1-Secheresse 2007 Hachicha

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Article scientifique

Sécheresse 2007 ; 18 (1) : 45-50

Les sols salés et leur mise en valeur


en Tunisie
Mohamed Hachicha Résumé
Compte tenu de la rareté des ressources en sol, les sols salés ont été améliorés dans
Institut national de recherche en génie rural,
eaux et forêts (INRGREF), plusieurs régions semi-arides de Tunisie. Depuis des décennies, plusieurs dizaines de
17, rue Hédi Karray, milliers d’hectares ont été assainis. À côté de l’exploitation extensive des sols
BP 10, halomorphes améliorés pour les cultures pluviales, certaines plaines salées, particu-
Ariana 2080 lièrement celles de la vallée de la Mejerda, ont été exploitées d’une manière intensive
Tunisie par drainage et irrigation. Ces plaines drainées ont subi une évolution des caractéris-
<[email protected]> tiques hydrologiques de la nappe phréatique et les matériaux des sols, originellement
salés et sodiques, ont été l’objet de modifications de leurs propriétés physico-
chimiques. Quelques cas de mise en valeur de sols salés sont présentés à titre
d’exemples.
Mots clés : bonification des sols, gestion des sols, hydrologie, salinisation, Tunisie,
zone semi-aride.

Abstract
Saline soils and their reclamation in Tunisia
Considering the rarity of soil resources in Tunisia, saline soils have been reclaimed in
several semiarid regions of the country, and thus, for decades, several dozens of
thousands hectares have been drained. Besides the extensive use of saline soils
reclaimed for rainfed crops, a number of saline plains, in particular those of the
Mejerda Valley, have intensively been exploited using drainage and irrigation
techniques. In these drained plains, the hydrological characteristics of the ground-
water table and the physicochemical properties of the soil material, originally saline
and sodic, have been modified. A few cases of saline soil reclamation are presented
in this paper.
Key words: hydrology, salinisation, semiarid zone, soil management, soil
reclamation, Tunisia.

D
ans les régions semi-arides et ari- basée sur une bonne définition des carac-
des, la pénurie et la variabilité de téristiques hydropédologiques et hydrauli-
la pluie et la forte évaporation ques et des conditions locales incluant le
affectent l’eau et l’équilibre des sels dans climat, la culture et l’environnement socio-
le sol. Les facteurs climatiques sont très économique. Plusieurs pratiques sont
favorables à l’ascension des sels, à la généralement combinées dans un système
doi: 10.1684/sec.2007.0063

concentration de la solution du sol et à la intégré pour éviter la salinisation exces-


précipitation des sels dans la zone raci- sive et la baisse de la fertilité des sols [1].
naire et l’horizon superficiel entraînant la
salinisation. Cette salinisation peut être Les sols salés de Tunisie
naturelle ou anthropogénique. La gestion
des sols affectés par les sels requiert une Les sols affectés par les sels en Tunisie
combinaison de pratiques agronomiques couvrent environ 1,5 million d’hectares,

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soit à peu près 10 % de la surface du pays soit le bassin-versant possède un exutoire surface, souterraines ou de sol) évoluent,
(figure 1). On les rencontre dans et les sels migrent alors plus bas – c’est le au cours de leur concentration, selon la
l’ensemble du territoire mais c’est surtout cas de la vallée de la Mejerda ; soit le voie saline neutre [4], ce qui signifie que
dans le Centre et le Sud que l’aridité du bassin-versant est endoréique et une l’on observe, avec l’augmentation du fac-
climat cause leur extension [3]. Plusieurs sebkha se forme dans la partie la plus teur de concentration, la précipitation de
formations géologiques constituent des basse. Ces phénomènes se produisent certains sels dans un ordre déterminé (cal-
sources de sels solubles. Les eaux de ruis- toute l’année dans la partie aride de la cite, gypse, etc.) avec celle du NaCl en
sellement et de drainage, enrichies en Tunisie et pendant la saison sèche dans la dernier lieu. On trouve aussi des compo-
éléments solubles, s’écoulent vers les par- partie méditerranéenne. Ils sont soit natu- sés beaucoup moins solubles comme le
ties basses des bassins-versants. À partir rels, soit provoqués par l’irrigation. Sur le carbonate de calcium et le gypse, ou
de là, deux cas de figure se présentent : plan géochimique, les solutions (d’eaux de beaucoup plus solubles comme la bloedite
et la thénardite. Ces sels, chlorures, sulfa-
tes ou carbonates, simples ou composés,
BIZERTE se différencient par leur solubilité. Dans
une région climatique homogène et pour
un même régime hydrique des sols, plus un
TUNIS
sel est soluble, plus il sera facilement et
rapidement lessivé hors du profil et hors du
JENDOUBA bassin-versant qui lui a donné naissance.
NABEUL Cette remarque a amené Hachicha et Job
[5] à considérer trois régions géochimi-
ques différentes en Tunisie (figure 2) :
SOUSSE – la zone géochimique 1 correspond aux
sols à lessivage partiel de NaCl et à dyna-
KAIROUAN
mique lente du calcaire qui débouche sur
des accumulations pouvant prendre la
forme de croûtes et d’encroûtements. La
présence de carbonates libres élève le pH
KASSERINE
de certains sols peu salés qui deviennent
alcalins. Les pluies hivernales favorisent le
SFAX
lessivage des sels ;
– dans la zone 2, aux dynamiques obser-
GAFSA vées dans la zone 1 s’ajoute la précipita-
tion de gypse. Le calcaire s’accumule dans
le profil sous forme de nodules. Les sols à
GABES texture limoneuse dominent, induisant des
remontées capillaires plus importantes que
dans le Nord. De grands bassins-versants
se terminent en sebkhas. Les sols salés y
sont souvent hydromorphes ;
– enfin, dans la zone 3, apparaissent en
surface des sels très solubles (sulfates de
magnésium et de sodium) et les encroûte-
ments gypseux se généralisent. Les carbo-
nates ne forment ni croûtes ni nodules. Ils
migrent lentement dans le profil, contraire-
ment aux sels de sodium et magnésium
dont la circulation dans le paysage est très
rapide. La salinité globale des sols se
maintient à un niveau élevé toute l’année.
Sols très salés (Sebkha et Chott)
Dans chaque grande région géochimique,
on distingue des bassins-versants de tailles
Sols à alcali très salés diverses. Chacun est une portion de pay-
sage comprenant une partie haute, une
Sols très salés à encroûtement gypseux partie intermédiaire où se produisent
l’infiltration et le ruissellement, et une par-
Sols à alcali peu ou moyennement salés
tie basse où s’accumulent les transports
Sols peu évolués faiblement salés solides fins et où s’évaporent les sels. On y
trouve généralement la séquence de sols
0 60km suivants, de haut en bas des versants :
– les sols peu évolués d’apport colluvial ;
– les sols salins non hydromorphes ;
Réalicée par M. HACHICHA – et les sols salins hydromorphes, avec
Deselie par FITOURI Muslapha I.N.R.G.R.E.F
ceux dont la nappe varie saisonnièrement
et ceux dont la nappe est constamment
Figure 1. Les sols salés de Tunisie (d’après [2]). près de la surface.

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dissolution, formant des microzones de
Forme de précipitation Forme de précipitation
des sels solubles
BIZERTE
des sels peu solubles décalcitisation. Cela se traduit macro-
morphologiquement par l’existence de
NaCl
JENDOUBA 1 TUNIS
CaCO3 CaSO4 taches et de nodules calcaires dans la
NABEUL plupart des horizons. Quant au sulfate de
CaCO3
calcium, il a subi une importante lixivia-
NaCl SOUSSE
tion. Cependant, il n’a pas quitté entière-
KAIROUAN

CaSO42H2O
ment le profil puisqu’on le voit précipiter
KASSERINE 2 à la base de ce dernier où il va même se
CaCO3 loger en microrosettes de gypse dans
Na2SO4 SFAX
l’espace intergranulaire du pseudo-
GAFSA
CaSO42H2O sable. En revanche, le chlorure de
GABES
sodium a subi une lixiviation très pous-
CaCO3 sée. Cette discrimination entre les sels se
répercute sur le faciès géochimique des
MgSO4NaSO44H2O
3
CaSO42H2O solutions du sol et leur saturation vis-à-vis
de la calcite et du gypse, ainsi que sur la
Légende Forme de précipitation garniture cationique du complexe absor-
des sels bant. Le faciès géochimique chloruré
CaSO42H2O Précipité en surface
sodique du pseudo-sable passe à un
CaSO42H2O Diffus dans le profil 0 60km
faciès chloruré sulfaté sodique dans les
horizons intermédiaires, puis à un faciès
CaSO42H2O Individualisé (concrétion/nodule)
carbonaté calcique et magnésique en
surface. Le complexe absorbant, originel-
CaSO42H2O Immobilisé (croûtes/encroûtements) lement très sodique (taux de saturation de
la capacité d’échange cationique (T) par
Na (Na/T) > 50 %), a subi dans le pre-
Figure 2. Grandes zones géochimiques de Tunisie (d’après [5]). mier mètre une désodisation assez pous-
sée puisque le taux de sodium échangea-
ble (rapport Na/T) chute à 36 %. Cette
Cette séquence de sols présente des Bonification évolution est concrétisée par un déplace-
variantes suivant la zone géochimique des sols salés et sodiques ment du sodium par le calcium (alors que
concernée. Malgré la diversité des faciès, sous conditions naturelles Ca/T est de 36 % en profondeur, il
les sols halomorphes de Tunisie seraient à remonte en surface à 76 %). Le magné-
répartir dans le groupe des sols salins et • Cas des lunettes de la basse vallée sium et le potassium varient assez peu.
dans le groupe des sols à alcali non de la Mejerda Cette désodisation n’a pas manqué
lessivés. Les lunettes sont assez répandues en Tuni- d’avoir des répercussions sur la stabilité
sie. Leur matériau d’origine éolienne subit structurale du sol que l’enrichissement
depuis leur dépôt une évolution aussi bien des couches superficielles en matière
physique que chimique [8]. À l’origine, le organique a contribué à améliorer.
pseudo-sable, de nature argilo-limoneuse, En définitive, et malgré la texture fine et les
Mise en valeur des sols salés était très salé et très sodique. Son évolution caractères salés et sodiques originels forte-
s’est concrétisée par l’apparition de nou- ment exprimés, ce matériau a subi des
veaux caractères d’organisation et de modifications suffisamment importantes
La mise en valeur traditionnelle des sols composition (figure 3) : pour en permettre l’exploitation agricole.
salés en Tunisie remonte à des millénaires – Caractères nouveaux d’organisation. La La désalinisation qui a porté seulement sur
et s’est intensifiée depuis environ un demi- structure massive du pseudo-sable a cédé les 50 premiers centimètres, a suffi pour
siècle. Elle a reposé en grande partie sur la place à une structure prismatique à rendre les sols cultivables.
le rabattement de la nappe. Cette bonifi- sous-structure polyédrique. À l’échelle
cation a eu lieu sous conditions pluviales et microscopique, l’espace poral d’entasse- • Cas des sols salés de Garaât Oued
sous irrigation. Sur les 1,5 million d’hecta- ment qui caractérise le pseudo-sable s’est Melah (Sahel - Monastir)
res de sols salés, environ 300 000 hecta- transformé en une microstructure tubulaire La Garaât Oued Melah est située près de
res ont été bonifiés. signifiant une réduction de la porosité Monastir. Le climat y est semi-aride avec
Depuis la fin des années 1940, plusieurs intrapédique. En revanche, la porosité en moyenne 350 mm de pluie par an. La
plaines du Centre et du Nord ont fait s’est améliorée dans l’horizon de surface Garaât couvre plus de 1 800 hectares
l’objet de travaux d’assainissement. du fait du travail du sol. inondables par les eaux de l’oued Melah.
Entre 1948 et 1956, 19 280 hectares ont – Caractères nouveaux de composition. Le bassin initialement endoréique est
été ainsi assainis [6]. Après l’indépen- Le processus primordial qui a affecté les devenu semi-endoréique avec le projet
dance (1956), les efforts se sont poursuivis lunettes est la désalinisation. En fonction d’assainissement de la Garaât. L’aména-
essentiellement dans la basse et la haute de leur solubilité, les trois principaux sels gement réalisé vers 1980 a consisté à
vallée de la Mejerda (Nord) et Bled Abida – carbonate de calcium, sulfate de cal- drainer une grande partie des eaux de
(Centre ; Kairouan). L’assainissement des cium et chlorure de sodium – ont, dans ruissellement par un chenal débouchant à
plaines relativement arrosées a permis leur l’ordre, subi un transfert de plus en plus la mer au niveau du village de Khniss. Les
désalinisation progressive [7]. Dans plu- intense. Le carbonate de calcium très peu travaux de mise en valeur ont démarré par
sieurs zones de la vallée de la Mejerda, soluble, n’a subi qu’une faible redistribu- l’exploitation des zones surélevées en
l’assainissement et le drainage étaient un tion dans l’horizon. Le calcaire mis en commençant par des labours profonds et
préalable à la mise en valeur des terres. solution a précipité près de l’aire de sa des semis de graminées puis en procédant

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ment se confondre avec le niveau de la
mer.

• Cas des sols salés de Sebkha Kelbia


(Tunisie centrale)
Le système de la Tunisie centrale est drainé
par trois grands oueds – Zéroud, Merguellil
et Nebhana – et comporte en ses parties
centrale et aval un système complexe de
sebkhas et de lacs. L’exutoire de tout ce
système est la sebkha Kelbia qui couvre
environ 200 km2. Autrefois, avant la cons-
truction de trois importants barrages sur les
trois oueds et pendant les grandes crues, la
sebkha se déversait à la mer via l’oued
Essed [7]. Comme plusieurs autres, cette
sebkha présente une double physionomie
[10]. En période aride, elle peut être assi-
milée à une sebkha continentale – sol salé
plus ou moins desséché et aride – alors
qu’en période de forte pluviométrie, la
sebkha se transforme en lac. L’évolution
hydrologique et le microrelief déterminent
une zonation des sols d’allure auréolaire.
Au cours de l’été 1995, douze profils
pédologiques situés sur deux transects per-
pendiculaires ont permis d’analyser les
caractéristiques physico-chimiques des
sols [11]. Comme la végétation halophile
reflète, dans un contexte climatique
donné, les conditions physiques, chimi-
ques et hydrologiques du sol, à côté des
analyses physico-chimiques sur les sols
prélevés dans les profils pédologiques, les
plantes ont été déterminées. Deux zones
2 mm ont ainsi pu être distinguées :
– au milieu, une zone ayant subi un
ennoyage superficiel est complètement sté-
Figure 3. Pseudo-sables très salés et sodiques de la lunette d’El Mabtouh (basse vallée de la rile (altitude < 16 m). Les sols y étaient
Mejerda). halomorphes, à alcali, avec une salure de
plus de 20 dS/m en surface et 40 dS/m
à l’installation d’arbustes forestiers et four- perméabilité des sols par la méthode de vers 1 m de profondeur. Leur rapport Na/T
ragers. Pour améliorer l’évacuation des Müntz ont révélé une perméabilité élevée était supérieur à 40. En été, la nappe
eaux de la Garaât vers la mer et étendre (de l’ordre de 5,77 cm/h) et une drainabi- descendait à plus d’1 m de profondeur ;
l’aire forestière, une étude des sols salés lité lente à moyenne (0,65 cm/h ; – tout autour, une zone qui n’a pas subi
de la zone a été réalisée [9]. Les sols méthode Porchet). Le suivi de la piézomé- d’ennoyage (16 m < altitude < 18 m)
rencontrés différaient les uns des autres, trie de la nappe à partir d’une trentaine de était colonisée par une végétation de Sali-
notamment par le degré de salinité et points a été entrepris au cours de l’été cornia arabica de faible recouvrement.
d’alcalinisation ainsi que par la présence 1994. La salinité moyenne de la nappe Les sols sont similaires à ceux de la zone
d’horizons à hydromorphie temporaire. était de 33 dS/m avec un faciès géochimi- précédente, sauf que la salinité était moins
Les sols qui occupaient les surélévations que chloruré sodique. Le gradient hydrau- forte et l’hydromorphie était moins
déjà mises en valeur possédaient une sali- lique était orienté du sud au nord de la prolongée.
nité inférieure à 4 dS/m en surface et dépression. Au cours de l’été 1994, la En bordure (altitude > 18 m), la végéta-
supérieure à 10 dS/m en profondeur. profondeur de la nappe était de 3,5 m à tion était variée :
Quelques plantes halophytes y persis- l’amont de la dépression au sud et se • au nord, la végétation était à base
taient. Dans les zones basses, les sols confondait avec le niveau zéro à l’extrême d’Atriplex halimus à recouvrement
étaient très salés et souvent sujets à une aval au niveau de la digue des salines de moyen. La salinité du sol était de
hydromorphie temporaire. La nappe Skanès. L’étude a révélé que la ligne l’ordre de 10 dS/m en surface et la
apparaissait vers 1 m de profondeur. La d’écoulement principal ne coïncidait pas nappe était moins superficielle ;
salinité était assez élevée – environ avec la direction du chenal aménagé • au sud, la végétation était formée
15 dS/m en surface et 25 dS/m en pro- pour l’évacuation des eaux de l’oued d’Arthrocnemum indicum à fort recou-
fondeur – et pouvait atteindre plus de Melah. Ainsi, de crainte d’une intrusion vrement qui succédait à une associa-
100 dS/m. Les sols de texture limono- marine, le drainage de la Garaât aurait tion végétale à recouvrement plus
sableuse présentent de bonne aptitude à dû prendre en considération la faible lâche comprenant en particulier Arthro-
l’infiltration de l’eau et au lessivage des altitude de la partie aval où le niveau cnemum indicum, Atriplex halimus,
sels par les pluies. Des mesures de la piézométrique finissait par pratique- Tamarix africana et Cressa cretica.

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Les sols étaient moins salés et la nappe sans préparation et avec des doses de 1968, la CE n’était plus que de
y était plus profonde ; lessivage importantes apportées en une 11 dS/m. De même, la salinité de la
• à l’ouest, la végétation était dense, seule fois, n’a donné que peu de résul- nappe avait décru de 17,6 dS/m à
constituée d’Arthrocnemum indicum et tats positifs. Un second essai, dans 10,6 dS/m. La salure très élevée du sol
d’Halocneumum strobilaceum. L’Atri- lequel avaient été inclus le labour et le au début de l’expérimentation était la
plex halimus était présent à la bordure fractionnement des apports d’eau dans conséquence d’une sous-irrigation et
de la Sebkha. Les sols étaient de sali- le temps, a permis un lessivage efficace. d’une déficience de drainage. Dès la
nité assez élevée ; L’hétérogénéité constatée avant l’expéri- première année, une réduction très
• à l’est, la végétation était clairsemée mentation entre zones avec et sans importante de la salinité s’est produite,
composée d’Arthrocnemum indicum et végétation, avait disparu assez vite ; les la CE passant de 55,3 dS/m à
d’Atriplex halimus. zones dénudées qui avaient une salure 5,7 dS/m dans la couche 0-20 cm. La
D’après Novikoff [12], Halocneumum stro- élevée (de l’ordre de 50 à 60 dS/m) en plus grande quantité de sels a été éva-
bilaceum est indicatrice de salinité forte surface ont pu être ramenées à un taux cuée au cours des six premiers mois
(70 à 90 dS/m), Salicornia arabica permettant la culture (< 4 dS/m). Le les- d’irrigation, soit plus de 137 t/ha. La
reflète une hydromorphie forte et une sali- sivage de ce type de sols s’est révélé valeur 5 à 6 dS/m semble être la limite
nité moyennement forte (20 à 60 dS/m) et relativement facile, à condition d’asso- inférieure de la CE d’un sol gypseux
Atriplex halimus se rencontre en faible cier le travail du sol au fractionnement irrigué avec des eaux titrant 2 g/L
hydromorphie et en salinité variable (10 à des apports d’eau et de procéder à un (3,1 dS/m).
70 dS/m). Ainsi, les sols situés à une alti- lessivage en hiver. Par ailleurs, et grâce
tude supérieure à 18 m sont plus facile- à la teneur importante du sol en calcium • Cas de Kalaât Landelous
ment récupérables. soluble (CaCO3 et CaSO4) et du SAR de et Cebala Ben Ammar
l’eau d’irrigation (7), le rapport Na/T Dans le grand système hydropédologique
Bonification des sols salés (taux de sodium échangeable) a été de la Mejerda, l’hydromorphie et
par irrigation et drainage ramené en dessous du seuil critique de l’halomorphie affectaient à des degrés
15 %, et cela quelle que soit la profon- divers les sols peu évolués d’apport allu-
• Cas d’Utique et de Tozeur deur. Cet abaissement de Na/T est vial de plusieurs plaines inondables et
d’environ 18 % en surface et de 5 % dépressions. Ces formations évoluaient
Des expériences pour la récupération de sous l’effet d’une nappe phréatique salée
sols salés ont été menées à Utique dans vers 1 m de profondeur. Cette expéri-
mentation a donc permis une désalinisa- proche de la surface du sol. Les terres
une sebkha côtière de la basse vallée de la étaient initialement exploitées extensive-
Mejerda et à Helba en bordure du Chott tion et une désalcalisation du sol. La
récupération de sols fortement affectés ment pour la production de cultures céréa-
Jérid à côté de l’oasis de Tozeur [13]. lières et fourragères et comme parcours.
À Utique, l’essai de lessivage d’un sol par le sel grâce à l’irrigation et au
drainage a été rendue possible du fait Elles ont fait l’objet d’une mise en valeur
salin à alcali formé de matériau limono- pour le développement de cultures maraî-
argileux calcaire a montré qu’avec le drai- de la composition chimique de l’eau
d’irrigation, du faciès des solutions du chères et fourragères irriguées d’été par
nage, les pratiques culturales (irrigation et l’installation de réseaux d’assainissement-
travail du sol) contribuent à la mise en sol qui évoluait dans la voie saline neu-
tre, et de la teneur importante des solu- drainage et d’irrigation. Quelques aména-
valeur des sols salés [13]. La parcelle était gements récents de sols salsodiques ont
située dans une sebkha initialement occu- tions en calcium soluble.
été étudiés sur les plaines de Kalaât Lande-
pée par une végétation halophile et de À Helba (Tozeur), l’expérimentation a été lous [14] et de Cebala-Borj Touil [15],
taches complètement dénudées (figure 4). menée sur un sol sablo-limoneux, salin, situées à une trentaine de kilomètres au
Pour la mise en culture irriguée, la par- gypseux et hydromorphe [13]. La nappe y nord de Tunis et limitées à l’est par la mer
celle a été drainée et équipée d’un était située entre 0,5 et 1 m de profondeur Méditerranée. Le climat y est semi-aride
réseau d’irrigation. L’eau provenait de (figure 5). Un ancien réseau de collec- avec une pluviométrie moyenne annuelle
l’oued Mejerda qui avait une conducti- teurs a été remplacé par un nouveau d’environ 470 mm. Ces plaines alluviales
vité électrique (CE) de 2,1 dS/m et un système de collecteurs plus profonds et côtières ont été gagnées sur la mer. Elles
taux de sodium adsorbé (SAR, sodium de drains enterrés. L’eau d’irrigation sont quasi plates et d’altitude comprise
adsorption ratio) de 5,7. La salure ini- avait une CE de 3,1 dS/m et un SAR entre 3 et 8 m au-dessus du niveau de la
tiale du sol variait de 2 dS/m dans la d’environ 6,3. L’eau de drainage avait mer. Leurs sols, constitués des alluvions
zone fournie en végétation jusqu’à au début de l’expérimentation, en argilo-limoneuses calcaires déposées par
60 dS/m en surface dans la zone dénu- 1964, une CE de 18 dS/m et un SAR la Mejerda, sont peu évolués, à caractère
dée. Un premier essai sur sol naturel de 17,3. Quatre ans plus tard, en d’halomorphie et d’hydromorphie et à
dominance d’argiles gonflantes. Les amé-
nagements hydroagricoles des périmètres
de Cebala et de Kalaât ont démarré en
1986 sur environ 3 000 hectares chacun.
À Kalaât, environ un millier d’hectares
étaient formés de terres marécageuses
sous l’influence directe de la mer. Le
réseau de drainage comprend des drains
enterrés, des collecteurs et des émissaires
à ciel ouvert et une station de pompage
qui refoule l’eau vers la mer. L’eau prove-
nant de la Mejerda titre environ 2 g/L
(3 dS/m). À Cebala, environ un millier
d’hectares ont été récupérés sur Garaât
Figure 4. Sols salés et sodiques des sebkhats. Ben Ammar (Garaât est une forme de sols

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nes a induit un rabattement et une homo- désalinisation qui a suivi a permis l’intro- rouan (Tunisie Centrale). Contribution à l’étude
généisation du niveau piézométrique. La duction de nouvelles cultures. de leur mise en valeur. Thèse de docteur-
nappe se situe actuellement vers 1,5 m. La Enfin, la situation globalement endoréique ingénieur, université de Toulouse. Bulletin de la
bonification entraînée par la maîtrise de la de la Tunisie, la quantité totale de sels en Division des Sols 1974 ; (4) : 105 p.
nappe a agi sur les propriétés des sols que mouvement dans le paysage augmente 11. Hachicha M. Les sols salés et leur mise valeur
le lessivage des sels par les pluies a renfor- avec le temps. La salinisation des sols est à en Tunisie. Atelier national « Aménagement inté-
cées. Cette mise en valeur de sols salés craindre dans les terres basses. Des prémi- gré des bassins-versants autour des Sebkhats »,
s’est concrétisée par leur désalinisation Monastir, 25-26 décembre 2002, 2002.
ces de ces nouvelles sebkhas sont percepti-
manifeste. Actuellement, la salure du sol bles dans certaines dépressions du 12. Novikoff G. Contribution à l’étude des rela-
est en moyenne de l’ordre de 2-3 dS/m en Centre. ■ tions entre le sol et la végétation halophile en
surface, et de 7-9 dS/m à proximité de la Tunisie. Ann INRAT 1961 ; 34 : 339.
nappe à environ 1,5 m de profondeur [2]. 13. Centre de recherche sur l’utilisation de l’eau
salée en irrigation (CRUESI). Recherche et forma-
tion en matière d’irrigation avec des eaux salées,
Références 1962-1969. Rapport technique, Tun. 5. Paris :
Conclusion s.n., 1970.
1. Mashali AM. Integrated soil management for 14. Hachicha M, Cheverry C, Mhiri A. The
À côté de la perte de sols par salinisation, sustainable use of salt-affected soil and network impact of long-term irrigation on changes of
activities. Proceedings of the International works- groundwater level and soil salinity in northern
il existe plusieurs mises en valeur de sols Tunisia. Arid Soil Res Rehabil 2000 ; (14) : 175-
affectés par les sels qui ont été réalisées. hop on integrated soil management for sustaina-
ble use of salt-affected soils, Manila, Philippines, 82.
La Tunisie possède une expérience dans 8-10 November 1995. 15. Hachicha M, Djelidi B, Trabelsi A, Brari N.
ce domaine. Plusieurs facteurs ont permis Impact du drainage sur les variations saisonniè-
la récupération des sols salés. Certains 2. Hachicha M. Mise en valeur des sols salés. res de la salinité dans le périmètre irrigué de
sont relatifs aux caractéristiques des sols et Organisation, fonctionnement et évolution de sols Cebalat-Borj Touil irrigué aux eaux usées épu-
à la nature des sels, et d’autres au contexte salés du Nord de la Tunisie. Thèse de doctorat, rées. Direction des sols, ES 264. Tunis : Direction
climatique. En effet, l’évolution des solu- Ensa Rennes, 1998. des sols, ministère de l’Agriculture, 1992.

50 Sécheresse vol. 18, n° 1, janvier, février, mars 2007

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