Apha Sie
Apha Sie
Apha Sie
Aphasie
F. Viader, J. Lambert, V. de la Sayette, F. Eustache, P. Morin, I. Morin, B. Lechevalier
L’aphasie peut être envisagée sous plusieurs angles : une approche dite « classique » centrée sur la
sémiologie et les syndromes en référence à une taxonomie (aphasie de Broca, de Wernicke, etc.) ; une
approche cognitive qui s’attache à préciser le ou les mécanismes déficitaires à l’origine de la sémiologie
observée en s’appuyant sur des modèles théoriques. Les principaux niveaux de perturbation peuvent être
recherchés au plan lexical (production et compréhension des mots) ou aux plans morphosyntaxique et
discursif ; la prise en compte des capacités de communication élargit la recherche de dysfonctionnements
au niveau pragmatique, dans les aspects coverbaux et non verbaux et dans les interactions entre patient
et entourage. Chacune de ces approches s’appuie sur des outils d’évaluation spécifiques et donne lieu à
des orientations thérapeutiques différentes. Celles-ci sont complémentaires et peuvent être envisagées
chez un même individu à des temps différents ou non. La prise en charge repose, comme toujours en
médecine, sur un diagnostic exact, d’abord par une identification clinique du trouble du langage, puis par
l’imagerie cérébrale qui permet le plus souvent de le rapporter à sa cause.
© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Plan Répétition 16
Compréhension 17
Modèles connexionnistes interactifs 17
¶ Introduction 2
¶ Troubles du langage écrit 17
¶ Examen d’un sujet aphasique 2
Données de la méthode anatomoclinique 17
Définition de l’aphasie 2
Apport de la psychologie cognitive 18
Examen clinique des troubles linguistiques des aphasies :
Approche connexionniste 20
les méthodes 2
Cotation et analyse des résultats 3 ¶ Neurobiologie des aphasies 20
Perturbations aphasiques : les signes 3 Corrélations anatomocliniques des syndromes aphasiques 20
Limites des bilans 5 Corrélations anatomocliniques des symptômes aphasiques 23
Cerveau et langage 24
¶ Étude clinique des aphasies 5
Apports de l’imagerie fonctionnelle 24
Aphasie de Broca 6
Aphasie de Wernicke 7 Langage et préférence manuelle 25
Aphasie de conduction 7 ¶ Troubles de la parole en dehors de l’aphasie 25
Aphasie globale 7 Troubles de la voix (dysphonies) 26
Aphasies transcorticales 7 Troubles de l’articulation (dysarthries) 26
Aphasie amnésique 8 Bégaiement 27
Aphasies sous-corticales 8 ¶ Aphasie de l’enfant 27
Aphasies croisées 9 Sémiologie 27
Troubles de la communication verbale dans les lésions Étiologies 27
de l’hémisphère droit chez le droitier en dehors Pronostic et récupération 28
des aphasies croisées 9 « Prix de la récupération » 28
¶ Étiologies des aphasies 9 Syndrome de Landau-Kleffner 28
Aphasies d’origine vasculaire 9 Prise en charge des enfants aphasiques 28
Tumeurs 11 ¶ Rééducation des troubles du langage 28
Aphasies de cause infectieuse et inflammatoire 11 Récupération spontanée 28
Aphasie et épilepsie (en dehors du syndrome de Landau-Kleffner) 11 Stratégies de rééducation 29
Aphasies post-traumatiques 11 Mise en œuvre de la rééducation 29
Démences 12 Évaluation 30
Langage des schizophrènes 13 Intervention : questions pratiques 30
¶ Aphasie et neuropsychologie cognitive 13 Aspects médicaux et psychologiques 30
Architecture du système lexical 14 Prescription 31
Dénomination 14
Neurologie 1
17-035-A-96 ¶ Aphasie
■ Introduction
On a volontiers tendance à opposer une neuropsychologie
« clinique » d’autrefois, entièrement dédiée au diagnostic
“ Point important
topographique des lésions, à une neuropsychologie « cognitive » Langage, parole, phonème
d’aujourd’hui, qui, déchargée de ses servitudes médicales par la Le langage est une fonction abstraite pouvant être
neuro-imagerie moderne, pourrait se consacrer pleinement à matérialisée en expression orale par la parole et en
l’élucidation du fonctionnement cérébral. Ce dilemme n’est expression écrite par l’écriture.
qu’apparent, et l’étude des aphasies l’illustre de façon éclatante.
La parole est un acte moteur particulièrement complexe
Loin de détourner les cliniciens de l’aphasiologie, les progrès de
l’imagerie diagnostique leur ont permis d’affiner la connaissance qui nécessite la mise en jeu et la coordination des organes
des phénomènes pathologiques en multipliant les confronta- de la phonation, le larynx et de l’appareil buccopharyngé.
tions clinicolésionnelles autrefois subordonnées à la neuropa- Le son de la voix, support de la parole, est produit au cours
thologie. Les rudes controverses passées entre localisationnistes de l’expiration par la vibration des cordes vocales. Il est
et noéticiens ont fait place à des échanges plus productifs caractérisé par des paramètres d’intensité (fonction de la
autour de schémas à double face anatomique et fonctionnelle, pression sous-glottique), de timbre et de hauteur. Il est
arbitrés par les études d’imagerie fonctionnelle conduites tant ensuite modifié dans les espaces supraglottiques.
chez les patients que chez les volontaires sains. Enfin, les Les phonèmes constituent les sons de la parole. Leur
modèles inspirés de la psycholinguistique sont devenus moins articulation est assurée par les cavités de résonance
ardus et plus accessibles aux cliniciens, lesquels savent désor-
supralaryngées (pharynx, nez, bouche, lèvres) qui sont
mais y reconnaître un moyen d’affiner leur connaissance des
.
phénomènes pathologiques, mais aussi une arme thérapeutique elles-mêmes délimitées par la position de la langue et du
rendue plus efficace par une délimitation plus précise des cibles voile du palais. Ils résultent de la réalisation quasi
de la rééducation. concomitante d’un groupe bien défini de traits
phonétiques. Le système phonologique français
comprend des sons vocaliques (11 à 15, selon les
■ Examen d’un sujet aphasique variantes), des sons consonantiques (17) et des semi-
consonnes (3). Du point de vue de la phonétique
Définition de l’aphasie articulatoire, les phonèmes représentent des entités
Parmi les nombreuses définitions de l’aphasie, nous retenons phonologiques décomposables en un faisceau de traits
celle de Damasio [1] qui regroupe les caractéristiques différen- articulatoires et acoustiques organisés dans un système
tielles les plus importantes. L’aphasie représente « la perturba- binaire. Classiquement, les voyelles sont définies à travers
tion de la compréhension et de la formulation des messages les traits (ouvert versus fermé, antérieur versus postérieur,
verbaux qui résulte d’une affection nouvellement acquise du arrondi versus étiré, oral versus nasal), les consonnes par
système nerveux central ». Chacun des termes de cette défini- les traits liés au mode d’articulation (occlusif versus
tion permet de différencier l’aphasie d’autres pathologies et constrictif), au point d’articulation (labial versus dental,
déviations linguistiques : palatal ou vélaire), au délai d’établissement de voisement
• nouvellement acquise versus troubles du langage congénitaux
(sourd versus sonore) ainsi que par l’opposition oral versus
ou du développement ;
• du système nerveux central versus utilisation déviante du
nasal. Du point de vue de la phonétique acoustique, les
langage en rapport avec un usage social particulier ou une sons du langage sont des sons complexes, c’est-à-dire
affection psychogène ; comportant un son fondamental et des harmoniques. Les
• messages verbaux versus trouble de la communication gestuelle voyelles sont des sons périodiques (chaque harmonique
ou émotionnelle ; est un multiple du fondamental). Les consonnes sont des
• compréhension des messages verbaux versus troubles perceptifs bruits, c’est-à-dire des sons non périodiques dont le
auditifs (surdité) ou visuels (cécité) ; spectre de fréquence est plus étendu que celui des
• formulation des messages verbaux versus troubles de la phona- voyelles. Toutefois, les consonnes sonores sont produites
tion ou de l’articulation. avec des vibrations laryngées. Les consonnes peuvent être
Enfin, Damasio différencie l’aphasie des troubles du langage
caractérisées par les transitions de formants consonne-
pouvant être observée dans les états de confusion mentale
faisant suite à une altération de la conscience.
voyelle.
2 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96
• l’exploration des automatismes verbaux est induite par l’évo- s’effectuer sans recours à l’évocation orthographique du mot.
cation des jours de la semaine, des mois de l’année, des Une large place est faite à l’écriture sous dictée. Le choix des
nombres de 1 à 20 ou encore par la complétion de phrases items tient compte d’un certain nombre de variables linguisti-
et de proverbes ; ques telles que la fréquence, la longueur, la classe (il s’agit le
• la répétition est explorée à partir de syllabes, de mots et de plus souvent de substantifs), la régularité versus l’ambiguïté ou
phrases. Le choix des syllabes et des mots tient compte de la encore l’irrégularité orthographique (bac-pharmacien-femme).
complexité des mécanismes articulatoires et de la combina- L’effet de lexicalité (mot versus non-mot) est peu étudié dans les
toire du système phonologique français. Les phrases se tests. Les phrases peuvent s’opposer suivant leur longueur ou
distinguent suivant la longueur, la prédominance d’items leur forte charge en items lexicaux versus grammaticaux.
lexicaux versus grammaticaux ou encore le contenu sémanti-
que concret versus abstrait. La recherche d’un effet lexical Étude des praxies buccofaciales
(mot versus non-mot) est plus rarement effectuée ; Elle permet d’apprécier la motilité volontaire des organes
• la lecture à haute voix permet d’apprécier les capacités de buccofaciaux.
verbalisation du langage écrit indépendamment des capacités
de compréhension. Le matériel proposé comprend des mots Cotation et analyse des résultats
et des phrases dont le choix a été guidé par les mêmes
L’examen du langage des patients aphasiques donne lieu à
variables psycholinguistiques retenues pour la répétition.
une cotation quantitative et qualitative. La cotation quantitative
s’exprime à travers des scores (points ou pourcentages) compta-
Étude de la compréhension orale bilisés pour chaque subtest. Elle permet d’effectuer des compa-
Elle fait appel classiquement à des épreuves de désignation raisons entre épreuves ou même à l’intérieur d’une épreuve
d’images à partir d’une production verbale énoncée par l’exa- suivant les variables étudiées. La cotation qualitative répertorie
minateur. Cette désignation s’effectue toujours en situation de les types d’erreurs et éventuellement les modes de facilitation
choix multiple. Le choix multiple est très variable d’un test à un efficaces. Ces données quantitatives et qualitatives sont repor-
autre. Une première série d’épreuves étudie la compréhension tées sur des grilles d’analyse qui visualisent plus aisément le
au niveau lexical : appariement d’un mot entendu avec sa profil de perturbations et le syndrome aphasique auquel il
représentation picturale. Les subtests sont construits de sorte s’apparente.
que le choix multiple proposé comporte un ou plusieurs Le recueil de ces données ne doit pas s’effectuer sans un
distracteurs : phonémique (poule/moule), sémantique (bouton/ certain nombre de mises en garde. Toute tentative d’interpréta-
fermeture éclair), visuel (bouton/roue). Une seconde série tion des performances nécessite d’avoir suffisamment d’infor-
d’épreuves étudie la compréhension au niveau lexical, syntaxi- mations sur le niveau socioculturel et professionnel, le niveau
que et morphologique : appariement d’une phrase entendue scolaire et le comportement linguistique habituel du patient.
avec une image. Les oppositions entre la cible et les distracteurs L’interprétation d’un score bas à une tâche nécessite de
peuvent se situer sur le plan lexical (stimulus entendu confronter les résultats obtenus à différentes épreuves. Étant
« l’homme mange », images : l’homme boit, la femme boit, donné la pluralité des canaux sensoriels sollicités lors d’une
l’homme mange, la femme mange), sur le plan morphosyntaxi- même tâche, l’examinateur doit toujours déterminer si l’échec
que (stimulus entendu : « la petite fille montre la dame qui du patient est dû à une défaillance de la fonction linguistique
pousse le bébé », stimuli représentés : la petite fille qui montre supposée être testée ou du canal sensoriel utilisé pour évaluer
la dame pousse le bébé, la petite fille que montre la dame cette fonction. Aussi, lorsqu’une épreuve de désignation
pousse le bébé, la petite fille montre la dame qui pousse le d’images à partir d’un mot oral est perturbée, les questions
bébé). Dans le premier cas, la compréhension s’appuie sur suivantes doivent-elles être posées : s’agit-il d’un déficit de
l’intégration lexicosémantique, dans le second, elle met en jeu perception visuelle en rapport avec l’image présentée ? d’un
l’intégration des procédés syntaxiques. Les épreuves précédem- déficit de perception auditive ou d’un défaut de compréhension
ment citées utilisent un support visuel (l’image), d’autres font de niveau linguistique ? Ce dernier peut lui-même être imputé
appel à une réponse gestuelle et requièrent des praxies gestuelles à différents niveaux de perturbation dans le cadre d’une
intactes comme l’exécution d’ordres simples et complexes. interprétation cognitive.
D’autres encore demandent une réponse orale minimale à une
question (oui/non : est-ce qu’une pierre coule dans l’eau ?). Perturbations aphasiques : les signes
Étude de la compréhension écrite Expression orale
Elle est évaluée par des épreuves d’appariement mot/image et Troubles de la fluence
phrase/image qui suivent des principes identiques à ceux
La taxonomie distingue les aphasies fluentes (aphasie de
évoqués pour la compréhension orale. Il s’agit d’épreuves
Wernicke, aphasie de conduction) des aphasies non fluentes
d’appariement en choix multiple mais, dans ce cas, le « mot
(aphasie globale, aphasie de Broca). La fluence désigne le
écrit » reste en permanence à la vue du patient. De la même
nombre de mots émis par minute, environ 90 chez un sujet
façon, on peut choisir des distracteurs ayant, avec la cible, des
normal. Elle est évaluée au cours du langage spontané ou de la
similarités sur le plan phonologique, sémantique ou visuel. Pour
description de scènes imagées et dépend du nombre de pauses
les phrases, le choix est fonction du contenu lexical et de la
ou de leur allongement. Elle doit être différenciée de la dispo-
structure syntaxique. Certains tests proposent des épreuves
nibilité lexicale, couramment appelée fluence verbale, que l’on
reposant uniquement sur la lecture, sans recours à une repré-
évalue par des tâches d’évocation lexicale consistant à donner
sentation iconographique : il s’agit d’associations de segments
en un temps limité le plus grand nombre possible de mots en
de phrases et de textes à partir d’un choix multiple de phrases.
suivant une contrainte déterminée, sémantique (animaux) ou
Le récit d’une histoire lue peut être demandé aux patients ne
formelle (lettre p). Un aphasique peut à la fois être « fluent »,
présentant pas de troubles importants de l’expression orale. Des
c’est-à-dire parler abondamment, et avoir une faible disponibi-
tâches de discrimination littérale et verbale (HDAE) explorent
lité lexicale.
plus particulièrement les capacités d’analyse visuelle des stimuli.
Déviations phonétiques
Étude de l’expression écrite Elles affectent la réalisation articulatoire d’un phonème. Les
Elle comporte plusieurs subtests : expression écrite spontanée, troubles articulatoires se traduisent sur le plan acoustique par des
narration écrite, dénomination écrite portant sur le même type distorsions phonétiques. Les phonèmes sont difficilement
d’items qu’en expression orale. L’écriture de l’alphabet ainsi que identifiables. Classiquement, on distingue les distorsions de type
le nom et l’adresse étudient les modes d’expression écrite les parétique liées à une faiblesse articulatoire, les distorsions
plus automatisés. La copie de mots et de phrases met en jeu des dystoniques liées à l’excès de force articulatoire et les perturba-
procédures de transposition visuographiques qui peuvent tions de type dyspraxique. Ces troubles articulatoires sont isolés
Neurologie 3
17-035-A-96 ¶ Aphasie
dans l’anarthrie (appelée encore désintégration phonétique ou Les erreurs verbales formelles sont des substitutions lexicales
apraxie de la parole). Ils sont plus fréquemment observés en entretenant avec l’item cible non pas une relation sémantique,
association à d’autres déficits linguistiques dans les aphasies mais une relation de forme (ressemblance phonologique)
« antérieures » comme l’aphasie de Broca que dans les lésions (bateau → râteau). Enfin, les erreurs verbales n’entretiennent ni
postérieures. Les aspects dyspraxiques de la parole peuvent être relation sémantique, ni relation de forme avec l’item cible
observés en l’absence d’apraxie buccofaciale. Ils relèvent des (bateau → patte). Ces paraphasies peuvent avoir la même
désordres dans la programmation du geste articulatoire. Ils origine que les paraphasies phonémiques et résulter de la
frappent par leur variabilité chez un même patient (au gré d’une substitution ou de l’omission de phonèmes (caneton →
dissociation automaticovolontaire et du contexte vocalique ou /katf...kanf/, canon). Une grande abondance d’erreurs sémanti-
consonantique). Ils se démarquent des troubles articulatoires des ques ou d’erreurs verbales réalise un tableau de jargon sémanti-
dysarthries [6] qui relèvent d’atteintes d’étapes plus périphéri- que ou de jargon verbal.
ques des mécanismes articulatoires et se caractérisent par la Les paraphasies extravagantes désignent des substitutions par
stabilité des réalisations. des syntagmes verbaux qui partagent ou non des liens séman-
tiques avec la cible et qui comportent souvent des mots
Mutisme abstraits ou peu fréquents (un sifflet → une sucette d’école ; un
La suspension du langage peut être totale, parfois même berceau → une auberge de jeunesse ; un loup → un Mathieu
aucun son n’est émis. On distingue les mutismes liés principa- sevré d’un vol). Elles sont associées à des lésions sous-corticales.
lement à des difficultés articulatoires, et qui vont évoluer Les erreurs de lexicalisation désignent la substitution d’un non-
rapidement vers une anarthrie, de ceux qui résultent de pertur- mot par un mot, en répétition par exemple (« brupa » →
bations linguistiques de plus haut niveau, notamment lexical. « brutal »).
Enfin, le mutisme akinétique survient dans le contexte d’une
perte globale de l’initiative motrice. Autres
La stéréotypie est une production itérative, stable (syllabe, mot,
Paraphasies (les termes de paraphasie ou d’erreur sont utilisés
syntagme) que le patient ne peut inhiber et qui surgit lors de
pour les troubles observés en expression orale)
toute tentative d’émission orale. Les persévérations sont des
Erreurs phonémiques. Ce sont des transformations qui productions en rapport avec un mot précédemment émis. À la
affectent la forme phonologique du mot. Les productions ne différence de la stéréotypie, elles varient au cours de l’examen.
sont pas des mots de la langue. Toutefois, le mot cible est L’écholalie est la répétition du dernier mot ou segment de phrase
reconnaissable et les productions peuvent aisément être trans- émis par l’interlocuteur. Ce comportement s’observe principale-
crites à l’aide de l’alphabet phonétique international. Les erreurs ment dans les aphasies transcorticales sensorielles ou les
portent sur la substitution, l’omission, l’ajout ou la transposi- atteintes frontales. La palilalie est la répétition du mot ou
tion d’un ou plusieurs phonèmes du mot (ex : baleine/balEn/→/ fragment de mot que le patient vient d’émettre. Elle s’observe
banEn/, champignon /兰ãpiNf/ → /兰ãpf/, bottes/bOt/ → /bOlt/, dans les syndromes extrapyramidaux.
carotte/kaROt/ → /ga 兰 Ot/). Lorsque le mot cible n’est plus
identifiable (éléphant → /benEm/) et que la production est très Agrammatisme
éloignée du mot cible (moins de 50 % de phonèmes communs), Il est défini par un trouble de l’agencement syntaxique et de
le terme de néologisme est utilisé. Le jargon phonémique ou la morphologie des phrases dû à une utilisation insuffisante ou
néologique rend compte de la fréquence des néologismes dans défectueuse des morphèmes grammaticaux libres (articles,
l’expression. Plus récemment, le terme « erreur segmentale » a prépositions, pronoms) ou liés (flexions concernant le genre, le
été préféré à celui de « paraphasie phonémique » dans le but de nombre, le temps). Classiquement, le terme d’agrammatisme
rester neutre quant à la nature de ces erreurs. Leur interpréta- était réservé aux perturbations allant dans le sens d’une
tion est en effet complexe : il est parfois difficile de savoir si réduction (« style télégraphique » des aphasies de Broca), tandis
l’erreur est due à un trouble phonologique ou à un trouble de qu’une désorganisation dans l’utilisation des procédés syntaxi-
la programmation des gestes moteurs articulatoires. ques et des mots fonctionnels était qualifiée de dyssyntaxie ou
Troubles affectant les mots. Le manque du mot est le signe de paragrammatisme. La distinction entre agrammatisme et
le plus courant, il est présent quel que soit le type d’aphasie. Ce paragrammatisme semble aujourd’hui moins forte. L’agramma-
défaut d’évocation lexicale, dont les origines peuvent être tisme peut être associé ou non à un trouble de compréhension
diverses, réduit la qualité informative du langage. Il peut de même nature.
toucher le lexique dans son ensemble ou ne se manifester que
lors de la recherche d’items appartenant à certaines classes de Éléments modalisateurs
mots (noms versus verbes) ou à certaines catégories sémantiques Ils représentent les productions par lesquelles le patient
(objets biologiques versus objets manufacturés). Il peut céder ou communique ses difficultés (oui ça, je le savais bien... j’ai du
non à des facilitations (ébauche orale, fin de phrase). Le patient mal là ; ah non c’est pas ça... j’arrive pas à trouver les mots...).
peut parfois donner le déterminant (c’est un...), employer des
circonlocutions en rapport avec le mot cible (manteau : oui ; je Apraxie buccofaciale
sais ; j’en mets un en hiver) ou enfin produire un mot de
« remplissage » (truc... ; machin...). Indépendante de toute perturbation motrice ou sensorielle
élémentaire, elle se traduit par l’impossibilité d’exécuter
Les erreurs lexicales sont les substitutions du mot cible par un
volontairement certains gestes buccofaciaux qui peuvent en
mot appartenant au lexique et comprennent plusieurs possibi-
revanche être produits de façon automatique ou réflexe. Elle est
lités. Les erreurs sémantiques partagent des liens sémantiques
fréquemment associée à l’aphasie.
avec l’item cible (soleil → ciel). Les liens sont répertoriés suivant
une classification linguistique de type hiérarchique. Ainsi pour
Dysprosodie
les cibles, a-chien et b-voiture : hyperonyme (a-animal, b-objet),
co-hyponyme (a-loup, b-camion), hyponyme (a-dogue, b-R5), La prosodie permet, par des variations de la fréquence
relation contextuelle (a-os, b-route), évocation d’attributs fondamentale et par des éléments rythmiques, d’introduire dans
(a-patte, b-roue), lien fonctionnel (a-aboie, b-route). Les erreurs le discours des nuances linguistiques et des contenus émotion-
visuosémantiques sont des productions qui partagent des traits nels. La prosodie linguistique est marquée par des variations
visuels et des propriétés sémantiques avec la cible présentée d’intonation (phrase déclarative, interrogative, exclamative) ou
dans une modalité visuelle : mouton → chèvre ; pêche → d’accentuation (insistance sur un mot dans une phrase). Dans
pomme peuvent être notées comme visuosémantiques, alors d’autres langues que le français, ces variations portent sur
que les réponses mouton → canard ou pêche → raisin sont l’accentuation syllabique dans un mot (stress en anglais) ou sur
classées en erreurs sémantiques. Cette catégorie permet d’éviter des variations tonales (dans des langues dites à tons). D’autres
une interprétation trop hâtive des erreurs observées. facteurs comme la durée des segments ou l’intensité et le timbre
4 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96
participent à la prosodie. Dans les aphasies non fluentes comme Erreurs de réalisation graphique
l’aphasie de Broca et les formes avec trouble articulatoire,
Elles affectent la réalisation de la lettre et perturbent l’agen-
l’augmentation de la durée des segments phonémiques et des
cement de ses traits constitutifs : barres horizontales ou vertica-
pauses ainsi que les difficultés de contrôle de paramètres comme
les, hampes supérieures ou inférieures, boucles. La production
la hauteur et l’intensité perturbent le contour mélodique et la
ne correspond pas à une vraie lettre et peut être difficilement
place des accentuations. La courbe mélodique est plate ou bien,
identifiable. De même que pour la lecture, des erreurs dériva-
dans certains cas, les modifications donnent un tableau de
tionnelles, sémantiques, verbales ou de lexicalisation peuvent
prosodie étrangère (appelé encore syndrome d’accent étranger) :
être relevées.
la dysprosodie anglosaxonne est surtout liée à des troubles
parétiques des organes buccopharyngés, la dysprosodie de type
germanique est liée à des phénomènes dystoniques et aux Limites des bilans
difficultés de production des groupes consonantiques. La Ces protocoles ne s’intéressent qu’aux capacités linguistiques
prosodie émotionnelle exprime les états affectifs (joie, colère, et les évaluent de surcroît lors de situations de langage très
surprise, tristesse). Chez les cérébrolésés gauches, les études arbitraires, fort éloignées des comportements linguistiques
insistent sur la prédominance des altérations de la fonction habituels qui reposent, eux, sur des situations d’échange. Ils
linguistique de la prosodie : interrogation, affirmation, ordre. s’opposent sur ce point aux échelles qui visent à évaluer le
Chez les sujets cérébrolésés droits, les modifications les plus retentissement de l’aphasie sur les activités de la vie quoti-
importantes touchent la fonction émotionnelle : colère, joie, dienne : l’échelle de communication verbale de Bordeaux, le test
tristesse. lillois de communication (2002) ou d’autres qui s’attachent aux
habiletés de communication à travers les dimensions lexicosé-
Erreurs en lecture
mantiques, mais aussi prosodiques, discursives et pragmati-
La lecture à haute voix fait appel à des mécanismes de ques comme le protocole Montréal d’évaluation de la
production orale, et peut donc subir des perturbations dans les communication (2004), qui sont de plus en plus utilisées dans
mêmes domaines : articulatoire, phonémique, et même séman- les aphasies, mais aussi chez les cérébrolésés droits et les
tique. D’un autre côté, elle met en jeu des processus qui lui sont déments [7].
propres et dont la perturbation s’exprime à travers des erreurs Une autre limite concerne le niveau d’analyse des troubles.
spécifiques. Le terme de paralexie (phonémique, verbale, Les bilans font l’inventaire des signes cliniques et aident à
sémantique) est souvent employé. classer l’aphasie du patient suivant une taxonomie de référence.
Cette opération suffit en général au neurologue pour poser un
Erreurs visuelles
diagnostic, discuter les corrélations clinicolésionnelles et en
Elles désignent les substitutions du mot-cible par un mot de déterminer les implications médicales, mais elle apporte peu
forme écrite proche (bouquet → baquet). Elles peuvent affecter d’informations sur les mécanismes du langage perturbés. Cette
uniquement la partie gauche (dessin → bassin) ou la partie lacune est aujourd’hui comblée par l’approche cognitiviste qui,
droite (compléter → complexe) d’un mot lors de déficits en appliquant des grilles d’analyse inspirées par la linguistique,
hémi-attentionnels. vise à exploiter les troubles causés par la pathologie en vue tout
à la fois d’élaborer des modèles théoriques du langage normal
Erreurs phonologiquement plausibles
et de prédire les conséquences de leurs dysfonctionnements [8,
Elles traduisent un décodage phonologique correct des unités 9]. Notons en outre que l’examinateur dispose d’outils autres
sous-lexicales (graphèmes), mais un non-respect des règles que ces échelles globales permettant de compléter les investiga-
contextuelles ou de l’irrégularité orthographique (cidre → /kidR/, tions dans des domaines spécifiques (par exemple DO 80 de
gars → /gaR/, oignon → /wagf/). Deloche et Hannequin [10] pour l’accès lexical et Lexis de Partz
et al. [11] pour l’accès et la compréhension lexicoséman-
Erreurs phonémiques ou non phonologiquement plausibles
tique) [7].
Il s’agit de productions qui ne correspondent pas à un mot Enfin, au-delà de son intérêt purement scientifique, l’analyse
de la langue et qui contiennent des substitutions, des ajouts, des neurolinguistisque permet, par sa précision, de saisir les
omissions ou des transpositions de phonèmes par rapport au singularités de chaque cas d’aphasie et constitue à ce titre un
mot cible. complément indispensable à la rééducation [12].
Erreurs dérivationnelles ou morphologiques
La production est un mot erroné, mais qui respecte le
morphème racine du mot-cible (rêve → rêveur).
■ Étude clinique des aphasies
À la fin du XIXe siècle, la classification des aphasies n’était
Erreurs de lexicalisation
fondée ni sur leur caractère sémiologique, ni sur le siège
On décrit également des erreurs de lexicalisation (cf. supra). anatomique des lésions responsables, mais sur un modèle
prévoyant une stricte correspondance terme à terme entre les
Erreurs en expression écrite éléments de ces deux registres. Il était admis que les mots,
On les désigne par l’appellation « paragraphies ». unités constitutives du langage, étaient représentés dans le
cerveau sous forme d’« images » au niveau de centres corticaux,
Erreurs non phonologiquement plausibles dont au moins trois étaient bien individualisés sur le plan
Elles comprennent toutes les erreurs ne respectant pas la anatomique : images motrices (aire de Broca), images auditives
phonologie du mot en raison de la substitution, de l’omission, (aire de Wernicke), images visuelles (pli courbe). Ces centres
de l’ajout ou de la transposition d’une ou plusieurs lettres étaient connectés : 1) entre eux, 2) avec le centre cortical de
(carabine → caribe). Les termes de paragraphie « phonémique » l’idéation, et 3) avec les récepteurs et effecteurs (périphériques
ou même « graphémique » sont moins employés actuellement. et donc « sous-corticaux »), chaque centre ayant son effecteur
Une grande abondance de ce type de perturbation réalise un ou récepteur propre. La fonction des centres était d’élaborer le
tableau de jargonagraphie. langage intérieur, le centre de l’idéation avait pour tâche de
transmettre la pensée aux centres du langage, et les effecteurs et
Erreurs phonologiquement plausibles récepteurs assuraient la mise en œuvre des fonctions du
Elles ne respectent pas l’orthographe spécifique du mot, mais langage. De ce modèle anatomofonctionnel découlait naturelle-
préservent sa forme phonologique (femme → fame ; second → ment la typologie suivante (Fig. 1) due à Lichtheim :
segon) en utilisant des règles de correspondance phonème- • atteinte des centres = trouble du langage intérieur = aphasies
graphème (le graphème est la représentation écrite d’un pho- corticales (1, 2) ;
nème. Il peut s’agir d’une lettre : f, p, t, a, i ou de plusieurs • dysconnexion entre aire de Broca et aire de Wernicke = apha-
lettres : ou, ph, oin, ch). sie de conduction (3) ;
Neurologie 5
17-035-A-96 ¶ Aphasie
6 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96
Aphasie de Wernicke .
doit pas être confondue avec un état confusionnel ou psycho-
tique, risque d’autant plus grand que les patients sont anoso-
Les synonymes sont : aphasie sensorielle (Wernicke, 1874), gnosiques de leur trouble du langage.
aphasie sensorielle corticale (Lichtheim, 1885), aphasie syntaxi-
que (Head, 1926), aphasie sensorielle centrale (Goldstein, 1948),
aphasie de Wernicke de type I [13, 15]. Aphasie de conduction
Une fluence normale ou exagérée, l’absence de trouble de Les synonymes sont : aphasie centrale [15], aphasie motrice
l’articulation, la production de nombreuses paraphasies, un afférente [13], aphasie de conduction afférente et efférente [16, 20].
langage souvent vide de sens et des troubles importants de la L’existence de l’aphasie de conduction fut postulée dès
compréhension la caractérisent. La fluence ne traduit aucun 1874 par Wernicke. Il supposa qu’une lésion interrompant la
effort de production ; la longueur des phrases est normale et connexion entre le cortex temporal et le cortex frontal devait
leur structure grammaticale globale respectée. L’exagération de entraîner une aphasie caractéristique. Cette hypothèse fut
la fluence peut aboutir à une logorrhée incontrôlable. L’articu- ultérieurement reprise par Lichtheim [13]. L’aphasie de conduc-
lation est normale, la prosodie également, mais souvent mal tion représenterait 10 % à 15 % du total des aphasies [21]. Le
adaptée au contexte. En dépit de la production correcte de langage spontané est fluent (moins que dans l’aphasie de
nombreux mots et d’une syntaxe normale, les pensées et les Wernicke, mais plus que dans l’aphasie de Broca), riche en
sentiments du patient ne peuvent être correctement traduits ; paraphasies. La longueur des phrases est légèrement réduite. Le
seules persistent quelques phrases ou expressions toutes faites. discours est entrecoupé d’hésitations traduisant les tentatives
La production déviante comporte l’addition de nombreuses spontanées d’autocorrection (conduites d’approche phonémi-
syllabes en fin de mots et de mots en fin de phrase, des ques), d’autant plus abondantes que ces patients sont parfaite-
paraphasies verbales et sémantiques, mais aussi phonémiques et ment conscients de leurs difficultés. La dénomination est
des néologismes. Quand la production est, pour l’essentiel, perturbée par des paraphasies phonémiques, ou plus rarement
constituée de paraphasies, le langage peut être totalement sémantiques, de même que la répétition ; les difficultés sont
incompréhensible et aboutir à une jargonaphasie. La répétition parfois éludées par l’emploi d’une périphrase ou d’un syno-
est défectueuse, assez bien corrélée à la compréhension : ce qui nyme. Tous les mots (substantifs, adjectifs, verbes, mots
est correctement compris peut être relativement bien répété et grammaticaux) sont concernés, et plus encore les non-mots. La
réciproquement. Le langage automatique (réciter les jours de la compréhension orale est bonne, avec parfois une difficulté pour
semaine, les mois de l’année, etc.), pour peu que l’attention du des phrases complexes. Comme l’expression orale, la lecture à
patient puisse être captée et qu’il comprenne la consigne, peut haute voix est marquée de paraphasies phonémiques, alors que
être meilleur. En dénomination, le manque du mot est très la compréhension du message écrit reste bonne. L’agraphie est
important, non amélioré par l’ébauche orale et la production de constante, l’écriture spontanée toujours plus perturbée que
paraphasies est fréquente. Alors que les paraphasies constatées l’expression orale. Le graphisme est de bonne qualité et la copie
préservée. La production spontanée ou dictée comporte de
dans le langage spontané sont essentiellement verbales, les
nombreuses paragraphies littérales, une dysorthographie et une
erreurs en dénomination sont plus fréquemment des néologis-
atteinte phonologique prédominante [15]. Les mots grammati-
mes ou des paraphasies phonémiques. Cette fréquente « disso-
caux sont plus souvent omis que les substantifs. La grande
ciation » n’est cependant pas constante, de même que la
difficulté ou l’incapacité d’écriture des non-mots est caractéris-
dénomination peut, dans certains cas rares, être de bonne
tique de l’aphasie de conduction. Les substitutions de lettres
qualité sans que le diagnostic d’aphasie de Wernicke puisse être peuvent rendre l’écriture quasi jargonnante [15]. Il existe, comme
remis en cause. dans l’expression orale, de nombreuses tentatives
Les troubles de la compréhension du langage parlé sont d’autocorrection.
constants. La compréhension peut être nulle. Souvent, un mot L’aphasie de conduction peut exister d’emblée ou faire suite
isolé ou une courte phrase peuvent être compris, mais les à une aphasie de Wernicke. Les symptômes neurologiques
difficultés augmentent rapidement avec l’augmentation du associés comportent une hémihypoesthésie parfois suivie d’un
nombre d’informations. Ainsi à quelques secondes d’intervalle, syndrome douloureux, une asymbolie à la douleur, une quadra-
un mot initialement compris peut ne plus l’être, comme s’il nopsie supérieure ou inférieure ou une hémianopsie, une
existait une « saturation » des capacités de compréhension. Les .
apraxie idéomotrice sur commande verbale mais non en
difficultés deviennent majeures lorsqu’il s’agit de passer d’une imitation et plus rarement une hémiplégie. Le pronostic de
tâche à une autre (par exemple montrer les différents objets de l’aphasie de conduction est favorable.
la pièce, puis désigner sur des images différents animaux). En
revanche, les consignes à référence corporelle (toucher une
partie du corps, bouger un segment de membre, mimer tel ou Aphasie globale
tel mouvement) sont souvent mieux exécutées que les autres L’aphasie globale est une altération sévère de toutes les
tâches. Les phrases longues ou à structure syntaxique complexe fonctions du langage. Le mutisme initial est fréquent, l’expres-
ne sont habituellement pas comprises. sion spontanée est nulle ou très réduite, limitée à une syllabe,
La lecture et la production écrite sont perturbées, parallèle- à quelques mots ou stéréotypies. La compréhension est altérée,
ment à la production orale. Dans l’écriture, les lettres sont bien mais Benson [13] souligne la compétence habituelle de ces
formées et la production abondante. Les caractères sont disposés patients à comprendre le « langage non parlé » (gestes, mimi-
en mots avec de nombreuses paragraphies, verbales et littérales, ques, position du corps) et les inflexions et intonations de la
et aussi des néologismes. Les mots grammaticaux sont mieux voix.
écrits que les substantifs. La copie est meilleure que l’écriture Le déficit neurologique associé est important (hémiplégie,
spontanée ou dictée. Lecours et Lhermitte [19] ont qualifié hémianesthésie, hémianopsie latérale homonyme). De rares
d’aphasie de Wernicke de type III les observations comportant observations sont remarquables par la discrétion ou l’absence de
une compréhension et une expression écrites très inférieures déficit neurologique ; ces dernières pourraient connaître une
aux performances orales (alexie avec agraphie). Que ce soit pour évolution meilleure [22] et indiquer une lésion limitée aux
la compréhension ou pour l’expression, il existe des cas, rares territoires de jonction en avant de l’aire de Broca et en arrière
mais spectaculaires, de dissociation des performances entre l’oral de l’aire de Wernicke [23], une topographie plus habituellement
et l’écrit [15]. rencontrée dans l’aphasie transcorticale sensorielle.
Habituellement, les déficits neurologiques associés à l’aphasie
de Wernicke sont peu marqués (il peut exister une hémiparésie,
des troubles de la sensibilité, une amputation du champ visuel,
Aphasies transcorticales
notamment une quadranopsie supérieure droite). Forme Les aphasies transcorticales sont les aphasies respectant les
d’aphasie fréquente chez le sujet âgé, l’aphasie de Wernicke ne capacités de répétition.
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8 Neurologie
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artères à destinée frontale, rolandique et pariétale antérieure, et Infarctus des territoires de jonction des branches
porte souvent les lenticulostriées externes. Pour cette raison, de la carotide interne gauche
l’occlusion de la branche supérieure à son origine entraîne un Ils épargnent les aires périsylviennes du langage. Dans 75 %
infarctus non seulement superficiel antérieur, mais aussi des cas, ils surviennent en aval d’une occlusion ou d’une
profond, capsulolenticulaire. La branche inférieure vascularise le sténose serrée de la carotide interne, associée à un facteur
cortex temporal et pariétal postérieur. supplémentaire de baisse de la pression de perfusion : polyglo-
L’infarctus sylvien total gauche, dû à une occlusion du tronc bulie, hypotension, cardiopathie [43]. Les infarctus de jonction
de la sylvienne ou de la terminaison carotidienne, s’accompa- antérieurs donnent une aphasie transcorticale motrice ou un
gne d’une aphasie globale. Les infarctus sylviens profonds manque du mot isolé. Dans les accidents de jonction posté-
étendus donnent des syndromes aphasiques variés affectant de rieurs, l’aphasie est le plus souvent transcorticale sensorielle,
façon prédominante l’expression orale (cf. « Aphasies sous- parfois de type Wernicke avec des troubles de la répétition et un
corticales »). Les petits infarctus profonds correspondent le plus jargon. L’aphasie transcorticale mixte aiguë est rare
souvent à des lacunes [35]. Moins de 10 % donnent lieu à une (1/300 AVC), mais hautement évocatrice d’une occlusion
aphasie. Dans ces cas, il s’agirait en fait d’infarctus emboliques, carotidienne [44].
comme semblent l’attester la présence fréquente d’une source
Artère cérébrale postérieure
embolique et les dimensions de la lésion au scanner, plus de
15 mm de diamètre. L’infarctus du territoire superficiel (cortex occipital et
Les occlusions de la branche corticale supérieure donnent lieu temporal inférieur) de l’artère cérébrale postérieure gauche
à des infarctus sus-sylviens. Ces lésions, même si elles intéres- donne une aphasie transcorticale sensorielle aiguë. L’évolution
sent l’aire de Broca, donnent rarement une aphasie durable. En se fait vers la régression en moins de 3 mois, avec parfois
revanche, lorsque les lenticulostriées externes naissent de la persistance d’une anomie.
branche de bifurcation supérieure, l’infarctus est cortico-sous- Le territoire profond inclut une partie du mésencéphale et le
cortical. Le tableau est celui d’une hémiplégie droite à prédomi- thalamus. À l’exception des lacunes du noyau ventro-postéro-
nance brachiofaciale, associée à des troubles sensitifs de même latéral responsables du syndrome de Dejerine et Roussy, tous les
topographie et à une aphasie de Broca. Les occlusions de la types d’infarctus thalamique peuvent causer une aphasie, y
branche inférieure, épargnant les artères à destinée rolandique, compris parfois les lésions droites au début. L’aphasie est
ne donnent pas d’hémiplégie, mais une aphasie de Wernicke. constante au cours des infarctus tubérothalamiques gauches,
fréquente dans les infarctus paramédians, mais le pulvinar peut
Celle-ci peut être dissociée, avec des troubles prédominants de
aussi être intéressé. Devant une aphasie aiguë d’allure vasculaire,
la compréhension orale (ramollissement temporo-pli courbe) ou
la topographie thalamique de l’accident peut être suggérée par
du langage écrit (ramollissement pariéto-pli courbe) [36]. Les
l’association de troubles de la vigilance, de la mémoire ou du
embolies cruoriques, qui rendent compte de 15 % à 30 % des
comportement, plus inhabituels dans les accidents carotidiens.
infarctus [37], peuvent donner des aspects sémiologiques parti-
culiers. Du fait de leur aptitude à se déliter spontanément et à Infarctus sous-corticaux [45]
migrer en aval de l’occlusion initiale, elles sont souvent La moitié des infarctus sous-corticaux de l’hémisphère gauche
responsables de lésions du territoire sylvien postérieur. Un supérieurs à 15 mm de diamètre est responsable d’aphasie.
tableau d’aphasie de Wernicke précédée d’une hémiplégie Contrairement aux lacunes, ces infarctus sont le plus souvent
régressive [34] ou d’aphasie globale aiguë [38] est particulièrement (deux cas sur trois) de mécanisme embolique, et la présence de
évocateur. Chez le sujet âgé, la proportion d’aphasies de signes « corticaux » tels que l’aphasie est un des principaux
Wernicke d’origine vasculaire est plus élevée que chez le sujet arguments cliniques du diagnostic différentiel.
jeune. Cela est classiquement attribué à une modification liée à
l’âge de l’organisation fonctionnelle des aires du langage, mais Aphasies transitoires
ce fait serait dû, en réalité, à une surreprésentation des infarctus
Plus d’un tiers des accidents ischémiques transitoires (AIT)
postérieurs dans cette population [39].
comportent un trouble du langage [46], mais toutes les aphasies
Artère cérébrale antérieure transitoires ne correspondent pas à des AIT. Le principal
diagnostic différentiel est l’aura migraineuse. La confusion est
Elle vascularise deux structures importantes pour le langage : d’autant plus facile qu’une céphalée peut accompagner ou
la tête du noyau caudé, par sa branche profonde (l’artère de précéder un AIT dans 30 % des cas [47] et que d’authentiques
Heubner) et l’aire motrice supplémentaire. Les infarctus de migraines peuvent se limiter à l’aura, celle-ci comportant un
l’artère cérébrale antérieure se traduisent typiquement par une trouble du langage dans 16 % des cas [48]. En fait, le déroule-
hémiplégie à prédominance crurale, un grasping, souvent des ment des symptômes permet de reconnaître l’aura migraineuse.
troubles sphinctériens. Lorsque la lésion est gauche, il s’y Les symptômes s’installent progressivement, en plusieurs
associe une aphasie transcorticale motrice par atteinte de l’aire minutes (moins de 2 minutes dans un AIT), et comportent
motrice supplémentaire ou de la substance blanche sous- presque toujours des prodromes visuels [48]. L’aphasie transitoire
jacente [40] , voire une aphasie transcorticale mixte en cas peut aussi correspondre à un phénomène critique (cf. « Aphasie
d’extension postérieure de l’infarctus. La préservation de la et épilepsie »). Enfin, elle peut révéler un hématome sous-
répétition peut aller jusqu’à l’écholalie [41] . En outre, les dural [49], une tumeur ou une hypoglycémie.
infarctus atteignant la partie antérieure du gyrus cingulaire
(territoire de l’artère péricalleuse) donnent un mutisme, qui Accidents vasculaires cérébraux hémorragiques
peut régresser totalement ou évoluer sous forme d’aphasie Les hémorragies représentent 18 % de l’ensemble des
transcorticale motrice. AVC [50]. Les hématomes profonds de l’hypertension atteignent
Artère choroïdienne antérieure soit les noyaux gris, soit le thalamus, donnant des tableaux
aphasiques en rapport avec la localisation [51]. Les hématomes
Bien qu’étant la plus petite des branches terminales de la lobaires frontaux et temporopariétaux donnent respectivement
carotide interne, elle vascularise un territoire d’une grande une aphasie dynamique ou une aphasie de Wernicke. Sous
importance fonctionnelle : le bras postérieur de la capsule réserve des complications précoces liées à l’effet de masse, le
interne (et la pointe pallidale adjacente). L’infarctus résultant de pronostic fonctionnel de l’aphasie après hématome intracérébral
son occlusion donne une hémiplégie, pouvant s’associer à une est nettement meilleur que celui des infarctus.
hémianesthésie et à une hémianopsie classiquement sans La survenue d’une aphasie au cours d’une hémorragie
aphasie. En fait, l’occlusion de l’artère choroïdienne antérieure méningée oriente vers le diagnostic d’anévrisme sylvien gauche.
gauche peut donner une aphasie de type « sous-cortical », avec Le trouble du langage peut être dû à l’épanchement sanguin
diminution de la fluence verbale et difficulté dans le langage dans la vallée sylvienne, ou bien à un infarctus sylvien compli-
élaboré [42]. quant un spasme artériel. Il faut signaler la possibilité d’aphasies
10 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96
transitoires en rapport avec des malformations artérielles ou antiphospholipides, Gougerot-Sjögren, angiopathie cérébrale
artérioveineuses n’ayant pas saigné, soit par migration emboli- gigantocellulaire, thyroïdite de Hashimoto).
que à partir d’un anévrisme partiellement thrombosé, soit par
hémodétournement lors d’une fistule artérioveineuse à Aphasie et épilepsie (en dehors
haut-débit.
Enfin, les thromboses veineuses corticales peuvent, du syndrome de Landau-Kleffner)
lorsqu’elles affectent l’hémisphère gauche, donner une aphasie Les troubles de la parole survenant au cours des crises sont de
associée à d’autres signes cliniques (épilepsie, fièvre, infarctus trois catégories : vocalisations indifférenciées (bruits continus ou
hémorragique) [52]. discontinus, à type de cris, grognements, sifflements, râles),
lambeaux de langage normal (mots ou phrases identifiables)
Tumeurs stéréotypés ou non, ou langage anormal : arrêt de la parole,
dysarthrie, aphasie, ou langage « indifférencié ». Une aphasie de
Les tumeurs malignes sont les plus génératrices d’aphasie
type variable peut également s’observer dans la période
(gliomes, métastases, lymphomes). Chez le sujet âgé (> 65 ans),
postcritique.
l’aphasie est, avec la céphalée et la confusion mentale, l’un des
La suspension de la parole peut survenir lors d’absences de
trois principaux symptômes révélateurs des tumeurs cérébra-
type « petit mal » ou de crises partielles. Associée à des vocali-
les [53]. Elle est le plus souvent progressive sur 2 à 3 semaines,
sations élémentaires ou à des activités de langage répétitives
mais elle peut aussi être soudaine ou paroxystique. Le trouble
(compter), elle évoque des crises de l’aire motrice supplémen-
du langage le plus fréquent est le manque du mot. Sa valeur
taire. L’aphasie postcritique et les crises aphasiques évoquent un
localisatrice n’est pas absolue, l’aphasie anomique pouvant être
foyer épileptogène temporal gauche. Les crises comportant des
en rapport avec une hypertension intracrânienne, même en
lambeaux de langage normal proviennent du lobe temporal
l’absence de lésion focale des aires du langage. En cas de tumeur
droit. Le déroulement des crises aphasiques lui-même n’est pas
hémisphérique gauche, l’anomie évolue vers une aphasie plus
aléatoire. Kanemoto et Janz [62] ont étudié le déroulement de
spécifique : aphasie dynamique au cours des tumeurs frontales,
l’aura épileptique chez 143 patients faisant des crises partielles
aphasie de Wernicke dans les tumeurs temporales ou temporo-
complexes dont 24 avaient des crises aphasiques. Dans tous les
pariétales. L’aphasie de Broca et l’aphasie de conduction ne sont
cas, l’aphasie survenait en fin d’aura, précédée le plus souvent
jamais observées [13], sauf circonstances exceptionnelles : une
de sensations de déjà-vu ou de déjà-vécu ou de troubles du
aphasie de Broca attribuée à un oligodendrogliome est survenue
cours de la pensée (accélération de la pensée, pensée forcée),
dans le contexte particulier d’une récidive postchirurgicale [54].
elles-mêmes précédées de sensations plus élémentaires (malaise
épigastrique, hallucinations gustatives). Le type d’aphasie varie
Aphasies de cause infectieuse en fonction du phénomène qui l’a précédé. Les troubles de la
et inflammatoire compréhension prédominent lorsque l’aphasie est précédée d’un
trouble du cours de la pensée, les paraphasies sont plus souvent
Abcès temporal isolées quand l’aphasie fait suite à une sensation de déjà-vu. Le
déroulement de ces phénomènes reflète la propagation des
L’abcès temporal gauche est une cause rare, mais importante
décharges épileptiques au sein du système limbique suivant des
à connaître, d’aphasie. Il faut l’évoquer en présence d’une
circuits bien définis.
aphasie rapidement progressive avec des céphalées. La fièvre est
Il convient enfin de mentionner la possibilité d’états de mal
inconstante. Les agents pouvant être responsables d’aphasie
partiels aphasiques, pouvant réaliser une aphasie isolée durant
sont trop nombreux pour pouvoir être énumérés dans le cadre
plusieurs heures [63, 64].
de cet article, mais les étiologies infectieuses ou parasitaires
doivent figurer systématiquement au rang des diagnostics
possibles en cas de lésion intracrânienne responsable d’aphasie. Aphasies post-traumatiques
Les aphasies dues à des plaies crâniocérébrales ne diffèrent
Syndrome d’immunodéficience acquise
des aphasies vasculaires que par la constance des lésions
L’aphasie représente 12 % des complications neurologiques corticales. En revanche, les aphasies après des traumatismes
du syndrome d’immunodéficience acquise (Sida) [55]. Elle peut crâniens fermés (TCF) constituent une catégorie à part. Les
être causée par tous les types de lésions cérébrales : infections lésions dans ce cas sont des contusions liées à la brusque
(encéphalites virales, toxoplasmose, mycoses), lymphomes, décélération du crâne et au mouvement relatif de la masse
accidents vasculaires. L’aphasie est minime au cours de cérébrale à l’intérieur de celui-ci. Les pôles frontaux ainsi que les
l’encéphalite à virus de l’immunodéficience humaine (VIH), pôles et la convexité temporaux en sont le siège préférentiel.
marquée seulement par une baisse de la fluidité verbale [56]. Des hématomes extracérébraux ou plus rarement intracérébraux
peuvent survenir, se comportant comme des processus
Encéphalite herpétique expansifs.
L’encéphalite herpétique, qui comporte une aphasie dans 75 % L’incidence de l’aphasie après un TCF est fonction de la
des cas, est une considération diagnostique majeure en cas gravité de celui-ci. De l’ordre de 2 % sur un ensemble de TCF
d’aphasie associée à une fièvre et à des crises d’épilepsie. « tout venant » [65], elle atteint 30 % si l’on ne considère que les
TCF avec coma, et 46 % pour les TCF avec coma de plus de
Sclérose en plaques 24 heures [66]. L’aphasie la plus fréquente est l’aphasie anomi-
que. Le deuxième type est l’aphasie de Wernicke. L’aphasie
L’aphasie est exceptionnelle dans la sclérose en plaques (SEP), globale est plus rare. L’aphasie de Broca semble exception-
de l’ordre de 1 % des cas [57]. Elle survient volontiers dans un nelle [67]. La suspension initiale complète de l’expression orale,
tableau évocateur de tumeur [58] et s’accompagne fréquemment plus fréquente chez l’enfant que chez l’adulte, est souvent
d’une épilepsie focale [59]. Elle peut prendre la forme d’une associée à un hématome des noyaux gris. Son pronostic est
aphasie de conduction [60]. La dysarthrie paroxystique, évoluant favorable.
par accès de 15 à 20 secondes répétés plusieurs fois dans la La qualité de la récupération dépend de la gravité initiale de
même journée et souvent associés à une ataxie, est pathogno- l’aphasie. L’anomie est la séquelle la plus fréquente, mais il peut
monique de cette affection [61]. persister une aphasie de Wernicke définitive. Il faut insister sur
la fréquence des troubles résiduels du langage élaboré et en
Affections inflammatoires particulier du discours, qui sont à l’origine, malgré une bonne
Une aphasie peut également survenir au cours d’affections restauration des capacités linguistiques élémentaires (dénomi-
inflammatoires générales à détermination cérébrale, par l’inter- nation, compréhension, répétition), de troubles durables de la
médiaire d’une vascularite, de troubles de la coagulation ou de communication susceptibles de compromettre la réinsertion
lésions démyélinisantes spécifiques (neurolupus, syndrome des socioprofessionnelle.
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12 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96
L’aphasie progressive primaire comprend deux grandes finalité de communication, mais en fonction de caractéristiques
catégories cliniques, les formes fluentes et les formes non intrinsèques sans valeur signifiante : glossomanie formelle (tous
fluentes. les mots, par exemple, commencent par la même lettre),
L’aphasie progressive primaire non fluente (APPNF) montre au glossomanie sémantique (utilisation systématique de mots
premier plan un manque du mot avec de nombreuses pauses et appartenant tous au même champ sémantique). La rareté des
des erreurs phonémiques. Certains tableaux associent une forme paraphasies, la disponibilité lexicale, le maniement correct de la
d’agrammatisme avec un débit de parole ralenti, une articula- syntaxe, et parfois l’analyse faite par le sujet lui-même de ses
tion laborieuse et une dysprosodie, mais la compréhension reste productions verbales distinguent ce trouble d’une véritable
normale et l’autonomie est longtemps conservée. L’âge de début aphasie. Dans la glossolalie, le discours est un monologue
est plus élevé dans l’APPNF que dans la moyenne des DLFT, néologique incompréhensible, semblable à une nouvelle langue
souvent au-delà de 70 ans, et la majorité des patients sont des inventée par le sujet, caractérisée par la surreprésentation d’un
femmes. Le phénotype d’APPNF peut être un mode de début de petit nombre de phonèmes, un débit accéléré, une modification
la DCB ou de la PSP, et peut également s’associer au cours de des accents et de la mélodie. La glossomanie et la glossolalie
l’évolution à une SLA. sont des phénomènes temporaires, qui n’affectent que quelques
Les formes à type d’anarthrie progressive [84] touchent patients [19].
essentiellement la programmation de la parole alors que les Plus généralement, on insiste actuellement sur les altérations
processus lexicosémantiques sont intacts à la fois en production du langage liées aux troubles de la pensée formelle, présents
et en compréhension. Le langage écrit est longtemps préservé et chez un grand nombre de patients [93]. Les tests sémantiques
devient un mode privilégié de communication au cours de révèlent une désinhibition des associations sémantiques, en
l’évolution, qui peut être extrêmement prolongée [85].
d’autres termes, une « hyperactivation » entre les concepts reliés
La démence sémantique [86] réalise une « perte progressive et
sémantiquement. Cette désinhibition des associations peut se
isolée des connaissances sémantiques, attestée à la fois par un
traduire par des effets d’hyperamorçage sémantique [94].
trouble de la compréhension des mots et par un déficit de
l’identification des objets et/ou personnes [87] ». La perte des
concepts est non seulement longtemps isolée, mais sélective,
épargnant une série de connaissances pragmatiques nécessaires ■ Aphasie et neuropsychologie
à la vie quotidienne d’où une conservation parfois surprenante
de l’autonomie. La dissociation est telle que certains de ces cognitive
patients ont pu être pris pour des hystériques au début de leur
maladie. Le déficit se manifeste sur le plan du langage par un Depuis les années 1980, la psychologie cognitive a considé-
manque du mot et une perte de la signification des mots. Les rablement influencé la pratique clinique et thérapeutique de la
épreuves de dénomination (manque du mot, erreurs sémanti- neuropsychologie. La psychologie cognitive repose sur la notion
ques) et de définitions (informations floues avec perte précoce fondamentale que toute fonction peut être décomposée en un
des attributs spécifiques) sont très perturbées alors que les certain nombre d’opérations mentales considérées comme
échanges conversationnels reposant sur des thèmes propres au autant de processus autonomes de traitement des informations.
patient sont longtemps préservés. L’atteinte verbale est toujours Les modèles théoriques utilisés en psychologie cognitive sont de
associée à une perturbation du traitement sémantique du deux types : sériels et connexionnistes. Un des postulats
matériel non verbal (appariements fonctionnels à partir d’ima- fondamentaux des modèles cognitifs sériels est que le traitement
ges ou mauvaise utilisation des objets par perte des connaissan- de l’information s’effectue de façon unidirectionnelle : dans les
ces conceptuelles). modèles sériels discrets, le passage à une étape suivante suppose
L’aphasie progressive primaire fluente (APPF) montre un débit de que le traitement de l’étape précédente soit terminé. Les
parole normal sans atteinte de la phonologie ni de la syntaxe. modèles dits en « cascade » introduisent la notion d’un recou-
Elle associe une anomie, une réduction de la fluence catégorielle vrement temporel partiel entre deux étapes de traitement. Dans
contrastant avec une conservation relative de la fluence littérale, les modèles connexionnistes ou « interactifs » le traitement est
des troubles de la compréhension verbale et, dans l’évolution, distribué de façon parallèle entre de nombreuses unités dispo-
une dyslexie et une agraphie de surface. Elle a pour caractéris- sées en couches. Les différents niveaux peuvent se trouver
tique une préservation du traitement sémantique des informa- activés simultanément. Ces modèles (qui sont d’ailleurs appelés
tions non verbales. Selon Mesulam [88], l’APPF et la démence « réseaux de neurones ») ont l’avantage de présenter une
sémantique seraient deux entités distinctes, tandis que pour analogie de structure avec le système nerveux, et de se prêter
Adlam et al. [89], les capacités sémantiques non verbales seraient aux analyses et aux simulations de dysfonctionnements conçues
constamment altérées dans l’APPF pour peu qu’on les étudie par les théoriciens de l’intelligence artificielle [7, 95].
soigneusement. Pourtant, certains cas restent troublants, comme L’objectif de la neuropsychologie cognitive [32, 40] est de
ce patient décrit par David [90], qui, 18 ans après le début d’une mettre ces modèles de traitement de l’information élaborés par
APPF, était encore capable de reconnaître au premier coup d’œil la psychologie cognitive et issus de l’étude de sujets sains à
une personne qu’il n’avait pas vue depuis des années. L’image- l’épreuve de la pathologie. La mise en évidence d’une double
rie morphologique peut montrer une atrophie fronto- dissociation (perturbation d’un processus A + préservation d’un
operculaire gauche dans les cas d’APPNF et une atrophie plutôt processus B chez un patient et déficit inverse chez un autre)
temporopolaire bilatérale dans la DS, mais l’imagerie fonction- permet en principe d’établir l’indépendance fonctionnelle
nelle ne montre pas de pattern spécifique d’un type particulier (« modularité ») entre les processus A et B. Le langage est ainsi
d’aphasie progressive [91]. L’évolution des aphasies progressives représenté sous la forme d’un système complexe qui peut rendre
rejoint celle des autres DLFT, avec l’apparition de troubles compte des différentes opérations mentales effectuées par un
dysexécutifs et une réduction progressive de l’activité, aboutis- sujet pour accomplir une activité linguistique. Les modélisations
sant à un mutisme akinétique, mais le trouble du langage doit varient selon leur degré de spécification en fonction de la
rester isolé pendant au moins deux ans, en fait souvent fenêtre d’analyse : traitement du mot isolé, traitement morpho-
davantage. syntaxique (phrase), traitement du discours.
En neuropsychologie, et particulièrement dans le domaine de
Langage des schizophrènes l’aphasie, la taxonomie clinique et la neuropsychologie cogni-
Le délire schizophrénique se traduit par une incohérence tive sont complémentaires car elles servent, encore aujourd’hui,
verbale marquée par des néologismes, un discours abstrait, une des objectifs différents. Indispensable à la connaissance des
abondance de formules énigmatiques, des métaphores obscures, maladies, la référence anatomique n’est pas nécessaire à la
associée à des troubles du débit verbal [92]. compréhension des mécanismes mentaux de la cognition
Deux formes particulières de schizophasie méritent d’être normale, et les correspondances entre les syndromes décrits par
individualisées. Dans la glossomanie, le discours est fait de mots ces deux approches sont rares. On peut espérer que les corres-
du lexique, mais ceux-ci sont choisis non en fonction d’une pondances déjà entrevues entre la nouvelle sémiologie cognitive
Neurologie 13
17-035-A-96 ¶ Aphasie
Mécanismes de conversion
Lexique Système de Lexique Ils opèrent sur des unités sous-lexicales (phonèmes, graphè-
phonologique descriptions orthographique mes, syllabes) et mettent en correspondance ou transforment
d'entrée structurales d'entrée des informations acousticophonologiques en informations
phonologiques (répétition), des informations acousticophono-
logiques en informations graphémiques (correspondance
Conversion Système Conversion phonème-graphème en écriture sous dictée) ou des informations
accoustico- sémantique graphème- graphémiques en informations phonologiques (correspondance
phonologique phonème graphème-phonème en lecture à haute voix).
14 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96
directe reliant le système des représentations structurales au peut affecter les représentations sémantiques dans leur ensemble
lexique phonologique de sortie : il s’agit de patients qui ou être spécifique de certaines catégories sémantiques : de
dénomment correctement malgré des performances médiocres à nombreuses dissociations ont été rapportées, mais l’atteinte des
des tâches de compréhension concernant les mêmes items [105]. objets animés semble être plus fréquente que celle des objets
Le système sémantique ou mémoire sémantique est impliqué inanimés. La distinction entre un déficit sémantique central et un
dans l’extraction du sens des mots et dans la formulation défaut d’accès aux représentations sémantiques a fait l’objet de
conceptuelle. Il concerne les propriétés sémantiques qui lient les nombreux débats. Selon Warrington et Shallice [109] ou Shal-
concepts aux mots, c’est-à-dire leur appartenance catégorielle et lice [108], la dégradation des représentations (trouble sémantique
leurs attributs spécifiques fonctionnels et physiques (exemple : central) serait caractérisée par :
« cerise » = [végétal] + [fruit] + [rouge] + [sucré] + [lisse]). • la constance des erreurs à différents temps d’examen ;
Chaque concept est donc représenté sous la forme d’un faisceau • un effet marqué de la fréquence lexicale ;
de traits sémantiques pouvant être communs au moins partiel- • la disparition de l’effet d’amorçage sémantique ;
lement à un autre concept. Par exemple, les traits [végétal]
• de meilleures performances pour le traitement d’informations
+ [fruit] + [sucré] sont partagés par la cerise et la framboise. Ce
superordonnées par rapport aux attributs spécifiques ;
type d’organisation postule en outre que l’activation d’un
• l’absence d’amélioration par un rythme de présentation plus
concept va se diffuser aux concepts voisins. Dans les concep-
tions les plus couramment acceptées en neuropsychologie, le lent.
système sémantique est considéré comme une composante Un défaut d’accès (ou état réfractaire) serait caractérisé par un
centrale commune aux différentes modalités d’entrée et de tableau en miroir du précédent. La pertinence de ces critères a
sortie de l’information (mot entendu ou lu, production orale ou été vigoureusement contestée [119], mais reste soutenue par
écrite) et à différents types de stimuli (verbal et non verbal). Warrington et Cipolotti [120]. Dans le cadre théorique d’un
Cette théorie amodale [106, 107] s’oppose à d’autres proposi- modèle postulant un système sémantique amodal [121], l’hypo-
tions [108, 109] qui envisagent l’existence de systèmes sémanti- thèse d’un déficit d’accès aux représentations sémantiques peut
ques spécifiques et différents pour les objets et les mots [110]. être posée lorsque le traitement sémantique est perturbé à partir
Dans le lexique phonologique, les représentations phonologi- d’une modalité d’entrée, mais conservé à partir des autres
ques correspondent à la forme sonore abstraite d’une unité modalités (cf. infra : la surdité au sens des mots caractérisée par
lexicale et contiennent des informations sur l’identité des un défaut de traitement sémantique des mots entendus malgré
phonèmes, sur la structure syllabique et sur l’accent ou « stress » une répétition correcte et qui contraste avec une préservation de
(voir Béland, Peretz, Baum et Valdois [2000] [111] pour une l’accès à la signification de mots présentés par écrit). La
description détaillée des différents paliers de la représentation dégradation de la mémoire sémantique constitue la caractéristi-
phonologique). Bock et Levelt [112] ont suggéré l’existence d’un que de la démence sémantique. Elle est également incriminée
niveau lexical intermédiaire entre système sémantique et dans des aphasies globales en association à d’autres niveaux de
lexèmes (représentations phonologiques). Cette étape des lemmas perturbation. La nature des erreurs sémantiques dans l’aphasie
coderait l’item lexical cible sur le plan sémantique et sur le plan est en fait encore mal connue car peu étudiée [122].
de ses propriétés syntaxiques (catégorie grammaticale, genre).
Des arguments allant plutôt à l’encontre de cette distinction Déficit d’accès au lexique phonologique de sortie
lemmas versus lexèmes ont été exposés par Caramazza [113]. Lors d’un déficit d’accès au lexique phonologique de sortie,
L’accès aux représentations est décrit en termes d’activation. la représentation phonologique est inaccessible et le patient
Chaque représentation possède un niveau d’activation de base montre des absences de réponse souvent facilitées par l’ébauche
(fonction de propriétés psycholinguistiques intrinsèques, orale, sans aucune difficulté de compréhension ou de traitement
fréquence lexicale, âge d’acquisition, classe du mot, etc.) qui
sémantique concernant les mots non dénommés. Des erreurs
peut être modifié par les stimulations. Ainsi, un mot peut être
sémantiques peuvent également être observées et sont expli-
plus rapidement accessible s’il a déjà été produit auparavant.
quées de la façon suivante : lorsque la représentation phonolo-
La mémoire tampon phonologique se trouve impliquée dans
gique de l’item cible n’est pas disponible, une autre
toute tâche de production orale, y compris la répétition et la
lecture à haute voix. Le caractère séquentiel de la production représentation phonologique partageant des traits sémantiques
orale nécessite la reconstruction de la représentation phonolo- communs serait activée par défaut. Des dissociations ont été
gique avec la prise en compte de l’information segmentale rapportées : noms propres versus noms communs ou noms
(phonèmes) et métrique (nombre de syllabes, structure de la versus verbes. Un déficit d’accès au lexique phonologique de
syllabe et structure accentuelle) en vue de la récupération du sortie n’affecte pas (ou peu) la répétition ni la lecture à haute
geste articulatoire. En conséquence, l’information phonologique voix [123]. Le mot entendu en vue de sa répétition apporte une
issue du lexique phonologique doit être maintenue en mémoire source directe d’activation (lexique phonologique d’entrée vers
à court terme durant les opérations de planification [111]. lexique phonologique de sortie). La lecture à haute voix
bénéficie également d’une activation supplémentaire directe à
Pathologie partir du lexique orthographique d’entrée. De plus, la répétition
et la lecture à haute voix peuvent être réalisées par le biais de
Le dysfonctionnement de chacune de ces étapes de dénomi-
stratégies phonologiques. À ce niveau, un dysfonctionnement
nation orale occasionne des perturbations différentes [96, 114, 115]
n’a pas de répercussion sur la production écrite et un certain
(voir aussi Bonin [101] et Lambert [116, 117] pour revue). Les
dysfonctionnements des deux premières étapes (analyse visuelle nombre de cas montrant une dissociation entre la perturbation
et système de représentation structurale) donnent lieu à des de la dénomination orale, mais la relative préservation de la
tableaux d’agnosie visuelle [118]. dénomination écrite ont été publiés. Notons toutefois, pour la
pratique clinique, que l’incapacité à dénommer par oral est
Perturbation du système sémantique fréquemment observée avec un déficit de dénomination écrit.
Une perturbation du système sémantique peut être envisagée Ce défaut d’accès à la forme phonologique des mots est sans
comme la dégradation d’une partie des propriétés d’une entité doute présent dans de nombreux types d’aphasie (aphasie
conceptuelle ou un défaut d’accès à ces propriétés. Dans le anomique, aphasie de Broca, etc.).
premier cas, la perturbation engendre des absences de réponse Dégradation des représentations phonologiques
et des erreurs sémantiques. Le patient a des difficultés dans
toutes les tâches nécessitant un traitement sémantique (dessin La dégradation des représentations phonologiques elles-
d’un objet non dénommé, associations suivant un lien fonc- mêmes ou une récupération partielle pourrait se traduire selon
tionnel à partir d’images ou de mots, questionnaires testant les Butterworth [124] par la production de néologismes ou de
connaissances sémantiques et tout particulièrement les attributs paraphasies phonémiques. Ces erreurs se caractériseraient alors
spécifiques). La dénomination écrite et la dénomination orale par une grande constance d’occurrence (erreurs identiques
montrent une constance des erreurs. Selon les patients, le déficit observées à différents temps sur les mêmes items).
Neurologie 15
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16 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96
Neurologie 17
17-035-A-96 ¶ Aphasie
18 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96
Lecture à haute voix profonde surviendrait lorsque les activités de lecture sont
assurées par l’hémisphère droit en présence de lésions impor-
Modèle théorique tantes de l’hémisphère gauche. L’alexie phonologique et la
Les mécanismes de lecture à haute voix sont décrits à partir dyslexie profonde ne peuvent survenir que chez des sujets bien
d’un module d’analyse visuelle et de deux voies principales de entraînés à la lecture, et aussi dans les langues ayant une
lecture : lexicale et phonologique [8, 13, 137, 140-142]. orthographe irrégulière comme l’anglais et le français, condi-
L’analyse visuelle regroupe différentes opérations qui assurent tions nécessaires au développement d’une forte voie non
le traitement des propriétés visuelles (analyse rétinocentrée en phonologique.
traits) et l’identification des lettres suite à une analyse de L’alexie lexicale ou de surface se traduit par une incapacité à
regroupement des traits (centrée sur le stimulus) et d’accès à un lire les mots irréguliers avec conservation de la lecture des mots
niveau de représentation graphémique abstraite. Cette dernière réguliers et des non-mots [145]. Les erreurs concernant les mots
étape est, selon certains auteurs, assimilée à un buffer graphé- irréguliers sont le plus souvent une « régularisation » : les mots
mique pouvant être commun à la lecture et à l’écriture. En sont lus en appliquant les règles de correspondance graphème-
outre, ces différentes opérations seraient sous l’étroite dépen- phonème les plus usuelles (gars → gaR).
dance de processus attentionnels (fenêtre attentionnelle, filtre
attentionnel). Écriture
La voie lexicale, à partir du module d’analyse visuelle, gagne Mécanismes d’écriture dictée
le lexique orthographique d’entrée où est activée la représenta-
tion orthographique correspondant au mot présenté, puis le Les mécanismes d’écriture dictée comportent un module
système sémantique où il est compris, le lexique phonologique d’analyse auditive, une voie lexicale et une voie phonologique
de sortie où est activée sa forme phonologique et enfin la qui convergent vers une mémoire tampon graphémique puis
mémoire tampon phonologique, relais obligé de toute expres- mettent en jeu des mécanismes périphériques [9, 102, 146].
sion orale. Une voie lexicale non sémantique reliant le lexique L’analyse auditive traite les stimuli entendus sur le plan
orthographique au lexique phonologique de sortie est envisagée. acoustique et phonétique.
La voie phonologique relie le module d’analyse visuelle à la La voie lexicale passe par le lexique phonologique d’entrée, le
mémoire tampon phonologique en passant par un module de système sémantique et le lexique orthographique de sortie pour
conversion des graphèmes en phonèmes. Elle est utilisable pour atteindre la mémoire tampon graphémique. Une voie lexicale
les non-mots et les mots à orthographe régulière. directe reliant le lexique phonologique d’entrée au lexique
orthographique de sortie est également envisagée.
Alexies périphériques La voie phonologique relie le module d’analyse auditive à la
Un déficit lors de l’analyse visuelle se traduit par une incapa- mémoire tampon graphémique par l’intermédiaire d’un module
cité à lire des lettres isolées ou des séquences de lettres, l’alexie de conversion des phonèmes en graphèmes et de la mémoire
littérale. Un retard dans l’identification des lettres et des tampon phonologique. Alors que la voie lexicale (lexicoséman-
substitutions entre lettres physiquement proches sont observés tique ou lexicale directe) repose sur l’activation de représenta-
ainsi qu’une augmentation des difficultés lors de la présentation tions orthographiques stockées (qui concernent les mots appris),
de mots longs. La nature perceptive des troubles est particuliè- la voie phonologique est surtout utilisée pour l’écriture de non-
rement manifeste chez des patients qui indiquent une impres- mots ou de mots inconnus, mais peut également être efficiente
sion de chevauchement des lettres et dont la lecture est pour des mots réguliers.
améliorée par un espacement plus grand entre les lettres. La mémoire tampon graphémique constitue un centre de
Un déficit de la composante attentionnelle peut expliquer une convergence des voies phonologique et lexicale et le relais
difficulté à traiter en parallèle les différentes lettres d’un mot. obligatoire de toute expression écrite. Elle est assimilée à une
Cette perturbation est particulièrement démonstrative dans les mémoire de travail spécifique du langage écrit qui a pour rôle
troubles d’attention spatiale unilatéraux qui montrent des le maintien à court terme des informations graphémiques issues
omissions de lettres au début ou à la fin de mots suivant la du lexique orthographique ou de la voie phonologique, qu’il
latéralisation lésionnelle. s’agisse de mots ou de non-mots. Ces informations concernent
l’identité abstraite des graphèmes, leur nombre, leur agence-
Alexies centrales ment linéaire, leur catégorie (consonne/voyelle), la structure
L’alexie phonologique se caractérise par une impossibilité à lire graphosyllabique.
les logatomes ou non-mots : séries de lettres prononçables, mais
Troubles centraux
ne correspondant à aucun mot de la langue. La raison de cette
incapacité est évidente : quand on utilise exclusivement la voie L’agraphie phonologique est caractérisée par des troubles
lexicale, seuls les mots figurant au lexique peuvent être lus. sélectifs de l’écriture des non-mots [147]. Des effets de classe des
Cette difficulté contraste avec une préservation de la lecture des mots et d’imageabilité, similaires à ceux décrits en lecture,
mots qu’ils soient d’orthographe régulière ou irrégulière (les peuvent être notés.
mots d’orthographe régulière sont ceux où le rapport graphème- La dysgraphie profonde associe les caractéristiques de l’agraphie
phonème est le plus habituel dans la langue et les mots phonologique avec des erreurs sémantiques [144].
d’orthographe irrégulière ceux où ce rapport est inhabituel, par L’agraphie lexicale ou de surface comporte des troubles sélectifs
exemple « fusil »). Ce trouble fondamental de la lecture peut de l’écriture des mots irréguliers. Les erreurs sont principalement
être presque isolé [143] ou associé à certains effets lexicaux tels des « erreurs phonologiquement plausibles » se faisant dans le
un effet de classe des mots : les noms sont mieux lus que les sens de la régularisation de l’orthographe (femme → fame). Un
verbes, les adjectifs et les mots grammaticaux sont encore plus effet de fréquence des mots est souvent présent [148]. L’alexie
mal lus et il existe des erreurs dérivationnelles : le morphème phonologique et l’agraphie de même nom sont presque toujours
central est conservé, mais l’affixe est erroné (chanteur → associées, mais il existe des exceptions, notamment un cas
chanson). d’agraphie phonologique sans alexie et un autre où l’alexie est
L’alexie profonde comporte les caractéristiques de la dyslexie de type lexical. Il est donc admis qu’il existe deux systèmes
phonologique plus des erreurs sémantiques et un effet d’ima- phonologiques distincts pour la lecture et l’écriture et que
geabilité : les mots imageables sont mieux lus que les mots l’association habituelle de l’atteinte des deux modalités s’expli-
abstraits non imageables tels que « option » [144]. L’interpréta- que par la probable proximité de leurs supports anatomi-
tion de ces faits est discutée. Pour certains, ils traduisent un ques [149]. L’agraphie lexicale est, elle aussi, habituellement
dysfonctionnement partiel du système lexicosémantique associé associée à une alexie mais celle-ci est de type variable : lexicale,
à celui, prédominant, du système phonologique. Pour d’autres, phonologique ou sans spécificité.
ils refléteraient le fonctionnement de la voie lexicosémantique Les associations entre les deux grands types d’alexie ou
seule, amputée de la voie phonologique et de la voie lexicale d’agraphie et les autres troubles des fonctions supérieures sont
non sémantique. Selon un autre niveau d’analyse, la dyslexie assez bien définies. Les troubles phonologiques sont presque
Neurologie 19
17-035-A-96 ¶ Aphasie
toujours associés à une aphasie, de type variable, avec une L’atteinte des programmes moteurs graphiques donne des altéra-
prédominance pour les aphasies de Broca. Les troubles lexicaux tions morphologiques des lettres par la perturbation de la
sont moins souvent en liaison avec une aphasie, mais davantage forme, de la taille et de l’orientation des traits. Le tableau réalisé
avec des symptômes évocateurs d’une lésion pariétale : apraxie correspond à la classique agraphie apraxique [154]. Un déficit
idéomotrice ou constructive, syndrome de Gerstmann. Un siège concernant seulement l’accès aux programmes moteurs a été
plus pariétal des lésions, aux alentours du gyrus angulaire, peut évoqué pour des perturbations se traduisant par des substitu-
être ainsi supposé. tions de lettres montrant des similarités physiques, surtout
L’atteinte de la mémoire tampon graphémique se caractérise par graphomotrices.
des éléments négatifs. Il en est ainsi de l’absence de signe La dysgraphie spatiale résulte d’une perte du contrôle assuré
faisant penser à une atteinte sélective des voies phonologiques par l’hémisphère mineur sur l’écriture : négligence de la partie
et lexicales. Les troubles sont similaires pour les mots réguliers gauche de la page, mauvaise orientation des lignes, redouble-
et irréguliers et pour les non-mots. Il n’y a pas d’erreur phono- ment de lettres et de jambages, superposition de lettres.
logiquement plausible, d’effet de classe, d’imageabilité. Il n’y a
pas non plus de différence entre les diverses modalités de Approche connexionniste
réalisation de l’écriture : manuscrite, épelée, réalisée avec des
lettres mobiles ou à la machine. Les symptômes positifs se La première modélisation connexionniste des mécanismes de
limitent à des erreurs non phonologiquement plausibles lecture à haute voix a été conçue par Seidenberg et McClel-
(carabine → cadabine), c’est-à-dire des erreurs de lettres : land [155]. La structure générale en est la suivante : trois couches
omissions, substitutions, adjonctions, déplacements. Ces d’unités connectées entre elles, codant chacune pour des
troubles sont plus marqués pour les mots longs [150]. informations spécifiques (visuo-orthographique, phonologique
ou sémantique). Dans ce modèle, la prononciation d’un mot
Mécanismes périphériques de l’écriture écrit peut s’effectuer soit par un réseau qui connecte directe-
Si l’écriture comporte une organisation centrale ou linguisti- ment l’orthographe à la phonologie, soit par un réseau qui fait
que parallèle à celle de la lecture, elle comporte aussi une intervenir la couche sémantique. Seule la mise en application
organisation « périphérique » [151, 152] qui lui est propre et qui sur ordinateur d’un apprentissage résultant de connexions entre
orthographe et phonologie avait été réalisée. Plus récemment,
met en jeu l’activation successive du système allographique et
un modèle connexionniste alternatif a été proposé par Ans,
des programmes moteurs graphiques qui sont ensuite traduits
Carbonnel, et Valdois [156]. Il repose sur une base d’apprentis-
en informations neuromusculaires spécifiques. La Figure 3
sage qui comporte à la fois des mots entiers et les segments
représente un modèle simple susceptible de rendre compte de
syllabiques de ces mots et permet d’obtenir des performances de
cette organisation.
lecture tout à fait comparables à celles de sujets normaux en
Le système allographique reçoit les informations concernant les
montrant notamment les mêmes effets de fréquence et de
représentations graphémiques abstraites maintenues au niveau
régularité. De plus, deux lésions distinctes du système aboutis-
de la mémoire tampon graphémique et assure le choix de la
sent à des profils de lecture tout à fait proches des tableaux
forme générale de la lettre en tenant compte des caractères
d’alexie de surface et d’alexie phonologique rencontrés chez des
particuliers : majuscule ou minuscule, script ou cursive. patients. Ces résultats sont d’un grand intérêt car ils confortent
Les programmes moteurs graphiques spécifient pour chaque type la double dissociation (relative à l’atteinte phonologique versus
de lettre la séquence, la direction et la taille relative des traits. lexicale de la lecture) mise en évidence en pathologie neuro-
Cette information est à son tour transformée en commande psychologique qui a parfois été remise en question [157].
proprement motrice par le système moteur. L’existence même
de représentations allographiques intermédiaires entre mémoire
tampon graphémique et programmes moteurs graphiques n’est
pas soutenue par tous les auteurs [108, 153].
■ Neurobiologie des aphasies
L’ensemble du processus est soumis à un contrôle spatial Nous aborderons successivement dans cette section les
assuré par l’hémisphère mineur. corrélations anatomocliniques des différents syndromes, puis
Des processus périphériques propres à chaque modalité de des symptômes aphasiques, les renseignements fournis par
sortie sont envisagés. Une voie de l’épellation orale se dégagerait l’imagerie fonctionnelle sur le support anatomique des différen-
à la sortie de la mémoire tampon graphémique, et conduirait à tes composantes du langage, aussi bien chez le patient aphasi-
la traduction de l’identité abstraite des graphèmes en nom de que que chez le sujet normal et enfin les relations entre la
lettre. Des conceptions alternatives ont été proposées. Les préférence manuelle et la dominance hémisphérique pour le
mécanismes relatifs à l’écriture avec des lettres mobiles ont été langage.
peu étudiés. Des raisons théoriques plaideraient pour son
individualisation après le système allographique comme cela est
indiqué sur la Figure 3. Les quelques observations publiées qui
Corrélations anatomocliniques
correspondent vraisemblablement à une atteinte du système des syndromes aphasiques (Tableau 1)
allographique seraient plutôt en faveur d’une origine plus L’essentiel des connaissances dans ce domaine provient de
proximale, après la mémoire tampon graphémique et parallèle l’étude des accidents vasculaires cérébraux, qui représentent la
aux voies de l’écriture manuscrite et de l’épellation orale. première cause d’aphasie chez l’adulte. La distribution des
Perturbations périphériques territoires vasculaires, en traçant des frontières anatomiques
peut-être arbitraires d’un point de vue fonctionnel, a largement
À partir de ces notions théoriques, il est possible de prévoir contribué à dessiner les contours de la taxonomie classique, qui
des syndromes neuropsychologiques correspondant à l’atteinte a le double mérite d’être universellement connue des neurolo-
des différents modules. Si les observations évoquant une gues et d’être applicable à la majorité des patients. Toutefois,
atteinte des programmes moteurs graphiques sont nombreuses, cette taxonomie atteint bien souvent ses limites lorsqu’il s’agit
elles restent en très petit nombre quand il s’agit de l’atteinte d’interpréter un trouble du langage consécutif à des pathologies
allographique et montrent de surcroît des tableaux sémiologi- moins habituelles, ou de tenter des corrélations avec les
ques disparates [9, 146]. modèles de la psychologie cognitive. Il faut alors conduire une
En cas d’atteinte allographique, les prédictions théoriques sont description plus analytique de l’aphasie sous peine de mécon-
les suivantes : respect de l’épellation orale et absence de lettres naître un trouble particulier par son intérêt physiopathologique
mal formées. La perturbation la plus caractéristique porterait sur ou comme cible de la rééducation. Enfin, l’anatomie (patholo-
le choix des formes de lettres avec notamment des confusions gique) de l’aphasie fût-elle élucidée, on ne pourrait en déduire
entre majuscules et minuscules (café → caFé). Mais des erreurs simplement l’anatomie (fonctionnelle) du langage. L’imagerie
quant au choix de la forme générale de la lettre sont aussi fonctionnelle apporte aujourd’hui dans ce domaine des infor-
décrites. mations inédites.
20 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96
Tableau 1.
Principaux types d’aphasie. Corrélations anatomocliniques généralement observées.
Types d’aphasie Signes Localisation Étiologies habituelles Signes associés
Aphasie globale Expression compréhension Lésion étendue corticale Infarctus sylvien total, tumeur, Hémiplégie, hémianopsie,
orales et écrites très réduites (fronto-temporo-pariétale) traumatisme, hémorragie hémianesthésie
ou nulles ou sous-corticale
Aphasie de Broca Expression orale réduite Cortex frontal inférieur Infarctus sylvien antérieur Hémiplégie brachiofaciale
Agrammatisme Noyaux gris et substance superficiel et/ou profond Apraxie
Troubles arthriques blanche sous-corticale du lobe Hématome profond
frontal
Compréhension relativement
préservée
Aphasie de Wernicke Expression abondante Lobe temporal, parfois lésions Tumeur Hémianopsie ou quadranopsie
(type I) Trouble de la compréhension thalamiques Infarctus sylvien postérieur Troubles sensitifs
Paraphasie Encéphalite herpétique Peu ou pas de troubles moteurs
Hématome lobaire
Aphasie de conduction Paraphasies phonémiques Cortex pariétal inférieur Infarctus sylvien postérieur Troubles sensitifs
Compréhension normale Capsule interne (origine embolique fréquente) Quadranopsie
Répétition perturbée
Surdité verbale pure Trouble de la compréhension Gyrus temporal supérieur Infarctus Aucun
(Wernicke type II) et de la répétition (lésion gauche ou bilatérale) Tumeur
Écriture sous la dictée Abcès
impossible
Alexie pure Trouble isolé de la lecture Lobe occipital et splénium du Infarctus de l’artère cérébrale Hémianopsie
(alexie sans agraphie a) avec conservation de l’écriture corps calleux postérieure Agnosie visuelle
et du langage oral Hématome lobaire, tumeur
Aphasie anomique Manque du mot isolé Profondeur du lobe temporal Tumeur (ou autre processus Apraxie
Région hippocampique (faible expansif) Peu ou pas de troubles
valeur localisatrice) Alzheimer sensitivomoteurs
Infarctus de l’ACP Quadranopsie supérieure
Encéphalite herpétique
Aphasie transcorticale Manque d’incitation verbale Région préfrontale Infarctus de l’ACA ou Syndrome frontal
motrice Répétition et compréhension Aire motrice supplémentaire de la jonction ACA-ACM Dysarthrie
normales Noyaux gris Hématome Hémiplégie crurale
Tumeur
Aphasie transcorticale Compréhension perturbée avec Jonction temporo-occipitale Infarctus de l’ACP étendu Démence
sensorielle répétition conservée et langage Thalamus Alzheimer Hémianopsie
« creux ». Manque du mot
Infarctus de jonction postérieur
Aphasie transcorticale Langage écholalique Zones de jonction entre Infarctus de jonction étendu Troubles de l’attention
mixte territoires sylvien et cérébral uni- ou bilatéral (hypotension, Hémiplégie crurale uni-
antérieur et postérieur hypoxie, arrêt cardiaque) ou bilatérale
a
Trouble n’appartenant pas au domaine de l’aphasie proprement dite. ACA : artère cérébrale antérieure ; ACM : artère cérébrale moyenne ; ACP : artère cérébrale postérieure.
Aphasie de Broca pure. L’extension en arrière d’une telle lésion ajoute aux signes
Les infarctus limités à l’aire de Broca donnent une légère précédents des troubles de la compréhension et des paraphasies.
aphasie motrice transitoire qui guérit rapidement. Les lésions
pouvant donner l’aphasie de Broca siégeraient dans la partie
Aphasie de Wernicke
postérieure de F3 et dans les régions voisines : partie inférieure Quel que soit le type d’aphasie de Wernicke, l’atteinte de
du gyrus précentral, insula antérieur, F2, partie adjacente du l’aire 22 de Brodmann (aire TA d’Economo) située en arrière des
cortex temporal et pariétal, putamen, noyau caudé et capsule aires 41 et 42 (aires auditives primaires) dans la partie posté-
interne. En définitive, l’aphasie de Broca persistante avec rieure de T1 est constante. La lésion peut s’étendre en avant au
agrammatisme et diminution de la fluence verbale est associée cortex auditif primaire, en profondeur à la substance blanche
à une large lésion frontopariétale gauche avec généralement une sous-jacente et à l’origine du faisceau arqué, en arrière au gyrus
extension sous-corticale. C’est d’ailleurs une telle lésion qu’a angularis (aire 39 ou PG d’Economo) et au gyrus supramargina-
montré l’examen au scanner du cerveau de Leborgne, le cas lis (l’aire 40 ou PF), en bas et en arrière aux aires 21 (deuxième
princeps de Broca. Il semble prouvé qu’une lésion profonde temporale), 20 (troisième temporale) ou 37 (quatrième
peut donner une aphasie de Broca. Naeser et Hayward [13] temporale).
pensent que les lésions capsuloputaminales peuvent donner des L’aphasie de Wernicke à prédominance de surdité verbale
aphasies de Broca sans agrammatisme ni trouble de la compré- (type II) correspond à une atteinte de la partie postérieure de Tl
hension, ni trouble de l’écriture, tableau proche de l’anarthrie et T2, en arrière du gyrus de Heschl, qui est presque toujours un
Neurologie 21
17-035-A-96 ¶ Aphasie
22 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96
Neurologie 23
17-035-A-96 ¶ Aphasie
ne peut vaincre, celle de la variabilité étiologique. Les modifi- moyenne), ainsi que l’aire de Wernicke et ses connexions vers
cations du langage dues à une lésion cérébrale sont influencées l’opercule frontal qui cheminent dans la substance blanche
non seulement par la topographie de la lésion, mais par la sous-corticale ;
nature et la vitesse d’installation de celle-ci, deux facteurs ayant • un système de compréhension auditive comprenant le cortex
une influence décisive sur la réorganisation fonctionnelle du auditif, l’aire de Wernicke, le cortex associatif temporopariétal
cerveau, sur laquelle va, en définitive, reposer le tableau et les projections du thalamus sur le cortex d’association
clinique observé. Les données supposées acquises sur les auditif via l’isthme temporal ;
corrélations clinicoanatomiques des symptômes aphasiques sont • un système sémantique qui impliquerait le thalamus anté-
donc à nuancer sensiblement en fonction de l’étiologie et de rieur et latéral, la jonction temporo-occipito-pariétale ainsi
l’évolution de la maladie causale. Ces importantes réserves étant que leurs connexions empruntant l’isthme temporal posté-
faites, nous faisons figurer dans le Tableau 2 ces corrélations, rieur et la substance blanche périventriculaire postérieure et
tirées d’études portant sur des séries de patients cérébrolésés supérieure.
examinés par IRM [158, 159].
Apports de l’imagerie fonctionnelle (Tableau 3)
Cerveau et langage Les hypothèses visant à corréler les processus cognitifs à
l’anatomie cérébrale doivent désormais se confronter non plus
Aires de Broca et de Wernicke seulement aux données morphologiques, mais à celles de
l’imagerie fonctionnelle.
L’aire de Broca est le support de la fonction syntaxique du
langage. Cette fonction comprend non seulement l’utilisation Techniques
des mots grammaticaux, mais aussi le maniement des verbes et
en particulier de l’expression et de la compréhension des verbes L’imagerie fonctionnelle utilise trois types de protocoles :
d’action. Les autres éléments de l’ensemble syndromique • études du débit sanguin et/ou du métabolisme cérébral
constituant l’« aphasie de Broca », telle qu’elle fut décrite par régional au repos chez les aphasiques, permettant, d’une part,
son auteur, sont imputables à l’atteinte de structures avoisinan- d’identifier des régions hypométaboliques au-delà des lésions
tes : cortex moteur operculaire (troubles arthriques et phonéti- vues en imagerie morphologique (diaschisis) et, d’autre part,
ques), cortex pariétal inférieur (troubles phonémiques), cortex d’effectuer des corrélations clinicométaboliques ;
frontal dorsolatéral (dynamique du discours, mémoire de travail • études d’activation chez des aphasiques visant à comprendre
verbale, incitation verbale, inhibition des persévérations, les mécanismes de la récupération ;
• études d’activation chez le sujet normal visant à repérer les
cohérence sémantique). L’aire motrice supplémentaire et le
régions cérébrales dont le métabolisme est modifié au cours
gyrus cingulaire gauche interviendraient dans l’incitation
d’une tâche donnée.
verbale, et les structures sous-corticales dans les aspects moteurs
Les études au repos font généralement appel à la TEP, les
ainsi que la cohérence sémantique.
activations à la TEP ou à l’IRMf.
L’anatomie fonctionnelle de l’aire de Wernicke a été décrite
Nous avons fait figurer dans le Tableau 3 un choix de
sous des formes tellement variées qu’il est difficile de prétendre données recueillies chez le sujet sain ou aphasique, au repos ou
actuellement en donner une vision exacte ou même cohé- en activation. Compte tenu de la véritable explosion que
rente [164]. Schématiquement, il est possible de retenir que la connaît aujourd’hui la recherche dans ce domaine, cette brève
partie postérieure du gyrus temporal moyen et les régions mise au point doit être considérée comme provisoire.
avoisinantes (aires 22, 21 et 37 de Brodmann) sont concernées
par le traitement lexical et la correspondance lexicosémantique. Résultats
Des sous-spécialisations catégorielles semblent exister, avec une Les premières mesures du débit sanguin cérébral chez des
relation fonctionnelle préférentielle entre les noms d’animaux patients aphasiques remontent à 1978 [174], montrant pour la
et les noms d’êtres animés et le cortex temporal latéral inférieur, première fois une diminution du débit sanguin cérébral plus
les noms d’objets manufacturés et le cortex temporal postéro- étendue que la lésion visible au scanner. La confirmation que
supérieur à la jonction avec le lobe pariétal. Le gyrus temporal cet hypodébit reflète en réalité un hypométabolisme à distance
supérieur et le gyrus supramarginal (aire 40) sont, quant à eux, de la lésion a été apportée par la TEP dès 1981 [163]. L’intérêt de
responsables du traitement phonologique, ainsi que de la ces constatations est renforcé par les études de débit sanguin
mémoire verbale à court terme. Le gyrus temporal supérieur lui- et/ou de métabolisme cérébral au cours de la récupération des
même répond à la stimulation par des sons de parole (stimula- syndromes aphasiques. Pionniers en ce domaine, Weiller et
tion phonétique), mais seule sa partie antérieure serait activée al. [172] ont mesuré le débit sanguin cérébral au repos, puis au
lorsque le stimulus forme un message intelligible [165]. cours d’une tâche de langage chez des patients ayant récupéré
d’une aphasie de Wernicke, et comparé les résultats avec ceux
Architecture tridimensionnelle des aires d’un groupe de sujets normaux. Chez ces derniers, les tâches
cérébrales du langage linguistiques entraînaient une augmentation du débit sanguin
cérébral affectant presque exclusivement les aires corticales
Alexander [159] a proposé les correspondances suivantes entre temporales et frontales gauches, tandis que chez les patients
les structures de l’hémisphère cérébral gauche et le langage cérébrolésés, l’augmentation portait également sur les aires
envisagé comme un ensemble de systèmes fonctionnels com- homologues de l’hémisphère droit. Ces résultats suggèrent que
plémentaires : la récupération de l’aphasie repose en partie sur la mise en
• un système d’initiation impliquant l’aire motrice supplémen- œuvre de zones hémisphériques droites qui ne sont pas mises
taire et peut-être le cingulum antérieur. Ces structures en jeu par le langage en temps habituel. Malheureusement,
projettent sur le cortex frontal dorsolatéral via la substance comme l’ont montré des études en TEP ou en IRMf [169, 173, 175],
blanche périventriculaire antérolatérale ; la compétence linguistique de ces aires vicariantes est générale-
• un système de production de la parole assurant la qualité de ment insuffisante pour assurer une récupération de qualité.
l’articulation et du volume vocal incluant l’opercule frontal et Dans les trois études citées, les patients, aphasiques en cours de
le cortex moteur inférieur, qui projettent sur les noyaux gris récupération, soumis à des tâches de langage, voient leur débit
centraux (putamen et noyaux caudés) via la substance sanguin augmenter lors de cette activation dans des proportions
blanche périventriculaire supérieure antérieure et moyenne, le variables, mais la qualité de la récupération clinique est
genou de la capsule interne et la partie postérieure du bras seulement corrélée à l’activation des aires corticales gauches
antérieur de la capsule interne ; juxtalésionnelles épargnées par la lésion, et jamais aux activa-
• un système d’organisation phonémique impliquant l’opercule tions des aires corticales homologues de l’hémisphère droit. Par
frontal, le cortex moteur inférieur et leurs efférences (subs- conséquent, chez les sujets adultes clairement latéralisés, les
tance blanche périventriculaire supérieure, antérieure et chances de récupération reposent avant tout sur la préservation
24 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96
Tableau 3.
Études en imagerie fonctionnelle chez le sujet sain et chez le sujet aphasique.
Références Étude Imagerie Sujets Résultats
Kircher et al., Génération de mot : commentaire sur test IRMf Volontaires sains Corrélation entre production verbale et aires 22,
2000 [166] de Rorschach 39 et 40 gauches
Bookheimer et al., Langage « automatique » : répétition de IRMf Volontaires sains Mois versus phonèmes : activation
2000 [167] phonèmes, mois de l’année, passage de prose postérosupérieure du cortex temporal
appris par cœur postérosupérieur gauche
Récit versus mois : aire de Broca gauche
Embick et al., Lecture : détection d’erreurs syntaxiques versus IRMf Volontaires sains Activation prédominante de l’aire de Broca
2000 [168] orthographiques au cours de la tâche syntaxique
Hickock et al., Dénomination subvocale IRMf Volontaires sains Activation de la région dorsale postérieure
2000 [130] du gyrus temporal supérieur gauche
Ohyama et al., Répétition des mots TEP Volontaires sains Activation bilatérale à prédominance gauche
1996 [169] du cortex frontal postéro-inférieur et temporal
postérosupérieur
Ohyama et al., Répétition des mots TEP Aphasiques Activation droite plus marquée que chez les
1996 [169] volontaires sains, mais performances corrélées
à l’activation gauche
Scott et al., Compréhension orale : sons versus phonèmes TEP Volontaires sains Activation du sillon temporal supérieur par la
2000 [165] versus parole intelligible parole, mais de sa partie antérieure seulement
si elle est intelligible
Friederici et al., Compréhension orale : phrase versus listes IRMf Volontaires sains Langage normal : activation des aires auditives
2000 [170] de mots et de non-mots primaires et secondaires bilatérales
Traitement syntaxique : opercule frontal gauche
Mummery et al., Audition parole versus bruit TEP Volontaires sains Activation temporale postérieure gauche
1999 [171]
Mummery et al., Audition parole versus bruit TEP Aphasiques Activation temporale postérieure gauche
1999 [171]
Weiller et al., Compréhension orale et génération de verbes TEP Volontaires sains Activation des aires de Wernicke et Broca
1995 [172] (génération de verbes) gauches et, à un moindre
degré, droites
Weiller et al., Compréhension orale et génération de verbes TEP Aphasie de Wernicke Activation de l’aire de Broca gauche et des aires de
1995 [172] Broca et Wernicke droites
Rosen et al., Génération de mots versus lecture IRMf Infarctus FIG (aire de Activation de l’aire de Broca droite ; activation
2000 [173] Broca) résiduelle de l’aire de Broca gauche corrélée
aux performances
IRMf : imagerie par résonance magnétique fonctionnelle ; TEP : tomodensitométrie par émission de positons ; FIG : frontal inférieur gauche.
Neurologie 25
17-035-A-96 ¶ Aphasie
leur mobilité. La laryngostroboscopie permet l’examen du • une dysarthrie ataxique (syndromes cérébelleux) : accentuation
fonctionnement des cordes vocales au cours de la voix chantée. excessive et inégalement répartie, prolongation des phonèmes
Les examens électromyographiques et cinéradiographiques et des intervalles, irrégularités dans la parole spontanée et la
renseignent sur l’amplitude des mouvements articulatoires et les répétition, lenteur d’élocution, intensité vocale souvent
mesures aérodynamiques étudient les mouvements d’expansion excessive et irrégulière ;
et de contraction du thorax et le volume d’air utilisé lors de la • une dysarthrie hypokinétique (maladie de Parkinson) : parole
respiration et lors de la phonation. Les études acoustiques monotone dans sa hauteur et son intensité, d’intensité
reposent sur l’examen oscillographique. Il s’agit de l’analyse globalement réduite, de rapidité variable, comportant de
physique de l’onde sonore qui est visualisée sur un écran courtes accélérations et des silences inappropriés, parfois une
cathodique et peut être filmée. Cette technique permet l’analyse palilalie ;
de l’intensité sonore, de la fréquence fondamentale, de la • les dysarthries hyperkinétiques rapides des chorées où la
structure acoustique et de la durée des différents segments de la précision de l’articulation, le nasonnement et l’intensité
parole (phonèmes, mots, phrases) ainsi que de la durée des varient rapidement d’un moment à l’autre, celle des myoclo-
pauses. nies où existent des interruptions rythmiques de la parole et
des nasonnements et celle du syndrome de Gilles de la
Troubles de la voix (dysphonies) Tourette ;
• une dysarthrie hyperkinétique lente (athétose, dyskinésies et
Leur diagnostic repose sur la laryngoscopie, montrant l’aspect dystonies) : variations de la qualité articulatoire, prosodie
et la mobilité des cordes vocales, et sur l’examen neurologique excessive et inadaptée, troubles intermittents de la voix ;
qui met en évidence d’éventuels troubles associés. On décrit des • une dysarthrie des tremblements, (surtout tremblement essen-
paralysies et des dysphonies fonctionnelles. tiel) : voix chevrotante du fait d’altérations rythmiques en
hauteur et en intensité ;
Dysphonies paralytiques • des dysarthries mixtes : (SLA, SEP, maladie de Wilson) (cf.
L’innervation des muscles laryngés est assurée en totalité par infra) :
la dixième paire crânienne ou nerf pneumogastrique (X). Dans C sclérose latérale amyotrophique combinant une atteinte
la paralysie des cordes vocales par atteinte du X, la voix est périphérique et pyramidale ;
faible, parfois chuchotée, soufflée ou présente des cassures en C sclérose en plaques qui combine des éléments paralytiques
fausset. Des variantes existent selon que l’atteinte est uni- ou et cérébelleux ;
bilatérale (les troubles sont évidemment plus marqués dans ce C maladie de Wilson de type hypokinétique avec monotonie
dernier cas) et selon que la totalité du territoire du nerf ou de l’accentuation, baisse de la hauteur et de l’intensité se
seulement certaines de ses branches sont atteintes. Les atteintes distinguant de la dysarthrie parkinsonienne par l’absence
globales sont dues soit à une lésion centrale (bulbaire) soit à d’épisode d’accélération.
une neuropathie, les lésions partielles à une compression distale
(intrathoracique ou cervicale). Dans les lésions totales, une Étiologie des dysarthries
paralysie du voile avec nasonnement et troubles de la dégluti-
tion s’ajoute aux troubles de la voix. Une paralysie bilatérale des Accidents vasculaires cérébraux
nerfs récurrents fixe les cordes vocales en adduction, donnant Le syndrome dysarthrie-main malhabile [179] comporte une
une dyspnée inspiratoire intense associée à une dysphonie. Une parésie faciale centrale, une dysarthrie et une dysphagie
dyspnée laryngée sans dysphonie doit faire évoquer un syn- combinées à une incoordination manuelle unilatérale, de
drome de Gerhardt (paralysie sélective des dilatateurs de la mécanisme tantôt cérébelleux tantôt ataxique. Deux topogra-
glotte), qui peut être d’origine centrale (atteinte partielle du phies lésionnelles sont possibles : le pied de la protubérance à
noyau ambigu au cours du syndrome de Shy-Drager), ou l’union du tiers supérieur et du tiers moyen ou le genou de la
périphérique (polyradiculonévrite). On décrit enfin des cas de capsule interne dans sa partie supérieure, régions où les fibres
paralysie idiopathique des cordes vocales, plus souvent unilaté- pyramidales sont relativement dispersées et où une atteinte
rale (plus fréquente à gauche) que bilatérale, d’évolution sélective du contingent corticobulbaire est possible. Un tableau
régressive et qui constituerait une forme de mononeuropathie analogue pourrait être dû à un infarctus cortical, mais il existe
des nerfs crâniens. alors un trouble sensitif péribuccal associé. Une dysarthrie mixte
(parétique et cérébelleuse) accompagne également le syndrome
Dysphonies « fonctionnelles » d’hémiparésie ataxique, dû à une lésion protubérantielle ou
On distingue : capsulaire interne. Une dysarthrie parétique est fréquente au
• des phénomènes de conversion hystérique avec mutisme ou cours des lésions vasculaires sous-corticales affectant la voie
voix chuchotée, ou soufflée, enrouée, en fausset. Le diagnos- motrice principale ou les noyaux gris, et peut même résumer la
tic se fait sur la conservation de la toux qui atteste d’une symptomatologie après lésion putaminale.
capacité conservée de fermeture glottique ; Autres causes
• la dysphonie spasmodique est une forme de dystonie focale.
La voix est heurtée, bégayante, étranglée, produite avec effort. Les causes des dysarthries sont trop nombreuses pour être
Le trouble est variable, exagéré lors des émotions, parfois passées en revue ici. Nous insistons seulement sur celles dont le
absent lors d’une émission imprévue. À la laryngoscopie, il diagnostic peut être difficile parce qu’elles constituent le signe
existe un spasme en adduction des cordes. Elle peut s’accom- inaugural ou prédominant de la maladie.
pagner d’un tremblement de la voix. Son traitement repose Dans la sclérose latérale amyotrophique à début bulbaire et
sur l’injection locale de toxine botulinique. surtout pseudobulbaire, la parole est lente, l’articulation faible,
la voix nasonnée, rauque et étranglée avec une perte de la
prosodie. La motilité de la langue est réduite. Des troubles de la
Troubles de l’articulation (dysarthries) déglutition peuvent être associés. En cas d’atteinte du motoneu-
rone périphérique, l’examen montre une atrophie et des
Sémiologie des dysarthries fasciculations de la langue, avec, à l’électromyographie (EMG),
Darley et al. [178] distinguent : des signes périphériques dans la houppe du menton ou la
• une dysarthrie flasque (paralysies périphériques : polyradiculo- langue et, en cas d’atteinte centrale, une exagération du réflexe
névrites, myasthénie, paralysie bulbaire progressive) : faiblesse massétérin et une labilité émotionnelle. La conservation du
articulatoire, forte nasalité, découplage de la parole et de la réflexe du voile contraste avec une motilité volontaire médiocre.
respiration ; La myasthénie peut réaliser un tableau très proche, mais il n’y
• une dysarthrie spastique (syndromes pseudobulbaires) : fai- a ni fasciculations de la langue ni signes centraux. On peut
blesse articulatoire, parole lente, de tonalité basse, voix recueillir la notion d’une variabilité des troubles ou la mettre en
rauque et étranglée ; évidence par une épreuve de fatigabilité phonatoire (par
26 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96
Neurologie 27
17-035-A-96 ¶ Aphasie
postérieure qu’aux hémisphères cérébraux, sont une cause L’imagerie morphologique (scanner et IRM) est normale. Les
d’aphasie beaucoup plus rare que chez l’adulte. Elles donnent mesures de débit sanguin et de métabolisme cérébral peuvent
surtout lieu à une anomie. montrer des zones d’hypo- ou d’hypermétabolisme correspon-
dant aux foyers EEG [197, 198]. Les anomalies métaboliques sont
Pronostic et récupération purement corticales, sans altérations au niveau du thalamus [97].
Le pronostic est nettement meilleur que chez l’adulte, mais La magnétoencéphalographie et les enregistrements par électro-
25 % à 50 % des enfants aphasiques auraient encore des des corticales ont démontré que le maximum des anomalies
troubles du langage 1 an après le début [187]. Une épilepsie est paroxystiques se situe à la partie postérieure de la face dorsale
un élément défavorable. De plus, les lésions diffuses et/ou de la première circonvolution temporale, en arrière du gyrus de
bilatérales (souvent d’étiologie infectieuse) sont de mauvais Heschl [196]. L’évolution des troubles du langage est d’autant
pronostic [191]. plus sévère que le début est précoce, pouvant aboutir à un
Lenneberg [192] a esquissé une évolution en fonction de l’âge tableau proche d’une surdi-mutité. À l’inverse, l’épilepsie est peu
d’acquisition de la lésion. De 18 mois à 3 ans, on observe une invalidante et régresse toujours totalement avant l’âge de
reprise de l’acquisition du langage après une brève période de 15 ans. La normalisation de l’aphasie suit celle des tracés EEG.
mutisme dont le caractère aphasique n’est pas démontré. Cette Cependant, 10 % des enfants gardent une aphasie grave, et
reprise se fait selon le schéma du développement normal : 40 % des difficultés suffisantes pour compromettre leur inser-
lallations, mots isolés, holophrases, mais à un rythme accéléré. tion scolaire et sociale ultérieure.
Entre 3 et 4 ans, les troubles aphasiques sont rapidement Le diagnostic différentiel [199] comporte l’autisme et les
résorbés. De 4 à 10 ans, le tableau d’aphasie de l’enfant typique retards globaux de développement (dans lesquels les troubles
(expression réduite, mais troubles de compréhension modérés) cognitifs sont plus diffus), les retards mentaux symptomatiques
se résorbe plus lentement, sans que la vitesse de récupération (dans lesquels il existe des anomalies cliniques et en imagerie),
soit clairement influencée par l’âge au moment de la lésion [193]. les épilepsies bénignes de l’enfant (où il n’y a pas de troubles
du langage), et les aphasies de développement (où manquent les
signes EEG).
« Prix de la récupération » [187] Le SLK est aujourd’hui considéré comme une forme clinique
Lenneberg a considéré la plasticité cérébrale comme le facteur du syndrome de pointes-ondes continues du sommeil lent
expliquant la meilleure récupération de l’enfant. Cette plasticité (POCS) [199, 200]. L’activité épileptique persistante bilatérale
a pour conséquence le transfert des capacités de langage, que les empêcherait, au niveau d’un cortex temporal encore immature,
aires initialement prévues sont devenues incapables d’assumer, la formation des réseaux neuronaux nécessaires à l’acquisition
vers l’hémisphère contralatéral ou vers d’autres aires du même du langage, sans possibilité de compensation par le cortex
hémisphère. Un effet pervers de ce mécanisme serait d’empê- contralatéral (contrairement aux aphasies lésionnelles, dont la
cher les aires nouvellement investies de fonctions linguistiques récupération est bien meilleure chez l’enfant).
d’accomplir leur spécialisation dans des processus non verbaux, L’épilepsie, lorsqu’elle existe, répond en général favorable-
expliquant ainsi une partie des difficultés scolaires que rencon- ment à un traitement par benzodiazépines, associées ou non à
trent les enfants aphasiques en cours de récupération dans de du valproate. Le traitement à visée étiologique est fonction de
multiples domaines cognitifs autres que le langage. Une autre la gravité des troubles du langage. Lorsque ces derniers sont
explication pour ces difficultés serait la présence de lésions sévères ou durables, la corticothérapie est recommandée. Des
présentes initialement au niveau de ces mêmes aires « vicarian- succès ont été obtenus par la chirurgie (transsections sous-
tes », mais passées inaperçues en raison de leur relative discré- piales intracorticales multiples [196]) et par les immunoglobulines
tion par rapport à l’aphasie. Les conséquences de ces lésions sur intraveineuses [201].
les capacités cognitives non verbales deviendraient apparentes à
la reprise d’une activité nécessitant une mobilisation de Prise en charge des enfants aphasiques
l’ensemble du fonctionnement cérébral. Dans les cas d’aphasie de l’enfant comme dans ceux de
syndrome de Landau-Kleffner, une prise en charge pluridiscipli-
Syndrome de Landau-Kleffner naire est souhaitable. Un bilan orthophonique (évaluation du
Le syndrome de Landau-Kleffner (SLK) associe une aphasie langage oral chez l’enfant aphasique [ELOLA], in Mazaux et
acquise et des anomalies paroxystiques à l’électroencé- al. [7] ) est nécessaire, même dans les cas où le langage est
phalogramme (EEG) ainsi qu’une épilepsie dans 70 % des cliniquement satisfaisant. En effet, des troubles linguistiques
cas [194]. Les deux tiers des patients sont des garçons. Le début discrets (de discrimination phonémique notamment) peuvent
se fait dans 80 % des cas entre 3 et 8 ans, dans 45 % des cas ne se révéler handicapants que plus tard, au moment de
par une aphasie, dans 16 % des cas par une épilepsie et dans l’acquisition du langage écrit. Les troubles plus importants
17 % des cas par les deux simultanément [195]. L’aphasie débute nécessitent naturellement une rééducation. Elle doit s’accompa-
par des troubles de la compréhension orale, pouvant être prise gner d’un examen psychologique pour évaluer la composante
pour une surdité, puis comporte des paraphasies et des erreurs psychoaffective du mutisme ou des troubles du comportement.
phonémiques, une inattention et une agnosie auditive. Il peut Lors de la prise en charge de ces enfants, il est sage d’éviter de
s’y associer une hyperkinésie. Dans les cas les plus précoces formuler trop tôt un pronostic, celui-ci étant incertain en l’état
(10 %), l’aphasie peut se présenter comme un retard de langage. actuel des connaissances.
Les tests montrent une préservation des capacités non verbales.
Les crises d’épilepsie, quand elles surviennent, peuvent évoquer
une épilepsie à paroxysmes rolandiques, ou se présenter sous la
■ Rééducation des troubles
forme de clignements, de déviation du regard, de petits auto- du langage
matismes moteurs ou de chute de la tête, suivis ou non d’une
généralisation secondaire. L’EEG est un élément essentiel du La bibliographie concernant la rééducation des troubles du
diagnostic. Il montre, sur une activité de fond normale, des langage est désormais importante et nous renvoyons le lecteur
pointes et pointes-ondes de grande amplitude à 2 Hz de à des ouvrages récent [7, 138, 202-204].
topographie variable dans l’espace et dans le temps, mais à
prédominance temporale (50 % des cas) ou temporo-occipitale Récupération spontanée
(un tiers des cas). Ces anomalies sont bilatérales, mais il a été La restauration des mécanismes du langage dépend de
montré par des tests pharmacologiques que le point de départ multiples facteurs qui viennent peser sur la récupération
est unilatéral avec une diffusion contralatérale [196]. Les anoma- spontanée et l’efficacité des techniques thérapeutiques.
lies sont accentuées au cours du sommeil lent, où elles peuvent
prendre l’aspect d’un état de mal. Les signes EEG sont les plus Mécanismes neurophysiologiques
fréquents entre 3 et 5 ans, et disparaissent toujours au plus tard Les mécanismes neurophysiologiques incluent la levée du
après 15 ans. diaschisis et les phénomènes de plasticité cérébrale et de
28 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96
vicariance. Des travaux récents utilisant les techniques d’image- • l’utilisation d’habiletés de communication dans des situations
rie fonctionnelle (TEP et IRMf) ont ainsi confirmé le rôle tantôt d’échanges non arbitraires, reproduisant au plus près celles de
de régions intra-hémisphériques gauches, tantôt de l’hémisphère la vie quotidienne avec par exemple le développement de la
droit dans la récupération de certaines fonctions linguisti- communication référentielle avec la PACE (Promoting Aphasic’s
ques [205]. De plus, ils ont montré que la rééducation, même à Communicative Effectivness), Davis et Wilcox [207], thérapie
distance de la survenue de la lésion cérébrale, pouvait améliorer centrée sur l’utilisation optimale de toutes les capacités
les performances déficitaires et modifier la réorganisation résiduelles de communication (mimiques, gestes, dessins) ;
cérébrale (patients suivis en thérapie mélodique et rythmée ; • la mise en place de modes supplétifs (tableaux de communica-
alexie phonologique rééduquée 25 ans après un accident tion ou de systèmes informatisés plus sophistiqués) ;
vasculaire). • l’analyse conversationnelle qui prend en compte la dynami-
que qui s’instaure entre les partenaires pour échanger des
Facteurs liés à la lésion informations. Elle s’attache à l’optimisation des capacités de
communication du patient lui-même, mais aussi à l’adéqua-
La taille de la lésion est le facteur prédictif de récupération le
tion des stratégies adaptatives du groupe familial ou social
plus important. L’étiologie est mentionnée avec une influence
dont il fait partie.
plus positive lors de traumatismes crâniens que de lésions
vasculaires. Aucun résultat généralisable n’apparaît en ce qui
concerne le site de la lésion, ni le tableau clinique. Mise en œuvre de la rééducation
Les stratégies concernent les procédés mis en place en vue de
Variables individuelles l’amélioration des performances ; il s’agit de restauration, de
Les données concernant l’âge sont parfois contradictoires, réorganisation d’une fonction ou d’utilisation de stratégies
mais la présence d’affections associées au cours du vieillissement palliatives.
pèse sur les capacités de récupération. La préférence manuelle
semble avoir un impact, avec un avantage pour les gauchers (en Restauration
raison d’une organisation fonctionnelle cérébrale moins asymé- Cette stratégie vise à rétablir une conduite linguistique selon
trique que chez les droitiers). Le niveau d’éducation jouerait un son mode de fonctionnement antérieur à la lésion cérébrale. Ce
rôle au niveau des processus de compensation. Les effets liés au rétablissement peut s’appuyer sur des techniques de réappren-
sexe et au multilinguisme restent peu démonstratifs. La motiva- tissage ou de facilitation.
tion et les facteurs psychosociaux qui sont vraisemblablement
très importants ont été peu étudiés. Réapprentissage
Le réapprentissage s’applique aux perturbations résultant d’une
Stratégies de rééducation dégradation des représentations ou des procédures. Il est utilisé
par exemple dans le cas d’agraphie lexicale où le patient garde
Trois grandes orientations peuvent être distinguées. la possibilité d’écrire en utilisant la voie phonologique de
transposition phonème-graphème, mais présente une atteinte
Approche empirique des représentations orthographiques qui se traduit par des
L’intervention est fondée sur la stimulation et/ou le réap- erreurs de régularisation (hôpital → opital, second → segon,
prentissage et s’appuie essentiellement sur des faits sémiologi- antenne → entaine). Le travail consiste à réacquérir la connais-
ques. Cette démarche intuitive a inspiré durant des décennies sance orthographique spécifique des mots. Ce réapprentissage
les premières techniques de rééducation. Si elle manque de peut être soutenu par des techniques d’associations de dessins
justification théorique, elle a l’avantage de faire l’économie venant souligner et s’intriquer dans les lettres à mémoriser. C’est
d’investigations longues et peut être rapidement mise en place le cas également de techniques visant à restaurer des représen-
chez des patients pour lesquels un diagnostic de type cognitif tations sémantiques à travers des exercices portant sur les traits
paraît difficilement envisageable. sémantiques constitutifs d’un concept (évocation, différences
entre deux concepts proches, etc.).
Approche cognitive Facilitation
Ce type d’intervention, qui s’est développé depuis la fin des Les techniques fondées sur la facilitation sont utilisées en cas
années 1980, montre beaucoup plus de rigueur théorique, tant de défaut d’accès à l’information versus dégradation des
sur le plan de l’évaluation et de l’interprétation des troubles que représentations. Dans le cas d’un trouble de la dénomination
sur la délimitation des objectifs de rééducation et des techni- ayant pour origine un déficit d’accès au lexique phonologique
ques choisies. Son principal inconvénient réside dans la de sortie, plusieurs modes de facilitation peuvent être fournis au
longueur des analyses devant conduire au diagnostic cognitif, patient : clé phonémique, c’est-à-dire première syllabe du mot,
lequel consiste à faire des hypothèses sur les mécanismes ou phonème initial, induction du mot en fin de phrase ou
cognitifs lésés et préservés par rapport à un modèle de fonction- encore répétition et lecture à haute voix pour déclencher la
nement du sujet sain. Cependant, cette étape de diagnostic est production du mot cible. Au plan théorique, il s’agit de
tout à fait indispensable à la mise en place de la thérapie. Cette restaurer l’accès phonologique (et plus exactement d’abaisser les
approche peut être envisagée même pour des patients souffrant seuils d’activation des unités lexicales, qui se trouvent anorma-
d’atteintes cognitives multiples (perturbation de la voie phono- lement élevés [96]) en amenant le patient à produire le mot cible
logique de lecture + déficit d’accès au lexique phonologique de de façon itérative. Ce procédé est ancien et son effet bénéfique
sortie [206], etc.). Dans ce cas, plusieurs objectifs sont fixés et le à long terme avait été contesté. Il a été au contraire démontré
thérapeute choisit d’y répondre dans le cadre d’interventions dans bon nombre d’études récentes très rigoureuses sur le plan
soit successives, soit simultanées. méthodologique tant du point de vue du diagnostic cognitif
que de l’application de la thérapie et de l’évaluation de son
Approche pragmatique (ou écologique) efficacité.
L’approche pragmatique de la rééducation de l’aphasie n’est
pas récente. Depuis une dizaine d’années, l’intérêt qu’elle suscite Réorganisation
ne cesse de s’accroître [7, 138]. À la différence de l’approche Elle est utilisée quand les stratégies de réapprentissage ou de
linguistique classique et cognitive qui vise la restauration des facilitation s’avèrent inefficaces. Elle vise à contourner le déficit
habiletés linguistiques perturbées, l’approche pragmatique par le recours à des mécanismes ou à des voies préservés qui
privilégie l’aspect fonctionnel et cherche à valoriser les capacités servent de relais. Plusieurs publications ont montré l’intérêt et
restantes, verbales et non verbales en vue d’une communication l’efficacité de cette stratégie. Dans le cas d’un trouble de
optimale. L’éventail des moyens thérapeutiques est assez large. dénomination résultant d’un déficit d’accès au lexique phono-
Il recouvre : logique de sortie et associé à des troubles modérés du langage
Neurologie 29
17-035-A-96 ¶ Aphasie
écrit, la thérapie se donne pour objectif de réorganiser cet accès famille sur les troubles, sur leur origine et sur les possibilités de
en prenant appui sur la représentation orthographique des prise en charge. Le bon sens veut que la rééducation elle-même
mots. Dans un premier temps, un travail porte sur la restaura- débute dès que et à condition que l’état de vigilance et de
tion des capacités de transposition graphème-phonème (voie fatigue du patient le permettent. La précocité de l’intervention
phonologique de lecture). Dans un second temps, en situation semble essentielle dans les cas de mutisme afin d’éviter l’instal-
de dénomination, le thérapeute amène le patient à se représen- lation de stéréotypies. Toutefois, de nombreuses études à
ter d’abord mentalement le mot écrit ou au moins ses premières orientation cognitive ont montré qu’une thérapie pouvait aussi
lettres, à lire à haute voix ces premiers graphèmes et à utiliser être efficace même longtemps après un accident vasculaire
cette verbalisation comme clé phonémique en vue de produire cérébral (plusieurs années) pour des objectifs bien délimités avec
le mot cible. Il s’agit donc d’accéder à la forme phonologique des stratégies et des techniques bien définies sur le plan
du mot en utilisant un moyen de facilitation phonémique théorique.
généré à partir de la lecture des premières lettres du mot.
À quel rythme la thérapie doit-elle être
Stratégies palliatives dispensée ?
Elles font appel à des procédures de substitution telles que le Les données de la littérature semblent indiquer qu’une prise
développement de la communication non verbale par recours en charge intensive sur une période brève mène à de meilleurs
aux gestes, mimiques, dessins, pictogrammes. Elles visent résultats qu’une prise en charge moins intensive, mais plus
parallèlement l’aménagement de l’environnement. Il s’agit ici de prolongée [204]. Toutefois, il faut considérer que la rééducation
recourir à d’autres modes de communication que le langage et ne se limite pas au travail effectué avec le thérapeute, mais
d’apprendre à l’entourage familial à modifier et adapter sa qu’elle inclut le travail fourni par le patient lui-même lorsqu’il
parole (débit plus lent), son langage (phrases simples, courtes, a acquis un certain degré d’autonomie. Parfois, il peut être
questions fermées...) ainsi qu’à utiliser ou exagérer les envisagé d’alterner des périodes de prise en charge intensive
mimiques. (quatre ou cinq fois par semaine pendant 3 mois suivant
L’évolution des approches thérapeutiques s’oriente vers des l’objectif visé) et des périodes « de repos », en fonction des
prises en charge de plus en plus spécifiques dans leur adaptation résultats d’une évaluation trimestrielle.
à un individu particulier et dans le choix de la fonction à
rééduquer. Ces approches présentent des intérêts complémen- Quelle est la durée optimale de la thérapie ?
taires et ont parfois recours à des stratégies communes ou aux Il n’est pas rare de mener des rééducations sur plusieurs
mêmes exercices. Le rééducateur ne doit pas être partisan d’un années en constatant une amélioration continuelle. En
seul type de thérapie, et son choix doit être guidé par les moyenne, une durée de 2 ans est habituelle, avec une cadence
perturbations aphasiques du patient. Chez un même individu, décroissante des séances à partir du troisième mois. Les objectifs
différentes approches et stratégies peuvent être envisagées évoluent au cours de cette longue prise en charge : si, à la phase
simultanément ou en fonction des phases d’évolution. initiale, c’est la restauration totale du langage qui est visée, une
récupération incomplète nécessite une orientation vers des
Évaluation objectifs moins ambitieux et une approche davantage tournée
vers la communication dans sa totalité. De plus, il paraît parfois
Les tentatives d’évaluation de l’efficacité de la thérapie sont
difficile de travailler d’emblée et parallèlement l’ensemble des
longtemps restées difficilement interprétables en raison de
mécanismes perturbés (concernant la compréhension, l’écriture
problèmes méthodologiques majeurs dont les principaux sont :
et la production orale par exemple) et le rééducateur est
• regroupement de patients présentant des profils disparates du
contraint de planifier les objectifs sur le plan temporel. La
point de vue de leurs perturbations cognitives, ou encore du
question de la poursuite de la prise en charge en l’absence de
point de vue des variables sociodémographiques et psycholo-
bénéfice notable sur la vie quotidienne pose problème, mais est
giques ;
souvent justifiée par un soutien psychologique indispensable.
• absence de prise en compte de la diversité des modes de
Dans ce cas, il serait déraisonnable que le rythme des séances
rééducation utilisés.
ne reste pas soutenu. Cependant, le travail de deuil des capaci-
Cet état s’est considérablement modifié grâce au développe-
tés antérieures pour le patient et pour les proches doit faire
ment de l’approche cognitive dont la rigueur méthodologique
partie des objectifs de rééducation. Notons que la participation
appliquée au diagnostic et à la mise en œuvre de la thérapie a
à des associations d’aphasiques permet de faciliter l’acceptation
également servi la construction de paradigmes d’évaluation
du déficit.
fiables. Notons que l’appréciation de l’effet thérapeutique n’est
entreprise qu’au niveau individuel. Ces paradigmes permettent
de repérer les effets liés à la récupération spontanée, un effet Aspects médicaux et psychologiques
général de la prise en charge et plus précisément de déterminer, Pour le praticien, neurologue ou médecin généraliste, qui suit
parmi les techniques disponibles, lesquelles sont les mieux un patient aphasique en cours de rééducation, il est essentiel de
adaptées au trouble. Ils permettent enfin de mieux prendre en faire régulièrement l’inventaire des acquis du traitement et de
considération le retentissement de la thérapie en termes de leur traduction en termes de qualité de vie. La rééducation n’a
généralisation à des items ou à des tâches non travaillées. de sens pour le patient que si elle lui permet d’améliorer ses
Parallèlement, l’approche fonctionnelle tente également d’éla- capacités de communication avec l’entourage et le milieu
borer des grilles d’évaluation de la communication verbale et extérieur et, dans certains cas particuliers, mais rarement de
non verbale dans des situations simulant ou reproduisant la vie façon prioritaire, ses capacités de lecture ou d’écriture. Il est
quotidienne. On peut en effet se demander s’il serait justifié de judicieux de confronter régulièrement les données de l’examen
poursuivre une rééducation sans transfert des acquisitions dans du patient avec les témoignages de la famille ou des amis. Un
la vie quotidienne. tiers en moyenne des patients rendus aphasiques par un
accident vasculaire cérébral souffrent d’un état dépressif.
Intervention : questions pratiques Celui-ci est réactionnel au handicap causé par l’aphasie, et aussi
favorisé, dans certains cas, par l’effet direct des lésions sur le
Sur le plan pratique, il est actuellement difficile de donner système limbique. Les essais de traitement pharmacologique de
des indications généralisables concernant les questions l’aphasie visant à lutter contre la réduction de l’expression qui
suivantes. pèse sur les mécanismes d’initiation de la parole dans les
aphasies antérieures n’ont pas fait la preuve de leur efficacité.
À quel moment la rééducation doit-elle être
En revanche, un traitement antidépresseur, lorsqu’il est justifié,
initiée ? peut faciliter l’adhésion du patient à la rééducation, lever
Il faut envisager l’intervention du rééducateur aussi tôt que l’inhibition anxieuse, améliorer l’état général en agissant sur le
possible. Son rôle consiste alors à informer le patient et sa sommeil, et réduire les réactions agressives dont on connaît les
30 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96
effets destructeurs sur l’entourage familial. Les états dépressifs À l’issue des 100 premières séances pour les trois premières
peuvent survenir aussi en cours d’évolution, et il faut savoir les catégories d’actes (et des 50 premières séances pour les actes de
détecter chez un malade ayant des antécédents d’accident type 4 et 5), la prescription d’un « bilan orthophonique de
vasculaire cérébral et qui se plaint, sans raison organique renouvellement » est demandée au médecin prescripteur.
apparente, d’une aggravation de séquelles aphasiques jusqu’alors .
stabilisées.
Lorsque l’état neurologique et général du patient aphasique ■ Références
permet d’envisager une reprise de l’activité professionnelle, il est
essentiel de dresser un bilan des capacités restantes et du [1] Damasio AR. Signs of aphasia. In: Sarno MT, editor. Acquired aphasia.
potentiel de récupération, et d’en confronter le résultat aux San Diego: Academic Press; 1991. p. 27-43.
exigences du poste de travail définies par le médecin du travail. [2] Ducarne B. Test pour l’examen de l’aphasie. Paris: ECPA; 1989.
Ces précautions visent à éviter soit de négliger une possibilité [3] Mazaux JM, Orgogozo JM. Boston diagnostic aphasia examination -
de reprise par surestimation de la difficulté, soit, au contraire, HDAE - échelle française. Paris: ESP; 1981.
d’effectuer une reprise prématurée ou mal préparée, de risquer [4] Nespoulous JL, Lecours AR, Lafond D, Lemay A, Puel M, Joanette Y,
une situation d’échec qui rendrait les tentatives ultérieures et al. Protocole Montréal-Toulouse d’examen linguistique de l’aphasie.
Isbergues: L’ortho-édition; 1986.
encore plus hasardeuses.
[5] Kertesz A, Phipps JB. Numerical taxonomy of aphasia. Brain Lang
Enfin, on ne saurait trop insister sur l’importance de l’évalua-
1977;4:1-0.
tion de l’aphasie dans le cadre de l’expertise médicolégale.
[6] Auzou P, Rolland-Monnoury V, Pinto S, Ozsancak C. Les dysarthries.
L’expert doit savoir, chaque fois que la complexité, voire Marseille: Solal; 2007.
l’apparente discrétion des troubles l’impose, dépasser l’examen [7] Mazaux JM, Pradat-Diehl P, Brun V. Aphasie et aphasiques. Paris:
sommaire du langage effectué au cours de l’examen neurologi- Masson; 2007.
que et demander un bilan de langage fait par un(e) orthopho- [8] Seron X, Van der Linden M. Traité de neuropsychologie clinique: Tome
niste connaissant parfaitement l’aphasie, sous peine de pénaliser 1: Évaluation. Marseille: Solal; 2000.
le patient en sous-estimant ses séquelles neuropsychologiques. [9] Eustache F, Lambert J, Mary F. L’agraphie apraxique et les formes
périphériques d’agraphie. In: Le Gall D, Aubin G, editors. L’apraxie.
Prescription Marseille: Solal; 2003.
[10] Deloche G, Hannequin D. DO 80. Paris: Éditions du centre de psycho-
L’évaluation des troubles du langage et de la communication logie appliqué; 2007.
ainsi que leur prise en charge sont des actes inscrits à la [11] De Partz MP, Bilocq V, De Wilde V, Seron X, Pillon A. Lexis. Paris:
nomenclature des orthophonistes (nomenclature générale des Solal; 2002.
actes professionnels médicaux – NGAPM). Ils sont effectués à la [12] Lambert J. Approche cognitive de la rééducation du langage. In:
demande du médecin. Eustache F, Lambert J, Viader F, editors. Rééducations
La prescription médicale doit obligatoirement mentionner : neuropsychologiques. Bruxelles: De Boeck; 1997. p. 43-82.
• soit (le plus souvent) « bilan orthophonique et rééducation si [13] Lechevalier B. Neurobiologie des aphasies. In: Eustache F,
nécessaire », quand l’indication d’une rééducation paraît Lechevalier B, editors. Langage et aphasie. Bruxelles: De Boeck; 1993.
certaine : à l’issue de ce bilan des troubles neurologiques (acte p. 41-70.
médical d’orthophonie 30 – AMO 30), l’orthophoniste envoie [14] Lechevalier B, Lambert J, Eustache F, Platel H. Agnosies auditives et
un compte rendu au médecin prescripteur en indiquant le syndromes voisins. Étude clinique, cognitive et physiopathologique.
« diagnostic orthophonique » et, s’il confirme l’utilité d’une EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Neurologie, 17-021-B-20, 1999 :
rééducation, il inscrit les objectifs de rééducation, la nature 9p.
[15] Morin P, Viader F, Eustache F, Lambert J. Rapport de neurologie. Les
des séances en lien avec la nomenclature (AMO) et leur
agraphies. Congrès de psychiatrie et de neurologie de langue fran-
nombre par semaine ;
çaise. Paris: Masson; 1990.
• soit « bilan d’investigation » (AMO 30), lorsque le diagnostic [16] LuriaAR. Factors and forms of aphasia. In: De RenckAS, O’Connor M,
des troubles est incertain : dans ce cas, le compte rendu editors. Disorders of language. London: Churchill Livingstone; 1964.
indique le diagnostic, et des propositions en faveur ou non p. 1-43.
d’une prise en charge. Si l’orthophoniste propose une réédu- [17] Dennis M, Warlow C. Migraine aura without headache: transient
cation, il appartient alors au médecin de la prescrire ; ischemic attack or not? J Neurol Neurosurg Psychiatry 1992;55:
• soit « bilan de renouvellement » (AMO 30 – 30 %). 437-40.
Les actes de rééducation relatifs aux troubles du langage et de [18] Schiff HB, Alexander MP, Naeser MA, Galaburda AM. Aphemia:
la communication secondaires à des affections neurologiques Clinical-anatomic correlations. Arch Neurol 1983;40:720-7.
acquises sont les suivants : [19] Lecours AR, Navet M, Ross-Chouinard A. Langage et pensée du schi-
• « rééducation du langage dans les aphasies » (AMO 15.3). Les zophrène. Confront Psychiatr 1981;19:109-44.
pathologies concernées sont : AVC, traumatisme crâniocéré- [20] KerteszA, Martinez-Lage P, Davidson W, Munoz DG. The corticobasal
bral, processus expansif intracérébral, encéphalite, aphasie degeneration syndrome overlaps progressive aphasia and
dégénérative, anoxie ; frontotemporal dementia. Neurology 2000;55:1368-75.
• « rééducation des troubles du langage non aphasiques dans le [21] Benson DF, Sheramata WA, Bouchard R, Segarra JM, Price D,
cadre d’autres atteintes neurologiques » (AMO 15.2). Cet acte Geschwind N. Conduction aphasia: a clinicopathological study. Arch
(Haute Autorité de santé – HAS, 2007) fait référence aux Neurol 1973;28:339-46.
troubles du langage et de la communication consécutifs à des [22] Da Silva EA, Chugani DC, Muzik O, Chugani HT. Landau-Kleffner
dysfonctionnements cognitifs autres que linguistiques syndrome: metabolic abnormalities in temporal lobe are a common
(atteinte des systèmes de mémoire, syndromes dysexécutifs, feature. J Child Neurol 1997;12:489-95.
troubles attentionnels, troubles hémisphériques droits, [23] Tranel D, Biller J, Damasio H, Adams HP, Cornell S. Global aphasia
without hemiparesis. Arch Neurol 1987;44:304-8.
troubles gnosiques). Les pathologies concernées sont : AVC,
[24] Goodglass H, Kaplan E. The assessment of aphasia and related
traumatisme crâniocérébral, anoxie, épilepsie, processus
disorders. Philadelphia: Lea and Febiger; 1972.
expansif intracérébral, encéphalite, SEP, maladies neurodégé-
[25] LuriaAR. Les fonctions corticales supérieures de l’homme. Paris: PUF;
nératives en début d’évolution ; 1978. 570p.
• « maintien et adaptation des fonctions de communication [26] Cambier J. Les aphasies sous-corticales. In: Eustache F, Lechevalier B,
chez les personnes atteintes de maladies neurodégénératives » editors. Langage et aphasie. Bruxelles: De Boeck; 1993. p. 71-84.
(AMO 15). Les pathologies concernées sont : maladie [27] Naeser MA, Alexander MP, Helm-Estabrooks N, Levine HL,
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• « rééducation des dysarthries neurologiques » (AMO 11) ; [28] Puel M, Demonet JF, Cardebat D, Bonafé A, Gazounaud Y, Guiraud-
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Toute référence à cet article doit porter la mention : Viader F., Lambert J., de la Sayette V., Eustache F., Morin P., Morin I., Lechevalier B. Aphasie. EMC (Elsevier
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