Soto-Le Mystere Du Capital
Soto-Le Mystere Du Capital
Soto-Le Mystere Du Capital
Les habitants du tiers monde fourmillent d’entrepreneurs, ils ont du talent, de l’enthousiasme et
une aptitude étonnant à tirer un profit de presque rien. Ils sont capables de saisir et d’utiliser la technologie
moderne, sans quoi les entreprises US n’auraient pas autant de mal à protéger leurs brevets à l'étranger, ni
le gouvernement US à empêcher ces pays de se doter d’armes modernes.
L’obstacle majeur qui empêche une partie du monde (tiers monde + anciens pays communistes)
d’accéder au capitalisme est qu’elle ne parvient pas à produire du capital. La capital est cette force qui
augmente la productivité de la main d’œuvre et crée la richesse.
Dans le tiers monde les gens ont des ressources (maisons, entreprises non déclarées) mais, faute de
documents désignant nettement leurs propriétaires, ces possessions ne peuvent être transformées en
capital (elles ne peuvent servir de garantie à des emprunts, elles ne peuvent servir d’apport en nature lors
d’un investissement). Ces ressources sont du capital mort.
Le processus consistant à transformer les biens en capital, qui existe en Occident, n’a pas été créé en
suivant un plan préétabli et n’est décrit nulle part. Ses origines sont obscures et sa signification enfouie dans
le subconscient économique des pays occidentaux.
Le secteur sous-capitalisé :
Il existe une vie économique réelle dans ce secteur sous-capitalisé : industrie du vêtement et de la
chaussure, imitation (Cartier, Vuitton), taxis non autorisés, autobus, approvisionnement alimentaire, etc.
L’extra-légalité est parfois considérée comme un problème marginal, similaire au marché noir dans
les pays développés. En fait, c’est la légalité qui est marginale : l’extra-légalité est devenue la norme.
Les biens ont principalement une destination matérielle. Mais ils peuvent aussi servir en tant que
garantie pour emprunter de l’argent qui servira à financer une entreprise.
Capital et argent
Le capital n’est pas créé par l’argent – qui lui-même présuppose le droit de propriété – mais par des
gens que les régimes de propriété poussent à coopérer et à investir.
La cloche de verre regroupe quelques privilégiés qui ont assez d’agent pour consulter des juristes,
des relations bien placées pour affronter les formalités imposées par le régime de propriété.
Il faut adapter les institutions publiques aux changements continuels dans la division du travail.
Exemple : le problème n’est pas la croissance urbaine mais le déphasage du régime de propriété. L’existence
d’enclaves prospères dans un océan de pauvreté ne marque pas le début d’une transition inéluctable vers le
système capitaliste ; cela cache plutôt un retard abyssal dans la capacité d’un pays à fournir à ses citoyens
des droits de propriété formels.
La préoccupation de Soto ne porte pas sur les DDP eux-mêmes mais sur le droit d’avoir des DDP. La
raison de la transition vers des régimes juridiques de propriété intégrés : les contrats sociaux nés en dehors
de la loi sont devenus une source légitime du droit et ont été progressivement absorbés. En effet, la loi
officielle n’a pas de sens si la majorité de la population vit en dehors.
Homestead Act de 1862 : attribue aux colons 64 hectares de terre libre en contrepartie d’un simple
engagement d’y vivre pendant 5 ans et de l’exploiter => moins un acte de générosité que la reconnaissance
d’un fait accompli. Cela a permis de permettre la conversion en capital des biens des colons.
Les colons ont commencé à s’écarter sensiblement des lois anglaises, peu ou pas adaptées aux
réalités de la vie coloniale. Les occupations de terre (squat) sont devenues monnaie courante.
Les droits tomahawk : pour établir les droits sur une parcelle, on gavait dans l’écorce de quelques arbres les
initiales de celui qui avait réalisé des aménagements. (Dès les années 1660 dans le Maryland).
Les droits cabane ou droits maïs : revendications foncières établies en construisant une cabane en
rondins ou en faisant pousser une récolte de maïs. Ces droits extralégaux étaient achetés, vendus et
transférés exactement comme les titres officiels. Tensions entre les migrants (ou leurs enfants), les autorités
coloniales, et aussi les Indiens.
Dès 1642, la colonie de Virginie a permis aux possesseurs irréguliers de récupérer auprès des vrais
propriétaires la valeur de leurs éventuelles améliorations. Si le propriétaire refusait de rembourser les
aménagements effectués par le squatter, celui-ci était en droit d’acheter la terre au prix fixé par un jury
local.
La technique de la préemption va se généraliser durant les 2 siècles suivants : elle permet au colon
d’acheter la terre qu’il a améliorée, avant qu’elle ne soit publiquement en vente. En outre, la préemption
était une source de recettes publiques, car les squatters devaient payer l’arpentage des terres améliorées et
la confection des titres juridiques.
Pendant longtemps, le Congrès a été hostile à l’installation des squatters sur le domaine public.
1801 : rejet des droit de préemption demandés par les squatters ; 1807 : peines d’amende et de prison pour
les squatters qui ne se mettraient pas en conformité avec la loi. De plus, au 19ème siècle le gouvernement US
a distribué gratuitement des terres aux vétérans de guerre et aux compagnies de chemin de fer.
Durant les 60 premières années du 19ème siècle, les USA ont connu une extension des lois sur le droit
des occupants. Entre 1797 et 1820, le Kentucky a adopté une législation favorable au droit des occupants :
droit sur les améliorations effectuées par eux, et droit d’obtenir un titre de propriété sur des terres au bout
de 7 ans de présence non contestée et pourvu qu’ils payent les impôts correspondants. En 1821, la Cour
suprême a déclaré cette loi inconstitutionnelle. Nombreux débats. Pourtant, entre 1834 et 1856, plusieurs
Etats ont adopté des lois similaires.
Le gouvernement et les parlementaires ont peu à peu changé d’attitude, ils ont estimé que le
squatter était quelqu’un d’estimable qui avait apporté des améliorations à des terrains. En 1830, une loi de
préemption générale fut votée : tout colon occupant une terre publique et qui l’a cultivé en 1829 peut
l’acheter au prix de environ 0.5 $ l’hectare, dans une limite de 65 hectares.
De plus, des organisations extralégales destinées à protéger les DDP acquis de manière informelle
sont apparues : les associations de requérants et les districts de mineurs (Californie). Ces associations se
chargeaient de négocier avec les pouvoirs publics,
Associations de requérants : fonctions : enregistrer les biens (taille des parcelles, manière de
procéder au marquage), procédure à suivre en cas de transfert des parcelles ou en cas de contestation,
certaines associations possédaient des tribunaux pour régler les conflits internes. Le squatter pouvait
compter dessus si des usurpateurs menaçaient sa propriété ; si des spéculateurs venaient à surenchérir sur
lui lors de ventes de terres aux enchères. Leurs membres s’entendaient pour ne pas surenchérir les uns sur
les autres lors de ventes
Organisations de mineurs : la loi de 1841 avait exclu les terres à minerai du champ d’application de
la loi de 1841 sur la préemption générale. Les mineurs ont constitué des règlements de district minier. Celui
qui découvrait un filon recevait une concession double, alors que les autres en avaient une par personne.
Vers 1860, le Congrès envisagea l’unification des milliers de droits miniers au sein d’un seul et même
système ; en effet les capitalistes n’avaient pas envie d’effectuer de coûteux forages si la veine risquait
d’être divisée à l’infini. La loi de 1866 indiqua que toute recherche de minerais serait soumise aux coutumes
et règles locales des mineurs. Cette loi a donc non seulement reconnu la légitimité des contrats existants,
mais elle a aussi formalisé les droits et principes existants. => les arrangements entre mineurs et droits
d’origine extralégale ont été intégrés dans un nouveau système formel au cours des années 1880.
Chapitre 6 : Le mystère de la défaillance de droit : pourquoi le droit de propriété ne fonctionne pas hors
de l’Occident ?
Les dirigeants des Ped qui essayent d’ouvrir leurs régimes de propriété aux pauvres ont échoué car
ils partent de 5 idées fausses :
1- Tous ceux qui se réfugient dans l’extralégalité le font pour éviter des payer des impôts. =>Quand on
rentre dans la légalité, les impôts payés sont en général compensés par la disparition de coûts et de
nuisances (impossibilité de s’associer avec des investisseurs étrangers, d’obtenir un prêt, se souscrire une
assurance, de constituer une société par actions, pots de vin versés à l’administration).
2- Les biens immobiliers ne sont pas détenus légalement car ils n’ont pas été convenablement arpentés,
cadastrés et enregistrés, faute d’outils informatiques de pointe. => au Japon, certains biens fonciers ont été
enregistrés après 1945 à l’aide de cartes datant de la période Edo (16-17ème siècles).
3- Il suffit de mettre en application un droit de la propriété obligatoire, sans que les pouvoirs publics aient à
se préoccuper des coûts de mise en conformité
4- Il est possible d’ignorer les arrangements ou « contrats sociaux » extralégaux existants.
5- Il est possible de modifier les conventions des gens sur la manière de détenir les biens sans signes d’une
volonté politique forte au sommet de l’Etat.
Le problème juridique :
Le droit à la propriété est aujourd’hui considéré comme l’un des droits fondamentaux du genre
humain : il est présent dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Le principe de l’accès
universel aux DDP est une nécessité politique et économique pour les Ped.
Pérou fin des années 1960 : réforme agraire expropriant de vastes superficies de terrains appartenant à de
grandes exploitations pour créer plus de 600 coopératives gérées par l’Etat. Or beaucoup de paysans ont
refusé de travailler sous la houlette d’une bureaucratie imposée. Ils ont morcelé les coopératives en
parcelles de terre privées et se sont donc tournés vers des arrangements extralégaux.
Des années 1960 aux années 1990, de nombreux programmes dans les Ped ont visé à officialiser la
propriété et établir des titres. Partout cela fut un échec.
Source du problème : les gouvernements se comportent comme s’ils intervenaient dans un lieu vide de
propriété, comme s’ils arrivaient sur la Lune. Or dans la plupart des cas il n’y a pas de vide. Les gens
détiennent déjà de nombreuses propriétés dans le cadre d’arrangements extralégaux. Quand la loi ne cadre
pas, les parties la vivent comme une intrusion et la rejettent.
L’idée que la loi doit reposer sur un contrat social remonte à Platon. « La loi sot sortir de la bouche
du peuple » dit un vieux dicton allemand. La façon occidentale de recourir à notre époque au gouvernement
pour fixer le droit n’est pas la norme historique. Le pluralisme juridique a été la règle en Europe jusqu’à la
redécouverte du droit romain, aux 13ème et 14ème siècles.
D’ailleurs dans les Ped il ne règne pas l’anarchie. Quiconque douterait de la force des contrats
sociaux extralégaux n’a qu’à les contester : il se heurtera à une résistance impressionnante.
Indice du désir de reconnaissance des extralégaux : ils se choisissent des représentants diplomates et
sympathiques, et non des caïds.
Comment décoder le droit extralégal ? Il faut aller directement là où la propriété n’est pas
enregistrée et prendre contact avec les autorités légales et extralégales pour déterminer ce que sont les
arrangements entre propriétaires. La plupart du temps, les personnes possèdent une représentation de
leurs biens sous forme écrite ou alors d’un artefact matériel. Il faut ensuite codifier ces systèmes flous, et les
comparer avec le droit formel existant. Et ensuite bâtir un cadre juridique commun.
Le défi politique :
Pour accomplir cette révolution, un leader politique doit accomplir au moins 3 tâches :
- défendre le point de vue des pauvres,
- convaincre l’élite : élargissement du marché, plus de sécurité (le droit à la propriété engendre le respect
de la loi car le fait d’être propriétaire crée une obligation envers l’ordre politique et juridique, car c’est
un ordre qui garantit les DDP et qui fait du citoyen, en quelque sorte, un co-souverain ; quand les
pauvres ont le sentiment d’être légalement propriétaires de leurs biens, leur respect pour les biens
d’autrui augmente ; celui qui ne peut prouver qu’il possède quelque chose est d’autant plus incité à
recourir à la force, à faire la loi lui-même)
- négocier avec les administrations : les juristes (la plupart ne comprennent pas les effets économiques de
leur travail et sont d’instinct hostiles aux comportements extralégaux et aux changements de grande
ampleur), les techniciens (ils ont en général tendance à privilégier l’aspect technique de leur travail, à
savoir identifier des objets matériels)
Alors que tigres et loups protègent leur territoire en montrant les dents, l’homme a fait appel à son
cerveau pour créer un environnement juridique – la propriété – qui remplira le même office.
Cas de Bill Gates : sans brevets pour les protéger, combien d’innovations logicielles aurait-il pu
créer ? La réussite capitaliste n’est pas due à des variables culturelles mais à la présence de bonnes
institutions politiques et du droit de la propriété. D’ailleurs les migrants vietnamiens, cubains et indiens
s’adaptent facilement au DDP des USA.
Il faut accepter les idées suivantes :
1- il faut connaître plus en détail le potentiel des pauvres
2- tout le monde est capable d’épargner
3- ce qui manque aux pauvres est un régime de propriété capable de transformer leur travail et leurs
économies en capital
4- l’extra légalité n’est pas un phénomène marginal mais l’effet de l’exode rural
5- les pauvres ne sont pas un problème mais la solution
6- mettre en œuvre un régime de propriété permettant de créer du capital est un enjeu politique car cela
suppose d’avoir le contact avec les populations, de comprendre le contrat social, de réaménager le
système juridique.