RFGGPRH
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Patrick Gilbert
Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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Ouvrage en préparation : Gilbert P., Yalenios J., Evaluation de la performance individuelle. Théories et analyses, "Repères", La Découverte View project
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Dans l'entreprise, le besoin de raisonner sur l'avenir s'impose au gestionnaire quelle que
soit la fonction dans laquelle il exerce son activité (Merlin, 1989). L'application des
méthodes de prévision concerne a priori aussi bien les marchés, les prix, les indicateurs
financiers que le personnel. Chaque domaine s'approprie ces méthodes en les adaptant à
la nature des ressources et aux enjeux qui leur sont associés.
Partant du constat de la multiplicité des formes de GPRH et du flou qui entoure cette
notion, notre étude vise à apporter des éléments de repérage sur son évolution et ses
conditions de structuration. Dans une première partie, nous présenterons les
1 Ces deux auteurs donnent d’ailleurs une acception différente à l'expression «gestion préventive». Pour
D. Thierry (1983), ce terme désigne «l'ensemble du dispositif qui permet à l'entreprise d'intégrer les
divers éléments économiques, technologiques et humains dans le processus de prise de décision , et ce
dans le cadre d'une stratégie globale à moyen terme» (p. 18). Pour R. Ribette (1988), il s'applique à une
gestion qui s'exerce à l'initiative de l'individu.
2
conceptions qui se sont succédé depuis les années soixante, le contexte de leur
apparition et les principales idées qui les sous-tendent. La deuxième partie portera sur
les conditions d’émergence de ces conceptions, la manière dont elles se structurent et se
renouvellent. En conclusion, nous nous interrogerons sur l’avenir de la GPRH.
L'entrée de la prévision dans la gestion du personnel s'est faite en quelque sorte au nom
de la science, grâce au progrès de la recherche opérationnelle et à l'avènement de
l'informatique. Les premières recherches ont été faites dans l'armée américaine, les
grandes industries, l'administration publique, les compagnies aériennes. En France, les
expériences significatives de gestion prévisionnelle des ressources humaines ont débuté
dans les années soixante (J. L. Guignard, 1968 ; R. Benayoun, J.-P. Decostre, P. Leyrat,
1969 ; F. Morin, 1969).
Les modèles de gestion prévisionnelle 2 sont constitués sur une base purement
numérique et se limitent à ce qui est calculable. Ils interviennent essentiellement dans la
gestion économique à long terme des effectifs. Il y eut à l'origine quelques tentatives
pour intégrer des éléments qualitatifs et une certaine fascination pour des travaux nord-
2 Pour une description de ces modèles voir par exemple les modèles Escale (du groupe A.V.A.) et Polca
(de la S.E.M.A.) in R. Benayoun et C. Boulier (1972) ou le modèle GOSPEL de la Shell Française (J.
Duchene, 1977).
3
américains allant dans ce sens 3 . Mais les réalisations en la matière furent peu
nombreuses.
— Les modèles de simulation qui portent, par exemples, sur les évolutions
démographiques, les hypothèses concernant la structure des emplois, l'estimation
d'écarts quantitatifs entre besoins et effectifs disponibles à l'horizon de la prévision. Ils
ont pour objet de prévoir les conséquences d'un choix politique. Ce choix sera exprimé
par les valeurs de variables, tels que les taux de recrutement annuels par type de postes,
les taux de promotion, les taux de mobilité, etc. Le modèle simule année après année
l'évolution de la structure des effectifs sur la base définie a priori et fournit les résultats
de la politique envisagée. Il est alors possible de déterminer les conséquences de cette
politique et de savoir si elle répondra aux intentions des dirigeants ou si elle est
susceptible de créer des problèmes.
— Les modèles d'optimisation qui visent à déterminer par calcul la valeur optimale de
certains paramètres, par exemple le taux de promotion interne à la position cadre et le
taux de recrutement annuel de jeunes cadres diplômés, de sorte que ces paramètres
respectent certaines contraintes imposées (limiter l'évolution de la masse salariale à tel
montant ou le nombre des cadres non diplômés à tel pourcentage de la population totale
des cadres, etc.). Difficiles de maniement et opaques pour l'utilisateur, les modèles
d'optimisation ont eu une application très réduite.
On relève un échec relatif de la cette période quantitativiste : les dirigeants n'y ont pas
cru, les professionnels de la gestion du personnel maîtrisaient mal les techniques et
surtout certains aspects de gestion de la main d'oeuvre, parmi les plus critiques, étaient
oubliés. Les principes sur lesquels se fondaient les prévisions laissaient de côté les
évolutions de l’environnement (développements de la technologie, de la concurrence,
du marché du travail, de la législation sociale, etc.) et celles du système social interne
(en particulier, les contre-pouvoirs des organisations syndicales). Examinant les
politiques de personnel à un niveau général et anonyme, les modèles de gestion
prévisionnelle se concentraient sur quelques aspects des politiques de personnel tels
qu'une structure de postes ou une prévision d'embauche (J. Laufer, G. Amado,
G. Trepo, 1978). L'importance croissante de la population cadre a souligné la nécessité
d'adopter une perspective plus globale et plus qualitative.
3cf. Manplan, un simulateur des relations supérieurs-subordonnés destiné à «expliquer et prévoir les
mouvements de personnel d'une organisation» in R. Benayoun et C. Boulier (1972).
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de connaître les effectifs idéaux qui seraient nécessaires pour que l’ensemble soit stable
(effectifs dans les activités, effectifs à embaucher, effectifs sortants) et d’identifier les
points névralgiques (engorgements ou déficits structuraux).
Cette orientation de la GPRH a surtout été appliquée à la gestion des cadres et plus
précisément à la gestion de leur carrière (c'est pourquoi nous l'appelons gestion
prévisionnelle des carrières). A l'époque, l'argument était le suivant : face à l'entreprise,
le cadre poursuit des objectifs multiples. Il attend d'elle une rémunération, mais
également des possibilités de «se réaliser» : un statut, une formation, etc. Les cadres
attendent de l'entreprise qu'elle leur offre des carrières, plutôt que des emplois.
A la suite du «premier choc pétrolier», l'intérêt pour la prévision marqua une pause. Les
procès en incapacité faits aux prévisionnistes de tous domaines n'ont pas manqué
d'atteindre la GPRH. Au reflux de l'intérêt porté à la prévision en matière de personnel
correspond d'ailleurs un net ralentissement des publications portant sur ce thème.
Si le discours général est plus «communiquant», les procédures et outils sont similaires.
Cette prise de position traduit le souci de certains dirigeants du secteur public de sortir
de la gestion de masse, pour fonder la gestion du personnel de ce secteur sur
l'adaptation réciproque des emplois et des personnes, à l'instar du secteur privé.
Cette conception de la gestion prévisionnelle s'est révélée à l'usage trop centrée sur les
individus et pas assez organisationnelle.
Dans le début des années 1970, Merlin-Gerin s’efforce de donner un caractère intégré à
sa gestion du personnel. Elle se consacre d’abord aux cadres. Une équipe de
Développement et Formation des Cadres apporte une aide à la hiérarchie dans ce
domaine. Une commission de 12 à 15 dirigeants, nommés par le Secrétaire Général, se
réunit régulièrement avec cette équipe, notamment pour actualiser les classifications de
postes et proposer les personnes à promouvoir. Tous les postes ont été évalués et
classés en dix niveaux, correspondant à une plage de salaire. Un entretien annuel de
carrière est systématisé. De plus, des plans de carrière sont établis pour les cadres à haut
potentiel et des plans de remplacement pour chaque poste. Ces derniers sont actualisés
chaque année. Le développement personnel sert de guide dans l’élaboration de plans de
formation réalisés en application de la toute nouvelle loi de juillet 1971.
Le renouveau de la GPRH s'est amorcé à la fin des années 70, en réponse aux
déséquilibres de la situation de l'emploi et de l'aggravation du chômage combinée à des
déficits sectoriels ou locaux de main-d'oeuvre. Il ne s'agit plus d'optimiser une gestion
des ressources humaines en période de croissance, mais de prévenir les crises, à la suite
de réductions massives d'effectifs, en particulier dans l'industrie lourde (charbonnages,
sidérurgie).
Les grandes entreprises industrielles ont été les premières à mettre en oeuvre une
gestion prévisionnelle des emplois (B.S.N., Cogema, Framatome, Renault, Rhône
Poulenc, …). Certaines réalisations ont connu un retentissement médiatique :
l'opération ISOAR menée à l'usine Peugeot de Mulhouse, ou encore le projet «1000 =
1000» de Merlin-Gerin. Les expériences sont plus tardives dans le tertiaire
(essentiellement banques et assurances). Dans d'autres secteurs, tels que le commerce,
le B.T.P., la plasturgie, les transports ou le textile, les réflexions sur l'emploi et
l'évolution des métiers ont plutôt été menées au niveau des branches professionnelles.
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G. Le Boterf (1988) déclare : «La gestion prévisionnelle des effectifs ne suffit plus (…)
Les démarches projectives et prévisionnelles qui "fonctionnaient" bien en période de
croissance assurée et régulière doivent maintenant être complétée par une réflexion
prospective. La planification «dure» cherchant à aller dans le détail de chaque décision,
devient souvent contre-productive par sa rigidité : elle doit faire place à des démarches
de management stratégique» (p. 19). Il propose le schéma directeur des emplois et des
ressources humaines comme outil de management stratégique, selon lui, adapté à un
contexte incertain et instable.
La GPE s'inscrit progressivement dans le cadre des réflexions des pouvoirs publics. Les
textes du Ministère du Travail l'envisagent comme «un acte de gestion qui permet à
l'entreprise d'accroître ses compétences, sa réactivité et son adaptabilité aux fluctuations
de son environnement, par une analyse sur le contenu des métiers, l'évolution des
qualifications en relation avec l'organisation du travail, la valorisation de la compétence
et du potentiel individuel et collectif du personnel» (Délégation à l'emploi, 1991).
Au début des années 1990, la gestion prévisionnelle des emplois fait l'objet de certaines
critiques. Elle résiste mal à un contexte économique peu porteur. On constate, avec le
retournement de la conjoncture, que l'emploi est resté une «variable d'ajustement»
(Cézard, 1993). Les études «prévisionnelles» suivent souvent plus les décisions qu'elles
ne les préparent. Les bases techniques du modèle de référence sont mises en question
(Gilbert, 1994).
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5D'après des documents internes à Développement et Emploi et des informations convergentes données
par Xavier Baron, à l'époque consultant dans cet organisme et par Patrick Franchet, responsable Emploi-
Formation de Sollac Florange.
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Les conceptions de la GPRH ne valent pas uniquement pas leurs qualités intrinsèques.
Elles n'émergent que dans des lieux, à des moments et auprès des personnes qui sont
préparés à les recevoir. Derrière l'apparente diversité de ces conceptions, on relève des
«invariants», des facteurs de structuration communs et un même mode de constitution.
Tableau 1
Synthèse comparative des conceptions de la GPRH
Les modèles de gestion prévisionnelle des effectifs sont nés en période de croissance,
dans une situation d'emploi favorable où les évolutions de carrière s'effectuent au sein
des mêmes entreprises. Cette tendance se nourrit à la source du management
scientifique. Enfin, nous l'avons dit, elle a bénéficié de la recherche opérationnelle et de
l'informatique. Le problème central de gestion est de trouver, de choisir et de conserver
des gens.
La GPE est marquée par la crise de l'emploi, dont ses promoteurs voudraient atténuer
les effets et prévenir les nouvelles menaces. Plus précisément, son essor a accompagné
la transformation des structures d'emploi liée à l'accroissement de la pression de la
concurrence internationale et aux mutations technologiques. Elle relève d'une recherche
d'arbitrage entre l'économique et le social par des entreprises décrites comme
«citoyennes».
Les conceptions que nous venons d'exposer correspondent à des idéaux types. Le
mélange des genres est fréquent. En outre, comme toujours en gestion des ressources
humaines, les conceptions nouvelles n'ont pas donné lieu à l'éradication des
précédentes. Ce que l'on observe aujourd'hui est plutôt une sédimentation des
différentes conceptions. La dernière est plus prégnante que celles qui l'ont précédée,
mais n'annihile pas celles-ci.
La GPRH est née, et s'est renouvelée, dans un jeu d’alliances et de coopérations entre
différents partenaires, au sein d'un réseau social complexe :
— Des grandes entreprises utilisatrices de la GPRH dans les secteurs publics et privés,
— des sociétés de conseils spécialisées qui inspirent les précédentes,
— des associations professionnelles agissant comme catalyseurs et agents de liaison
entre praticiens, d'une part, et entre praticiens et consultants, d'autre part
— des organismes de formation dispensatrices des savoirs qui irriguent le réseau
— et, dans la conception GPE, des ministères assurant un financement de certains
acteurs du réseau et des organisations professionnelles suscitant des réalisations dans
les entreprises.
Ce réseau social est aussi un réseau cognitif dans lequel les différentes formes de
GPRH ont «émergé» en réponse aux besoins et aux sensibilités de l'époque.
Les débuts de réalisations donnent lieu à des témoignages qui font l'objet d'articles
publiés dans des revues spécialisées, revues techniques et revues professionnelles pour
les consultants, revues professionnelles, pour les praticiens. Une demande de GPRH se
fait jour et s'amplifie. Dans l'épisode de la GPE cette demande s'est trouvée amplifiée
par des enjeux de société dont les pouvoirs publics sont les porteurs. Des programmes
de formation se mettent en place pour diffuser le nouveau savoir auprès des praticiens.
Les nécessités de la pédagogie et la recherche de notoriété conduisent à la publication
d'ouvrages. La tendance nouvelle s'affirme en se démarquant des précédentes vis à vis
desquelles elle développe une critique pour s'affirmer et justifier la spécificité de son
discours.
Passés les premiers temps, les expériences des entreprises sont analysées par les
chercheurs et commentées de façon plus nourrie par l'ensemble des observateurs
(organismes patronaux, syndicats, journalistes …). La situation d'emploi évolue et le
scepticisme à l'égard du courant de la GPRH qui prévaut se développe. Dès lors, les
éléments sont en place pour l'avènement d'une nouvelle conception.
Les tensions fortes qui traversent la GRH (P. Louart, 1993) s'expriment tout
particulièrement à travers sa gestion prévisionnelle par le fait même qu'elle représente
un potentiel de renouvellement de ses démarches et de ses instruments.
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A la suite des espoirs déçus de la gestion prévisionnelle des emplois, les croyances
rationnelles de la GPRH, et plus généralement des techniques de GRH, ont été depuis
lors relativisées (voir notamment C. Piganiol-Jacquet, 1994). Cependant, la tension
rationalité/humanité est inhérente au projet même de gestion prévisionnelle des
ressources humaines, projet soumis au modèle instrumental de GRH (voir J. Brabet et
al., 1993). Aussi, la GPRH est périodiquement remise en cause, mais toujours
reconstruite.
CONCLUSION
S'il est vrai que gérer, c'est notamment prévoir, renoncer à la gestion prévisionnelle des
ressources humaines, ce serait en fait renoncer à leur gestion. A l'inverse, s'interroger
sur le développement d'une gestion prévisionnelle, c'est s'interroger sur l'amélioration
de la gestion. Faute de parvenir à deviner le futur, le gestionnaire doit redoubler d'effort
pour aider à construire l'avenir.
Références