Cours Entrepreuriat Social

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L’entrepreneuriat social

Introduction

La récente crise économique et sociale a eu pour effet un accroissement des inégalités et a mis
en lumière de nombreuses dérives liées au comportement de certaines organisations, relatives
entre autres au respect de l'environnement ou des droits de l'homme. Elle a contribué à
remettre en question «le mythe de l'autorégulation spontanée des marchés et à pointer les
limites du modèle de gouvernance fondé sur la valeur actionnariale » (Petrella et al., 2010).
En France, ce constat a eu pour effet de soulever de nombreux questionnements quant à la
viabilité du système sur le long terme. Des voix en nombre croissant s'interrogent sur la
possibilité de concevoir une économie qui soit moins inégalitaire et destructrice (Drapery,
2011). Ainsi, donner du sens à l'activité économique est une aspiration partagée par un
nombre croissant de citoyens français, dont les étudiants et les jeunes diplômés (Barthélémy
et Slitine, 2014).

L'étude menée par IPSOS (2016) nous montre qu'aujourd'hui, seuls 46 % des étudiants
français des grandes écoles considèrent la rémunération comme étant un critère primordial ou
important dans le choix de leur métier. Leurs priorités sont désormais ailleurs. 97 % d'entre
eux préféreraient « avoir été utiles ou avoir apporté des changements à la société », ils sont
53% à considérer qu'être utile aux autres est un pré requis absolu dans le cadre de leur travail.
Ils définissent un travail utile comme un travail qui sert l'intérêt général (65%), qui améliore
la vie des gens (54%) et qui permet de changer les choses (40%). Au-delà de simplement
exercer une activité qui leur permettra d'obtenir un salaire, les jeunes générations
d'aujourd'hui sont donc de plus en plus à la recherche de sens dans leur travail (Tricomot,
2015). Ainsi, ces éléments contextuels ont eu pour effet un renforcement de l'intérêt porté aux
formes alternatives de l'économie. Permettre l'atteinte des objectifs économiques tout en
répondant aux besoins sociaux tel est le défi auquel tente de répondre le secteur de l'ESS.
Reconnue en France par la loi du 31 juillet 2014, 1 ' ESS regroupe un ensemble de structures
qui partagent une vision d'utilité sociale plus que la recherche d'un gain. Elle rassemble des
personnes autour de valeurs de démocratie et de solidarité. (Pinville, 2016). Ce modèle de
développement économique correspond à une nouvelle façon de faire de l'économie, qui
n'aurait pas pour but de réaliser du profit, mais de satisfaire les besoins de la société. Dans ces

1
structures, l'humain passe avant le profit et 1' efficacité économique est mise au service de
1'intérêt général.

Le mouvement de l'entrepreneuriat social s'inscrit pleinement dans cette tradition de


l'économie sociale dont il partage les fondamentaux d'engagement. Les entrepreneurs sociaux
sont des individus qui agissent comme des moteurs du changement au nom de la croissance
sociale et économique et apportent un changement positif dans l'économie et dans la société à
travers leurs activités d'affaires novatrices (Volkmann et al., 2012). L'économie sociale
regroupe donc les structures de l' ESS et le mouvement de 1' entrepreneuriat social. L'intérêt
des jeunes Français pour l' économie sociale se renforce d' année en année. D' après une étude
menée par Opinionway pour Ashoka, auprès d'un échantillon du grand public français, 59%
des jeunes âgés de 18 à 24 ans sont attirés par 1'ESS pour y travailler et 45% d'entre eux
souhaiteraient lancer leur propre activité (Convergences, 2017). Selon une autre étude menée
par France active (2016) auprès d’un échantillon représentatif de la population française âgée
de 18 à 29 ans, 79% d' entre eux pensent qu'un modèle économique et social est possible.

Si cette envie de passer à l'action est bien présente chez les jeunes, ils restent peu nombreux à
savoir comment sauter le pas. Selon une étude menée par 1'agence pour la valorisation des
initiatives socio-économiqu e (AVISE) en 2014, l' intégration des jeunes dans les structures de
l'ESS, est, freiné par la méconnaissance du secteur, ils sont 87% à ne pas connaître les
opportunités professionnelles potentielles de l'ESS et les dispositifs de sensibilisation
existants (A vise, 2014 ). De plus, les structures de l'économie sociale restent peu connues et
reconnues pour leurs spécificités aux yeux du grand public, malgré des efforts ces dernières
années (Sibieude, 2007). Cette faible visibilité s'explique entre autres par le fait que ces
organisations, qu'elles relèvent de la sphère marchande ou non marchande; ne se distinguent
pas toujours de manière évidente des autres acteurs économiques et sociaux, sociétés de
capitaux ou organisations publiques (Frémeaux, 2012). Enfin selon les auteurs Brouard et al
(2011), les entrepreneurs sociaux doivent posséder les compétences techniques des cadres de
l’économie à but lucratif et simultanément maîtriser des problématiques sociales et le manque
général de culture entrepreneuriale et de formation spécifique aux entreprises sociales
représente un frein à son développement.

Les formations dédiées à 1' économie sociale et solidaire et à 1' entrepreneuriat social
foisonnent dans les universités et les grandes écoles. Les écoles de gestion les mieux cotées au
monde (Columbia, Harvard, New York University, Oxford, Stanford, etc.) offrent aujourd’hui

2
des spécialisations en entrepreneuriat social dans leurs programmes et organisent des
conférences sur le sujet (Janssen et al., 2012). En France, c'est l'école supérieure des sciences
économiques et commerciales (ESSEC) qui a été pionnière dans ce domaine avec la création
de la chaire « entrepreneuriat social » en 2003. HEC a suivi et peu après de nombreuses
écoles de commerce, universités et Instituts d'études politiques ont emboîté le pas des
formations spécialisées dans 1' entrepreneuriat social (Barthélémy et Slitine, 2014).

I. l’économie sociale et solidaire

Historiquement, 1' économie sociale regroupe des entreprises qui ont commencé à inventer en
France et en Europe des solutions économiques à vocation sociale il y a plus d'un siècle
(Barthélémy et Slitine, 2014). Ce n'est que plus tardivement que les concepts d'entrepreneuriat
social et d'entrepreneur social sont apparus. Les premières structures de l'économie sociale
étaient constituées des sociétés de secours mutuel qui visent à prendre en charge
collectivement des besoins vitaux que leurs membres n’étaient pas capables de se procurer
individuellement. Vinrent ensuite les premières coopératives de consommation, puis de
production et de crédit. C'est en 1886 que Charles Gide, théoricien du mouvement coopératif
français, développe le concept d'économie sociale fondée sur la solidarité, mais ce n’est qu'à
la fin des années 70 que ce concept fut redécouvert (Barthélémy et Slitine, 2014).

Aujourd'hui, l'économie sociale et solidaire rassemble une diversité d'organisations œuvrant


pour l'intérêt général. En 2014, le gouvernement français a voté une loi ESS vue comme un
tournant historique, et qui reconnaît comme entreprise sociale et solidaire : « les entreprises
disposant d'un statut traditionnel de l'économie sociale (coopératives, associations, mutuelles,
fondations, voir annexe A) et d'autre part, toute société commerciale respectant les quatre
exigences suivantes : la poursuite d'un but autre que le seul partage des bénéfices, une
gouvernance démocratique, une orientation des bénéfices majoritairement consacrée à
l'objectif de maintien ou de développement de l'activité de l'entreprise et deux règles
d'encadrement de la répartition des bénéfices : une obligation de mise en réserve à hauteur
d'un taux minimal qui sera fixé par décret et l' interdiction de distribuer aux actionnaires une
fraction des bénéfices annuels, à hauteur d'un taux minimal qui sera fixé par décret (Loi n°
2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire 2014). Selon 1'
observatoire national de 1 'ESS, le secteur représente en 2013 : 10,5 % de l'emploi français,
13,9 % de l'emploi privé, 2,37 millions de salariés et 221 325 établissements employeurs
(Matarin et al., 2015).

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L'ESS est particulièrement présente dans le domaine des services (secteur tertiaire). Cette
présence plus marquée résulte souvent d’un poids relatif plus faible du secteur public et du
secteur marchand et du rôle pionnier qu' ont joué les organisations d' ESS, inventant de
nouvelles activités et même de nouveaux métiers (Balaudé et Baillat, 2015). L'économie
sociale et solidaire rassemble les organisations ou entreprises sous statuts : d'associations,
coopératives, mutuelles, et fondations. Associations et fondations interviennent surtout dans
l'action sociale, la santé et 1' enseignement. Les coopératives sont quant à elles, des acteurs
essentiels de la banque et de la filière agroalimentaire. Elles prolongent parfois leur activité
avec des filiales situées hors de l'économie sociale.· Les mutuelles concentrent leurs
interventions dans les complémentaires santé et 1'assurance des biens et des personnes
(Bisault et Deroyon, 2014).

II. L’entrepreneuriat social

1. définition générale

La notion d'entrepreneuriat social a émergé quasi simultanément depuis une vingtaine


d'années des deux côtés de l'Atlantique. Les contributions pionnières dans la littérature en
termes d'entrepreneuriat social ont été marquées par les travaux de Banks (1972) qui au cours
d'une étude sociologique a été un des premiers à utiliser le terme entrepreneurs sociaux.
Young, (1983) qui dans la lignée des travaux de Schumpeter sur la nécessité de considérer le
changement social afin d'opérer un développement économique décrivait des entrepreneurs
innovants à but non lucratif (Bacq et Janssen, 2011). Le terme ne sera utilisé que plus
largement dans le monde qu'à partir de la fin des années 90 (Janssen et al., 2012). Parvenir à
établir une définition globale et universelle de l'entrepreneuriat social n'est pas une tâche
facile, car ce concept représente un ensemble d'activités liées à un contexte donné (Nicholls,
2010). Ce constat a conduit à la prolifération des définitions des notions d'entrepreneuriat
social, d'entrepreneur social ou d'entreprise sociale (Bacq et Janssen, 2011). La littérature sur
le sujet est dominée par trois termes majeurs : l'entrepreneuriat social est le processus
dynamique par lequel certains acteurs nommés entrepreneurs sociaux créent et développent
des organisations qui peuvent être appelées des entreprises sociales (Defoumy et Nyssens
2008 ; Mair et Marti, 2006).

2. différentes approches du concept d’entrepreneuriat social

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Il est à noter que l'origine géographique des chercheurs semble exercer une influence sur
l'approche de ces derniers concernant l'entrepreneuriat social en raison entre autres des
conceptions différentes du capitalisme et du rôle du gouvernement (Bacq et Janssen, 2011).
Ainsi, c'est en Europe et aux États-Unis que les travaux de recherche en entrepreneuriat social
sont les plus avancés. Cependant, pendant près de dix ans, ils se sont développés de manière
parallèle sans réelle interaction entre les deux régions (Defourny et Nyssens, 201 O).Nous
traitons dans les sections qui suivent des deux principaux modèles de pensée qui dominent la
littérature sur 1' entrepreneuriat social d ' aujourd'hui, soit le modèle américain et le modèle
européen.

A. le modèle américain

L'entrepreneuriat social émerge aux États-Unis durant les années 80. Deux séries
d'évènements sont alors à 1 'origine du développement du concept. Premièrement, la réduction
des financements publics a obligé les organisations à but non lucratif à rechercher de
nouvelles ressources, soit en se tournant vers des organismes philanthropiques, soit en
développant des activités commerciales (Eikenberry et Kluver, 2004). Deuxièmement, le
lancement en 1993 de l'initiative entreprise sociale par la Harvard Business School et la
création de programmes de formation et de soutien à l'entrepreneuriat social par d'autres
grandes universités (Columbia, Berkeley) et fondations comme l'organisation Ashoka, fondée
par Bill Drayton en 1981, ou le Center for Social Innovation, créé à 1 'Université de Stanford
en 1999 ont également contribué à son essor aux États-Unis et par la suite dans le monde
(Defoumy et Nyssens, 201 0).

Parallèlement à l'émergence de la notion d’entrepreneuriat social en Amérique, un modèle


européen du concept s'est également développé.

B. Le modèle européen

Pour comprendre le développement du modèle européen, il est nécessaire de revenir sur les
raisons qui ont favorisé son émergence. En Europe, depuis les années 70, une transformation
de l'État providence s'est opérée dans les pays industrialisés. Ces changements ont entre autres
entraîné une baisse constante des budgets alloués à 1'action sociale. Ce désengagement
étatique a eu pour effet de réduire le pouvoir d'action des organismes sociaux et donc
d'augmenter les besoins sociaux (Barthélémy et Slitine, 2014). Cette période pointe également
du doigt les faiblesses des mécanismes du marché qui ont échoué à satisfaire les besoins de

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l'ensemble de la population. La crise du modèle de l'État providence (en termes de budget,
d'efficacité et de légitimité) a conduit les pouvoirs publics à laisser à l'initiative privée des
réponses qu'ils auraient souvent organisées eux-mêmes si la conjoncture avait été celle des
trente glorieuses. La majorité des États membres de l'Union européenne ont connu, à différent
niveau, la même tendance (Defourny et Mertens, 2008). Ce contexte a été favorable à un
développement progressif d'un tiers secteur composé d'organisations qui n'appartiennent ni au
secteur privé classique ni au secteur public et qui aurait pour finalité de satisfaire les besoins
non couverts par le marché.

3. l’entreprise sociale

Les concepts d'entrepreneuriat social, d'entreprise sociale ou d'économie sociale apparaissent


souvent interchangeables. L'ESS met historiquement l'accent sur l'aspect non lucratif de
l'activité, à travers des statuts juridiques spécifiques, alors que le mouvement des
entrepreneurs sociaux met en avant l'impact social de l'activité, indépendamment du statut
(Chauffaut et al., 2013). En Europe, ce sont donc les travaux de l'EMES qui ont fourni les
premières bases théoriques et empiriques pour une conceptualisation de l'entreprise sociale
(Defourny et Nyssens, 2010). Différents secteurs tels que celui de l'économie, la science, le
management, la sociologie, ou encore la politique, ont été regroupés afin de permettre des
échanges autour de la notion d'entreprise sociale.

Selon l'approche développée par l’EMES (voir Tableau 2.1) l'entreprise sociale poursuit une
diversité d'objectifs : sociaux (liés à la mission principale d'une entreprise sociale qui est de
servir la communauté), économiques (liés à l'activité entrepreneuriale de l'organisation) et
sociopolitiques (liés, à la recherche de plus de démocratie dans la sphère économique)
(Nyssens, 2007). Les organes de décision (assemblée générale, conseil d ' administration) des
entreprises sociales sont caractérisés par une grande diversité de parties prenantes à 1'
organisation. Ainsi, bénévoles, usagers, donateurs, travailleurs, financeurs publics ou
investisseurs privés peuvent être considérés comme parties prenantes selon le format de 1'
organisation. La perspective de l'entreprise sociale telle que décrite par l'EMES insiste sur la
dimension collective contrairement à l'approche américaine qui place la figure de
1'entrepreneur social au premier plan.

Mais d'un côté ou de l'autre de l'Atlantique, les définitions établies s'accordent à dire que 1'
entrepreneuriat social a pour finalité 1'exploitation d'opportunités dans le but d'opérer un
changement concernant un problème social ou environnemental. La rentabilité financière

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représente simplement un moyen d'atteindre cet objectif (Dacin et al., 201 0). L'exploitation
de ces opportunités s'opère par des individus appelés entrepreneurs sociaux.

Synthèse du modèle type de l’entreprise sociale selon l’EMES

Dimension économique Dimension sociale Gouvernance


Activité continue de biens ou Objectif explicite de service Degré élevé d’autonomie
de services à la communauté
Niveau significatif de prise Initiative émanant d’un Pouvoir de décision non basé
de risque économique groupe de citoyens sur la détention de capital
Niveau minimum d’emploi Distribution limitée des Dynamique participative
rémunéré bénéfices

4. l’entrepreneur social

Un des pionniers à avoir énoncé une définition de l'entrepreneur social fut le fondateur de l'un
des premiers réseaux mondiaux d'entrepreneur sociaux et membre de l'école de pensée
américaine de l'innovation Bill Drayton : « C'est un individu qui met ses qualités
entrepreneuriales au service de la résolution d'un problème sociétal à grande échelle»
(Brossard, 2009). Afin de bien comprendre la spécificité de l'entrepreneur social, il convient
de le comparer à l'entrepreneur classique. Selon l'économiste Joseph Schumpeter,
«L'entrepreneur est un homme dont les horizons économiques sont vastes et dont 1'énergie est
suffisante pour bousculer la propension à la routine et réaliser des innovations ». Schumpeter
insiste sur la composante d'innovation. Au-delà d'être l'inventeur ou l'apporteur de capitaux,
l'entrepreneur est celui qui met en œuvre de nouvelles combinaisons pour apporter un
changement (Schumpeter, 1990). L'innovation est utilisée par l'entrepreneur dans le but de
mobiliser les ressources dont il dispose afin d'atteindre des objectifs (Brouard et al., 2010).
L'importance de l'innovation est également soulignée dans le secteur de l'entrepreneuriat
social.

Le Tableau suivant présente une comparaison de 1'entrepreneur social et commercial qui


permet de mettre en lumière leurs contours à travers 6 dimensions.

Comparaison des types d’entrepreneurs

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Entrepreneur social Entrepreneur commercial
Mission sociale Centrale Périphérique
Création de valeur Parallèle à la réalisation de Centrale
la mission ; vise l’autonomie
financière Maximisation du profit
Vision A Long terme A court terme
Agent de changement Innove pour répondre aux Innove pour le
besoins sociaux développement économique
Bénéfices Le profit est un moyen Le profit une fin
Opportunité Exploite l’opportunité de Exploite l’opportunité
progrès social d’affaire sur un marché
Source (Brossard, 2009)

L'entrepreneur social se distingue principalement de l'entrepreneur classique, dans la primauté


accordée à la mission sociale de son activité. La création de valeur économique est un moyen
pour lui d'assurer cette mission. L'entrepreneur social innove afin de répondre principalement
à des besoins sociaux et non seulement afin d'engendrer un développement économique. Il a
donc, en plus du profil psychologique de l'entrepreneur classique, une sensibilité à l' égard de
problèmes sociaux qui se traduit par un désir de s'engager socialement (Roy et al., 2016).

III. l’entrepreneuriat social en Tunisie

1. présentation

L’entrepreneuriat social a connu une forte croissance en Tunisie depuis la révolution de


janvier 2011, tant dans les secteurs à but lucratif que non lucratif. Cette croissance peut être
attribuée à cinq facteurs :

1) l’essor du mouvement de l’entrepreneuriat social à l’échelle mondiale ;


2) l’éclosion d’un certain nombre de couveuses d’entreprises exclusivement axées sur les
ES ;
3) une vague de concours internationaux accordant une importance particulière à
l’impact social ;

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4) un nombre croissant d’ONG qui se disputent les financements de plus en plus réduits
apportés par les donateurs et le besoin d’adopter des modèles durables générateurs de
revenus.
5) un secteur privé de plus en plus conscient de l’importance de l’impact social pour
restaurer la confiance du public et améliorer son image ;
6) la liberté de fonctionnement accrue des entreprises privées, jusqu’alors étroitement
réglementées par l’État, liée à l’aplanissement des obstacles traditionnels à leur entrée
sur le marché.

Ces facteurs contribuent à l’instauration d’un environnement socioéconomique plus propice à


l’entrepreneuriat social, incitant des sociétés et des organisations à but non lucratif à se lancer
dans ce secteur en Tunisie.

Malgré le développement de l’écosystème des ES, aucune donnée systématique n’existe sur
ces entreprises tunisiennes. L’un des principaux problèmes dans ce domaine est lié à
l’absence de définition universelle des ES en Tunisie. Le terme « entreprise sociale » couvre
des pratiques hétérogènes et des modalités organisationnelles allant des entreprises classiques
sans but lucratif aux entreprises classiques à but lucratif. La majorité des institutions qui se
définissent comme des ES sont des ONG exerçant des activités génératrices de revenus.

2. Importance et rôle de l’entrepreneuriat social

Plusieurs rapports soulignent l’importance du secteur des entreprises sociales pour le


développement de la Tunisie :

• Facteur de création durable d’emplois pour les défavorisés.

Bien que les ES créent moins d’emplois que les autres entreprises, connaissent une croissance
plus lente et se développent rarement à l’échelle nationale ou mondiale, elles emploient une
part beaucoup plus importante de personnes souvent exclues du marché du travail : jeunes,
femmes, handicapés, et communautés rurales ou à faible revenu où le chômage est souvent
élevé. Les ES contribuent également à intégrer les travailleurs clandestins dans l’économie
formelle. Bien qu’elles puissent rarement rivaliser avec le secteur commercial au niveau des

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salaires, elles offrent des emplois durables et de haute qualité souvent assortis d’avantages,
tels qu’une formation en cours d’emploi.

• Vecteur d’intégration régionale

Les ES sont souvent intégrées dans les collectivités locales et œuvrent au renforcement de
leurs capacités, des marchés locaux et de la compétitivité des économies locales. Elles
contribuent à la création de chaînes de valeur ouvertes, à l’optimisation des circuits de
distribution et à la promotion de l’innovation au niveau local. Les modèles économiques des
ES sont souvent ancrés dans le patrimoine culturel et social des communautés, et contribuent
à la dignité des populations autochtones et à la création de moyens de subsistance durables.
En Tunisie, les ES sont particulièrement actives dans les secteurs tels que la culture et
l’écotourisme, l’artisanat et la médecine traditionnelle, qui sont susceptibles de revitaliser les
communautés rurales. En stimulant les facteurs locaux favorisant l’entrepreneuriat et la
créativité, les ES pourraient contribuer à une croissance durable et solidaire et accroître la
résistance aux chocs économiques extérieurs.

• Instrument de décentralisation des services.

Les ES peuvent contribuer à pallier les défaillances de l’État et du marché en venant


compléter les services publics, grâce à des soins spécialisés destinés aux populations
marginalisées (par exemple, soins aux personnes âgées et handicapées), et en améliorant la
qualité et le rapport coût-efficacité, grâce à l’innovation et à une souplesse accrue pour
répondre aux besoins des clients. Les ES ont tendance à être petites et le secteur est peu
organisé en Tunisie, ce qui entrave souvent la conclusion de partenariats public-privé avec
l’administration centrale. À l’échelon local toutefois, de nombreux exemples concluants
démontrent le potentiel de collaboration public-privé dans le domaine des services.

3. caractéristiques de l’entrepreneuriat social en Tunisie

Selon une étude menée par la banque mondiale (2016) les principales conclusions sont les
suivantes :

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• Maturité : Le secteur des ES est relativement jeune en Tunisie. La majorité des ES
ont été créées après 2011, et 25 % depuis moins de deux ans. La plus ancienne ES de
la base de données, La Ferme Thérapeutique pour Handicapés, à Ariana, a été fondée
en 2008.

• Taille : Les ES sont généralement de petite taille et comptent en moyenne moins de 50


employés. 1/3 d’entre elles ont au plus cinq employés rémunérés et dépendent souvent
de l’aide volontaire de leurs communautés.

• Répartition sectorielle : Les principaux secteurs d’activité de la majorité des ES


tunisiennes sont l’agriculture, l’artisanat, le tourisme et l’environnement. La prestation
de services de base par les ES reste rare, mais la majorité ciblent les populations
défavorisées (jeunes, femmes, handicapés et personnes âgées) en tant que principaux
bénéficiaires.

• Répartition régionale : La région de Tunis est le principal centre du pays, mais leur
aire de répartition est vaste et comprend les régions intérieures, telles que Sidi Bouzid,
Médenine (dans le sud-est) et Jendouba (dans le nord-ouest). Il va de soi que les ES
des régions rurales sont davantage axées sur l’agriculture, la subsistance,
l’écotourisme et l’artisanat.

• Innovation : Les activités des ES sont généralement caractérisées par l’innovation sur
le plan des services. Ces innovations comblent un vide dans la prestation des services
(par exemple, aide aux personnes âgées), en améliorant l’efficacité des services (par
exemple, entreprise de recyclage des déchets recourant aux acteurs du secteur informel
de l’économie) ou leur couverture des zones reculées (par exemple, soins de santé).
Parmi d’autres exemples d’innovation des ES tunisiennes, citons : l’établissement de
coopératives citoyennes d’achat, la mise en réseau de jeunes entreprises, la création de
moyens de subsistance à petite échelle, et la formation et le transport des groupes
vulnérables.

• Utilisation de la technologie : Rares sont les ES qui utilisent judicieusement la


technologie, mais certaines d’entre elles tirent parti des TIC pour atteindre des

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populations mal desservies (diagnostic sanitaire) et transformer des problèmes graves
d’environnement en opportunités.
• Collaboration avec l’État : Certaines ES participent à la fourniture de services
municipaux. Dans le domaine de la gestion des déchets solides, plusieurs ES
collaborent ainsi avec les municipalités à la collecte des déchets. Leur relation avec les
collectivités locales n’a toutefois pas encore de caractère officiel. Les accords officiels
entre les entrepreneurs sociaux et les municipalités restent rares.

4. politique de l’état

Plusieurs initiatives menées dans le cadre du programme d’économie sociale et solidaire


illustrent l’intérêt et le soutien croissant de l’État à l’égard de l’entrepreneuriat social :

• Le contrat signé par l’État tunisien annonçant la construction d’une économie solidaire
et intégrée promouvant la reprise économique et le développement des possibilités
d’emploi. Ce contrat vise à améliorer la conjoncture économique, l’investissement,
l’innovation, l’entrepreneuriat et la création d’entreprises durables, à haute valeur
ajoutée, compétitives et porteuses d’emplois. Il fait également référence au
renforcement du rôle des sociétés mutuelles pour réduire les inégalités sociales.

• La conférence nationale tripartite sur l’économie sociale et solidaire organisée le 19


mai 2015 et sa déclaration.

• Le plan de développement quinquennal de la Tunisie 2016-2020, qui comprend une


section sur la promotion du développement de l’économie sociale dans le pays.

• La déclaration pour l’emploi, prononcée par l’État tunisien le 29 mars 2016, en


présence du Secrétaire général de l’ONU, du Président de la Banque mondiale et du
Directeur général de l’OIT.

• L’accord de Carthage, qui définit les priorités du gouvernement, signé le 13 juillet


2016 par l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), l’Union Tunisienne de

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l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA), l’Union Tunisienne de
l’Agriculture et de la Pêche (UTAP) et les principaux partis politiques.

La concertation lancée par l’État tunisien sur les ES regroupe l’UGTT et les autres principales
parties concernées, y compris les incubateurs d’ES. Début 2016, l’UGTT a préparé un projet
de loi définissant les principes des entreprises sociales :
• Gestion démocratique
• Traitement équitable des employés
• Indépendance vis-à-vis de l’État

5. Cadre juridique

Ce projet de loi a été élaboré par un groupe d’experts, il a été adopté par l’assemblée
représentative du peuple tunisien en Juin 2020 son utilité et son impact dépendront des
mécanismes de mise en œuvre, notamment de la création et du fonctionnement d’un organe
d’accréditation, de la clarté et de l’application effective du statut juridique, et de la pertinence
des mesures de lutte contre l’opportunisme des entrepreneurs avides de profit qui désirent
obtenir le statut d’ES pour minimiser leurs contributions fiscales. (voir annexe)

6. financement

À ce jour, aucune institution financière tunisienne ne cible spécifiquement le secteur qui


dépendent en général, surtout pendant les phases de conceptualisation et d’expérimentation,
des subventions d’organisations internationales telles que la GIZ, la BAD, Oxfam, le PNUD,
l’AFD et l’Union européenne. Pour les mécanismes de financement publics ou soutenus par
l’État (BTS, BFMPE) visent essentiellement les PME classiques et ne sont pas dotés de
guichets de financement spécifiques pour les ES.

Par conséquent, pendant les phases de conceptualisation et d’expérimentation, les


entrepreneurs sociaux sont tributaires : des financements fournis par leurs parents et proches ;
des capitaux d’amorçage/dons (par exemple, Réseau entreprendre) et des fonds providentiels,
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des fonds d’investissement, plus rarement, des prêts consentis par des banques commerciales.
Les ES attirent parfois des investissements intérieurs et étrangers.

Les ES qui ont atteint la phase de croissance se tournent généralement vers les banques
commerciales. Mais en Tunisie, les institutions financières traditionnelles hésitent à prêter aux
ES en raison du risque associé à leur faible marge bénéficiaire et à leur structure de
gouvernance participative.

7. infrastructure et ressources humaines

L’infrastructure matérielle est généralement bonne en Tunisie et ne représente pas une entrave
aux activités des ES.

Le niveau général d’instruction est élevé sur le plan de la quantité, mais la qualité pose
problème, notamment le manque de compétences pratiques des récents diplômés
universitaires. La culture entrepreneuriale est généralement limitée et peu d’idées se
matérialisent sous la forme d’ES de qualité. Qui plus est, le marché du travail tunisien manque
de cadres qualifiés, ce qui pose problème aux ES pendant leur phase de croissance car elles ne
peuvent pas offrir les mêmes salaires que les entreprises à but lucratif.

De nombreuses formations supérieures de commerce et d’entrepreneuriat sont offertes en


Tunisie (bien qu’elles ne visent pas spécifiquement l’entrepreneuriat social) :

• Institut Supérieur de Gestion de Tunis (ISG),


• Master en marketing entrepreneurial à l’Université de Sousse,
• Master en entrepreneuriat à Sfax,
• Master en entrepreneuriat à l’École Supérieure de Commerce de Manouba,
• Programme axé sur l’innovation de l’École supérieure d’ingénieurs de Tunis
(ENACTUS).
• Master professionnel en économie sociale et solidaire offert par l’Institut National du
Travail et des Études Sociales

Mais le nombre de diplômés employés par des ES ou créant leur propre ES est inconnu.

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8. conclusion

L’entrepreneuriat social peut soutenir le développement de la Tunisie de diverses manières :


• À court et moyen terme, les ES peuvent contribuer à combler les lacunes existant au
niveau des services publics visant les populations désavantagées.
• À moyen terme, les ES peuvent contribuer à l’intégration des jeunes et des femmes
dans la population active, et améliorer la prestation de services d’un bon rapport coût-
efficacité grâce à une collaboration public-privé.
• À long terme, les ES peuvent améliorer la cohésion économique et sociale et les
avantages économiques grâce à des initiatives de développement locales et à la
prestation de services décentralisés, ainsi qu’à la création d’emplois pour les groupes
peu intégrés à la population.

Bien que les ES soient promises à devenir des vecteurs importants du développement social et
économique, d’importants obstacles devront être confrontés pour qu’elles puissent atteindre
leur plein potentiel. Et si leur nombre augmente en Tunisie, leur stade de développement est
encore précoce. La majorité des ES tunisiennes sont toujours au stade de conception ou
d’expérimentation, et rares sont celles à avoir atteint une taille raisonnable. Les ES recensées
ont noué des partenariats relativement peu développés, y compris avec l’État, et ne recourent
pas suffisamment à l’innovation et à la technologie. Ces conclusions sont confirmées par les
parties concernées, qui notent le manque de projets d’ES « vendables » et attrayants pour les
investisseurs.

Pour que les pouvoirs publics réalisent le plein potentiel des ES, il est essentiel que leur
nombre et leur taille augmentent. Cela suppose de réduire les obstacles à leur création et à leur
croissance, qui dépendent en partie de l’appareil gouvernemental.

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