, par
exemple, si un homme est essentiellement viril dans son attitude envers l'extérieur, s'il exclut
de sa persona les traits féminins, il sera d'autant plus sensible intérieurement, ceux-ci se
manifestant dans son anima. " Ce serait blasphémer que d'affirmer que Dieu peut se
manifester n'importe où sauf dans l'âme humaine. En effet, la grande intimité de relation
entre Dieu et l'âme exclut automatiquement toute dévaluation de cette dernière. Sans doute,
est-ce aller trop loin que de parler d'affinité ; mais en tout cas, l'âme doit posséder en elle-
même une faculté de relation, c'est à dire une correspondance avec l'essence de Dieu ;
autrement jamais aucun rapport ne pourrait s'établir. Cette correspondance, en termes
psychologiques, c'est l'archétype de l'image de Dieu. ".
L'âme joue un rôle central dans la rencontre de l'homme et de Dieu, Jung la définit encore
comme suit : L'âme est le " rapport avec l'inconscient et aussi personnification des contenus
inconscients ", elle ne coïncide pas avec la totalité des fonctions psychiques.

" Comme l'âme, Dieu, tel que nous l'avons défini, est aussi un contenu inconscient, une
personnification en tant que conçu comme personne, image ou expression, en tant que
conçu uniquement ou principalement comme dynamis ; donc substance identique à l'âme
conçue comme personnification d'un contenu inconscient ".

2.4 LA NAISSANCE DE DIEU DANS L'ÂME ET


DE L'ÂME EN DIEU
Maître Eckhart dit: " C'est un état plus haut quand Dieu est dans âme que quand âme est en
Dieu ".

Il existe un mouvement de va-et-vient de la libido dans deux directions opposées: de


l'extérieur vers l'intérieur et de l'intérieur vers l'extérieur; on peut également parler de "âme
naissant en Dieu" et de "Dieu naissant en âme".

" [...] lorsque la libido se retire de l'objet extérieur pour s'enfoncer dans l'inconscient "l'âme
naît en Dieu" [...] Ce n'est pas un état de bonheur parce qu'il s'agit d'un acte négatif par
rapport à la vie quotidienne, d'une descente vers le Deus absconditus qui possède des
qualités très différentes de celles du Dieu lumineux du jour ".

L'âme retourne dans "le courant et la source" et le moi finit par s'identifier avec la dynamis; "
[...] Dieu-objet s'évanouit pour devenir sujet indistinct du moi[...] qui [...] se retrouve confondu
dans le rapport universel mystico-dynamique ("participation mystique" des primitifs) ".

" Mais des que cette disparition dans la tendance instinctive est accomplie, toujours se
dresse aussitôt a l'oppose la résistance a l'informe pur, au chaos de la seule dynamis, le
besoin de forme et de loi. En plongeant dans le courant, l'âme doit aussi créer le symbole qui
englobe, retient et exprime la force ".

Il reste à accomplir un travail de différentiation entre le moi et le Dieu-sujet, qui résulte de


l'introversion de la libido, auquel le moi s'est identifié. L'homme "recule pour mieux sauter",
en effet il régresse jusqu'a l'identité primordiale pour laisser ensuite advenir Dieu dans l'âme.

Une fois qu'on a retiré l'énergie (dynamis) investie dans les objets, elle peut entrer dans
l'âme. " [...] alors Dieu est considère comme appartenant à l'individu d'où une élévation du
sentiment vital, une nouvelle possibilité de chute ". " Ce ne sont pas les objets qui sont
devenus des facteurs autonomes, c'est Dieu qui est devenu un complexe psychologique
autonome ". Des lors, c'est de l'inconscient qu'émane Dieu; le conscient en percevra un
aspect sans jamais pouvoir le saisir entièrement.

" Dieu avait été "dehors" maintenant il agit du "dedans", trésor cache conçu comme
"royaume de Dieu". Eckhart appelle aussi l'âme: image de Dieu ". " Si par béatitude on
entend un état vital élevé particulièrement sain, cet état, selon Eckhart, ne peut exister tant
que la dynamis appelée Dieu, la libido, reste dissimulée dans les objets ".

L'état de "béatitude" résulte de l'introversion de la libido auparavant projette et provient de


l'inconscient. " Cet état ressemble beaucoup a celui de l'enfant et a celui du primitif, influence
lui aussi dans une très large mesure par l'inconscient ". " Etre semblable a un enfant, c'est
posséder une resserve de libido accumulée qui peut encore s'écouler ".
Qu'est-ce que ce "royaume de Dieu" dans l'inconscient ? " âme est la personnification de
l'inconscient. En lui gît le trésor: la libido plongée ou engloutie par introversion. Cette masse
de libido est appelée "royaume de Dieu" ".

Nous voyons maintenant que c'est âme qui représente une relation a Dieu, une fonction
perceptive. Si âme, la perception, " comprend l'inconscient qu'elle représente par des images
et des symboles, il y a là un état de bonheur pur " C'est cela que Eckhart entend par
naissance de Dieu dans âme " [...] la libido auparavant sombrée dans l'inconscient,
réapparaît sous forme de travail positif ". " C'est le symbole de la naissance de Dieu ".

Il semble que tant qu'une prise de conscience de la divinité sous forme de Dieu n'a pas eu
lieu, l'état de bonheur pur n'est pas atteint. Dans ce qui vient d'être dit, on trouve cette
complémentarité : a la participation mystique "inconsciente" doit venir s'ajouter la mise en
forme de l'énergie dans un symbole.

De retour a maître Eckhart, nous voyons la fonction transcendante telle qu'elle apparaît dans
la rencontre de l'âme et de la divinité. Le produit de la rencontre est Dieu ou l'image en
l'homme de Dieu, qui sont deux termes équivalents en vue de la définition que nous avons
donnée de ces deux termes. " La force déterminante qui agit de ces profondeurs (Dieu) est
réfléchie par âme: elle Cree des symboles, des images, n'est elle-même qu'image ". " La
fonction de perception (âme) saisit les contenus inconscients et, fonction créatrice, engendre
la dynamis sous forme symbolique ".

La recherche de la personne et la recherche religieuse coïncident. Les mêmes réalités


psychiques agissent dans le processus d'individuation et dans la "naissance de Dieu en
âme". Il s'agit pour l'homme de se différentier, de devenir conscient du "royaume" qui
l'habite.
3. REPONSE A JOB
Je vais traiter trois thèmes qui apparaissent dans le livre de C.G. Jung "Réponse à Job", la
nature complexe et contradictoire de Dieu, le thème du Mal qui en découle et le lien qu'il y a
entre incarnation et individuation. Ces thèmes nous mèneront à celui de l'image du Christ
comme symbole du Soi.

Dans "La Bible de Jérusalem", le "Livre de Job" est précédé d'une introduction où est décrite
la situation dans laquelle se joue le "drame divin", comme l'appelle Jung.

" Le chef-d’œuvre littéraire du mouvement de Sagesse est le livre de Job. Il commence par
un récit en prose. Il y avait une fois un grand serviteur de Dieu, nommé Job, qui vivait riche
et heureux. Dieu permit a Satan de l'éprouver pour voir s'il resterait fidèle dans l'infortune.
Frappe d'abord dans ses biens et ses enfants, Job accepte que Dieu reprenne ce qu'il lui
avait donné ".

Dans ce que nous avons vu jusqu'a présent, il s'agit pour l'homme, de se libérer de l'emprise
du moi conscient, de reconnaître son âme. Je vais apporter quelques précisions quant à la
nature de l'image de Dieu en établissant des parallèles avec le centre inconscient de la
psyché, le Soi. "Réaliser son Soi" revient à emprunter la voie de l'individuation.

3.1 Individuation et incarnation


Jung décrit les constituants de la religion et de l'expérience religieuse avec des termes
appartenant à la psychologie. Le terme "incarnation" renvoie au "Dieu se faisant homme" de
la Bible, mais on peut l'étendre à "la naissance de Dieu dans l'âme" dont il était question au
chapitre précédent. Jung, nous le verrons, considère les saintes écritures comme des
"manifestations de l'âme" ; les mêmes archétypes se manifestent dans l'écriture et dans
l'homme à la découverte de son âme.

Dans la postface de "Réponse a Job", H.Corbin définit le lieu du discours de Jung : " Sans
aucun doute, il se situe en dehors de la perspective du christianisme traditionnel et du
christianisme des Eglises en général ". (H. Corbin in JB p.247) Dans "Réponse à Job" il s'agit
de " l'exégèse d'une âme et des âmes, et de leur secret le plus personnel ". (H. Corbin in JB
p.248)

" Ce que Jung a traité dans ce livre, c'est en quelque sorte une phénoménologie de la
religion ou de la conscience sophistique, dont les attaches s'enracinent dans l'ensemble de
ses recherches scrutant les symboles et les secrets de l'Alchimie comme mystère de la
délivrance de l'âme, laquelle s'accomplit par sa naissance à elle-même, son individuation ".
(H. Corbin in JB p.249)
Cette lecture de la religion correspond à la religion individuelle décrite par le théologien
Schleiermacher. Celui-ci ne conçoit pas d'incarnation sans individuation ; c'est à dire que "
seul celui dont une intuition personnelle centrale permet à tout l'édifice religieux de se
rapporter à ce centre, peut s'établir au sein d'une forme religieuse déterminée [...] ".

Dans la "Réponse à Job" Jung veut savoir comment un homme moderne " peut se trouver
confronte avec et par la Ténèbre divine qui se dévoile dans le livre de Job, et comment elle
agit sur lui [...] ". On peut d'amblée établir un parallèle entre la Ténèbre divine et l'Ombre que
l'homme doit affronter en s'engageant sur le chemin de l'individuation. Il commence par
introduire son propos en pressentant les notions d'image, d'archétype...

3.2 Manifestations religieuses


Jung s'insurge contre le présupposé matérialiste pour lequel une vérité ne peut être établie
que sur base d'un caractère "physique". Pour C.G.Jung, "[...] il est aussi des vérités
psychiques, vérités de l'âme qui, dans la perspective physique ne sauraient pas plus être
expliquées que récusées ou démontrées ". " C'est à cette forme d'existence qu'appartiennent
les manifestations religieuses. Elles se rapportent toutes, sans exception, à des objets qui ne
sauraient être constatés physiquement ".

" L'âme est un facteur autonome et les expressions religieuses sont des professions de foi
psychiques qui, en ultime analyse reposent sur des processus inconscients, transcendants ".
" Ces manifestations religieuses sont transmises grâce au vecteur de la conscience
humaine, et à cette fin travesties en des formes imagées soumises elles-mêmes à de
multiples influences, de nature aussi bien extérieure qu'intérieure ".

Les manifestations religieuses sont décrites comme des symboles, reflets perceptibles d'une
réalité inconnaissable.

La réalité inconnaissable, dans "Le livre de Job", est le Dieu de l'Ancien Testament, Yahvé.
On peut entendre la portée de ce que Jung en dit à Dieu en tant que réalité supérieure. En
effet, pour Jung, Yahvé est une des modalités de la divinité qui s'est révélée en un temps et
un lieu donnés.

" On peut tout aussi bien se représenter Dieu comme une vitalité éternellement agissante, un
flot ininterrompu qui se métamorphose en des formes infinies, que comme un être
éternellement immobile et immuable ". Pour C.G. Jung c'est la première possibilité qui
l'emporte. Ce Dieu manie des images qui dépendent du temps et de l'espace et " il est hors
de doute que ces images reposent sur quelque chose de transcendant par rapport à la
conscience, [...] je pourrais aussi bien dire archétypes ".

" Ces (images) représentations religieuses reposent sur des "archétypes numineux", c'est à
dire sur des soubassements émotionnels qui se révèlent impénétrables à tous les efforts de
la raison critique ".

C.G. Jung considère les récits des saintes Ecritures comme des manifestations de l'âme. "
Ces dernières se déroulent toujours en quelque sorte par-dessus notre tête en donnant
l'impression de traduire des réalités qui transcendent la conscience ". Ce " sont les
archétypes de l'inconscient collectif, qui déterminent la formation de complexes
représentatifs ; ceux-ci ont un air de parenté avec les thèmes mythologiques ".

Tous ces phénomènes ont une certaine autonomie, et peuvent apparaître sous forme de
représentations dans les rêves et dans les visions. En vertu de leur autonomie, on est en
droit de les traiter non seulement comme des objets mais aussi comme des sujets
indépendants dotés de " spontanéité et d'intentionnalité ".
3.3 L'INCARNATION
Un signe de l'influence grecque, le texte de Job date d'environ 600 à 300 av. J.-C., " est
l'idée de la Sophia, de la Sapientia Dei ou Sagesse de Dieu, un pneuma ou esprit de nature
féminine, presque personnifie, co-éternel et préexistant à la Création ". Dans le Livre de la
Sagesse, elle apparaît " en tant que psychopompe, conductrice des âmes, elle mène vers
Dieu et assure l'immortalité ".

L'arrêt pour Job des tortures est la conséquence d'une modification qui s'est produite dans la
personnalité de Yahvé, " à savoir l'apparition de la Sophia ". Dieu se souvient donc de la
Sophia, " reflet sans souillure de sa magnificence ".

" Les choses ne pouvaient plus continuer comme elles étaient ; le Dieu "juste" ne pouvait
plus continuer à perpétrer lui-même des injustices, et le Dieu "omniscient" ne pouvait plus se
comporter comme une créature illogique et étourdie. L'auto réflexion devient une nécessité
impérative et pour cela il faut la sagesse [...] ".

" Au cours de ce drame, Yahvé se heurte à l'homme qui résiste, qui s'affirme, qui s'agrippe à
son droit, jusqu'à ce qu'il soit contraint de céder à la force brutale. Des lors, l'homme a
discerné le visage de Dieu et Sa dualité inconsciente " et provoqué " [...] la réapparition de la
Sophia dans l'espace divin (qui) signale la venue d'un nouvel acte de création ".

" Elle réalise les idées de Dieu en leur conférant une forme matérielle, ce qui représente
d'ailleurs en toute généralité une prérogative de l'être féminin ".

On peut voir ici une similarité entre la fonction de la Sophia et celle de l'Anima, qui est aussi
un symbole de l'âme. En effet, c'est elle qui est la médiatrice entre l'inconscient collectif et le
conscient; c'est elle qui symbolise la divinité sous forme de Dieu, d'image de Dieu, ces deux
termes pouvant être pris comme équivalents.

Ainsi, nous voyons une fois encore, une référence à l'individuation et à Dieu naissant dans
l'âme de l'homme. " Dieu entend Se renouveler dans le mystère du mariage céleste [...] et
veut S'incarner dans l'homme ". " Le motif profond qui amène Dieu à Se faire homme doit
être cherche dans Sa confrontation avec Job ".

Yahvé a projeté son Ombre, incarnée par Satan, sur Job. Celui-ci l'amène à prendre
conscience de cette projection, ce qui entraîne la réapparition de la Sophia, qui a comme
conséquence la naissance du Christ, fils divin de Marie.

" L'humanité ne doit plus, comme précédemment, être anéantie ; au contraire, il importe qu'à
l'avenir elle soit sauvée ". " Il n'est plus question de créer des hommes nouveaux sinon un
seul, l'Homme-Dieu ". Il s'agit du second Adam né de la seconde Eve, une " femme
appartenant à l'humanité ". Il s'agit bien entendu de Marie dont Jung dit: " Le caractère
immaculé et divin de son état permet de discerner sans difficulté que non seulement elle
incarne l'Imago Dei - l'image de Dieu - dans toute sa pureté, mais aussi qu'elle incarne, en
tant que fiancée de Dieu, le prototype de cette dernière, c'est à dire la Sophia ".

" Le nouveau fils de Dieu, le Christ, doit d'une part, comme Adam, être un homme chtonien,
une créature de la terre, c'est à dire être assujetti à la douleur et à la mort, et, d'autre part il
ne doit pas être comme Adam une simple image de Dieu, mais être Dieu Lui-même,
engendré par Dieu en tant que père et rajeunissant le père en tant que fils ".

Comme la Sophia a permis le passage à l'incarnation du Christ, l'âme est la médiatrice entre
la divinité inconsciente et l'image de Dieu en l'homme. Jung a consacre une partie de son
ouvrage "Aïon" au thème du Christ comme symbole du Soi. J'en présente un bref aperçu
dans le chapitre qui suit.

4. LE CHRIST SYMBOLE DU SOI


Jung écrit: le Christ " constitue le mythe encore vivant de notre civilisation. Il est notre héros
civilisateur qui, indépendamment de son existence historique, incarne le mythe de l'homme
primordial divin, l'Adam mystique ". (AI p.51) " Le Christ illustre l'archétype du Soi ". (AI p.52)
et dans "Réponse a Job": " [...] le caractère mythique d'une vie exprime précisément qu'elle a
une portée humaine générale ".

Jung passe en revue les différentiels conceptions de Christ comme image de Dieu ; ce
faisant il bute sur le problème du Mal qu'il développe abondamment. Je traiterai cet aspect
après le chapitre "Image paradoxale de Dieu".

Chez Origène (185-254), le Christ se distingue de l'imago Dei imprimée dans l'âme, qui est "
une image de l'image ", le Christ étant " la vraie imago Dei ". (AI p.53) Cette distinction
devient plus compréhensible chez Saint Augustin (354-430) qui " distingue entre l'imago Dei
qui est le Christ et l'image de cette dernière qui est implantée dans l'homme comme un
moyen ou une possibilité de parvenir à la ressemblance divine. L'image divine ne se trouve
pas dans le corps humain, mais dans l'anima rationalis dont la possession distingue l'homme
de l'animal ". (AI p.53) C'est donc du côté de l'intelligence, de l'esprit et de la raison qu'il faut
chercher l'image de Dieu nous dit encore saint Augustin.

Pour parvenir à la totalité de l'image de Dieu la grâce divine est nécessaire, notre âme, ayant
été blessée et corrompue par la chute.

Le symbole de la conjonction de l'âme et du Christ '" est développe au cours du Moyen-Age


dans l'alchimie en conjonction des opposés, c'est à dire dans les noces chymiques et, par la,
d'une part dans l'idée de totalité de la Pierre philosophale et d'autre part dans le concept de
la combinaison chimique ". (AI p.54) Jung a vu dans l'alchimie beaucoup plus qu'une chimie
maladroite au sens moderne du terme. Il y voit une philosophie, qui traite des
transformations de l'âme, tout en utilisant le langage de la matière. L'alchimie a pour but la
Pierre philosophale, symbole de la totalité comparée par Jung au Soi. La démarche des
alchimistes est celle de l'individuation.

âme endommagée dont il était question ci-dessus peut être "reformée" par la grâce divine.
Jung, de son point de vue psychologique, écrit: " les images de totalité que l'inconscient
produit au cours d'un processus d'individuation représentent de telles "reformations" d'un
archétype existant a priori " (AI p.55) et " [...] les symboles spontanés du Soi (de la totalité)
ne peuvent pas être distingues en pratique d'une image de Dieu ". (AI p.55) " Cette
"anamnèse" entraîne la restauration d'un état originel de relation avec l'image de Dieu ". (AI
p.55)

Nous en arrivons à une distinction importante, celle qu'il y a entre "l'Evènement historique" et
"l'Evènement éternel". Jung précise quel est le statut de l'évènement historique de la
naissance d'un "Homme-Dieu": " Ce qui est présent dans le plérôme comme "discours"
éternel et potentiel apparaît dans le temps sous forme de séquences apériodiques, c'est à
dire de répétitions multiples et irrégulières ". (JB p.95) " Il faut se faire à l'idée d'un
Evènement historique unique, mais d'ores et déjà accompli dans l'éternité; à l'idée que le
Temps historique est un concept relatif qui doit être complète par celui d'une existence
simultanée dans le Ciel ou dans le plérôme ". (CB p.25)

Dans "Aïon" cette distinction entre l'Evènement historique et l'Evènement éternel est
entendue au "Soi" : " En tant qu'homme historique, le Christ est unique et advenu une seule
fois; en tant que Dieu, il est universel et éternel. Le Soi en tant qu'individualité est advenu
une seule fois et unique; par contre, en tant que symbole archétypique, il est une image de
Dieu, et par suite universel et "éternel" ". (AI p.77)

Dans la doctrine de Basilide, " cela revient à dire que l'humanité inconsciente abrite un
germe correspondant au modèle de Jésus. De même que l'homme Jésus n'est devenu
conscient que grâce à la lumière issue du Christ supérieur (Christ en tant que Dieu. ndr.) qui
a sépare en lui les natures, la lumière émanant de Jésus éveille le germe dans l'homme
inconscient, permettant une distinction analogue des opposes. Cette manière de voir
correspond exactement au fait psychologique que l'image archétypique du Soi apparaît dans
les songes, même si le con scient du rêveur ne contient aucune représentation de ce genre
". (AI p.81)

Mais pourquoi cette incarnation a-t-elle été nécessaire ? " Dieu devient homme ".

" Je suis tente de supposer que cela s'est passe ainsi en ce qui concerne le Christ et sa
personnalité. La vie du Christ est [...] un symbolum - un symbole -, la synthèse de natures
hétérogènes, un peu comme si l'on avait fondu en une personnalité unique Job et Yahvé
(conscient et inconscient, ndr.). L'intention de Yahvé de devenir homme, qui a résulte de la
confrontation avec Job, s'accomplit dans la vie et souffrance du Christ ". Auparavant c'est
Job qui prenait conscience de la nature de Dieu et cette fois c'est Yahvé en s'incarnant qui
sort de l'inconscience primordiale.

La réponse à Job est donnée au moment de la mort du Christ sur la croix, " au moment où
Dieu fait l'expérience vécue de l'homme mortel et subit ce qu'Il a laisse endurer à Son fidèle
serviteur Job, son essence humaine atteint au divin ".

" La mise a mort du Christ ne doit pas être imputée a Satan, car la mort en holocauste
apparaît, ( a travers les préfigurations d'Abel et de tous les dieux précocement morts),
comme un destin choisi par Yahvé, d'une part en rachat de l'injustice subie par Job, et
d'autre part comme un encouragement en faveur d'un développement moral et spirituel plus
pousse de l'humanité ".

Il semble que ce qui se passe dans le drame divin avec Yahvé se passe également en
l'homme sur le chemin de l'individuation : une prise de conscience de l'Ombre et la sortie de
l'état d'indifférenciation entre sujet et objet.

" (Car) il est hors de doute que la signification de l'homme se trouve accrue si Dieu Lui-
même devient homme ".

Le Christ, en introduisant dans le "Notre Père" la requête: " Et ne nous soumets pas a la
tentation mais délivre-nous du mal " laisse un doute quant au comportement futur de Yahvé.

" [...] Ce n'est pas de ses péchés que l'humanité est délivrée, mais de la "crainte devant les
conséquences du péché, c'est à dire du courroux de Dieu" ".

Cette phrase indique que le problème du Mal est toujours pressent, même après que Dieu
se soit fait homme. C'est un des points sur lesquels Jung a des convictions divergentes de
l'enseignement du christianisme. Pour Jung, le mal n'est pas une "privatio boni", une
privation de bien, mais existe en tant que tel. C'est ce qui rend le Dieu de "Job" si important.
Pour Jung le Dieu de Job, qui contient le Bien et le Mal, correspond au Dieu de l'incon scient
et a la structure en opposes de l'archétype du Soi.

Je parlerai d'abord de la nature paradoxale de Dieu pour terminer sur le problème du Mal.

4.1 IMAGE PARADOXALE DE DIEU


Nous nous occupons toujours de l'image que l'homme se fait de Dieu. Dans l'histoire de Job,
Yahvé apparaît comme dénué de toute justice et cruel. " Ce Dieu doit s'avouer lui-même que
la colère et la jalousie le consument et qu'il lui est douloureux de le constater. La réflexion et
la connaissance résident en lui a côte de l'irréflexion et de l'ignorance de soi-même comme
résident aussi la bonté a côte de la cruauté, et la force créatrice a côte de la volonté de
détruire ".

" Un état semblable, avec des caractéristiques de cette sorte, ne peut se qualifier autrement
que d'amoral ".

Nous avons la une représentation de Dieu qui est celle d'un être hors des catégories
humaines, hors du Bien ou du Mal, du Beau ou du Laid. En Dieu, il y a le Bien et le Mal; le
Beau et le Laid. L'image d'un Dieu en qui les opposés coexistent est déjà présent chez C.G.
Jung dans les " septem sermones ad mortuom ".

" Le livre de Job ne joue que le rôle d'un paradigme a propos d'une expérience du divin et de
ses modalités, qui possède pour notre temps une signification toute particulière ".

Job se voit afflige de tous les maux terrestres possibles; " [...] il doit bien s'avouer que nul
autre ne le poursuit ni ne lui inflige injustices et violences sinon précisément Yahvé Lui-
même ". C'est la ce Dieu amoral dont il était question ci-dessus, or Job face à son désarroi, "
[...] ne met pas en doute l'unité de Dieu, mais perçoit clairement que Dieu se trouve en
contradiction avec Lui-même de façon si totale que lui, Job, est sûr de découvrir en Dieu un
allie et un intercesseur contre Dieu lui-même ".

Yahvé " constitue une antinomie, somme de contradictions intérieures qui est le tremplin et la
condition préalable de Sa dynamique monstrueuse, de Son omnipotence et de Son
omniscience ".

" L'être ne prend de valeur que dans la mesure où quelqu'un en a conscience. C'est pourquoi
le Créateur a besoin de l'homme conscient, quoi qu'Il soit, en vertu de Sa propre
inconscience, de gêner l'homme qui s'efforce de prendre conscience ". " Yahvé aurait-il,
d'aventure une résistance secrète à l'encontre de Job ? ".

Il est possible que Dieu se méfiant de l'homme et de sa conscience, " [...] une lumière
infiniment faible, certes, mais plus concentrée que la Sienne, à Lui, Dieu ", ait si facilement
cède à Satan en lui livrant Job.

Ici, apparaît une fois encore le caractère paradoxal de Yahvé, qui se laisse " influencer par
un de Ses fils, incarnant Sa faculté de doute [...] ". Ce fils est Satan.

" Dans l'intimité de ses tortures, sans le savoir ni le vouloir, la créature injustement
martyrisée s'est trouvée avoir accès a une supériorité de la connaissance divine que Dieu
Lui-même ne possédait point ". " Job discerne l'antinomie intérieure de Dieu, et, de ce fait, la
lumière de sa connaissance personnelle atteint elle-même à la numinosité divine ".

L'homme en voie d'individuation découvre son inconscient, et, ayant effectue l'union des
contraires a accès au Soi, source de numinosité.

" Job n'est en somme que le mobile extérieur qui va donner à Dieu l'occasion d'une
confrontation intra psychique et d'une explication avec Lui-même ".

" Yahvé voit dans les traits de Job le visage du doute; Il lui attribue ce visage, Il le projette
sur ses traits, et Il ne l'admet pas, car ce visage est le Sien; Dieu Se considère avec un
regard critique qui Le remplit d'une indicible gêne ".

Dieu, désirent rester dans l'inconscience de Satan le projette sur Job, " [...] Il peut
apparemment en toute fierté projeter son Ombre sur un homme et en demeurer inconscient
aux dépens de ce dernier ". Job a fait l'expérience de Dieu. Il a du se rendre compte " [...]
que Yahvé, non seulement n'est pas un homme, mais, en un certain sens, est moins qu'un
homme [...] ", il est un " phénomène ".

" L'esprit inconscient des hommes voit juste, même si la raison consciente est aveuglée et
impuissante: le drame implicitement inscrit dans les faits s'est déroulé de toute éternité; la
dualité de la nature de Yahvé est devenue manifeste et quelqu'un ou quelque chose a vu et
enregistré cela ".
4.2 LE PROBLÈME DU MAL :
LA PRIVATIO BONI
Je ne fais qu'effleurer ce problème qui nécessiterait un développement plus ample.
Néanmoins, l'idée jungienne de la coexistence du bien et du mal est utile pour situer la
position jungienne face au christianisme et face au dogme.

Le "livre de Job", la figure de Yahvé et celle du Christ dans l'interprétation chrétienne posent
le problème du Mal : comment Dieu, le Bien absolu, Amour par essence, a-t-il pu laisser Job
se faire torturer par Satan, et pourquoi le Christ introduit-il : " et ne nous soumets pas a la
tentation, mais délivré-nous du Mal " dans le Notre Père ? La figure du Christ existe-t-elle
indépendamment de son opposé, l'Antéchrist ?

Pour les Eglises, le problème se résout par la doctrine de la "privatio boni" qui dit que le Mal
est une absence de Bien. Jung ne partage pas cette vision des choses, pour lui le Mal est
présent dans l'image de Dieu ainsi que dans la structure archétypique du Soi qui, comme
nous l'avons déjà dit sont indissociables.

" Malgré tout, le symbole du Christ est privé de la totalité au sens moderne du terme, en tant
qu'il n'inclut pas l'aspect nocturne des choses, mais qu'il le rejette expressément comme
adversaire luciférien ". La doctrine de la privatio boni est déjà présente chez Origène, et par
elle " la totalité parut être consolidée dans l'image du Christ. Cependant il faut bien prendre
le mal d'une façon un peu plus substantielle, quand on le rencontre au niveau de la
psychologie empirique " " Si nous discernons dans la figure du Christ un parallèle à la
manifestation psychique du Soi, l'Antéchrist correspond à l'ombre du Soi, a la moitie obscure
de la totalité humaine, sur laquelle on ne peut porter un jugement trop optimiste; [...] la
lumière et l'ombre forment dans le Soi empirique une unité paradoxale ".

Erna van de Winckel, dans son ouvrage "De l'inconscient à Dieu", apporte une précision
quant à la doctrine de la privatio boni :

" Jung, expérimentalement convaincu de l'existence du mal dans le monde, ne peut accepter
l'idée de la privatio boni qui, selon lui, le supprime délibérément. Mais en réalité la privatio
boni ne nie pas le mal, elle ne le reconnaît pas comme essence et le voit au contraire
comme une déficience ou comme une déviation ". Il semble que Jung méconnaisse la vraie
théorie de la privatio boni. qui " ne semble pas contredire (sa) position, puisqu'elle ne nie pas
l'existence temporelle du mal, mais bien son existence essentielle ".

En effet, dans les "sept sermons aux morts", lorsqu'il est question des qualités du Plerôme,
on trouve la phrase suivante : " Les couples d'opposés (parmi lesquels on trouve le Bien et le
Mal) sont les qualités du Plerôme, qui ne sont pas, parce qu'elles s'annulent dans leur
opposition ".
Le Bien et le Mal n'existent à l'état différentié que dans la Créature, dans l'homme qui, lui, est
accessible à la psychologie empirique.

Il semble, par conséquent, que Jung ne méconnaît pas la privatio boni, au contraire, il
distingue clairement l'essence et l'existence en parlant de Plerôme et de Créature. Mais il
s'insurge contre le fait que des arguments tels que la - Act privatio boni qui sont une "
pétition de principe " soient " non seulement employées mais crus " ce qui est pour lui
quelque chose qui le dérange. " Cela témoigne en effet d'une tendance à donner par principe
la priorité au "bien", et cela, avec tous les moyens convenables et non convenables dont on
dispose ". On voit ici Jung qui s'oppose à la soumission au seul dogme, à l'état de non-
représentation, qui met l'individu dans un "état de dépendance servile".

Psychologie et religion

PARTIE IV
CONCLUSION

1. CONCLUSION
La figure psychologique du Christ, comme toute figure de l'inconscient possède une Ombre,
l'Antéchrist, et c'est tout ce que Jung affirme en sa qualité d'empiriste. Dans la vision
chrétienne, " l'archétype est scindé en deux moitiés désespérément irréconciliables [...] ". (AI
p.57) La vision chrétienne a nié l'Ombre de Dieu en érigeant une figure dogmatique du Christ
" sublime et immaculée " (AI p.57). Mais le Mal, lorsqu'on le chasse, revient au galop, et Jung
voit le retour du Mal dans l'évolution du monde au XXe siècle, dans les guerres mondiales et
dans le règne du rationalisme forcené aux dépends de l'irrationnel. " Le monde chrétien est
maintenant confronté avec le principe du mal, c'est-à-dire ouvertement avec l'injustice, la
tyrannie, le mensonge, l'esclavage et l'oppression des consciences ". (MV p.373) Lorsqu'on
étouffe une partie déplaisante de la psyché, comme cela a été fait dans l'ère judéo-chrétienne,
celle-ci est inconsciemment projettée à l'extérieur et revient sous la forme du "destin".

" Telle est aujourd'hui la situation psychologique du monde. Les uns s'imaginent encore
chrétiens et croient qu'ils peuvent fouler au pied le prétendu mal ; alors que les autres y ont
succombé et ne discernent plus le bien. Le mal est devenu aujourd'hui une grande puissance
visible : une des moitiés de l'humanité s'appuie sur une doctrine fabriquée à coups
d'élucubrations humaines ; l'autre moitié souffre de manquer d'un mythe approprié à la
situation ". (MV p.376) Pour Jung, le mythe chrétien est mort, il n'a pas pu évoluer, le
christianisme est devenu une religion statique. Pour Jung, " cette fois-ci, il y va de l'âme de
l'homme, oubliée depuis longtemps ". (MV p.378)

Que propose Jung face à ce constat ?

Jung a mis en évidence le processus d'individuation qui offre la possibilité d'intégrer les
différents aspects de la personnalité en une totalité, le Soi. Que l'archétype du Soi se
manifeste par la conscience sous une forme identique au symbolisme rattaché à la figure du
Christ invite à réinterpréter le christianisme, à le vivre comme une expérience personnelle de
Dieu. L'homme, comme nous l'avons vu, possède en lui la figure divine; s'il en prend
conscience, il fera l'expérience de la puissance numineuse dont il a été question dans ce
travail et ce sera là son Bonheur et son Salut.
La religion prend des lors le sens d'une prise en considération attentive de l'inconscient, d'un
devenir conscient, ce qui est le but de l'individuation. L'homme religieux et l'homme individué
ont ceci en commun qu'ils ont tous deux découvert la totalité qui les habite, le Christ pour l'un
et le Soi pour l'autre.

Le précepte de Socrate : "Connais-toi toi-même", " reste à la base de toute évolution véritable
". (VW p.57)

Il faut que l'homme soit seul face à lui-même, qu'il devienne un tout pour qu'enfin il puisse
affronter la divinité et être Homme au sens fort du terme. L'homme doit passer outre, grandir
au-delà, de "l'animal doué de raison" dont nous parle Aristote.

Dans l'Evangile de Luc (Lc 14:28) nous lisons: " Qui de vous en effet, s'il veut bâtir une tour,
ne commence pas par s'asseoir pour calculer la dépense et voir s'il a de quoi aller jusqu'au
bout ? ". (BI p.1505) Dans une perspective chrétienne c'est dire ceci : avant de fixer le projet
d'une vie il faut s'asseoir face à soi-même, entrer en soi et y découvrir la figure du Christ. Le
processus d'individuation invite à la même recherche de totalité, et c'est là je pense la solution
que Jung propose pour éviter la mort définitive du mythe chrétien dont il était question en
introduction.

Lorsque Jung parle des figures qui apparaissent dans les récits bibliques il est utile d'avoir à
l'esprit qu'il se refuse toute prise de position quant aux éventuelles réalités métaphysiques qui
se cachent derrière. Jung a toujours été un empiriste, qui a travaillé sur la base de faits
résultants d'observations cliniques et de comparaisons trans-historiques et trans-culturelles.
Ses conclusions ne s'appliquent par conséquent qu'à l'homme et à sa psyché et ne peuvent
en aucun cas servir à démontrer l'existence d'un Dieu. Au-delà des archétypes, rien n'est
démontré.

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