Chapitre II
Chapitre II
Chapitre II
I. L’entrepreneuriat en groupe
L’entrepreneuriat en équipe constitue une rupture avec une vision traditionnelle de
l’entrepreneuriat. Généralement, l’entrepreneur est perçu comme un aventurier solitaire, un
« héros », un innovateur, un preneur de risque qui met ses deniers personnels en jeu pour
transformer son idée en « poule aux œufs d’or ». Mais cette vision est largement remise en
question depuis un célèbre article publié par Robert Reich en 1987, qui montre que le
capitalisme moderne est basé sur le collectif et les relations entre individus.
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Deux sous-logiques coexistent dans cette approche : le besoin en ressources et le besoin
en compétences. Il y a d’abord une logique cumulative dans la constitution d’une équipe
entrepreneuriale : constituer un capital suffisant par rapport aux besoins induits par le
projet. L’autre logique est liée à la recherche d’une complémentarité : certains projets
nécessitent des compétences variées (créativité, vente, technique, gestion du projet, etc.).
L’avantage de cette approche est qu’elle assume la dimension économique de l’acte
d’entreprendre. Les contraintes matérielles qui pèsent un moment donné sur le ou les
membres de l’équipe incitent à la constitution d’une équipe plus étoffée. Inversement, le
nombre de membres dans l’équipe peut diminuer si le projet s’avère plus modeste que
prévu. Dans ce cas, des coéquipiers partent selon un principe de sélection naturelle.
Cependant, comme le montre le cas PayGreen, la logique économique n’explique pas à elle
seule l’engagement collectif. Si de nouveaux investisseurs entrent dans le capital, c’est pour
mieux servir le projet collectif des deux entrepreneurs. L’approche économique n’est donc
pas indissociable d’une approche relationnelle.
L’approche sociale ou relationnelle : remet en cause la logique économique
prétendue être à l’origine des équipes. Elle est notamment basée sur l’étude de minorités
ethniques qui arrivent à faire aboutir des projets grâce à la mobilisation (parfois informelle)
de membres de la famille ou de la même ethnie. Elle repose sur l’idée qu’un certain nombre
de projets sont construits sur la base de liens forts (les amis, les familles, les collègues
proches par exemple). Dans l’approche instrumentale, ce sont souvent les liens faibles
(personnes rencontrées de manière fortuite par exemple lors d’un rendez-vous
professionnel) qui sont importants. Le porteur de projet qui recherche des coéquipiers peut
mobiliser des liens forts mais il va surtout avoir besoin de liens faibles, notamment des
investisseurs.
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entreprise pour ne plus avoir à rendre de comptes à un employeur peut perdre
son indépendance parce qu’il doit prendre en compte les avis des autres
membres de l’équipe. Le projet peut même être altéré ou abandonné si un
membre quitte le groupe. Ainsi, l’entrepreneur qui s’associe à d’autres n’a pas
tout son destin en mains. Il doit entreprendre dans les limites que lui impose
l’équipe. Il doit se préparer aux conflits et savoir les gérer. Il doit également
prévoir des « plans B » en fonction du départ de certains membres. Le pacte
d’associés joue alors un rôle important pour préciser les rôles de chacun et les
conditions de sortie. L’entrepreneur doit aussi intégrer certaines compétences
des autres membres ; en d’autres termes créer de la polyvalence.
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l’année 2010, alors qu’ils réalisaient leur étude de marché, ils ont été accompagnés par des
coachs qui sont entrés dans le capital et les ont mis en relation avec leur futur directeur
technique, qui est lui-même devenu actionnaire avec 5 % du capital. Par la suite, le Fonds
Jeune Innovation a rejoint l’entreprise en devenant propriétaire à hauteur de 8 %. En à peine
deux ans, le concept qui était l’œuvre de deux camarades de promotion est devenu un
projet collectif porté par sept personnes. Le réseau, le besoin de financement, l’apport de
compétences sont à l’origine de ce développement. Et l’entreprise ne compte pas s’arrêter
là. Comme l’indique Étienne Beaugrand, un des deux fondateurs : « En général, il y a du
premier degré d’amorçage qui se fait soit par le réseau, ce qu’on appelle la love money, soit
par les petits business angels, qui font de l’amorçage. Après, en général, les start-up vont
chercher entre 250000 et 500000 €, censés tenir trois ans, mais au bout de 10 mois, ils
cherchent 1,5 million. Tout le monde est dans le même cas…».
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II. L’INTRAPRENEURIAT
1. Définition :
L’intrapreneuriat est une dynamique entrepreneuriale qui prend place dans une
entreprise déjà existante. Cette dynamique peut se présenter sous deux formes :
Elle s’incarne dans le développement de nouveaux business, souvent fondés sur
l’exploitation d’une innovation (produits, process) ;
Elle transparaît dans l’attitude des employés qui mettent en avant des qualités
propres à l’entrepreneur (proactivité, flexibilité, autonomie, créativité).
Les salariés peuvent aller jusqu’au bout de leur innovation : dans le groupe, si le
groupe décide d’investir et mettre en place une innovation venture group ou à l’extérieur de
la structure, si le projet intrapreneuriale est rejeté.
2. Pourquoi rendre les salariés intrapreneurs ?
Depuis une dizaine d’années, de plus en plus d’entreprises et de grands groupes
comme par exemple Alcatel-Lucent, Airbus, IBM etc. lancent des initiatives visant à rendre
les salariés intrapreneurs. Ces initiatives peuvent démarrer sous forme de challenges
ponctuels ou répétés sur des thématiques qui présentent un intérêt en termes d’évolution
de marché pour le groupe, et impliquer une population « pilote » ou bien faire appel à tous
les employés, voire inviter des participants externes à l’organisation dans un mode open
innovation (étudiants, laboratoires). Des expériences pilotes sont lancées afin de générer des
produits innovants, de révéler des intrapreneurs et de rendre le climat de l’entreprise plus
propice à l’innovation. Les approches qui ont porté leurs fruits (évaluées en termes de
nouveaux produits, partenariats business et technologiques, brevets, intrapreneurs révélés)
sont ensuite propagées dans l’entreprise en tenant compte des spécificités de chaque
organisation ainsi que des différences culturelles ; il s’agit davantage d’un mode de
propagation par adaptation agile que par duplication d’une recette.
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d’un programme d’intrapreneuriat, car l’intrapreneuriat et plus généralement la culture
entrepreneuriale est un facteur décisif de succès. Il permet de répondre vite aux évolutions
permanentes de la demande sur le marché des hautes technologies.
Stimuler et diffuser une telle culture intrapreneuriale est aussi un véritable véhicule de
changement, de transformation de la culture d’une entreprise ou un groupe. Cela permet
notamment de capitaliser sur le potentiel souvent mal exploité, voire inexploité, de la
capacité d’innovation des salariés, de stimuler leur créativité, de les (ré-)engager en donnant
un sens à leur action (il s’agit de “leur” projet), de connecter les talents et naturellement
aussi d’accélérer la mise sur le marché des innovations.
Les intrapreneurs sont en effet des individus passionnés, persévérants et qui ont une
aptitude particulière à mobiliser des ressources pour remplir leurs objectifs. Ce sont aussi
clairement des agents de changement, qui ont une autre façon de fonctionner et n’hésitent
pas à transgresser les codes et les process établis. Sur un marché hautement concurrentiel
où les produits évoluent à une vitesse folle comme celui des (infrastructures de télécoms,
aéronautique, les technologies, etc.) leur créativité et leur sens des affaires sont décisifs. Pas
question néanmoins de considérer qu’il s’agit là exclusivement de compétences innées. Si
certains salariés ont clairement des prédispositions particulières à l’entrepreneuriat, il est
parfaitement possible d’acquérir cet état d’esprit. L’énergie, la motivation et même le talent
sont généralement liés à l’environnement. L’aptitude à entreprendre se développe quand
chaque collaborateur est convaincu que le groupe croit en lui et en ses projets. Au-delà d’un
simple appel à idées, le programme chez certaines entreprises cherche à développer un
écosystème proche de l’univers des start-up: concours annuels, formation et coaching, fonds
d’investissement, sponsorship par des serial entrepreneurs pour stimuler, fédérer,
accompagner les salariés intéressés par cette démarche. »
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CAS D’ENTREPRISE
CORNING INCORPORATED
Corning est une entreprise américaine de fabrication de verres de spécialité et de céramique à
valeur ajoutée, créée en 1851. Malgré sa taille (8,012 milliards de dollars de chiffre d’affaires en
2012), elle manifeste un esprit extrêmement entrepreneurial. L’une des raisons de cette dynamique
réside dans le fait que Corning donne à ses ingénieurs et ses chercheurs une grande part de liberté
dans la gestion de leur temps, en les autorisant, comme 3M ou Google, à allouer 10 % à 15 % de leur
temps de travail à des projets autres que leurs projets courants. «De l’extérieur, nous pouvons
apparaître comme une grande entreprise orientée processus », explique Waguih Ishak, Division Vice
President of Corning Incorporated and Science and Technology Director of the Corning West
Technology Center in Silicon Valley. « Mais quand vous entrez à l’intérieur, vous voyez que la rigueur
de notre approche process est enracinée dans un esprit d’innovation et de prise de risque. Imaginons
que je sois un ingénieur travaillant par exemple sur un nouveau type d’écran en verre incorporant
des éléments végétaux. Alors que j’attends que mon prototype soit construit, je peux utiliser 10 % à
15 % de mon temps libre pour creuser une idée biotech qui utilise une partie des connaissances que
j’ai consolidée avec mon projet d’écran innovant. Je suis alors libre de contacter une autre business
unit et de m’enquérir de ce dont ils ont besoin. De cette manière, je peux être amené à produire une
autre invention dans un espace totalement différent de celui dans lequel je suis formellement
engagé. »
Source : Rapport Ernst and Young, “Igniting Innovation: How Hot Companies Fuel Growth From
Within”, 2010 1 .
BIG GREEN INNOVATION GROUP, IBM
« Le fait que je dirige chez IBM le Big Green Innovation Group, focalisé sur le management de
l’eau, les énergies alternatives et la gestion du carbone n’est pas dû au hasard: c’est parce que je
voulais travailler sur quelque chose auquel j’accorde une grande importance, et j’ai travaillé dur pour
faire comprendre au sein de l’entreprise que cette idée n’était pas seulement une bonne idée mais
un impératif. Notre initiative Big Green Innovation a démarré comme élément d’un programme
d’investissement d’amorçage de 100 millions de dollars dans dix nouveaux business. Ces idées
d’activités avaient été identifiées au cours d’une Innovation Jam en 2006. Cette séance de
brainstorming online a réuni plus de 150000 personnes de 104 pays et 67 filiales. IBM organise ces
sessions depuis 2001 pour explorer des collaborations élargies, acquérir de nouvelles perspectives
sur des problématiques et des challenges, et identifier des thèmes et des modes de pensée
stratégiques, tout cela avec le souci d’accélérer la prise de décision et le passage à l’action. Les Jams
sont fondées sur l’idée de crowd sourcing (aussi appelée “sagesse des foules”) et elles sont
appliquées sur différents sujets dans l’entreprise et ailleurs. »
Source : Sharon Nunes, “Passing the Technical Torch: ‘Intrepreneurs’ are the New
Entrepreneurs”, WITI, 23 septembre 2009 .
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motivation, le dynamisme et la satisfaction des salariés sont au bout du chemin; de
même pour l’entreprise qui, ainsi redynamisée, peut gagner en agilité et conquérir une
place de leader sur de nouveaux marchés. Celles qui vont vite et loin en sont des
illustrations. Les outils existent souvent, la volonté stratégique de la direction est
cruciale.
III/ L’extrapreneuriat
1. Définition
L’extrapreneuriat est la création d’une entreprise par un ou plusieurs salariés issus
d’une organisation parente et s’appuyant de manière formelle ou informelle sur des actifs
tangibles ou intangibles issus de cette organisation.
L’essaimage désigne le soutien apporté par une entreprise à ses salariés pour la
création ou la reprise d’une entreprise. La jeune entreprise s’appuie sur des actifs et des
compétences générés dans le cadre de l’entreprise parente.
2. Le contexte
La firme est une collection de ressources productives dont l’articulation évolue dans le
temps en fonction de ses choix stratégiques: croissance et diversification, abandon, cession
ou externalisation de ressources non stratégiques, recentrage autour de ressources clés, etc.
La plupart des ressources sont imparfaitement divisibles et il peut exister des ressources en
excès. L’extrapreneuriat peut être une modalité de mise en œuvre de certaines ressources
dans des structures organisationnelles distinctes, qu’il s’agisse du développement d’activités
nouvelles ou émergentes (par exemple dans l’extrapreneuriat technologique) ou de la
reconfiguration d’activités existantes ou matures (par exemple dans l’extrapreneuriat
vertical ou de désinvestissement).
L’extrapreneuriat s’appuie sur la mobilité des salariés qui sont porteurs d’une partie
des ressources, les assemblent dans de nouvelles combinaisons et les associent à des
ressources externes. Ce sont les salariés devenus entrepreneurs qui donnent de la valeur à
des actifs qui seraient parfois inexploités s’ils demeuraient dans l’entreprise parente.
Les spin offs : elles sont conduites par des entreprises parentes qui modifient le
périmètre de leur portefeuille d’activités pour le rendre plus homogène, et améliorer sa
rentabilité: elles cèdent alors une business unit et se recentrent sur leur cœur de métier. La
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spin off peut bénéficier de son indépendance pour assurer son propre développement en
ayant par exemple accès à de nouvelles ressources financières ou en cherchant de nouvelles
opportunités technologiques ou de marché.
CAS D’ENTREPRISE INTERSHOP
INTERSHOP De la bulle Internet au cluster La société allemande Intershop a été créée en 1992,
introduite au Nauer Market et au NASDAQ en 1998. Elle était alors considérée comme un fleuron
allemand de la nouvelle économie. Développant des outils logiciels pour l’Internet et le commerce en
ligne, cette société, qui employait 1218 salariés au plus fort de son développement en 2000, a
considérablement réduit sa taille (elle employait 233 personnes en 2007) et ses ambitions après
l’éclatement de la bulle Internet. Mais en quelques années, elle a donné lieu à une quarantaine de
créations d’entreprises opérant pour la plupart dans son domaine d’activité et implantées dans la
même région. Ces créations d’entreprises, appelées necessity spin offs par Buenstorf et Fornahl ont
eu un double impact: elles ont permis de compenser la perte de près de 1000 emplois par Intershop.
De plus, elles ont été réalisées pour la plupart dans le même secteur d’activité, conduisant à la
création d’un cluster spécialisé dans le logiciel, avec de multiples interrelations entre les spin offs.
L’entreprise parente a donc eu un succès temporaire à l’intérieur de ses propres frontières mais un
effet durable sur le développement régional.