Redaction Definitive PDF
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Mustapha Mekki
Agrégé des Facultés de droit
Professeur à l’Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité
Directeur de l’IRDA
compromis, Petites affiches, juillet 2016, à paraître (avec N. Blanc, B. Haftel, R. Boffa, Fr. Bicheron, Ph. Chauviré,
St. Vernières, A. Guégan-Lécuyer, M. Jaouen, M. Mekki).
4 M. Lehot, Le renouvellement des sources internes du droit et le renouveau du droit de la responsabilité civile,
Thèse dactyl., Université du Maine, 2 t., dir. D. Mazeaud, 2001, n° 3, p. 15 : le droit de la responsabilité « constitue,
pour l’observateur attentif, une sorte de creuset dans lequel se fondent toutes les évolutions des sources du droit français et le renouveau de
ses sources peut apparaître comme une illustration ‘’en miniature’’ de celui des sources du droit en général ».
5 R. Saleilles, R. Saleilles, Le Code civil et la méthode historique, in Société d’études législatives, Le Code civil, 1804-
73 : « Comment comprendre l’évolution du droit de la responsabilité au début du XXe siècle sans connaître les révolutions industrielles de
l’époque ? ».
9 Sur cette question, Ph. le Tourneau, La responsabilité civile, droit prétorien ou droit doctrinal, Revue de droit
Le fruit d’un dialogue entre les forces créatrices du droit – Bien entendu, l’avant-projet est le
fruit d’une évolution et est naturellement le résultat d’un dialogue entre les sources (législateur,
juges, doctrine)11 qui a historiquement marqué la matière. Les sources d’inspiration, que confirme
la lecture attentive de l’avant-projet, sont trop connues pour s’y attarder : l’avant-projet de la
commission présidée par Pierre Catala et les travaux de la commission présidée par François
Terré structurent tant la forme que le fond de l’avant-projet. Cette influence était déjà présente
lors du rapport rédigé par MM. Béteille et Anziani et enregistré par le Sénat le 15 juillet 2009. La
même influence est visible au sein de la proposition de loi « Béteille » du 9 juillet 201012. Une
conciliation, a priori impossible, entre deux conceptions radicalement opposées de la
responsabilité défendues par le groupe Catala et le groupe Terré13, a été maladroitement tentée au
sein d’un projet de la Chancellerie, resté très discret, du 26 juillet 201214. L’avant-projet « Urvoas »
est de bien meilleure facture en réalisant un compromis plus satisfaisant entre les avant-projets
Catala et Terré, avec une nette préférence pour le premier. Enfin, la réforme proposée par le
nouveau garde des sceaux n’est pas franco-française car un regard a été également porté sur les
systèmes de nos voisins européens, en particulier le système juridique allemand, et sur le droit
savant, à savoir le cadre commun de référence et les principes du droit européen de la
responsabilité15.
L’esprit de l’avant-projet de loi : la forme – Dans son esprit, l’avant-projet poursuit les
objectifs propres à toute codification ou recodification : un droit plus accessible, plus intelligible,
renforçant la sécurité juridique et la prévisibilité du droit, confortant notamment le lien entre
responsabilité et assurance. Cette amélioration de l’accessibilité et de l’intelligibilité réside en
premier lieu dans la forme du nouveau sous-titre II du Code civil, forme qui comportait de
nombreuses faiblesses dans la proposition Béteille. La forme est un gage d’efficacité. Comme
l’affirme notre ami Philippe Brun, « s’il n’est évidemment pas indifférent que des parlementaires, après
audition d'acteurs très divers de la discipline, prennent des partis sur telle ou telle solution à faire prévaloir, il me
semble que plus encore, c'est sur le terrain de la « légistique », de la méthodologie et de l'architecture d'une
recodification que l'on devrait pouvoir attendre une réflexion, un travail préparatoire »16. Dans le même esprit,
le rapport de la Cour de cassation à propos de l’avant-projet Pierre Catala faisait observer que « a
priori la question du plan pourrait être considérée comme n’ayant qu’un intérêt relatif, mais la qualité d’un plan
10 Sur cette question, v. not. M. Mekki, La cohérence sociologique du droit de la responsabilité civile, in Etudes
offertes à G. Viney , LGDJ, 2008, p. 739 s.
11 Sur ce dialogue, M. Lehot, th. préc., spéc. n° 13, p. 29.
12 Proposition de loi Béteille du 9 juillet 2010 portant réforme de la responsabilité civile.
13 F. Terré (dir.), Pour une réforme du droit de la responsabilité, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2011, qui propose
2014, passim (analyse tout au long de l’ouvrage des différents apports de ce projet non publié).
15 Les principes du droit européen de la responsabilité civile, Vol. 11, Société de législation comparée, 2011.
16 Ph. Brun, Responsabilité civile : des évolutions nécessaires… tant attendues, Entretien ? Gaz. Pal., 21 janvier 2010,
n° 21, p. 8 et s.
participe aussi de l’intelligibilité et de l’accessibilité de la loi »17. Malgré quelques intitulés qui pourraient
être remaniés18, la construction du sous-titre II est globalement satisfaisante et très inspirée des
travaux de la commission présidée par Pierre Catala19.
17 https://www.courdecassation.fr/institution_1/autres_publications_discours_2039/discours_2202/travail_cour_10
699.html
18 Le Chapitre V sur les « principaux régimes spéciaux de responsabilité » comprend le droit des accidents de la
circulation qui se présente plus comme un régime d’indemnisation que comme un régime spécial de responsabilité.
19 Cinq chapitres composent ce sous-titre II : Chapitre I (dispositions préliminaires), chapitre II (les conditions de la
responsabilité civile), chapitre III (causes d’exonération et d’exclusion), chapitre IV (les effets de la responsabilité),
chapitre V (les principaux régimes spéciaux de responsabilité).
20 Conformément aux conclusions du rapport du Sénat : « Favorables à une réforme du droit de la responsabilité civile,
vos rapporteurs estiment que celle-ci ne doit pas conduire à remettre en cause les règles fondatrices de ce droit mais qu'elle doit être
l'occasion d'une consolidation des acquis jurisprudentiels, de clarifications et d'innovations destinées à améliorer les mécanismes de
réparation actuels », Rapport remis 15 juillet 2009, https://www.senat.fr/rap/r08-558/r08-5581.pdf.
21 Nombreuses sont les clarifications : disparition de la responsabilité du fait des bâtiments en ruine, disparition de la
responsabilité pour faute présumé en cas d’incendie, absorption de la responsabilité du fait des animaux par la
responsabilité du fait des choses, les conducteurs sont traités comme les autres victimes, les accidents de chemins de
fer et de tramway intègrent le droit des accidents de la circulation…
22 V. not. M. Mekki, La valse parlementaire du préjudice écologique, R.D.I., n° 5, mai 2016, p. 244.
milieu du gué. L’avant-projet ne cède pas à l’idéologie de la réparation23 pas plus qu’il ne cède à
l’idéologie de la culpabilisation. Comme le souligne le communiqué de presse qui accompagne le
discours du ministre de la justice, le droit de la responsabilité civile est « un sujet sensible qui touche
aux intérêts fondamentaux des citoyens mais aussi a de nombreuses incidences sur la compétitivité de nos
entreprises ». Réformer la responsabilité civile, c’est rechercher un fragile équilibre entre l’utilité
économique et la justice sociale. L’objectif est de concilier une réparation efficace des dommages
les plus graves et une responsabilisation des acteurs, notamment économiques. Au-delà, l’objectif
poursuivi par la Chancellerie est des plus ambitieux : construire un modèle français de droit de la
responsabilité civile, modèle qui se caractérise par la diversité et la complémentarité de ses
fonctions.
Bien évidemment, l’avant-projet n’est pas parfait. Le principe même de certaines dispositions
peut être discuté : a-t-on réellement besoin de définir le préjudice et la faute ? Les dispositions
préliminaires n’auraient-elles pas pu être enrichies ? L’avant-projet ne peut-il pas aller plus loin
sur la fonction préventive de la responsabilité civile ? Si on entre dans le détail des dispositions,
de nombreuses corrections seraient opportunes et la consultation publique ne manquera pas de
les mettre en lumière : l’exonération partielle en cas de faute lourde en matière de dommage
corporel (art. 1254 in fine) ; la consécration d’une « causalité collective » lorsque le dommage est
causé par un groupe, dangereuse pour l’exercice des libertés fondamentales (art. 1240) ; la
disparition malheureuse de la distinction entre obligations de moyens et de résultat ; le manque de
cohérence des textes de l’avant-projet avec ceux de l’ordonnance du 10 février 2016 (notamment
la référence au « coût manifestement déraisonnable », art. 1261) ; la confusion maladroite entre
amende civile, dommages et intérêts restitutoires et dommages et intérêts punitifs (art. 1266)…
L’avant-projet laisse également sous silence des questions fondamentales qui mériteraient d’être
intégrées au sein du Code civil : la responsabilité du fait des personnes en état de dépendance
économique, la responsabilité des entreprises exerçant une activité dangereuse, la responsabilité
professionnelle, la référence au principe de précaution, un ensemble de précisions sur le rôle du
juge (faculté, obligation, règles de procédure civile…). Enfin, en ouvrant la consultation publique,
les professionnels ne manqueront pas d’attirer l’attention du législateur sur les obstacles
économiques de la réforme, notamment la prise en charge économique de toutes les victimes
d’accidents de la circulation y compris les conducteurs.
Quoi qu’il en soit, l’avant-projet de réforme est sur la bonne voie. La construction d’un modèle
français suggéré par l’avant-projet suppose de revenir à ce qui constitue la carte génétique de la
responsabilité civile : ses fonctions. Ces dernières sont multiples mais peuvent être ramenées à
deux principaux axes. Il s’agit, en premier lieu, de la fonction indemnitaire de la responsabilité
civile qui fait l’objet d’une forte rationalisation (I) et, en second lieu, de la fonction normative qui
fait l’objet d’une importante densification (II).
23L. Cadiet, Sur les faits et les méfaits de l'idéologie de la réparation, in Le juge entre deux millénaires, Mélanges P. Drai, Dalloz,
2000, p. 495-510, spéc., p. 502.
actuelle et certaine d’une éventualité favorable »24. Cette définition, qui exclut a priori la prise en charge de
la perte de chance d’éviter un dommage ou d’un simple risque de dommage 25 , remettrait
notamment en question toute la jurisprudence construite autour du manquement à l’obligation
d’information. A moins de considérer que l’évitement d’un mal est une « éventualité favorable » ?
Cette position jure avec celle de l’avant-projet Catala qui a refusé pour sa part de prendre position
et s’est focalisé sur l’évaluation : l’article 1346 prévoit que « la perte d’une chance constitue un préjudice
réparable distinct de l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée »26.
Au-delà de la consolidation des acquis jurisprudentiels27, l’avant-projet rationalise la fonction
indemnitaire tant en ce qui concerne la créance d’indemnisation, en améliorant le sort des
victimes, qu’en ce qui concerne la dette de réparation, en étendant le champ des responsables.
jour du jugement, la prise en compte de l’évolution du préjudice, la distinction de chaque chef de préjudice qui sera
évalué distinctement, l’absence de consécration d’une théorie de la causalité, l’absence de prise en considération des
prédispositions de la victime, liberté de la victime de disposer des sommes allouées comme elle l’entend, sauf
circonstances exceptionnelles, etc.
28 Sur ce débat, v. not. Ph. Malinvaud, D. Fenouillet et M. Mekki, Droit des obligations, op. cit., n° 757 et s., p. 593 et
s.
29 V. par ex. Cass. civ. 2e, 20 décembre 1966, D. 1967, p. 169 : « Le propre de la responsabilité est de rétablir, aussi
exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait
trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu ».
condition qui relève des règles de procédure civile. En ce sens, On pourrait admettre l’éviction
conventionnelle d’une telle réparation en nature. En outre, cette réparation en nature, par
analogie avec l’exécution en nature, est exclue en cas d’impossibilité30 ou lorsqu’elle « porterait
atteinte à une liberté fondamentale ou entrainerait pour le responsable un coût manifestement déraisonnable au
regard de son intérêt pour la victime ». (rappr. art. 1221 nouv. Code civil). Il serait opportun de mettre
ce texte en cohérence avec l’article 1221 nouveau du Code civil. Cela supposerait d’intégrer
l’hypothèse de la liberté fondamentale dans la catégorie des « impossibilités » et de reprendre
exactement la même formule pour la disproportion, à savoir une « disproportion manifeste entre
le coût pour » le responsable (débiteur) et l’intérêt pour la victime (le créancier). Cette référence à
la disproportion d’une réparation en nature est déjà au fondement de récentes décisions de la
Cour de cassation31. Enfin, la victime peut prendre elle-même les mesures de réparation en nature
avec l’autorisation préalable du juge (art. 1261 al. 3) : « (…) le juge peut également autoriser la victime à
prendre elle-même les mesures de réparation en nature aux frais du responsable ». On pourrait ici à l’instar de
l’article 1222 du nouveau Code civil envisager une réparation en nature aux frais du responsable
hors le juge, conditionnée à une mise en demeure préalable et dans le respect des limites
évoquées à l’alinéa 2 de l’article 1261.
L’avant-projet établit, sans le dire formellement, une forme de hiérarchie entre les préjudices,
attribuant à ceux résultant d’un dommage corporel un régime plus favorable aux victimes.
Faciliter l’indemnisation du dommage corporel, c’est aussi contribuer à réduire la torsion des
notions fondamentales de la responsabilité civile pour indemniser les préjudices les plus graves et
restaurer dans le même temps la fonction normative de la responsabilité. Les règles dérogatoires
applicables au dommage corporel sont légion.
Tout d’abord, le préjudice résultant d’un dommage corporel quitte la sphère du contrat
conformément aux vœux du Doyen Jean Carbonnier : « c’est artifice que de faire entrer (au sein du
contrat) des bras cassés et des morts d'hommes »36. En effet, et à l’instar du projet Terré, l’avant-projet
dispose que le dommage corporel relève de la responsabilité extracontractuelle (art. 1233) : « le
dommage corporel est réparé sur le fondement des règles de la responsabilité extracontractuelle, alors même qu’il
30 Hypothèse que ne prévoit pas l’article 51 du projet Terré.
31 v. not. Cass. 3ème civ., 15 oct. 2015, 16 sept. 2015, 21 janv. 2016, Gaz. Pal. 17 mai 2016, n° 18, p. 23 et s., obs. M.
Mekki.
32 Très inspiré des projets Catala (art. 1380 et s.) et Terré (art. 65 et s.).
33 Rien cependant sur le préjudice d’affection résultant d’une atteinte au bien, article 67 du projet Terré.
34 Pourquoi ne pas avoir saisi cette occasion d’intégrer cette catégorie tellement vaste aujourd’hui des biens
remplacement sans tenir compte de la vétusté du bien. En cas d’impossibilité, l’indemnité est égale à la valeur du bien
au jour de la décision du juge dans son état antérieur au dommage, déduction faite de la valeur résiduelle du bien
endommagé s’il n’est pas restitué. Enfin, l’indemnité comprend « la privation de jouissance du bien endommagé, les pertes
d’exploitation ou tout autre préjudice ».
36 J. Carbonnier, Droit civil, les Obligations, Tome IV, n° 114.
serait causé à l’occasion de l’exécution du contrat » 37 . Sortir le dommage corporel de la sphère
contractuelle, ce que n’envisage pas le projet Catala, garantit un traitement égalitaire des victimes
et évite une mise en œuvre variable de ce qui relève tout de même de la dignité humaine ! Le
dommage corporel bénéficie au sein de la responsabilité extracontractuelle d’un régime propre et
extrêmement favorable aux victimes (art. 1267 et s.)38, régime applicable aux deux ordres de
juridiction et à toute transaction. Parmi les principales dispositions favorables aux victimes, on
peut citer l’éviction du caractère partiellement exonératoire de la faute de la victime, sauf faute
lourde en cas de dommage corporel (art. 1254). On peut regretter cette réserve faite en cas de
faute lourde. La faute ne devrait jamais être une cause d’exonération partielle en cas de dommage
corporel, quelle que soit la gravité de la faute, dès lors qu’elle ne répond pas aux caractères de la
force majeure. Parmi les nombreuses dispositions, une place centrale est accordée à l’évaluation
des préjudices. Cette rationalisation devrait renforcer l’efficacité et la légitimité du droit à
réparation. A vrai dire, ce travail de rationalisation a débuté principalement avec le rapport remis
en 2003 par Yvonne Lambert-Faivre 39 , s’est poursuivi avec la nomenclature des chefs de
préjudice susceptibles de résulter d’un dommage corporel élaborée par la Commission présidée
par J.-P. Dintilhac (rapport juillet 2005)40, pour aboutir notamment à la loi du 21 décembre 2006
qui modifie les modalités du recours des tiers payeurs en s’inspirant des conclusions du rapport
Lambert-Faivre et en imposant en particulier l’imputation de ces recours « poste par poste sur les
seules indemnités qui réparent les préjudices que les tiers payeurs ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à
caractère personnel ». L’objectif, depuis 2003, est de mettre en place un système d’indemnisation des
dommages corporels plus prévisible, plus efficace et plus juste. L’avant-projet de la Chancellerie
se situe dans ce même mouvement en proposant la mise en place de directives, gages d’un
traitement égalitaire : nomenclature, barème médical, référentiel d’indemnisation sont au service
de cette finalité. Pour les préjudices résultant d’un dommage corporel, l’avant-projet propose de
généraliser l’utilisation d’une nomenclature non limitative : « Les préjudices patrimoniaux et
extrapatrimoniaux résultant d’un dommage corporel sont déterminés, poste par poste, suivant une nomenclature
non limitative des postes de préjudices fixée par décret en Conseil d’Etat » (art. 1269). Il y a de grandes
chances que la « nomenclature Dintilhac » soit prise comme référent car elle est déjà utilisée
comme telle par les juridictions judiciaires 41 et, depuis récemment, par les juridictions
administratives42. Cette nomencalture, dans le respect du principe de réparation intégrale, ne
fournirait pas une liste limitative. Il sera toujours possible d’obtenir réparation de nouveaux
préjudices hors nomenclature. Sur ce point, le projet est assez proche de la proposition de loi
Béteille (art. 1386-28). Un barème médical unique indicatif permettra également de mesurer le
déficit fonctionnel (art. 1270 inspirée de l’art. 1379-1 projet Catala), disposition moins ambitieuse
que le projet Terré qui souhaitait étendre ce barème médical à tous les préjudices physiques ou
psychiques (art. 56 Projet Terré). Dans le même esprit d’égalité de traitement, l’avant-projet
envisage, avec hésitation (alinéa entre crochets), la mise en place d’un référentiel indicatif
d’indemnisation pour les préjudices extrapatrimoniaux fixé par décret en Conseil d’Etat, inspiré
de l’article 58 du projet Terré, référentiel réévalué en fonction de l’évolution de la moyenne des
indemnités accordées par les juridictions. A cette fin, l’article 1271 alinéa 2, qui lui n’est pas entre
crochets, prévoit de manière pertinente l’établissement d’une base de données des décisions
37 A l’occasion de l’exécution du contrat manque de précision. On pourrait proposer : « « est réparé sur le fondement des
règles de la responsabilité extracontractuelle, alors même que la victime serait liée au responsable par un contrat ».
38 Ph. Brun, Le dommage corporel en droit français, in Le préjudice : entre tradition et modernité, Journées franco-
prévoyait une imputation poste par poste avec élaboration d’un « référentiel indicatif national, statistique et évolutif »
pour évaluer le préjudice fonctionnel ou biologique correspondant à la perte des capacités physiques.
40 Nomenclature qui est formellement citée par de nombreuses décisions judiciaires et administratives.
41 Cass. 2ème civ., 12 mai 2011, Bull. civ. II, n° 106. V. égal., H. Adida-Canac, Le contrôle de la nomenclature
La dette de réparation renvoie à ceux qui devront prendre en charge l’indemnisation des victimes.
L’avant-projet non seulement étend la catégorie des potentiels responsables mais il facilite
également la preuve des conditions de leur responsabilité. Pour ce faire, l’avant-projet décide
d’intégrer au futur Code civil les interprétations créatrices de la jurisprudence et de corriger
certaines imperfections.
proposition 39.
45 La version antérieure au 12 mai 2016 était plus riche car les titulaires de l’action étaient plus nombreux, sur cette
version antérieure, M. Mekki, La valse parlementaire du préjudice écologique, R.D.I., n° 5, mai 2016, p. 244.
46 En ce sens les observations du groupe de travail de la Cour de cassation à propos du projet Catala : « Le groupe en
souhaite donc le maintien, estimant que sa logique indemnitaire, en l’absence de dérive flagrante, est toujours
importance excessive au simple usage ou du moins n’insiste pas sur son caractère secondaire par
rapport aux autres éléments constitutifs que sont le contrôle et la direction. Les troubles
anormaux du voisinage sont consacrés au sein du futur Code civil (art. 1244). Dans la même
logique indemnitaire, il est regrettable que le cas des voisins occasionnels ne soit pas clairement
maintenu. Au lieu de cela, l’article 1244 évoque le cas de celui « qui exerce les pouvoirs du maître
d’ouvrage » ! Cette formule inclut-elle le cas des entrepreneurs ? La jurisprudence est parvenue à
un équilibre en exigeant que l’entrepreneur ou son sous-traitant, effectivement à l’origine des
troubles47, en répondent. Si ce cas est maintenu, le texte devrait être plus clair en ce sens. A cet
ensemble, s’ajoutent les différents cas de dommages imputés à autrui (art. 1245 et s.) : les
dommages causés par des mineurs sont imputés aux parents sans condition de cohabitation, au
tuteur qui en a la charge et à ceux chargés par décision judiciaire ou administrative d’organiser et
de contrôler à titre permanent leur mode de vie (art. 1246) ; les dommages causés par des majeurs
sont imputés à ceux chargés par décision de justice ou administrative d’organiser et de contrôler
son mode de vie à titre permanent (art. 1247). Pour les enfants placés par décision judiciaire ou
administrative, il conviendrait de réserver les hypothèses où la compétence revient aux
juridictions administratives48. Un doute persiste enfin sur « Les autres personnes qui par contrat
assument, à titre professionnel, une mission de surveillance d’autrui, répondent du fait de la personne physique
surveillée à moins qu’elles ne démontrent qu’elles n’ont pas commis de faute » (art. 1248). Cette présomption
de faute vise-t-elle uniquement les associations à qui des personnes difficiles peuvent être
confiées par contrat ou doit-on y intégrer la garde professionnelle d’enfants par des personnes
physiques ? Que fait-on des baby-sitter régulières et officiellement rémunérés ? A partir de quand,
lorsque la personne est confiée à une association, par exemple, la mission de surveillance prend-
elle fin ?
Si globalement le sort de la victime est amélioré, la conclusion est plus mitigée s’agissant de la
responsabilité du commettant du fait du préposé. L’article 1249 consacre la responsabilité du
commettant du fait du préposé et consolide la jurisprudence en se référant à l’apparence de
préposition et à l’abus de fonction composé des trois conditions cumulatives. La jurisprudence
« Costedoat » est cependant considérablement tempérée, l’article 1249 al. 4 disposant que « le
préposé n’engage sa responsabilité personnelle qu’en cas de faute intentionnelle, ou lorsque, sans autorisation, il a
agi à des fins étrangères à ses attributions ». On peut regretter que la responsabilité subsidiaire du
préposé n’ait pas été prévue en cas d’insolvabilité du commettant. On ferait certes du salarié le
garant de l’employeur mais l’intérêt de la victime ne devrait-il pas l’emporter, du moins en cas de
dommage corporel 49 ? Enfin, et de manière plus générale, toujours dans cette logique
indemnitaire, on peut regretter que l’article 1245 laisse entendre que le juge ne peut créer d’autres
cas d’imputation du dommage causé pour autrui que ceux prévus par la loi50.
La rationalisation consiste également à rendre l’identification des responsables plus prévisible. Un
nouvel article 1603 al. 2 du Code civil, consacrant la jurisprudence, devrait disposer en ce sens
que « les obligations du vendeur peuvent être invoquées par les acquéreurs successifs du bien, fut-il incorporé à un
autre, et ce quel que soit le contrat à l’origine de l’acquisition, dans la double limite des obligations du vendeur et
des droits de l’acquéreur ». L’article appartenant au droit de la vente signifie-t-il qu’il condamne le cas
des chaînes hétérogènes non translatives ? Une précision s’impose. Enfin, la prévisibilité est
d’actualité et que sa suppression serait de nature à créer un vide juridique dans certaines situations et se heurterait à
une vive opposition de la part des consommateurs notamment ».
47 Cass Civ 3ème 30 juin 1998 Bull n° 144 ; 11 mai 2000 Bull n° 106 ; 24 septembre 2003 Bull n°160 ; 13 avril 2005
Cour de cassation.
50 Art. 1245 : « On est responsable du dommage causé par autrui dans les cas et aux conditions posées par les articles
1246 à 1249 ».
encore renforcée par la consécration légale des règles jurisprudentielles relatives à la contribution
à la dette au sein de l’article 1265.
51 Conformément aux vœux du groupe de travail constitué par la Cour de cassation à propos du projet Terré,
https://www.courdecassation.fr/IMG/reforme-droit-RC.pdf
52 Cass 2ème civ., 19 mai 1976, Bull. civ. II, n° 165 et 166 (activités de chasse) ; Cass. 2ème civ., 22 mai 1995, Bull. civ.
d'une véritable «responsabilité préventive» fondée notamment sur le principe de précaution, sur cette question, v. D.
Mazeaud, Responsabilité civile et précaution, in La responsabilité civile à l'aube du XXIe siècle, Bilan prospectif,
colloque organisé par la faculté de droit et d'économie de l'Université de Savoie et le Barreau de l'Ordre des avocats
de Chambéry, 7 et 8 décembre 2000, Resp. civ. et assur., no 6 bis, juin 2001, hors-série, no 14, p. 72-76. La fonction
normative de la responsabilité civile revêt également un aspect positif en assurant l'affirmation de certains droits
subjectifs, sur cette idée, v. G. Viney, Traité de droit civil sous la direction de Jacques Ghestin, Introduction à la
responsabilité, 2e éd., LGDJ, 1995, spéc., no 43, p. 67 et s.
individuelle assure le châtiment du responsable55. Socialement, elle est un guide pour le bon
citoyen en maintenant un équilibre entre liberté et devoir56. Le projet entend densifier cette
fonction normative maltraitée par l’idéologie de la réparation57 et, ce, de trois manières : en
préservant la fonction morale de la responsabilité civile (A) et, s’agissant de la fonction
normative, en enrichissant la fonction préventive (B) et la fonction punitive (C).
La faute au sein des autres faits générateurs de responsabilité – Cette fonction morale de la
faute irradie l’ensemble des faits générateurs. De manière directe, l’imputation du dommage causé
par autrui est conditionnée pour tous les cas à l’établissement d’un fait générateur de
responsabilité, notamment une faute : « Cette responsabilité suppose la preuve d’un fait de nature à engager
la responsabilité de l’auteur direct du dommage » (art. 1245 al. 2 ; dans le même sens, Proposition
Béteille art. 1386-11). Cette harmonisation des « responsabilités du fait d’autrui » est opportune et
mettrait fin à la différence de traitement très critiquable qui existe actuellement entre la
responsabilité des parents, un simple fait causal de l’enfant mineur suffit, et les autres cas de
responsabilité du fait d’autrui61.
La faute est également sous-jacente à la notion d’anormalité au sein de la responsabilité du fait
des choses : anormalité de la « position, de l’état ou du comportement de la chose ». La fonction morale de
la faute persiste au sein des causes d’exonération, la faute de la victime étant toujours
partiellement exonératoire en matière contractuelle et extracontractuelle. Dans le même esprit, la
faute prive les clauses exonératoires de toute efficacité : « En matière extracontractuelle, on ne peut
exclure ou limiter la réparation du préjudice qu’on a causé par sa faute » (art. 1282). Surtout la fonction
morale de la faute s’enrichit d’une nouvelle déclinaison : l’obligation de minimiser le dommage
55 Sur ce point, v. G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, 4e éd., LGDJ, 1949, réimpression 1996, nos
112 et s., p. 198 et s.
56 A. Tunc, La responsabilité civile, op. cit., no 124, p. 99.
57 Sur cette problématique, v. M. Mekki, Les fonctions de la responsabilité civile à l’épreuve des fonds
518. Adde, Y. Flour, Faute et responsabilité civile : déclin ou renaissance ?, Droits, t. 5, 1987, p. 29-43
61 Cass. 2ème civ., 10 mai 2001, Bull. civ. II, n° 96 ; D. 2002, somm. comm., p. 1315, obs. D. Mazeaud.
limitée à la seule responsabilité contractuelle62. L’article 1263 énonce qu’« en matière contractuelle, le
juge peut réduire les dommages et intérêts lorsque la victime n’a pas pris les mesures sûres et raisonnables,
notamment au regard de ses facultés contributives, propres à éviter l'aggravation de son préjudice ». Cette
disposition est la traduction d’un devoir général de prudence et de diligence appliqué à la
victime63. Seules les mesures destinées à éviter l’aggravation du préjudice sont visées et non les
mesures qui permettraient d’en réduire l’étendue. Cette restriction est conforme au principe de
réparation intégrale. Le projet Catala avait en revanche proposé une obligation s’étendant à la
responsabilité extracontractuelle et portant également sur la réduction du dommage (art. 1373).
Certains pourraient, au soutien de cette conception extensive en matière contractuelle, défendre
l’idée que la bonne foi, devenue un principe directeur au sein du futur article 1104 du nouveau
Code civil, pourrait fonder une obligation de minimiser le dommage comprenant les mesures
destinées à réduire le dommage causé.64 Cependant, cette application généreuse de la bonne foi
est excessive car elle est surtout une prime à la mauvaise foi. En d’autres termes, cela reviendrait à
excuser la mauvaise foi de l’un par l’absence de bonne foi de l’autre. La position de l’avant-projet
peut donc être approuvée. En revanche, on peut regretter que le projet ne généralise pas cette
obligation à tous les préjudices matériels et limite cette obligation à la seule responsabilité
contractuelle.
Quel est avenir pour la faute en matière contractuelle ? – En matière contractuelle, l’article
1250 est moins claire sur la place qu’il convient d’accorder au fondement de la faute. Il est prévu
que « Toute inexécution d'une obligation contractuelle ayant causé un dommage au créancier oblige le débiteur à en
répondre ». Faut-il comprendre que la faute n’est plus une condition de la responsabilité
contractuelle ? L’inexécution suffirait alors et toutes les obligations contractuelles deviendraient
des obligations de résultat. Cette distinction avait pourtant été conservée et définie par le projet
Catala et reprise par la proposition Béteille (art. 1386-14). Cette reprise n’était que la consécration
d’une jurisprudence qui s’appuie sur les articles 1137 et 1147 du Code civil actuel. Cette
disparition de l’obligation de moyens n’est pas réellement une surprise à la lecture de l’article
1231-1 nouveau issu de l’ordonnance du 10 février 2016 qui reprend les termes de l’article 1147
du Code civil actuel mais ne fait pas mention des dispositions de l’article 1137. Le doute persiste.
La disparition de cette summa divisio qui structure depuis des décennies la responsabilité
contractuelle mérite d’être plus clairement affirmée.
Quant à la prévisibilité des parties au contrat, elle est mieux respectée en remettant en cause le
principe d’identité entre manquement contractuel et faute délictuelle, remise en cause d’autant
plus pertinente que la faute contractuelle distincte de l’inexécution semble avoir disparu. L’article
1234 dispose que « Lorsque l'inexécution d'une obligation contractuelle est la cause directe d'un dommage subi
par un tiers, celui-ci ne peut en demander réparation au débiteur que sur le fondement de la responsabilité
extracontractuelle, à charge pour lui de rapporter la preuve de l'un des faits générateurs visés à la section II du
chapitre II ». L’article exige du tiers qui agit contre une partie au contrat qu’il apporte la preuve
d’une faute extracontractuelle distincte. Cette disposition remettrait opportunément en cause le
principe posé par l’arrêt rendu en Assemblée plénière du 6 octobre 2006, peu respectueux du
principe de l’effet relatif des conventions et de la prévisibilité des parties au contrat65. A la
différence du projet Catala et de la proposition Béteille66, aucune option n’est accordée au tiers.
62 F. Leduc, L’obligation de minimiser le dommage, in Le préjudice : entre tradition et modernité, Regards croisés franco-japonais, sous
la dir. D. Mazeaud et M. Mekki, Bruylant, 2015, p. 127 et s.
63 V. déjà, art. 77 CVIM et art. 9.505 Principes d’Unidroit.
64 En ce sens, M. Bacache, Lobligation de minimiser son dommage, Rapport français, Séminiaire Paris I,/Louvain, n°
9 et s.
65 Ass. plén. 6 oct. 2006, RDC 2007, p. 379 s., obs. J.-B. Seube ; D. 2007, p. 2897 s., obs. Ph. Brun et P. Jourdain ; D.
directe d'un dommage subi par un tiers, celui-ci peut en demander réparation au débiteur sur le fondement des dispositions de la présente
section. Il est alors soumis à toutes les limites et conditions qui s'imposent au créancier pour obtenir réparation de son propre dommage.
B. Renforcer la fonction préventive
Il peut également obtenir réparation sur le fondement des règles de la responsabilité délictuelle, en rapportant la preuve de l'un des faits
générateurs mentionnés à la section II du présent chapitre ».
67 La mise en place d’actions préventives est répandue en Europe (Allemagne, Suisse, Autriche, Portugal….).
68 C. Sintez, La sanction préventive en droit de la responsabilité civile, Dalloz, 2010.
69 V. déjà, art. 1385 proposition de loi Béteille et Catala art. 1344 : « Indépendamment de la réparation du dommage
éventuellement subi, le juge prescrit les mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le trouble illicite
auquel est exposé le demandeur. », sur les critiques formulées par le groupe de travail constitué par la Cour de
cassation, https://www.courdecassation.fr/IMG/reforme-droit-RC.pdf
70 C. Bloch, La cessation de l'illicite. Recherche sur une fonction méconnue de la responsabilité civile, Dalloz, coll. Nouvelle bibl. de
administratifs dans la prévention des dommages, Préf. G. Viney, LGDJ, 2009, n° 456 et s.
72 C. Bloch, th. préc., n° 10-1, p. 22 et 23 : « une distinction s’impose naturellement entre les sanctions qui agissent directement sur le
fait illicite actuel pour le supprimer, et les sanctions indirectes, qui ne s’attaquent pas au fait illicite mais à ses conséquences – réparation
– ou à son auteur – peine (…) Il n’est pas pour autant dans nos intentions de nier que la cessation de l’illicite participe aussi,
indirectement, à la fonction réparatrice de la responsabilité civile : d’évidence, il n’est pas meilleur moyen de prévenir les conséquences que
de faire cesser l’activité dommageable dans laquelle elles prennent leur source. Mais ce constat n’enlève rien au fait qu’en prenant pour cible
le fait illicite plutôt que ses effets, cette sanction ne fait pas que prévenir la réalisation du dommage. Elle met le fait éventuellement
dommageable en conformité avec la règle de droit. Ce faisant, elle joue une fonction de rétablissement de licéité qui est étrangère à la
réparation du dommage »
73 Art. 1369-1 projet Catala : « Lorsque le dommage est susceptible de s'aggraver, de se renouveler ou de se perpétuer, le juge peut
ordonner, à la demande de la victime, toute mesure propre à éviter ces conséquences, y compris au besoin la cessation de l'activité
dommageable ».
74 Article 2 projet Terré : « Indépendamment de la réparation du dommage éventuellement subi, le juge prescrit les mesures
raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le trouble illicite auquel est exposé le demandeur ».
disposition risque probablement de poser des problèmes lors de sa mise en œuvre en raison des
standards auxquels elle fait appel : les « mesures raisonnables » supposent-elles un contrôle de
proportionnalité ? Devra-t-on prendre en compte le coût manifestement disproportionné pour le
défendeur ? Que faut-il entendre par trouble illicite ? Quant au juge, la cessation de l’illicite est
pour lui une simple faculté, à la différence de ce que propose le projet Terré (art. 2). Cette
correction est inspirée probablement des observations formulées par le rapport de la Cour de
cassation sur le projet Terré75. On peut le regretter car il devrait appartenir au juge de rétablir la
légalité en supprimant la cause d’un trouble illicite, si les conditions sont réunies. Ce devrait donc
être une obligation et non une simple faculté76. En effet, lorsqu’elle était rattachée à la réparation
en nature le juge avait un pouvoir d’appréciation et pouvait y substituer l’attribution de
dommages et intérêts. Cependant, dès lors qu’elle devient une action autonome ce pouvoir
d’appréciation ne se justifie plus. Reste à interpréter la partie de l’article laissée entre crochets par
les rédacteurs de la Chancellerie : « seuls les faits contrevenant à une règle de conduite imposée par la loi ou
par le devoir général de prudence ou de diligence peuvent donner lieu à de telles mesures ». Si cette partie devait
être conservée, elle réduirait le champ d’application de la cessation de l’illicite. En ajoutant cette
formule entre crochets, on limiterait la cessation de l’illicite à l’établissement d’une faute.
Pourtant, la cessation de l’illicite pourrait être utile au-delà du seul champ des actes fautifs.
Prenons l’exemple des troubles normaux du voisinage qui ne se réduisent pas à l’existence d’une
faute. Que l’on songe encore à la possibilité d’exercer une telle action en cessation de l’illicite
contre un tiers non fautif tel qu’un hébergeur internet.
En définitive, certes le projet n’est pas parfait et la consultation publique est l’occasion de
débattre des principes et des règles qui dérangent. Par exemple, pourquoi ne pas avoir consacré
des dispositions spécifiques sur la responsabilité des entreprises, sur les cas de dépendance
économique en améliorant et en perfectionnant les propositions du projet Catala81 ? Même le
projet Terré comprend une disposition sur ce type de responsabilité (art. 7 al. 2). La réforme de
la responsabilité civile pourrait aussi être l’occasion de mettre en place sinon une véritable
responsabilité civile professionnelle (notaire, avocat, commissaire-priseur…) du moins des règles
78 Art. 54 : « Lorsque l’auteur du dommage aura commis intentionnellement une faute lucrative, le juge aura la faculté d’accorder, par
une décision spécialement motivée, le montant du profit retiré par le défendeur plutôt que la réparation du préjudice subi par le demandeur.
La part excédant la somme qu’aurait reçue le demandeur au titre des dommages-intérêts compensatoires ne peut être couverte par une
assurance de responsabilité ».
79 Art. 1371 : « L’auteur d'une faute manifestement délibérée, et notamment d'une faute lucrative, peut être condamné, outre les
dommages-intérêts compensatoires, à des dommages-intérêts punitifs dont le juge a la faculté de faire bénéficier pour une part le Trésor
public. La décision du juge d'octroyer de tels dommages-intérêts doit être spécialement motivée et leur montant distingué de celui des autres
dommages-intérêts accordés à la victime. Les dommages-intérêts punitifs ne sont pas assurables ». Rappr. Proposition Béteille, art.
1386-25.
80 Sur cette démonstration, G. Viney, Quelques propositions de réforme du droit de la responsabilité civile, D. 2009,
p. 2944. Du même auteur, Après la réforme du contrat, la nécessaire réforme des textes du Code civil relatifs à la
responsabilité, JCP (G), n° 4, 25 janvier 2016, doctr. 99.
81 Art. 1360 : « en l'absence de lien de proposition, celui qui encadre ou organise l'activité professionnelle d'une autre personne et en tire
un avantage économique est responsable des dommages causés par celle-ci dans l'exercice de cette activité. Il en est ainsi notamment des
établissements de soins pour les dommages causés par les médecins qu'ils emploient. Il appartient au demandeur d'établir que le fait
dommageable résulte de l'activité considérée ». (al. 1) ; « De même, est responsable celui qui contrôle l'activité économique ou patrimoniale
d'un professionnel en situation de dépendance, bien qu'agissant pour son propre compte, lorsque la victime établit que le fait dommageable
est en relation avec l'exercice du contrôle. Il en est ainsi notamment des sociétés mères pour les dommages causés par leurs filiales ou des
concédants pour les dommages causés par leurs concessionnaires ». » (al. 2). V. les critiques du rapport remis par la Cour de
cassation qui juge les conditions trop lâches et partant trop dangereuses.
propres à certains professionnels tels que les rédacteurs d’actes (expert-comptable, agents
immobiliers, avocats, notaires…). La jurisprudence est effectivement hésitante en la matière.
Quoi qu’il en soit, le projet a l’ambition de consolider, au nom d’une plus grande accessibilité et
intelligibilité, et d’innover, pour un droit de la responsabilité plus juste et plus efficace, en
renforçant les deux piliers de la responsabilité civile que sont la fonction indemnitaire et la
fonction normative. Cette démarche pour la construction d’un modèle français de la
responsabilité civile doit être approuvée même si c’est au prix de certains ajustements qui ne
manqueront pas d’être suggérés lors de la consultation qui est aujourd’hui ouverte.