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¶ 17-035-A-96

Aphasie
F. Viader, J. Lambert, V. de la Sayette, F. Eustache, P. Morin, I. Morin, B. Lechevalier

L’aphasie peut être envisagée sous plusieurs angles : une approche dite « classique » centrée sur la
sémiologie et les syndromes en référence à une taxonomie (aphasie de Broca, de Wernicke, etc.) ; une
approche cognitive qui s’attache à préciser le ou les mécanismes déficitaires à l’origine de la sémiologie
observée en s’appuyant sur des modèles théoriques. Les principaux niveaux de perturbation peuvent être
recherchés au plan lexical (production et compréhension des mots) ou aux plans morphosyntaxique et
discursif ; la prise en compte des capacités de communication élargit la recherche de dysfonctionnements
au niveau pragmatique, dans les aspects coverbaux et non verbaux et dans les interactions entre patient
et entourage. Chacune de ces approches s’appuie sur des outils d’évaluation spécifiques et donne lieu à
des orientations thérapeutiques différentes. Celles-ci sont complémentaires et peuvent être envisagées
chez un même individu à des temps différents ou non. La prise en charge repose, comme toujours en
médecine, sur un diagnostic exact, d’abord par une identification clinique du trouble du langage, puis par
l’imagerie cérébrale qui permet le plus souvent de le rapporter à sa cause.
© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Aphasie ; Alexie ; Agraphie ; Anarthrie ; Dysarthrie ; Dysphonie ; Démences ;


Syndrome de Landau-Kleffner ; Neuropsychologie cognitive

Plan Répétition 16
Compréhension 17
Modèles connexionnistes interactifs 17
¶ Introduction 2
¶ Troubles du langage écrit 17
¶ Examen d’un sujet aphasique 2
Données de la méthode anatomoclinique 17
Définition de l’aphasie 2
Apport de la psychologie cognitive 18
Examen clinique des troubles linguistiques des aphasies :
Approche connexionniste 20
les méthodes 2
Cotation et analyse des résultats 3 ¶ Neurobiologie des aphasies 20
Perturbations aphasiques : les signes 3 Corrélations anatomocliniques des syndromes aphasiques 20
Limites des bilans 5 Corrélations anatomocliniques des symptômes aphasiques 23
Cerveau et langage 24
¶ Étude clinique des aphasies 5
Apports de l’imagerie fonctionnelle 24
Aphasie de Broca 6
Aphasie de Wernicke 7 Langage et préférence manuelle 25
Aphasie de conduction 7 ¶ Troubles de la parole en dehors de l’aphasie 25
Aphasie globale 7 Troubles de la voix (dysphonies) 26
Aphasies transcorticales 7 Troubles de l’articulation (dysarthries) 26
Aphasie amnésique 8 Bégaiement 27
Aphasies sous-corticales 8 ¶ Aphasie de l’enfant 27
Aphasies croisées 9 Sémiologie 27
Troubles de la communication verbale dans les lésions Étiologies 27
de l’hémisphère droit chez le droitier en dehors Pronostic et récupération 28
des aphasies croisées 9 « Prix de la récupération » 28
¶ Étiologies des aphasies 9 Syndrome de Landau-Kleffner 28
Aphasies d’origine vasculaire 9 Prise en charge des enfants aphasiques 28
Tumeurs 11 ¶ Rééducation des troubles du langage 28
Aphasies de cause infectieuse et inflammatoire 11 Récupération spontanée 28
Aphasie et épilepsie (en dehors du syndrome de Landau-Kleffner) 11 Stratégies de rééducation 29
Aphasies post-traumatiques 11 Mise en œuvre de la rééducation 29
Démences 12 Évaluation 30
Langage des schizophrènes 13 Intervention : questions pratiques 30
¶ Aphasie et neuropsychologie cognitive 13 Aspects médicaux et psychologiques 30
Architecture du système lexical 14 Prescription 31
Dénomination 14

Neurologie 1
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■ Introduction
On a volontiers tendance à opposer une neuropsychologie
« clinique » d’autrefois, entièrement dédiée au diagnostic
“ Point important
topographique des lésions, à une neuropsychologie « cognitive » Langage, parole, phonème
d’aujourd’hui, qui, déchargée de ses servitudes médicales par la Le langage est une fonction abstraite pouvant être
neuro-imagerie moderne, pourrait se consacrer pleinement à matérialisée en expression orale par la parole et en
l’élucidation du fonctionnement cérébral. Ce dilemme n’est expression écrite par l’écriture.
qu’apparent, et l’étude des aphasies l’illustre de façon éclatante.
La parole est un acte moteur particulièrement complexe
Loin de détourner les cliniciens de l’aphasiologie, les progrès de
l’imagerie diagnostique leur ont permis d’affiner la connaissance qui nécessite la mise en jeu et la coordination des organes
des phénomènes pathologiques en multipliant les confronta- de la phonation, le larynx et de l’appareil buccopharyngé.
tions clinicolésionnelles autrefois subordonnées à la neuropa- Le son de la voix, support de la parole, est produit au cours
thologie. Les rudes controverses passées entre localisationnistes de l’expiration par la vibration des cordes vocales. Il est
et noéticiens ont fait place à des échanges plus productifs caractérisé par des paramètres d’intensité (fonction de la
autour de schémas à double face anatomique et fonctionnelle, pression sous-glottique), de timbre et de hauteur. Il est
arbitrés par les études d’imagerie fonctionnelle conduites tant ensuite modifié dans les espaces supraglottiques.
chez les patients que chez les volontaires sains. Enfin, les Les phonèmes constituent les sons de la parole. Leur
modèles inspirés de la psycholinguistique sont devenus moins articulation est assurée par les cavités de résonance
ardus et plus accessibles aux cliniciens, lesquels savent désor-
supralaryngées (pharynx, nez, bouche, lèvres) qui sont
mais y reconnaître un moyen d’affiner leur connaissance des
.
phénomènes pathologiques, mais aussi une arme thérapeutique elles-mêmes délimitées par la position de la langue et du
rendue plus efficace par une délimitation plus précise des cibles voile du palais. Ils résultent de la réalisation quasi
de la rééducation. concomitante d’un groupe bien défini de traits
phonétiques. Le système phonologique français
comprend des sons vocaliques (11 à 15, selon les
■ Examen d’un sujet aphasique variantes), des sons consonantiques (17) et des semi-
consonnes (3). Du point de vue de la phonétique
Définition de l’aphasie articulatoire, les phonèmes représentent des entités
Parmi les nombreuses définitions de l’aphasie, nous retenons phonologiques décomposables en un faisceau de traits
celle de Damasio [1] qui regroupe les caractéristiques différen- articulatoires et acoustiques organisés dans un système
tielles les plus importantes. L’aphasie représente « la perturba- binaire. Classiquement, les voyelles sont définies à travers
tion de la compréhension et de la formulation des messages les traits (ouvert versus fermé, antérieur versus postérieur,
verbaux qui résulte d’une affection nouvellement acquise du arrondi versus étiré, oral versus nasal), les consonnes par
système nerveux central ». Chacun des termes de cette défini- les traits liés au mode d’articulation (occlusif versus
tion permet de différencier l’aphasie d’autres pathologies et constrictif), au point d’articulation (labial versus dental,
déviations linguistiques : palatal ou vélaire), au délai d’établissement de voisement
• nouvellement acquise versus troubles du langage congénitaux
(sourd versus sonore) ainsi que par l’opposition oral versus
ou du développement ;
• du système nerveux central versus utilisation déviante du
nasal. Du point de vue de la phonétique acoustique, les
langage en rapport avec un usage social particulier ou une sons du langage sont des sons complexes, c’est-à-dire
affection psychogène ; comportant un son fondamental et des harmoniques. Les
• messages verbaux versus trouble de la communication gestuelle voyelles sont des sons périodiques (chaque harmonique
ou émotionnelle ; est un multiple du fondamental). Les consonnes sont des
• compréhension des messages verbaux versus troubles perceptifs bruits, c’est-à-dire des sons non périodiques dont le
auditifs (surdité) ou visuels (cécité) ; spectre de fréquence est plus étendu que celui des
• formulation des messages verbaux versus troubles de la phona- voyelles. Toutefois, les consonnes sonores sont produites
tion ou de l’articulation. avec des vibrations laryngées. Les consonnes peuvent être
Enfin, Damasio différencie l’aphasie des troubles du langage
caractérisées par les transitions de formants consonne-
pouvant être observée dans les états de confusion mentale
faisant suite à une altération de la conscience.
voyelle.

Examen clinique des troubles linguistiques


des aphasies : les méthodes • le discours narratif est apprécié à partir de la description de
Les examens les plus couramment utilisés en France sont : le scènes imagées (ou éventuellement à partir d’un texte lu ou
test pour l’examen de l’aphasie [2] , l’échelle française pour entendu). Ces situations permettent d’apprécier non seule-
l’examen de l’aphasie (HDAE) [3, 4] , adaptation de l’échelle ment la disponibilité lexicale, mais aussi les capacités syn-
anglaise BDAE de Goodglass et Kaplan et le protocole d’examen taxiques et la cohérence du récit, de même que l’adéquation
linguistique de l’aphasie, MT86. Ces tests explorent les capacités des productions sur le plan phonétique, phonologique ou
linguistiques à travers les mêmes principales fonctions : sémantique ;
l’expression et la compréhension orales, l’expression et la • les épreuves de dénomination d’images pouvant représenter des
compréhension écrites, la répétition, la lecture à haute voix et objets, des symboles, des formes géométriques, des couleurs,
l’écriture sous dictée. Ces batteries sont à visée sémiologique. Il des nombres ou des actions explorent l’accès lexical. Le choix
s’agit de faire l’inventaire des perturbations et des capacités des items répond à des critères de fréquence, de classe (nom,
préservées. Elles orientent vers la classification du tableau verbe), à l’opposition nom générique versus nom spécifique
aphasiologique observé en référence à la taxonomie habituelle (outil versus hache), au critère manipulable versus non
utilisée, mais d’autres taxonomies ont été proposées [5]. manipulable (échelle versus village), comme dans le MT86 ;
• les épreuves de disponibilité lexicale (encore appelée fluence
Étude de l’expression orale verbale) sans support visuel consistent à faire évoquer des
Elle distingue plusieurs situations : items lexicaux suivant une contrainte sémantique (noms
• le langage spontané ou conversationnel est induit par des d’animaux) ou formelle (mots commençant par la lettre P ou
questions posées par l’examinateur ; R) en un temps limité, le plus souvent de 1 minute 30 ;

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• l’exploration des automatismes verbaux est induite par l’évo- s’effectuer sans recours à l’évocation orthographique du mot.
cation des jours de la semaine, des mois de l’année, des Une large place est faite à l’écriture sous dictée. Le choix des
nombres de 1 à 20 ou encore par la complétion de phrases items tient compte d’un certain nombre de variables linguisti-
et de proverbes ; ques telles que la fréquence, la longueur, la classe (il s’agit le
• la répétition est explorée à partir de syllabes, de mots et de plus souvent de substantifs), la régularité versus l’ambiguïté ou
phrases. Le choix des syllabes et des mots tient compte de la encore l’irrégularité orthographique (bac-pharmacien-femme).
complexité des mécanismes articulatoires et de la combina- L’effet de lexicalité (mot versus non-mot) est peu étudié dans les
toire du système phonologique français. Les phrases se tests. Les phrases peuvent s’opposer suivant leur longueur ou
distinguent suivant la longueur, la prédominance d’items leur forte charge en items lexicaux versus grammaticaux.
lexicaux versus grammaticaux ou encore le contenu sémanti-
que concret versus abstrait. La recherche d’un effet lexical Étude des praxies buccofaciales
(mot versus non-mot) est plus rarement effectuée ; Elle permet d’apprécier la motilité volontaire des organes
• la lecture à haute voix permet d’apprécier les capacités de buccofaciaux.
verbalisation du langage écrit indépendamment des capacités
de compréhension. Le matériel proposé comprend des mots Cotation et analyse des résultats
et des phrases dont le choix a été guidé par les mêmes
L’examen du langage des patients aphasiques donne lieu à
variables psycholinguistiques retenues pour la répétition.
une cotation quantitative et qualitative. La cotation quantitative
s’exprime à travers des scores (points ou pourcentages) compta-
Étude de la compréhension orale bilisés pour chaque subtest. Elle permet d’effectuer des compa-
Elle fait appel classiquement à des épreuves de désignation raisons entre épreuves ou même à l’intérieur d’une épreuve
d’images à partir d’une production verbale énoncée par l’exa- suivant les variables étudiées. La cotation qualitative répertorie
minateur. Cette désignation s’effectue toujours en situation de les types d’erreurs et éventuellement les modes de facilitation
choix multiple. Le choix multiple est très variable d’un test à un efficaces. Ces données quantitatives et qualitatives sont repor-
autre. Une première série d’épreuves étudie la compréhension tées sur des grilles d’analyse qui visualisent plus aisément le
au niveau lexical : appariement d’un mot entendu avec sa profil de perturbations et le syndrome aphasique auquel il
représentation picturale. Les subtests sont construits de sorte s’apparente.
que le choix multiple proposé comporte un ou plusieurs Le recueil de ces données ne doit pas s’effectuer sans un
distracteurs : phonémique (poule/moule), sémantique (bouton/ certain nombre de mises en garde. Toute tentative d’interpréta-
fermeture éclair), visuel (bouton/roue). Une seconde série tion des performances nécessite d’avoir suffisamment d’infor-
d’épreuves étudie la compréhension au niveau lexical, syntaxi- mations sur le niveau socioculturel et professionnel, le niveau
que et morphologique : appariement d’une phrase entendue scolaire et le comportement linguistique habituel du patient.
avec une image. Les oppositions entre la cible et les distracteurs L’interprétation d’un score bas à une tâche nécessite de
peuvent se situer sur le plan lexical (stimulus entendu confronter les résultats obtenus à différentes épreuves. Étant
« l’homme mange », images : l’homme boit, la femme boit, donné la pluralité des canaux sensoriels sollicités lors d’une
l’homme mange, la femme mange), sur le plan morphosyntaxi- même tâche, l’examinateur doit toujours déterminer si l’échec
que (stimulus entendu : « la petite fille montre la dame qui du patient est dû à une défaillance de la fonction linguistique
pousse le bébé », stimuli représentés : la petite fille qui montre supposée être testée ou du canal sensoriel utilisé pour évaluer
la dame pousse le bébé, la petite fille que montre la dame cette fonction. Aussi, lorsqu’une épreuve de désignation
pousse le bébé, la petite fille montre la dame qui pousse le d’images à partir d’un mot oral est perturbée, les questions
bébé). Dans le premier cas, la compréhension s’appuie sur suivantes doivent-elles être posées : s’agit-il d’un déficit de
l’intégration lexicosémantique, dans le second, elle met en jeu perception visuelle en rapport avec l’image présentée ? d’un
l’intégration des procédés syntaxiques. Les épreuves précédem- déficit de perception auditive ou d’un défaut de compréhension
ment citées utilisent un support visuel (l’image), d’autres font de niveau linguistique ? Ce dernier peut lui-même être imputé
appel à une réponse gestuelle et requièrent des praxies gestuelles à différents niveaux de perturbation dans le cadre d’une
intactes comme l’exécution d’ordres simples et complexes. interprétation cognitive.
D’autres encore demandent une réponse orale minimale à une
question (oui/non : est-ce qu’une pierre coule dans l’eau ?). Perturbations aphasiques : les signes
Étude de la compréhension écrite Expression orale
Elle est évaluée par des épreuves d’appariement mot/image et Troubles de la fluence
phrase/image qui suivent des principes identiques à ceux
La taxonomie distingue les aphasies fluentes (aphasie de
évoqués pour la compréhension orale. Il s’agit d’épreuves
Wernicke, aphasie de conduction) des aphasies non fluentes
d’appariement en choix multiple mais, dans ce cas, le « mot
(aphasie globale, aphasie de Broca). La fluence désigne le
écrit » reste en permanence à la vue du patient. De la même
nombre de mots émis par minute, environ 90 chez un sujet
façon, on peut choisir des distracteurs ayant, avec la cible, des
normal. Elle est évaluée au cours du langage spontané ou de la
similarités sur le plan phonologique, sémantique ou visuel. Pour
description de scènes imagées et dépend du nombre de pauses
les phrases, le choix est fonction du contenu lexical et de la
ou de leur allongement. Elle doit être différenciée de la dispo-
structure syntaxique. Certains tests proposent des épreuves
nibilité lexicale, couramment appelée fluence verbale, que l’on
reposant uniquement sur la lecture, sans recours à une repré-
évalue par des tâches d’évocation lexicale consistant à donner
sentation iconographique : il s’agit d’associations de segments
en un temps limité le plus grand nombre possible de mots en
de phrases et de textes à partir d’un choix multiple de phrases.
suivant une contrainte déterminée, sémantique (animaux) ou
Le récit d’une histoire lue peut être demandé aux patients ne
formelle (lettre p). Un aphasique peut à la fois être « fluent »,
présentant pas de troubles importants de l’expression orale. Des
c’est-à-dire parler abondamment, et avoir une faible disponibi-
tâches de discrimination littérale et verbale (HDAE) explorent
lité lexicale.
plus particulièrement les capacités d’analyse visuelle des stimuli.
Déviations phonétiques
Étude de l’expression écrite Elles affectent la réalisation articulatoire d’un phonème. Les
Elle comporte plusieurs subtests : expression écrite spontanée, troubles articulatoires se traduisent sur le plan acoustique par des
narration écrite, dénomination écrite portant sur le même type distorsions phonétiques. Les phonèmes sont difficilement
d’items qu’en expression orale. L’écriture de l’alphabet ainsi que identifiables. Classiquement, on distingue les distorsions de type
le nom et l’adresse étudient les modes d’expression écrite les parétique liées à une faiblesse articulatoire, les distorsions
plus automatisés. La copie de mots et de phrases met en jeu des dystoniques liées à l’excès de force articulatoire et les perturba-
procédures de transposition visuographiques qui peuvent tions de type dyspraxique. Ces troubles articulatoires sont isolés

Neurologie 3
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dans l’anarthrie (appelée encore désintégration phonétique ou Les erreurs verbales formelles sont des substitutions lexicales
apraxie de la parole). Ils sont plus fréquemment observés en entretenant avec l’item cible non pas une relation sémantique,
association à d’autres déficits linguistiques dans les aphasies mais une relation de forme (ressemblance phonologique)
« antérieures » comme l’aphasie de Broca que dans les lésions (bateau → râteau). Enfin, les erreurs verbales n’entretiennent ni
postérieures. Les aspects dyspraxiques de la parole peuvent être relation sémantique, ni relation de forme avec l’item cible
observés en l’absence d’apraxie buccofaciale. Ils relèvent des (bateau → patte). Ces paraphasies peuvent avoir la même
désordres dans la programmation du geste articulatoire. Ils origine que les paraphasies phonémiques et résulter de la
frappent par leur variabilité chez un même patient (au gré d’une substitution ou de l’omission de phonèmes (caneton →
dissociation automaticovolontaire et du contexte vocalique ou /katf...kanf/, canon). Une grande abondance d’erreurs sémanti-
consonantique). Ils se démarquent des troubles articulatoires des ques ou d’erreurs verbales réalise un tableau de jargon sémanti-
dysarthries [6] qui relèvent d’atteintes d’étapes plus périphéri- que ou de jargon verbal.
ques des mécanismes articulatoires et se caractérisent par la Les paraphasies extravagantes désignent des substitutions par
stabilité des réalisations. des syntagmes verbaux qui partagent ou non des liens séman-
tiques avec la cible et qui comportent souvent des mots
Mutisme abstraits ou peu fréquents (un sifflet → une sucette d’école ; un
La suspension du langage peut être totale, parfois même berceau → une auberge de jeunesse ; un loup → un Mathieu
aucun son n’est émis. On distingue les mutismes liés principa- sevré d’un vol). Elles sont associées à des lésions sous-corticales.
lement à des difficultés articulatoires, et qui vont évoluer Les erreurs de lexicalisation désignent la substitution d’un non-
rapidement vers une anarthrie, de ceux qui résultent de pertur- mot par un mot, en répétition par exemple (« brupa » →
bations linguistiques de plus haut niveau, notamment lexical. « brutal »).
Enfin, le mutisme akinétique survient dans le contexte d’une
perte globale de l’initiative motrice. Autres
La stéréotypie est une production itérative, stable (syllabe, mot,
Paraphasies (les termes de paraphasie ou d’erreur sont utilisés
syntagme) que le patient ne peut inhiber et qui surgit lors de
pour les troubles observés en expression orale)
toute tentative d’émission orale. Les persévérations sont des
Erreurs phonémiques. Ce sont des transformations qui productions en rapport avec un mot précédemment émis. À la
affectent la forme phonologique du mot. Les productions ne différence de la stéréotypie, elles varient au cours de l’examen.
sont pas des mots de la langue. Toutefois, le mot cible est L’écholalie est la répétition du dernier mot ou segment de phrase
reconnaissable et les productions peuvent aisément être trans- émis par l’interlocuteur. Ce comportement s’observe principale-
crites à l’aide de l’alphabet phonétique international. Les erreurs ment dans les aphasies transcorticales sensorielles ou les
portent sur la substitution, l’omission, l’ajout ou la transposi- atteintes frontales. La palilalie est la répétition du mot ou
tion d’un ou plusieurs phonèmes du mot (ex : baleine/balEn/→/ fragment de mot que le patient vient d’émettre. Elle s’observe
banEn/, champignon /兰ãpiNf/ → /兰ãpf/, bottes/bOt/ → /bOlt/, dans les syndromes extrapyramidaux.
carotte/kaROt/ → /ga 兰 Ot/). Lorsque le mot cible n’est plus
identifiable (éléphant → /benEm/) et que la production est très Agrammatisme
éloignée du mot cible (moins de 50 % de phonèmes communs), Il est défini par un trouble de l’agencement syntaxique et de
le terme de néologisme est utilisé. Le jargon phonémique ou la morphologie des phrases dû à une utilisation insuffisante ou
néologique rend compte de la fréquence des néologismes dans défectueuse des morphèmes grammaticaux libres (articles,
l’expression. Plus récemment, le terme « erreur segmentale » a prépositions, pronoms) ou liés (flexions concernant le genre, le
été préféré à celui de « paraphasie phonémique » dans le but de nombre, le temps). Classiquement, le terme d’agrammatisme
rester neutre quant à la nature de ces erreurs. Leur interpréta- était réservé aux perturbations allant dans le sens d’une
tion est en effet complexe : il est parfois difficile de savoir si réduction (« style télégraphique » des aphasies de Broca), tandis
l’erreur est due à un trouble phonologique ou à un trouble de qu’une désorganisation dans l’utilisation des procédés syntaxi-
la programmation des gestes moteurs articulatoires. ques et des mots fonctionnels était qualifiée de dyssyntaxie ou
Troubles affectant les mots. Le manque du mot est le signe de paragrammatisme. La distinction entre agrammatisme et
le plus courant, il est présent quel que soit le type d’aphasie. Ce paragrammatisme semble aujourd’hui moins forte. L’agramma-
défaut d’évocation lexicale, dont les origines peuvent être tisme peut être associé ou non à un trouble de compréhension
diverses, réduit la qualité informative du langage. Il peut de même nature.
toucher le lexique dans son ensemble ou ne se manifester que
lors de la recherche d’items appartenant à certaines classes de Éléments modalisateurs
mots (noms versus verbes) ou à certaines catégories sémantiques Ils représentent les productions par lesquelles le patient
(objets biologiques versus objets manufacturés). Il peut céder ou communique ses difficultés (oui ça, je le savais bien... j’ai du
non à des facilitations (ébauche orale, fin de phrase). Le patient mal là ; ah non c’est pas ça... j’arrive pas à trouver les mots...).
peut parfois donner le déterminant (c’est un...), employer des
circonlocutions en rapport avec le mot cible (manteau : oui ; je Apraxie buccofaciale
sais ; j’en mets un en hiver) ou enfin produire un mot de
« remplissage » (truc... ; machin...). Indépendante de toute perturbation motrice ou sensorielle
élémentaire, elle se traduit par l’impossibilité d’exécuter
Les erreurs lexicales sont les substitutions du mot cible par un
volontairement certains gestes buccofaciaux qui peuvent en
mot appartenant au lexique et comprennent plusieurs possibi-
revanche être produits de façon automatique ou réflexe. Elle est
lités. Les erreurs sémantiques partagent des liens sémantiques
fréquemment associée à l’aphasie.
avec l’item cible (soleil → ciel). Les liens sont répertoriés suivant
une classification linguistique de type hiérarchique. Ainsi pour
Dysprosodie
les cibles, a-chien et b-voiture : hyperonyme (a-animal, b-objet),
co-hyponyme (a-loup, b-camion), hyponyme (a-dogue, b-R5), La prosodie permet, par des variations de la fréquence
relation contextuelle (a-os, b-route), évocation d’attributs fondamentale et par des éléments rythmiques, d’introduire dans
(a-patte, b-roue), lien fonctionnel (a-aboie, b-route). Les erreurs le discours des nuances linguistiques et des contenus émotion-
visuosémantiques sont des productions qui partagent des traits nels. La prosodie linguistique est marquée par des variations
visuels et des propriétés sémantiques avec la cible présentée d’intonation (phrase déclarative, interrogative, exclamative) ou
dans une modalité visuelle : mouton → chèvre ; pêche → d’accentuation (insistance sur un mot dans une phrase). Dans
pomme peuvent être notées comme visuosémantiques, alors d’autres langues que le français, ces variations portent sur
que les réponses mouton → canard ou pêche → raisin sont l’accentuation syllabique dans un mot (stress en anglais) ou sur
classées en erreurs sémantiques. Cette catégorie permet d’éviter des variations tonales (dans des langues dites à tons). D’autres
une interprétation trop hâtive des erreurs observées. facteurs comme la durée des segments ou l’intensité et le timbre

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participent à la prosodie. Dans les aphasies non fluentes comme Erreurs de réalisation graphique
l’aphasie de Broca et les formes avec trouble articulatoire,
Elles affectent la réalisation de la lettre et perturbent l’agen-
l’augmentation de la durée des segments phonémiques et des
cement de ses traits constitutifs : barres horizontales ou vertica-
pauses ainsi que les difficultés de contrôle de paramètres comme
les, hampes supérieures ou inférieures, boucles. La production
la hauteur et l’intensité perturbent le contour mélodique et la
ne correspond pas à une vraie lettre et peut être difficilement
place des accentuations. La courbe mélodique est plate ou bien,
identifiable. De même que pour la lecture, des erreurs dériva-
dans certains cas, les modifications donnent un tableau de
tionnelles, sémantiques, verbales ou de lexicalisation peuvent
prosodie étrangère (appelé encore syndrome d’accent étranger) :
être relevées.
la dysprosodie anglosaxonne est surtout liée à des troubles
parétiques des organes buccopharyngés, la dysprosodie de type
germanique est liée à des phénomènes dystoniques et aux Limites des bilans
difficultés de production des groupes consonantiques. La Ces protocoles ne s’intéressent qu’aux capacités linguistiques
prosodie émotionnelle exprime les états affectifs (joie, colère, et les évaluent de surcroît lors de situations de langage très
surprise, tristesse). Chez les cérébrolésés gauches, les études arbitraires, fort éloignées des comportements linguistiques
insistent sur la prédominance des altérations de la fonction habituels qui reposent, eux, sur des situations d’échange. Ils
linguistique de la prosodie : interrogation, affirmation, ordre. s’opposent sur ce point aux échelles qui visent à évaluer le
Chez les sujets cérébrolésés droits, les modifications les plus retentissement de l’aphasie sur les activités de la vie quoti-
importantes touchent la fonction émotionnelle : colère, joie, dienne : l’échelle de communication verbale de Bordeaux, le test
tristesse. lillois de communication (2002) ou d’autres qui s’attachent aux
habiletés de communication à travers les dimensions lexicosé-
Erreurs en lecture
mantiques, mais aussi prosodiques, discursives et pragmati-
La lecture à haute voix fait appel à des mécanismes de ques comme le protocole Montréal d’évaluation de la
production orale, et peut donc subir des perturbations dans les communication (2004), qui sont de plus en plus utilisées dans
mêmes domaines : articulatoire, phonémique, et même séman- les aphasies, mais aussi chez les cérébrolésés droits et les
tique. D’un autre côté, elle met en jeu des processus qui lui sont déments [7].
propres et dont la perturbation s’exprime à travers des erreurs Une autre limite concerne le niveau d’analyse des troubles.
spécifiques. Le terme de paralexie (phonémique, verbale, Les bilans font l’inventaire des signes cliniques et aident à
sémantique) est souvent employé. classer l’aphasie du patient suivant une taxonomie de référence.
Cette opération suffit en général au neurologue pour poser un
Erreurs visuelles
diagnostic, discuter les corrélations clinicolésionnelles et en
Elles désignent les substitutions du mot-cible par un mot de déterminer les implications médicales, mais elle apporte peu
forme écrite proche (bouquet → baquet). Elles peuvent affecter d’informations sur les mécanismes du langage perturbés. Cette
uniquement la partie gauche (dessin → bassin) ou la partie lacune est aujourd’hui comblée par l’approche cognitiviste qui,
droite (compléter → complexe) d’un mot lors de déficits en appliquant des grilles d’analyse inspirées par la linguistique,
hémi-attentionnels. vise à exploiter les troubles causés par la pathologie en vue tout
à la fois d’élaborer des modèles théoriques du langage normal
Erreurs phonologiquement plausibles
et de prédire les conséquences de leurs dysfonctionnements [8,
Elles traduisent un décodage phonologique correct des unités 9]. Notons en outre que l’examinateur dispose d’outils autres

sous-lexicales (graphèmes), mais un non-respect des règles que ces échelles globales permettant de compléter les investiga-
contextuelles ou de l’irrégularité orthographique (cidre → /kidR/, tions dans des domaines spécifiques (par exemple DO 80 de
gars → /gaR/, oignon → /wagf/). Deloche et Hannequin [10] pour l’accès lexical et Lexis de Partz
et al. [11] pour l’accès et la compréhension lexicoséman-
Erreurs phonémiques ou non phonologiquement plausibles
tique) [7].
Il s’agit de productions qui ne correspondent pas à un mot Enfin, au-delà de son intérêt purement scientifique, l’analyse
de la langue et qui contiennent des substitutions, des ajouts, des neurolinguistisque permet, par sa précision, de saisir les
omissions ou des transpositions de phonèmes par rapport au singularités de chaque cas d’aphasie et constitue à ce titre un
mot cible. complément indispensable à la rééducation [12].
Erreurs dérivationnelles ou morphologiques
La production est un mot erroné, mais qui respecte le
morphème racine du mot-cible (rêve → rêveur).
■ Étude clinique des aphasies
À la fin du XIXe siècle, la classification des aphasies n’était
Erreurs de lexicalisation
fondée ni sur leur caractère sémiologique, ni sur le siège
On décrit également des erreurs de lexicalisation (cf. supra). anatomique des lésions responsables, mais sur un modèle
prévoyant une stricte correspondance terme à terme entre les
Erreurs en expression écrite éléments de ces deux registres. Il était admis que les mots,
On les désigne par l’appellation « paragraphies ». unités constitutives du langage, étaient représentés dans le
cerveau sous forme d’« images » au niveau de centres corticaux,
Erreurs non phonologiquement plausibles dont au moins trois étaient bien individualisés sur le plan
Elles comprennent toutes les erreurs ne respectant pas la anatomique : images motrices (aire de Broca), images auditives
phonologie du mot en raison de la substitution, de l’omission, (aire de Wernicke), images visuelles (pli courbe). Ces centres
de l’ajout ou de la transposition d’une ou plusieurs lettres étaient connectés : 1) entre eux, 2) avec le centre cortical de
(carabine → caribe). Les termes de paragraphie « phonémique » l’idéation, et 3) avec les récepteurs et effecteurs (périphériques
ou même « graphémique » sont moins employés actuellement. et donc « sous-corticaux »), chaque centre ayant son effecteur
Une grande abondance de ce type de perturbation réalise un ou récepteur propre. La fonction des centres était d’élaborer le
tableau de jargonagraphie. langage intérieur, le centre de l’idéation avait pour tâche de
transmettre la pensée aux centres du langage, et les effecteurs et
Erreurs phonologiquement plausibles récepteurs assuraient la mise en œuvre des fonctions du
Elles ne respectent pas l’orthographe spécifique du mot, mais langage. De ce modèle anatomofonctionnel découlait naturelle-
préservent sa forme phonologique (femme → fame ; second → ment la typologie suivante (Fig. 1) due à Lichtheim :
segon) en utilisant des règles de correspondance phonème- • atteinte des centres = trouble du langage intérieur = aphasies
graphème (le graphème est la représentation écrite d’un pho- corticales (1, 2) ;
nème. Il peut s’agir d’une lettre : f, p, t, a, i ou de plusieurs • dysconnexion entre aire de Broca et aire de Wernicke = apha-
lettres : ou, ph, oin, ch). sie de conduction (3) ;

Neurologie 5
17-035-A-96 ¶ Aphasie

concernent la répétition des mots ou phrases dont l’expression


C spontanée est déjà la plus perturbée (mots grammaticaux,
structures syntaxiques complexes). Le langage « automatique »
(énumérer les mois de l’année, les jours de la semaine) est
5 4 également meilleur. Les troubles arthriques peuvent s’atténuer,
voire disparaître pour un même mot selon que celui-ci est
produit spontanément, lors d’une activité de transposition
(répétition ou lecture à haute voix), dans une série automatique
2 1
ou au cours de mélodies familières. La compréhension orale est
M 3 A variable mais toujours supérieure à l’expression orale spontanée.
Les difficultés portent surtout sur les structures grammaticales et
syntaxiques complexes, les mots grammaticaux, les messages
7 6 complexes surtout lorsqu’un certain nombre d’informations
sont déterminées dans une séquence ordonnée (par exemple
toucher successivement différentes parties du corps).
La lecture à haute voix et la compréhension écrite sont
Figure 1. Schéma dit « de la maison » d’après Lichtheim [13]. A. Centre mauvaises. Là encore, les performances sont meilleures pour les
des images auditives des mots ; M. centre des images motrices des mots ; mots isolés que pour les phrases et la difficulté s’aggrave avec
C. centre de l’idéation ; 1. aphasie de Wernicke ; 2. aphasie de Broca ; le degré de complexité syntaxique. L’échec de la lecture à haute
3. aphasie de conduction ; 4. aphasie transcorticale sensorielle ; 5. aphasie voix des lettres et des non-mots (logatomes) contraste avec les
transcorticale motrice ; 6. surdité verbale pure ; 7. anarthrie pure. capacités de lecture des items lexicaux isolés. Dans l’écriture, on
observe une réduction de la production, un agrammatisme, des
troubles du graphisme, des paragraphies [15]. La réduction est
• dysconnexion entre centres de l’idéation et du langage particulièrement marquée dans l’écriture spontanée et dictée en
= aphasies transcorticales (4, 5) ; comparaison à la copie ; la production de substantifs et
• dysconnexion entre centres et effecteurs ou récepteurs l’absence de mots grammaticaux peuvent aboutir à une écriture
= aphasies sous-corticales (6, 7). agrammatique. Les caractères peuvent être méconnaissables.
Cette nomenclature, même si elle n’a plus aujourd’hui de Lorsque l’analyse de l’écriture est possible, les paragraphies
prétentions théoriques ou explicatives, a l’avantage de fournir littérales constatées sont le plus souvent à type de dysorthogra-
une grille dans laquelle toutes les variétés possibles d’aphasie phie et d’oubli de lettres. L’évolution est fréquemment marquée
trouvent leur place et peuvent être classées selon des critères
par une dissociation entre les performances du langage oral et
sémiologiques simples en catégories mutuellement exclusives. Le
écrit, le plus souvent au détriment de l’écrit. L’écriture peut être
modèle anatomoclinique simple qu’elle proposait s’est considé-
très peu altérée dans certaines formes d’aphasie où prédominent
rablement compliqué sous l’effet de la linguistique et de
l’imagerie, et la terminologie a, elle aussi, été rajeunie. Le terme les troubles arthriques, proches de l’anarthrie.
générique d’aphasies corticales, devenu à la fois trop imprécis et L’aphasie de Broca fait souvent suite à une aphasie globale ou
décidément inexact, est tombé en désuétude, mais les appella- à un mutisme [13]. L’évolution est marquée par la récupération
tions d’aphasie de Broca et de Wernicke restent universellement progressive de mots concrets, le développement d’un agramma-
utilisées en clinique. Les termes d’aphasie de conduction et tisme marqué par des phrases courtes, de style « télégraphique »
d’aphasie transcorticale ont été consacrés par l’usage, parce (qui n’existe jamais d’emblée) et un langage de plus en plus
qu’ils ont gardé toute leur efficacité sémiologique : leur trait propositionnel [13]. L’évolution des troubles arthriques et de la
distinctif, l’atteinte ou la conservation, respectivement, de la réduction de la fluence peut être dissociée ; la persistance d’un
capacité de répéter est aussi celui qui les oppose radicalement. mutisme ou de stéréotypies est rare. Lorsque le tableau initial
Quant au terme purement anatomique d’« aphasie sous- est celui d’une aphasie de Broca, la récupération est habituelle-
corticale », il a perdu son ancienne signification d’« aphasie ment bonne. Les troubles neurologiques associés comportent
pure » pour désigner aujourd’hui certaines aphasies par lésion dans 80 % des cas une hémiplégie ou une hémiparésie brachio-
du thalamus ou des noyaux gris centraux qui appartiennent à faciale sensitivomotrice droite, une apraxie idéomotrice de la
la catégorie des aphasies transcorticales, mais dont les singula-
main gauche et, dans 90 % des cas, une apraxie bucccofa-
rités sémiologiques justifient l’individualisation comme une
ciale [17]. La conscience aiguë que ces aphasiques ont de leur
entité anatomoclinique à part entière. La surdité verbale, qui
figure au chapitre de l’EMC consacré aux agnosies auditives [14] trouble génère des « réactions catastrophiques » et de véritables
n’est pas traitée ici. états dépressifs face à leurs échecs répétés dans leurs tentatives
de communication avec l’entourage. Cette dimension affective
doit être prise en considération dans l’interprétation des
Aphasie de Broca performances et justifie souvent un traitement spécifique.
Les synonymes sont : aphasie motrice, aphasie motrice L’anarthrie pure (aphasie motrice pure, désintégration
corticale, aphasie d’expression, aphasie verbale [13], aphasie phonétique) survient rarement d’emblée et constitue plutôt
motrice périphérique [15], aphasie motrice efférente [16]. l’étape ultime d’une aphasie de Broca [13]. La compréhension et
Deux traits essentiels sont nécessaires au diagnostic : l’expres- l’expression écrite sont normales. Les transformations phonéti-
sion orale peu fluente et les troubles de l’articulation. Les ques sont isolées, prédominent en répétition ou en conversation
difficultés sont maximales en expression spontanée. Celle-ci est et peuvent disparaître complètement dans le langage automati-
réduite, nécessitant un effort considérable notamment d’initia- que. L’apraxie buccofaciale est constante. Dans les formes
tion, et peut se limiter à une stéréotypie, à quelques mots
intermédiaires avec l’aphasie de Broca il existe des paraphasies
(noms, verbes d’action à l’infinitif) ou à des formules automa-
phonémiques, un graphisme maladroit et une dysorthographie.
tiques. La parole est lente, laborieuse, souvent syllabique et
dysprosodique. Les transformations phonétiques sont au Le terme « aphémie » proposé en 1861 par Broca pour désigner
premier plan, masquant des paraphasies phonémiques qui « une perturbation acquise de la faculté du langage articulé »
deviennent plus nettes au cours de la récupération. Le manque . reste de nos jours ambigu même s’il renvoie pour l’essentiel à
du mot est constant, d’intensité variable, prédominant dans le des troubles arthriques dans une acception très proche de
langage spontané. La dénomination est améliorée par l’ébauche l’anarthrie. Pour Schiff et al. [18] , l’aphémie recouvre un
orale (prononciation de la première syllabe, voire simple . syndrome dysarthrique sans ou presque sans aphasie, déterminé
mouvement des lèvres). La répétition est anormale, mais par de petites lésions corticales ou sous-corticales du « système
meilleure que l’expression spontanée ; les difficultés principales moteur responsable de l’articulation ».

6 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96

Aphasie de Wernicke .
doit pas être confondue avec un état confusionnel ou psycho-
tique, risque d’autant plus grand que les patients sont anoso-
Les synonymes sont : aphasie sensorielle (Wernicke, 1874), gnosiques de leur trouble du langage.
aphasie sensorielle corticale (Lichtheim, 1885), aphasie syntaxi-
que (Head, 1926), aphasie sensorielle centrale (Goldstein, 1948),
aphasie de Wernicke de type I [13, 15]. Aphasie de conduction
Une fluence normale ou exagérée, l’absence de trouble de Les synonymes sont : aphasie centrale [15], aphasie motrice
l’articulation, la production de nombreuses paraphasies, un afférente [13], aphasie de conduction afférente et efférente [16, 20].
langage souvent vide de sens et des troubles importants de la L’existence de l’aphasie de conduction fut postulée dès
compréhension la caractérisent. La fluence ne traduit aucun 1874 par Wernicke. Il supposa qu’une lésion interrompant la
effort de production ; la longueur des phrases est normale et connexion entre le cortex temporal et le cortex frontal devait
leur structure grammaticale globale respectée. L’exagération de entraîner une aphasie caractéristique. Cette hypothèse fut
la fluence peut aboutir à une logorrhée incontrôlable. L’articu- ultérieurement reprise par Lichtheim [13]. L’aphasie de conduc-
lation est normale, la prosodie également, mais souvent mal tion représenterait 10 % à 15 % du total des aphasies [21]. Le
adaptée au contexte. En dépit de la production correcte de langage spontané est fluent (moins que dans l’aphasie de
nombreux mots et d’une syntaxe normale, les pensées et les Wernicke, mais plus que dans l’aphasie de Broca), riche en
sentiments du patient ne peuvent être correctement traduits ; paraphasies. La longueur des phrases est légèrement réduite. Le
seules persistent quelques phrases ou expressions toutes faites. discours est entrecoupé d’hésitations traduisant les tentatives
La production déviante comporte l’addition de nombreuses spontanées d’autocorrection (conduites d’approche phonémi-
syllabes en fin de mots et de mots en fin de phrase, des ques), d’autant plus abondantes que ces patients sont parfaite-
paraphasies verbales et sémantiques, mais aussi phonémiques et ment conscients de leurs difficultés. La dénomination est
des néologismes. Quand la production est, pour l’essentiel, perturbée par des paraphasies phonémiques, ou plus rarement
constituée de paraphasies, le langage peut être totalement sémantiques, de même que la répétition ; les difficultés sont
incompréhensible et aboutir à une jargonaphasie. La répétition parfois éludées par l’emploi d’une périphrase ou d’un syno-
est défectueuse, assez bien corrélée à la compréhension : ce qui nyme. Tous les mots (substantifs, adjectifs, verbes, mots
est correctement compris peut être relativement bien répété et grammaticaux) sont concernés, et plus encore les non-mots. La
réciproquement. Le langage automatique (réciter les jours de la compréhension orale est bonne, avec parfois une difficulté pour
semaine, les mois de l’année, etc.), pour peu que l’attention du des phrases complexes. Comme l’expression orale, la lecture à
patient puisse être captée et qu’il comprenne la consigne, peut haute voix est marquée de paraphasies phonémiques, alors que
être meilleur. En dénomination, le manque du mot est très la compréhension du message écrit reste bonne. L’agraphie est
important, non amélioré par l’ébauche orale et la production de constante, l’écriture spontanée toujours plus perturbée que
paraphasies est fréquente. Alors que les paraphasies constatées l’expression orale. Le graphisme est de bonne qualité et la copie
préservée. La production spontanée ou dictée comporte de
dans le langage spontané sont essentiellement verbales, les
nombreuses paragraphies littérales, une dysorthographie et une
erreurs en dénomination sont plus fréquemment des néologis-
atteinte phonologique prédominante [15]. Les mots grammati-
mes ou des paraphasies phonémiques. Cette fréquente « disso-
caux sont plus souvent omis que les substantifs. La grande
ciation » n’est cependant pas constante, de même que la
difficulté ou l’incapacité d’écriture des non-mots est caractéris-
dénomination peut, dans certains cas rares, être de bonne
tique de l’aphasie de conduction. Les substitutions de lettres
qualité sans que le diagnostic d’aphasie de Wernicke puisse être peuvent rendre l’écriture quasi jargonnante [15]. Il existe, comme
remis en cause. dans l’expression orale, de nombreuses tentatives
Les troubles de la compréhension du langage parlé sont d’autocorrection.
constants. La compréhension peut être nulle. Souvent, un mot L’aphasie de conduction peut exister d’emblée ou faire suite
isolé ou une courte phrase peuvent être compris, mais les à une aphasie de Wernicke. Les symptômes neurologiques
difficultés augmentent rapidement avec l’augmentation du associés comportent une hémihypoesthésie parfois suivie d’un
nombre d’informations. Ainsi à quelques secondes d’intervalle, syndrome douloureux, une asymbolie à la douleur, une quadra-
un mot initialement compris peut ne plus l’être, comme s’il nopsie supérieure ou inférieure ou une hémianopsie, une
existait une « saturation » des capacités de compréhension. Les .
apraxie idéomotrice sur commande verbale mais non en
difficultés deviennent majeures lorsqu’il s’agit de passer d’une imitation et plus rarement une hémiplégie. Le pronostic de
tâche à une autre (par exemple montrer les différents objets de l’aphasie de conduction est favorable.
la pièce, puis désigner sur des images différents animaux). En
revanche, les consignes à référence corporelle (toucher une
partie du corps, bouger un segment de membre, mimer tel ou Aphasie globale
tel mouvement) sont souvent mieux exécutées que les autres L’aphasie globale est une altération sévère de toutes les
tâches. Les phrases longues ou à structure syntaxique complexe fonctions du langage. Le mutisme initial est fréquent, l’expres-
ne sont habituellement pas comprises. sion spontanée est nulle ou très réduite, limitée à une syllabe,
La lecture et la production écrite sont perturbées, parallèle- à quelques mots ou stéréotypies. La compréhension est altérée,
ment à la production orale. Dans l’écriture, les lettres sont bien mais Benson [13] souligne la compétence habituelle de ces
formées et la production abondante. Les caractères sont disposés patients à comprendre le « langage non parlé » (gestes, mimi-
en mots avec de nombreuses paragraphies, verbales et littérales, ques, position du corps) et les inflexions et intonations de la
et aussi des néologismes. Les mots grammaticaux sont mieux voix.
écrits que les substantifs. La copie est meilleure que l’écriture Le déficit neurologique associé est important (hémiplégie,
spontanée ou dictée. Lecours et Lhermitte [19] ont qualifié hémianesthésie, hémianopsie latérale homonyme). De rares
d’aphasie de Wernicke de type III les observations comportant observations sont remarquables par la discrétion ou l’absence de
une compréhension et une expression écrites très inférieures déficit neurologique ; ces dernières pourraient connaître une
aux performances orales (alexie avec agraphie). Que ce soit pour évolution meilleure [22] et indiquer une lésion limitée aux
la compréhension ou pour l’expression, il existe des cas, rares territoires de jonction en avant de l’aire de Broca et en arrière
mais spectaculaires, de dissociation des performances entre l’oral de l’aire de Wernicke [23], une topographie plus habituellement
et l’écrit [15]. rencontrée dans l’aphasie transcorticale sensorielle.
Habituellement, les déficits neurologiques associés à l’aphasie
de Wernicke sont peu marqués (il peut exister une hémiparésie,
des troubles de la sensibilité, une amputation du champ visuel,
Aphasies transcorticales
notamment une quadranopsie supérieure droite). Forme Les aphasies transcorticales sont les aphasies respectant les
d’aphasie fréquente chez le sujet âgé, l’aphasie de Wernicke ne capacités de répétition.

Neurologie 7
17-035-A-96 ¶ Aphasie

Aphasie transcorticale motrice défectueuse. L’articulation est normale ou un peu dysarthrique


et le langage automatique est conservé. La compréhension orale
L’aphasie transcorticale motrice peut survenir d’emblée ou
et écrite est défectueuse, souvent nulle, la lecture à haute voix
faire suite à une aphasie de Broca. Elle se caractérise par une
impossible ou très mauvaise. L’agraphie est le plus souvent
expression spontanée nulle ou limitée à quelques syllabes, mots
totale, y compris en copie et n’offre pas de dissociation sembla-
ou phrases courtes et agrammatiques, hésitante, parfois échola-
ble à celle de l’expression orale.
lique [13]. L’existence d’une dysarthrie la distingue de l’aphasie
Les signes neurologiques peuvent associer un déficit sensiti-
dynamique de Luria [16], à laquelle elle est parfois assimilée.
vomoteur à une hémianopsie.
Pour Luria, « les pires difficultés surgissent quand le malade doit
composer de façon indépendante un schéma d’énonciation et le
développer dans le langage spontané ». Damasio [1] signale la Aphasie amnésique
possibilité d’erreurs phonétiques, phonémiques et lexicales.
Benson [13] insiste sur l’effet facilitant d’une activité motrice : un Les synonymes sont : aphasie anomique, aphasie sémanti-
comportement de déambulation ou des mouvements incessants que [13], anomie [24].
de la main paraissent favoriser, chez certains patients, la Le manque du mot est ici le trouble principal ou exclusif. La
production orale. La disponibilité lexicale est particulièrement fluence est normale ou réduite par des pauses, l’articulation et
faible et encore entravée par des persévérations. La dénomina- la prosodie sont normales, les phrases correctement construites,
tion est entravée par le manque du mot et surtout par des mais pauvres en substantifs, parfois inachevées. Le langage est
difficultés d’initiation et des persévérations, mais elle est peu informatif. La dénomination est particulièrement défec-
améliorée par l’ébauche orale ou les indices contextuels. Le tueuse quelle que soit la modalité : canal visuel, auditif, tactile
langage automatique est conservé à condition d’être initié par ou évocation d’après la définition. Le manque du mot est
l’examinateur. Les capacités à compléter les phrases, les prover- compensé par des périphrases, des mots passe-partout (chose,
bes, les poèmes sont excellentes. La répétition est bonne, pour machin) ou une définition par l’usage (brosse : « pour se
les lettres comme les mots, les phrases ou les non-mots. La coiffer ») ou plus rarement des paraphasies sémantiques.
compréhension orale est bonne. La compréhension écrite est L’ébauche orale est inopérante. Les difficultés sont plus mar-
meilleure que dans l’aphasie de Broca. La lecture à haute voix quées pour les noms propres et les substantifs que pour les
est peu perturbée. L’écriture spontanée, calquée sur la produc- verbes. La disponibilité lexicale est déficiente. Le malade peut
tion orale, est réduite, le graphisme est maladroit, avec des éprouver des difficultés aux épreuves de classement sémantique
omissions de lettres ou de mots et un agrammatisme. et même de décision lexicale [13] . Le manque du mot peut
Le déficit neurologique associé est fonction des lésions, mais prédominer sur une catégorie sémantique (par exemple êtres
comporte habituellement une hémiplégie, qui prédomine vivants versus objets) et, à l’intérieur d’une catégorie, sur une
souvent au membre inférieur, et une apraxie idéomotrice. La sous-classe (par exemple végétaux versus animaux) [22] . La
récupération est variable, mais généralement bonne. mémoire verbale (mots couplés, apprentissage d’une liste de
mots ou d’un texte) est altérée. La répétition est normale. Dans
Aphasie transcorticale sensorielle les formes pures d’aphasie amnésique, la compréhension, la
Les synonymes [13] sont : aphasie nominale (Head, 1926), lecture, l’écriture copiée et dictée sont normales et l’écriture
aphasie de Wernicke de type II (Lecours et Lhermitte, 1979). spontanée reflète le trouble de l’expression orale [15].
Le langage spontané est fluent et bien articulé, mais conta- Pour Benson [13] , l’aphasie transcorticale sensorielle et
miné par de nombreuses erreurs (paraphasies sémantiques, l’aphasie amnésique sont les deux pôles d’un même processus
néologismes, paraphasies phonémiques) et par une écholalie. En physiopathologique, que la pathologie peut parcourir dans un
dénomination, le manque du mot est intense, compensé par des sens ou dans l’autre. Ainsi, l’aphasie amnésique peut être soit le
périphrases. La répétition est parfaite et même servile, le patient stade initial d’un état démentiel, soit le stade final d’une
pouvant répéter, sans poser de questions, des items inhabituels aphasie transcorticale sensorielle ayant évolué favorablement.
sans les rectifier (structures syntaxiques, mots ou phonèmes Dans ce dernier cas, la compréhension, la lecture et l’écriture
inappropriés) ni les comprendre (non-mots ou phrases en peuvent rester légèrement perturbées.
langue étrangère). Initié par l’examinateur, le langage automa- L’anomie a une faible valeur localisatrice. L’examen neurolo-
tique est bon, de même que la complétion de proverbes et de gique est souvent normal par ailleurs. Cependant pour Dama-
phrases ou la récitation de poèmes. La compréhension orale est sio [1], une lésion de la partie antérieure du lobe temporal de
défectueuse ; ce qui est répété et complété n’est pas nécessaire- l’hémisphère dominant serait déterminante.
ment compris. La désignation est sévèrement perturbée. La
lecture à haute voix est de qualité variable ; le plus souvent, elle
suscite de nombreuses paraphasies ou une production sans Aphasies sous-corticales
rapport avec le texte. La compréhension de l’écrit, même Nous avons vu que pour les auteurs anciens, les centres du
correctement lu, est déficiente. L’écriture serait perturbée de langage étaient corticaux, et que les aphasies sous-corticales
façon assez semblable à ce qui est constaté dans l’aphasie de étaient considérées comme des troubles « purs » (on dirait
Wernicke, avec des performances correctes en copie, et meilleu- aujourd’hui unimodaux) résultant d’une dysconnexion entre ces
res en dictée qu’en écriture spontanée. centres et l’effecteur (aphasie motrice pure) ou le récepteur
Les signes neurologiques associés peuvent être un déficit (surdité verbale pure) périphérique. On comprend pourquoi,
sensitif et une hémianopsie ou une quadranopsie supérieure ou bien plus tard, Luria [25] et ceux qui, à sa suite, entreprirent
inférieure. Comme dans l’aphasie de Wernicke, l’absence de d’étudier la sémiologie aphasiologique des lésions sous-corticales
signes neurologiques focaux peut égarer et faire évoquer par commencèrent par nommer prudemment « quasi-aphasie » les
erreur un trouble psychiatrique. L’aphasie transcorticale senso- troubles qu’ils avaient constatés. L’imagerie couplée à la
rielle peut faire suite à une aphasie initialement plus intense. Le neuropsychologie clinique a prouvé depuis lors que de telles
pronostic à long terme est incertain. L’aphasie transcorticale lésions peuvent être responsables d’authentiques syndromes
.
sensorielle peut aussi s’installer peu à peu, dans le cadre d’une aphasiques [26-28].
démence ou de toute autre affection neurologique progressive. L’étude de Puel et al. [28] donne une idée de la répartition des
Elle est alors inaugurée par une anomie. différents types d’aphasie observés. Sur 25 patients ayant une
lésion vasculaire sous-corticale définie par le scanner, quatre
Aphasie transcorticale mixte présentaient une dysarthrie isolée, neuf une aphasie « classi-
Cette aphasie cumule les déficits des aphasies transcorticales que » (deux aphasies globales, trois aphasies de Broca, trois
motrice et sensorielle. Dans la majorité des cas, l’écholalie aphasies de Wernicke et une aphasie de conduction) et 12 une
résume l’ensemble de la production. La répétition est préservée, sémiologie originale : défaut d’incitation verbale, altérations de
mais limitée à quelques mots. Certains patients peuvent corriger la parole avec hypophonie et parfois dysarthrie, anomie
une formulation inappropriée en dépit de la compréhension « dissociée » (plus marquée en langage spontané qu’en

8 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96

dénomination), paraphasies verbales « extravagantes » ou Troubles de la communication verbale


bizarres, prédominant également dans le langage spontané, et
enfin incohérence du discours qui est peut-être l’aspect le plus
dans les lésions de l’hémisphère droit
remarquable du tableau. La compréhension était imparfaite, chez le droitier en dehors des aphasies
meilleure pour les mots que pour les phrases. La répétition et le croisées
langage automatique étaient préservés. Il faut ajouter à ces La dominance de l’hémisphère gauche pour le langage,
symptômes proprement aphasiques un trouble des apprentissa- établie depuis la découverte de Broca, mérite d’être nuancée [4,
ges et de la mémoire verbale. En résumé, il s’agit d’une aphasie 31, 32]. D’une part, l’étude des dysconnexions calleuses a établi
avant tout expressive, associant une perte de l’autonomie et de que l’hémisphère droit peut accomplir certaines performances
l’initiative verbale, un trouble de la réalisation de la parole et linguistiques, en particulier au niveau lexicosémantique, d’autre
une incohérence sémantique due à une instabilité du discours part, cet hémisphère intervient dans des aspects non verbaux de
et à des choix lexicaux approximatifs. Cette aphasie, qui laisse la communication. Des troubles de la prosodie sont présents
intactes les capacités de répétition, se rattache au groupe des (sinon toujours recherchés) chez les patients cérébrolésés droits.
aphasies transcorticales, mais sa sémiologie (qualifiée par Puel et Les troubles de la compréhension prosodique sont les mieux
al. de « dissidente ») justifie son individualisation, admise par la documentés. Ils semblent liés, au moins en partie, à une
plupart des auteurs actuels, sous le terme d’aphasie perturbation du décodage perceptif prosodique, indépendam-
sous-corticale. ment de sa fonction linguistique ou émotionnelle. L’expression
Les lésions peuvent atteindre la substance blanche, les prosodique émotionnelle est amoindrie chez certains de ces
noyaux gris ou les deux. Les infarctus profonds du territoire patients, mais il reste à savoir si cette perturbation affecte la
sylvien donnent une aphasie motrice importante, voire une conception du contour intonatif émotionnel ou sa mise en
aphasie globale, les lésions limitées au thalamus ou au striatum œuvre dans le langage parlé.
une aphasie de type « sous-cortical », de même parfois que les Enfin, on insiste sur les modifications du comportement
lésions capsulaires internes. Les lésions purement putaminales langagier en situation « naturelle » de communication : c’est le
donnent une dysarthrie sans aphasie. Les lacunes capsulaires ou domaine de l’organisation du discours, de la pragmatique, des
actes de langage. L’intégrité de l’hémisphère droit semble
latéroventriculaires ne donnent pas d’aphasie, mais une
particulièrement importante pour une adéquation contextuelle
dysarthrie [29] avec parfois une composante cérébelleuse. Les
des comportements de communication, y compris dans l’inté-
hématomes profonds donnent presque toujours une aphasie au
gration de l’implicite du langage (sous-entendus), dans l’usage
moins initialement, dont le pronostic dépend de l’extension des
des métaphores, voire de l’humour.
lésions vers la substance blanche latéroventriculaire. Les
hématomes lobaires frontaux peuvent donner une aphasie
transcorticale motrice, les hématomes temporaux une aphasie ■ Étiologies des aphasies
de Wernicke. Les lésions sous-jacentes au cortex insulaire ou au
lobule pariétal inférieur peuvent donner une aphasie de Sauf précision contraire, les indications topographiques
conduction. Les lésions sous-corticales expansives donnent données dans ce chapitre s’appliquent à des lésions de l’hémis-
d’abord un manque du mot en langage spontané puis en phère gauche.
dénomination, qui peut résumer longtemps le tableau clinique.
Les troubles associés sont naturellement fonction des structu- Aphasies d’origine vasculaire
res atteintes. La présence d’une hémiplégie témoigne d’une Une étude prospective a trouvé, sur 881 accidents vasculaires
atteinte de la substance blanche latéroventriculaire antérieure cérébraux (AVC) aigus, 38 % d’aphasiques (9/10 par lésion
ou capsulaire. L’absence de troubles moteurs ou leur discrétion gauche, 1/10 par lésion droite), dont la moitié d’aphasies
(négligence motrice par exemple) oriente soit vers une lésion sévères [33]. La gravité de l’aphasie était corrélée à l’âge et à
thalamique (on peut noter alors des troubles associés de la l’importance des autres signes neurologiques. Le pronostic était
mémoire, de la vigilance, de l’oculomotricité ou de la sensibi- fonction à la fois de la gravité de l’aphasie et du tableau
lité), soit vers une lésion de la substance blanche postérieure (il neurologique général, et 95 % des aphasiques avaient atteint un
existe alors une hémianopsie). plateau dans la récupération en 6 semaines. Inversement,
l’aphasie était en elle-même un facteur de gravité de l’accident
vasculaire, puisque la mortalité atteignait 31 % chez les aphasi-
Aphasies croisées ques contre 18 % en moyenne sur l’ensemble de la série.
Stricto sensu, l’aphasie croisée résulte d’une lésion cérébrale
Infarctus cérébraux
ipsilatérale à la main préférentiellement utilisée par le patient.
Elle correspond donc aux fréquentes aphasies par lésion gauche Dans l’hémisphère gauche, les structures anatomiques néces-
chez le gaucher et aux rares aphasies par lésion droite chez le saires au fonctionnement de la boucle audiophonatoire sont
droitier. En fait, seules ces dernières sont considérées comme des situées dans le territoire sylvien. Des zones plus périphériques,
aphasies croisées. Joanette [30] a fait une revue exhaustive de la mais néanmoins indispensables à l’accomplissement des fonc-
littérature, et n’a retenu des 75 cas publiés que les 11 qui lui tions linguistiques sont vascularisées, soit par d’autres branches
semblaient présenter tous les critères du diagnostic. Six d’entre de la carotide (cérébrale antérieure, choroïdienne antérieure),
eux ressemblent à une aphasie de Broca, mais les cinq autres soit par la cérébrale postérieure. Le type d’aphasie observée au
s’écartent de la typologie classique. cours d’un infarctus hémisphérique gauche est donc étroitement
lié au territoire vasculaire.
La compréhension orale et écrite est respectée, l’expression
spontanée est souvent réduite avec un certain degré d’agram- Artère sylvienne
matisme, des paraphasies phonémiques et une bonne articula- C’est la plus grosse branche de la carotide interne et la plus
tion. L’expression écrite est moins réduite, moins agrammatique fréquemment affectée dans les accidents ischémiques [34]. Elle
et plus « jargonnante » que l’expression orale. Un cas décrit par irrigue la plus grande partie du cortex de la convexité hémis-
Assal [15] comporte une jargonagraphie. Les activités de transpo- phérique. Son territoire sous-cortical comprend le putamen, la
sition sont en général défectueuses. La récupération des troubles partie latérale du pallidum, une partie du noyau caudé, le
aphasiques serait assez favorable et rapide. Au déficit du langage claustrum et les capsules externe et extrême, la partie supérieure
s’ajoutent fréquemment une apraxie visuospatiale, une négli- de la capsule interne, ainsi qu’une large étendue de substance
gence gauche, une dyscalculie, ainsi que des difficultés d’éva- blanche latéroventriculaire. Le tronc de l’artère sylvienne donne
luation du temps chez deux patients. Enfin, la fréquence naissance aux artères lenticulostriées, qui vont irriguer le
inhabituelle des lésions sous-corticales est un autre point territoire sous-cortical. Ensuite, la sylvienne se divise, le plus
original. souvent en deux branches. La branche supérieure donne les

Neurologie 9
17-035-A-96 ¶ Aphasie

artères à destinée frontale, rolandique et pariétale antérieure, et Infarctus des territoires de jonction des branches
porte souvent les lenticulostriées externes. Pour cette raison, de la carotide interne gauche
l’occlusion de la branche supérieure à son origine entraîne un Ils épargnent les aires périsylviennes du langage. Dans 75 %
infarctus non seulement superficiel antérieur, mais aussi des cas, ils surviennent en aval d’une occlusion ou d’une
profond, capsulolenticulaire. La branche inférieure vascularise le sténose serrée de la carotide interne, associée à un facteur
cortex temporal et pariétal postérieur. supplémentaire de baisse de la pression de perfusion : polyglo-
L’infarctus sylvien total gauche, dû à une occlusion du tronc bulie, hypotension, cardiopathie [43]. Les infarctus de jonction
de la sylvienne ou de la terminaison carotidienne, s’accompa- antérieurs donnent une aphasie transcorticale motrice ou un
gne d’une aphasie globale. Les infarctus sylviens profonds manque du mot isolé. Dans les accidents de jonction posté-
étendus donnent des syndromes aphasiques variés affectant de rieurs, l’aphasie est le plus souvent transcorticale sensorielle,
façon prédominante l’expression orale (cf. « Aphasies sous- parfois de type Wernicke avec des troubles de la répétition et un
corticales »). Les petits infarctus profonds correspondent le plus jargon. L’aphasie transcorticale mixte aiguë est rare
souvent à des lacunes [35]. Moins de 10 % donnent lieu à une (1/300 AVC), mais hautement évocatrice d’une occlusion
aphasie. Dans ces cas, il s’agirait en fait d’infarctus emboliques, carotidienne [44].
comme semblent l’attester la présence fréquente d’une source
Artère cérébrale postérieure
embolique et les dimensions de la lésion au scanner, plus de
15 mm de diamètre. L’infarctus du territoire superficiel (cortex occipital et
Les occlusions de la branche corticale supérieure donnent lieu temporal inférieur) de l’artère cérébrale postérieure gauche
à des infarctus sus-sylviens. Ces lésions, même si elles intéres- donne une aphasie transcorticale sensorielle aiguë. L’évolution
sent l’aire de Broca, donnent rarement une aphasie durable. En se fait vers la régression en moins de 3 mois, avec parfois
revanche, lorsque les lenticulostriées externes naissent de la persistance d’une anomie.
branche de bifurcation supérieure, l’infarctus est cortico-sous- Le territoire profond inclut une partie du mésencéphale et le
cortical. Le tableau est celui d’une hémiplégie droite à prédomi- thalamus. À l’exception des lacunes du noyau ventro-postéro-
nance brachiofaciale, associée à des troubles sensitifs de même latéral responsables du syndrome de Dejerine et Roussy, tous les
topographie et à une aphasie de Broca. Les occlusions de la types d’infarctus thalamique peuvent causer une aphasie, y
branche inférieure, épargnant les artères à destinée rolandique, compris parfois les lésions droites au début. L’aphasie est
ne donnent pas d’hémiplégie, mais une aphasie de Wernicke. constante au cours des infarctus tubérothalamiques gauches,
fréquente dans les infarctus paramédians, mais le pulvinar peut
Celle-ci peut être dissociée, avec des troubles prédominants de
aussi être intéressé. Devant une aphasie aiguë d’allure vasculaire,
la compréhension orale (ramollissement temporo-pli courbe) ou
la topographie thalamique de l’accident peut être suggérée par
du langage écrit (ramollissement pariéto-pli courbe) [36]. Les
l’association de troubles de la vigilance, de la mémoire ou du
embolies cruoriques, qui rendent compte de 15 % à 30 % des
comportement, plus inhabituels dans les accidents carotidiens.
infarctus [37], peuvent donner des aspects sémiologiques parti-
culiers. Du fait de leur aptitude à se déliter spontanément et à Infarctus sous-corticaux [45]
migrer en aval de l’occlusion initiale, elles sont souvent La moitié des infarctus sous-corticaux de l’hémisphère gauche
responsables de lésions du territoire sylvien postérieur. Un supérieurs à 15 mm de diamètre est responsable d’aphasie.
tableau d’aphasie de Wernicke précédée d’une hémiplégie Contrairement aux lacunes, ces infarctus sont le plus souvent
régressive [34] ou d’aphasie globale aiguë [38] est particulièrement (deux cas sur trois) de mécanisme embolique, et la présence de
évocateur. Chez le sujet âgé, la proportion d’aphasies de signes « corticaux » tels que l’aphasie est un des principaux
Wernicke d’origine vasculaire est plus élevée que chez le sujet arguments cliniques du diagnostic différentiel.
jeune. Cela est classiquement attribué à une modification liée à
l’âge de l’organisation fonctionnelle des aires du langage, mais Aphasies transitoires
ce fait serait dû, en réalité, à une surreprésentation des infarctus
Plus d’un tiers des accidents ischémiques transitoires (AIT)
postérieurs dans cette population [39].
comportent un trouble du langage [46], mais toutes les aphasies
Artère cérébrale antérieure transitoires ne correspondent pas à des AIT. Le principal
diagnostic différentiel est l’aura migraineuse. La confusion est
Elle vascularise deux structures importantes pour le langage : d’autant plus facile qu’une céphalée peut accompagner ou
la tête du noyau caudé, par sa branche profonde (l’artère de précéder un AIT dans 30 % des cas [47] et que d’authentiques
Heubner) et l’aire motrice supplémentaire. Les infarctus de migraines peuvent se limiter à l’aura, celle-ci comportant un
l’artère cérébrale antérieure se traduisent typiquement par une trouble du langage dans 16 % des cas [48]. En fait, le déroule-
hémiplégie à prédominance crurale, un grasping, souvent des ment des symptômes permet de reconnaître l’aura migraineuse.
troubles sphinctériens. Lorsque la lésion est gauche, il s’y Les symptômes s’installent progressivement, en plusieurs
associe une aphasie transcorticale motrice par atteinte de l’aire minutes (moins de 2 minutes dans un AIT), et comportent
motrice supplémentaire ou de la substance blanche sous- presque toujours des prodromes visuels [48]. L’aphasie transitoire
jacente [40] , voire une aphasie transcorticale mixte en cas peut aussi correspondre à un phénomène critique (cf. « Aphasie
d’extension postérieure de l’infarctus. La préservation de la et épilepsie »). Enfin, elle peut révéler un hématome sous-
répétition peut aller jusqu’à l’écholalie [41] . En outre, les dural [49], une tumeur ou une hypoglycémie.
infarctus atteignant la partie antérieure du gyrus cingulaire
(territoire de l’artère péricalleuse) donnent un mutisme, qui Accidents vasculaires cérébraux hémorragiques
peut régresser totalement ou évoluer sous forme d’aphasie Les hémorragies représentent 18 % de l’ensemble des
transcorticale motrice. AVC [50]. Les hématomes profonds de l’hypertension atteignent
Artère choroïdienne antérieure soit les noyaux gris, soit le thalamus, donnant des tableaux
aphasiques en rapport avec la localisation [51]. Les hématomes
Bien qu’étant la plus petite des branches terminales de la lobaires frontaux et temporopariétaux donnent respectivement
carotide interne, elle vascularise un territoire d’une grande une aphasie dynamique ou une aphasie de Wernicke. Sous
importance fonctionnelle : le bras postérieur de la capsule réserve des complications précoces liées à l’effet de masse, le
interne (et la pointe pallidale adjacente). L’infarctus résultant de pronostic fonctionnel de l’aphasie après hématome intracérébral
son occlusion donne une hémiplégie, pouvant s’associer à une est nettement meilleur que celui des infarctus.
hémianesthésie et à une hémianopsie classiquement sans La survenue d’une aphasie au cours d’une hémorragie
aphasie. En fait, l’occlusion de l’artère choroïdienne antérieure méningée oriente vers le diagnostic d’anévrisme sylvien gauche.
gauche peut donner une aphasie de type « sous-cortical », avec Le trouble du langage peut être dû à l’épanchement sanguin
diminution de la fluence verbale et difficulté dans le langage dans la vallée sylvienne, ou bien à un infarctus sylvien compli-
élaboré [42]. quant un spasme artériel. Il faut signaler la possibilité d’aphasies

10 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96

transitoires en rapport avec des malformations artérielles ou antiphospholipides, Gougerot-Sjögren, angiopathie cérébrale
artérioveineuses n’ayant pas saigné, soit par migration emboli- gigantocellulaire, thyroïdite de Hashimoto).
que à partir d’un anévrisme partiellement thrombosé, soit par
hémodétournement lors d’une fistule artérioveineuse à Aphasie et épilepsie (en dehors
haut-débit.
Enfin, les thromboses veineuses corticales peuvent, du syndrome de Landau-Kleffner)
lorsqu’elles affectent l’hémisphère gauche, donner une aphasie Les troubles de la parole survenant au cours des crises sont de
associée à d’autres signes cliniques (épilepsie, fièvre, infarctus trois catégories : vocalisations indifférenciées (bruits continus ou
hémorragique) [52]. discontinus, à type de cris, grognements, sifflements, râles),
lambeaux de langage normal (mots ou phrases identifiables)
Tumeurs stéréotypés ou non, ou langage anormal : arrêt de la parole,
dysarthrie, aphasie, ou langage « indifférencié ». Une aphasie de
Les tumeurs malignes sont les plus génératrices d’aphasie
type variable peut également s’observer dans la période
(gliomes, métastases, lymphomes). Chez le sujet âgé (> 65 ans),
postcritique.
l’aphasie est, avec la céphalée et la confusion mentale, l’un des
La suspension de la parole peut survenir lors d’absences de
trois principaux symptômes révélateurs des tumeurs cérébra-
type « petit mal » ou de crises partielles. Associée à des vocali-
les [53]. Elle est le plus souvent progressive sur 2 à 3 semaines,
sations élémentaires ou à des activités de langage répétitives
mais elle peut aussi être soudaine ou paroxystique. Le trouble
(compter), elle évoque des crises de l’aire motrice supplémen-
du langage le plus fréquent est le manque du mot. Sa valeur
taire. L’aphasie postcritique et les crises aphasiques évoquent un
localisatrice n’est pas absolue, l’aphasie anomique pouvant être
foyer épileptogène temporal gauche. Les crises comportant des
en rapport avec une hypertension intracrânienne, même en
lambeaux de langage normal proviennent du lobe temporal
l’absence de lésion focale des aires du langage. En cas de tumeur
droit. Le déroulement des crises aphasiques lui-même n’est pas
hémisphérique gauche, l’anomie évolue vers une aphasie plus
aléatoire. Kanemoto et Janz [62] ont étudié le déroulement de
spécifique : aphasie dynamique au cours des tumeurs frontales,
l’aura épileptique chez 143 patients faisant des crises partielles
aphasie de Wernicke dans les tumeurs temporales ou temporo-
complexes dont 24 avaient des crises aphasiques. Dans tous les
pariétales. L’aphasie de Broca et l’aphasie de conduction ne sont
cas, l’aphasie survenait en fin d’aura, précédée le plus souvent
jamais observées [13], sauf circonstances exceptionnelles : une
de sensations de déjà-vu ou de déjà-vécu ou de troubles du
aphasie de Broca attribuée à un oligodendrogliome est survenue
cours de la pensée (accélération de la pensée, pensée forcée),
dans le contexte particulier d’une récidive postchirurgicale [54].
elles-mêmes précédées de sensations plus élémentaires (malaise
épigastrique, hallucinations gustatives). Le type d’aphasie varie
Aphasies de cause infectieuse en fonction du phénomène qui l’a précédé. Les troubles de la
et inflammatoire compréhension prédominent lorsque l’aphasie est précédée d’un
trouble du cours de la pensée, les paraphasies sont plus souvent
Abcès temporal isolées quand l’aphasie fait suite à une sensation de déjà-vu. Le
déroulement de ces phénomènes reflète la propagation des
L’abcès temporal gauche est une cause rare, mais importante
décharges épileptiques au sein du système limbique suivant des
à connaître, d’aphasie. Il faut l’évoquer en présence d’une
circuits bien définis.
aphasie rapidement progressive avec des céphalées. La fièvre est
Il convient enfin de mentionner la possibilité d’états de mal
inconstante. Les agents pouvant être responsables d’aphasie
partiels aphasiques, pouvant réaliser une aphasie isolée durant
sont trop nombreux pour pouvoir être énumérés dans le cadre
plusieurs heures [63, 64].
de cet article, mais les étiologies infectieuses ou parasitaires
doivent figurer systématiquement au rang des diagnostics
possibles en cas de lésion intracrânienne responsable d’aphasie. Aphasies post-traumatiques
Les aphasies dues à des plaies crâniocérébrales ne diffèrent
Syndrome d’immunodéficience acquise
des aphasies vasculaires que par la constance des lésions
L’aphasie représente 12 % des complications neurologiques corticales. En revanche, les aphasies après des traumatismes
du syndrome d’immunodéficience acquise (Sida) [55]. Elle peut crâniens fermés (TCF) constituent une catégorie à part. Les
être causée par tous les types de lésions cérébrales : infections lésions dans ce cas sont des contusions liées à la brusque
(encéphalites virales, toxoplasmose, mycoses), lymphomes, décélération du crâne et au mouvement relatif de la masse
accidents vasculaires. L’aphasie est minime au cours de cérébrale à l’intérieur de celui-ci. Les pôles frontaux ainsi que les
l’encéphalite à virus de l’immunodéficience humaine (VIH), pôles et la convexité temporaux en sont le siège préférentiel.
marquée seulement par une baisse de la fluidité verbale [56]. Des hématomes extracérébraux ou plus rarement intracérébraux
peuvent survenir, se comportant comme des processus
Encéphalite herpétique expansifs.
L’encéphalite herpétique, qui comporte une aphasie dans 75 % L’incidence de l’aphasie après un TCF est fonction de la
des cas, est une considération diagnostique majeure en cas gravité de celui-ci. De l’ordre de 2 % sur un ensemble de TCF
d’aphasie associée à une fièvre et à des crises d’épilepsie. « tout venant » [65], elle atteint 30 % si l’on ne considère que les
TCF avec coma, et 46 % pour les TCF avec coma de plus de
Sclérose en plaques 24 heures [66]. L’aphasie la plus fréquente est l’aphasie anomi-
que. Le deuxième type est l’aphasie de Wernicke. L’aphasie
L’aphasie est exceptionnelle dans la sclérose en plaques (SEP), globale est plus rare. L’aphasie de Broca semble exception-
de l’ordre de 1 % des cas [57]. Elle survient volontiers dans un nelle [67]. La suspension initiale complète de l’expression orale,
tableau évocateur de tumeur [58] et s’accompagne fréquemment plus fréquente chez l’enfant que chez l’adulte, est souvent
d’une épilepsie focale [59]. Elle peut prendre la forme d’une associée à un hématome des noyaux gris. Son pronostic est
aphasie de conduction [60]. La dysarthrie paroxystique, évoluant favorable.
par accès de 15 à 20 secondes répétés plusieurs fois dans la La qualité de la récupération dépend de la gravité initiale de
même journée et souvent associés à une ataxie, est pathogno- l’aphasie. L’anomie est la séquelle la plus fréquente, mais il peut
monique de cette affection [61]. persister une aphasie de Wernicke définitive. Il faut insister sur
la fréquence des troubles résiduels du langage élaboré et en
Affections inflammatoires particulier du discours, qui sont à l’origine, malgré une bonne
Une aphasie peut également survenir au cours d’affections restauration des capacités linguistiques élémentaires (dénomi-
inflammatoires générales à détermination cérébrale, par l’inter- nation, compréhension, répétition), de troubles durables de la
médiaire d’une vascularite, de troubles de la coagulation ou de communication susceptibles de compromettre la réinsertion
lésions démyélinisantes spécifiques (neurolupus, syndrome des socioprofessionnelle.

Neurologie 11
17-035-A-96 ¶ Aphasie

Démences d’Alzheimer [69]. La dénomination est préservée et la baisse de


la fluidité verbale est à rapprocher d’un ralentissement plus
Maladie d’Alzheimer global. Les troubles de la parole sont fréquents, s’intégrant dans
Les troubles du langage sont présents dans un tiers des cas un syndrome pseudobulbaire.
dès le début de la maladie, mais cette proportion pourrait être
Démences « sous-corticales »
plus élevée si on y inclut les cas d’aphasie progressive qui se
révèlent être des maladies d’Alzheimer [68]. Les troubles de la Les altérations du langage dépendent avant tout des troubles
compréhension verbale et l’anomie sont d’aggravation plus moteurs ou cognitifs associés, en particulier les troubles de la
rapide dans les formes à début précoce que dans les formes à parole, le ralentissement idéomoteur et les éléments frontaux.
début tardif. Ils expliquent la baisse de la fluence verbale, qui est particuliè-
Il est classique de décrire les troubles du langage et leur rement nette dans la paralysie supranucléaire progressive. Dans
évolution (trois stades) en référence aux syndromes aphasiolo- la chorée de Huntington apparaissent successivement une perte
giques [69]. Le premier stade est caractérisé par une baisse de la de l’initiative verbale, un raccourcissement et une simplification
fluence verbale et un manque du mot accompagné de parapha- de la structure syntaxique des phrases, des troubles de l’écriture
sies sémantiques. Ces perturbations se rapprochent du tableau liés à l’incoordination motrice, des erreurs de type visuel en
d’aphasie amnésique. Le deuxième stade est marqué par une dénomination [74] , enfin des troubles de la compréhension
accentuation de ces symptômes (manque du mot, circonlocu- d’intensité proportionnelle à la détérioration intellectuelle.
tions, persévérations, paraphasies sémantiques et verbales, La démence à corps de Lewy peut comporter des troubles
néologismes) et l’apparition de troubles de la compréhension cognitifs de type « cortical » analogues à ceux de la maladie
verbale, mais la répétition reste préservée. Les troubles lexicosé- d’Alzheimer, y compris une aphasie [75] . La différenciation
mantiques contrastent avec une relative intégrité de la syntaxe clinique repose sur l’intensité plus nette du syndrome « fronto-
et de la phonologie. Le tableau se rapproche alors de l’aphasie sous-cortical » associé, sur les fluctuations spontanées et sur les
transcorticale sensorielle. Au troisième stade, toutes les capacités signes extrapyramidaux.
linguistiques sont affectées, comme dans une aphasie globale, En dehors de toute démence, la maladie de Parkinson peut
mais le respect de certaines capacités de répétition peut laisser donner des « troubles cognitifs mineurs » [76], comportant une
persister des phénomènes d’écholalie. Cette règle générale baisse de la fluence verbale qui, lorsqu’elle est associée à des
connaît des exceptions, avec par exemple la survenue précoce troubles de l’articulation et de la voix amoindrit les capacités de
de troubles phonémiques et phonétiques corrélés à une prédo- communication. Une véritable aphasie au cours d’un syndrome
minance périsylvienne gauche inhabituelle de l’atrophie extrapyramidal doit faire évoquer une démence à corps de Lewy,
corticale [70]. Le manque du mot est l’élément saillant de la ou toute autre étiologie. Après chirurgie fonctionnelle, les
symptomatologie. Il aurait pour origine un déficit du traitement aphasies transitoires succèdent plus volontiers aux interventions
sémantique, hypothèse la plus largement répandue, ou parfois, pallidales que sous-thalamiques.
notamment en début d’évolution, un déficit d’accès à la forme
phonologique du mot (déficit d’accès lexical). Outre ce déficit
Aphasies progressives
lexicosémantique, les patients montrent très tôt des désordres Les aphasies progressives [77], identifiées par Mesulam en
des habiletés discursives (discours narratif et descriptif les plus 1982, sont aujourd’hui reconnues comme faisant partie des
explorés), puis des déficits des aspects pragmatiques de la atrophies cérébrales circonscrites ou dégénérescences lobaires
communication se traduisant par l’incapacité à traiter le frontotemporales (DLFT) [78]). Les DLFT comprennent la
« langage non littéral » correspondant aux métaphores par démence frontotemporale (DFT, parfois appelée, « variante
exemple [32, 71]. Les troubles discursifs et de la communication frontale de la DFT »), qui représente plus de la moitié des cas,
relèvent de dysfonctionnements cognitifs multiples : processus l’aphasie primaire progressive non fluente (APPNF) et deux
linguistiques, mais aussi mnésiques et exécutifs. entités, jugées distinctes ou équivalentes selon les auteurs, la
Les troubles de l’écriture peuvent aussi être décrits en trois démence sémantique (DS, parfois appelée « variante temporale
stades évolutifs [9, 69]. Le premier comporte des erreurs dites de de la DFT ») et l’aphasie progressive primaire fluente (APPF) [79].
« régularisation » : erreurs phonologiquement plausibles à Plus rarement, une DLFT peut débuter par une agnosie, une
l’écriture sous dictée de mots irréguliers (ex. : femme → apraxie, voire une agraphie progressive en fonction de la
fame) [9]. Le deuxième est caractérisé par une prépondérance topographie initiale du processus pathologique [80] . Enfin,
d’erreurs non phonologiquement plausibles touchant les mots certains cas de sclérose latérale amyotrophique (SLA), de
et les non-mots. Le troisième stade est dominé par des troubles dégénérescence corticobasale (DCB) et de paralysie supranu-
de la réalisation graphique s’apparentant à une agraphie cléaire progressive (PSP) peuvent partager des aspects cliniques
apraxique [9]. Les troubles évoquant un déficit de la voie lexicale avec les DLFT, et certains auteurs les rattachent à ce groupe [81].
(perte de la connaissance de l’orthographe des mots) est Les formes familiales de DLFT sont fréquentes [82], surtout pour
largement prévalent. Les atteintes spécifiques de la voie phono- la DFT, beaucoup plus rarement pour la DS. Plusieurs gènes sont
logique ou des processus périphériques sont exceptionnels [72]. identifiés, les deux plus importants sur le chromosome 17,
Le trouble de la lecture le plus caractéristique de la maladie associés l’un à la protéine tau, l’autre à la progranuline. Du
d’Alzheimer est, dans un premier temps, celui de « dyslexie de point de vue pathologique, les DLFT ont en commun une
surface » (utilisation préférentielle de la voie lexicale). Lorsque atrophie corticale avec perte neuronale, gliose, spongiose
la compréhension écrite est en même temps altérée, ce tableau laminaire et inclusions intraneuronales. La nature de ces
évoque une stratégie de lecture par voie lexicale non sémanti- inclusions sépare les DLFT en deux catégories, suivant qu’elles
que (troisième voie). Ultérieurement apparaît une lecture du contiennent de la protéine tau ou une autre protéine appelée
type alexie lexicale correspondant au recours exclusif à la voie TDP43. Chacune des trois formes cliniques de DLFT peut
phonologique, avec des erreurs de régularisation des mots appartenir à l’un ou l’autre type, mais toutes les DLFT associées
irréguliers. au gène de la progranuline sont tau-négatives. L’APPNF serait le
plus souvent tau-positive [83], et certaines APPF auraient des
Démence vasculaire lésions de maladie d’Alzheimer, mais il n’existe pas de méthode
Dans la démence multi-infarctus, les troubles du langage sont infaillible pour prédire, du vivant du malade, la pathologie
naturellement fonction de la topographie des lésions ischémi- responsable.
ques. L’existence d’une aphasie dans le tableau clinique d’un Dans la DFT, les troubles des fonctions exécutives, de
accident vasculaire cérébral est un facteur de probabilité accrue l’humeur et du comportement sont au premier plan. Le langage
d’évolution vers une démence vasculaire [73]. est affecté secondairement, sous la forme de troubles discursifs,
Lorsque les lésions respectent les aires du langage (maladie de avec notamment de nombreuses digressions, une réduction de
Binswanger, états lacunaires), les troubles consistent en une l’incitation, ainsi que du contenu informatif qui reflète l’appau-
réduction de la complexité des phrases et les perturbations vrissement idéique général. Au cours de cette évolution, les
lexicosémantiques sont moins marquées que dans la maladie aspects syntaxiques et phonémiques sont conservés.

12 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96

L’aphasie progressive primaire comprend deux grandes finalité de communication, mais en fonction de caractéristiques
catégories cliniques, les formes fluentes et les formes non intrinsèques sans valeur signifiante : glossomanie formelle (tous
fluentes. les mots, par exemple, commencent par la même lettre),
L’aphasie progressive primaire non fluente (APPNF) montre au glossomanie sémantique (utilisation systématique de mots
premier plan un manque du mot avec de nombreuses pauses et appartenant tous au même champ sémantique). La rareté des
des erreurs phonémiques. Certains tableaux associent une forme paraphasies, la disponibilité lexicale, le maniement correct de la
d’agrammatisme avec un débit de parole ralenti, une articula- syntaxe, et parfois l’analyse faite par le sujet lui-même de ses
tion laborieuse et une dysprosodie, mais la compréhension reste productions verbales distinguent ce trouble d’une véritable
normale et l’autonomie est longtemps conservée. L’âge de début aphasie. Dans la glossolalie, le discours est un monologue
est plus élevé dans l’APPNF que dans la moyenne des DLFT, néologique incompréhensible, semblable à une nouvelle langue
souvent au-delà de 70 ans, et la majorité des patients sont des inventée par le sujet, caractérisée par la surreprésentation d’un
femmes. Le phénotype d’APPNF peut être un mode de début de petit nombre de phonèmes, un débit accéléré, une modification
la DCB ou de la PSP, et peut également s’associer au cours de des accents et de la mélodie. La glossomanie et la glossolalie
l’évolution à une SLA. sont des phénomènes temporaires, qui n’affectent que quelques
Les formes à type d’anarthrie progressive [84] touchent patients [19].
essentiellement la programmation de la parole alors que les Plus généralement, on insiste actuellement sur les altérations
processus lexicosémantiques sont intacts à la fois en production du langage liées aux troubles de la pensée formelle, présents
et en compréhension. Le langage écrit est longtemps préservé et chez un grand nombre de patients [93]. Les tests sémantiques
devient un mode privilégié de communication au cours de révèlent une désinhibition des associations sémantiques, en
l’évolution, qui peut être extrêmement prolongée [85].
d’autres termes, une « hyperactivation » entre les concepts reliés
La démence sémantique [86] réalise une « perte progressive et
sémantiquement. Cette désinhibition des associations peut se
isolée des connaissances sémantiques, attestée à la fois par un
traduire par des effets d’hyperamorçage sémantique [94].
trouble de la compréhension des mots et par un déficit de
l’identification des objets et/ou personnes [87] ». La perte des
concepts est non seulement longtemps isolée, mais sélective,
épargnant une série de connaissances pragmatiques nécessaires ■ Aphasie et neuropsychologie
à la vie quotidienne d’où une conservation parfois surprenante
de l’autonomie. La dissociation est telle que certains de ces cognitive
patients ont pu être pris pour des hystériques au début de leur
maladie. Le déficit se manifeste sur le plan du langage par un Depuis les années 1980, la psychologie cognitive a considé-
manque du mot et une perte de la signification des mots. Les rablement influencé la pratique clinique et thérapeutique de la
épreuves de dénomination (manque du mot, erreurs sémanti- neuropsychologie. La psychologie cognitive repose sur la notion
ques) et de définitions (informations floues avec perte précoce fondamentale que toute fonction peut être décomposée en un
des attributs spécifiques) sont très perturbées alors que les certain nombre d’opérations mentales considérées comme
échanges conversationnels reposant sur des thèmes propres au autant de processus autonomes de traitement des informations.
patient sont longtemps préservés. L’atteinte verbale est toujours Les modèles théoriques utilisés en psychologie cognitive sont de
associée à une perturbation du traitement sémantique du deux types : sériels et connexionnistes. Un des postulats
matériel non verbal (appariements fonctionnels à partir d’ima- fondamentaux des modèles cognitifs sériels est que le traitement
ges ou mauvaise utilisation des objets par perte des connaissan- de l’information s’effectue de façon unidirectionnelle : dans les
ces conceptuelles). modèles sériels discrets, le passage à une étape suivante suppose
L’aphasie progressive primaire fluente (APPF) montre un débit de que le traitement de l’étape précédente soit terminé. Les
parole normal sans atteinte de la phonologie ni de la syntaxe. modèles dits en « cascade » introduisent la notion d’un recou-
Elle associe une anomie, une réduction de la fluence catégorielle vrement temporel partiel entre deux étapes de traitement. Dans
contrastant avec une conservation relative de la fluence littérale, les modèles connexionnistes ou « interactifs » le traitement est
des troubles de la compréhension verbale et, dans l’évolution, distribué de façon parallèle entre de nombreuses unités dispo-
une dyslexie et une agraphie de surface. Elle a pour caractéris- sées en couches. Les différents niveaux peuvent se trouver
tique une préservation du traitement sémantique des informa- activés simultanément. Ces modèles (qui sont d’ailleurs appelés
tions non verbales. Selon Mesulam [88], l’APPF et la démence « réseaux de neurones ») ont l’avantage de présenter une
sémantique seraient deux entités distinctes, tandis que pour analogie de structure avec le système nerveux, et de se prêter
Adlam et al. [89], les capacités sémantiques non verbales seraient aux analyses et aux simulations de dysfonctionnements conçues
constamment altérées dans l’APPF pour peu qu’on les étudie par les théoriciens de l’intelligence artificielle [7, 95].
soigneusement. Pourtant, certains cas restent troublants, comme L’objectif de la neuropsychologie cognitive [32, 40] est de
ce patient décrit par David [90], qui, 18 ans après le début d’une mettre ces modèles de traitement de l’information élaborés par
APPF, était encore capable de reconnaître au premier coup d’œil la psychologie cognitive et issus de l’étude de sujets sains à
une personne qu’il n’avait pas vue depuis des années. L’image- l’épreuve de la pathologie. La mise en évidence d’une double
rie morphologique peut montrer une atrophie fronto- dissociation (perturbation d’un processus A + préservation d’un
operculaire gauche dans les cas d’APPNF et une atrophie plutôt processus B chez un patient et déficit inverse chez un autre)
temporopolaire bilatérale dans la DS, mais l’imagerie fonction- permet en principe d’établir l’indépendance fonctionnelle
nelle ne montre pas de pattern spécifique d’un type particulier (« modularité ») entre les processus A et B. Le langage est ainsi
d’aphasie progressive [91]. L’évolution des aphasies progressives représenté sous la forme d’un système complexe qui peut rendre
rejoint celle des autres DLFT, avec l’apparition de troubles compte des différentes opérations mentales effectuées par un
dysexécutifs et une réduction progressive de l’activité, aboutis- sujet pour accomplir une activité linguistique. Les modélisations
sant à un mutisme akinétique, mais le trouble du langage doit varient selon leur degré de spécification en fonction de la
rester isolé pendant au moins deux ans, en fait souvent fenêtre d’analyse : traitement du mot isolé, traitement morpho-
davantage. syntaxique (phrase), traitement du discours.
En neuropsychologie, et particulièrement dans le domaine de
Langage des schizophrènes l’aphasie, la taxonomie clinique et la neuropsychologie cogni-
Le délire schizophrénique se traduit par une incohérence tive sont complémentaires car elles servent, encore aujourd’hui,
verbale marquée par des néologismes, un discours abstrait, une des objectifs différents. Indispensable à la connaissance des
abondance de formules énigmatiques, des métaphores obscures, maladies, la référence anatomique n’est pas nécessaire à la
associée à des troubles du débit verbal [92]. compréhension des mécanismes mentaux de la cognition
Deux formes particulières de schizophasie méritent d’être normale, et les correspondances entre les syndromes décrits par
individualisées. Dans la glossomanie, le discours est fait de mots ces deux approches sont rares. On peut espérer que les corres-
du lexique, mais ceux-ci sont choisis non en fonction d’une pondances déjà entrevues entre la nouvelle sémiologie cognitive

Neurologie 13
17-035-A-96 ¶ Aphasie

lecture à haute voix, répétition) et lexique orthographique pour


Analyse Analyse la production écrite (évocation spontanée, dénomination écrite,
auditive visuelle épellation orale).

Mécanismes de conversion
Lexique Système de Lexique Ils opèrent sur des unités sous-lexicales (phonèmes, graphè-
phonologique descriptions orthographique mes, syllabes) et mettent en correspondance ou transforment
d'entrée structurales d'entrée des informations acousticophonologiques en informations
phonologiques (répétition), des informations acousticophono-
logiques en informations graphémiques (correspondance
Conversion Système Conversion phonème-graphème en écriture sous dictée) ou des informations
accoustico- sémantique graphème- graphémiques en informations phonologiques (correspondance
phonologique phonème graphème-phonème en lecture à haute voix).

Mécanismes de mémoire tampon (buffers)


Lexique Lexique Ils assurent le maintien à court terme d’informations phono-
phonologique orthographique logiques (mémoire tampon phonologique) ou d’informations
de sortie de sortie graphémiques (mémoire tampon graphémique).

Composants plus « périphériques »


Mémoire tampon Conversion Mémoire tampon Ils concernent les mécanismes perceptifs visuels et auditifs
phonologique phonème-graphème graphémique
spécifiques à la reconnaissance des stimuli verbaux ainsi que des
mécanismes impliqués dans la production orale (activation des
Expression orale Écriture programmes articulatoires et exécution neuromusculaire) et
dans la production écrite (conversion allographique, activation
des programmes moteurs graphiques, exécution neuro-
Figure 2. Modèle simplifié des mécanismes du langage. Les voies musculaire).
lexicales sont en traits pleins et les voies phonologiques en pointillés
(d’après [96, 97]). Autres composants
Outre ces processus, les modèles font parfois figurer des
composants moins spécifiquement linguistiques. Il s’agit par
et les lésions cérébrales grâce à l’imagerie fonctionnelle devien- exemple du système de représentations structurales visuelles qui
dront de plus en plus précises et contribueront à un profond permet la reconnaissance d’un objet en tant qu’objet familier et
renouvellement de la neuropsychologie clinique. qui est recruté lors de l’identification d’images.
Cette architecture rend compte également des connexions
Nous restreignons ici notre propos au traitement du mot isolé
entre les différents mécanismes, qui sont matérialisées par des
en production orale (dénomination et répétition) et en compré-
flèches. Aussi est-il possible de suivre sur le modèle les différen-
hension. Nous exposons dans un premier temps l’architecture
tes étapes du cheminement cognitif accompli lors de toute
générale du système lexical suivant un modèle cognitif sériel.
tâche verbale (répétition, dénomination, évocation lexicale,
Nous décrivons ensuite les étapes de traitement et les syndro-
compréhension que ce soit orale ou écrite, lecture à haute voix,
mes cognitifs observés en pathologie pour la dénomination, la
copie, etc.). Ce type de modélisation suppose que le langage fait
répétition et la compréhension. Enfin nous donnons un exem-
appel à deux types de traitement : un traitement lexical avec
ple de l’approche connexionniste avec la compréhension orale.
activation des représentations lexicales quand il s’agit de mots
Le langage écrit (lecture et écriture) est abordé dans la section
connus et un traitement qui procède par analyse et mise en
suivante.
correspondance d’unités sous-lexicales pour des non-mots ou
des mots nouveaux.
Architecture du système lexical (Fig. 2)
La modélisation de la production et de la reconnaissance des Dénomination
mots isolés constitue le système lexical. La description de ses
principales composantes s’appuie de façon prioritaire sur le Étapes
modèle de Patterson [98] ou sur celui de l’équipe de Cara- Six étapes peuvent être distinguées au cours de la dénomina-
mazza [8, 96, 99, 100] (voir aussi Bonin [101] et Lechevalier et al. [32] tion d’images ou d’objets :
pour revues). Le système lexical comporte les composants • analyse visuelle (incluant l’analyse de la forme, de la couleur,
suivants. le groupement perceptif) ;
• activation de la représentation structurale perceptive visuelle
Représentations (relative à la connaissance de la forme d’un objet et permet-
tant l’identification du percept comme objet réel) ; ces deux
Des représentations de différentes natures (sémantique, premières étapes, qui constituent des traitements non lin-
phonologique, orthographique, perceptive) sont assimilées à des guistiques, ne sont pas développées dans cette section
connaissances stockées à long terme et schématisées sous la (voir [104] pour information) ;
forme de systèmes ou de lexiques. La plupart des modèles • activation des propriétés sémantiques dans le système séman-
distinguent les lexiques recrutés dans la reconnaissance de ceux tique ;
impliqués dans la production, mais cette différenciation lexique • activation de la représentation phonologique adéquate dans
d’entrée versus lexique de sortie est parfois controversée [102] le lexique phonologique de sortie ;
(voir aussi [103] pour revue). Les lexiques d’entrée assurent la • maintien de cette représentation dans la mémoire tampon
reconnaissance d’une forme linguistique indépendamment de sa phonologique ;
signification et permettent d’effectuer une tâche de décision • activation des programmes articulatoires dans des systèmes de
lexicale qui consiste à distinguer les mots connus (déjà inscrits programmation et d’exécution articulatoire liées à la com-
dans le lexique) des non-mots : lexique phonologique d’entrée mande et à la coordination neuromusculaire des mouvements
pour les mots entendus et lexique orthographique d’entrée pour bucco-pharyngo-laryngés.
les mots vus. Les lexiques de sortie sont les lieux de récupéra- Certains cas de la pathologie, qui restent cependant excep-
tion des formes cibles : lexique phonologique de sortie pour la tionnels, suggèrent une alternative à cette voie lexicosémanti-
production orale (évocation spontanée, dénomination d’images, que classique avec la possibilité de dénommer par une voie

14 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96

directe reliant le système des représentations structurales au peut affecter les représentations sémantiques dans leur ensemble
lexique phonologique de sortie : il s’agit de patients qui ou être spécifique de certaines catégories sémantiques : de
dénomment correctement malgré des performances médiocres à nombreuses dissociations ont été rapportées, mais l’atteinte des
des tâches de compréhension concernant les mêmes items [105]. objets animés semble être plus fréquente que celle des objets
Le système sémantique ou mémoire sémantique est impliqué inanimés. La distinction entre un déficit sémantique central et un
dans l’extraction du sens des mots et dans la formulation défaut d’accès aux représentations sémantiques a fait l’objet de
conceptuelle. Il concerne les propriétés sémantiques qui lient les nombreux débats. Selon Warrington et Shallice [109] ou Shal-
concepts aux mots, c’est-à-dire leur appartenance catégorielle et lice [108], la dégradation des représentations (trouble sémantique
leurs attributs spécifiques fonctionnels et physiques (exemple : central) serait caractérisée par :
« cerise » = [végétal] + [fruit] + [rouge] + [sucré] + [lisse]). • la constance des erreurs à différents temps d’examen ;
Chaque concept est donc représenté sous la forme d’un faisceau • un effet marqué de la fréquence lexicale ;
de traits sémantiques pouvant être communs au moins partiel- • la disparition de l’effet d’amorçage sémantique ;
lement à un autre concept. Par exemple, les traits [végétal]
• de meilleures performances pour le traitement d’informations
+ [fruit] + [sucré] sont partagés par la cerise et la framboise. Ce
superordonnées par rapport aux attributs spécifiques ;
type d’organisation postule en outre que l’activation d’un
• l’absence d’amélioration par un rythme de présentation plus
concept va se diffuser aux concepts voisins. Dans les concep-
tions les plus couramment acceptées en neuropsychologie, le lent.
système sémantique est considéré comme une composante Un défaut d’accès (ou état réfractaire) serait caractérisé par un
centrale commune aux différentes modalités d’entrée et de tableau en miroir du précédent. La pertinence de ces critères a
sortie de l’information (mot entendu ou lu, production orale ou été vigoureusement contestée [119], mais reste soutenue par
écrite) et à différents types de stimuli (verbal et non verbal). Warrington et Cipolotti [120]. Dans le cadre théorique d’un
Cette théorie amodale [106, 107] s’oppose à d’autres proposi- modèle postulant un système sémantique amodal [121], l’hypo-
tions [108, 109] qui envisagent l’existence de systèmes sémanti- thèse d’un déficit d’accès aux représentations sémantiques peut
ques spécifiques et différents pour les objets et les mots [110]. être posée lorsque le traitement sémantique est perturbé à partir
Dans le lexique phonologique, les représentations phonologi- d’une modalité d’entrée, mais conservé à partir des autres
ques correspondent à la forme sonore abstraite d’une unité modalités (cf. infra : la surdité au sens des mots caractérisée par
lexicale et contiennent des informations sur l’identité des un défaut de traitement sémantique des mots entendus malgré
phonèmes, sur la structure syllabique et sur l’accent ou « stress » une répétition correcte et qui contraste avec une préservation de
(voir Béland, Peretz, Baum et Valdois [2000] [111] pour une l’accès à la signification de mots présentés par écrit). La
description détaillée des différents paliers de la représentation dégradation de la mémoire sémantique constitue la caractéristi-
phonologique). Bock et Levelt [112] ont suggéré l’existence d’un que de la démence sémantique. Elle est également incriminée
niveau lexical intermédiaire entre système sémantique et dans des aphasies globales en association à d’autres niveaux de
lexèmes (représentations phonologiques). Cette étape des lemmas perturbation. La nature des erreurs sémantiques dans l’aphasie
coderait l’item lexical cible sur le plan sémantique et sur le plan est en fait encore mal connue car peu étudiée [122].
de ses propriétés syntaxiques (catégorie grammaticale, genre).
Des arguments allant plutôt à l’encontre de cette distinction Déficit d’accès au lexique phonologique de sortie
lemmas versus lexèmes ont été exposés par Caramazza [113]. Lors d’un déficit d’accès au lexique phonologique de sortie,
L’accès aux représentations est décrit en termes d’activation. la représentation phonologique est inaccessible et le patient
Chaque représentation possède un niveau d’activation de base montre des absences de réponse souvent facilitées par l’ébauche
(fonction de propriétés psycholinguistiques intrinsèques, orale, sans aucune difficulté de compréhension ou de traitement
fréquence lexicale, âge d’acquisition, classe du mot, etc.) qui
sémantique concernant les mots non dénommés. Des erreurs
peut être modifié par les stimulations. Ainsi, un mot peut être
sémantiques peuvent également être observées et sont expli-
plus rapidement accessible s’il a déjà été produit auparavant.
quées de la façon suivante : lorsque la représentation phonolo-
La mémoire tampon phonologique se trouve impliquée dans
gique de l’item cible n’est pas disponible, une autre
toute tâche de production orale, y compris la répétition et la
lecture à haute voix. Le caractère séquentiel de la production représentation phonologique partageant des traits sémantiques
orale nécessite la reconstruction de la représentation phonolo- communs serait activée par défaut. Des dissociations ont été
gique avec la prise en compte de l’information segmentale rapportées : noms propres versus noms communs ou noms
(phonèmes) et métrique (nombre de syllabes, structure de la versus verbes. Un déficit d’accès au lexique phonologique de
syllabe et structure accentuelle) en vue de la récupération du sortie n’affecte pas (ou peu) la répétition ni la lecture à haute
geste articulatoire. En conséquence, l’information phonologique voix [123]. Le mot entendu en vue de sa répétition apporte une
issue du lexique phonologique doit être maintenue en mémoire source directe d’activation (lexique phonologique d’entrée vers
à court terme durant les opérations de planification [111]. lexique phonologique de sortie). La lecture à haute voix
bénéficie également d’une activation supplémentaire directe à
Pathologie partir du lexique orthographique d’entrée. De plus, la répétition
et la lecture à haute voix peuvent être réalisées par le biais de
Le dysfonctionnement de chacune de ces étapes de dénomi-
stratégies phonologiques. À ce niveau, un dysfonctionnement
nation orale occasionne des perturbations différentes [96, 114, 115]
n’a pas de répercussion sur la production écrite et un certain
(voir aussi Bonin [101] et Lambert [116, 117] pour revue). Les
dysfonctionnements des deux premières étapes (analyse visuelle nombre de cas montrant une dissociation entre la perturbation
et système de représentation structurale) donnent lieu à des de la dénomination orale, mais la relative préservation de la
tableaux d’agnosie visuelle [118]. dénomination écrite ont été publiés. Notons toutefois, pour la
pratique clinique, que l’incapacité à dénommer par oral est
Perturbation du système sémantique fréquemment observée avec un déficit de dénomination écrit.
Une perturbation du système sémantique peut être envisagée Ce défaut d’accès à la forme phonologique des mots est sans
comme la dégradation d’une partie des propriétés d’une entité doute présent dans de nombreux types d’aphasie (aphasie
conceptuelle ou un défaut d’accès à ces propriétés. Dans le anomique, aphasie de Broca, etc.).
premier cas, la perturbation engendre des absences de réponse Dégradation des représentations phonologiques
et des erreurs sémantiques. Le patient a des difficultés dans
toutes les tâches nécessitant un traitement sémantique (dessin La dégradation des représentations phonologiques elles-
d’un objet non dénommé, associations suivant un lien fonc- mêmes ou une récupération partielle pourrait se traduire selon
tionnel à partir d’images ou de mots, questionnaires testant les Butterworth [124] par la production de néologismes ou de
connaissances sémantiques et tout particulièrement les attributs paraphasies phonémiques. Ces erreurs se caractériseraient alors
spécifiques). La dénomination écrite et la dénomination orale par une grande constance d’occurrence (erreurs identiques
montrent une constance des erreurs. Selon les patients, le déficit observées à différents temps sur les mêmes items).

Neurologie 15
17-035-A-96 ¶ Aphasie

Blocage de réponse répétition partage un certain nombre de mécanismes avec la


production orale et la compréhension orale (cf. infra).
La notion de « blocage de réponse » [105] a été évoquée pour
rendre compte d’une impossibilité à produire un mot alors que
Pathologie
le stimulus a été correctement adressé dans le lexique phonolo-
gique de sortie. Ce cas de figure est illustré par le comportement Déficit de l’analyse acoustique
d’un patient [125] qui, en cas d’absence de réponse, pouvait Un déficit de l’analyse acoustique retentit sur le traitement
décrire le lien d’homophonie de deux items. Ainsi, lors de la des mots et des non-mots entendus en vue de leur répétition,
présentation de l’image d’une « fraise » (outil de fraisage) il de leur écriture sous dictée (avec soit des absences de réponse,
disait : « je ne peux pas trouver le mot, mais cela a à voir avec soit des substitutions par des items proches partageant un
un fruit ? » certain nombre de phonèmes : cadeau → gâteau, cadeau →
Perturbation des étapes de planification phonologique au râteau) ou de leur compréhension. Ce déficit est également
niveau de la mémoire tampon phonologique appelé surdité au son des mots et pourrait être à l’origine du
tableau de surdité verbale.
La perturbation des étapes de planification phonologique au
niveau de la mémoire tampon phonologique entraîne des parapha- Perturbation des voies lexicales
sies phonémiques qui surviennent dans toute tâche de produc- Les perturbations des voies lexicales peuvent résulter de
tion orale (dénomination, répétition et lecture à haute voix) de différents niveaux de localisation : lexique phonologique
mots et de non-mots. Les erreurs phonologiques auraient ainsi d’entrée, système sémantique, lexique phonologique de sortie.
deux sources (dégradation des représentations dans le lexique Dans ce cas, la répétition de mots et de non-mots serait possible
phonologique de sortie et défaut de planification). Certains par le biais de la voie phonologique.
travaux ont tenté de différencier ces deux déficits ( [126] pour
revue). Les conduites d’approches successives et devenant Perturbation de la voie phonologique
correctes sont le signe que les représentations phonologiques ne La perturbation de la voie phonologique entraîne un effet de
sont pas dégradées et qu’elles sont utilisées lors des autocorrec- lexicalité avec une atteinte de la répétition des non-mots
tions. La possibilité de réaliser correctement des tâches de n’ayant pas de représentation stockée, mais une préservation de
jugements de rimes ou d’homophonie reposant sur une phono- la répétition des mots.
logie « silencieuse » est également un argument en faveur de la
préservation des représentations lexicales phonologiques. En Déficit de la mémoire tampon phonologique
revanche, une réalisation défectueuse ne constitue pas un Un déficit de la mémoire tampon phonologique altère la
élément d’interprétation fiable dans la mesure où la difficulté répétition de mots et de non-mots (cf. supra).
peut aussi être liée à une impossibilité à maintenir l’information
à court terme en vue de son traitement. Alors que dans le cas Trouble de la répétition
d’une difficulté de planification, des performances similaires Le trouble de la répétition est classiquement considéré
sont attendues aux tâches de dénomination, de répétition et de comme le noyau sémiologique de l’aphasie de conduction.
lecture à haute voix, la dénomination devrait être plus pertur- Celle-ci a été « revisitée » par Shallice et Warrington [127] (voir
bée que les autres tâches dans le cas d’un déficit touchant la aussi [128] pour revue), qui en ont distingué deux types. Dans
représentation phonologique. En outre, un effet de longueur est le premier, de type « répétition », les patients ont des difficul-
classiquement évoqué pour un déficit postlexical. Dans la tés à répéter des listes de mots mais non les mots isolés, et ne
mesure où la mémoire tampon phonologique est très liée au produisent pas d’erreurs phonologiques. Shallice et Warrington
mécanisme de planification, plus un item cible est long, plus la attribuent ce trouble à un déficit de mémoire à court terme.
demande en maintien à court terme va être importante et plus Le second, l’aphasie de conduction de type « reproduction »,
le risque d’erreur s’accroît. Cela est particulièrement manifeste qui serait la « véritable » aphasie de conduction, s’applique à
pour les non-mots. Les mots peuvent être moins touchés car ils des patients qui ont du mal à répéter des mots isolés. Cette
offrent la possibilité de procédures de rafraîchissement par le difficulté se traduit par des erreurs phonologiques et est plus
biais des représentations phonologiques (intactes dans ce cas de importante pour les mots longs. Elle est observée non seule-
déficit postlexical). Toutefois, les propositions de distinction ment en répétition, mais également en expression orale
suivant des effets de fréquence (présents dans un déficit lexical) spontanée, en dénomination orale ou en lecture à haute voix.
et de longueur (présents dans un déficit postlexical) semblent Cette forme peut aussi être associée (mais non due) à un
insuffisamment justifiées selon Nickels [126]. trouble de mémoire à court terme. L’interprétation cognitive
serait un déficit affectant la planification des unités phonolo-
Répétition giques au niveau de la mémoire tampon phonologique en vue
de leur réalisation articulatoire. Cette interprétation va dans le
Étapes sens des études récentes qui tendent à considérer davantage
l’aphasie de conduction comme le résultat d’un trouble
La répétition suppose tout d’abord la mise en jeu de méca- phonologique (paraphasies phonémiques) que d’un trouble de
nismes d’analyse acoustique qui traitent le stimulus auditif dans la répétition [129, 130].
ses composantes acoustiques et phonétiques. Au-delà de cette
étape, plusieurs possibilités sont envisagées : Dysphasie profonde
• voie lexicosémantique : activation du lexique phonologique Le tableau de dysphasie profonde a pour caractéristiques
d’entrée, du système sémantique, récupération de la forme principales des troubles de répétition (erreurs sémantiques, effet
phonologique dans le lexique phonologique de sortie, de concrétude lors de la répétition de mots et effet de lexicalité
maintien à court terme et planification phonologique ; – difficultés plus importantes pour les non-mots). Il montre
• voie lexicale directe : activation du lexique phonologique de souvent l’association de perturbations en production orale
sortie à partir du lexique phonologique d’entrée sans passer (erreurs phonémiques et erreurs sémantiques) ainsi qu’un déficit
par le système sémantique. Dans ce cas, le patient répète sans de la mémoire verbale à court terme. Du point de vue des
comprendre ; modèles cognitifs, la dysphasie profonde suppose plusieurs
• voie phonologique utilisant un mécanisme de conversion déficits associés : déficit d’accès aux informations sémantiques à
acousticophonologique. Cette dernière voie a été envisagée partir du lexique phonologique d’entrée, déficit de la répétition
pour rendre compte de la possibilité de répéter les non-mots en rapport avec une perturbation de la voie acousticophonémi-
n’ayant pas de représentation phonologique stockée. La que et déficit de la mémoire verbale à court terme.

16 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96

Compréhension activations bidirectionnelles entre différentes « couches d’uni-


tés » ; activation simultanée possible de ces différents niveaux et
Étapes des unités au sein d’une couche. Leur application à la compré-
hension orale est bien implantée en neuropsychologie (modèle
Selon Ellis, Franklin et Crerar [115] la compréhension orale Trace de McClelland et Elman [135, 136]). Nous prendrons pour
repose sur trois mécanismes : exemple le modèle de Martin et Saffran.
• identification des sons de parole au niveau du système
d’analyse auditive ; Compréhension
• activation des items lexicaux dans le lexique phonologique
d’entrée, ce qui permet à ce stade de différencier un percept L’architecture globale du modèle de Martin et Saffran [135]
familier (mot ayant une représentation stockée à long terme comporte plusieurs niveaux d’unités (de type phonologique,
dans le lexique) d’un percept nouveau (non-mot ou mot lexical et sémantique) connectés entre eux par des processus
inconnu) ; d’activation bidirectionnels (feedforward et feedback). Ses
• activation de la signification des mots dans le système caractéristiques fondamentales sont les suivantes :
sémantique. Cette organisation séquentielle unidirectionnelle • les activations des différents niveaux se recouvrent partielle-
(de bas en haut) très hiérarchisée suppose que l’accès à un ment sur le plan temporel ou peuvent s’effectuer de façon
niveau supérieur nécessite l’intégrité du niveau immédiate- simultanée ;
ment inférieur. Dans une publication ultérieure [131] , les • les processus feedforward propagent l’activation aux items
auteurs incluent l’existence de relations bidirectionnelles cibles et aux items proches d’une même couche d’unités
entre lexique phonologique et système sémantique. (candidats potentiels), alors que les processus feedback
servent à stabiliser l’activation des items cibles à partir
Pathologie d’informations provenant des niveaux inférieurs ou supé-
rieurs. Les auteurs insistent sur le décours temporel de la
Différents syndromes cognitifs concernant la perception d’un propagation des activations d’un niveau de représentation à
mot entendu ont été décrits [115, 131] ( [116] pour revue). un autre et sur le caractère très éphémère des activations au
Surdité au son des mots niveau phonologique.

La surdité au son des mots résulte de la perturbation du Pathologie


système d’analyse auditive des sons verbaux et correspond, dans Cette modélisation a conduit à des interprétations différentes
la terminologie classique, au syndrome de surdité verbale pure de celles proposées dans le cadre de modèles cognitifs
décrit par Lichtheim. Elle se manifeste par de nombreuses sériels [116].
erreurs lors d’épreuves de répétition ou d’écriture sous dictée et La dysphasie profonde s’explique ici en termes de déclin
lors de tâches de discrimination et d’identification phonémique. anormalement rapide de l’activation phonologique [135].
La compréhension est améliorée par la lecture labiale ou la L’occurrence d’erreurs sémantiques suggère que le niveau des
connaissance du thème de la conversation. Cette perturbation représentations sémantiques a été activé et qu’il ne s’agit pas
peut également être présente dans d’autres syndromes aphasi- d’un trouble de propagation d’activation. L’effacement patholo-
ques comme l’aphasie de Wernicke. gique des indices phonologiques empêche la poursuite des
Surdité à la forme des mots activations en boucle unissant cibles phonologiques et séman-
tiques et ne permet plus de guider le choix entre les représen-
La surdité à la forme des mots résulte d’un trouble d’activa- tations sémantiques activées (cible et candidats potentiels).
tion de la représentation phonologique au niveau du lexique Cette section consacrée à l’approche cognitive de l’aphasie a
phonologique d’entrée. Les épreuves de discrimination de exposé l’architecture générale des processus mentaux requis par
phonèmes sont correctes en raison de la fonctionnalité du la production et la reconnaissance des mots. Les dysfonctionne-
système d’analyse auditive. Le patient échoue à des épreuves de ments des divers stades de traitement de l’information ont
décision lexicale en modalité auditive alors qu’il réussit en suscité un certain nombre d’hypothèses qui, pour la plupart,
modalité écrite. Des erreurs entre mots phonologiquement ont été validées par des cas relativement purs. L’apport original
proches sont observées lors des tentatives de répétition. Ce de l’interprétation cognitive est de montrer que sous des aspects
syndrome cognitif qui n’a jamais été observé de façon pure n’a extérieurs similaires, les troubles peuvent avoir des origines
pas été repris dans la classification d’Ellis et Young [131]. différentes. C’est le cas du manque du mot, des erreurs séman-
Surdité au sens des mots tiques ou des erreurs phonémiques. Cette approche constitue
une base théorique incontestable à la rééducation. Toutefois,
La surdité au sens des mots a pour origine un déficit d’accès une de ses limites réside dans sa totale dépendance vis-à-vis du
au système sémantique [132-134]. Le patient réussit les épreuves modèle théorique sur lequel elle s’appuie, ce que nous venons
de discrimination phonémique et de décision lexicale, indi- d’illustrer avec l’exemple de la dysphasie profonde. On peut
quant que les deux premiers niveaux sont fonctionnels. La espérer que de nouveaux développements sauront mieux rendre
compréhension des mots entendus est altérée alors que la compte de toute la dynamique du langage en intégrant les
répétition est possible. La perturbation du système de traitement interactions avec d’autres fonctions comme par exemple
sémantique lui-même est exclue en raison de la préservation de l’attention, certains composants mnésiques ou encore les
la compréhension écrite et, dans certains cas, des capacités de fonctions exécutives.
dénomination. Les perturbations peuvent affecter plus spécifi-
quement les mots abstraits.
Atteinte du système sémantique ■ Troubles du langage écrit (Fig. 3)
L’atteinte du système sémantique correspond à une dégrada-
tion des représentations sémantiques. Ce dernier syndrome ne Données de la méthode anatomoclinique
constitue pas un trouble de compréhension spécifique à la
modalité auditive car la compréhension est défectueuse quelle
Alexies
que soit la modalité de présentation. Des troubles sont égale- Dejerine [13] a décrit l’alexie pure ou agnosique et l’alexie-
ment présents en production orale ou écrite (cf. supra la section agraphie. À ces deux formes est venue s’ajouter une troisième
consacrée aux troubles de production orale). alexie ou alexie antérieure.
Alexie pure
Modèles connexionnistes interactifs Le trouble de la lecture peut être total : aucun mot, aucune
Les modèles connexionnistes interactifs diffèrent des modèles lettre ne sont identifiés. Assez souvent, d’emblée ou après une
cognitifs sur le plan du sens des activations et de leur étendue : phase d’alexie totale, une lecture lettre à lettre est possible.

Neurologie 17
17-035-A-96 ¶ Aphasie

Alexie des aphasies


Voie phonologique Voie lexicale En dehors des variétés d’alexie bien définies citées ci-dessus,
la lecture est troublée dans presque toutes les variétés d’aphasie.
Le plus souvent, la lecture à haute voix est altérée au même
Mémoire tampon degré que les autres variétés d’expression orale. Nous citerons
graphémique quelques situations où cette règle se trouve en défaut ou revêt
des aspects particuliers. Outre les rapports étroits unissant la
troisième alexie et l’aphasie de Broca, dans l’aphasie de conduc-
Conversion tion, la lecture est fréquemment meilleure que la répétition. Les
Conversion
graphème - nom troubles prédominent souvent sur les mots grammaticaux qui
allographique
de la lettre .
sont omis ou substitués entre eux. Dans l’aphasie de Wernicke,
il n’est pas rare d’observer une dissociation entre les atteintes du
langage oral et du langage écrit.
Lettres mobiles La prédominance des troubles sur ce dernier se rapproche de
Dactylographie l’alexie-agraphie. Le cas contraire a l’intérêt de montrer que le
Processus moteurs Programmes langage écrit possède une certaine autonomie et n’est pas une
de la parole moteurs
simple transposition du langage oral. Dans l’aphasie transcorti-
graphiques
cale sensorielle, au contraire, le parallélisme entre les épreuves
de transposition, répétition et lecture à haute voix, toutes deux
bien effectuées, mais sans compréhension, confirme une
atteinte du niveau sémantique, au-delà des mécanismes propres
Exécution
à chaque modalité de langage.
neuromusculaire
Agraphies
Parmi les classifications des agraphies, aucune n’est réelle-
Épellation Écriture ment satisfaisante d’un point de vue sémiologique. La plupart
s’appuient sur les troubles associés ou sur des topographies
anatomiques et seulement de façon accessoire sur les caractères
Figure 3. Modèle des mécanismes périphériques de l’écriture.
propres de la production graphique [13] . Une description
clinique pourrait distinguer les pathologies suivantes :
L’écriture est en principe normale, mais souvent un peu altérée • la classique agraphie apraxique où la réalisation des lettres est
par un défaut de contrôle visuel. Le langage oral est lui aussi en impossible ou si altérée que celles-ci sont méconnaissables ;
principe normal. En fait, un certain degré d’aphasie amnésique • une agraphie que l’on peut appeler de l’aphasie de Broca car
est fréquent. En outre, le malade peut « lire » à condition qu’un elle accompagne assez régulièrement cette aphasie : la
canal non visuel soit utilisé : lettres en relief palpées, mots production, réalisée le plus souvent de la main gauche, est
reconstitués à partir de lettres épelées par l’examinateur. Cela très réduite, limitée à quelques substantifs composés de
permet d’affirmer que les mécanismes linguistiques ou « cen- grandes lettres majuscules très maladroitement réalisées ;
traux » de la lecture sont conservés et que le trouble se situe sur • le reste, que l’on peut regrouper sous l’appellation d’agraphies
un versant perceptif visuel. Néanmoins, l’atteinte peut être fluentes, caractérisées par l’exécution de lettres suffisamment
parfaitement limitée aux symboles écrits. D’autres troubles bien formées et par une production d’une certaine abon-
visuels sont fréquemment associés : une hémianopsie latérale dance. Ce groupe, très important, est bien entendu hétéro-
homonyme droite avec ou sans épargne maculaire, un trouble gène. En première analyse, on peut distinguer d’abord des
de la vision des couleurs, beaucoup plus rarement une agnosie erreurs de type verbal avec des paragraphies surtout démons-
visuelle pour les objets et les images. Les lésions responsables tratives lorsqu’elles sont de type sémantique ou morphologi-
siègent toujours dans le lobe occipital dominant. Il s’agit le plus que, pouvant ou non se retrouver dans l’expression orale. Un
souvent d’un infarctus du territoire de la cérébrale postérieure deuxième groupe comprendrait les erreurs « phonologique-
détruisant la région calcarine et le splénium du corps calleux. ment plausibles » où les mots d’orthographe irrégulière sont
D’autres lésions, notamment tumorales, peuvent être en cause. écrits « comme ils se prononcent ». Dans le troisième groupe
Selon la conception de Dejerine et plus récemment de Ges- on rencontrerait les erreurs littérales : substitutions, déplace-
chwind, elles auraient toujours pour résultat de réaliser une ments, omissions, intrusions de lettres. Ces erreurs peuvent
déconnexion entre informations visuelles et aires du langage. être relativement rares, laissant le mot reconnaissable, ou très
nombreuses pouvant aboutir à une jargonagraphie.
Alexie-agraphie Il est impossible de ne pas dire un mot des agraphies pures,
Elle résulte pour Dejerine de la perte des images optiques des recherchées par des générations de neurologues comme pouvant
lettres en rapport avec une lésion du gyrus angulaire de élucider les mystères de cette modalité du langage et permettre
l’hémisphère dominant. Cette atteinte centrale du langage écrit de localiser un centre de l’agraphie conforme ou non à celui
explique qu’elle affecte ses deux modalités : réceptive et qu’Exner [15] avait situé à la partie postérieure de la deuxième
expressive. L’atteinte de la lecture est massive avec une compré- circonvolution frontale. Elles sont restées très rares ou imparfai-
hension nulle, une lecture à haute voix impossible ou jargon- tement pures. Elles sont parfois décrites chez des sujets, dont la
née. Ce tableau peut être isolé ou associé à des signes d’aphasie profession faisait douter, à l’époque, qu’ils aient jamais possédé
de Wernicke ou surtout d’aphasie amnésique. Il est fréquent avant leur maladie une bonne maîtrise de l’écriture. Elles ne
d’observer d’autres signes d’atteinte pariétale : apraxie construc- sont univoques ni dans leur symptomatologie ni dans leur
tive et idéomotrice, syndrome de Gerstmann. localisation lésionnelle, cette dernière paraissant toutefois plus
pariétale que frontale.
Alexie de Benson ou troisième alexie
Elle s’observe en liaison avec l’aphasie de Broca. La lecture et Apport de la psychologie cognitive
la compréhension sont meilleures pour les mots, surtout les
substantifs concrets. Elles sont particulièrement mauvaises pour L’approche cognitive des troubles du langage écrit peut être
les lettres isolées. Ce syndrome, en fait connu depuis long- effectuée à partir du schéma général des activités de langage
temps, avait été retenu par Freud comme un argument contre proposé au chapitre précédent. Nous envisagerons successive-
la conception localisatrice des aphasies puisque l’atteinte d’une ment les perturbations de la lecture à haute voix et celles de
région cérébrale censée être spécialisée dans le contrôle de l’écriture en différenciant les troubles centraux des troubles
l’expression orale entraînait aussi des troubles de la lecture [13]. périphériques [7, 8, 13, 15, 103, 137-139].

18 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96

Lecture à haute voix profonde surviendrait lorsque les activités de lecture sont
assurées par l’hémisphère droit en présence de lésions impor-
Modèle théorique tantes de l’hémisphère gauche. L’alexie phonologique et la
Les mécanismes de lecture à haute voix sont décrits à partir dyslexie profonde ne peuvent survenir que chez des sujets bien
d’un module d’analyse visuelle et de deux voies principales de entraînés à la lecture, et aussi dans les langues ayant une
lecture : lexicale et phonologique [8, 13, 137, 140-142]. orthographe irrégulière comme l’anglais et le français, condi-
L’analyse visuelle regroupe différentes opérations qui assurent tions nécessaires au développement d’une forte voie non
le traitement des propriétés visuelles (analyse rétinocentrée en phonologique.
traits) et l’identification des lettres suite à une analyse de L’alexie lexicale ou de surface se traduit par une incapacité à
regroupement des traits (centrée sur le stimulus) et d’accès à un lire les mots irréguliers avec conservation de la lecture des mots
niveau de représentation graphémique abstraite. Cette dernière réguliers et des non-mots [145]. Les erreurs concernant les mots
étape est, selon certains auteurs, assimilée à un buffer graphé- irréguliers sont le plus souvent une « régularisation » : les mots
mique pouvant être commun à la lecture et à l’écriture. En sont lus en appliquant les règles de correspondance graphème-
outre, ces différentes opérations seraient sous l’étroite dépen- phonème les plus usuelles (gars → gaR).
dance de processus attentionnels (fenêtre attentionnelle, filtre
attentionnel). Écriture
La voie lexicale, à partir du module d’analyse visuelle, gagne Mécanismes d’écriture dictée
le lexique orthographique d’entrée où est activée la représenta-
tion orthographique correspondant au mot présenté, puis le Les mécanismes d’écriture dictée comportent un module
système sémantique où il est compris, le lexique phonologique d’analyse auditive, une voie lexicale et une voie phonologique
de sortie où est activée sa forme phonologique et enfin la qui convergent vers une mémoire tampon graphémique puis
mémoire tampon phonologique, relais obligé de toute expres- mettent en jeu des mécanismes périphériques [9, 102, 146].
sion orale. Une voie lexicale non sémantique reliant le lexique L’analyse auditive traite les stimuli entendus sur le plan
orthographique au lexique phonologique de sortie est envisagée. acoustique et phonétique.
La voie phonologique relie le module d’analyse visuelle à la La voie lexicale passe par le lexique phonologique d’entrée, le
mémoire tampon phonologique en passant par un module de système sémantique et le lexique orthographique de sortie pour
conversion des graphèmes en phonèmes. Elle est utilisable pour atteindre la mémoire tampon graphémique. Une voie lexicale
les non-mots et les mots à orthographe régulière. directe reliant le lexique phonologique d’entrée au lexique
orthographique de sortie est également envisagée.
Alexies périphériques La voie phonologique relie le module d’analyse auditive à la
Un déficit lors de l’analyse visuelle se traduit par une incapa- mémoire tampon graphémique par l’intermédiaire d’un module
cité à lire des lettres isolées ou des séquences de lettres, l’alexie de conversion des phonèmes en graphèmes et de la mémoire
littérale. Un retard dans l’identification des lettres et des tampon phonologique. Alors que la voie lexicale (lexicoséman-
substitutions entre lettres physiquement proches sont observés tique ou lexicale directe) repose sur l’activation de représenta-
ainsi qu’une augmentation des difficultés lors de la présentation tions orthographiques stockées (qui concernent les mots appris),
de mots longs. La nature perceptive des troubles est particuliè- la voie phonologique est surtout utilisée pour l’écriture de non-
rement manifeste chez des patients qui indiquent une impres- mots ou de mots inconnus, mais peut également être efficiente
sion de chevauchement des lettres et dont la lecture est pour des mots réguliers.
améliorée par un espacement plus grand entre les lettres. La mémoire tampon graphémique constitue un centre de
Un déficit de la composante attentionnelle peut expliquer une convergence des voies phonologique et lexicale et le relais
difficulté à traiter en parallèle les différentes lettres d’un mot. obligatoire de toute expression écrite. Elle est assimilée à une
Cette perturbation est particulièrement démonstrative dans les mémoire de travail spécifique du langage écrit qui a pour rôle
troubles d’attention spatiale unilatéraux qui montrent des le maintien à court terme des informations graphémiques issues
omissions de lettres au début ou à la fin de mots suivant la du lexique orthographique ou de la voie phonologique, qu’il
latéralisation lésionnelle. s’agisse de mots ou de non-mots. Ces informations concernent
l’identité abstraite des graphèmes, leur nombre, leur agence-
Alexies centrales ment linéaire, leur catégorie (consonne/voyelle), la structure
L’alexie phonologique se caractérise par une impossibilité à lire graphosyllabique.
les logatomes ou non-mots : séries de lettres prononçables, mais
Troubles centraux
ne correspondant à aucun mot de la langue. La raison de cette
incapacité est évidente : quand on utilise exclusivement la voie L’agraphie phonologique est caractérisée par des troubles
lexicale, seuls les mots figurant au lexique peuvent être lus. sélectifs de l’écriture des non-mots [147]. Des effets de classe des
Cette difficulté contraste avec une préservation de la lecture des mots et d’imageabilité, similaires à ceux décrits en lecture,
mots qu’ils soient d’orthographe régulière ou irrégulière (les peuvent être notés.
mots d’orthographe régulière sont ceux où le rapport graphème- La dysgraphie profonde associe les caractéristiques de l’agraphie
phonème est le plus habituel dans la langue et les mots phonologique avec des erreurs sémantiques [144].
d’orthographe irrégulière ceux où ce rapport est inhabituel, par L’agraphie lexicale ou de surface comporte des troubles sélectifs
exemple « fusil »). Ce trouble fondamental de la lecture peut de l’écriture des mots irréguliers. Les erreurs sont principalement
être presque isolé [143] ou associé à certains effets lexicaux tels des « erreurs phonologiquement plausibles » se faisant dans le
un effet de classe des mots : les noms sont mieux lus que les sens de la régularisation de l’orthographe (femme → fame). Un
verbes, les adjectifs et les mots grammaticaux sont encore plus effet de fréquence des mots est souvent présent [148]. L’alexie
mal lus et il existe des erreurs dérivationnelles : le morphème phonologique et l’agraphie de même nom sont presque toujours
central est conservé, mais l’affixe est erroné (chanteur → associées, mais il existe des exceptions, notamment un cas
chanson). d’agraphie phonologique sans alexie et un autre où l’alexie est
L’alexie profonde comporte les caractéristiques de la dyslexie de type lexical. Il est donc admis qu’il existe deux systèmes
phonologique plus des erreurs sémantiques et un effet d’ima- phonologiques distincts pour la lecture et l’écriture et que
geabilité : les mots imageables sont mieux lus que les mots l’association habituelle de l’atteinte des deux modalités s’expli-
abstraits non imageables tels que « option » [144]. L’interpréta- que par la probable proximité de leurs supports anatomi-
tion de ces faits est discutée. Pour certains, ils traduisent un ques [149]. L’agraphie lexicale est, elle aussi, habituellement
dysfonctionnement partiel du système lexicosémantique associé associée à une alexie mais celle-ci est de type variable : lexicale,
à celui, prédominant, du système phonologique. Pour d’autres, phonologique ou sans spécificité.
ils refléteraient le fonctionnement de la voie lexicosémantique Les associations entre les deux grands types d’alexie ou
seule, amputée de la voie phonologique et de la voie lexicale d’agraphie et les autres troubles des fonctions supérieures sont
non sémantique. Selon un autre niveau d’analyse, la dyslexie assez bien définies. Les troubles phonologiques sont presque

Neurologie 19
17-035-A-96 ¶ Aphasie

toujours associés à une aphasie, de type variable, avec une L’atteinte des programmes moteurs graphiques donne des altéra-
prédominance pour les aphasies de Broca. Les troubles lexicaux tions morphologiques des lettres par la perturbation de la
sont moins souvent en liaison avec une aphasie, mais davantage forme, de la taille et de l’orientation des traits. Le tableau réalisé
avec des symptômes évocateurs d’une lésion pariétale : apraxie correspond à la classique agraphie apraxique [154]. Un déficit
idéomotrice ou constructive, syndrome de Gerstmann. Un siège concernant seulement l’accès aux programmes moteurs a été
plus pariétal des lésions, aux alentours du gyrus angulaire, peut évoqué pour des perturbations se traduisant par des substitu-
être ainsi supposé. tions de lettres montrant des similarités physiques, surtout
L’atteinte de la mémoire tampon graphémique se caractérise par graphomotrices.
des éléments négatifs. Il en est ainsi de l’absence de signe La dysgraphie spatiale résulte d’une perte du contrôle assuré
faisant penser à une atteinte sélective des voies phonologiques par l’hémisphère mineur sur l’écriture : négligence de la partie
et lexicales. Les troubles sont similaires pour les mots réguliers gauche de la page, mauvaise orientation des lignes, redouble-
et irréguliers et pour les non-mots. Il n’y a pas d’erreur phono- ment de lettres et de jambages, superposition de lettres.
logiquement plausible, d’effet de classe, d’imageabilité. Il n’y a
pas non plus de différence entre les diverses modalités de Approche connexionniste
réalisation de l’écriture : manuscrite, épelée, réalisée avec des
lettres mobiles ou à la machine. Les symptômes positifs se La première modélisation connexionniste des mécanismes de
limitent à des erreurs non phonologiquement plausibles lecture à haute voix a été conçue par Seidenberg et McClel-
(carabine → cadabine), c’est-à-dire des erreurs de lettres : land [155]. La structure générale en est la suivante : trois couches
omissions, substitutions, adjonctions, déplacements. Ces d’unités connectées entre elles, codant chacune pour des
troubles sont plus marqués pour les mots longs [150]. informations spécifiques (visuo-orthographique, phonologique
ou sémantique). Dans ce modèle, la prononciation d’un mot
Mécanismes périphériques de l’écriture écrit peut s’effectuer soit par un réseau qui connecte directe-
Si l’écriture comporte une organisation centrale ou linguisti- ment l’orthographe à la phonologie, soit par un réseau qui fait
que parallèle à celle de la lecture, elle comporte aussi une intervenir la couche sémantique. Seule la mise en application
organisation « périphérique » [151, 152] qui lui est propre et qui sur ordinateur d’un apprentissage résultant de connexions entre
orthographe et phonologie avait été réalisée. Plus récemment,
met en jeu l’activation successive du système allographique et
un modèle connexionniste alternatif a été proposé par Ans,
des programmes moteurs graphiques qui sont ensuite traduits
Carbonnel, et Valdois [156]. Il repose sur une base d’apprentis-
en informations neuromusculaires spécifiques. La Figure 3
sage qui comporte à la fois des mots entiers et les segments
représente un modèle simple susceptible de rendre compte de
syllabiques de ces mots et permet d’obtenir des performances de
cette organisation.
lecture tout à fait comparables à celles de sujets normaux en
Le système allographique reçoit les informations concernant les
montrant notamment les mêmes effets de fréquence et de
représentations graphémiques abstraites maintenues au niveau
régularité. De plus, deux lésions distinctes du système aboutis-
de la mémoire tampon graphémique et assure le choix de la
sent à des profils de lecture tout à fait proches des tableaux
forme générale de la lettre en tenant compte des caractères
d’alexie de surface et d’alexie phonologique rencontrés chez des
particuliers : majuscule ou minuscule, script ou cursive. patients. Ces résultats sont d’un grand intérêt car ils confortent
Les programmes moteurs graphiques spécifient pour chaque type la double dissociation (relative à l’atteinte phonologique versus
de lettre la séquence, la direction et la taille relative des traits. lexicale de la lecture) mise en évidence en pathologie neuro-
Cette information est à son tour transformée en commande psychologique qui a parfois été remise en question [157].
proprement motrice par le système moteur. L’existence même
de représentations allographiques intermédiaires entre mémoire
tampon graphémique et programmes moteurs graphiques n’est
pas soutenue par tous les auteurs [108, 153].
■ Neurobiologie des aphasies
L’ensemble du processus est soumis à un contrôle spatial Nous aborderons successivement dans cette section les
assuré par l’hémisphère mineur. corrélations anatomocliniques des différents syndromes, puis
Des processus périphériques propres à chaque modalité de des symptômes aphasiques, les renseignements fournis par
sortie sont envisagés. Une voie de l’épellation orale se dégagerait l’imagerie fonctionnelle sur le support anatomique des différen-
à la sortie de la mémoire tampon graphémique, et conduirait à tes composantes du langage, aussi bien chez le patient aphasi-
la traduction de l’identité abstraite des graphèmes en nom de que que chez le sujet normal et enfin les relations entre la
lettre. Des conceptions alternatives ont été proposées. Les préférence manuelle et la dominance hémisphérique pour le
mécanismes relatifs à l’écriture avec des lettres mobiles ont été langage.
peu étudiés. Des raisons théoriques plaideraient pour son
individualisation après le système allographique comme cela est
indiqué sur la Figure 3. Les quelques observations publiées qui
Corrélations anatomocliniques
correspondent vraisemblablement à une atteinte du système des syndromes aphasiques (Tableau 1)
allographique seraient plutôt en faveur d’une origine plus L’essentiel des connaissances dans ce domaine provient de
proximale, après la mémoire tampon graphémique et parallèle l’étude des accidents vasculaires cérébraux, qui représentent la
aux voies de l’écriture manuscrite et de l’épellation orale. première cause d’aphasie chez l’adulte. La distribution des
Perturbations périphériques territoires vasculaires, en traçant des frontières anatomiques
peut-être arbitraires d’un point de vue fonctionnel, a largement
À partir de ces notions théoriques, il est possible de prévoir contribué à dessiner les contours de la taxonomie classique, qui
des syndromes neuropsychologiques correspondant à l’atteinte a le double mérite d’être universellement connue des neurolo-
des différents modules. Si les observations évoquant une gues et d’être applicable à la majorité des patients. Toutefois,
atteinte des programmes moteurs graphiques sont nombreuses, cette taxonomie atteint bien souvent ses limites lorsqu’il s’agit
elles restent en très petit nombre quand il s’agit de l’atteinte d’interpréter un trouble du langage consécutif à des pathologies
allographique et montrent de surcroît des tableaux sémiologi- moins habituelles, ou de tenter des corrélations avec les
ques disparates [9, 146]. modèles de la psychologie cognitive. Il faut alors conduire une
En cas d’atteinte allographique, les prédictions théoriques sont description plus analytique de l’aphasie sous peine de mécon-
les suivantes : respect de l’épellation orale et absence de lettres naître un trouble particulier par son intérêt physiopathologique
mal formées. La perturbation la plus caractéristique porterait sur ou comme cible de la rééducation. Enfin, l’anatomie (patholo-
le choix des formes de lettres avec notamment des confusions gique) de l’aphasie fût-elle élucidée, on ne pourrait en déduire
entre majuscules et minuscules (café → caFé). Mais des erreurs simplement l’anatomie (fonctionnelle) du langage. L’imagerie
quant au choix de la forme générale de la lettre sont aussi fonctionnelle apporte aujourd’hui dans ce domaine des infor-
décrites. mations inédites.

20 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96

Tableau 1.
Principaux types d’aphasie. Corrélations anatomocliniques généralement observées.
Types d’aphasie Signes Localisation Étiologies habituelles Signes associés
Aphasie globale Expression compréhension Lésion étendue corticale Infarctus sylvien total, tumeur, Hémiplégie, hémianopsie,
orales et écrites très réduites (fronto-temporo-pariétale) traumatisme, hémorragie hémianesthésie
ou nulles ou sous-corticale

Aphasie de Broca Expression orale réduite Cortex frontal inférieur Infarctus sylvien antérieur Hémiplégie brachiofaciale
Agrammatisme Noyaux gris et substance superficiel et/ou profond Apraxie
Troubles arthriques blanche sous-corticale du lobe Hématome profond
frontal
Compréhension relativement
préservée

Aphasie de Wernicke Expression abondante Lobe temporal, parfois lésions Tumeur Hémianopsie ou quadranopsie
(type I) Trouble de la compréhension thalamiques Infarctus sylvien postérieur Troubles sensitifs
Paraphasie Encéphalite herpétique Peu ou pas de troubles moteurs
Hématome lobaire

Aphasie de conduction Paraphasies phonémiques Cortex pariétal inférieur Infarctus sylvien postérieur Troubles sensitifs
Compréhension normale Capsule interne (origine embolique fréquente) Quadranopsie
Répétition perturbée

Surdité verbale pure Trouble de la compréhension Gyrus temporal supérieur Infarctus Aucun
(Wernicke type II) et de la répétition (lésion gauche ou bilatérale) Tumeur
Écriture sous la dictée Abcès
impossible

Alexie-agraphie Trouble de la lecture Pli courbe (gyrus angulaire) Infarctus Hémianopsie


(Wernicke type III) et de l’expression Tumeur Syndrome de Gerstmann
Expression et compréhension Hématome lobaire
orales préservées

Alexie pure Trouble isolé de la lecture Lobe occipital et splénium du Infarctus de l’artère cérébrale Hémianopsie
(alexie sans agraphie a) avec conservation de l’écriture corps calleux postérieure Agnosie visuelle
et du langage oral Hématome lobaire, tumeur

Aphasie anomique Manque du mot isolé Profondeur du lobe temporal Tumeur (ou autre processus Apraxie
Région hippocampique (faible expansif) Peu ou pas de troubles
valeur localisatrice) Alzheimer sensitivomoteurs
Infarctus de l’ACP Quadranopsie supérieure
Encéphalite herpétique

Aphasie transcorticale Manque d’incitation verbale Région préfrontale Infarctus de l’ACA ou Syndrome frontal
motrice Répétition et compréhension Aire motrice supplémentaire de la jonction ACA-ACM Dysarthrie
normales Noyaux gris Hématome Hémiplégie crurale
Tumeur

Aphasie transcorticale Compréhension perturbée avec Jonction temporo-occipitale Infarctus de l’ACP étendu Démence
sensorielle répétition conservée et langage Thalamus Alzheimer Hémianopsie
« creux ». Manque du mot
Infarctus de jonction postérieur

Aphasie transcorticale Langage écholalique Zones de jonction entre Infarctus de jonction étendu Troubles de l’attention
mixte territoires sylvien et cérébral uni- ou bilatéral (hypotension, Hémiplégie crurale uni-
antérieur et postérieur hypoxie, arrêt cardiaque) ou bilatérale
a
Trouble n’appartenant pas au domaine de l’aphasie proprement dite. ACA : artère cérébrale antérieure ; ACM : artère cérébrale moyenne ; ACP : artère cérébrale postérieure.

Aphasie de Broca pure. L’extension en arrière d’une telle lésion ajoute aux signes
Les infarctus limités à l’aire de Broca donnent une légère précédents des troubles de la compréhension et des paraphasies.
aphasie motrice transitoire qui guérit rapidement. Les lésions
pouvant donner l’aphasie de Broca siégeraient dans la partie
Aphasie de Wernicke
postérieure de F3 et dans les régions voisines : partie inférieure Quel que soit le type d’aphasie de Wernicke, l’atteinte de
du gyrus précentral, insula antérieur, F2, partie adjacente du l’aire 22 de Brodmann (aire TA d’Economo) située en arrière des
cortex temporal et pariétal, putamen, noyau caudé et capsule aires 41 et 42 (aires auditives primaires) dans la partie posté-
interne. En définitive, l’aphasie de Broca persistante avec rieure de T1 est constante. La lésion peut s’étendre en avant au
agrammatisme et diminution de la fluence verbale est associée cortex auditif primaire, en profondeur à la substance blanche
à une large lésion frontopariétale gauche avec généralement une sous-jacente et à l’origine du faisceau arqué, en arrière au gyrus
extension sous-corticale. C’est d’ailleurs une telle lésion qu’a angularis (aire 39 ou PG d’Economo) et au gyrus supramargina-
montré l’examen au scanner du cerveau de Leborgne, le cas lis (l’aire 40 ou PF), en bas et en arrière aux aires 21 (deuxième
princeps de Broca. Il semble prouvé qu’une lésion profonde temporale), 20 (troisième temporale) ou 37 (quatrième
peut donner une aphasie de Broca. Naeser et Hayward [13] temporale).
pensent que les lésions capsuloputaminales peuvent donner des L’aphasie de Wernicke à prédominance de surdité verbale
aphasies de Broca sans agrammatisme ni trouble de la compré- (type II) correspond à une atteinte de la partie postérieure de Tl
hension, ni trouble de l’écriture, tableau proche de l’anarthrie et T2, en arrière du gyrus de Heschl, qui est presque toujours un

Neurologie 21
17-035-A-96 ¶ Aphasie

infarctus du territoire de l’artère temporo-pli courbe. La forme


avec atteinte prédominante du langage écrit (type III) s’observe Cortex frontal FRAA
dans les infarctus pariéto-pli courbe occupant les aires 39 et 40.
L’aphasie de Wernicke est relativement plus fréquente chez le
C +
sujet âgé que l’aphasie de Broca. Cette différence provient du Cortex
fait, d’une part, que les infarctus sylviens affectent plus souvent moteur L
le territoire postérieur chez les sujets âgés que chez les sujets A
jeunes [39] et, d’autre part, que les tumeurs cérébrales malignes, + NR
autre cause classique de l’aphasie de Wernicke, sont également
plus fréquentes chez le sujet âgé. FA NC PALL VA
Boucle
Aphasie de conduction audiphonatoire
CM
+
Suivant le modèle classique de Lichtheim et Wernicke, repris
PUL
par Geschwind, l’aphasie de conduction résulte d’une interrup-
Cortex C
tion entre l’aire de Wernicke (« centre des images auditives des Système
auditif L
mots » ou de façon plus contemporaine support anatomique du sémantique
P
lexique phonologique) et l’aire de Broca (« centre des images
motrices des mots », responsable de la réalisation phonétique). Cortex
Ce schéma cognitif correspond ici à un processus langagier (la visuel
boucle audiophonatoire) en même temps qu’à une structure
Figure 4. Rôle présumé des structures sous-corticales dans le contrôle
anatomique (le faisceau arqué). L’aphasie de conduction est, de
de la production du langage. D’après Crosson [160, 161]. Le pallidum
fait, souvent associée à des lésions sous-corticales atteignant la
(PALL) inhibe en permanence le noyau ventral antérieur (VA). Le noyau
capsule externe ou la substance blanche sous-jacente aux aires
caudé (NC), lorsqu’il est stimulé, inhibe lui-même le pallidum. Lorsqu’un
22 et 40 [158], mais aussi à des lésions du cortex insulaire ou
segment linguistique est formulé par le « cortex linguistique antérieur »
pariétal inférieur. Un cas a été décrit au cours d’une sclérose en
(CLA), celui-ci active partiellement le noyau caudé, mais cette action est
plaques [60]. L’interprétation cognitive en termes de dyscon-
insuffisante pour mettre en marche le système. Grâce aux connexions
nexion doit être nuancée en tenant compte des cas dus à des
entre CLA et CLP (cortex linguistique postérieur) lesquelles passeraient
lésions corticales limitées ou même obtenus chez des sujets
notamment par le pulvinar (PUL), le contenu sémantique du segment
épileptiques par des stimulations corticales limitées de la partie
linguistique formulé par le CLA est contrôlé par le CLP, qui active à son
postérieure de T1 [129] . Pour Alexander [159] , l’aphasie de
tour le noyau caudé. Le niveau d’activation de celui-ci devient alors
conduction constitue l’expression dans le langage oral d’un
suffisant pour inhiber le pallidum, levant l’inhibition du VA et permettant
trouble fondamental du maniement de la phonologie, pouvant
l’exécution du programme moteur nécessaire à l’énonciation de la phrase.
se manifester en outre dans l’écriture ou dans la lecture sous les
Le thalamus reçoit également les projections du cortex frontal relayées en
formes respectives d’agraphie et d’alexie phonologiques. Sa
partie par le noyau réticulaire (NR), et de la formation réticulée activatrice
corrélation anatomique la plus constante est l’atteinte du gyrus
ascendante (FRAA) relayée par le centre médian (CM). Des opérations
supramarginalis.
réalisables sans recours au système sémantique comme la répétition et la
lecture à haute voix, sont assurées par l’ensemble CLP-faisceau arqué
Aphasies transcorticales
(FA)-CLA, et ne sont pas affectées par l’atteinte du dispositif précédent.
Aphasie transcorticale motrice
Deux types de lésions peuvent causer une aphasie transcorti-
cale motrice : celles du cortex prémoteur et préfrontal (aires 6 et Aphasies sous-corticales
8 ; aires 9, 10 et 11 ; aires 44, 45, 46) d’une part, celles de l’aire
motrice supplémentaire et des voies qui en viennent cheminant Aphasies par lésions du thalamus et du striatum
dans la substance blanche juste en avant de la corne frontale C’est l’étude des troubles du langage consécutifs aux lésions
d’autre part. Il faut en rapprocher les lésions donnant des états des noyaux gris et en particulier du thalamus qui a conduit à
prolongés de mutisme. la description du syndrome d’« aphasie sous-corticale », au sens
Aphasie transcorticale sensorielle actuel d’aphasie « dissidente », et dont on peut rappeler ici les
trois niveaux de perturbation [26] :
Quant à l’aphasie transcorticale sensorielle, elle se présente • dynamique attentionnelle et intentionnelle de la communi-
comme une aphasie de Wernicke sans trouble de la répétition cation ;
avec souvent une écholalie. Les lésions ne sont pas univoques : • choix lexical et cohérence sémantique ;
sur la convexité de l’hémisphère gauche, elles touchent les aires • exécution motrice de la parole.
37 et 39, elles peuvent s’étendre aux aires voisines 21 en avant, Crosson [160], en s’appuyant sur les observations cliniques et
18 et 19 en arrière. D’autres fois, elles siègent en profondeur l’imagerie fonctionnelle, a proposé un modèle incluant le
dans la partie de la substance blanche irriguée par l’artère thalamus, les noyaux caudé et lenticulaire, plusieurs aires
cérébrale postérieure. L’aphasie transcorticale mixte est due soit corticales et leurs connexions réciproques, dont s’inspire la
à une lésion entourant les aires périsylviennes en couronne Figure 4. Les noyaux thalamiques appelés à jouer un rôle dans
(« isolement des aires du langage »), soit à une lésion profonde le langage seraient le ventral antérieur, le noyau réticulaire, le
de la substance blanche ou du thalamus. La survenue brutale centre médian et le pulvinar. L’hypophonie et la dysarthrie
d’une aphasie transcorticale mixte serait pathognomonique s’expliqueraient par une atteinte du noyau ventrolatéral, celle
d’une occlusion carotidienne gauche. du noyau antérieur et des faisceaux mamillothalamique et
amygdalo-dorso-médian expliquant les troubles de la mémoire
Aphasie globale verbale. Pour rendre compte des particularités sémiologiques des
L’aphasie globale est due soit à une lésion étendue de aphasies sous-corticales, Crosson fait l’hypothèse d’un « engage-
l’hémisphère gauche (infarctus sylvien total par exemple), soit ment sélectif » de l’attention en vue de la sélection lexicale,
à une lésion profonde interrompant à la fois les voies motrices engagement dans lequel le thalamus jouerait un rôle essentiel.
efférentes issues de l’hémisphère gauche et les fibres d’origine En effet, en langage spontané ou même en dénomination, le
calleuse provenant de l’hémisphère droit. L’évolution pourrait choix lexical est une opération beaucoup moins contrainte,
être meilleure dans ce dernier cas, laissant tout de même parce que moins automatisée, que ne le sont par exemple la
persister une réduction sévère et durable de la fluence verbale. lecture ou la répétition. Il mobilise de ce fait une charge
Sur le plan étiologique, il convient de noter qu’une aphasie attentionnelle élevée, et représente pour cette raison le maillon
globale aiguë sans hémiplégie est caractéristique d’un accident faible de la chaîne de production verbale. La défaillance de cet
vasculaire cérébral de mécanisme embolique [38]. engagement sélectif provoque une instabilité de l’interface

22 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96

lexicosémantique, d’où une sélection approximative dans un Tableau 2.


Corrélations des symptômes aphasiques (d’après [159] et [158]).
stock lexical par ailleurs intact. Cette interprétation vise à
expliquer l’extravagance de certaines paraphasies et la fréquence Symptômes Lésions
des glissements sémantiques, parfois favorisés par un certain
Surdité verbale pure Aires 41 et 42 (gauches ou bilatérales)
degré de désinhibition où interviennent les connexions thala-
Alexie pure Lésion occipitale gauche :
mofrontales. Les cas d’aphasie thalamique avec déficits lexico-
– cortex + splénium
sémantiques catégoriels (anomie pour les noms propres [162] ou
– substance blanche sous-corticale
pour les termes médicaux [161]) sont des arguments supplémen-
taires en faveur de l’implication du thalamus dans les processus Troubles lexicosémantiques Néocortex temporal gauche (aires 41,
sémantiques. 42 et 22)
Aphasies par lésions de la substance blanche Troubles de la compréhension
Trouble purement verbal Lésion limitée
Comme l’ont montré Puel et al. [28] une lésion sous-corticale
Trouble sémantique Lésion étendue (22, 37, 40)
donne, dans 50 % des cas, une aphasie de type « cortical »
Dissociation en fonction
(Broca, Wernicke, aphasie globale). L’imagerie fonctionnelle a du contenu :
révélé en pareil cas le rôle de l’hypométabolisme cortical à
– objets animés Lésion inférieure (temporo-occipitale)
distance (diaschisis inter- et intrahémisphérique), affectant
– objets inanimés Lésion supérieure (temporopariétale)
l’activité neuronale des aires du langage pourtant épargnées par
la lésion [15, 163] . Le parallélisme parfois observé entre la Dissociation en fonction
régression du diaschisis et la récupération accrédite l’idée que du statut grammatical :
l’aphasie, liée avant tout à une dysconnexion, n’est alors « sous- – noms Cortex temporal
corticale » qu’en apparence, expliquant les analogies sémiologi- – verbes Cortex frontal dorsolatéral ou pariétal
ques avec les aphasies classiques. Naeser et al. [27] puis Anomie
Alexander [13] ont étudié des séries de patients ayant une
Langage spontané et épreuves Aires corticales périsylviennes et toute
aphasie par lésions de la substance blanche sous-corticale, dont de dénomination lésion étendue
ils ont effectué un repérage topographique en secteurs : Langage spontané seul Lésions sous-corticales
• la substance blanche périventriculaire, comprenant un secteur
Par entrée visuelle Lésion occipitale gauche
antérolatéral situé autour des cornes frontales (qui inclut
Paraphasies verbales Lésions frontales, temporales et sous-
notamment le faisceau sous-calleux) et un secteur supérieur
corticales
divisé en trois parties (tiers antérieur, moyen et postérieur) ;
Persévérations Noyau caudé
• la substance blanche sous-corticale ;
Paraphasies phonémiques Aires 40 et 22
• les isthmes frontal et temporal situés respectivement entre les
Réduction de la production orale : Lésions frontales postéro-inférieures
extrémités antérieure et postérieure du cortex insulaire et les
« aphasies non fluentes » et sous-corticales
ventricules latéraux ;
Lésions frontales sous-corticales
• la capsule interne (bras antérieur, bras postérieur et genou).
étendues
Une lésion de la substance blanche périventriculaire antéro-
Putamen
latérale entraîne un mutisme transitoire suivi d’une réduction
Lésions rolandiques et sous-
plus durable du langage spontané. Il peut exister également un
rolandiques
manque du mot et parfois des paraphasies sémantiques, mais le
défaut d’initiation de la parole et de l’écriture est le trouble Syntaxe et discours
essentiel. Ces symptômes résulteraient d’une interruption des Perte de l’initiative verbale, Aire motrice supplémentaire et/ou
voies issues de l’aire motrice supplémentaire et du cortex mutisme régressif gyrus cingulaire antérieur
moteur associatif. Une lésion de la substance blanche périven-
triculaire supéroantérieure donne des symptômes identiques Déficit plus durable Lésion associée du corps calleux
avec en outre une dysarthrie, une hémiparésie et une apraxie de et de la substance blanche adjacente
la main gauche, dus à une dysconnexion à la fois intrahémis- Troubles du discours (lacunaire, Cortex préfrontal
phérique (entre le lobe pariétal et le cortex moteur associatif) et tronqué, diffluent) Structures sous-corticales
interhémisphérique entre les cortex moteurs associatifs droit et
gauche. Une lésion de la substance blanche supéropostérieure Syntaxe Aire de Broca
est pratiquement sans effet sur le langage. Une lésion combinée Répétition Insula et capsule externe
de la substance blanche antérolatérale et supérieure (tiers
antérieur et moyen) suffit, en coupant à la fois la voie motrice
et le faisceau sous-calleux, à entraîner une suspension durable Corrélations anatomocliniques
de l’expression orale ou une production réduite à quelques des symptômes aphasiques (Tableau 2)
stéréotypies. Ces lésions multiples de la substance blanche
périventriculaire joueraient un rôle primordial dans les formes L’analyse neuropsychologique d’un trouble du langage ne
persistantes d’aphasie de Broca. Une lésion de la partie anté- permet pas toujours d’aboutir à un diagnostic syndromique
rieure de l’isthme temporal donnerait un trouble modéré de la précis. Le tableau de chaque patient, s’il peut être inclus dans
compréhension du langage oral en interrompant les connexions l’une des grandes catégories de la classification précédente,
entre le corps genouillé médian et le cortex auditif, déficit présente souvent des spécificités qui nécessitent une analyse
plus poussée. L’étude des symptômes pris isolément a l’avantage
encore majoré en cas de lésion périventriculaire supéroposté-
d’une moindre ambiguïté dans les définitions, et elle offre la
rieure associée. Une lésion postérieure de l’isthme temporal
possibilité d’une quantification (pourcentage d’erreurs ou de
serait responsable d’un tableau proche de l’aphasie transcorticale réussites à des épreuves de dénomination, compréhension,
sensorielle. fluence) et d’une qualification (proportion des différents types
Les atteintes de la substance blanche sous-jacente à l’opercule de paraphasies, ou des erreurs phonologiques versus lexicales,
frontal ou au cortex central inférieur sont associées à des par exemple) que ne permet pas l’approche syndromique
paraphasies phonémiques. La dysconnexion ainsi réalisée entre globale. Malgré ce surcroît de précision, les résultats des études
l’aire de Wernicke et l’opercule frontal serait une des causes à visée épidémiologique et de corrélation lésionnelle portant sur
possibles des substitutions phonémiques, particulièrement les caractéristiques élémentaires des troubles du langage se
fréquentes dans l’aphasie de conduction. heurtent à une difficulté que la plus précise des méthodologies

Neurologie 23
17-035-A-96 ¶ Aphasie

ne peut vaincre, celle de la variabilité étiologique. Les modifi- moyenne), ainsi que l’aire de Wernicke et ses connexions vers
cations du langage dues à une lésion cérébrale sont influencées l’opercule frontal qui cheminent dans la substance blanche
non seulement par la topographie de la lésion, mais par la sous-corticale ;
nature et la vitesse d’installation de celle-ci, deux facteurs ayant • un système de compréhension auditive comprenant le cortex
une influence décisive sur la réorganisation fonctionnelle du auditif, l’aire de Wernicke, le cortex associatif temporopariétal
cerveau, sur laquelle va, en définitive, reposer le tableau et les projections du thalamus sur le cortex d’association
clinique observé. Les données supposées acquises sur les auditif via l’isthme temporal ;
corrélations clinicoanatomiques des symptômes aphasiques sont • un système sémantique qui impliquerait le thalamus anté-
donc à nuancer sensiblement en fonction de l’étiologie et de rieur et latéral, la jonction temporo-occipito-pariétale ainsi
l’évolution de la maladie causale. Ces importantes réserves étant que leurs connexions empruntant l’isthme temporal posté-
faites, nous faisons figurer dans le Tableau 2 ces corrélations, rieur et la substance blanche périventriculaire postérieure et
tirées d’études portant sur des séries de patients cérébrolésés supérieure.
examinés par IRM [158, 159].
Apports de l’imagerie fonctionnelle (Tableau 3)
Cerveau et langage Les hypothèses visant à corréler les processus cognitifs à
l’anatomie cérébrale doivent désormais se confronter non plus
Aires de Broca et de Wernicke seulement aux données morphologiques, mais à celles de
l’imagerie fonctionnelle.
L’aire de Broca est le support de la fonction syntaxique du
langage. Cette fonction comprend non seulement l’utilisation Techniques
des mots grammaticaux, mais aussi le maniement des verbes et
en particulier de l’expression et de la compréhension des verbes L’imagerie fonctionnelle utilise trois types de protocoles :
d’action. Les autres éléments de l’ensemble syndromique • études du débit sanguin et/ou du métabolisme cérébral
constituant l’« aphasie de Broca », telle qu’elle fut décrite par régional au repos chez les aphasiques, permettant, d’une part,
son auteur, sont imputables à l’atteinte de structures avoisinan- d’identifier des régions hypométaboliques au-delà des lésions
tes : cortex moteur operculaire (troubles arthriques et phonéti- vues en imagerie morphologique (diaschisis) et, d’autre part,
ques), cortex pariétal inférieur (troubles phonémiques), cortex d’effectuer des corrélations clinicométaboliques ;
frontal dorsolatéral (dynamique du discours, mémoire de travail • études d’activation chez des aphasiques visant à comprendre
verbale, incitation verbale, inhibition des persévérations, les mécanismes de la récupération ;
• études d’activation chez le sujet normal visant à repérer les
cohérence sémantique). L’aire motrice supplémentaire et le
régions cérébrales dont le métabolisme est modifié au cours
gyrus cingulaire gauche interviendraient dans l’incitation
d’une tâche donnée.
verbale, et les structures sous-corticales dans les aspects moteurs
Les études au repos font généralement appel à la TEP, les
ainsi que la cohérence sémantique.
activations à la TEP ou à l’IRMf.
L’anatomie fonctionnelle de l’aire de Wernicke a été décrite
Nous avons fait figurer dans le Tableau 3 un choix de
sous des formes tellement variées qu’il est difficile de prétendre données recueillies chez le sujet sain ou aphasique, au repos ou
actuellement en donner une vision exacte ou même cohé- en activation. Compte tenu de la véritable explosion que
rente [164]. Schématiquement, il est possible de retenir que la connaît aujourd’hui la recherche dans ce domaine, cette brève
partie postérieure du gyrus temporal moyen et les régions mise au point doit être considérée comme provisoire.
avoisinantes (aires 22, 21 et 37 de Brodmann) sont concernées
par le traitement lexical et la correspondance lexicosémantique. Résultats
Des sous-spécialisations catégorielles semblent exister, avec une Les premières mesures du débit sanguin cérébral chez des
relation fonctionnelle préférentielle entre les noms d’animaux patients aphasiques remontent à 1978 [174], montrant pour la
et les noms d’êtres animés et le cortex temporal latéral inférieur, première fois une diminution du débit sanguin cérébral plus
les noms d’objets manufacturés et le cortex temporal postéro- étendue que la lésion visible au scanner. La confirmation que
supérieur à la jonction avec le lobe pariétal. Le gyrus temporal cet hypodébit reflète en réalité un hypométabolisme à distance
supérieur et le gyrus supramarginal (aire 40) sont, quant à eux, de la lésion a été apportée par la TEP dès 1981 [163]. L’intérêt de
responsables du traitement phonologique, ainsi que de la ces constatations est renforcé par les études de débit sanguin
mémoire verbale à court terme. Le gyrus temporal supérieur lui- et/ou de métabolisme cérébral au cours de la récupération des
même répond à la stimulation par des sons de parole (stimula- syndromes aphasiques. Pionniers en ce domaine, Weiller et
tion phonétique), mais seule sa partie antérieure serait activée al. [172] ont mesuré le débit sanguin cérébral au repos, puis au
lorsque le stimulus forme un message intelligible [165]. cours d’une tâche de langage chez des patients ayant récupéré
d’une aphasie de Wernicke, et comparé les résultats avec ceux
Architecture tridimensionnelle des aires d’un groupe de sujets normaux. Chez ces derniers, les tâches
cérébrales du langage linguistiques entraînaient une augmentation du débit sanguin
cérébral affectant presque exclusivement les aires corticales
Alexander [159] a proposé les correspondances suivantes entre temporales et frontales gauches, tandis que chez les patients
les structures de l’hémisphère cérébral gauche et le langage cérébrolésés, l’augmentation portait également sur les aires
envisagé comme un ensemble de systèmes fonctionnels com- homologues de l’hémisphère droit. Ces résultats suggèrent que
plémentaires : la récupération de l’aphasie repose en partie sur la mise en
• un système d’initiation impliquant l’aire motrice supplémen- œuvre de zones hémisphériques droites qui ne sont pas mises
taire et peut-être le cingulum antérieur. Ces structures en jeu par le langage en temps habituel. Malheureusement,
projettent sur le cortex frontal dorsolatéral via la substance comme l’ont montré des études en TEP ou en IRMf [169, 173, 175],
blanche périventriculaire antérolatérale ; la compétence linguistique de ces aires vicariantes est générale-
• un système de production de la parole assurant la qualité de ment insuffisante pour assurer une récupération de qualité.
l’articulation et du volume vocal incluant l’opercule frontal et Dans les trois études citées, les patients, aphasiques en cours de
le cortex moteur inférieur, qui projettent sur les noyaux gris récupération, soumis à des tâches de langage, voient leur débit
centraux (putamen et noyaux caudés) via la substance sanguin augmenter lors de cette activation dans des proportions
blanche périventriculaire supérieure antérieure et moyenne, le variables, mais la qualité de la récupération clinique est
genou de la capsule interne et la partie postérieure du bras seulement corrélée à l’activation des aires corticales gauches
antérieur de la capsule interne ; juxtalésionnelles épargnées par la lésion, et jamais aux activa-
• un système d’organisation phonémique impliquant l’opercule tions des aires corticales homologues de l’hémisphère droit. Par
frontal, le cortex moteur inférieur et leurs efférences (subs- conséquent, chez les sujets adultes clairement latéralisés, les
tance blanche périventriculaire supérieure, antérieure et chances de récupération reposent avant tout sur la préservation

24 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96

Tableau 3.
Études en imagerie fonctionnelle chez le sujet sain et chez le sujet aphasique.
Références Étude Imagerie Sujets Résultats
Kircher et al., Génération de mot : commentaire sur test IRMf Volontaires sains Corrélation entre production verbale et aires 22,
2000 [166] de Rorschach 39 et 40 gauches

Bookheimer et al., Langage « automatique » : répétition de IRMf Volontaires sains Mois versus phonèmes : activation
2000 [167] phonèmes, mois de l’année, passage de prose postérosupérieure du cortex temporal
appris par cœur postérosupérieur gauche
Récit versus mois : aire de Broca gauche

Embick et al., Lecture : détection d’erreurs syntaxiques versus IRMf Volontaires sains Activation prédominante de l’aire de Broca
2000 [168] orthographiques au cours de la tâche syntaxique

Hickock et al., Dénomination subvocale IRMf Volontaires sains Activation de la région dorsale postérieure
2000 [130] du gyrus temporal supérieur gauche

Ohyama et al., Répétition des mots TEP Volontaires sains Activation bilatérale à prédominance gauche
1996 [169] du cortex frontal postéro-inférieur et temporal
postérosupérieur

Ohyama et al., Répétition des mots TEP Aphasiques Activation droite plus marquée que chez les
1996 [169] volontaires sains, mais performances corrélées
à l’activation gauche

Scott et al., Compréhension orale : sons versus phonèmes TEP Volontaires sains Activation du sillon temporal supérieur par la
2000 [165] versus parole intelligible parole, mais de sa partie antérieure seulement
si elle est intelligible

Friederici et al., Compréhension orale : phrase versus listes IRMf Volontaires sains Langage normal : activation des aires auditives
2000 [170] de mots et de non-mots primaires et secondaires bilatérales
Traitement syntaxique : opercule frontal gauche

Mummery et al., Audition parole versus bruit TEP Volontaires sains Activation temporale postérieure gauche
1999 [171]

Mummery et al., Audition parole versus bruit TEP Aphasiques Activation temporale postérieure gauche
1999 [171]

Weiller et al., Compréhension orale et génération de verbes TEP Volontaires sains Activation des aires de Wernicke et Broca
1995 [172] (génération de verbes) gauches et, à un moindre
degré, droites

Weiller et al., Compréhension orale et génération de verbes TEP Aphasie de Wernicke Activation de l’aire de Broca gauche et des aires de
1995 [172] Broca et Wernicke droites

Rosen et al., Génération de mots versus lecture IRMf Infarctus FIG (aire de Activation de l’aire de Broca droite ; activation
2000 [173] Broca) résiduelle de l’aire de Broca gauche corrélée
aux performances
IRMf : imagerie par résonance magnétique fonctionnelle ; TEP : tomodensitométrie par émission de positons ; FIG : frontal inférieur gauche.

d’une partie des aires normalement dévolues au langage au


niveau de l’hémisphère gauche.
■ Troubles de la parole en dehors
de l’aphasie
Langage et préférence manuelle Il s’agit des troubles dus à la perturbation de la motricité des
La dominance gauche pour le langage varie de façon linéaire organes phonatoires, quelle qu’en soit la cause : affections des
avec la préférence manuelle, passant de 96 % chez les droitiers muscles, de la plaque motrice, du nerf périphérique, du système
stricts à 27 % chez les gauchers stricts [176] . Ces chiffres pyramidal et des systèmes de contrôle cérébelleux et extrapyra-
montrent aussi que chez les trois-quarts des gauchers, une midal. L’examen neurologique commence par l’écoute de la
lésion gauche risque d’être génératrice d’aphasie, et que production du malade et l’examen des organes phonatoires. Les
d’authentiques aphasies croisées peuvent survenir chez seule- résultats de l’écoute sont entachés de subjectivité et l’examen ne
ment 4 % des droitiers. Chez les droitiers, les lésions hémisphé- permet pas toujours un diagnostic précis. Si nécessaire, on peut
riques droites symétriques des aires du langage dans compléter cet examen par un enregistrement de la production
l’hémisphère gauche donnent des troubles de la prosodie ou du vocale, permettant une analyse plus précise des capacités
maniement d’aspects implicites du langage, ainsi que de la articulatoires, de la prosodie, de la qualité de la voix et du débit.
reconnaissance de ces caractéristiques chez l’interlocuteur, Il est classique de proposer des épreuves de tenue de son, de
suivant que les lésions sont antérieures ou postérieures (cf. répétition de phrases incluant les intonations déclaratives,
supra). Les sujets gauchers ayant une dominance gauche pour interrogatives et exclamatives. Cet examen apporte des indica-
le langage ont, comme les droitiers, un planum temporale plus tions sur la hauteur, le timbre et l’intensité de la voix et permet
étendu à gauche qu’à droite, mais aussi un corps calleux plus d’identifier les altérations de la parole : faiblesse articulatoire,
épais que les sujets dont la dominance manuelle et linguistique explosion excessive, assourdissement, imprécision des
concorde [177]. Ce fait suggère que la répartition dans les deux phonèmes.
hémisphères des représentations motrices liées à la dominance Des méthodes instrumentales peuvent être utilisées en milieu
manuelle et des aires du langage se traduit par une nécessité spécialisé. La laryngoscopie indirecte ou mieux directe par
accrue de communication interhémisphérique. fibroscope nasal permet de voir l’aspect des cordes vocales et

Neurologie 25
17-035-A-96 ¶ Aphasie

leur mobilité. La laryngostroboscopie permet l’examen du • une dysarthrie ataxique (syndromes cérébelleux) : accentuation
fonctionnement des cordes vocales au cours de la voix chantée. excessive et inégalement répartie, prolongation des phonèmes
Les examens électromyographiques et cinéradiographiques et des intervalles, irrégularités dans la parole spontanée et la
renseignent sur l’amplitude des mouvements articulatoires et les répétition, lenteur d’élocution, intensité vocale souvent
mesures aérodynamiques étudient les mouvements d’expansion excessive et irrégulière ;
et de contraction du thorax et le volume d’air utilisé lors de la • une dysarthrie hypokinétique (maladie de Parkinson) : parole
respiration et lors de la phonation. Les études acoustiques monotone dans sa hauteur et son intensité, d’intensité
reposent sur l’examen oscillographique. Il s’agit de l’analyse globalement réduite, de rapidité variable, comportant de
physique de l’onde sonore qui est visualisée sur un écran courtes accélérations et des silences inappropriés, parfois une
cathodique et peut être filmée. Cette technique permet l’analyse palilalie ;
de l’intensité sonore, de la fréquence fondamentale, de la • les dysarthries hyperkinétiques rapides des chorées où la
structure acoustique et de la durée des différents segments de la précision de l’articulation, le nasonnement et l’intensité
parole (phonèmes, mots, phrases) ainsi que de la durée des varient rapidement d’un moment à l’autre, celle des myoclo-
pauses. nies où existent des interruptions rythmiques de la parole et
des nasonnements et celle du syndrome de Gilles de la
Troubles de la voix (dysphonies) Tourette ;
• une dysarthrie hyperkinétique lente (athétose, dyskinésies et
Leur diagnostic repose sur la laryngoscopie, montrant l’aspect dystonies) : variations de la qualité articulatoire, prosodie
et la mobilité des cordes vocales, et sur l’examen neurologique excessive et inadaptée, troubles intermittents de la voix ;
qui met en évidence d’éventuels troubles associés. On décrit des • une dysarthrie des tremblements, (surtout tremblement essen-
paralysies et des dysphonies fonctionnelles. tiel) : voix chevrotante du fait d’altérations rythmiques en
hauteur et en intensité ;
Dysphonies paralytiques • des dysarthries mixtes : (SLA, SEP, maladie de Wilson) (cf.
L’innervation des muscles laryngés est assurée en totalité par infra) :
la dixième paire crânienne ou nerf pneumogastrique (X). Dans C sclérose latérale amyotrophique combinant une atteinte
la paralysie des cordes vocales par atteinte du X, la voix est périphérique et pyramidale ;
faible, parfois chuchotée, soufflée ou présente des cassures en C sclérose en plaques qui combine des éléments paralytiques
fausset. Des variantes existent selon que l’atteinte est uni- ou et cérébelleux ;
bilatérale (les troubles sont évidemment plus marqués dans ce C maladie de Wilson de type hypokinétique avec monotonie
dernier cas) et selon que la totalité du territoire du nerf ou de l’accentuation, baisse de la hauteur et de l’intensité se
seulement certaines de ses branches sont atteintes. Les atteintes distinguant de la dysarthrie parkinsonienne par l’absence
globales sont dues soit à une lésion centrale (bulbaire) soit à d’épisode d’accélération.
une neuropathie, les lésions partielles à une compression distale
(intrathoracique ou cervicale). Dans les lésions totales, une Étiologie des dysarthries
paralysie du voile avec nasonnement et troubles de la dégluti-
tion s’ajoute aux troubles de la voix. Une paralysie bilatérale des Accidents vasculaires cérébraux
nerfs récurrents fixe les cordes vocales en adduction, donnant Le syndrome dysarthrie-main malhabile [179] comporte une
une dyspnée inspiratoire intense associée à une dysphonie. Une parésie faciale centrale, une dysarthrie et une dysphagie
dyspnée laryngée sans dysphonie doit faire évoquer un syn- combinées à une incoordination manuelle unilatérale, de
drome de Gerhardt (paralysie sélective des dilatateurs de la mécanisme tantôt cérébelleux tantôt ataxique. Deux topogra-
glotte), qui peut être d’origine centrale (atteinte partielle du phies lésionnelles sont possibles : le pied de la protubérance à
noyau ambigu au cours du syndrome de Shy-Drager), ou l’union du tiers supérieur et du tiers moyen ou le genou de la
périphérique (polyradiculonévrite). On décrit enfin des cas de capsule interne dans sa partie supérieure, régions où les fibres
paralysie idiopathique des cordes vocales, plus souvent unilaté- pyramidales sont relativement dispersées et où une atteinte
rale (plus fréquente à gauche) que bilatérale, d’évolution sélective du contingent corticobulbaire est possible. Un tableau
régressive et qui constituerait une forme de mononeuropathie analogue pourrait être dû à un infarctus cortical, mais il existe
des nerfs crâniens. alors un trouble sensitif péribuccal associé. Une dysarthrie mixte
(parétique et cérébelleuse) accompagne également le syndrome
Dysphonies « fonctionnelles » d’hémiparésie ataxique, dû à une lésion protubérantielle ou
On distingue : capsulaire interne. Une dysarthrie parétique est fréquente au
• des phénomènes de conversion hystérique avec mutisme ou cours des lésions vasculaires sous-corticales affectant la voie
voix chuchotée, ou soufflée, enrouée, en fausset. Le diagnos- motrice principale ou les noyaux gris, et peut même résumer la
tic se fait sur la conservation de la toux qui atteste d’une symptomatologie après lésion putaminale.
capacité conservée de fermeture glottique ; Autres causes
• la dysphonie spasmodique est une forme de dystonie focale.
La voix est heurtée, bégayante, étranglée, produite avec effort. Les causes des dysarthries sont trop nombreuses pour être
Le trouble est variable, exagéré lors des émotions, parfois passées en revue ici. Nous insistons seulement sur celles dont le
absent lors d’une émission imprévue. À la laryngoscopie, il diagnostic peut être difficile parce qu’elles constituent le signe
existe un spasme en adduction des cordes. Elle peut s’accom- inaugural ou prédominant de la maladie.
pagner d’un tremblement de la voix. Son traitement repose Dans la sclérose latérale amyotrophique à début bulbaire et
sur l’injection locale de toxine botulinique. surtout pseudobulbaire, la parole est lente, l’articulation faible,
la voix nasonnée, rauque et étranglée avec une perte de la
prosodie. La motilité de la langue est réduite. Des troubles de la
Troubles de l’articulation (dysarthries) déglutition peuvent être associés. En cas d’atteinte du motoneu-
rone périphérique, l’examen montre une atrophie et des
Sémiologie des dysarthries fasciculations de la langue, avec, à l’électromyographie (EMG),
Darley et al. [178] distinguent : des signes périphériques dans la houppe du menton ou la
• une dysarthrie flasque (paralysies périphériques : polyradiculo- langue et, en cas d’atteinte centrale, une exagération du réflexe
névrites, myasthénie, paralysie bulbaire progressive) : faiblesse massétérin et une labilité émotionnelle. La conservation du
articulatoire, forte nasalité, découplage de la parole et de la réflexe du voile contraste avec une motilité volontaire médiocre.
respiration ; La myasthénie peut réaliser un tableau très proche, mais il n’y
• une dysarthrie spastique (syndromes pseudobulbaires) : fai- a ni fasciculations de la langue ni signes centraux. On peut
blesse articulatoire, parole lente, de tonalité basse, voix recueillir la notion d’une variabilité des troubles ou la mettre en
rauque et étranglée ; évidence par une épreuve de fatigabilité phonatoire (par

26 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96

exemple, compter jusqu’à 100). Le diagnostic repose sur le test


à la prostigmine ou au chlorure d’édrophonium.
■ Aphasie de l’enfant
Dans la sclérose en plaques, de brefs épisodes de dysarthrie L’aphasie de l’enfant est « un trouble du langage consécutif à
sont un exemple typique des manifestations paroxystiques de la une atteinte objective du système nerveux central et survenant
maladie. chez un sujet ayant déjà acquis un certain niveau de connais-
Dans la maladie de Wilson, la dysarthrie serait en fréquence le sance verbale » [186], c’est-à-dire l’âge d’acquisition des premières
deuxième signe révélateur après le tremblement. Il s’agit d’une phrases, estimé en moyenne à 2 ans [187]. Un trouble du langage
dysarthrie typiquement hypokinétique avec une parole lente, plus précoce entre dans la catégorie des « dysphasies de déve-
monotone et de faible volume qui s’évanouit avant la fin de la loppement ». Le diagnostic d’aphasie chez l’enfant exclut aussi
phrase. Sa survenue chez un adolescent doit absolument faire les troubles de la communication liés à un déficit sensoriel ou
évoquer le diagnostic. Il s’y associe souvent une modification du intellectuel, à un autisme ou à une psychose, et les troubles de
faciès avec un aspect figé et un peu grimaçant et une rétraction la parole comme le bégaiement. Un mutisme peut être délicat à
de la lèvre supérieure qui donne au malade un air souriant, interpréter, car il peut représenter la phase initiale d’une aphasie
mais niais. aiguë.
Une dysarthrie progressive peut marquer le début d’une
dégénérescence corticobasale ou d’une atrophie corticale focale Sémiologie
progressive (cf. « Étiologies »).
L’évaluation, la description et la prise en charge des dysarth- Les progrès des connaissances du développement du langage
ries ont reçu un regain d’intérêt récemment et nous renvoyons de l’enfant et l’analyse plus fine des troubles d’expression et de
le lecteur à l’ouvrage majeur de Auzou et al. [6]. compréhension ont montré que la sémiologie est moins éloi-
gnée qu’on ne le croyait autrefois de celle de l’adulte, avec
cependant une meilleure récupération dont les mécanismes
Bégaiement restent hypothétiques.
Dans 85 % des cas, les troubles expressifs prédominent sur les
Il s’agit d’un trouble de la parole caractérisé par des répéti-
troubles de compréhension et la réduction peut aller jusqu’au
tions ou prolongations involontaires de l’émission d’un son :
mutisme à la phase initiale. En fait, certains mutismes, post-
syllabe ou mot. Il s’y associe souvent une activité accessoire de
traumatiques notamment, sont dus à une inhibition psycholo-
l’appareil du langage donnant l’apparence d’une lutte ainsi
gique qu’il faut savoir lever pour mettre en évidence la
qu’un état émotionnel avec peur, tension, irritations [180]. Le
sémiologie proprement aphasique. La syntaxe serait plus
bégaiement se rencontre plus souvent chez l’homme que chez
incorrecte que simplifiée [188] . Dans ce domaine, il est très
la femme et nettement plus souvent chez l’enfant que chez
important de comparer avec l’expression de l’enfant du même
l’adulte, ce qui implique que beaucoup de cas, trois sur quatre
âge, tout en sachant qu’il existe une grande variabilité dans le
environ, guérissent en chemin. L’incidence familiale et même
développement normal. Les troubles articulatoires seraient
génétique est certaine puisque le bégaiement est concordant à
fréquents, sans toutefois de stéréotypies ni de persévérations
90 % chez les jumeaux vrais et à 20 % chez les dizygotes.
motrices [188] , mais les études donnent des résultats
Le bégaiement disparaît lors du chant, de la parole en
contradictoires.
inhalation et le plus souvent de la lecture à haute voix.
Les aphasies sensorielles sont, comme chez l’adulte, marquées
L’audition d’un bruit blanc ou de la parole différée du patient
par des troubles de la compréhension, une articulation et une
le fait également disparaître, ce qui impliquerait le contrôle
syntaxe conservées et des paraphasies. Contrairement à ce qui
auditif dans la pathogénie des troubles. Mais l’attention est
est observé chez l’adulte, il semble exister, avant l’âge de 8 ans,
surtout retenue par la possibilité d’un désordre laryngé. Les
une corrélation inverse entre l’abondance des paraphasies et la
blocages surviennent le plus souvent au début des phrases et
fluidité du débit verbal. L’influence de l’âge de survenue de
souvent à la transition entre sons voisés qui demandent une
l’aphasie sur l’intensité des troubles de la compréhension est
adduction des cordes et sons non voisés qui s’accompagnent de
débattue [188]. En revanche, quand ils sont importants à la phase
leur relâchement. Surtout, on a observé chez les bègues un
aiguë, ces troubles semblent de mauvais pronostic [189].
trouble de la relation entre agonistes et antagonistes du larynx.
Toutes les autres formes classiques d’aphasie de l’adulte
Ce trouble peut être observé chez les bègues même lorsque la
(aphasies transcorticales motrice et sensorielle, aphasie de
parole apparaît fluente, mais non dans l’imitation du bégaie-
conduction) ont également été décrites chez l’enfant, avec des
ment, par des bègues ou des sujets normaux.
localisations lésionnelles analogues, suggérant une spécialisation
Différentes théories du bégaiement ont été proposées [181].
précoce des aires cérébrales du langage.
Certaines insistent sur le rôle de la dominance cérébrale pour le
Les troubles de la lecture peuvent être importants et durables.
langage qui serait imparfaite chez ces sujets. Les études de
Ils peuvent impliquer l’analyse graphémique, le décodage et la
dominance manuelle ont donné des résultats incertains. Les
compréhension. Quant aux capacités d’écriture, elles n’ont
autres théories sont d’ordre psychodynamique : le bégaiement
donné lieu à aucune étude détaillée. Cependant, Alajouanine et
normal du jeune enfant qui apprend la parole par essais et
Lhermitte [188] et Hécaen [190] ont rapporté que le langage écrit
erreurs serait pérennisé par une attitude inadéquate de l’entou-
était plus perturbé que le langage oral et que ces difficultés
rage qui cristallise autour de la parole anxiété et crainte de
avaient tendance à persister, pouvant jouer un rôle important
l’échec. Malgré un large succès d’opinion, ces théories ne
dans l’échec scolaire ultérieur de ces enfants.
semblent pas avoir été suivies de résultats thérapeutiques
satisfaisants.
Des lésions cérébrales peuvent être responsables d’un pseudo-
Étiologies
bégaiement [182] qui présente des différences sémiologiques avec Les traumatismes crâniens sont la première cause d’aphasie
le bégaiement idiopathique : les blocages ne surviendraient pas chez l’enfant. L’aphasie succède souvent à un coma initial suivi
seulement au début des phrases et persisteraient dans la lecture, d’une phase de mutisme akinétique. Le pronostic est lié à la
la répétition et le chant. Les lésions sont vasculaires ou trauma- gravité des lésions plus encore qu’à l’âge. Les accidents vascu-
tiques, concernant le plus souvent les aires motrices ou les laires (dus à des troubles de la coagulation, des malformations
noyaux gris [183] . La lésion responsable peut être droite ou vasculaires ou des cardiopathies emboligènes) donnent des
gauche. Dans ce dernier cas, le trouble est souvent associé à une aphasies identiques à celles des adultes ayant des lésions de
aphasie sans qu’il y ait toutefois de parallélisme dans l’évolu- même topographie. Même si ces aphasies vasculaires de l’enfant
tion. Certains cas d’aphasie transcorticale motrice peuvent faire sont moins bénignes qu’on ne l’avait supposé autrefois, leur
exception : la difficulté à progresser dans le discours, la ten- évolution est comparativement plus favorable que chez l’adulte.
dance à la répétition peuvent être directement responsables du Les infections bactériennes génératrices d’aphasie sont devenues
bégaiement. Un bégaiement disparu dans l’enfance peut aussi rares chez l’enfant. En revanche, l’encéphalite herpétique est
réapparaître à l’occasion d’une affection neurologique, d’acci- une cause d’aphasie sensorielle pouvant laisser de lourdes
dent vasculaire cérébral [184] ou d’une maladie de Parkinson [185]. séquelles. Les tumeurs, plus souvent localisées à la fosse

Neurologie 27
17-035-A-96 ¶ Aphasie

postérieure qu’aux hémisphères cérébraux, sont une cause L’imagerie morphologique (scanner et IRM) est normale. Les
d’aphasie beaucoup plus rare que chez l’adulte. Elles donnent mesures de débit sanguin et de métabolisme cérébral peuvent
surtout lieu à une anomie. montrer des zones d’hypo- ou d’hypermétabolisme correspon-
dant aux foyers EEG [197, 198]. Les anomalies métaboliques sont
Pronostic et récupération purement corticales, sans altérations au niveau du thalamus [97].
Le pronostic est nettement meilleur que chez l’adulte, mais La magnétoencéphalographie et les enregistrements par électro-
25 % à 50 % des enfants aphasiques auraient encore des des corticales ont démontré que le maximum des anomalies
troubles du langage 1 an après le début [187]. Une épilepsie est paroxystiques se situe à la partie postérieure de la face dorsale
un élément défavorable. De plus, les lésions diffuses et/ou de la première circonvolution temporale, en arrière du gyrus de
bilatérales (souvent d’étiologie infectieuse) sont de mauvais Heschl [196]. L’évolution des troubles du langage est d’autant
pronostic [191]. plus sévère que le début est précoce, pouvant aboutir à un
Lenneberg [192] a esquissé une évolution en fonction de l’âge tableau proche d’une surdi-mutité. À l’inverse, l’épilepsie est peu
d’acquisition de la lésion. De 18 mois à 3 ans, on observe une invalidante et régresse toujours totalement avant l’âge de
reprise de l’acquisition du langage après une brève période de 15 ans. La normalisation de l’aphasie suit celle des tracés EEG.
mutisme dont le caractère aphasique n’est pas démontré. Cette Cependant, 10 % des enfants gardent une aphasie grave, et
reprise se fait selon le schéma du développement normal : 40 % des difficultés suffisantes pour compromettre leur inser-
lallations, mots isolés, holophrases, mais à un rythme accéléré. tion scolaire et sociale ultérieure.
Entre 3 et 4 ans, les troubles aphasiques sont rapidement Le diagnostic différentiel [199] comporte l’autisme et les
résorbés. De 4 à 10 ans, le tableau d’aphasie de l’enfant typique retards globaux de développement (dans lesquels les troubles
(expression réduite, mais troubles de compréhension modérés) cognitifs sont plus diffus), les retards mentaux symptomatiques
se résorbe plus lentement, sans que la vitesse de récupération (dans lesquels il existe des anomalies cliniques et en imagerie),
soit clairement influencée par l’âge au moment de la lésion [193]. les épilepsies bénignes de l’enfant (où il n’y a pas de troubles
du langage), et les aphasies de développement (où manquent les
signes EEG).
« Prix de la récupération » [187] Le SLK est aujourd’hui considéré comme une forme clinique
Lenneberg a considéré la plasticité cérébrale comme le facteur du syndrome de pointes-ondes continues du sommeil lent
expliquant la meilleure récupération de l’enfant. Cette plasticité (POCS) [199, 200]. L’activité épileptique persistante bilatérale
a pour conséquence le transfert des capacités de langage, que les empêcherait, au niveau d’un cortex temporal encore immature,
aires initialement prévues sont devenues incapables d’assumer, la formation des réseaux neuronaux nécessaires à l’acquisition
vers l’hémisphère contralatéral ou vers d’autres aires du même du langage, sans possibilité de compensation par le cortex
hémisphère. Un effet pervers de ce mécanisme serait d’empê- contralatéral (contrairement aux aphasies lésionnelles, dont la
cher les aires nouvellement investies de fonctions linguistiques récupération est bien meilleure chez l’enfant).
d’accomplir leur spécialisation dans des processus non verbaux, L’épilepsie, lorsqu’elle existe, répond en général favorable-
expliquant ainsi une partie des difficultés scolaires que rencon- ment à un traitement par benzodiazépines, associées ou non à
trent les enfants aphasiques en cours de récupération dans de du valproate. Le traitement à visée étiologique est fonction de
multiples domaines cognitifs autres que le langage. Une autre la gravité des troubles du langage. Lorsque ces derniers sont
explication pour ces difficultés serait la présence de lésions sévères ou durables, la corticothérapie est recommandée. Des
présentes initialement au niveau de ces mêmes aires « vicarian- succès ont été obtenus par la chirurgie (transsections sous-
tes », mais passées inaperçues en raison de leur relative discré- piales intracorticales multiples [196]) et par les immunoglobulines
tion par rapport à l’aphasie. Les conséquences de ces lésions sur intraveineuses [201].
les capacités cognitives non verbales deviendraient apparentes à
la reprise d’une activité nécessitant une mobilisation de Prise en charge des enfants aphasiques
l’ensemble du fonctionnement cérébral. Dans les cas d’aphasie de l’enfant comme dans ceux de
syndrome de Landau-Kleffner, une prise en charge pluridiscipli-
Syndrome de Landau-Kleffner naire est souhaitable. Un bilan orthophonique (évaluation du
Le syndrome de Landau-Kleffner (SLK) associe une aphasie langage oral chez l’enfant aphasique [ELOLA], in Mazaux et
acquise et des anomalies paroxystiques à l’électroencé- al. [7] ) est nécessaire, même dans les cas où le langage est
phalogramme (EEG) ainsi qu’une épilepsie dans 70 % des cliniquement satisfaisant. En effet, des troubles linguistiques
cas [194]. Les deux tiers des patients sont des garçons. Le début discrets (de discrimination phonémique notamment) peuvent
se fait dans 80 % des cas entre 3 et 8 ans, dans 45 % des cas ne se révéler handicapants que plus tard, au moment de
par une aphasie, dans 16 % des cas par une épilepsie et dans l’acquisition du langage écrit. Les troubles plus importants
17 % des cas par les deux simultanément [195]. L’aphasie débute nécessitent naturellement une rééducation. Elle doit s’accompa-
par des troubles de la compréhension orale, pouvant être prise gner d’un examen psychologique pour évaluer la composante
pour une surdité, puis comporte des paraphasies et des erreurs psychoaffective du mutisme ou des troubles du comportement.
phonémiques, une inattention et une agnosie auditive. Il peut Lors de la prise en charge de ces enfants, il est sage d’éviter de
s’y associer une hyperkinésie. Dans les cas les plus précoces formuler trop tôt un pronostic, celui-ci étant incertain en l’état
(10 %), l’aphasie peut se présenter comme un retard de langage. actuel des connaissances.
Les tests montrent une préservation des capacités non verbales.
Les crises d’épilepsie, quand elles surviennent, peuvent évoquer
une épilepsie à paroxysmes rolandiques, ou se présenter sous la
■ Rééducation des troubles
forme de clignements, de déviation du regard, de petits auto- du langage
matismes moteurs ou de chute de la tête, suivis ou non d’une
généralisation secondaire. L’EEG est un élément essentiel du La bibliographie concernant la rééducation des troubles du
diagnostic. Il montre, sur une activité de fond normale, des langage est désormais importante et nous renvoyons le lecteur
pointes et pointes-ondes de grande amplitude à 2 Hz de à des ouvrages récent [7, 138, 202-204].
topographie variable dans l’espace et dans le temps, mais à
prédominance temporale (50 % des cas) ou temporo-occipitale Récupération spontanée
(un tiers des cas). Ces anomalies sont bilatérales, mais il a été La restauration des mécanismes du langage dépend de
montré par des tests pharmacologiques que le point de départ multiples facteurs qui viennent peser sur la récupération
est unilatéral avec une diffusion contralatérale [196]. Les anoma- spontanée et l’efficacité des techniques thérapeutiques.
lies sont accentuées au cours du sommeil lent, où elles peuvent
prendre l’aspect d’un état de mal. Les signes EEG sont les plus Mécanismes neurophysiologiques
fréquents entre 3 et 5 ans, et disparaissent toujours au plus tard Les mécanismes neurophysiologiques incluent la levée du
après 15 ans. diaschisis et les phénomènes de plasticité cérébrale et de

28 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96

vicariance. Des travaux récents utilisant les techniques d’image- • l’utilisation d’habiletés de communication dans des situations
rie fonctionnelle (TEP et IRMf) ont ainsi confirmé le rôle tantôt d’échanges non arbitraires, reproduisant au plus près celles de
de régions intra-hémisphériques gauches, tantôt de l’hémisphère la vie quotidienne avec par exemple le développement de la
droit dans la récupération de certaines fonctions linguisti- communication référentielle avec la PACE (Promoting Aphasic’s
ques [205]. De plus, ils ont montré que la rééducation, même à Communicative Effectivness), Davis et Wilcox [207], thérapie
distance de la survenue de la lésion cérébrale, pouvait améliorer centrée sur l’utilisation optimale de toutes les capacités
les performances déficitaires et modifier la réorganisation résiduelles de communication (mimiques, gestes, dessins) ;
cérébrale (patients suivis en thérapie mélodique et rythmée ; • la mise en place de modes supplétifs (tableaux de communica-
alexie phonologique rééduquée 25 ans après un accident tion ou de systèmes informatisés plus sophistiqués) ;
vasculaire). • l’analyse conversationnelle qui prend en compte la dynami-
que qui s’instaure entre les partenaires pour échanger des
Facteurs liés à la lésion informations. Elle s’attache à l’optimisation des capacités de
communication du patient lui-même, mais aussi à l’adéqua-
La taille de la lésion est le facteur prédictif de récupération le
tion des stratégies adaptatives du groupe familial ou social
plus important. L’étiologie est mentionnée avec une influence
dont il fait partie.
plus positive lors de traumatismes crâniens que de lésions
vasculaires. Aucun résultat généralisable n’apparaît en ce qui
concerne le site de la lésion, ni le tableau clinique. Mise en œuvre de la rééducation
Les stratégies concernent les procédés mis en place en vue de
Variables individuelles l’amélioration des performances ; il s’agit de restauration, de
Les données concernant l’âge sont parfois contradictoires, réorganisation d’une fonction ou d’utilisation de stratégies
mais la présence d’affections associées au cours du vieillissement palliatives.
pèse sur les capacités de récupération. La préférence manuelle
semble avoir un impact, avec un avantage pour les gauchers (en Restauration
raison d’une organisation fonctionnelle cérébrale moins asymé- Cette stratégie vise à rétablir une conduite linguistique selon
trique que chez les droitiers). Le niveau d’éducation jouerait un son mode de fonctionnement antérieur à la lésion cérébrale. Ce
rôle au niveau des processus de compensation. Les effets liés au rétablissement peut s’appuyer sur des techniques de réappren-
sexe et au multilinguisme restent peu démonstratifs. La motiva- tissage ou de facilitation.
tion et les facteurs psychosociaux qui sont vraisemblablement
très importants ont été peu étudiés. Réapprentissage
Le réapprentissage s’applique aux perturbations résultant d’une
Stratégies de rééducation dégradation des représentations ou des procédures. Il est utilisé
par exemple dans le cas d’agraphie lexicale où le patient garde
Trois grandes orientations peuvent être distinguées. la possibilité d’écrire en utilisant la voie phonologique de
transposition phonème-graphème, mais présente une atteinte
Approche empirique des représentations orthographiques qui se traduit par des
L’intervention est fondée sur la stimulation et/ou le réap- erreurs de régularisation (hôpital → opital, second → segon,
prentissage et s’appuie essentiellement sur des faits sémiologi- antenne → entaine). Le travail consiste à réacquérir la connais-
ques. Cette démarche intuitive a inspiré durant des décennies sance orthographique spécifique des mots. Ce réapprentissage
les premières techniques de rééducation. Si elle manque de peut être soutenu par des techniques d’associations de dessins
justification théorique, elle a l’avantage de faire l’économie venant souligner et s’intriquer dans les lettres à mémoriser. C’est
d’investigations longues et peut être rapidement mise en place le cas également de techniques visant à restaurer des représen-
chez des patients pour lesquels un diagnostic de type cognitif tations sémantiques à travers des exercices portant sur les traits
paraît difficilement envisageable. sémantiques constitutifs d’un concept (évocation, différences
entre deux concepts proches, etc.).
Approche cognitive Facilitation
Ce type d’intervention, qui s’est développé depuis la fin des Les techniques fondées sur la facilitation sont utilisées en cas
années 1980, montre beaucoup plus de rigueur théorique, tant de défaut d’accès à l’information versus dégradation des
sur le plan de l’évaluation et de l’interprétation des troubles que représentations. Dans le cas d’un trouble de la dénomination
sur la délimitation des objectifs de rééducation et des techni- ayant pour origine un déficit d’accès au lexique phonologique
ques choisies. Son principal inconvénient réside dans la de sortie, plusieurs modes de facilitation peuvent être fournis au
longueur des analyses devant conduire au diagnostic cognitif, patient : clé phonémique, c’est-à-dire première syllabe du mot,
lequel consiste à faire des hypothèses sur les mécanismes ou phonème initial, induction du mot en fin de phrase ou
cognitifs lésés et préservés par rapport à un modèle de fonction- encore répétition et lecture à haute voix pour déclencher la
nement du sujet sain. Cependant, cette étape de diagnostic est production du mot cible. Au plan théorique, il s’agit de
tout à fait indispensable à la mise en place de la thérapie. Cette restaurer l’accès phonologique (et plus exactement d’abaisser les
approche peut être envisagée même pour des patients souffrant seuils d’activation des unités lexicales, qui se trouvent anorma-
d’atteintes cognitives multiples (perturbation de la voie phono- lement élevés [96]) en amenant le patient à produire le mot cible
logique de lecture + déficit d’accès au lexique phonologique de de façon itérative. Ce procédé est ancien et son effet bénéfique
sortie [206], etc.). Dans ce cas, plusieurs objectifs sont fixés et le à long terme avait été contesté. Il a été au contraire démontré
thérapeute choisit d’y répondre dans le cadre d’interventions dans bon nombre d’études récentes très rigoureuses sur le plan
soit successives, soit simultanées. méthodologique tant du point de vue du diagnostic cognitif
que de l’application de la thérapie et de l’évaluation de son
Approche pragmatique (ou écologique) efficacité.
L’approche pragmatique de la rééducation de l’aphasie n’est
pas récente. Depuis une dizaine d’années, l’intérêt qu’elle suscite Réorganisation
ne cesse de s’accroître [7, 138]. À la différence de l’approche Elle est utilisée quand les stratégies de réapprentissage ou de
linguistique classique et cognitive qui vise la restauration des facilitation s’avèrent inefficaces. Elle vise à contourner le déficit
habiletés linguistiques perturbées, l’approche pragmatique par le recours à des mécanismes ou à des voies préservés qui
privilégie l’aspect fonctionnel et cherche à valoriser les capacités servent de relais. Plusieurs publications ont montré l’intérêt et
restantes, verbales et non verbales en vue d’une communication l’efficacité de cette stratégie. Dans le cas d’un trouble de
optimale. L’éventail des moyens thérapeutiques est assez large. dénomination résultant d’un déficit d’accès au lexique phono-
Il recouvre : logique de sortie et associé à des troubles modérés du langage

Neurologie 29
17-035-A-96 ¶ Aphasie

écrit, la thérapie se donne pour objectif de réorganiser cet accès famille sur les troubles, sur leur origine et sur les possibilités de
en prenant appui sur la représentation orthographique des prise en charge. Le bon sens veut que la rééducation elle-même
mots. Dans un premier temps, un travail porte sur la restaura- débute dès que et à condition que l’état de vigilance et de
tion des capacités de transposition graphème-phonème (voie fatigue du patient le permettent. La précocité de l’intervention
phonologique de lecture). Dans un second temps, en situation semble essentielle dans les cas de mutisme afin d’éviter l’instal-
de dénomination, le thérapeute amène le patient à se représen- lation de stéréotypies. Toutefois, de nombreuses études à
ter d’abord mentalement le mot écrit ou au moins ses premières orientation cognitive ont montré qu’une thérapie pouvait aussi
lettres, à lire à haute voix ces premiers graphèmes et à utiliser être efficace même longtemps après un accident vasculaire
cette verbalisation comme clé phonémique en vue de produire cérébral (plusieurs années) pour des objectifs bien délimités avec
le mot cible. Il s’agit donc d’accéder à la forme phonologique des stratégies et des techniques bien définies sur le plan
du mot en utilisant un moyen de facilitation phonémique théorique.
généré à partir de la lecture des premières lettres du mot.
À quel rythme la thérapie doit-elle être
Stratégies palliatives dispensée ?
Elles font appel à des procédures de substitution telles que le Les données de la littérature semblent indiquer qu’une prise
développement de la communication non verbale par recours en charge intensive sur une période brève mène à de meilleurs
aux gestes, mimiques, dessins, pictogrammes. Elles visent résultats qu’une prise en charge moins intensive, mais plus
parallèlement l’aménagement de l’environnement. Il s’agit ici de prolongée [204]. Toutefois, il faut considérer que la rééducation
recourir à d’autres modes de communication que le langage et ne se limite pas au travail effectué avec le thérapeute, mais
d’apprendre à l’entourage familial à modifier et adapter sa qu’elle inclut le travail fourni par le patient lui-même lorsqu’il
parole (débit plus lent), son langage (phrases simples, courtes, a acquis un certain degré d’autonomie. Parfois, il peut être
questions fermées...) ainsi qu’à utiliser ou exagérer les envisagé d’alterner des périodes de prise en charge intensive
mimiques. (quatre ou cinq fois par semaine pendant 3 mois suivant
L’évolution des approches thérapeutiques s’oriente vers des l’objectif visé) et des périodes « de repos », en fonction des
prises en charge de plus en plus spécifiques dans leur adaptation résultats d’une évaluation trimestrielle.
à un individu particulier et dans le choix de la fonction à
rééduquer. Ces approches présentent des intérêts complémen- Quelle est la durée optimale de la thérapie ?
taires et ont parfois recours à des stratégies communes ou aux Il n’est pas rare de mener des rééducations sur plusieurs
mêmes exercices. Le rééducateur ne doit pas être partisan d’un années en constatant une amélioration continuelle. En
seul type de thérapie, et son choix doit être guidé par les moyenne, une durée de 2 ans est habituelle, avec une cadence
perturbations aphasiques du patient. Chez un même individu, décroissante des séances à partir du troisième mois. Les objectifs
différentes approches et stratégies peuvent être envisagées évoluent au cours de cette longue prise en charge : si, à la phase
simultanément ou en fonction des phases d’évolution. initiale, c’est la restauration totale du langage qui est visée, une
récupération incomplète nécessite une orientation vers des
Évaluation objectifs moins ambitieux et une approche davantage tournée
vers la communication dans sa totalité. De plus, il paraît parfois
Les tentatives d’évaluation de l’efficacité de la thérapie sont
difficile de travailler d’emblée et parallèlement l’ensemble des
longtemps restées difficilement interprétables en raison de
mécanismes perturbés (concernant la compréhension, l’écriture
problèmes méthodologiques majeurs dont les principaux sont :
et la production orale par exemple) et le rééducateur est
• regroupement de patients présentant des profils disparates du
contraint de planifier les objectifs sur le plan temporel. La
point de vue de leurs perturbations cognitives, ou encore du
question de la poursuite de la prise en charge en l’absence de
point de vue des variables sociodémographiques et psycholo-
bénéfice notable sur la vie quotidienne pose problème, mais est
giques ;
souvent justifiée par un soutien psychologique indispensable.
• absence de prise en compte de la diversité des modes de
Dans ce cas, il serait déraisonnable que le rythme des séances
rééducation utilisés.
ne reste pas soutenu. Cependant, le travail de deuil des capaci-
Cet état s’est considérablement modifié grâce au développe-
tés antérieures pour le patient et pour les proches doit faire
ment de l’approche cognitive dont la rigueur méthodologique
partie des objectifs de rééducation. Notons que la participation
appliquée au diagnostic et à la mise en œuvre de la thérapie a
à des associations d’aphasiques permet de faciliter l’acceptation
également servi la construction de paradigmes d’évaluation
du déficit.
fiables. Notons que l’appréciation de l’effet thérapeutique n’est
entreprise qu’au niveau individuel. Ces paradigmes permettent
de repérer les effets liés à la récupération spontanée, un effet Aspects médicaux et psychologiques
général de la prise en charge et plus précisément de déterminer, Pour le praticien, neurologue ou médecin généraliste, qui suit
parmi les techniques disponibles, lesquelles sont les mieux un patient aphasique en cours de rééducation, il est essentiel de
adaptées au trouble. Ils permettent enfin de mieux prendre en faire régulièrement l’inventaire des acquis du traitement et de
considération le retentissement de la thérapie en termes de leur traduction en termes de qualité de vie. La rééducation n’a
généralisation à des items ou à des tâches non travaillées. de sens pour le patient que si elle lui permet d’améliorer ses
Parallèlement, l’approche fonctionnelle tente également d’éla- capacités de communication avec l’entourage et le milieu
borer des grilles d’évaluation de la communication verbale et extérieur et, dans certains cas particuliers, mais rarement de
non verbale dans des situations simulant ou reproduisant la vie façon prioritaire, ses capacités de lecture ou d’écriture. Il est
quotidienne. On peut en effet se demander s’il serait justifié de judicieux de confronter régulièrement les données de l’examen
poursuivre une rééducation sans transfert des acquisitions dans du patient avec les témoignages de la famille ou des amis. Un
la vie quotidienne. tiers en moyenne des patients rendus aphasiques par un
accident vasculaire cérébral souffrent d’un état dépressif.
Intervention : questions pratiques Celui-ci est réactionnel au handicap causé par l’aphasie, et aussi
favorisé, dans certains cas, par l’effet direct des lésions sur le
Sur le plan pratique, il est actuellement difficile de donner système limbique. Les essais de traitement pharmacologique de
des indications généralisables concernant les questions l’aphasie visant à lutter contre la réduction de l’expression qui
suivantes. pèse sur les mécanismes d’initiation de la parole dans les
aphasies antérieures n’ont pas fait la preuve de leur efficacité.
À quel moment la rééducation doit-elle être
En revanche, un traitement antidépresseur, lorsqu’il est justifié,
initiée ? peut faciliter l’adhésion du patient à la rééducation, lever
Il faut envisager l’intervention du rééducateur aussi tôt que l’inhibition anxieuse, améliorer l’état général en agissant sur le
possible. Son rôle consiste alors à informer le patient et sa sommeil, et réduire les réactions agressives dont on connaît les

30 Neurologie
Aphasie ¶ 17-035-A-96

effets destructeurs sur l’entourage familial. Les états dépressifs À l’issue des 100 premières séances pour les trois premières
peuvent survenir aussi en cours d’évolution, et il faut savoir les catégories d’actes (et des 50 premières séances pour les actes de
détecter chez un malade ayant des antécédents d’accident type 4 et 5), la prescription d’un « bilan orthophonique de
vasculaire cérébral et qui se plaint, sans raison organique renouvellement » est demandée au médecin prescripteur.
apparente, d’une aggravation de séquelles aphasiques jusqu’alors .

stabilisées.
Lorsque l’état neurologique et général du patient aphasique ■ Références
permet d’envisager une reprise de l’activité professionnelle, il est
essentiel de dresser un bilan des capacités restantes et du [1] Damasio AR. Signs of aphasia. In: Sarno MT, editor. Acquired aphasia.
potentiel de récupération, et d’en confronter le résultat aux San Diego: Academic Press; 1991. p. 27-43.
exigences du poste de travail définies par le médecin du travail. [2] Ducarne B. Test pour l’examen de l’aphasie. Paris: ECPA; 1989.
Ces précautions visent à éviter soit de négliger une possibilité [3] Mazaux JM, Orgogozo JM. Boston diagnostic aphasia examination -
de reprise par surestimation de la difficulté, soit, au contraire, HDAE - échelle française. Paris: ESP; 1981.
d’effectuer une reprise prématurée ou mal préparée, de risquer [4] Nespoulous JL, Lecours AR, Lafond D, Lemay A, Puel M, Joanette Y,
une situation d’échec qui rendrait les tentatives ultérieures et al. Protocole Montréal-Toulouse d’examen linguistique de l’aphasie.
Isbergues: L’ortho-édition; 1986.
encore plus hasardeuses.
[5] Kertesz A, Phipps JB. Numerical taxonomy of aphasia. Brain Lang
Enfin, on ne saurait trop insister sur l’importance de l’évalua-
1977;4:1-0.
tion de l’aphasie dans le cadre de l’expertise médicolégale.
[6] Auzou P, Rolland-Monnoury V, Pinto S, Ozsancak C. Les dysarthries.
L’expert doit savoir, chaque fois que la complexité, voire Marseille: Solal; 2007.
l’apparente discrétion des troubles l’impose, dépasser l’examen [7] Mazaux JM, Pradat-Diehl P, Brun V. Aphasie et aphasiques. Paris:
sommaire du langage effectué au cours de l’examen neurologi- Masson; 2007.
que et demander un bilan de langage fait par un(e) orthopho- [8] Seron X, Van der Linden M. Traité de neuropsychologie clinique: Tome
niste connaissant parfaitement l’aphasie, sous peine de pénaliser 1: Évaluation. Marseille: Solal; 2000.
le patient en sous-estimant ses séquelles neuropsychologiques. [9] Eustache F, Lambert J, Mary F. L’agraphie apraxique et les formes
périphériques d’agraphie. In: Le Gall D, Aubin G, editors. L’apraxie.
Prescription Marseille: Solal; 2003.
[10] Deloche G, Hannequin D. DO 80. Paris: Éditions du centre de psycho-
L’évaluation des troubles du langage et de la communication logie appliqué; 2007.
ainsi que leur prise en charge sont des actes inscrits à la [11] De Partz MP, Bilocq V, De Wilde V, Seron X, Pillon A. Lexis. Paris:
nomenclature des orthophonistes (nomenclature générale des Solal; 2002.
actes professionnels médicaux – NGAPM). Ils sont effectués à la [12] Lambert J. Approche cognitive de la rééducation du langage. In:
demande du médecin. Eustache F, Lambert J, Viader F, editors. Rééducations
La prescription médicale doit obligatoirement mentionner : neuropsychologiques. Bruxelles: De Boeck; 1997. p. 43-82.
• soit (le plus souvent) « bilan orthophonique et rééducation si [13] Lechevalier B. Neurobiologie des aphasies. In: Eustache F,
nécessaire », quand l’indication d’une rééducation paraît Lechevalier B, editors. Langage et aphasie. Bruxelles: De Boeck; 1993.
certaine : à l’issue de ce bilan des troubles neurologiques (acte p. 41-70.
médical d’orthophonie 30 – AMO 30), l’orthophoniste envoie [14] Lechevalier B, Lambert J, Eustache F, Platel H. Agnosies auditives et
un compte rendu au médecin prescripteur en indiquant le syndromes voisins. Étude clinique, cognitive et physiopathologique.
« diagnostic orthophonique » et, s’il confirme l’utilité d’une EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Neurologie, 17-021-B-20, 1999 :
rééducation, il inscrit les objectifs de rééducation, la nature 9p.
[15] Morin P, Viader F, Eustache F, Lambert J. Rapport de neurologie. Les
des séances en lien avec la nomenclature (AMO) et leur
agraphies. Congrès de psychiatrie et de neurologie de langue fran-
nombre par semaine ;
çaise. Paris: Masson; 1990.
• soit « bilan d’investigation » (AMO 30), lorsque le diagnostic [16] LuriaAR. Factors and forms of aphasia. In: De RenckAS, O’Connor M,
des troubles est incertain : dans ce cas, le compte rendu editors. Disorders of language. London: Churchill Livingstone; 1964.
indique le diagnostic, et des propositions en faveur ou non p. 1-43.
d’une prise en charge. Si l’orthophoniste propose une réédu- [17] Dennis M, Warlow C. Migraine aura without headache: transient
cation, il appartient alors au médecin de la prescrire ; ischemic attack or not? J Neurol Neurosurg Psychiatry 1992;55:
• soit « bilan de renouvellement » (AMO 30 – 30 %). 437-40.
Les actes de rééducation relatifs aux troubles du langage et de [18] Schiff HB, Alexander MP, Naeser MA, Galaburda AM. Aphemia:
la communication secondaires à des affections neurologiques Clinical-anatomic correlations. Arch Neurol 1983;40:720-7.
acquises sont les suivants : [19] Lecours AR, Navet M, Ross-Chouinard A. Langage et pensée du schi-
• « rééducation du langage dans les aphasies » (AMO 15.3). Les zophrène. Confront Psychiatr 1981;19:109-44.
pathologies concernées sont : AVC, traumatisme crâniocéré- [20] KerteszA, Martinez-Lage P, Davidson W, Munoz DG. The corticobasal
bral, processus expansif intracérébral, encéphalite, aphasie degeneration syndrome overlaps progressive aphasia and
dégénérative, anoxie ; frontotemporal dementia. Neurology 2000;55:1368-75.
• « rééducation des troubles du langage non aphasiques dans le [21] Benson DF, Sheramata WA, Bouchard R, Segarra JM, Price D,
cadre d’autres atteintes neurologiques » (AMO 15.2). Cet acte Geschwind N. Conduction aphasia: a clinicopathological study. Arch
(Haute Autorité de santé – HAS, 2007) fait référence aux Neurol 1973;28:339-46.
troubles du langage et de la communication consécutifs à des [22] Da Silva EA, Chugani DC, Muzik O, Chugani HT. Landau-Kleffner
dysfonctionnements cognitifs autres que linguistiques syndrome: metabolic abnormalities in temporal lobe are a common
(atteinte des systèmes de mémoire, syndromes dysexécutifs, feature. J Child Neurol 1997;12:489-95.
troubles attentionnels, troubles hémisphériques droits, [23] Tranel D, Biller J, Damasio H, Adams HP, Cornell S. Global aphasia
without hemiparesis. Arch Neurol 1987;44:304-8.
troubles gnosiques). Les pathologies concernées sont : AVC,
[24] Goodglass H, Kaplan E. The assessment of aphasia and related
traumatisme crâniocérébral, anoxie, épilepsie, processus
disorders. Philadelphia: Lea and Febiger; 1972.
expansif intracérébral, encéphalite, SEP, maladies neurodégé-
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• « maintien et adaptation des fonctions de communication [26] Cambier J. Les aphasies sous-corticales. In: Eustache F, Lechevalier B,
chez les personnes atteintes de maladies neurodégénératives » editors. Langage et aphasie. Bruxelles: De Boeck; 1993. p. 71-84.
(AMO 15). Les pathologies concernées sont : maladie [27] Naeser MA, Alexander MP, Helm-Estabrooks N, Levine HL,
d’Alzheimer, autres démences, syndromes parkinsoniens, Laughlin SA, Geschwind N. Aphasia with predominantly subcortical
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• « rééducation des dysarthries neurologiques » (AMO 11) ; [28] Puel M, Demonet JF, Cardebat D, Bonafé A, Gazounaud Y, Guiraud-
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F. Viader, Professeur de neurologie, praticien hospitalier ([email protected]).


J. Lambert, Orthophoniste.
V. de la Sayette, Praticien hospitalier.
F. Eustache, Directeur de l’EPHE.
P. Morin, Professeur de neurologie.
I. Morin, Orthophoniste.
B. Lechevalier, Professeur de neurologie, membre de l’académie de médecine.
CHU de Caen, Inserm U923, Université de Caen-Basse-Normandie, Service de neurologie, CHU Côte de Nacre, 14033 Caen cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Viader F., Lambert J., de la Sayette V., Eustache F., Morin P., Morin I., Lechevalier B. Aphasie. EMC (Elsevier
Masson SAS, Paris), Neurologie, 17-035-A-96, 2010.

Disponibles sur www.em-consulte.com


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