Topologie de R

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TOPOLOGIE DE LA DROITE REELLE

P. Pansu
16 mai 2005

1 Qu’est-ce que la topologie ?


C’est l’étude des propriétés des objets qui sont conservées par déformation continue.
Belle phrase, mais qui nécessite d’être précisée.

1.1 Rappels
Définition 1 Une partie U ⊂ R est dite ouverte si pour tout x ∈ U , il existe  > 0 tel que
]x − , x + [⊂ U . Une partie F ⊂ R est dite fermée si son complémentaire U = R \ F est ouvert.

Exemple 2 Un intervalle ouvert, comme ]a, b[, ]a, +∞[, ] − ∞, b[, ] − ∞, +∞[, est ouvert.
Un intervalle fermé, comme {a}, [a, b], [a, +∞[, ] − ∞, b], ] − ∞, +∞[, est fermé.
Exemples extrêmes : ∅ et R sont à la fois ouverts et fermés.

Proposition 3 La réunion d’un nombre quelconque d’ouverts, l’intersection d’un nombre fini
d’ouverts, sont ouvertes.
La réunion d’un nombre fini de fermés, l’intersection d’un nombre quelconque de fermés, sont
fermées.

Proposition 4 Une partie F de R est fermée si et seulement si pour toute suite convergente de
points xn ∈ F , la limite limn→∞ xn appartient à F .

Proposition 5 Une fonction f : R → R est continue si et seulement si pour tout ouvert U de R,


f −1 (U ) est ouvert.

On aimerait une caractérisation analogue des fonctions continues sur un intervalle, ou plus
généralement sur un sous-ensemble de R.

1.2 Ouverts et fermés relatifs


Définition 6 Soit E un sous-ensemble de R. Une partie A ⊂ E est dite ouverte dans E si pour
tout x ∈ A, il existe  > 0 tel que ]x − , x + [∩E ⊂ A. Une partie B ⊂ E est dite fermée dans E
si son complémentaire A = E \ B est ouvert dans E.

Exemple 7 Soit E = [0, 1[ et A =]0, 1[, B = [0, 1/2[, C = [1/2, 1[, D = [0, 1/2]. Alors A et B
sont des ouverts de E, et C et D sont des fermés de E.
Exemples extrêmes : E et ∅ sont à la fois ouverts et fermés dans E.

Remarquer que A est un ouvert de R et D est un fermé de R. Ils sont a fortiori ouvert (resp.
fermé) dans E. En revanche, B et C ne sont ni ouverts, ni fermés dans R.

Proposition 8 Soit E un sous-ensemble de R.


Une partie A ⊂ E est ouverte (resp. fermée) dans E si et seulement si il existe un ouvert U
(resp. un fermé F ) de R tel que A = E ∩ U (resp. A = E ∩ F ).
Une partie A ⊂ E est fermée dans E si et seulement si pour toute suite (xn ) d’éléments de A
convergeant vers un point x de E, x ∈ A.

1
Preuve. Si U est un ouvert de R, U ∩ E est un ouvert de E. En effet, si x ∈ U ∩ E, il existe
 > 0 tel que ]x − , x + [⊂ U . Alors ]x − , x + [∩E ⊂ U ∩ E.
Réciproquement, soit A un ouvert de E. A chaque [ x ∈ A correspond un intervalle ouvert
Ix =]x − x , x + x [ tel que Ix ∩ E ⊂ A. Posons U = Ix . C’est une réunion d’ouverts de R, donc
x∈A
c’est un ouvert de R. Par construction, A = U ∩ E.
Le cas des fermés se déduit de celui des ouverts (passer au complémentaire).
Soit A un fermé de E, A = F ∩ E où F est fermé dans R. Si (xn ) est une suite d’éléments de
A qui converge vers un point x de E, alors x ∈ F (proposition 4), donc x ∈ A.
Inversement, supposons que A ⊂ F n’est pas fermé. Alors B = E \ A n’est pas un ouvert de E.
Autrement dit, il existe un point y ∈ B tel que pour tout  > 0 il existe un point x ∈]y − , y + [∩E
qui n’appartient pas à B. On applique cette propriété pour  = 1/n. On trouve un point xn ∈
E \ B = A tel que |xn − y| < 1/n. On a donc trouvé une suite (xn ) d’éléments de A qui converge
vers un point y de E qui n’appartient pas à A. C’est la contraposée de la propriété de l’énoncé.

Définition 9 Soit E un sous-ensemble de R. Soit A ⊂ E et x0 ∈ E. On dit que A est un voisinage


de x0 dans E s’il existe  > 0 tel que ]x0 − , x0 + [∩E ⊂ A.

Exemple 10 A ⊂ E est ouvert dans E si et seulement si A est un voisinage de chacun de ses


points. Par exemple, si E = {0} ∪ [1, 2[, alors {0} est un voisinage de 0 dans E, c’est un ouvert
de E.

1.3 Fonctions continues sur un sous-ensemble de R


Définition 11 Soit E un sous-ensemble de R. Une fonction f : E → R est continue sur E si
pour tout x0 ∈ E et tout  > 0, il existe α > 0 tel que

x ∈ E, |x − x0 | < α ⇒ |f (x) − f (x0 )| < .

Remarque 12 Soit I un intervalle de R. Une fonction f : I → R est continue si et seulement


si elle est continue au sens usuel : continue en chaque point intérieur, continue à droite (resp. à
gauche) aux bornes lorsqu’elles appartiennent à I.
1
Exemple 13 Soit E = [0, 1[. La fonction f définie sur E par f (x) = x−1 est continue sur E.
1
La fonction g définie sur E par g(x) = x pour x > 0 et g(0) = 0 n’est pas continue sur E. En
revanche, les restrictions de ces fonctions à E 0 = {0}∪[1/2, 1[ sont continues. Si E est un ensemble
fini de points de R, toute fonction sur E est continue. Si E = Z, toute fonction sur E est continue.

Proposition 14 Soit E un sous-ensemble de R. Une fonction f : E → R est continue si et


seulement si pour tout ouvert U de E, f −1 (U ) est un ouvert de E.

Preuve. Supposons f continue sur E. Soit U un ouvert de R. Soit x0 ∈ f −1 (U ), autrement


dit, x0 ∈ E et y = f (x0 ) ∈ U . Comme U est ouvert, il existe  > 0 tel que ]y − , y + [⊂ U . Par
continuı̈té de f , il existe α > 0 tel que

x ∈ E, |x − x0 | < α ⇒ |f (x) − f (x0 )| < .

Alors f (E∩]x0 − α, x0 + α[) ⊂ U , donc E∩]x0 − α, x0 + α[⊂ f −1 (U ). Ceci prouve que f −1 (U ) est
ouvert.
Inversement, soit x0 ∈ E et  > 0. L’intervalle ]f (x0 ) − , f (x0 ) + [ est un ouvert de R.
Alors f −1 (]f (x0 ) − , f (x0 ) + [) est ouvert. Il existe donc α > 0 tel que E∩]x0 − α, x0 + α[⊂
f −1 (]f (x0 ) − , f (x0 ) + [). Si x ∈ E et |x − x0 | < α, alors f (x) ∈]f (x0 ) − , f (x0 ) + [, donc
|f (x) − f (x0 )| < . Ceci prouve que f est continue en x0 .

Exercice 15 Soit E un sous-ensemble de R. Soit f : E → R une fonction définie sur E. Montrer


que f est continue si et seulement si pour tout x ∈ E et pour toute suite (xn ) de points de E
convergeant vers x, limn→∞ f (xn ) = f (x).

2
Solution de l’exercice 15. Continuı̈té et suites.
Sens direct. Supposons f continue sur E. Soit (xn ) une suite d’éléments de E qui converge vers
x0 ∈ E. Fixons  > 0. Par continuı̈té de f , il existe α > 0 tel que

x ∈ E, |x − x0 | < α ⇒ |f (x) − f (x0 )| < .

Comme (xn ) converge vers x0 , il existe N tel que

n≥N ⇒ |xn − x0 | < α.

Comme xn ∈ E, pour n ≥ N , |f (x) − f (x0 )| < . Ceci prouve que limn→∞ f (xn ) = f (x).
Inversement, supposons que f n’est pas continue sur E. Alors il existe un point x0 ∈ E et
un  > 0 tels que pour tout α > 0, il existe x ∈ E tel que |x − x0 | < α et |f (x) − f (x0 )| ≥ .
On utilise cet énoncé pour chaque α = 1/n. On trouve, pour chaque n, un point xn ∈ E tel que
|xn − x0 | < 1/n et |f (xn ) − f (x0 )| ≥ . Alors la suite f (xn ), qui ne s’approche pas de f (x0 ), ne
converge pas vers f (x0 ).

1.4 Objectif
On voit que les notions comme la continuı̈té, la convergence de suites, les voisinages, les ouverts,
les fermés, ont un sens pour un sous-ensemble de R. Ils constituent le vocabulaire de la topologie.
L’objet de la suite du ce chapitre et de se familiariser avec les sous-ensembles de R, en accumulant
des exemples instructifs d’ouverts, de fermés, de suites, de fonctions.

2 Connexité
2.1 Peut-on être ouvert et fermé ?
Exemple 16 Soit E = R∗ = R \ {0}. Soit A =] − ∞, 0[. Alors A est à la fois ouvert et fermé.

En effet, A est ouvert dans R donc a fortiori dans E. Pour la même raison, son complémentaire
B = E \ A =]0, +∞[ est ouvert dans E, donc A est fermé dans E.

Exercice 17 Soit E un sous-ensemble de R. On suppose qu’il existe trois réels a < c < b tels que
a ∈ E, b ∈ E mais c ∈/ E. Montrer qu’il existe une partie A ∈ E qui est à la fois ouverte et fermée,
mais qui n’est ni vide ni égale à E.

Solution de l’exercice 17. Ouverts et fermés à la fois.


On pose A = E∩] − ∞, c[ et B = E∩]0, +∞[. Alors A et B sont ouverts dans E et sont
complémentaires l’un de l’autre (car c ∈
/ E), donc ils sont aussi fermés dans E. Par hypothèse,
A 6= ∅ et B 6= ∅, donc A 6= E.

Définition 18 On dit qu’une partie E de R est connexe si on ne peut pas la diviser en deux
ouverts disjoints et non vides.

Autrement dit, E est non connexe s’il existe A non vide et distinct de E, tel que A soit à la fois
ouvert et fermé dans E.

Proposition 19 Un sous-ensemble de R est connexe si et seulement si c’est un intervalle.

Preuve. D’après l’exercice 17, un sous ensemble connexe E de R a la propriété suivante : pour
tous a, b ∈ E, ]a, b[⊂ E. Autrement dit, il est convexe. D’après la Proposition 21 du chapitre sur
la borne supérieure, c’est un intervalle.
Inversement, soit I un intervalle. Soient A et B des parties non vides de I, disjointes, telles
que A ∪ B = I. Soit a ∈ A et b ∈ B. Quitte à échanger A et B, on peut supposer que a < b. On

3
considère c = sup{x ∈ A | x < b}. Comme a ≤ c ≤ b, c ∈ I. De l’une des caractérisation de la
borne supérieure (Proposition 15 du chapitre sur la borne supérieure), il résulte qu’il existe une
suite (xn ) de points de A qui converge vers c. D’autre part, ou bien c = b ∈ B, ou bien l’intervalle
]c, b[ est entièrement contenu dans B. Dans les deux cas, il existe une suite (yn ) de points de B qui
converge vers c. Par conséquent, l’un des ensembles A et B n’est pas fermé (Proposition 8).

2.2 Connexité et valeurs intermédiaires


Voici une seconde preuve de la connexité des intervalles. Soit I un intervalle. Supposons par
l’absurde que I = A ∪ B où A et B sont deux ouverts non vides de I. Définissons une fonction f
sur I en posant f (x) = 0 si x ∈ A et f (x) = 1 si x ∈ B. Alors f est continue sur I. En effet, la
continuı̈té en x0 ne dépend que des valeurs de la fonction au voisinage de x0 . Si x0 ∈ A, f = 0 au
voisinage de x0 , car A est ouvert, donc c’est un voisinage de x0 . Si x0 ∈ B, f = 1 au voisinage de
x0 car B est ouvert. Or f ne prend que les valeurs 0 et 1, cela contredit le théorème des valeurs
intermédiaires.

3 Description des ouverts


3.1 Des exemples
Toute réunion d’intervalles ouverts est un ouvert. On peut par exemple prendre une réunion
finie d’intervalles ouverts disjoints, comme

U1 = {x ∈ R | x(x2 − 1)(x2 − 4) > 0} =] − 2, −1[∪]0, 1[∪]2, +∞[,

où une réunion infinie comme


[ 1 1
U2 = {x ∈ R | cos(2πx) > 0} = ]k − , k + [.
4 4
k∈Z

On peut prendre des intervalles de plus en plus petits, comme


[
U3 = ]k − 3−|k|−1 , k + 3−|k|−1 [.
k∈Z

Bien qu’il y ait une infinité d’intervalles, la longueur totale de U3 vaut



X 2 X
2 3−|k|−1 = +2 3−k−1 = 1.
3
k∈Z k=1

Pour obtenir une famille d’intervalles ouverts disjoints qui contient tous les demi-entiers, il suffit
d’adjoindre à U3 l’ensemble
[ 1 1
V3 = ]k + − 3−|k|−2 , k + + 3−|k|−2 [
2 2
k∈N

et son symétrique par rapport à l’origine. Leur longueur totale n’excède pas 92 .
Pour couvrir tous les rationnels dont le dénominateur est 4, il faut encore ajouter
[ k 1 k 1
V4 = ] + − 3−|k|−3 , + + 3−|k|−3 [
2 4 2 4
k≥1

2
et son symétrique par rapport à l’origine. Leur longueur totale n’excede pas 27 . A l’étape suivante,
il faut se méfier, car 1/8 et 3/8 sont déjà couverts par un intervalle de U3 .
Ca se complique vite, mais on conçoit qu’on puisse fabriquer une famille d’intervalles ouverts
deux à deux disjoints qui contiennent tous les nombres rationnels dont le dénominateur est une

4
puissance de 2, mais dont la longueur totale reste finie. Pourtant, le complémentaire de la réunion
de ces intervalles ne contient aucun intervalle !
Question. Peut-on construire une réunion d’intervalles disjoints qui contient tous les rationnels,
mais dont la longueur totale reste finie ?

3.2 Composantes
L’ouvert U1 est formé de 3 morceaux, et chacun est un intervalle. Comment, dans un ouvert
quelconque, reconnaı̂tre les morceaux ?

Définition 20 Soit U un ouvert de R, et x ∈ U . On appelle composante de x dans U la réunion


de tous les intervalles ouverts contenant x et contenus dans U .

Exemple 21 Dans l’ouvert U1 , la composante de 1/2 est ]0, 1[.

Proposition 22 Soit U un ouvert de R. Alors U est la réunion d’une famille d’intervalles ouverts
deux à deux disjoints U1 , U2 , . . . , Uk , . . ., en nombre fini ou infini.

Preuve. Etant donné, x ∈ U , notons Cx la composante de x dans U . C’est un intervalle ouvert.


En effet, si y et z sont des points de Cx , avec y < z, alors [y, z] ⊂ Cx . En effet, la réunion de deux
intervalles contenant x est un intervalle contenant x. Or il existe des intervalles I contenant x et
y et J contenant x et z qui sont contenus dans U . Alors I ∪ J est un intervalle contenant x et
contenu dans U , donc contenu dans Cx . Comme il contient y et z, il contient [y, z]. Autrement
dit, Cx est convexe, c’est donc un intervalle. D’autre part, Cx est une réunion d’ouverts, donc un
ouvert. Autrement dit, Cx est le plus grand intervalle ouvert contenant x et contenu dans U .
Si x ∈ U et y ∈ Cx , alors x ∈ Cy . En effet,

y ∈ Cx ⇔ il existe un intervalle I contenant x et y et contenu dans U ⇔ x ∈ Cy ,

par symétrie. Comme Cx est le plus grand intervalle ouvert contenant x et contenu dans U , et
comme Cy est un intervalle ouvert contenant x et contenu dans U , Cy ⊂ Cx . Par symétrie, Cx = Cy .
Si x, y ∈ U et si Cx ∩ Cy 6= ∅, alors Cx = Cy . En effet, si z ∈ Cx ∩ Cy , alors Cz = Cx et
Cz = Cy .
On conclut que les composantes des éléments de U forment une famille d’intervalles deux à deux
disjoints, et dont la réunion est U , ce sont les composantes de U . Dans chaque composante, on
peut choisir un nombre rationnel. On peut donc numéroter les composantes par un sous-ensemble
A de Q. Comme Q est dénombrable, A l’est aussi. Ou bien A est fini, ou bien il peut être numéroté
par les entiers.

Corollaire 23 Soit  > 0. Il existe une famille d’intervalles ouverts deux à deux disjoints Uk ,
k = 1, 2, . . . telle que
– Tout nombre rationnelP∞est contenu dans l’un des Uk .
– La longueur totale k=1 long(Uk ) < .

Preuve. Soient (un )n∈N une suite de réels strictement positifs. Etant donnés deux entiers
p ∈ Z et q ≥ 1, soit Ip,q =] pq − u|p| uq , pq + u|p| uq [. Alors Ip,q est un intervalle ouvert de longueur
S
2u|p| uq . Soit U = p∈Z q≥1 Ip,q . Alors U est un ouvert de R qui contient tous les rationnels. La
somme des longueurs des intervalles Ip,q vaut
X X X
2u|p| uq ≤ 4 up uq = 4( up )2 .
p∈Z, q≥1 p≥0, q≥0 p∈N

D’après la proposition 22, U est la réunion d’une famille d’intervalles P ouverts deux à deux
disjoints Uk . Montrons que la somme des longueurs des Uk vaut au plus 4( p∈N up )2 . Pour chaque
k, notons Jk = {(p, q) | Ip,q ⊂ Uk }. Alors chaque couple (p, q) avec p ∈ Z et q ≥ 1 appartient à un et

5
un seul des Jk . En effet, comme Ip,q est un intervalle ouvert contenu dans U , il rencontre
S une et une
seule composante, dans laquelle il est entièrement contenu. Remarquons que Uk = (p,q)∈Jk Ip,q ,
donc
X
long(Uk ) ≤ 2u|p| uq ,
(p,q)∈Jk

d’où

X ∞
X X
long(Uk ) ≤ 2u|p| uq
k=1 k=1 (p,q)∈Jk
X
= 2u|p| uq
p∈Z, q≥1
X
≤ 4( up )2 .
p∈N

On choisit un = 1/2 2−n−2 , de sorte que up = 12 1/2 .


P
p∈N

3.3 Homéomorphismes
Définition 24 Soient E et E 0 deux sous-ensembles de R. Un homéomorphisme de E sur E 0 est
une fonction bijective f : E → E 0 telle que f et f −1 soient continues. S’il existe un homéomorphisme
de E sur E 0 , on dit que E et E 0 sont homéomorphes.

Exemple 25 La fonction f définie sur ]0, 1] par f (x) = 1/x est un homéomorphisme de ]0, 1] sur
[1, +∞[.

Exercice 26 Montrer que deux intervalles ouverts sont toujours homéomorphes. Montrer que deux
intervalles fermés bornés de longueurs non nulles sont toujours homéomorphes.

Solution de l’exercice 26. Intervalles homéomorphes.


Soit I =]a, b[ (resp. ] − ∞, b[, resp. ]a, +∞[) un intervalle ouvert. Soit f la fonction définie sur
−x
+bex
R par f (x) = aee−x +e x (resp. b − ex , resp. a + ex ). Alors f est un homéomorphisme de R sur I.
En effet, f est continue et f −1 , donnée par la formule
1 y−a
f −1 (y) = `n( ), resp. f −1 (y) = −`n(b − y), resp. f −1 (y) = `n(y − a),
2 b−y
est continue.
Soit I = [a, b] avec a < b. Soit f la fonction définie sur [0, 1] par f (x) = a(1 − x) + bx. Alors
f est un homéomorphisme de [0, 1] sur I. En effet, f est continue et f −1 , donnée par la formule
f −1 (y) = y−a
b−a , est continue.

Exercice 27 Montrer que si un sous-ensemble E de R est homéomorphe à un intervalle ouvert,


alors E est lui-même un intervalle ouvert.

Solution de l’exercice 27. Ensembles homéomorphes à un intervalle ouvert.


Soit f :]0, 1[→ E un homéomorphisme. D’après le théorème des valeurs intermédiaires, E =
f (]0, 1[) est un intervalle. Supposons que E est un intervalle fermé borné. D’après le théorème de
la borne atteinte appliqué à f −1 , ]0, 1[= f −1 (E) est fermé borné, contradiction. Supposons que E
est semi-fermé, de la forme [a, b[ ou [a, +∞[. Alors ]0, 1[\{f −1 (a)} est homéomorphe à l’intérieur
de E donc est connexe, cela contredit l’exercice 17. On conclut que E est un intervalle ouvert.

Théorème 1 Deux ouverts de R sont homéomorphes si et seulement si ils ont le même nombre
(fini ou infini) de composantes.

6
Preuve. Soient U et V des ouverts de R. Soit f : U → V un homéomorphisme. Alors f envoie
chaque composante de U sur une composante de V . En effet, d’après l’exercice 27, si Cx est une
composante de U , f (Cx ) est un intervalle ouvert contenu dans V , donc f (Cx ) ⊂ Cf (x) . De même,
f −1 (Cf (x) ) ⊂ Cx , donc f (Cx ) = Cf (x) . Comme f est bijective, si U a n composantes, V en a n
aussi. Si U a une infinité de composantes, V en a aussi une infinité.
Réciproquement, soient U et V des ouverts ayant le même nombre n de composantes. Numérotons
les composantes de U et de V : on obtient des intervalles ouverts U1 , . . . , Un , V1 , . . . , Vn . D’après
l’exercice 26, il existe un homéomorphisme fi : Ui → Vi . La fonction obtenue en juxtaposant les fi
est un homéomorphisme de U sur V .
Soient U et V des ouverts ayant chacun une infinité de composantes. On peut numéroter les
composantes de U par des entiers, U1 , U2 , . . . , Uk , . . ., et de même pour les composantes de V ,
V1 , V2 , . . . , Vk , . . .. De nouveau, on juxtapose des homéomorphismes fi : Ui → Vi . L’application S f
obtenue est un homéomorphisme de U sur V . En effet, la continuı̈té de f en un point x de Ui
ne dépend que des valeurs de f au voisinage de x. Or la composante Ui = Cx est un tel voisinage,
sur lequel f = fi , donc f est continue. Le même argument s’applique à la réciproque f −1 .

4 Un exemple de compact : l’ensemble de Cantor


Soit F un fermé de R. Son complémentaire est la réunion d’une famille dénombrable d’inter-
valles ]an , bn [ deux à deux disjoints. Supposons que F ne contienne aucun intervalle ouvert. On a
l’impression que F = {an | n ∈ N} ∪ {bn | n ∈ N} est dénombrable. Il n’en est rien. L’objet de cette
section est de présenter un contre-exemple.

4.1 Définition
On part de l’intervalle C0 = [0, 1]. On lui retire son tiers du milieu. On obtient C1 = [0, 1/3] ∪
[2/3, 1]. On recommence : on retire à chacun des deux intervalles constituant C1 son tiers du milieu.
On obtient C2 = [0, 1/9] ∪ [2/9, 1/3] ∪ [2/3, 7/9] ∪ [8/9, 1]. Et on recommence...
On peut définir les ensembles Cn , réunions de 2n intervalles fermés de même longueur, par
récurrence sur n : Cn+1 s’obtient en retirant son tiers du milieu à chacun des intervalles constituant
Cn .

Définition 28 On appelle ensemble de Cantor l’ensemble


\
C= Cn .
n∈N

4.2 Lien avec le développement en base 3


Le lemme suivant rappelle des propriétés du développement en base 3.
Lemme 29 Tout réel positif ou nul x peut s’écrire sous la forme

x = 3m bm + 3m−1 bm−1 + · · · + b0 + 3−1 a1 + 3−2 a2 + · · · ,

où les bi et les aj prennent les valeurs 0, 1 ou 2. Cette écriture est unique sauf pour l’ensemble
(dénombrable) des rationnels dont le dénominateur est une puissance de 3. Un tel nombre possède
exactement deux développements en base 3, l’un (qu’on baptise premier développement de x) pour
lequel an 6= 2, 2 = an+1 = an+2 = · · · , l’autre qui ne diffère du premier qu’à partir du n-ème
chiffre après la virgule, avec an remplacé par an + 1 et 0 = an+1 = an+2 = · · · .

Preuve. Exactement comme pour la base 10.

On peut décrire directement les ensembles Cn , grâce au développement en base 3 : Cn s’obtient


en gardant certains intervalles de la subdivision de [0, 1] en 3n intervalles égaux. Si x est l’origine
d’un intervalle de Cn+1 , alors

7
– ou bien x = x + 0.3−n−1 est déjà l’origine d’un intervalle de Cn+1 ,
– ou bien x = y + 2.3−n−1 où y est l’origine d’un intervalle de Cn+1 .
Par conséquent, un réel x est l’origine d’un intervalle de Cn si et seulement si il est de la forme
m3−n où m est un entier qui s’écrit en base 3 sous la forme m = b0 + 3b1 + 32 b2 + · · · + 3n−1 bn−1 ,
et les bi valent 0 ou 2 mais jamais 1. Autrement dit, x s’écrit x = 0.bn−1 bn−2 . . . b0 en base 3, avec
bi 6= 1 et b0 = 2.

Lemme 30 Cn est l’ensemble des réels x ∈ [0, 1] tels que dans au moins un des développements
de x en base 3, les n premiers chiffres après la virgule sont différents de 1.
C est l’ensemble des réels compris entre 0 et 1 dont au moins un développement en base 3 ne
comporte pas de 1, seulement des 0 et des 2.

Exemple 31 Par exemple, 1 = 0.222 . . ., 1/3 = 0.1000 . . . = 0.0222 . . . et 2/3 = 0.1222 . . . =


0.2000 . . . sont des éléments de A, mais pas 4/9 = 0.10222 . . . = 0.11000 . . ..

Preuve. Un réel x appartient à Cn si et seulement si il est compris entre un réel de la forme


y = 0.bn−1 bn−2 . . . b0 et y + 3−n , avec bi 6= 1 et b0 = 2. Autrement dit, si x 6= y + 3−n , le second
développement en base 3 de x commence par 0.bn−1 bn−2 . . . b0 , avec bi 6= 1. Si x = y + 3−n , alors
le premier développement en base 3 de x est 0.bn−1 bn−2 . . . b0 2222 . . ., avec bi 6= 1.
Soit x ∈ [0, 1] un nombre qui n’est pas un rationnel dont le dénominateur est une puissance de
3. Soit x = 0.a1 a2 . . . son unique développement en base 3. Alors x ∈ Cn si et seulement si les n
premiers chiffres a1 , . . . an sont différents de 1. x ∈ C si et seulement si ceci est vrai pour tout n,
i.e. tous les chiffres ai sont différents de 1.
Enfin, soit x ∈ [0, 1] un rationnel dont le dénominateur est une puissance de 3. Si son premier
développement x = a1 a2 . . . am 22222 . . . ne comporte pas de 1, alors x est l’extrémité (droite) d’un
intervalle de Cn pour tout n > m, donc x ∈ C. Si son second développement x = a1 a2 . . . am 00000 . . .
ne comporte pas de 1, alors x est l’origine d’un intervalle de Cn pour tout n > m, donc x ∈ C.
Réciproquement, si aucun des deux développements de x n’est sans 1, alors le second développement
de x comporte un 1 à la n-ème place qui n’est pas suivi d’une infinité de 0, et x est contenu dans
un tiers du milieu d’intervalle retiré de Cn−1 pour obtenir Cn , donc x ∈ / C.

4.3 Propriétés immédiates


1. C est fermé (car c’est une intersection de fermés).
2. C est borné (il est contenu dans [0, 1]).
3. C est compact (résulte des deux propriétés précédentes).
4. C est non dénombrable.
Le dernier point résulte du lemme 30, voir la preuve du théorème de Cantor sur la non
dénombrabilité de R.

4.4 Intérieur
Définition 32 Soit A ⊂ R. L’ intérieur de A est l’ensemble des points x ∈ A tels que A soit un
voisinage de x. Autrement dit, x est un point intérieur de A s’il existe  > 0 tel que ]x−, x+[⊂ A.

Exemple 33 Un ensemble A est ouvert si et seulement si l’intérieur de A, c’est A tout entier.


L’intérieur de [0, 1] est ]0, 1[.

Lemme 34 L’ensemble de Cantor C est d’intérieur vide.

Preuve. Par l’absurde. Soit x = 0.a1 a2 . . . un point intérieur de C. Soit n tel que [x, x + 3−n [⊂
A. Alors y = 0.a1 a2 . . . an 11111 . . . < x + 3−n , donc y ∈ A. Or y possède un seul développement,
qui comporte des 1, contradiction.

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4.5 Longueur
Lemme 35 Soit U = [0, 1] \ C. Alors la longueur de U (longueur cumulée des intervalles disjoints
composant U ) vaut 1.

Preuve. Soit `n la longueur de Un = [0, 1]\Cn . Comme Cn comporte 2n intervalles de longueur


−n
3 , `n = 1 − ( 23 )n tend vers 1. L’ouvert Un est composé de 2n − 1 intervalles. Un+1 s’obtient en
ajoutant à Un des intervalles disjoints entre eux et disjoints de Un . Or U est la réunion croissante
des Un , donc l’ensemble de ses composantes et la réunion des ensembles de composantes des Un .
Par conséquent, sa longueur totale est lim `n = 1.

4.6 Points isolés, points d’accumulation


Définition 36 Soit A ⊂ R. Un point a de A est dit isolé s’il existe  > 0 tel que ]a − , a + [∩A =
{a}. Un point qui n’est pas isolé est appelé point d’accumulation de A.

Exemple 37 Si A est un ensemble fini, alors tout point de A est isolé. Soit B = { n1 | n ∈ N}.
Alors tout point de B est isolé. En revanche, dans A = {0} ∪ B, les points de B sont isolés mais
0 ne l’est pas.

Lemme 38 Tout point de C est un point d’accumulation.

Preuve. Soit x un point de A, soit x = 0.a1 a2 . . . un développement en base 3 de x qui ne


comporte pas de 1. Si les ai ne valent pas tous 0 à partir d’un certain rang. Par conséquent, la
suite ai prend une infinité de fois la valeur 2, en des places notées φ(n), n ∈ N. Soit xn le nombre
obtenu en remplaçant aφ(n) par 0. Si tous les ai sont différents de 1, alors xn ∈ A, les xn sont tous
distincts et convergent vers x, donc x n’est pas isolé dans A. Sinon, les ai ne valent pas tous 2 à
partir d’un certain rang, on peut donc approcher x par des points de A obtenus en changeant un
0 en 2 de plus en plus loin dans le développement.

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