Interpretación de La Mecánica Cuántica
Interpretación de La Mecánica Cuántica
Interpretación de La Mecánica Cuántica
Thomas Boyer-Kassem
Résumé : La mécanique quantique est une théorie physique contemporaine réputée pour ses défis
au sens commun et ses paradoxes. Depuis bientôt un siècle, plusieurs interprétations de la théorie
ont été proposées par les physiciens et les philosophes, offrant des images quantiques du monde, ou
des métaphysiques, radicalement différentes. L'existence d'un hasard fondamental, ou d'une
multitude de mondes en-dehors du nôtre, dépend ainsi de l'interprétation adoptée. Cet article, en
s'appuyant sur le livre Boyer-Kassem (2015), Qu'est-ce que la mécanique quantique ?, présente
trois principales interprétations quantiques, empiriquement équivalentes : l'interprétation dite
orthodoxe, l'interprétation de Bohm, et l'interprétation des mondes multiples.
1. Introduction
À quoi ressemble le monde de l'infiniment petit ? Quelles sont les entités qui le peuplent et
les lois qui en règlent le cours ? Existe-t-il un hasard fondamental, ou le monde est-il déterministe
dans ses moindres recoins ? Il existe une théorie physique contemporaine qui permet de répondre à
ces questions : la mécanique quantique1. Ou plutôt, elle autorise à chaque fois plusieurs réponses,
car il est possible d'avoir des interprétations différentes de cette théorie, et il n'existe pas
véritablement de consensus actuellement parmi les physiciens ou parmi les philosophes concernant
la bonne interprétation quantique. Les interprétations quantiques offrent des images différentes du
monde dans lequel la théorie est vraie, avec des types d'entités et de propriétés différents. Autrement
dit, il n'y a pas d'accord parmi les physiciens ou les philosophes sur ce qui compose le monde de
l'infiniment petit ! Toutefois, ces différentes interprétations sont empiriquement équivalentes au
sens où elles ne peuvent être départagées par l'expérience. Cela signifie que les physiciens ne sont
pas en désaccord sur les prédictions expérimentales – les interprétations de la mécanique quantique
ne sont pas des théories concurrentes en un sens fort. Le fait qu'elles soient toutes autant adéquates
empiriquement explique en partie l'absence de consensus parmi les spécialistes.
Les interprétations proposent des images quantiques du monde radicalement différentes. En
quoi cette pluralité d'interprétations et d'images du monde est-elle un problème philosophique ? Elle
l'est pour tout projet métaphysique, qui s'attache à dire quels sont les objets, les catégories, les
propriétés de notre monde. Par exemple : existe-t-il plusieurs mondes parallèles ? La Nature est-elle
régie par du hasard ? Les interprétations quantiques peuvent fournir des explications différentes
d'un même phénomène : devrait-on renoncer à l'idée qu'une explication puisse être la meilleure ?
Le but de cet article est d'introduire aux principales interprétations quantiques qui
concentrent l'essentiel des discussions philosophiques, et plus particulièrement de préciser l'image
du monde quantique que chacune offre. Trois interprétations, parmi les plus populaires aujourd'hui
chez les physiciens et les philosophes de la physique, sont considérées ici : l'interprétation dite
« orthodoxe », l'interprétation de Bohm, et l'interprétation des mondes multiples. J'emprunte dans
cet article de généreux extraits à mon ouvrage Qu'est-ce que la mécanique quantique ?, paru chez
1 Cet article se limite à la mécanique quantique non-relativiste, c'est-à-dire dans laquelle les effets de la relativité ne
sont pas pris en compte. La théorie qui les prend en compte est la théorie quantique des champs.
Vrin en 2015, auquel le lecteur est renvoyé pour une présentation plus détaillée des interprétations
quantiques, mais aussi de la non-localité et du théorème de Bell.
2. L'interprétation orthodoxe
Considérons tout d'abord l'interprétation que l'on trouve, au moins implicitement, dans la
très grande majorité des manuels contemporains de mécanique quantique2, et qui est enseignée
presque partout dans le monde universitaire. Pour cette raison, on l'appelle généralement
l'interprétation « orthodoxe ». Elle s'est imposée dès les années 1930, notamment à la suite des
travaux de Bohr et de Heisenberg.
Formulation de la théorie
La mécanique quantique requiert que soit tout d'abord précisé le système physique
considéré, par exemple un atome3. La théorie attribue à ce système un certain état mathématique,
appelé aussi fonction d'onde, traditionnellement noté entre les symboles « | » et « > ». Un état qui
décrit un atome qui se trouve à un certain endroit, ici, sera par exemple noté « | ici > ». L'état
quantique permet de faire des prédictions expérimentales. En mécanique quantique, les prédictions
ont la particularité d'être probabilistes : la théorie donne seulement la chance que tel ou tel résultat
soit obtenu. À la question : « quelle sera la position de l'atome à tel moment ? », la mécanique
quantique peut par exemple prédire qu'il y a 1 chance sur 2 qu'il se trouve ici et 1 chance sur 2 qu'il
se trouve là, comme c'est le cas avec l'état « | ici > + | là > ». On parle alors d'état superposé entre
l'état « | ici > » et l'état « | là > ».
Si aucune mesure n'est effectuée sur le système, son état évolue sans à-coup particulier,
selon une équation dite « de Schrödinger ». Si une mesure est effectuée, l'état du système peut
changer brusquement lors de cette mesure. En fonction du résultat obtenu lors de la mesure, un
nouvel état est attribué au système. Dans le cas le plus simple, il s'agit de l'état correspondant au
résultat de la mesure, et un système qui était dans l'état « | ici > + | là > » qui est mesuré ici verra
son état projeté sur « | ici > ». L'interprétation orthodoxe considère donc, de façon générale, qu'une
mesure ne révéle pas l'état du système, mais le modifie, et ce de façon aléatoire.
Le problème de la mesure
4 De tels états quantiques sont différents d'états classiques d'ignorance où le physicien attribue une probabilité de
50 % pour ici et 50 % pour là, car ils permettent par exemple de donner lieu à des interférences. Cf. par exemple
Boyer-Kassem (2015, chap. 3).
5 La limite entre les parties classique et quantique du monde n'est pas définitive ; par exemple, ce qui était considéré
comme un appareil de mesure peut être ensuite traité quantiquement par le physicien, dès lors qu'une autre partie du
monde est considérée classiquement, et joue le rôle d'un autre appareil de mesure.
6 Les références classiques sur ce sujet incluent Albert (1992, chap. 4), Bell (1990), Krips (2013), Wallace (2008).
mécanique quantique orthodoxe : « à toutes fins pratiques, tout va bien 7 ». C'est d'ailleurs pour cette
raison que le problème de la mesure est souvent ignoré par des physiciens ayant une approche
pragmatique. Il n'en reste pas moins qu'un problème existe concernant la formulation précise de la
théorie.
Le problème de la mesure naît de l'existence de deux règles d'évolution pour l'état du
système, l'équation de Schrödinger et la réduction de l'état. Ces lois sont incompatibles et ne
peuvent s'appliquer simultanément : la première est déterministe et continue, la seconde est
indéterministe et discontinue. Le problème est que la théorie ne définit pas les circonstances dans
lesquelles les deux règles différentes s'appliquent. Autrement dit, le terme de « mesure », qui est au
cœur des axiomes de la théorie, n'est pas défini. La mécanique quantique orthodoxe ne donne pas de
limite à ce qui vaut comme mesure. Elle est, selon les termes de Bell, « ambiguë par principe8 ».
Cette frontière peut changer au gré des utilisations de la théorie, lui donnant un regrettable
« caractère fuyant9 ».
Certaines tentatives de résolution du problème ont été proposées, mais elles n'améliorent pas
le flou initial : il en va ainsi des prescriptions selon lesquelles l'appareil de mesure doit être
« macroscopique », présenter un comportement « irréversible », être lié à un « observateur », etc.
Ces concepts ne sont pas particulièrement mieux définis que celui de « mesure » qui figure dans la
formulation orthodoxe de la théorie.
Répétons-le : le problème est d'ordre conceptuel et non pas d'ordre empirique. Les
physiciens n'ont aucune difficulté à se servir de la théorie pour en tirer des prédictions, et ils savent
d'expérience comment délimiter l'appareil de mesure et le système quantique afin d'obtenir la
précision requise. La mécanique quantique est parfaitement convenable d'un point de vue
pragmatique. Le problème est seulement d'énoncer la théorie clairement, de façon cohérente et sans
ambiguïté.
Ce problème a été appelé « problème de la mesure » à cause de la formulation qu'il a prise
initialement dans le cadre de l'interprétation orthodoxe : il porte sur la définition de ce qu'est une
mesure. De façon plus générale, le problème de la mesure consiste à proposer une interprétation
satisfaisante de la mécanique quantique (et, éventuellement, une nouvelle formulation de la théorie),
qui soit en accord avec les résultats empiriques. Puisque l'interprétation orthodoxe souffre d'un
problème conceptuel, il apparaît légitime d'avancer d'autres interprétations de la théorie. Aussi le
problème de la mesure est-il généralement tenu pour l'origine de la diversité des interprétations
quantiques.
3. L'interprétation de Bohm
Formulation de la théorie
13 Concernant cette interprétation, voir notamment sur Albert (1992, chap. 6), Barrett (2011), Everett (1957), Vaidman
(2008), Wallace (2008, sec. 4).
14 Les détails mathématiques de ces états ne sont pas présentés ici, en raison de contraintes d'espace. Nous renvoyons
à Boyer-Kassem (2015, chap. 5).
individus dans les différents mondes ont des expériences psychologiques différentes. Le cours du
monde leur apparaît indéterministe, dans la mesure où ils n'ont accès qu'à un seul monde. Pour
l'interprétation des mondes multiples, les probabilités associées aux résultats correspondent aux
paris que peuvent faire les individus. Comme elles n'expriment pas une connaissance incomplète de
leur part, elles ne sont pas subjectives, mais objectives15.
Noter que l'interprétation d'Everett permet à la mécanique quantique de s'appliquer à
l'ensemble de l'univers. Contrairement à l'interprétation orthodoxe, elle ne suppose pas de division
entre un « système », distingué d'un « observateur » qui constate les résultats de mesures. L'univers
everettien n'est pas séparé entre une partie classique et une partie quantique.
5. Conclusion
La mécanique quantique est une théorie physique qui admet plusieurs interprétations,
lesquelles dessinent des images du monde radicalement différentes, mais ne peuvent être
distinguées empiriquement. Cela signifie qu'aucune expérience réalisable ne permettra jamais de
trancher entre, par exemple, l'idée d'un monde déterministe à la Bohm, dans lequel aucun hasard
n'intervient dans le cours des événements, ou l'idée d'un monde indéterministe, comme le veut
l'interprétation orthodoxe, au sein duquel un hasard fondamental joue un rôle presque à chaque
instant. Dès lors que l'image du monde quantique est prise au sérieux, l'expérience ne permet pas de
trancher la question de savoir si le hasard pur existe ou non dans notre monde.
15 Elles expriment des contraintes auxquelles sont soumises tous les agents rationnels. Cf. par exemple Wallace (2008,
sec. 4.6).
Bibliographie
David Z. Albert, Quantum Mechanics and Experience, Cambridge (MA) et London, Harvard
University Press, 1992.
Thomas Boyer-Kassem, Qu'est-ce que la mécanique quantique ?, Paris, Vrin, coll. « Chemins
Philosophiques », 2015.
Claude Cohen-Tannoudji, Bernard Diu et Franck Laloë, Mécanique Quantique, Tome 1, Paris,
Hermann, 1973/1998.
Detlef Dürr et Stefan Teufel, Bohmian Mechanics: The Physics and Mathematics of Quantum
Theory, Berlin et Heidelberg, Springer-Verlag, 2009.
Sheldon Goldstein, « Bohmian Mechanics », dans E. N. Zalta (éd), The Stanford Encyclopedia of
Philosophy, http://plato.stanford.edu/archives/spr2009/entries/qm-bohm/, 2009
Hugh Everett, « ‘Relative State’ Formulation of Quantum Mechanics », Reviews of Modern Physics,
29, 1957, p. 454-462.
Henry Krips, « Measurement in Quantum Theory », dans E. N. Zalta (éd), The Stanford
Encyclopedia of Philosophy, http://plato.stanford.edu/archives/fall2013/entries/qt-measurement/,
2013.
Lev Vaidman, « Many-Worlds Interpretation of Quantum Mechanics », dans dans E. N. Zalta (éd),
The Stanford Encyclopedia of Philosophy, http://plato.stanford.edu/archives/fall2008/entries/qm-
manyworlds/, 2008.
David Wallace, « The Quantum Measurement Problem: State of Play », dans D. Rickles (éd.), The
Ashgate Companion to Contemporary Philosophy of Physics, Aldershot, Ashgate Publishing, 2008,
p. 16-98, disponible en prépublication à http://arxiv.org/abs/0712.0149.