Soto-Le Mystere Du Capital

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Hernando de SOTO, Le mystère du capital.

Pourquoi le capitalisme triomphe en Occident et échoue partout ailleurs ? Flammarion, 2005.

Chapitre 1 : Les 5 mystères du capital

Les habitants du tiers monde fourmillent d’entrepreneurs, ils ont du talent, de l’enthousiasme et
une aptitude étonnant à tirer un profit de presque rien. Ils sont capables de saisir et d’utiliser la technologie
moderne, sans quoi les entreprises US n’auraient pas autant de mal à protéger leurs brevets à l'étranger, ni
le gouvernement US à empêcher ces pays de se doter d’armes modernes.
L’obstacle majeur qui empêche une partie du monde (tiers monde + anciens pays communistes)
d’accéder au capitalisme est qu’elle ne parvient pas à produire du capital. La capital est cette force qui
augmente la productivité de la main d’œuvre et crée la richesse.
Dans le tiers monde les gens ont des ressources (maisons, entreprises non déclarées) mais, faute de
documents désignant nettement leurs propriétaires, ces possessions ne peuvent être transformées en
capital (elles ne peuvent servir de garantie à des emprunts, elles ne peuvent servir d’apport en nature lors
d’un investissement). Ces ressources sont du capital mort.
Le processus consistant à transformer les biens en capital, qui existe en Occident, n’a pas été créé en
suivant un plan préétabli et n’est décrit nulle part. Ses origines sont obscures et sa signification enfouie dans
le subconscient économique des pays occidentaux.

Chapitre 2 : Le mystère des informations manquantes

Les obstacles à la légalité :


De Soto et son équipe ont ouvert une petite boutique de vêtements à Lima, fonctionnant avec un
seul salarié, dans un cadre légal. Il a fallu remplir des formulaires, faire la queue, obtenir des certificats, etc.
Coût des formalités légales pour enregistrer l’entreprise : 289 jours + 1 231 dollars (31 fois le salaire mensuel
minimum). Un taxi voulant se faire reconnaître officiellement a besoin de 26 mois de démarches
administratives.
Mêmes phénomènes aux Philippines (entre 13 et 25 ans auprès de 53 agences publiques et privées,
pour acheter légalement une maison construite sur un terrain public ou privé), en Egypte (entre 6 et 11 ans
de démarches pour pouvoir bâtir légalement une maison sur d’anciens terrains agricoles), en Haïti (2 ans et
65 formalités pour louer un terrain pendant 5 ans, 14 ans et 111 démarches pour acheter le terrain).
Conclusion : il est difficile de rentrer dans la légalité. Ce ne sont pas tant les gens qui ne respectent
pas la loi que la loi qui ne les respecte pas. Ils préfèrent sortir du système et deviennent des extra-légaux. Ils
utilisent leurs propres arrangements qui associent des règles juridiques sélectionnées dans le système
officiel, des improvisations ad hoc et des coutumes venues de leur région d’origine ou instaurées sur place.
Il est aussi difficile de rester dans la légalité : au Caire, les titulaires de baux légaux dont les loyers, bloqués
depuis le début des années 1950, ne représentent même plus 1 dollar par an aujourd’hui, subdivisent leurs
logements en appartements plus petits qu’ils louent au prix du marché.

Le secteur sous-capitalisé :
Il existe une vie économique réelle dans ce secteur sous-capitalisé : industrie du vêtement et de la
chaussure, imitation (Cartier, Vuitton), taxis non autorisés, autobus, approvisionnement alimentaire, etc.
L’extra-légalité est parfois considérée comme un problème marginal, similaire au marché noir dans
les pays développés. En fait, c’est la légalité qui est marginale : l’extra-légalité est devenue la norme.

% de personnes de détenant pas de titre de propriété sur leur logement :


Citadins Ruraux
Philippines 57% 64%
Pérou 53% 81%
Egypte 92% 83%
Haïti 68% 97%

Quelle quantité de capital mort ?


Etude de 5 villes : Le Caire, Lima, Manille, Mexico, Port-au-Prince.
Attention sur le bien le plus matériel et le plus visible et ne pouvant être dissimulé : l’immobilier.
Sa valeur peut être observée par l’étude des matériaux de construction et du prix de vente des immeubles
comparables. Comptabilisation des immeubles rue par rue pendant plusieurs milliers de jours.

Combien vaut la capital mort ?


Ces biens représentent dans chacun des 4 pays beaucoup plus que la capitalisation boursière, le
montant des IDE ou encore l’aide accordée par la Banque mondiale et les pays développés.
Exemple : Pérou : 74 milliards de $ soir 11 fois la capitalisation boursière, 11 fois la valeur des entreprises
publiques, 14 fois la valeur des IDE effectués pendant toute son histoire connue.
Valeur totale de l’immobilier extralégal détenue par les pauvres dans les pays du tiers monde et les
ex pays communistes : 9 300 milliards de $.
Cette somme équivaut à :
- la capitalisation des 20 plus grandes bourses du monde,
- 20 fois le montant des IDE dans le tiers monde et les PECO entre 1989 et 1999,
- 40 fois le montant des prêts consentis par la Banque mondiale depuis, 30 ans,
- 93 fois l’aide publique au développement.
Les pauvres qui peuplent le tiers monde ne sont pas le problème, ils sont la solution (il y a parmi eux des
milliers d’entrepreneurs).

Chapitre 3 : Le mystère du capital

Les biens ont principalement une destination matérielle. Mais ils peuvent aussi servir en tant que
garantie pour emprunter de l’argent qui servira à financer une entreprise.

Des indices venus du passé (de Smith à Marx)


Le mot capital vient du latin, il signifie tête de bétail.
Il a une double signification : dimension matérielle et capacité à générer un surplus de valeur.
Définition économique : partie des biens d’un pays qui est à l’origine d’un surplus de production et d’une
augmentation de la productivité.
Smith définissait le capital comme le stock de biens accumulés en vue d’une utilisation productive et
le voyait un préalable à la spécialisation. En fait le capital n’est pas le stock de biens accumulés mais le
potentiel de production nouvelle qu’il contient. Potentiel abstrait.
Say : « Le capital est toujours immatériel par nature, car ce n’est pas la matière qui fait le capital
mais la valeur de cette matière, valeur qui n’a rien de corporel ».
On confond aujourd’hui le capital avec l’argent, qui n’est qu’une des nombreuses formes sous
lesquelles il voyage. Or l’argent ne peut fixer le potentiel abstrait d’un bien donné pour le convertir en
capital.

L’énergie potentielle contenue dans les biens


Analogie avec l’énergie : l’eau d’un lac peut être utilisée pour produire de l’électricité (usine
hydroélectrique utilise la chute de l’eau pour produire de l’énergie cinétique qui elle-même fait tourner des
turbines, créant une énergie électrique). Les biens sont aussi une valeur dormante.
Différence : le processus de conversion de l’énergie potentielle de l’eau en électricité est bien
connu, celui de conversion des biens en capital l’est beaucoup moins.
Pourquoi cette méconnaissance ?
- ce processus n’a pas été instauré en vue de créer du capital, son objectif était essentiellement de protéger
le droit de propriété. Il n’est pas été étiqueté comme servant à générer du capital mais comme une partie
du système de protection de la propriété. Ce qui crée du capital en Occident est un processus implicite
enfoui sous la complexité des régimes de propriété formels.
- ce processus est difficile à visualiser, il se dissimule sous des milliers de lois, statuts, réglementations,
institutions.
- la propriété est un concept, on ne la ressent pas directement, elle n’est connaissable que par ses effets.
Le processus de conversion caché en Occident
En Occident, la transformation des biens en capital est régie par un régime de propriété formel :
- description des aspects (des biens) les plus utiles économiquement et socialement
- enregistrement de ces informations (registre ou ordinateur)
- leur incorporation dans un titre
Cela permet d’identifier, de comparer, de réunir les biens. Sinon, il est difficile de mettre un bien sur le
marché : le vendeur est-il le propriétaire du bien ? A-t-il le droit de le vendre ? Le nouveau propriétaire sera-
t-il accepté comme tel par les instances chargées de faire respecter les DDP ? Quels sont les moyens
d’exclure les autres prétendants ?
Dans les PED et les ex-pays communistes, il est difficile de répondre à ces questions => la vente ou la
location d’une maison peut exiger de longues et coûteuses procédures d’approbation faisant intervenir tous
les voisins.
Le régime de propriété est l’usine hydroélectrique du capital. Faute d’un tel régime, les biens des PED et
des ex pays communistes sont comme l’eau d’un lac andin : un stock d’énergie potentielle inexploité.

Les 6 effets de la propriété

1- Fixer le potentiel économique des biens


Le capital naît quand on représente par un écrit (titre, contrat) les qualités relatives à un bien les
plus utiles économiquement, par opposition aux aspects matériels du bien.
La propriété est un pur concept : si la maison change de propriétaire entre hier et aujourd’hui, elle a
exactement la même apparence.
La représentation formelle d’une propriété (elle porte sur des qualités non visibles présentant un
potentiel de production de valeur, par exemple la possibilité d’utiliser un bâtiment de différentes manières
peut être garantie ou au contraire limitée par des servitudes) est distincte des qualités matérielles du bien.
Cette représentation formelle de la propriété sert :
- de garantie d’emprunt
- d’adresse pour le recouvrement des dettes, intérêts, impôts
- de résidence pour des contrats commerciaux ou d’assurance
- de point de branchement fiable pour les réseaux publics d’électricité, d’eau, d’assainissement
=> Cela sert à garantir les intérêts des autres parties et à fixer les responsabilités de chacun.

2- Intégrer dans un même système des informations jusque-là dispersées


Dans les PED et les ex pays communistes, il existe des dizaines voire des centaines de régimes
juridiques, les uns légaux, les autres extra-légaux, gérés par toutes sortes d’organisations depuis les petits
groupes d’entrepreneurs jusqu’aux offices du logement.
C’était aussi le cas en Occident il y a encore 1 ou 2 siècles environ. Par exemple en Californie vers
1850 la propriété foncière était administrée par près de 500 institutions distinctes disposant chacune de ses
propres règlements. L’unification du régime de propriété foncière allait se produire fin 19ème siècle.
Le processus d’unification juridique fut long : du 12ème siècle jusque en 1896 en Allemagne, de la fin
du 19ème siècle à la fin des années 1940 au Japon. Avec cette unification, il est devenu plus facile d’évaluer et
d’échanger le potentiel des biens, ce qui soutient la production de capital.

3- Etablir les responsabilités de chacun


La propriété formelle a transformé les propriétaires en individus responsables, distinguant ainsi les
personnes des masses. La propriété formelle incite les citoyens à respecter les titres, honorer les contrats et
obéir à la loi. Si un citoyen sort du droit chemin, sa faute est enregistrée par le système, ce qui met en
danger sa réputation d’honorabilité vis à vis de ses fournisseurs, banques, compagnies d’assurance et autres
acteurs. Les citoyens des PED et des ex PECO ne sont pas pris au sérieux car ils n’ont rien à perdre.

4- Rendre les biens fongibles


A la différence des biens matériels, les représentations peuvent être adaptées à pratiquement n’importe
quelle transaction car elles permettent :
- de comparer les biens (2 immeubles d’architecture différente ayant la même destination)
- de faciliter leur réunion
- de diviser un bien : une usine peut être détenue par un grand nombre d’investisseurs, et ceux-ci
peuvent se défaire de leur propriété sans que l’intégrité de l’usine soit affectée
- de vendre un bien : le fils d’un agriculteur peut conserver l’exploitation en rachetant leurs parts aux
autres frères et sœurs
- de réduire les coûts de transaction attachés à la mobilisation et à l’utilisation des biens
Une fois les biens entrés dans un régime de propriété formel établi, il est possible de les diviser ou de les
réunir à la manière d’un Mécano pour les adapter au contexte économique.

5- Créer des liens sociaux


En rattachant juridiquement les immeubles à des propriétaires, le régime de propriété formel a 3 effets
positifs sur les réseaux publics :
- réduit le risque de vol
- limite les pertes financières occasionnées par les non recouvrements de facture
- diminue les pertes techniques dues à la mauvaise estimation des besoins en eau ou électricité
Hors de l’Occident, les pertes techniques et financières et la consommation frauduleuse représentent
entre 30 et 50% des volumes disponibles.
Le droit de propriété fait des immeubles des terminaux redevables et responsables.

6- Protéger les transactions


Tous les enregistrements de la propriété sont continuellement suivis et protégés dans le temps et
dans l’espace par des services d’enregistrement publics (qui informent sur la présence éventuelle de
charges, servitudes, baux, hypothèques) ou des services privés (services de gestion de biens, assurance des
titres). En sécurisant la propriété, on sécurise les transactions.

Capital et argent
Le capital n’est pas créé par l’argent – qui lui-même présuppose le droit de propriété – mais par des
gens que les régimes de propriété poussent à coopérer et à investir.
La cloche de verre regroupe quelques privilégiés qui ont assez d’agent pour consulter des juristes,
des relations bien placées pour affronter les formalités imposées par le régime de propriété.

Chapitre 4 : le mystère de la conscience politique

Il faut adapter les institutions publiques aux changements continuels dans la division du travail.
Exemple : le problème n’est pas la croissance urbaine mais le déphasage du régime de propriété. L’existence
d’enclaves prospères dans un océan de pauvreté ne marque pas le début d’une transition inéluctable vers le
système capitaliste ; cela cache plutôt un retard abyssal dans la capacité d’un pays à fournir à ses citoyens
des droits de propriété formels.

Zone d’ombre n°1 : la vie hors de la cloche de verre aujourd’hui


Le secteur extralégal n’est pas anecdotique, il est gigantesque.
- Le secteur extralégal représente 50 à 75% des travailleurs et entre 1/5 et 2/3 de PIB des Ped
- Le président de la Chambre de commerce des PME de Mexico : « Pour chaque entreprise déclarée, il y
en a deux qui ne le sont pas ».
- Dans certains pays, 80% des parcelles de terres ne sont pas protégées par des enregistrements à jours
=> les propriétés ne sont échangeables qu’à l’intérieur de cercles fermés de partenaires commerciaux et
donc exclues d’un large marché.
L’importance de ce secteur extralégal est du à l’arrivée massive de ruraux qui peuvent difficilement
exercer une activité déclarée.
Effets de cet « apartheid légal » : Rester en dehors de la légalité a un coût : au Pérou, les pots de vin et
commissions aux autorités représentent 10 à 15% du CA annuel ; il faut ajouter les coûts pour éviter les
amendes, réaliser des transferts hors des canaux légaux, fonctionner à partir d’emplacements dispersés et
se passer de crédits. Autres coûts : impossibilité de s’adresser aux tribunaux pour réclamer l’exécution des
contrats, de créer des sociétés par actions pour lever de l’argent pour investir (pas d’économies d’échelle),
de protéger leurs innovations au moyen de licences et de brevets.
Les migrants n’ont d’autre choix que d’instaurer leurs propres systèmes extralégaux. L’extralégalité
répond à des objectifs aussi ordinaires que construire une maison, fournir un service ou créer une
entreprise. Loin d’être une cause de trouble, cela permet d’organiser la vie et les transactions de ces
personnes. Alors que les logements des pauvres perdent progressivement de la valeur dans les pays riches,
ils en gagnent dans les Ped (améliorés, agrandis).
Solutions :
- légitimer les avoirs extralégaux en les intégrant dans un cadre légal cohérent et organisé
- mettre en concurrence le système de droits de propriété existant avec le système extralégal

Zone d’ombre n°2 : La vie hors de la cloche de verre autrefois


Avant la révolution industrielle en Angleterre et dans toute l’Europe, la rigidité des lois et coutumes
mercantilistes empêchait les migrants de réaliser tout leur potentiel économique. L’inflation des règles pour
poursuivre les hors-la-loi amena celle des infractions.
Au 18ème en France, la loi interdisait de fabriquer, importer et vendre des indiennes ; peine : prison,
esclavage ou mort. 16 000 contrebandiers et fabricants clandestins furent exécutés sur une période de 10
ans selon Heckscher. Explications : protéger les industries établies mais aussi faciliter la collecte des impôts
(les étoffes multicolores la compliquaient).
Les extralégaux s’installaient dans les faubourgs où les contrôles sont moins fréquents. Cette
concurrence extralégale => les entreprises formelles vont sous-traiter une partie de leur prod. à ces ateliers
=> baisse assiette fiscale => hausse impôts => nouvel exode vers les faubourgs
Les gouvernements ont du reconnaître que ces extralégaux avaient créé des industries prospères.
Par exemple, l’essor de l’industrie cotonnière s’expliquait par une réglementation moins stricte que celle de
l’industrie lainière. Le nombre, la persévérance et la réussite des extralégaux ont miné les fondations mêmes
de l’ordre mercantiliste.
Dans les pays où le gouvernement poursuivait les entrepreneurs extralégaux au lieu de corriger le
système, les désordres s‘aggravaient => émigration (huguenots vers la GB et les Pays-Bas) ; révolutions
française et russe. Les pays qui se sont le mieux adaptés ont retiré leur soutien aux corporations (GB), ont
supprimé les régulations obsolètes, laissé les arrangements locaux influencer l’élaboration du droit.

Chapitre 5 : Les leçons manquantes de l’histoire américaine

La préoccupation de Soto ne porte pas sur les DDP eux-mêmes mais sur le droit d’avoir des DDP. La
raison de la transition vers des régimes juridiques de propriété intégrés : les contrats sociaux nés en dehors
de la loi sont devenus une source légitime du droit et ont été progressivement absorbés. En effet, la loi
officielle n’a pas de sens si la majorité de la population vit en dehors.
Homestead Act de 1862 : attribue aux colons 64 hectares de terre libre en contrepartie d’un simple
engagement d’y vivre pendant 5 ans et de l’exploiter => moins un acte de générosité que la reconnaissance
d’un fait accompli. Cela a permis de permettre la conversion en capital des biens des colons.
Les colons ont commencé à s’écarter sensiblement des lois anglaises, peu ou pas adaptées aux
réalités de la vie coloniale. Les occupations de terre (squat) sont devenues monnaie courante.
Les droits tomahawk : pour établir les droits sur une parcelle, on gavait dans l’écorce de quelques arbres les
initiales de celui qui avait réalisé des aménagements. (Dès les années 1660 dans le Maryland).
Les droits cabane ou droits maïs : revendications foncières établies en construisant une cabane en
rondins ou en faisant pousser une récolte de maïs. Ces droits extralégaux étaient achetés, vendus et
transférés exactement comme les titres officiels. Tensions entre les migrants (ou leurs enfants), les autorités
coloniales, et aussi les Indiens.
Dès 1642, la colonie de Virginie a permis aux possesseurs irréguliers de récupérer auprès des vrais
propriétaires la valeur de leurs éventuelles améliorations. Si le propriétaire refusait de rembourser les
aménagements effectués par le squatter, celui-ci était en droit d’acheter la terre au prix fixé par un jury
local.
La technique de la préemption va se généraliser durant les 2 siècles suivants : elle permet au colon
d’acheter la terre qu’il a améliorée, avant qu’elle ne soit publiquement en vente. En outre, la préemption
était une source de recettes publiques, car les squatters devaient payer l’arpentage des terres améliorées et
la confection des titres juridiques.
Pendant longtemps, le Congrès a été hostile à l’installation des squatters sur le domaine public.
1801 : rejet des droit de préemption demandés par les squatters ; 1807 : peines d’amende et de prison pour
les squatters qui ne se mettraient pas en conformité avec la loi. De plus, au 19ème siècle le gouvernement US
a distribué gratuitement des terres aux vétérans de guerre et aux compagnies de chemin de fer.
Durant les 60 premières années du 19ème siècle, les USA ont connu une extension des lois sur le droit
des occupants. Entre 1797 et 1820, le Kentucky a adopté une législation favorable au droit des occupants :
droit sur les améliorations effectuées par eux, et droit d’obtenir un titre de propriété sur des terres au bout
de 7 ans de présence non contestée et pourvu qu’ils payent les impôts correspondants. En 1821, la Cour
suprême a déclaré cette loi inconstitutionnelle. Nombreux débats. Pourtant, entre 1834 et 1856, plusieurs
Etats ont adopté des lois similaires.
Le gouvernement et les parlementaires ont peu à peu changé d’attitude, ils ont estimé que le
squatter était quelqu’un d’estimable qui avait apporté des améliorations à des terrains. En 1830, une loi de
préemption générale fut votée : tout colon occupant une terre publique et qui l’a cultivé en 1829 peut
l’acheter au prix de environ 0.5 $ l’hectare, dans une limite de 65 hectares.

De plus, des organisations extralégales destinées à protéger les DDP acquis de manière informelle
sont apparues : les associations de requérants et les districts de mineurs (Californie). Ces associations se
chargeaient de négocier avec les pouvoirs publics,
Associations de requérants : fonctions : enregistrer les biens (taille des parcelles, manière de
procéder au marquage), procédure à suivre en cas de transfert des parcelles ou en cas de contestation,
certaines associations possédaient des tribunaux pour régler les conflits internes. Le squatter pouvait
compter dessus si des usurpateurs menaçaient sa propriété ; si des spéculateurs venaient à surenchérir sur
lui lors de ventes de terres aux enchères. Leurs membres s’entendaient pour ne pas surenchérir les uns sur
les autres lors de ventes
Organisations de mineurs : la loi de 1841 avait exclu les terres à minerai du champ d’application de
la loi de 1841 sur la préemption générale. Les mineurs ont constitué des règlements de district minier. Celui
qui découvrait un filon recevait une concession double, alors que les autres en avaient une par personne.
Vers 1860, le Congrès envisagea l’unification des milliers de droits miniers au sein d’un seul et même
système ; en effet les capitalistes n’avaient pas envie d’effectuer de coûteux forages si la veine risquait
d’être divisée à l’infini. La loi de 1866 indiqua que toute recherche de minerais serait soumise aux coutumes
et règles locales des mineurs. Cette loi a donc non seulement reconnu la légitimité des contrats existants,
mais elle a aussi formalisé les droits et principes existants. => les arrangements entre mineurs et droits
d’origine extralégale ont été intégrés dans un nouveau système formel au cours des années 1880.

Chapitre 6 : Le mystère de la défaillance de droit : pourquoi le droit de propriété ne fonctionne pas hors
de l’Occident ?

Les dirigeants des Ped qui essayent d’ouvrir leurs régimes de propriété aux pauvres ont échoué car
ils partent de 5 idées fausses :
1- Tous ceux qui se réfugient dans l’extralégalité le font pour éviter des payer des impôts. =>Quand on
rentre dans la légalité, les impôts payés sont en général compensés par la disparition de coûts et de
nuisances (impossibilité de s’associer avec des investisseurs étrangers, d’obtenir un prêt, se souscrire une
assurance, de constituer une société par actions, pots de vin versés à l’administration).
2- Les biens immobiliers ne sont pas détenus légalement car ils n’ont pas été convenablement arpentés,
cadastrés et enregistrés, faute d’outils informatiques de pointe. => au Japon, certains biens fonciers ont été
enregistrés après 1945 à l’aide de cartes datant de la période Edo (16-17ème siècles).
3- Il suffit de mettre en application un droit de la propriété obligatoire, sans que les pouvoirs publics aient à
se préoccuper des coûts de mise en conformité
4- Il est possible d’ignorer les arrangements ou « contrats sociaux » extralégaux existants.
5- Il est possible de modifier les conventions des gens sur la manière de détenir les biens sans signes d’une
volonté politique forte au sommet de l’Etat.
Le problème juridique :
Le droit à la propriété est aujourd’hui considéré comme l’un des droits fondamentaux du genre
humain : il est présent dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Le principe de l’accès
universel aux DDP est une nécessité politique et économique pour les Ped.
Pérou fin des années 1960 : réforme agraire expropriant de vastes superficies de terrains appartenant à de
grandes exploitations pour créer plus de 600 coopératives gérées par l’Etat. Or beaucoup de paysans ont
refusé de travailler sous la houlette d’une bureaucratie imposée. Ils ont morcelé les coopératives en
parcelles de terre privées et se sont donc tournés vers des arrangements extralégaux.
Des années 1960 aux années 1990, de nombreux programmes dans les Ped ont visé à officialiser la
propriété et établir des titres. Partout cela fut un échec.
Source du problème : les gouvernements se comportent comme s’ils intervenaient dans un lieu vide de
propriété, comme s’ils arrivaient sur la Lune. Or dans la plupart des cas il n’y a pas de vide. Les gens
détiennent déjà de nombreuses propriétés dans le cadre d’arrangements extralégaux. Quand la loi ne cadre
pas, les parties la vivent comme une intrusion et la rejettent.
L’idée que la loi doit reposer sur un contrat social remonte à Platon. « La loi sot sortir de la bouche
du peuple » dit un vieux dicton allemand. La façon occidentale de recourir à notre époque au gouvernement
pour fixer le droit n’est pas la norme historique. Le pluralisme juridique a été la règle en Europe jusqu’à la
redécouverte du droit romain, aux 13ème et 14ème siècles.
D’ailleurs dans les Ped il ne règne pas l’anarchie. Quiconque douterait de la force des contrats
sociaux extralégaux n’a qu’à les contester : il se heurtera à une résistance impressionnante.
Indice du désir de reconnaissance des extralégaux : ils se choisissent des représentants diplomates et
sympathiques, et non des caïds.
Comment décoder le droit extralégal ? Il faut aller directement là où la propriété n’est pas
enregistrée et prendre contact avec les autorités légales et extralégales pour déterminer ce que sont les
arrangements entre propriétaires. La plupart du temps, les personnes possèdent une représentation de
leurs biens sous forme écrite ou alors d’un artefact matériel. Il faut ensuite codifier ces systèmes flous, et les
comparer avec le droit formel existant. Et ensuite bâtir un cadre juridique commun.

Le défi politique :
Pour accomplir cette révolution, un leader politique doit accomplir au moins 3 tâches :
- défendre le point de vue des pauvres,
- convaincre l’élite : élargissement du marché, plus de sécurité (le droit à la propriété engendre le respect
de la loi car le fait d’être propriétaire crée une obligation envers l’ordre politique et juridique, car c’est
un ordre qui garantit les DDP et qui fait du citoyen, en quelque sorte, un co-souverain ; quand les
pauvres ont le sentiment d’être légalement propriétaires de leurs biens, leur respect pour les biens
d’autrui augmente ; celui qui ne peut prouver qu’il possède quelque chose est d’autant plus incité à
recourir à la force, à faire la loi lui-même)
- négocier avec les administrations : les juristes (la plupart ne comprennent pas les effets économiques de
leur travail et sont d’instinct hostiles aux comportements extralégaux et aux changements de grande
ampleur), les techniciens (ils ont en général tendance à privilégier l’aspect technique de leur travail, à
savoir identifier des objets matériels)

Chapitre 7 : en guise de conclusion

Alors que tigres et loups protègent leur territoire en montrant les dents, l’homme a fait appel à son
cerveau pour créer un environnement juridique – la propriété – qui remplira le même office.
Cas de Bill Gates : sans brevets pour les protéger, combien d’innovations logicielles aurait-il pu
créer ? La réussite capitaliste n’est pas due à des variables culturelles mais à la présence de bonnes
institutions politiques et du droit de la propriété. D’ailleurs les migrants vietnamiens, cubains et indiens
s’adaptent facilement au DDP des USA.
Il faut accepter les idées suivantes :
1- il faut connaître plus en détail le potentiel des pauvres
2- tout le monde est capable d’épargner
3- ce qui manque aux pauvres est un régime de propriété capable de transformer leur travail et leurs
économies en capital
4- l’extra légalité n’est pas un phénomène marginal mais l’effet de l’exode rural
5- les pauvres ne sont pas un problème mais la solution
6- mettre en œuvre un régime de propriété permettant de créer du capital est un enjeu politique car cela
suppose d’avoir le contact avec les populations, de comprendre le contrat social, de réaménager le
système juridique.

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