La Parole Et La Priere Au Moyen-Age. Le PDF
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Patricl< Henriet
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Patricl< Henriet
La parole
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au· Moyen Age
Le Verbe efficace dans l'hagiographie
monastique des x1e et xue siècles
De Boeck/�/ Université
Illustration de cou;erture:
Ms Paris, BNF, lat. 17716, fol. 35 R.
Hugues de Semur guérit à Paris le vir illustris Robert. Il tient le manteau de
saint Pierre et récite Actes 9, 33-34, ac si vox illa Petrifuisset specialis. Cf. pp. 75-76.
Cliché Bibliothèque nationale de France.
Imprimé en Belgique
ISSN 0779-4649
D 2000/0074/43 ISBN 2-8041-2118-6
À la mémoire de mon père
À ma mère
Table des matières
Introduction .............................................................................................. 7
PREMIÈRE PARTIE
La prière des saints moines (Xle-xn e siècles):
sources et modèles........................................................................ 17
473
474 LA PAROLE ET LA PRIÈRE AU MOYEN-ÂGE
DEUXIÈME PARTIE
Predicatione venerabilis viri: prédication et sainteté............ 181
TROISIÈME PARTIE
Inter verba orationis : prières et paroles de la mort . . . . . . . . . . . . . . . 287
Bibliographie............................................................................................ 417
1. Hoc est, ut mutuae pro nabis nostrisque et hic viventibus et hic obientibus
interpellationes, orationes missarumque remedia ad viventem Deum et iudicem omnium
suppliciter agantur iuxta apostolica monita: Orate ... (lac. 5, 16). Die Briefe des Heiligen
Bonifatius und Lullus, M. TANGL (éd.), MGH, Ep. sel. I, Berlin, 1916, Ep. 111, p. 241.
Instant nunc tempora periculosa: d'après 2 Tm, 3,1. Wolfram BRANDES,« Tempora
periculosa sunt. Eschatologisches im Vorfeld der Kaiserkrônung Karles des Grossen »,
in R. BERNDT (éd.), Das Frankfurter Konzil von 794. Kristallisationspunkt karolingischer
Kultur. Akten zweier Symposien (vom 23. bis 27. Februar und vom 13. bis 15. Oktober 1994)
anlafllich der 1200-Jahrfeier der Stadt Frankfurt am Main. Teil I: Politik und Kirche. II:
Kultur und Theologie (Quellen und Abhandlungen zur Mittelrheinischen
Kirchengeschichte, 80/1 et 80/2), I, Mayence, 1997, p. 49-79, ici p. 67, rapproche ce
passage d'autres textes carolingiens à consonance eschatologiq ue. Nous l'utilisons ici
dans une tout autre optique.
7
8 LA PAROLE ET LA PRIÈRE AU MOYEN-ÂGE
dans cette histoire du verbe chrétien qui, du point de vue des historiens, reste
à écrire. Quant au choix de bâtir cette recherche sur des sources
hagiographiques, il appelle quelques précisions.
Encore une étude d'hagiologie, dira-t-on non sans raison ... Sans doute.
Les temps sont favorables au geme, et ce livre est aussi le produit de son
époque 17• Il convient cependant de rappeler quelques principes
fondamentaux ayant orienté nos réflexions. 1) Notons d'abord que, malgré
toutes les vertus dont elles sont désormais parées après des décennies de
dénigrement, les sources hagiographiques ne peuvent être indéfiniment
sollicitées18• Il s'agit donc de ne leur demander que ce qu'elles peuvent offrir,
ce qui implique, en prélude à toute analyse, de bien repérer leurs éléments
constitutifs. 2) L'hagiographe utilise toujours et constamment une topique
plus ou moins éculée, qu'il s'agit non pas d'ignorer, mais plutôt de situer
dans la cohérence d'un discours. 3) Tissée de lieux communs, l'hagiographie
n'est pas pour autant un geme littéraire immuable et rebelle à l'analyse
historique. Elle est le produit d'un milieu et renvoie souvent à une réalité
factuelle. 4) Les vitae ne décrivent cependant jamais celle-ci sans la passer au
filtre d'une idéologie cléricale, épiscopale, canoniale ou monastique. Ne leur
demandons, par conséquent, pas trop d'informations sur les individus qui
sont le plus souvent, jusqu'au XIIe siècle en tout cas, réduits à des types.
Interrogeons-les en revanche sur ces modèles qui, bien qu'ils se construisent
toujours à partir des mêmes textes - Évangiles, Vita Antonii d'Athanase, Vita
Martini de Sulpice Sévère, Dialogues de Grégoire le Grand, etc. - présentent
entre eux des variantes notables. De fait, lorsque les hagiographes décrivent
des événements récents, lorsqu'ils s'intéressent à des saints qu'ils ont connus
Cluny, Gorze ou Fleury, ce double verrou saute23 • Les moines sont alors, plus
que jamais, les spécialistes d'une parole il est vrai plus liturgique que
pastorale. Ils se situent désormais au sommet des hiérarchies spirituelles et
placent la communauté des croyants dans la dépendance de leurs oraisons24•
D'un point de vue idéologique, cette période, qui s'étend jusqu'au milieu du
xne siècle, est à la fois un sommet et un point d'aboutissement. D'un point de
vue littéraire, elle se caractérise, et ce n'est pas un hasard, par une floraison
hagiographique sans précédent qui permet à pratiquement tous les grands
centres monastiques de définir leur place dans l'Église tout en amplifiant le
cadre de leur mémoire. L'hagiographie participe alors au premier chef d'une
intensification de la production écrite, qui se manifeste aussi, entre autres,
par la confection de cartulaires ou la codification de coutumes25 • Autant
d'efforts pour préciser les c�ntours d'une identité monastique qui, dans la
•mesure du possible, se veut souveraine.
Les XIe et XIIe siècles représentent pour la parole chrétienne un tournant
capital. Dès les années qui suivent l'an Mil en Italie, quelques décennies plus
tard dans le reste de l'Occident, les indices d'une intériorisation de la prière
et du développement d'une conscientia individuelle se multiplient.
Franchissant les limites du monastère ou de l'ermitage dont ils sont
généralement originaires, des prédicateurs plus ou moins autorisés partent
à la rencontre des chrétiens. Divers mouvements, qui se réclament tous d'un
archétype évangélique mais débordent parfois le cadre de l'Église
institutionnelle, remettent alors plus ou moins ouvertement en cause le
monachisme bénédictin. Plaçant le mérite individuel avant l'intercession de
la communauté, ils réduisent les obligations liturgiques au profit de
l'ascétisme pénitentiel et du travail manuel26 • C'est donc tout le rapport entre
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456 LA PAROLE ET LA PRIÈRE AU MOYEN-ÂGE
260 Hagiographie
Grégoire,moine de Sitrie: 151 - Le genre: 12-13,15
Grenoble: 172 - Écriture hagiographique et idéo-
Grottaferrata: 366 logie monastique: 14,55-56,173
Guibert de Gembloux: 89 Hainaut: 261
Guibert de Nogent: 99,208,249,255 Hallinger,Kassius: 93
Guigues,le chartreux: 134,173, Harvey,reclus: 252
174,176-177 Hausherr,Irénée: 26
Guillaume X d'Aquitaine: 132-133, Haüssling,Angelus: 95
221 Haymon d'Auxerre: 44,197
Guillaume d'Auvergne: 53 Heldric,disciple de Maieul: 340
Guillaume Dandina: 163 Henri de Lausanne: 135,251,255,
Guillaume de Montevergine, • 256,263,280
Wanderprediger italien: 253,n. 149 Henri de Mayence,archevêque:
Guillaume de Newburgh: 306 218,n. 172
Guillaume de Saint-Denis: 302 Henri Ier d'Angleterre: 269,277
Guillaume de Saint-Thierry: 20, 52, Henri III (t 1056),empereur: 75,332
97,100,101,113-131,136,139,141, Henri IV,empereur: 158
164,219-222 Herbert,moine du Périgord: 340
Guillaume de Volpiano,saint Hérésie,hérétiques:26,135,151,176,
(t 1031): 334 191, 193, 195, 199, 220, 238, 255,
Guillaume du Bec (t 1124): 299 256,263,339-340,373
Guillaume Firmat: 161 Héric d'Auxerre: 44,211
Guillaume le Conquérant: 108 Hérival: 263
Guillaume le Pieux: 41 Herlève,mère de Guillaume le
Guillaume le Roux (t 1100),roi Conquérant, Robert de Mortain
d'Angleterre: 104 et Eudes de Bayeux 273,n.269
Guillaume,comte de Provence: 212 Herluin de Conteville, père de
Guillaume,miles (vita d'Étienne Robert de Mortain et Eudes de
d'Obazine): 249 Bayeux: 273,n.269
Gunzo: 85 Herluin du Bec: 301
Guy (moine clunisien connu pour Hesse: 205
sa voix): 130 Hilaire d'Arles: 88
Guy de Velate,archevêque de Hilaire de Poitiers: 23
Milan: 236 Hilarion,saint: 243,365
Guy,abbé de Montiéramey: 126 Hildebert de Lavardin: 71,73,80,
Guy,abbé de Montierneuf: 349 n. 150,263,348,349
Guy,frère de saint Bernard: 130 Hildebold de Châlon-sur-Saône: 322
Hildemar: 36
Hippolyte_ de Rome: 32
H Homblières,Notre Dame de: 283
Homme intérieur,homme
Habit monastique: 81,255,n. 157, spirituel: 97,112,115,116,123,
262,348. 131,140-141,172
462 LA PAROLE ET LA PRIÈRE AU MOYEN-ÂGE
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380 LA PAROLE ET LA PRIÈRE AU MOYEN-ÂGE
4. Omnes etiam christiani possunt dici monaéhi qui in unitate consistunt ; specialiter
tamen illi dicuntur qui iuxta apostolum a negotiis saecularibus amplius elongantur nec
cogitant nisi de Deo tantummodo, Étienne de Muret, De doctrina, CCCM 8, éd.
J. BECQUET, p. 5.
CONCLUSION 383
5. Inter quos miserum quendam senem, cuius infortunio ad duplex, senectutis scilicet
et paupertatis, incommodum, gravissimum plane pessimumque cecitatis anus accesserat,
anxia tari consors ad sepulcrum statuit Confessoris. Ubi dum per triduum caecus ille,
indefesso studio mentis oculos fixus in Christum, Roberti nomen, cuius fidebat patrocinio,
saepius iteraret, nec vel momentum sibi relaxaret a precibus, offensa mulier importuna viri,
ut videbatur, garrulitate : 'Desine', inquit, 'vel tandem presentibus inferre molestiam, si
quiescenti facere non times injuriam. Nam qui te non putas a sancto, nisi clames improbius,
exaudiri, dum lumen imploras amissum, quem sic pulsas infamas auditum, nec mereris
impetrare quod aras, dum velut surdo cecus improperas. Expecta potius cum silentio, et in
cordis cubiculofunde preces. Hanc ille vocem sic indignabundus exhorruit, ut eam non tam
femine simplex eloquium quam fraudulentum serpentis sibilum judicaret. 'Parce', inquit,
'parce, mulier, stulte loqui, et impiam blasphemiam imagine fidei palliare. Siccine delicatas
aures suspicaris sanctorum, ut eas nimiis putes clamoribus enecari ? Immo edocti divino
Christi magisterio, quod non dant arnica plerumque roganti, tandem largiuntur improbo
pulsatori'. Statimque conversus ad sanctum, pium nomen acclamare coepit instantius, éd.
A. DEGL'INNOCENTI, II,11, p. 58-,60.
6. P.A. SIGAL, L'homme et le miracle, op. cit., p. 126-134, et, du même,« Reliques,
pèlerinages et miracles dans l'Église médiévale (XIe-xme siècles) », in Revue d'Histoire
de l'Église de France 81, 1990, p. 193-211, ici p. 206 sq.
384 LA PAROLE ET LA PRIÈRE AU MOYEN-ÂGE
7. Tout l'épisode est par ailleurs calqué sur l'aveugle des Évangiles, comme le
dit Marbode lui-même : Imitatus Evangelicum- caecum, quem turba magis accendebat in
preces, increpans ut taceret, col. 326A.
8. Sur Marbode, cf. A. DEGL'INNOCENTI, L'opera agiografica di Marbodo di
Rennes, Spolète, 1990, p. 3-18.
CONCLUSION 385
augustinienne du rapport entre le signe et lares pour lui insuffler un peu plus
de réalisme. La parole sacramentelle a donc été située, vis-à-vis des réalités
supérieures qui la justifiaient, dans un rapport d'immédiate identité qui
expliquait son efficacité9�Le langage, la vox, les mots, sont ensuite restés au
centre des débats théologiques et philosophiques jusqu'à la fin du Moyen
Âge. Leur fonctionnement a été décortiqué dans le cadre des écoles et à
l'Université, en particulier chez les grammairiens spéculatifs parisiens, qui,
à partir des années 1240, se sont intéressés aux modes de signification10. Sans
doute s'agit-il là d'un domaine qui n'a plus grand-chose en commun avec
celui des idéologies monastiques, mais une histoire de la parole efficace et de
sa place dans les christianismes médiévaux ne peut l'ignorer pour autant.
Elle devra en revanche essayer de croiser des textes de nature très différente
pour bien en saisir les enjeux. Et elle aura par ailleurs intérêt à ne pas oublier
que les clercs du Moyen-Âge étaient convaincus de l'importance du thème
de la parole. Ainsi Roger Bacon parlait-t-il au XIIIe siècle de la maxima potestas
des mots, en affirmant que« tous les miracles faits depuis le début des temps
ont presque toujours été accomplis par des paroles. L'œuvre principale de
l'âme rationnelle est la parole (verbum) et elle s'en délecte au plus haut point.
Par conséquent lorsque les paroles sont proférées à partir d'une pensée
profonde, d'un grand désir, d'une intention droite et d'une ferme conviction,
elles ont une grande force (virtus) » 11 • Pour être acceptable - sage et
philosophique à la manière de David, nous dit Bacon - la parole doit donc
remplir quatre conditions: pensée, désir, intention, conviction. Dans le cas
contraire, elle peut encore produire « divers effets» mais relève alors des
démons et de la magie. Roger Bacon situe sa réflexion sur l'efficacité de la
parole dans un cadre quasiment scientifique et sa démarche est gouvernée
par la raison, mais Dieu est l'aboutissement de la raison et David, l'auteur des
9. Cf. sur ce point la synthèse d'I. ROSIER,« Langage et signe dans la discussion
eucharistique», in Histoire et grammaire du sens. Hommage à Jean-Claude Chevalier,
Paris, 1996, p. 42-58.
10. I. ROSIER, La grammaire spéculative des modistes, Lille, 1983, et surtout La parole
comme acte. Sur la grammaire et la sémantique au XIJie siècle, Paris, 1994.
11. Sed considerare debemus quod verba habent maximam potestatem ; et omnia
miracula Jacta a principio mundi Jere Jacta sunt per verba. Et opus animae rationalis
praecipuum est verbum, et in quo maxime delectatur. Et ideo cum verba proJeruntur profunda
cogitatione et magna desiderio, et recta intentione, et cum Jorti confidentia, habent magnam
virtutem, Roger Bacon, Opus Tertium, c. XXVI, éd. J.S. BREWER, Fr. Rogeri Bacon opera
quaedam hactenus inedita I, Londres, 1859, p. 96. J'ai repris la traduction d'Irène
ROSIER, La parole comme acte, p. 337-338. Bacon semble influencé principalement par
Avicenne et surtout Al-Kindi, qui traite le problème de la virtus verborum dans son De
radiis : ibid., p. 215-223.
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