Splenomegalie - Tropicale 2

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Centre René Labusquière, Institut de Médecine Tropicale, Université de Bordeaux, 33076 Bordeaux (France)

Diagnostic d’une splénomégalie sous les tropiques


Actualités 2018
Professeur Pierre Aubry, Docteur Bernard-Alex Gaüzère. Texte revu le 07/12/2018
www.medecinetropicale.com

1. Généralités

La rate n’est pratiquement jamais palpable à l’état normal : la perception d’une splénomégalie est
pathologique. La constatation d’une splénomégalie est un fait fréquent en pays tropical. Aux
mécanismes classiques : hypertension portale, hémolyse, hyperplasie lymphoïde, métaplasie
myéloïde, s’ajoute le phénomène de macrophagie excessive, secondaire aux infections parasitaires,
bactériennes, virales, mycosiques.
Les différentes étiologies des splénomégalies sous les tropiques ne seront pas détaillées. Elles sont
décrites dans les différents textes du site.

2. Mise en évidence de la splénomégalie

Elle nécessite une technique rigoureuse de palpation. Pour un malade en décubitus dorsal,
l’examinateur se place à droite du lit, la main gauche exerçant une traction de la fosse lombaire
gauche, la main droite posée à plat sur le rebord costal, cherchant à chaque inspiration le contact du
bord antérieur de la rate, crénelé et mobile. En zones tropicales, les difficultés de la palpation
splénique viennent plus de l’importance du volume de la rate qu’il faut « aller chercher » parfois au
pubis ou dans la fosse iliaque droite. La classification clinique de Hackett (OMS, 1963) comporte 5
catégories allant de 0 à 5 : la rate non palpable, même en inspiration profonde, est de catégorie 0, la
rate descendant bien au-dessous de l’ombilic, dépassant la ligne passant entre l’ombilic et la
symphyse pubienne est de catégorie 5. En cas de doute, l’échographie abdominale par voie sous-
costale permet de mesurer les dimensions des axes spléniques et d’affirmer le diagnostic de
splénomégalie. Les valeurs normales de la rate en échographie sont de 12 à 14 cm pour le grand axe
(longueur), 4 à 8 cm pour l’axe transversal (épaisseur) et 6 à 12 cm pour l’axe antéro-postérieur
(largeur).

3. Physiopathologie de la splénomégalie

3.1. Les principales fonctions physiologiques de la rate sont une fonction de régulation du flux
sanguin, une fonction de stockage (elle contient environ 30 % de la masse plaquettaire de
l’organisme), une fonction de filtre (les macrophages assurant l’élimination des hématies anormales,
vieillies ou contenant des inclusions (corps de Jolly, corps de Heinz) et une fonction immunitaire avec
la synthèse des anticorps, surtout des IgM.
3.2. Une splénomégalie résulte selon les cas d’un phénomène d’hypertension portale, de
macrophagie excessive (parasitaire, bactérienne, hémolyse), d’hyperplasie lymphoïde (par stimulation
antigénique ou prolifération maligne), de métaplasie myéloïde (compensatrice ou primitive), de
surcharge métabolique ou de la présence de lésions dystrophiques (kystes) ou tumorales.

4. Orientation diagnostique

Asymptomatique, découverte fortuite lors d’un examen clinique, ou révélée par une pesanteur de
l’hypocondre gauche, parfois par une complication (infarctus splénique, hématome sous-capsulaire ou
hémopéritoine), la splénomégalie peut s’observer dans un contexte aigu, subaigu ou chronique.
L’interrogatoire et l’examen clinique permettent dans la majorité des cas une orientation diagnostique.
L’interrogatoire précise :
- l’âge, le lieu de résidence et les différents lieux de séjour pour un voyageur,
- les antécédents familiaux (anémie, hémopathie)
- les habitudes de vie,

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- l’existence de signes infectieux (fièvre, frisons) qui doit faire rechercher d’emblée en zone tropicale
une étiologie infectieuse, parasitaire, bactérienne, virale, mycosique.

L’examen clinique recherche systématiquement des adénopathies périphériques, une hépatomégalie,


des signes cutanéo-muqueux (ictère…) qui peuvent orienter le diagnostic.

La numération formule sanguine peut montrer diverses modifications : anémie, polynucléose


neutrophile, neutropénie, inversion de la formule sanguine, pancytopénie, myélémie, monocytose,
hyperéosinophilie, polyglobulie, thrombocytose, hyperleucocytose, thrombopénie, anomalies
morphologiques, augmentation des réticulocytes, présence de cellules anormales.

L’imagerie médicale n’est pas indispensable pour confirmer la splénomégalie. L’échographie


abdominale a une utilité diagnostique en cas de doute : elle confirme la nature splénique de la masse
palpée, précise le caractère homogène ou non de la rate. L’échographie confirme la présence ou non
d’une masse intrasplénique, la rupture capsulaire, la présence de signes d’hypertension portale,
d’adénopathies abdominales… Le scanner ne doit pas être utilisé en première intention, mais il
visualise mieux que l’échographie la structure de la rate.

En fonction des résultats, les principales étiologies sont discutées selon que la splénomégalie est
mise en évidence dans un contexte aigu fébrile ou dans un contexte subaigu ou chronique. Des
examens complémentaires sont demandés selon l’orientation diagnostique.

4.1. Contexte aigu : splénomégalie + fièvre et frissons

4.1.1. Les étiologies sont dominées par les maladies infectieuses :


• en zone d’endémie palustre, au paludisme : accès aigus (accès palustre simple, accès de
reviviscence schizogonique),
• suivant la géographie, à la leishmaniose viscérale,
• dans un contexte d’immuno-dépression, en particulier d’une infection à VIH/Sida, à la tuberculose
multiviscérale,
• aux septicémies : à la fièvre typhoïde, à la brucellose
• aux infections virales : mononucléose infectieuse,
• aux infections mycosiques : histoplasmose, pénicilliose.
4.1.2. Les maladies hématologiques, leucémies aiguës, lymphomes, syndromes myéloprolifératifs,
et les thromboses surviennent aussi dans un contexte aigu.

4.2. Contexte subaigu ou chronique : trois étiologies dominent

4.2.1. Les maladies infectieuses


• paludisme viscéral évolutif de l’enfant vivant en zone d’endémie palustre :
• il faut aussi évoquer selon la géographie : une trypanosomiase humaine africaine, une
leishmaniose viscérale, une bilharziose hépatique, une hydatidose.

4.2.2. Les maladies du sang

• anémies hémolytiques héréditaires :


- drépanocytose (chez le petit enfant, la rate « s’atrophiant » chez le grand enfant),
- double hétérozygotisme SC,
- β thalassémie homozygote (maladie de Cooley),
- déficits enzymatiques (G6PD, PK).

• syndromes lymphoprolifératifs : leucémie lymphoïde chronique, lymphomes, leucémie à


tricholeucocytes.

• syndromes myéloprolifératifs : leucémie myéloïde chronique, polyglobulie de Vaquez,


splénomégalie myeloïde ou myélofibrose primitive,

4.2.3. L’hypertension portale (HTP)


L’HTP est reconnue cliniquement : hépatomégalie, circulation collatérale, varices oesophagiennes à
l’endoscopie digestive haute avec à la NFS : hypersplénisme avec thrombopénie et neutropénie.

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L’élévation de la pression portale est due en pratique à un obstacle siégeant sur le foie (bloc intra-
hépatique), rarement sur la veine porte (bloc infra-hépatique) ou sur les veines sus-hépatiques (bloc
supra-hépatique).
Les blocs intra-hépatiques sont dus à une cirrhose ou à une schistosomose hépatique.
Les principales causes des cirrhoses sous les tropiques sont les hépatites chroniques à virus B, à
virus B + D, à virus C, mais aussi à l’alcool.
L’immunologie des hépatites B, B + D, et C est nécessaire au diagnostic.
L’échographie permet de rechercher, outre les signes d’HTP, les modifications du foie et les lésions
associées : carcinome hépatocellulaire (CHC) et/ou thrombose porte.
La schistosomose hépatique est due à Schistosoma mansoni (Afrique, Amérique latine,
Madagascar), la shistosomose hépatique à S. mekongi et à S. japonicum sévit en Asie. L’échographie
est très performante pour le diagnostic et l’évaluation de la gravité de la bilharziose hépatique.
Les blocs supra-hépatiques se résument au syndrome de Budd-Chiari du à l’obstruction des gros
troncs veineux sus-hépatiques dont les causes principales sont les thromboses, conséquence d’une
affection thrombogène (syndrome myéloprolifératif).
Les blocs infra-hépatiques peuvent être dus à la compression extrinsèque de la veine porte, à des
invasions néoplasiques intra-luminales (CHC), à des thromboses.

4.3. Une splénomégalie isolée nécessite toujours un bilan para clinique :


• une échographie abdominale qui peut montrer un kyste de la rate (kyste hydatique, kyste
épidermoïde), un abcès froid tuberculeux,
• un hémogramme qui peut orienter les diagnostics :
∗ d’hémolyse chronique
∗ de syndrome myéloprofilératif : leucémie myéloïde chronique, maladie de Vaquez,
myélofibrose primitive
∗ de syndrome lymphoprolifératif : myélome, macroglobulinémie de Waldenstrom,
• l’examen de la moelle osseuse : ponction (cytologie) et/ou biopsie ostéo-médullaire
(histologie) peut montrer : une infiltration médullaire lymphomateuse, des maladies de surcharge
(maladie de Gaucher ou de Niemann-Pick dans leurs formes chroniques), une splénomégalie
myéloïde chronique ou une leucémie à tricholeucocytes.
• la ponction biopsie hépatique peut révéler : une granulomatose hépatique (tuberculose), une
amylose, une maladie de surcharge.

4.4. Les causes rares, mais auxquelles il faut penser lorsque le diagnostic n’est pas porté :
- les splénomégalies inflammatoires : maladie périodique, sarcoïdose,
- les tumeurs primitives de la rate.

4.5. En l’absence de diagnostic, on parle de splénomégalie «idiopathique»


En zones tropicales, le terme de splénomégalie palustre hyperimmune (SPH) ou splénomégalie
malarique hyperactive, anciennement appelée splénomégalie tropicale idiopathique (STI)
regroupe cinq critères :
• adultes vivant en zone d’endémie,
• splénomégalie volumineuse,
• recherche négative d’hématozoaires,
• sérologie antipalustre : titre très élevé d’anticorps (IgM),
• réponse au traitement antipalustre très lente.
Il n’y pas d’étiologie décelable et la SPH est rattachée au paludisme (taux élevé d’anticorps anti-
palustres, régression partielle ou totale, bien que lente, de la splénomégalie sous traitement anti-
palustre). L’échographie ne montre pas de thrombose porte et la ponction biopsie du foie (lorsqu’elle
est faite) ne montre qu’une dilatation des capillaires sinusoïdes, encombrés de macrophages et de
lymphocytes, sans fibrose : c’est le « foie de splénomégalie ».

5. En conclusion

Le diagnostic d’une splénomégalie sous les tropiques est dominé par les causes infectieuses, en
particulier par des causes parasitaires curables (paludisme, schistosomose). Il est exceptionnel que
soit proposée une splénectomie diagnostique qui nécessite :
• une vaccination anti-pneumococcique et/ ou une antibiothérapie préventive prolongée (risque de
septicémie à pneumocoques, mais aussi d’infection à Hemophilus influenzae et à Neisseria
meningitidis)

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• une chimioprophylaxie antipalustre (risque d’accès pernicieux palustre).


Il faut donc réserver la splénectomie aux très grosses rates avec risque de rupture splénique.
Après splénectomie, on observe d’abord une hyperleucocytose et une hyperplaquettose qui
s’amendent en quelques semaines, puis la présence d’hématies contenant des corps de Jolly et des
corps de Heinz, témoins de la splénectomie.
ème
Toute fièvre chez un malade splénectomisé nécessite la mise sous céphalosporine de 3 génération
vu le risque d’infection à pneumocoque à sensibilité diminuée à la pénicilline et l’adaptation de
l’antibiotique dès le germe identifié.

Références

- Charmot G, Anfrè LJ. Rate et paludisme. Problèmes immunopathologiques. Rev Prat (Paris) 1977 ;
22 : 2387-2392.
e
- Leporrier M. Splénomégalie, In Godeau P, Herson S, Piette JC. Traité de Médecine, 3 édition,
Médecine-Sciences Flammarion 1996, pp. 2494-2495.
- Université Médicale Virtuelle Francophone. Item 332 Orientation diagnostique devant une
splénomégalie 2010-2011, 12 p.
e
- Cabié André. Splénomégalies tropicales. In Gentilini M, Médecine Tropicale 6 édition Médecine
Sciences Publications Lavoisier 2012, pp. 841-844.

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