Le Mahbub Al Qulub de Qutb Al Din Ashkev PDF
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PAR
MATHIEU TERRIER
1
Sur le cartésianisme et l’histoire de la philosophie, voir Martial Guéroult, Histoire de
l’histoire de la philosophie en Occident (abrégé par la suite Histoire de l’histoire), Aubier,
Paris, 1984, chap. VII, pp. 171-193. Sur la «renaissance safavide» comme évènement
philosophique, voir H. Corbin, Histoire de la philosophie islamique (abr. Histoire), Gal-
limard, Paris, 1964-74, rééd. 1986, pp. 62-64, 462-475; sur l’innovation conceptuelle d’un
de ses représentants, C. Jambet, L’acte d’être. La philosophie de la révélation chez Mollâ
Sadrâ, Fayard, Paris, 2002.
2
MaÌbûb al-qulûb, al-maqâlat al-‘ûlä, éd. I. al-Dîbâjî et H. Sidqî, Téhéran, Mîrâth-e
maktûb, 1999; Ibid, al-maqâlat al-thânia, idem, 2003 (abr. MaÌbûb I et MaÌbûb II).
L’édition du troisième livre est toujours en attente.
3
D. De Smet, art. «Sciences étrangères» dans le Dictionnaire du Coran, dir. M. A. Amir-
Moezzi, Robert Laffont, Paris, 2007; A. M. Goichon, article «Îikma», Encyclopédie de
l’Islam, 1ère édition (EI1), III, pp. 389-390.
4
Sur le mouvement de traduction et la translatio studiorum, A. Badawî, La transmis-
sion de la philosophie grecque au monde arabe (abr. Transmission), Vrin, Paris, 1968,
2e éd. 1987; A. de Libera, La philosophie médiévale, PUF, Paris, 1993, pp. 5-8, 57-63 et
72-75; D. Gutas, Pensée grecque, culture arabe (abr. Pensée grecque), Aubier, Paris,
2005; C. d’Ancona Costa, Greek Sources in Arabic and Islamic Philosophy, Stanford
Encyclopedia of philosophy, 2009.
5
Sur les premières, voir Richard Goulet, Études sur les Vies de philosophes de l’An-
tiquité tardive (abr. Études), Vrin, Paris, 2001. Sur la patristique chrétienne et la tradition
philosophique, M. Guéroult, Histoire de l’histoire, chap. II, p. 73-110.
6
Voir l’introduction d’I. al-Dîbâjî et H. ∑idqî, MaÌbûb I, p 19-22; J. Jolivet, «L’idée
de sagesse et sa fonction dans la philosophie des IVe et Ve siècles (H)», Perspectives
médiévales et arabes (abr. Perspectives), Vrin, Paris, 2006, p. 237-263; I. Alon, Socrates
in the Arabic Medieval Literature (abr. Socrates), Brill, Leiden, 1991, p. 12-22.
7
G. Deleuze et F. Guattari, Qu’est-ce que la philosophie?, Minuit, Paris, 1991.
8
H. Corbin, Histoire, pp. 16 et 464-465; «L’idée du Paraclet en philosophie ira-
nienne», dans Face de Dieu, face de l’homme (abr. Face de Dieu), Entrelacs, Paris, 2008,
p. 343-347. Outre une mention chez M. Arkoun, L’humanisme arabe au IVe/Xe siècle,
Vrin, Paris, 1982, p. 29, deux allusions très imprécises se trouvent chez M. Cruz Hernán-
dez, Histoire de la pensée en terre d’Islam, Desjonquères, Paris, 2005, pp. 342 et 766.
quelle mesure hérite-t-il de cette série d’ouvrages écrits bien des siècles
avant lui? Dans quelle mesure innove-t-il par rapport à eux? Quel regard
sur l’histoire de la sagesse porte un philosophe iranien de l’ «école d’Is-
pahan»? C’est à ces questions que l’étude suivante tentera de répondre.
9
H. Daiber, Aetius arabus. Die Vorsokratiker in arabischen Überlieferung, Wiesba-
den, 1980.
10
L’ouvrage de Porphyre est mentionné dans le Fihrist d’Ibn al-Nadîm (éd. Y. A. Tawîl,
Beyrouth, 1422/2002, p. 412) qui affirme en avoir vu la quatrième partie en syriaque. Sur
les traductions de Porphyre, Galien et du Pseudo-Plutarque, voir A. Badawî, Transmission,
pp. 120-121, 127-130.
16
Sur la distinction entre sources et autorités, voir R. Goulet, «Les références chez
Diogène Laërce: sources ou autorités?», Études, p. 79-96.
17
Îunayn b. IsÌaq, Âdâb al-falâsifa, abrégé de Md b. Md al-AnÒarî, éd. A. Badawi,
Koweït, 1985.
18
J. Jolivet, «L’idée de la sagesse…», Perspectives, p. 248-9; D. Urvoy, Les penseurs
libres dans l’islam classique, Flammarion, Paris, 1996, p. 87-88.
L’ouvrage n’en fournira pas moins un matériau abondant à ceux qui vou-
dront après lui enraciner la sagesse philosophique dans la sagesse pro-
phétique. Ashkevarî le cite quatre fois comme autorité, sans citer ses
sources, dans le premier volume du MaÌbûb al-qulûb, et lui consacre une
notice dans le deuxième volume.
L’opuscule d’IsÌâq b. Îunayn (m. 298-9/910-1), fils du précédent et
lui-même traducteur, Chronique des sages et des médecins (Târîkh al-
Ìukamâ’ wa al-a†ibbâ’)19, reproduit et complète une Histoire des méde-
cins attribuée à Jean Philopon. Il manifeste un souci de chronologie et de
datation, conjuguant histoire mondaine et histoire sainte dans un même
récit linéaire, sans proposer aucune doxographie. Il est utilisé dans des
ouvrages ultérieurs comme le ∑iwân al-Ìikma et le Nuzhat al-arwâÌ de
Shahrazûrî, par le biais duquel Ashkevarî le cite comme autorité dans le
premier volume du MaÌbûb al-qulûb, deux fois pour établir un point de
chronologie.
La sagesse éternelle (Al-Ìikma al-khâlida, traduit du persan Jâvi-
dân kherad) d’Al-Miskawayh (m. 421/1030), est de nature toute dif-
férente. Composée sur la base d’un vieux manuel de sagesse iranien,
cette gnomologie adjoint, à des maximes remontant aux temps légen-
daires du roi Hûshanj, des traditions analogues venant des Indiens, des
Arabes et des Grecs20. Cet universalisme, dépassant les confins de la
Grèce, est une première dans l’histoire de l’histoire de la sagesse en
Islam; mais la perspective de l’ouvrage, comme son titre l’indique,
est anhistorique. Miskawayh s’intéresse plus au perfectionnement
éthique qu’à la transmission des savoirs. Suite décousue d’aphorismes,
allégories et prônes testamentaires (notamment ceux d’al-Âmirî, dont
Miskawayh aurait suivi l’enseignement), l’œuvre paraît dénuée de
plan ou de fil conducteur: sa perspective est syncrétique et non taxi-
nomique. L’ouvrage présente de nombreux parallèles avec le ∑iwân
al-Ìikma, qui lui est de peu postérieur. Ashkevarî vante les qualités
du Jâvidân kherad à l’occasion de sa courte notice consacrée à Mis-
19
Le texte d’IsÌâq b. Îunayn a été édité et traduit en anglais par F. Rosenthal dans la
revue Oriens, chap. 7, 1954, et réédité par F. Sayyid avec le livre d’Ibn Juljul, ™abaqât
al-a†ibbâ’ wa al-Ìukamâ’, 2e éd., Beyrouth, 1985.
20
M. Arkoun, «Comment lire le Jâvîdân khirad?», dans Pour une critique de la
raison islamique, Paris, 1984, p. 277; voir aussi H. Corbin, Histoire, p. 248-249.
21
MaÌbûb II, p. 387.
22
Ibn Juljul, ™abaqât al-a†ibbâ’ wa al-Ìukamâ’, éd. Al-Sijistânî, IFAO, Le Caire,
1955, p. 136-138.
23
Notre source est ici la notice d’Ashkevarî consacrée à Ibn Juljul dans MaÌbûb II,
p. 83-85; confirmée par Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane, Maisonneuve
et Larose, Paris, 1967, T. 3, p. 507.
24
D. Pingree, Thousands, p. 14-19.
25
G. Vajda, art. «Idris», EI2, III, p. 1056-7; C. Addas, art. «Idrîs», Dictionnaire du
Coran, p. 410-413. L’identification d’Hermès à Idrîs se trouve déjà chez Abû Hâtim
al-Râzî, A‘lâm, p. 278.
26
D. Gimaret, «Sur un passage énigmatique du Tabyîn d’Ibn ‘Asâkir», Studia Islamica
47 (1978); W. al-Qâdî, «K. ∑iwân al-Ìikma: Structure, Composition, Autorship and
Sources», Der Islam 58 (1981), p. 87-124; H. Daiber, «Der ∑iwân al-Ìikma und Abû
Sulaimân al-Mantiqî as-Sigistânî in der Forschung», Arabica 31 (1984), p. 36-68. Sur
le cercle d’al-Sijistânî, Al-TawÌîdî, al-Muqâbasât, éd. T. Husayn, Matba’at al-irshâd,
Baghdâd, 1970; J. L. Kraemer, Philosophy in the Renaissance of Islam: Abû Sulaymân
al-Sijistânî and his Circle, Leiden, Brill, 1986.
27
Muntakhab ∑iwân al-Ìikma, éd. Badawî, Téhéran, 1974, p. 82-85. Les pages citées
correspondent au chapitre III du K. al-amad ‘alä l-abad : E. Rowson, Muslim Philoso-
pher, p. 70-75.
28
A. Badawî, Transmission, p. 9-10.
29
Mubashshir b. Fâtik, Mukhtar al-Ìikam wa maÌâsin al-kilam, éd. A. Badawî, Bey-
routh, 1980, p. 3.
30
∑â‘id al-Andalusî, Al-ta‘rîf bi-†abaqât al-umam (abr. Al-ta‘rîf) éd. G. Jamshidnejâde
Avval, Miras-e maktub, Téhéran, 1376 H.S/1998, p. 145-148.
31
Ibid, p. 168-171.
32
G. Monnot propose comme traduction technique: «Livre des religions scripturaires
et des doctrines arbitraires». Voir l’introduction au tome I du Livre des religions et des
sectes, trad. fr. de D. Gimaret et G. Monnot, Peeters/UNESCO, 1986.
35
Shahrastânî, Milal, I, p. 79-115.
36
J. Jolivet, «L’idée de sagesse…», Perspectives, p. 254.
37
G. Monnot, introduction au tome I du Livre des religions et des sectes, p. 8-10;
«EPHE. Section des Sciences religieuses. Annuaire», 96, 240; J. Jolivet, «La cosmologie
anti-avicennienne d’al-Shahrastânî d’après la Lutte contre les philosophes», Perspectives,
p. 216.
38
Sur ces deux genres d’histoire de la philosophie dans la patristique, l’«histoire des
sottises» et l’«histoire des sagesses», voir M. Guéroult, Histoire de l’histoire, chap. II,
p. 47-70.
39
Ibn al-Qiftî, Ikhbâr al-‘ulamâ’ bi-akhbâr al-Ìukamâ’ (Târikh al-Ìukamâ’), éd.
J. Lippert, Leipzig, 1903.
40
Ibn Abî UÒaybi‘a, ‘Uyûn al-anbâ’ fî †abaqât al-a†ibbâ’ (abr. ‘Uyûn), éd. Re∂ä,
Beyrouth, 1965, p. 7-8.
41
Emily Cottrell, «Le Kitâb nuzhat al-arwâÌ wa raw∂at al-afrâÌ de Shams al-Dîn
al-Shahrazûrî l’Ishrâqî (fin du XIIIe): composition et sources», thèse soutenue à l’EPHE
sous la direction de M. A. Amir-Moezzi, décembre 2004.
42
Sur ce schéma historique suhrawardien, voir H. Corbin, En islam iranien, II,
p. 35-36.
43
G. Deleuze et F. Guattari, Qu’est-ce que la philosophie?, p. 39-59.
44
Shahrastânî tire ce principe du hadîth du prophète: «Ma communauté se divisera en
73 sectes, dont une sera sauvée et les autres seront détruites…». Voir Milal, I, p. 18.
Avant que l’édition actuelle ne nous livre les deux tiers de l’œuvre, le
plan de l’ouvrage était connu par l’entrée en matière d’Ashkevarî, résu-
mée par Aqâ Bozorg al-Tihrânî dans son grand répertoire bibliographique
shî‘ite: «Description de la vie des sages, expliquée et ordonnée dans une
introduction sur l’essence de la philosophie suivie de trois discours: le
premier consacré aux états des sages avant l’islam; le deuxième aux
sages de l’islam; le troisième aux Imâms impeccables et à certains
maîtres spirituels véridiques; en conclusion, la notice autobiographique
de l’auteur»50. Henry Corbin, dont l’édition lithographiée du MaÌbûb
al-qulûb ne contenait que l’introduction et le premier volume, présente
49
J. Jolivet, «L’idée de sagesse…», Perspectives, p. 246, distingue les trois connota-
tions du mot Ìikma.
50
Al-dharî’a ilä taÒânîf al-shî‘a, Téhéran-Najaf, 1353-1398/1934-1978, vol. 20,
p. 141, no 2303.
Première partie:
«Sur les vies des sages depuis Adam jusqu’au début de l’islam,
où sont rapportées leurs sentences excellentes et leurs paroles
bienfaisantes»
51
«L’idée du Paraclet…», Face de Dieu, p. 344, n. 32; Histoire, p. 16.
52
MaÌbûb I, p. 95.
53
MaÌbûb I, p. 105. Il s’agit d’un extrait de la Risâla fî mâ yanbaghî an yuqaddam
qabla ta‘allum al-falsafa («Épitre sur les préalables requis à l’apprentissage de la philo-
sophie») éditée dans al-Mantiqiyyât li-l-Fârâbî, éd. Daneshpajouh, Qom, 1408h, vol. I,
p. 1-5.
54
MaÌbûb I, p. 117; Shimâl al-Dîn al-Shahrazûrî, Nuzhat al-arwâÌ wa raw∂at
al-afrâÌ, Hyderabad, 1976, 2e éd. Jum‘iyat al-da‘wat al-islâmiyya al-‘alamiyya, Tripoli,
Libye, 1988, p. 37.
55
MaÌbûb I, p. 122-123; E. Rowson, Muslim philosopher, p. 72-73; Muntakhab ∑iwân
al-Ìikma, éd. Badawî, p. 84.
56
MaÌbûb I, p. 125, où le titre est donné en persan et au singulier: Resâle-i esbât-e
nabovvat; voir M. Marmura, Fî ithbât al-nubuwwât li-Ibn Sînâ (Proof of prophecies),
2e éd., Dar an-nahar, Beyrouth, 1991, §16, p. 48.
57
MaÌbûb I, p. 127. Ce fragment d’un ouvrage perdu d’al-Fârâbî sur l’apparition de
la philosophie est transmis par Ibn Abî UÒaybi‘a, ‘Uyûn, p. 604-605.
58
MaÌbûb I, p. 128. Sur cette tradition, voir D. Gutas, Pensée grecque, p. 70-84.
59
MaÌbûb I, p. 129; ∑â‘id al-Andalusî, Ta‘rîf, p. 159-160.
60
MaÌbûb I, p. 129-130. La trace s’en trouve chez Diogène Laërce, Vies et doctrines
des philosophes illustres (abr. Vies), Librairie Générale Française, Paris, 1999, I, 17, p. 75.
61
L. Wittgenstein, Investigations philosophiques, paragraphes 65-77 (le Tractatus
logico-philosophicus, suivi des Investigations, trad. P. Klossowski, Gallimard, Paris,
1961). Conçue pour s’appliquer aux cas d’un concept comme celui de «jeu», la notion
d’«air de famille» paraît s’appliquer tout naturellement aux personnages conceptuels.
62
MaÌbûb I, p. 157-161.
67
MaÌbûb I, p. 236-238. La confusion de Socrate avec Diogène le Cynique se trouve
déjà dans l’Épître sur la vie philosophique de Md b. Zakâriyyâ al-Râzî (K. al-sîra al-fal-
safiyya, Opera philosophica, éd. P Kraus, Beyrouth, 1982, p. 99). C’est Ibn Fâtik qui
semble l’avoir introduite dans la tradition doxographique arabe; voir A. Badawî, Trans-
mission, p. 10.
68
MaÌbûb I, p. 238-242. Voir I. Alon, Socrates, p. 12-22.
69
MaÌbûb I, p. 257-258; Diogène Laërce, Vies, III, 5-8, p. 395-398.
70
MaÌbûb I, p. 271.
71
MaÌbûb I, pp. 283 et 287-291; A. Badawî, Transmission, p. 57-59, et infra, note 86.
72
Q.XVIII «La Caverne»/83-101. Voir D. De Smet, art. «Dhû l-Qarnayn», Diction-
naire du Coran, p. 218-221; voir aussi M. A. Amir-Moezzi, Le guide divin dans le
shî’isme originel (abr. Guide divin) Verdier, Paris, 1992, p. 237-238.
73
MaÌbûb I, p. 294. Sur la Frayeur (al-rub’) auxiliaire du Mahdî, voir M. A. Amir-
Moezzi, Guide divin, p. 293.
74
MaÌbûb I, p. 323.
75
MaÌbûb I, p. 327-332. A. Badawî, Aflû†în ‘inda al-‘arab, Le Caire, 1955, p. 195-
198.
76
MaÌbûb I, p. 351. On trouve cette tradition chez Shahrastânî (Milal I, p. 83), mais
ainsi nuancée: «Comme si Thalès de Milet n’avait recueilli sa doctrine qu’à cette niche
aux lumières prophétique» (Wa ka’anna Tâlis al-mil†î innamâ talaqqä madhhabahu min
hâdhihi al-mishkât al-nabawiyya).
77
MaÌbûb I, p. 352-355. Voir U. Rudolph, Doxographie, p. 45-46; C. Baffioni,
«Anaxagore, Anaximène, Anaximandre et Démocrite dans la tradition arabe», Diction-
naire des philosophes antiques, supplément, éd. R. Goulet, CNRS, Paris, 1989, p. 748-
773; Diogène Laërce, Vies, p. 212-223.
78
Cette tradition, reçue par Ashkevarî de Shahrazûrî, est commentée par H. Corbin en
un sens spirituel dans «Trois philosophes d’Azerbaïdjan», Philosophie iranienne et phi-
losophie comparée, Buchet/Chastel, Paris, 1985, p. 86-87.
79
MaÌbûb I, p. 359. Voir H. Corbin, «L’idée du Paraclet…», Face de Dieu, p. 343-
347. Contrairement à ce que laisse entendre Corbin, Ashkevarî ne fait pas l’équation entre
le Saoshyant-Mahdî et le Paraclet, identifié ailleurs avec le prophète MuÌammad.
80
U. Rudolph, Doxographie, p. 41.
81
MaÌbûb I, p. 361-367. Paul Kraus mentionne ce fait, référé au «kitâb maÌbûb
al-qulûb de Muhammad al-Daylamî», et soupçonne une confusion de Démocrite (Dîmu-
qrâtis) avec Socrate (Suqrâtis), dans Jâbir Ibn Îayyân. p. 265, note 1. P. Kraus aurait
donc consulté le MaÌbûb al-qulûb avant H. Corbin.
82
MaÌbûb I., p. 367-372. L’argument attribuant à Proclus une sorte de «double vérité»
sur le sensible et le spirituel, issu du Pseudo-Ammonius (U. Rudolph, Doxographie, p. 75),
se trouve aussi chez Abû Îâtim al-Râzî, A‘lâm, p. 107. Sur la controverse Philopon-Pro-
clus, voir C. Michon (dir.), Thomas d’Aquin et la controverse sur l’éternité du monde,
Flammarion, Paris, 2004, pp. 305-325 et 345-7.
Deuxième partie:
«Sur les vies des sages de l’islam, des doctes éminents et des lettrés
distingués, dont le sujet est digne d’intérêt et les paroles méritent
considération».
83
Le récit de ce rêve est tiré d’Ibn al-Nadîm, Fihrist, éd. Y. Tawîl, Dâr al-kutub al-
aux notices, Ashkevarî exprime aussi bien sa culture médicale que ses
croyances magiques.
Suit une famille de mathématiciens, astronomes, traducteurs et philo-
sophes (49-76), beaucoup ayant œuvré à la cour des Abbassides. On
y croise Abû Ma‘shar al-Balkhî (51), Abû RîÌân al-Bîrûnî (56) et Md
b. Yûsuf al-‘Âmirî (72), dont la notice minimaliste ne laisse pas soup-
çonner son immense influence sur l’orientation du MaÌbûb al-qulûb.
Les notices 77 à 86 rassemblent une galerie de portraits plus vivants
et philosophiques, sur lesquels Ashkevarî semble mieux informé. Il s’y
montre lecteur familier du livre Kalila et Dimna traduit et adapté par Ibn
al-Muqaffa‘ (77), ainsi que des épîtres des Ikhwân al-Òafâ’ (81), déjà
cités dans son introduction. Dans la notice consacrée au traducteur Abû
‘Alî ‘Îsä b. Zara‘a (83), Ashkevarî rapporte le fameux récit d’extase
extrait de la Théologie pseudépigraphique d’Aristote, mentionnant son
attribution à Platon par Suhrawardî, mais sans trancher la question86.
Viennent deux souverains bûyides (84-85) amis de la philosophie, fonc-
tionnant comme des anti-modèles du khalife al-Ma’mûn. Pour clore cette
série, Ashkevarî reprend la notice de Shahrazûrî consacrée au philosophe,
astronome et poète ‘Umar Khayyâm.
La notice sur al-Fârâbî, le «deuxième maître» (al-mu‘allim al-awwal),
est davantage une introduction à celle consacrée à «l’élève de ses livres»
que fut Ibn Sînâ. Ashkevarî ne semble pas familier des œuvres d’al-
Fârâbî. Il rapporte surtout des anecdotes biographiques qu’il entrecoupe
de vers persans et de hadîth-s imâmites. La seule citation, faite in extenso
via Ibn Abî UÒaybi‘a, est celle d’une «grande prière» à l’attribution
incertaine87.
La notice 88 consacrée à Ibn Sîna occupe tout le tiers central du deu-
xième livre du MaÌbûb al-qulûb et constitue comme une œuvre dans
l’œuvre88. Elle reproduit de larges extraits de l’«autobiographie» rédigée
par son élève al-Jûzjânî, ainsi que l’intégralité des deux derniers chapitres
86
MaÌbûb II, p. 139. Cf. Badawî, Aflû†în ‘inda al-‘arab, p. 22; ce passage correspond
à Plotin, Ennéades, IV, 8, I; sur son attribution, voir Sohravardî, Le livre de la sagesse
orientale, Verdier, Paris, 1986, 2e éd. Gallimard, coll. «Folio Essais», Paris, 2003, pp. 154
et 342, et A. Badawî, Transmission, p. 57-59.
87
MaÌbûb II, p. 159-160; Ibn Abî UÒaybi‘a, ‘Uyûn., p. 606-7.
88
MaÌbûb II, p. 161-345.
96
Sur al-Dawwânî, voir A. J. Newman, Safavid Iran, London, New York, 2006,
p. 160-161, note 56, et EIr, 7, p. 132-3; sur al-Dashtakî, Ibid, p. 37-38, et EIr, 7, p. 100-2.
Newman émet des doutes sur la sincérité de leur foi shî‘ite.
97
Al-Qushayrî, al-Risâla al-qushayriyya, Beyrouth, 2001.
98
Sur Qâ∂î Nûr Allâh Shûshtârî (m. 1019/1610-1611), appelé shahîd-e sovvom, «le troi-
sième martyre» en persan, auteur de †abaqât shî‘ites, voir H. Corbin, Histoire, p. 441-442.
99
MaÌbûb II, p. 485-486. Sur ce dialogue, voir H. Corbin, En islam iranien, I, p. 111.
100
Sur ces liens, voir S. H. Nasr, «Le shî‘isme et le soufisme», dans Le shî‘isme
imâmite, p. 215-233.
Troisième partie:
«Sur les vies des Saints Imâms, nos seigneurs véridiques,
où sont rapportés quelques-uns de leurs hadîth-s gorgés de
sentences et de secrets; et nous y avons annexé les vies de leurs
successeurs parmi les grands maîtres de la secte sauvée»
101
MaÌbûb II, p. 550-562. Sur les résonnances shî’ites de la pensée d’Ibn ‘Arabî, voir
H. Corbin, L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ‘Arabî, Flammarion, Paris,
1958, rééd. Aubier, Paris, 1993.
102
Je reproduis ici la liste des imâms avec leurs principaux surnoms et kunya-s fournie
par M. A. Amir-Moezzi dans son Guide divin, p. 120-121, et ne retiens que le laqab le
plus répandu.
105
Ainsi Justin (akmé v. 150) écrit, dans son Apologie : «tout ce qui s’est dit de bien
chez tous ceux qui l’ont dit est chrétien» (cité par M. Guéroult, Histoire de l’histoire,
p. 89); «ceux qui avant le Christ ont mené une vie accompagnée de raison (logos) sont des
chrétiens, eussent-ils passé pour athées, tels Socrate, Héraclite et leurs semblables» (cité
par P. Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique?, Paris, Gallimard, 1995, p. 360-361).
106
Voir M. Arkoun, «Comment lire le Jâvîdân Khirad?», Pour une critique de la
raison islamique, p. 284-288.
107
Voir la présentation d’al-Fârâbî par Léo Strauss dans Le Platon d’al-Fârâbî, trad.
O. Sedeyn, Allia, Paris, 2002, et la défense d’un Avicenne aristotélicien par A. Badawî,
Transmission, p. 83-84.
108
Principalement les premier, quatrième, cinquième, sixième, septième et huitième
imâms. Sur le hadîth imâmite, voir G. Lecomte, «Aspects de la littérature du hadîth chez
les Imamites», dans Le shî‘isme imâmite, p. 91-103.
109
Voir M. A. Amir-Moezzi, Guide divin, p. 332, n. 720.
110
Voir M. A. Amir-Moezzi et C. Jambet, Qu’est-ce que le shî’isme?, troisième partie,
p. 181-283.
111
À la question de Wittgenstein (Investigations philosophiques, par. 71, p. 150):
«L’image floue n’est-elle pas souvent ce dont nous avons précisément besoin?», Ashke-
varî semble avoir répondu d’avance par l’affirmative.
112
Généralement admise, la tradition faisant d’Ashkevarî l’élève de Mîr Dâmâd est
sujette à caution. Ashkevarî n’affirme nulle part dans le MaÌbûb al-qulûb avoir suivi
l’enseignement direct de Mîr Dâmâd. La position de ce dernier à la fin du MaÌbûb al-
qulûb, analogue à celle de Suhrawardî à la fin du Nuzhat al-arwâÌ de Shahrazûrî, ne
saurait être un argument décisif, quoiqu’en disent I. al-Dîbâjî et H. Si∂qî, MaÌbûb I, p. 26.
113
G. W. Hegel, Leçons sur l’histoire de la philosophie, trad. J. Gibelin, Gallimard,
1954.
début, ensuite parce qu’elle conserve tout au long de l’histoire son carac-
tère sacré et transcendant114, enfin parce que l’histoire d’Ashkevarî ne
met en œuvre aucun «travail du négatif» — bien plutôt, ruptures et anti-
nomies sont systématiquement gommées par le compilateur ou résorbées
par l’herméneute. Cette histoire de la sagesse est donc bien une synthèse,
dépassant les contradictions apparentes entre modes de connaissance,
concepts et symboles, pour présenter la vérité dans l’unité de ses épipha-
nies multiples. De cette synthèse, la raison n’est pas l’opérateur unique
ni même privilégié, soutenue qu’elle est par les forces alliées de la tradi-
tion, celle du corpus imâmite, et de l’imagination active, celle du courant
ishrâqî de Suhrawardî et Ibn ‘Arabî.
Pour notre philosophe shî‘ite, l’histoire de la sagesse est d’emblée et
jusqu’au bout une histoire sainte, supra-rationnelle et supra-empirique.
Le plan de réalité sur lequel elle se joue correspond à ce que les com-
mentateurs de Suhrawardî, Mollâ Sadrâ et Ashkevarî lui-même appellent
le ‘âlam al-mithâl, le «monde imaginal». Dans ce monde imaginal,
«plan d’immanence» de l’histoire de la sagesse, il semble bien que les
lois de la succession temporelle ne s’appliquent pas comme dans le
monde sensible, les évènements et les personnages successifs demeurant
co-présents. Un temps que Deleuze et Guattari nomment «devenir» plu-
tôt qu’«histoire»: «Le temps philosophique est ainsi un temps grandiose
de coexistence, qui n’exclut pas l’avant et l’après, mais les superpose
dans un ordre stratigraphique. C’est un devenir infini de la philosophie,
qui recoupe mais ne se confond pas avec son histoire. La vie des philo-
sophes, et le plus extérieur de leur œuvre, obéit à des lois de succession
ordinaire; mais leurs noms propres coexistent et brillent, soit comme des
points lumineux qui nous font repasser par les composantes d’un concept,
soit comme les points cardinaux d’une couche ou d’un feuillet qui ne
cessent pas de revenir jusqu’à nous, comme des étoiles mortes dont la
lumière est plus vive que jamais. La philosophie est devenir, non pas
histoire; elle est coexistence de plans, non pas succession de systèmes»115.
À la lumière de cette méditation, l’originalité du Mahbûb al-qulûb dans
114
Sur le sens primitif de ‘ilm comme «Science sacrée», voir M. A. Amir-Moezzi,
Guide divin, p. 174-199.
115
G. Deleuze et F. Guattari, Qu’est-ce que la philosophie?, p. 58-59.
RÉSUMÉ
Le MaÌbûb al-qulûb du penseur shî‘ite iranien Qu†b al-Dîn Ashkevarî (m. vers
1680) est une encyclopédie des sages courant d’Adam à la «renaissance safa-
vide». L’œuvre s’inscrit dans une longue tradition doxographique arabe, com-
mencée dès le début du mouvement de traduction de la philosophie grecque. La
première partie de ce travail se propose d’identifier les ouvrages doxographiques
qui sont les sources et autorités d’Ashkevarî, en retraçant la chaîne de transmis-
sion de ses informations. En dépit d’une similarité apparente entre ces œuvres,
trois éléments nous permettent de les distinguer et de leur trouver un intérêt
philosophique: l’orientation de pensée inhérente au plan de chacune, le choix et
le traitement des personnages, le concept de sagesse exprimé par l’auteur. La
seconde partie de l’article, où l’on expose et analyse la composition du MaÌbûb
al-qulûb selon ces trois aspects, vise à montrer la place singulière de l’ouvrage
dans l’histoire de l’histoire de la sagesse en Islam.
Mots-clés: Islam shî‘ite, doxographie, philosophie grecque, falsafa, soufisme,
ishrâq.
SUMMARY
The MaÌbûb al-qulûb, written by the Iranian Shiite thinker Qu†b al-Dîn Ashke-
varî (d. around 1680), is an encyclopedia of the sages from Adam up to the time
of Safavid “renaissance”. The opus belongs to a long Arabic tradition of doxog-
raphy, beginning with the movement of translation of Greek philosophy into
Arabic. The first part of this article is meant to identify the doxographical works
which are the sources and authorities of Ashkevarî, by retracing the line of trans-
mission of the facts that he gives. Although these works apparently look like
each other, three elements allow us to distinguish them and to find philosophical
interest in them: the orientation of the thought which is inherent in the plan, the
choice and the handling of the characters, and the concept of wisdom which is
expressed by the author. The second part of this article, in which the composition
of the MaÌbûb al-qulûb is exposed and analysed according to these three aspects,
is intended to show the special place of this book in the history of the history of
wisdom in Islam.
Keywords: Shiite Islam, doxography, Greek philosophy, falsafa, Sufism, ishrâq.