Yoga-Nidra - La Pratique Du Sommeil Consci - Bonnasse
Yoga-Nidra - La Pratique Du Sommeil Consci - Bonnasse
Yoga-Nidra - La Pratique Du Sommeil Consci - Bonnasse
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Sommaire
Résumé du propos
Introduction
I – La philosophie du yoga-nidrâ
II - La pratique du yoga-nidrâ
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Méditation & contemplation profonde
Quelques pratiques préparatoires
Pratiques pour l’endormissement
Pratiques de nuit
Pratiques pour le réveil du matin
Le yoga du rêve (svapna-yoga)
La « séance » de yoga-nidrâ
Préparation (prastuti)
La relaxation profonde (shithilîkarana)
La force de l’intention (samkalpa)
La rotation de conscience (chetanâ sanchârana)
Le décompte
Le travail thématique
Les visualisations sensitives
Se fondre dans le Cœur
Souhait (Samkalpa) & Achèvement (samâpti)
L’art de vivre en pleine conscience
L’électricité ne meurt pas quand l’ampoule est grillée
Les champs d’application du yoga-nidrâ
Ultime crispation
Annexes
Bibliographie
Du même auteur
5
A Christian Tikhomiroff
& Pandit Yogi Vishnu Panigrahi,
avec gratitude,
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Résumé
du propos
YOGA-NIDRÂ, UN VOYAGE DANS LES ÉTATS DE LA MATIÈRE, DE LA
CONSCIENCE ET DE LA JOIE D'ÊTRE.
7
pour se débarrasser du stress, de l’anxiété et de la peur de la mort, que le yoga-
nidrâ considère être à l’origine de toutes les autres peurs.
En faisant des liens entre les philosophies d’Inde et d’Occident, et en s’appuyant sur
les enseignements de grands maîtres spirituels, nous verrons que le sommeil peut
aussi être l’occasion d’un yoga résolument savoureux, qui change non seulement
nos nuits, mais aussi chaque instant de nos jours.
Ce livre sur le sommeil des sages nous invite à un voyage vers l’inconnu et vers le
mystère, vers la présence lumineuse à l’inconscient, riche de découvertes, de
rencontres et de saveurs.
Un art de la sieste, une pratique originale de la paresse, un autre regard sur la vie…
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Introduction
Les voix de la philosophie indienne
L’Inde considère que toutes les voies, et cela partout dans le monde, mènent au
même Mystère que tous les hommes, qu’ils le sachent ou pas, ne cessent de
chercher. Le terme d’« hindouisme », donné par les Anglais pour mettre une
étiquette sur ce qu’ils ne comprenaient pas, ne signifie rien. Il cherche à rassembler
tous les rites, les pratiques, les écoles philosophiques de cette ancienne contrée
dans un même panier qui ne peut les contenir. Le terme de « Sanâtana Dharma »
est plus approprié. Il désigne non seulement cette multitude de dieux, de déesses et
de pratiques mais aussi et surtout, littéralement, la « Philosophie Eternelle ». Non
pas en tant que discours théorique ou discipline intellectuelle, mais en tant que
support ou loi de la vie elle-même, en tant que « ce qui est vraiment », tant sur le
plan incréé que phénoménal. Cela n’a rien à voir avec une opinion. Le « Dharma »,
intraduisible dans nos langues modernes, est la loi objective qui régit l’Univers tout
entier, que je l’ignore ou le sache. Les notions de lois sociales, règles morales ou
religieuses ne viennent que bien après et n’en sont qu’une pâle expression.
Cette « Philosophie Eternelle » est d’abord célébrée dans les textes sacrés dit
« révélés » ou « entendus » que sont les Veda : la « connaissance », la « science »,
divisée en un ensemble de quatre parties. Ils furent composés par les sages
visionnaires de l’Inde ancienne. Le Rigveda, la « connaissance des strophes » est le
texte le plus ancien (-1500 av. J.-C.). Il contient des formules (mantra) et des
hymnes. L’Absolu est nommé Brahman. Il est omniprésent, impersonnel et sans
forme. Le Sâmaveda est la « connaissance des hymnes », des mélodies. Le
Yajurveda concerne la « connaissance des formules » rituelles. L’Atharvaveda, la
« connaissance d’Atharvâ », se compose d’incantations, de chants et de prières. A
cela ont succédé les interprétations sur le Brahman et les commentaires sur les
9
sacrifices (Brâhmana) ; les textes ésotériques nommés « traités forestiers » ; les
disciplines annexes du Veda : la phonétique, le rituel, la grammaire, l’herméneutique,
la métrique-prosodie des hymnes et l’astronomie-astrologie. Mais l’essentiel de cette
« Révélation » se cristallise dans les célèbres traités philosophiques nommés
Upanishad, littéralement « s’asseoir au pied du Maître », qui closent le canon
védique en marquant l’accomplissement et la fin de la connaissance (vedanta).
Ceux-ci peuvent se résumer à ce qu’il est coutume d’appeler les quatre « grandes
paroles » (mahâvâkya), en lien avec chacun des 4 Veda, à retenir et méditer. La
première affirmation définit la « Vérité » : « La Conscience est Brahman » 1. La
seconde nous enseigne que la nature de notre identité est UNE avec la Réalité
Absolue : « Tu es Cela ». La troisième apparaît comme l’énoncé de l’expérience
directe : « Cette Âme (ou Soi) est Brahman ». La quatrième, enfin, comme un chant
de reconnaissance, de réalisation et de libération : « Je suis Brahman ». Quant aux
dieux védiques, citons Indra, le dieu guerrier, « celui qui possède la puissance » ;
Mitra, « l’ami », et Varuna, « le ciel », gardiens de l’ordre ; Agni, le « feu », et
notamment, Rudra, le « terrifiant », celui « qui fait pleurer », qui est un prototype du
célèbre dieu des yogi, Shiva, le « Bienfaisant », qui apparaîtra dans les Ecritures
ultérieures, ainsi que Vishnu, l’« omniprésent », celui « qui se répand ». Il en est
d’autres, dieux solaires, divinités féminines, démons et autres génies que les
passionnés de mythologie ne manqueront pas de chercher directement dans les
textes. 2
Cette « Philosophie éternelle » est ensuite célébrée dans les paroles dites
« rappelées » qui constituent tout le fondement la Tradition indienne. Il s’agit des
épopées, des textes plus accessibles à tous et donc beaucoup plus populaires que
les textes « révélés » connus des prêtres, des érudits et de certains chercheurs
spirituels. Ces textes répondent et réfèrent aux paroles de la révélation qui font
autorité, en s’adressant au plus grand nombre à travers l’histoire et la mythologie de
ses dieux et de ses déesses, et cela, avec une profonde philosophie. Ils incluent des
épopées légendaires et célèbres comme le Mahâbhârata (dont la Bhagavad-Gita est
considérée comme appartenant à la Révélation), et le Râmâyana. Dans ces
histoires, l’Un, l’impersonnel Brahman des textes « révélés », prend des formes
multiples, plus humaines et donc plus proches du peuple qui peut alors facilement
s’identifier aux « descentes » (avatara) de Vishnu telles que Krishna ou Râma, ou
encore à leurs compagnes. Ces textes incluent également des recueils
mythologiques et religieux qui traitent traditionnellement de la création de l’Univers,
des créations secondaires, de la généalogie des dieux et des sages, de la création
de la race humaine et des premiers hommes et des histoires dynastiques. La plupart
furent composés entre 400 et 1200. Il existe aussi des traités tantriques, des « livres
de la loi », évoquant préceptes moraux, code de conduite, lois, traité juridique, code
pénal, établis par de grands législateurs, comme Manu qui essayent d’accorder
l’esprit védique avec l’époque présente. Mais le Dharma n’étant pas un dogme, ces
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textes ne sont pas spécialement suivis, voire considérés comme popularisés par les
Anglais pour imposer un cadre à une Réalité qui ne saurait en avoir.
Sur cette « Vérité éternelle » insaisissable par l’intellect humain, la Tradition indienne
propose plusieurs « points de vue » (darshana) qui acceptent l’autorité védique. Le
nyâya, littéralement « nature originelle », est le courant de la logique, fondé par le
philosophe logicien antique Aksapâda Gautama. Il étudie les moyens de
connaissance, basée sur l’analyse logique et le raisonnement, en développant, par
exemple, la sémantique linguistique. Le vaisheshika, « particulier, spécifique », école
de la systématique, classifie les concepts, la doctrine philosophique discriminative
remontant au Ier siècle, traditionnellement attribuée à Kanâda et à son
Vaishesikasûtra composé en dix livres. Elle s’occupe de discerner les différences
caractéristiques entre les choses. Sa préoccupation est ontologique et
systématique ; on y classifie les concepts en 6 catégories : les substances, les
propriétés, les activités, les substrats génériques ou discriminatifs et les inhérences.
Le samkhya, « le mesurable », désigne l’école de la discrimination évolutive des
substances fondée sur la discrimination, et attribuée à Kapila que certains
considèrent comme une manifestation de Vishnu. Ce point de vue traite des
structures universelles, ou macrocosme, postule un principe suprême et classe les
éléments en plusieurs catégories. Le yoga, « atteler » (yuj), est l’exercice de la
communion spirituelle, le moyen et le but, l’union avec la plus haute Conscience.
Codifié par Patanjali dans ses Yoga-Sutra, le « yoga des rois » (râjayoga) traite de
l’univers intérieur de l’homme dans une vision théiste du samkhya. Il est une pratique
intégrale, un moyen d’investigation intérieur pour connaître le Soi, traditionnellement
divisée en huit membres ou étapes (ashtânga). 3 Le mîmâmsâ concerne
l’herméneutique, l’exégèse du rituel védique, les rituels et les cérémonies. Le
Mîmâmsâsûtra exposant la doctrine est postérieur au IVe siècle mais attribué à
Jaimini, également auteur d’un traité de rites domestiques. Enfin, le vedânta,
littéralement la « fin de la connaissance », désigne la culmination de la philosophie
indienne dans la « non-dualité » (advaïta). Le point de vue est attribué à Vyâsa.
C’est la philosophie exposée dans les Upanishad, connue et développée par Âdi
Shankarâchârya (788-820), le « Maître bienfaisant » qui vécut à Bénarès, où il
enseigna cette philosophie directe. On lui attribue de nombreux écrits, il fonda quatre
monastères à l’origine de plusieurs courants et continue d’exercer une grande
influence et autorité relativement à cet enseignement de la non-dualité,
« popularisé » par de grands sages tel que Ramana Maharshi, Nisargadatta Maharaj
ou Swami Chinmayananda. Cette voie invite à reconnaître le Soi par trois formes de
yoga bien spécifiques, impliquant respectivement le corps, le sentiment et la
réflexion : le karma-yoga, la voie de l’action ; le bhakti-yoga, la voie de la dévotion ;
le jnana-yoga, la voie de l’auto-investigation. L’essence de ces trois formes
classiques de yoga se mêle naturellement aux autres formes de pratiques. Toutes
les voies finissent par se rejoindre dans l’espace de l’expérience vécue.
11
Les membres et les voies du yoga
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formules, des gestes, des pratiques oculaires, des diagrammes, des massages
énergétiques, des rituels, des pratiques thérapeutiques et des moyens plus
singuliers, à la fois très spécifiques tout en englobant les autres. Yoga-nidrâ fait
partie de ceux-là.
[1] Respectivement : Aitareya Upanishad 3.3 du Rigveda ; Chandogya Upanishad 6.8.7 du Sâmaveda ;
Mandukya Upanishad 1.2 de l’Atharvaveda ; Brhadaranyaka Upanishad 1.4.10 du Yajurveda. Voir
l’intégrale des 108 Upanishads, Dervy, 2012.
[2] 108 Upanishads, Dervy, 2012.
[3] Développés dans le chapitre suivant.
[4] Yoga-Sutra, I-2.
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I – La philosophie
du yoga-nidrâ
Les origines du yoga-nidrâ
Les origines du yoga-nidrâ se perdent dans la nuit des temps, et, pourrait-on dire en
anticipant un peu, dans la Source de cette mystérieuse nuit elle-même.
Pour certains, il viendrait des voies tantriques shivaïtes, pour d’autres de voies
vishnouïtes, mais on en trouve aussi des traces ailleurs, dans des ouvrages
médicaux et dans bien d’autres écoles, qu’elles soient de penchants tantriques,
védantiques, bouddhiques ou autre, d’Inde ou d’ailleurs.
En Inde, le Seigneur du Sommeil prend tantôt la forme de Vishnu, sous son aspect
de Nârâyana, consciemment endormi sur les eaux de la manifestation, tantôt la
forme du roi des yogi, Shiva lui-même, allongé tel un cadavre vivant sous le corps
dansant de la furieuse Kâlî. Dans les deux cas, les Dieux représentent l’Ultime
Témoin que nous sommes tous, la Pure Conscience que la pratique de yoga-nidrâ
nous invite à reconnaître, sinon à nous y rendre disponibles et ouverts.
Ces deux divinités – tant leur nom que leur représentation – peuvent être des
supports de choix à la pratique. Le chant dévotionnel éveille le sentiment, la forme,
l’humilité et l’inspiration, en appelle à la Présence. La force des images peut aider à
se concentrer, apaiser, relier. La répétition du mantra permet également de
reconnaître un espace silencieux en amont des pensées. Toutes ces pratiques
traditionnelles ouvrent à la saveur unique du sacré et de la joie sans objet, et yoga-
nidrâ ne fait que nous aider à lever le voile qui nous en sépare. Vishnu, sous l’aspect
de « la demeure de l’homme » (nârâyana), ou Shiva sous l’aspect du
« cadavre bienfaisant » (shiva-shava), ne sont, comme toutes les divinités du
panthéon indien, que des formes inspirantes de l’Un qui demeure, qui est aussi
l’Unique enseignant, la Vie, sous toutes ses manifestations, de laquelle nous
pouvons tout apprendre, tout lâcher et tout comprendre.
Dans le Mahâbhârata, « la grande histoire de l’Inde », l’un des chapitres mentionne
les mille noms de Vishnu, « l’Omniprésent », que le célèbre guerrier Bhishma, « le
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terrible », enseigne à Yudishtra, l’aîné des Pancha Pandavas. Certains voient dans
le mythe de Nârâyana l’origine impersonnelle du yoga-nidrâ, mais aussi l’origine du
monde. Tout ce qui s’y rapporte est un enseignement qui comporte par analogie de
nombreuses indications très intéressantes pour la pratique et l’attitude à adopter. La
traduction littérale de ce court texte, la plus courte et poétique possible, ne peut
rendre compte de la richesse du texte sanskrit dont chaque mot mérite un petit
commentaire pour en savourer pleinement la signification profonde.
« Je salue le Seigneur des dieux au nombril de lotus, qui repose serein, sur le
serpent infini
Soutien de l’univers, semblable au ciel, pareil au nuage, aux membres
harmonieux
Le bien-aimé de Lakshmi, aux yeux de lotus, perçu par les yogis en méditation
Je salue Vishnu, qui ôte la peur de l’existence, l’unique souverain de tous les
mondes ! » 5
Nârâyana n’est pas désigné et cité tel quel mais la description qui est faite de cet
aspect très particulier de Vishnu lui correspond. Son nom vient de nâra, l’homme, et
de ayana, refuge, demeure ; littéralement, « celui en qui les hommes trouvent refuge
(ou demeurent) », ou le « refuge des hommes » ou encore « qui demeure en
l’homme ». Il est aussi appelé Vâsudeva, « dieu en qui tout réside ». Son nom nous
renvoie directement au Soi qui resplendit en nous-mêmes mais aussi en dehors,
puisqu’Il est partout à la fois. Nârâyana « repose sur les eaux » dans l’état éternel de
« sommeil conscient » (yoga-nidrâ). Il a quatre bras qui tiennent une conque, un
disque, une massue et un lotus. Le Seigneur Suprême demeure l’observateur non-
manifesté de la résorption de l’univers dans l’état informel de l’Océan Causal. Les
« restes » de la manifestation se sont coagulés pour former le serpent Shesha, qui
sert de couche au dieu. Aussi nommé Ananta, dont le mot sanskrit signifie « infini »
ou « illimité » (une des épithètes de Vishnu, proche d’ânanda, la félicité), le serpent
cosmique représente l’énergie, la vie elle-même de l’univers, la vibration qui circule
dans l’axe de notre dos et l’intimité de toutes nos cellules. Cet aspect subtil nous
invite à nous unir (yoga) avec le Témoin immuable des manifestations
phénoménales des états de veille et de rêves qui se résorbent chaque nuit dans la
béatitude du sommeil profond. Nârâyana est encore au-delà des trois états, plongé
dans la béatitude du « 4e état » (turiya). Allongé sur le dos, il demeure bienheureux
et paisible dans la pleine conscience de cet arrière-plan de conscience-énergie
illimité et infini dans lequel tout apparaît et disparaît, tout naît et meurt, au-delà
même de toute idée de création ou d’éveil, de maintien ou de rêve, de destruction ou
de sommeil. La tranquillité apparaît donc comme une qualité première, essentielle.
La dissolution de l’Univers se produit par la résorption successive des éléments
(tattva) des plus grossiers aux plus subtils, de la même manière que se produit
l’effondrement sensoriel à l’endormissement. De son nombril s’élève le dieu Brahmâ
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qui crée les mondes tranquillement assis sur une fleur de lotus. La représentation de
Nârâyana, symbole paradoxal du Non-manifesté, est d’un symbolisme hautement
opératif : allongé et endormi sur les eaux « sans rivages » dans la posture du
cadavre (shavâsana), il contemple en éternel yoga-nidrâ les mondes apparaître et
disparaître en lui, sans qu’il en soit affecté, d’où sa paisible apparence que le yogi
est invité à imiter, à partager. Il assiste à l’action des trois dieux de la Trimurti :
Brahmâ qui Génère, Vishnu qui Organise et Shiva qui Détruit (G.O.D.), et en cela, il
est au-delà, parabrahman, le Non-manifesté, le Suprême au-delà du suprême,
l’Espace absolu qui contient tout. Le serpent lui sert de « couche » (de tapis de
yoga !) sur laquelle il « dort ». Le serpent n’est pas un simple serpent, et puisqu’il
porte l’Omniprésent lui-même, il est lui-même Cela, à l’instar du couple Shiva-Shakti.
Le serpent incarne ici sa force, son pouvoir, sa kundalini-shakti, l’énergie à la source
même de toute manifestation émanant de son nombril grâce à Brahmâ qui génère,
crée les univers, assis sur le lotus rose qui symbolise la beauté et la pureté, et qui en
tant qu’épithète, renvoie à la Déesse Lakshmi, « pure comme un lotus », sa Shakti,
qui est en train de toucher le pied de son bien-aimé, celui qui règne sur tous les
dieux, pour lui faire ressentir sa présence, comme le yogi laisse descendre son
attention dans son pied pour en prendre conscience. Il est le support, la base, le
soutien, le fondement, le réceptacle de l’univers tout entier, de la totalité des
mondes ; il contient tout, il est omniprésent. Il est non seulement ce qui est en train
de se passer mais l’espace même qui permet aux choses de se passer, qui permet
aux phénomènes d’apparaître. Il est l’espace même de la conscience, il est comme
le ciel, il lui est semblable, similaire, infini, illimité. Extérieurement, en apparence, sa
peau a la couleur du nuage. Il est l’essence des sons et des mots, de la parole et de
la poésie, il est la saveur de toute chose. Les membres de son corps sont brillants,
lumineux, ornés, beaux, splendides et de bon augure. Il cristallise des propriétés
positives rappelant qu’il est aussi heureux, distingué, honnête, vertueux et prospère,
cette dernière qualité étant renforcée par la symbolique de sa parèdre. Il est en effet
l’époux, le bien-aimé magnifique de la splendide Lakshmî, la « Fortune », la déesse
de la prospérité et de la chance, de la richesse et de l’abondance. Elle est née dans
un lotus issu du barattage de l’océan primordial de lait. Elle est souvent représentée
sur un piédestal de lotus, tenant en main un lotus qui symbolise l’abondance,
souvent ondoyée par deux éléphants. Les commerçants indiens l’invoquent en
encaissant l’argent d’une transaction ou pour s’assurer la prospérité matérielle. Il a
des yeux de lotus rose rappelant les dix puissances de la déesse Shakti et les yeux
du seigneur Krishna « aux yeux de lotus ». Les yogi qui pratiquent la méditation
(dhyâna) s’unissent à Nârâyana (ils le reconnaissent en eux-mêmes) dans lequel les
peurs se dissolvent. En pratiquant yoga-nidrâ, en fréquentant, en imitant, en
accédant et en comprenant Nârâyana, la dualité des désirs et des aversions est
dépassée. En Nârâyana, dans le profond sommeil conscient, l’homme trouve le
repos et la paix de l’âme (âtman). Le dernier vers invite à l’abandon, à la soumission
(se mettre dessous…) totale à l’arrière-plan d’attention. J’accueille, je salue, je rends
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hommage, je témoigne du respect, je loue, vénère, célèbre et honore le Seigneur
Vishnu auquel je m’offre tout entier : non pas à une représentation extérieure, une
simple idole, mais à la conscience toute-embrassante elle-même, sans forme
(comme l’indique la racine du mot « vish », s’étaler, se répandre, pénétrer, baigner),
qui émerveille le monde par le jeu de ses projections en créant l’illusion (mâyâ). Le
fait de reconnaître le Soi supprime la peur, l’effroi, la détresse liés à l’existence.
Bhava, « l’Être », et Hara, le « Destructeur », sont des épithètes de Shiva qui dissout
les tourments de la naissance, du rêve et de la veille dans le sommeil profond
analogue à la mort qui en Nârâyana, se révèle être un simple concept projeté par la
pensée. La fusion dans l’Un détruit le défaut de vision, supprime l’identification aux
multiples manifestations du non-Soi. Hari-Hara (« qui détruit ») exprime d’ailleurs
l’unité de Vishnu et de Shiva, comme en témoigne la Skanda Upanishad : « le cœur
de Vishnu est Shiva et le cœur de Shiva est Vishnu ». Le Seigneur du Non-
manifesté est le grand maître qui épouse toutes les formes ; il est l’Unique, l’Un-
sans-second, le Seul, le maître de tous les univers, de tous les mondes et
phénomènes qui apparaissent, se maintiennent et disparaissent en lui.
« Enivrée par le sans des démons, Kâlî se mit à danser sauvagement sur le
champ de bataille. L’univers ébranlé jusque dans ses fondements tanguait sous
ses pieds. La création tout entière risquait d’être détruite par la frénésie de la
déesse. Alors Shiva pour sauver le monde se jeta sous les pieds de Kâlî et
absorba dans son corps les terribles vibrations. La déesse réalisa le danger
qu’elle faisait courir au monde, tira la langue de honte et reprit son aspect
apaisé de Pârvati. » 7
Sans l’énergie (shakti), Dieu lui-même ne serait qu’un corps sans vie, un cadavre
(shava), mais l’énergie ne serait pas non plus sans la Source unique de toute vie. Le
couple symbolise l’unité de toute chose, le dépassement des opposés et de la
dualité des phénomènes, la reconnaissance de l’immuable au cœur de l’éphémère
mouvant. Dans la pratique de yoga-nidrâ, Shiva est le témoin immobile de la
conscience vibrante dans toutes les cellules du corps, le spectateur tranquille des
sensations, des pensées ou des images, de tous les phénomènes qui apparaissent
et disparaissent sans cesse à chaque instant en son sein. Shiva apparaît également,
dans le mythe, comme un enfant, afin d’éveiller la compassion de Mâ Kâlî, la
« Mère ». Le mythe renvoie encore directement à notre pratique. Avec l’attitude de
l’enfant qui découvre le monde comme si c’était la première fois, sans a priori ni
préjugé, l’énergie s’apaise, prend en charge, réconforte et nourrie. Sous la forme du
cadavre ou de l’enfant, Shiva éveille à la compassion et à l’amour. La déesse de la
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conscience ne fait finalement que couper les fils de l’illusion, les têtes de l’ego, qui
nous séparent de la joie pure, que nous cherchons dans les plaisirs extérieurs alors
qu’elle se trouve déjà en nous dans le mystère de l’être.
C’est pourquoi la forme des mantra (ou des prières) ne fait que nous inviter à saluer,
à s’incliner, à célébrer, à se souvenir, à s’unir à cette pure Conscience présente en
chacun de nous, au-delà des multiples formes revêtues par les dieux et les déesses
de l’Inde ou d’ailleurs. La « salutation spirituelle », si j’ose dire, invite à une
conversion du regard, un retournement de l’attention sur elle-même, une présence à
l’ouverture, une dissolution de la pensée dans le Soi. Le rythme du mantra – qu’il soit
om namah shivaya ou om namo nârâyânaya – exprime aussi cette dissolution et cet
enfoncement progressif dans les profondeurs de soi-même et du sommeil conscient.
Il en appelle à l’énergie qui inonde l’arrière-plan, à s’unir à cette connaissance JE
SUIS toujours tranquille et témoin de ce qui apparaît et disparaît. La vibration même
du « AUM » invite à éprouver les manifestations de la veille (A), du rêve (U) et du
sommeil profond (M) qui finissent par se dissoudre dans l’essence silencieuse sous-
jacente à l’aspect sensible du son. Nârâyana, comme Shiva, est à la fois dans tout et
contient tout en lui ; il est celui qui est étendu et l’étendue elle-même. Il est le Soi, la
Conscience (chit), l’Être suprême (sat) débordant de Félicité (ânanda) qui prend tour
à tour l’aspect de la création, de la préservation et de la destruction. Il est le grand
JE à la fois tout-imprégnant et au-delà du temps et de l’espace, à la fois l’espace et
son contenu ; il est le grand maître qui enseigne aux visionnaires l’art du sommeil
des sages.
« Lorsque le désir et la peur sont déracinés, le destin n’a plus de prise. Par un
effort constant, le yogi est finalement conduit à la pure félicité du sommeil
conscient.
Maintenant que tu as atteint le repos dans le lit du « quatrième » qui contient les
trois autres,
Sans aucun doute, ami, tu savoures le sommeil sans fin, vide de tout concept
(pensée). » 9
18
Shankarâchârya rappelle ici le but du yoga : l’arrêt de la pensée discursive et
associative coupe instantanément la racine de la certitude et du doute. Par un
engagement sans faille, s’épanouit, chez le yogi, cette qualité de pure conscience
qu’il appelle ici « yoga-nidrâ ». Cette ouverture à l’inconnu permet de rencontrer le
repos dans ce mystérieux « quatrième espace » dans lequel apparaissent et
disparaissent les états de veille, de rêve et de sommeil profond. Le but de yoga-
nidrâ, en tant que moyen, est de reconnaître et d’appréhender, dans une profonde
tranquillité, attentive et équanime, toutes les manifestations de ces états. Car pour
lâcher-prise, encore faut-il savoir à quoi l’on se cramponne. Ainsi, en observant et en
lâchant prise sur ces phénomènes, le yogi peut enfin jouir de ce « sommeil sans fin,
vide de toute pensée », et cela, qu’il soit en pleine action, en train de rêver ou de
dormir profondément.
19
Il convient de reconnaître ici que le véritable bonheur, pointé par ces enseignements,
ne consiste pas à réaliser ses rêves, mais de reconnaître, simplement, que nous
sommes en train de rêver. Et cela, que ce soit dans l’état dit de « veille », ou dans le
sommeil dit « paradoxal ». Dans les deux cas, de façon ordinaire, l’esprit est en proie
à l’agitation et à la souffrance, identifié aux formes qu’il ne cesse de projeter et qu’il
ne contrôle pas. L’homme vit alors dans l’illusion, et associe sa plus grande
inconscience au sommeil profond, quand celui-ci est en fait l’état dans lequel il s’est
le plus rapproché d’une certaine béatitude, et donc de sa véritable nature :
« Lorsque le dormeur ne désire plus jouir de quelque objet que ce soit et ne voit
plus aucun rêve se dérouler, il entre alors en sommeil profond (sushupti). Au
sein du Soi qui siège a l’état de sommeil profond et porte alors le nom de
Prajna, l’Intelligence tout-inclusive, tout est unifié.
Il est densément empli de pure conscience, il est empli de félicité, tout en
restant celui qui jouit de cette félicité, et il est doté d’une unique bouche, la
Conscience. » 11
C’est pourquoi Ramana Maharshi nous invite à prendre conscience de notre état de
sommeil profond pendant l’état de veille : « Provoquez l’état de sommeil profond
durant l’état de veille et c’est la Réalisation » 12. C’est également l’un des grands
enjeux de yoga-nidrâ : demeurer conscient, vigilant, aussi bien dans la veille que
dans le rêve et le sommeil profond, en reconnaissant la permanence au cœur même
de l’éphémère. 13
20
je ne suis pas. Quand le spectateur se prend pour le spectacle, c’est alors le début
de la souffrance. Jusqu’à qu’il se souvienne qu’il n’est pas le film projeté sur l’écran,
mais le témoin de celui-ci, demeurant inaffecté par ce qui se passe sur l’écran. Ainsi,
lorsque JE m’identifie aux phénomènes qui apparaissent en MOI, je m’identifie au
monde des objets (veille), des sens, des pensées et des impressions (rêves, en état
de veille et de sommeil paradoxal) et au vide de mon propre monde subjectif
(sommeil profond), sans en être conscient. En d’autres termes, Shiva (JE) se
manifeste au travers de la Trimurti (SUIS), en créant des mondes d’idées
imaginaires dans l’état de veille (Brahmâ), en les préservant dans le rêve (Vishnu) et
en les détruisant de nouveau dans le sommeil profond (Shiva). 16
Notons ici que l’enseignement tantrique du shivaïsme du Cachemire mentionne un
« cinquième état », inextricablement lié au « quatrième », tout comme Shiva est
indissociable de Shakti. La Vie est Une. Mais elle s’exprime selon des modalités
différentes. Pour la tradition tantrique, la vie de l’être humain s’articule donc non
seulement selon ces cinq états de conscience, mais aussi, et c’est là sa singularité,
elle considère que ces différents états de conscience portent en eux-mêmes les
« caractéristiques » de tous les autres. En d’autres termes, la Conscience la plus
pure, incarnée dans un organisme corps-esprit, peut alors s’identifier à plusieurs
états sensiblement différents, et cela, à l’intérieur même de chaque état. Par
exemple, il est possible de distinguer un état de « veille dans la veille » : la
Conscience y est identifiée aux objets du monde extérieur, aux corps physiques, aux
formes, aux mots et aux noms. C’est en fait une absence de veille au sens propre,
un état d’inconscience et d’identifications absolues dans lequel JE SUIS
complètement identifié au monde matériel qui absorbe toute mon attention. Dans le
« rêve dans la veille », il existe une certaine conscience : JE SUIS complètement
identifié au monde « intérieur » des impressions sensorielles, des sensations, des
émotions et des pensées. Je regarde quelqu’un sans le voir vraiment, plongé dans
les impressions, dans les associations de pensées, les jugements, les a priori, les
représentations mentales. Je rêvasse, je suis « perdu dans mes pensées ». Dans le
« sommeil profond en état de veille », JE perds conscience du monde extérieur et du
monde des impressions, en ne percevant ni l’un ni l’autre : JE SUIS identifié au vide
tranquille, impersonnel et bienheureux de ma propre subjectivité, au plus proche de
la Conscience suprême. Dans cet état disparaît le sens du « moi-je », et donc les
désirs et les aversions qu’il engendre, d’où l’état de repos et de grande tranquillité.
Enfin, dans le « quatrième état dans la veille », JE SUIS le témoin conscient des
trois autres états qui apparaissent, se maintiennent et disparaissent. 17 Il est ainsi
possible d’investiguer et de percevoir ces différents phénomènes tout en demeurant
témoin depuis ce « poste d’observation », sans pensée, que constitue le
« quatrième état ». Yoga-nidrâ nous invite à « le » reconnaître comme étant notre
véritable nature.
21
Qui suis-je ?
Il s’agit donc de trouver qui est le véritable sujet, de se poser la question « Qui suis-
je ? », « Qui voit ? », etc. Non pas de façon intellectuelle mais de manière directe,
par l’expérience vécue :
22
que le résultat de la nourriture solide et liquide qu’il absorbe. L’identification au corps
grossier culmine évidemment dans l’état de veille (jâgrat).
Ce corps physique est enveloppé, pénétré et animé par la gaine énergétique
(prânâmaya kosha) qui nous intéresse particulièrement dans la pratique du yoga.
Elle est constituée par les centres d’énergie (chakra et adhara), les méridiens (nadi)
et les souffles vitaux (prâna et vayu). La structure énergétique – qui peut être vue et
ressentie comme l’est le corps physique – se nourrit du prâna contenu dans l’air. Le
« corps mental » (manomaya kosha), encore plus subtil que les précédents, se
nourrit des impressions reçues par les cinq sens. C’est le mental inférieur, constitué
de la pensée associative, de la mémoire, de l’ego ou personnalité, des émotions
ordinaires. Il contient l’ensemble des contenus mentaux comme les savoirs et autres
souvenirs. En amont de ce dernier, l’« enveloppe de connaissance » (vijnânamaya
kosha) correspond à la faculté de discernement. C’est le mental « supérieur », le
corps d’intuition, le lieu permettant de saisir les archétypes, les symboles, le réel,
sans passer par le prisme de la pensée associative. Avec les deux fourreaux
précédents, il constitue le « corps subtil » (sûkshma ou lingasharîra), actif pendant la
veille et l’état de rêves (svapna). Selon certains enseignements, c’est ce corps subtil
qui transmigre de vie en vie jusqu’à la libération, à cause des impressions reçues
(samskara) qui ont renforcé ses tendances latentes (vâsanâ 20) de désirs de vivre,
de jouir, qui précipitent l’humain dans de nouvelles incarnations (samsara). C’est ce
qui se passe chaque jour, après la « mort » du sommeil, la « re-incarnation » du
réveil et la ré-apparition du sens du « moi ».
Enfin, le corps dit de « félicité » (ânandamâyâ kosha), ou « causal » 21 (karana
sharîra). Il est impersonnel, sans forme et universel. C’est cet espace bienheureux
dans lequel nous demeurons ordinairement identifiés dans le sommeil profond
(sushupti). « Réaliser l’état de sommeil profond dans l’état de veille » revient à
prendre conscience de cet espace silencieux, sans pensée, dans lequel le sens du
« moi » a complètement disparu. A cet instant même, il n’y a plus de problème, il n’y
a même plus personne pour en avoir. Chaque séance de yoga-nidrâ est une
merveilleuse occasion de s’abandonner à cet inconnu qu’à défaut de chercher à
expliquer, nous pouvons intimement et consciemment ressentir, être. On jouit certes
de cet état, mais la pratique ne saurait se limiter à une telle complaisance. Car si
j’arrive à en prendre conscience, c’est que JE SUIS, en essence, encore au-delà de
lui (turîya).
Le corps suprême n’est rien d’autre que ce « quatrième état » (turîya) qui n’en n’est
pas un. Il est le suprême samâdhi, l’unique témoin, la libération, le Brahman lui-
même, l’extinction totale du moi (le nirvâna bouddhique), au-delà de la forme et des
concepts, au-delà de ce non-état lui-même dit la sagesse indienne, « au-delà du
quatrième » (turîyatta), « au-delà de Brahman » (parabrahman).
Yoga-nidrâ va nous permettre d’investiguer, de découvrir, de reconnaître et de
pénétrer dans ces structures légèrement désorganisées par la force de la pratique. Il
sera donc plus aisé de naviguer dans ces différents corps ou états pour tenter d’en
23
reconnaître l’espace sacré, la pure conscience, qui les relie, les habite, les embrasse
et les englobe. L’alliance de la tranquillité profonde et d’une d’attention très fine,
d’une grande vigilance, permet l’ouverture à cette « quatrième » qualité de
conscience. Notons d’emblée qu’elle ne se substitue à rien mais s’ajoute à tout. Elle
n’est donc pas l’exclusivité d’une pratique ou d’une action particulière. Yoga-nidrâ
crée un contexte et une disponibilité favorable pour la reconnaître, mais cette
Présence peut tout aussi bien être reconnue et « cultivée » en coupant des légumes,
en marchant dans la rue ou en conversant avec quelqu’un.
24
eau, feu, air et espace) et leurs propriétés. Cette énergie elle-même se manifeste
par l’évolution des « substances élémentaires » (tattva). Le jeu de ces trois forces,
qui s’opposent et se complètent (comme dans le Tao), influence tous les
phénomènes cosmiques ou individuels. Tout phénomène est le fruit des cinq
éléments combinés par ces trois forces. En équilibre elles sont la matière primitive
avant son évolution et leur jeu déploie la manifestation : plus les formes deviennent
grossières et plus les vibrations sont lentes. Bien qu’inactif, le Purusha cause le
développement de l’univers et le processus de la manifestation par sa simple
présence. L’équilibre corps-esprit repose donc évidemment sur l’équilibre de ces
éléments, supportés par cette présence et la force qui lui est inhérente. Chaque
élément contient les autres en proportion différente. Tout est pénétré de conscience
et d’énergie. Un dysfonctionnement au niveau de l’un peut signifier qu’il y a trop ou
pas assez d’un autre, et cela affecte la structure corps-esprit, comme l’enseigne
également la médecine indienne, l’Âyurveda, la « connaissance de la vie ».
Comme tout phénomène composé par les cinq éléments et régi par ces trois
modalités de l’énergie, l’activité du mental et le sommeil, qui est un « retour à la
matrice de la vie », adoptent donc plusieurs comportements.
Le sommeil tamasique est inconscient, épais, et peut laisser une impression de
lourdeur, de stupeur et d’engourdissement tant sur le plan du corps que de l’esprit.
Dans le sommeil profond, l’arrêt de l’activité mentale est dû à des causes naturelles,
il se produit de lui-même, à la différence de la méditation où l’effort est d’abord
requis. Il n’est donc pas un état de conscience yogique, mais cette suspension
naturelle et bienheureuse peut servir le but du yoga. Mais ici, en général, l’individu
ne sait même pas qu’il dort quand il dort. C’est un état d’ignorance, d’inconscience,
d’oubli et d’obscurité totale dans lequel l’individu se recharge et d’où il ressort
revigoré, ce qui renforce l’impression du moi dans l’état de veille, une fois celui-ci
« ré-incarné » dans l’activité du corps réveillé.
Le sommeil rajastique est troublé, agité, plein de rêves incohérents auxquels
participent activement l’esprit grossier et l’activité émotionnelle. Comme dans l’état
de veille, s’il y a trop de rajas dans le centre du cœur, l’individu sera excitable, agité,
jaloux, envieux, etc. La pratique du yoga peut alors être une belle occasion de ré-
aspirer ce rajas, cette énergie chaude, excitée, du cœur, et la remettre dans le
ventre pour harmoniser la vitalité.
Le sommeil sattvique est presque sans rêve, empli d’un sentiment de contentement
profond, avec plus de légèreté, de conscience, de clarté limpide « semblable à un
pâle clair de lune » 22. Cette impression peut s’intensifier et nous remplir d’un
25
sentiment encore plus profond. La conscience ne disparaît pas complètement et il
demeure cette impression de nuit éclairée par la lune.
Pendant le sommeil conscient du yoga (yoga-nidrâ), au-delà des qualités et des trois
états de conscience ordinaires, « le soleil est perçu flamboyant dans le ciel » et « ce
qui est nuit pour toutes les créatures est jour, temps d’éveil, pour le yogi » 23. Le
système sensoriel, la pensée, « moi-je », s’effondrent mais la conscience n’y est pas
identifiée. JE SUIS demeure, éclatant et empli de félicité, contemplant le flux et le
reflux du sommeil, des rêves et de la veille sans en être affecté. Certains
bouddhistes l’appellent le sommeil de la « claire lumière », l’union de la vacuité et de
la clarté. La structure corps-esprit dort mais la conscience n’est ni perdue dans
l’obscurité du sommeil profond, ni prise dans l’agitation des rêves, elle demeure en
elle-même dans sa pureté, à la fois vide et lumineuse. Cette clarté illumine toute la
tête comme la lune qui orne le front de Shiva, symbole de la conscience immobile et
témoin. Le corps, l’enfant, dort ; mais la mère, la conscience, veille. L’illusion de la
séparation, qu’il existe un objet séparé du sujet ou un « moi » distinct des autres, est
dissoute. Ne demeure que la Conscience et la Joie d’Être (sat chit ânanda) inhérente
au « quatrième état » (turiya), au Brahman, au Soi (âtman) qui ne sont qu’Un.
La Saveur de cette quatrième qualité de sommeil permet de percevoir clairement le
processus d’identification qui fait que je m’attribue aveuglément une personnalité
propre et limitée faite d’un corps, d’émotions et de pensées. Elle me permet de
reconnaître qu’en essence JE SUIS infini (ananta), éternel (amrita), illimité et sans
forme (arûpâ). Mais identifié à la structure corps-esprit, je confonds la forme et le
sans-forme, le limité et l’illimité, l’éternel et le transitoire, et continue de « prendre la
corde pour un serpent ». « Dans cette réflexion le non-limité et le limité sont
confondus et pris pour la même chose » disait Nisargadatta ; « la suppression de
cette confusion est le but du yoga » 24. Dans cette démarche, il n’y a rien à acquérir
ni à vouloir. Tout est plutôt affaire de lâcher-prise. Une fois écarté ce qui apparaît et
disparaît, né et meurt, s’endort et s’éveille, il ne reste que ce que les sages nomment
parfois le « non-né », d’où émane cette Conscience qui demeure.
L’être humain perçoit grâce à cette Lumière, cette Force, qui illumine, anime et
intègre le monde des phénomènes. En termes psychologiques hindous, son reflet
immédiat est nommé « organe interne » (antahkarana). Il se compose des sens
psychiques ou fonctions intellectuelles (tattva du psychisme), constitués de pensées,
formé de l’aspect sattvique des éléments. C’est un ensemble structuré qui reçoit des
noms différents selon la fonction qu’il remplit. Il se manifeste sur des plans de
vibrations de plus en plus denses. L’« intelligence » (buddhi) a conscience du perçu,
l’enregistre et le « juge ». C’est le principe intellectuel supérieur et impersonnel, la
26
faculté de perception, de discernement, de résolution, de décision, d’intuition, au-
delà des sensations perçues par le corps, qui détermine la réalité des faits. Ce reflet
de l’être est le témoin intérieur. Le sens du moi (ahamkâra) concerne la personnalité,
le sentiment d’individualité qui siège dans le centre du cœur et d’où se manifestent
l’égoïsme, la vanité, l’amour-propre, l’orgueil, le désir, l’aversion, etc. Par le jeu de la
Nature (prakriti) et des comportements de l’énergie, je m’identifie, me limite et agis
en me pensant l’auteur de l’action, l’acteur. Parce que je suis identifié au corps, je
me conçois comme une personne particulière, séparée des autres, quand c’est
seulement le corps, le cadavre animé, qui exerce cette manifestation matérielle.
Cette identification crée le sens d’un moi agissant et séparé, un sentiment de
séparation qui crée la souffrance, le désir, la peur et par conséquent, qui éveille des
instincts bestiaux. Ce moi existe seulement du point de vue mental. Mais il n’est en
fait rien d’autre qu’une pensée, ou un agglomérat de pensées plus ou moins
cristallisées. Comme le soleil dans des vases remplis d’eau, la Réalité se reflète
dans des corps physiques différents sans pour autant être multiple. Ce
discernement, consistant à reconnaître sa véritable nature libre et illimitée, est le but
du yoga. Le questionnement « Qui suis-je ? » (koham) ne vise qu’à ôter la
douloureuse épine en brisant le processus d’identification, en dissipant cette illusion
du moi-je que le bouddha a appelé anatta, à la source de beaucoup de confusions.
Enfin, ce que l’on traduit difficilement par « mental » (manas) désigne la pensée
associative ordinaire, avec sa raison, sa mémoire, son imagination, ses émotions.
Sa fonction est de réagir automatiquement et inconsciemment au flot ininterrompu
de sensations par du désir ou de l’aversion. En fait, il ne devrait traiter que les
données pour l’intelligence (buddhi) mais à cause du sens du moi (ahamkâra), il
s’approprie son rôle. C’est son activité incessante qui provoque ce sens du moi qui à
son tour met l’intelligence en activité. Le « mental » recueille les données sensibles,
le « sens du moi » en mesure l’intérêt personnel et l’« intelligence » juge et décide.
Mais cette faculté de discernement interfère constamment avec le sens du moi qui
fausse ses données immédiates, et donc la perception du monde tel qu’il est. La
philosophie du Vedânta 25 mentionne aussi un 4e constituant de l’organe interne
(citta) lié à la faculté de connaître, de penser, traduit par « pensée », « mental » ou
« conscience » selon le contexte. C’est la partie de l’esprit responsable des
souvenirs et de la mémoire, qui conserve les impressions (samskara) comme une
sorte de réservoir. Elle est souvent considérée comme le « mental » lui-même. La
Katha Upanishad emploie l’image du char : le passager est le Soi (âtman), le cocher
est l’intelligence (buddhi), les reines le mental (manas), les chevaux les cinq organes
des sens (jnânendriya), le char est le corps et la piste les objets des sens. 26 Une
image évocatrice, à méditer à la lumière de l’observation de soi.
27
Dans la manifestation de ce reflet initial, les phénomènes continuent de se déployer
sur des plans de vibrations de plus en plus denses. Du purusha émerge la prakriti
d’où émergent l’organe interne et ses manifestations dans la création. A ces
« éléments ou principes essentiels » (tattva) du psychisme suivent ceux de
l’expérience sensible grâce auxquels l’être humain prend contact avec la
manifestation qui l’entoure par ces facultés internes de connaissance (indriya, à la
fois la fonction et l’organe) qui se composent des cinq facultés sensorielles
(jnânendriya) et des cinq pouvoirs d’action (karmendriya). Puis viennent les cinq
principes subtils ou sensations (tanmâtra), puis les éléments de la matérialité
(mahâbhûta) qui sont les cinq principes élémentaires de la matière, composant tous
les corps physiques. Les cinq facultés sensorielles et les cinq pouvoirs d’action sont
principalement animés par la force rajastique, tandis que les tanmâtra et les
mahâbhûta le sont par tamas. Cette évolution des éléments se produit sous
l’influence du Purusha.
Le mécanisme de la perception s’opère ainsi : les cinq sens objectifs (odeur, goût…)
des cinq organes (nez, langue…) sont affectés par les cinq éléments. Cette
modification est transmise au mental qui perçoit, au sens du moi qui réagit, et à
l’intelligence qui détermine. Le mécanisme joue inversement et des interférences
arrivent fréquemment selon le jeu comportemental des énergies.
28
« rivières » (nadi) parcourues de vibrations subtiles ; de sa chaleur, de sa
température et de son rayonnement, chaud comme le feu ; de son mouvement, de
son expansibilité, gazeuse et vaste comme l’air. Le but, si l’on simplifie et symbolise
le processus, est la conscience de l’élément éther, du « vide », qui est la qualité
subtile de la conscience même, et l’« essence » de tous les autres éléments et
phénomènes, le lieu même d’où ils émergent et où ils se résorbent. Non pas
l’espace physique qui contient les objets mais l’espace de conscience dans lequel
cet espace physique lui-même apparaît. Ainsi, dans la pratique, yoga-nidrâ
accordera une très grande importance à l’observation de la sensation dans le corps :
Une telle contemplation permettra peu à peu de se désidentifier du jeu des éléments,
et de reconnaître que la perception attentive et équanime des sensations renforce la
conscience qui nous est donnée de l’arrière-plan tranquille dans lequel elles
apparaissent et disparaissent. Ces paroles de Krishna s’éclairent alors d’une
compréhension nouvelle :
29
à leurs qualités élémentales, mais aussi et surtout à la manifestation des flux
d’énergie qui les animent et leur insufflent la vie.
Ce souffle vital (prâna) diversifie ses fonctions dans le corps humain, sous la forme
de dix activités : cinq souffles vitaux majeurs et cinq mineurs, dont l’équilibre –
favorisé par la pratique du yoga – est essentiel pour la bonne santé de la structure
corps-esprit. On peut donc distinguer la fonction ascendante du souffle, sous la
forme de l’expiration, intimement lié au centre du coeur ; le souffle d’excrétion, « tout
ce qui fait sortir », ce qui fait descendre les énergies, en relation intime avec la Terre,
l’anus, le centre d’énergie de la base ; le flux vital de la digestion, de l’assimilation,
lié au centre d’énergie du ventre ; le flux d’élévation qui a un rôle de montée de
l’énergie vers le haut : il tire, élève et réside dans le centre de la gorge. La synthèse
des quatre souffles maintient la cohésion dans tout le corps et correspond à la
fonction du métabolisme. C’est l’énergie d’équilibre et d’harmonie qui réside dans le
centre du pubis et dans tout le corps. Les souffles mineurs sont ceux qui sont
responsables de l’éructation, de l’ouverture et de la fermeture des yeux, de
l’éternuement, du bâillement et de l’assimilation.
Le souffle vital, subtil, de l’énergie, circule à travers des « rivières vibrantes » (nâdî),
appelées « méridiens » dans d’autres cultures. Ils remplissent, animent et enrobent
le corps physiologique dans une sphère d’un mètre cinquante autour de la colonne
vertébrale. Ainsi, l’être humain échange constamment avec le milieu cosmique par
des centres d’ouverture, et ces canaux lumineux servent la diffusion interne. Ils sont
comme « tissés » dans le corps subtil comme les fils dans un filet. Certains
enseignements les font partir du cœur, d’autres de la base, et les énergies qui les
traversent circulent selon des lois précises qui dépendent de nombreux facteurs tels
que les mouvements solaire et lunaire, l’heure, l’état, la pureté, etc. Certains en
comptent 360 000, d’autres 72 000, cela importe peu car tous s’accordent à insister
sur trois principaux. La voie de la « bienheureuse grâce » (sushumna) part de la
base de la colonne, au niveau de l’anus et du coccyx ; elle monte le long de l’axe et
sort par la fontanelle. C’est la voie royale que traverse l’énergie de la Conscience
(kundalini-shakti), le chemin direct par lequel cette énergie de vie « se retire » à la
mort. Elle est vide à l’intérieur, avec une énergie sous-jacente qui vibre. La pratique
du yoga cherche à frotter, activer, chauffer cet arbre de vie par les postures, les
30
souffles, les concentrations et les sons, afin de le rendre chaud et vibrant. Elle est
personnifiée par Sarasvatî, déesse de la parole, de l’art. Autour d’elle se trouvent le
canal lunaire, « frais » (idâ), du côté gauche, qui représente Gangâ dans le
microcosme (le fleuve & la déesse qui le personnifie). Il part du testicule droit,
remonte en serpentin (ou directement) en entourant les centres d’énergie. Le canal
de gauche est pâle, lié à l’activité féminine, à la narine gauche, à l’intériorité, à la
mort (qui « vient par côté gauche »), au calme. Le canal « dorée » ou « solaire »
(pingala) du côté droit, est une représentation de Yamunâ dans le microcosme. Il est
rouge et gère le complément, le côté extérieur, masculin, chaud, actif, agité, le côté
de l’action.
L’observation, dans le yoga et toutes les activités quotidiennes, nous montre
comment l’énergie circule dans ces trois canaux. Un souffle va naturellement circuler
dans le canal lunaire une ou deux heures selon les individus, puis un peu au milieu,
puis change côté. Quand le souffle est solaire, l’air passe plus à droite, et
inversement. En les purifiant et en les rééquilibrant intentionnellement par certaines
pratiques respiratoires, l’énergie circule avec plus d’harmonie et de force. Une autre
qualité de sensibilité s’éveille.
Les centres de conscience, ces « roues » d’énergie où ces méridiens se croisent,
sont appelés chakra. Ils servent de régulateurs et de transformateurs du souffle vital.
Les principaux chakra sont disposés le long de l’axe, et on en compte entre trois et
douze selon les écoles, dont sept importants. Les autres se situent dans les orteils,
les plantes de pieds, les chevilles, les genoux et toutes autres articulations du corps
physiologique. Cela dit, il importe de garder à l’esprit qu’un chakra n’est jamais un
organe ou un os, même si l’on s’y réfère par analogie avec le corps physique.
Le « support de la racine » (mûlâdhâra) est situé à la base de la colonne vertébrale,
à la racine du canal central. Il est traditionnellement représenté par un lotus de
quatre pétales rouges, une roue à quatre rayons. Un carré jaune y symbolise la
terre, il contrôle le sens de l’odorat, il est relié aux pieds et aux jambes, et porte le
« mantra racine » « LAM » sur un éléphant qui symbolise les énergies terrestres de
force, d’équilibre, de support, de fermeté. Il gère le corps physique. La tradition du
yoga, parfois hermétique, enseigne que c’est là que sommeille l’énergie de la
Conscience, la Kundalini-Shakti, lovée trois fois et demie comme un serpent autour
du suprême symbole de Shiva, un sexe dressé et immobile, « auto-engendré »
(lingam). Une fois éveillée, cette énergie vitale, symbolisée par un triangle rouge,
remonte de façon ascensionnelle en traversant et en purifiant tous les autres
centres.
Juste au-dessus, « le siège de soi » (svâdhishthâna), est situé au niveau des parties
génitales et de la région sacrée. Il est représenté par un lotus de six pétales rouges.
Un croissant y symbolise l’élément eau. Il porte le son « VAM » qui repose sur une
sorte de crocodile. Il contrôle le sens du goût. Il est le centre psychique de la
jouissance et est lié au fait de prendre, aux mains. Vishnu y est assis sur sa
monture, l’aigle Garuda, celui « qui dévore ».
31
Toujours dans l’axe, situé au niveau du plexus solaire, le centre « abondant en
joyaux » (manipûra), est représenté par un lotus bleu à dix pétales. Au centre, un
triangle rouge renversé y symbolise l’élément feu (d’où l’éclat des joyaux), et il porte
le son « RAM » qui repose sur un bélier. Il contrôle le sens de la vue (pas de lumière
sans feu, et inversement) et la digestion. Il est lié au ventre, aux yeux, à l’anus, aux
gros orteils, à l’axe et à tous les autres points de feu. Rudra, le « tourmenteur », le
« furieux », celui « qui fait pleurer », épithète d’Agni et prototype védique de Shiva, y
demeure recouvert de cendres et assis sur un taureau « joyeux » (nandi).
Le centre d’énergie du cœur (anâhata) est représenté par un lotus de douze pétales
d’or. Deux triangles entrelacés (ou un hexagone) y symbolisent l’élément air, et
portent le son « YAM ». Ishâ est assis sur une antilope noire symbole du mouvement
et de la rapidité. Dans l’hexagone est un triangle renversé à l’intérieur duquel est le
Shivalingam resplendissant comme un bloc d’or, symbole du désir sexuel. Il est le
siège de l’âme individuelle et de la vie symbolisée par une flamme « immobile dans
un espace sans le moindre souffle du vent ». Il émane un « son subtil non-frappé »
(anâhata shabda) qui naît dans le silence. Il est en relation avec le sens du toucher,
avec la peau, le sexe, la respiration et le sommeil. Tous les autres sens existent
grâce à lui et non l’inverse, car le « contact » est nécessaire à la perception
sensorielle. Un autre centre y réside à huit pétales, la « roue de la félicité », où le
dévot peut s’y représenter sa divinité de prédilection sous un « arbre à souhaits »
magnifique, ou encore un cœur rutilant entouré de flammes, comme dans la vision
de Marie Alacoque dite du « Sacré Cœur ». Selon le contexte, le « cœur » évoque
tantôt l’organe, tantôt le centre d’énergie, tantôt le Soi, ou la pure Conscience dans
laquelle tout apparaît et disparaît.
Situé au niveau du larynx, à la base de la gorge et de la colonne cervicale, le centre
« très pur » (vishuddha) est représenté par un lotus de seize pétales mauves. Un
cercle blanc dans un triangle y symbolise l’éther, l’élément espace, « étincelant
comme la pleine lune ». Il porte le son « HAM » posé sur un éléphant. Il contrôle le
sens de l’ouïe. Il est le centre du Verbe Sacré, de la parole manifestée, en relation
avec les oreilles, les cordes vocales et le souffle vital qui remonte. Shiva le domine
sous sa forme androgyne. D’après certains textes tantriques, l’éveil de ce centre
porte la libération, en permettant de voir « les trois formes du temps » au-delà du
temps.
Situé entre les deux sourcils, le centre de « commande » (âjnâ) est représenté par
un lotus blanc de deux pétales. Un triangle blanc y symbolise l’esprit. Il porte le son
« AUM ». Il contrôle le mental et est le centre de l’autorité. C’est le chef d’orchestre
des autres roues d’énergie, l’espace mental dans lequel le monde apparaît. Shiva y
demeure sous sa forme phallique dans un triangle symbole du sexe féminin.
Enfin, le centre aux « mille pétales » (sahasrâra) est situé à la « porte du divin », en
haut de l’occiput, juste au-dessus de la fontanelle. Il est la demeure suprême de
Shiva, « plus blanc que la pleine lune », et symbolise l’étape finale de la réalisation.
Ce lotus aux mille pétales d’or porte toutes les cinquante lettres de l’alphabet
32
sanskrit. Dans le lotus est un triangle au milieu duquel est le « grand vide », symbole
de la lumière suprême et de l’union divine. Il est en fait en dehors de la structure des
roues d’énergie car si l’on compare le canal central à une route, elle n’y va même
pas. Shiva y est assis sur le cygne (hamsa), symbole de l’inspiration (ham) et de
l’expiration (sa) signifiant « JE SUIS (CELA) », le souffle de Brahmâ qui produit la
création et la résorption des mondes. C’est dans ce Vide Absolu que l’énergie de la
Conscience finit sa course et se résorbe, symbole de l’union bienheureuse entre
Shiva et Shakti, la Conscience et l’Énergie.
La structure énergétique communique avec les corps physique et mental par des
« supports » (âdhâra), des « réceptacles » qui sont des lieux de force et d’échange
d’informations intéressants à prendre en compte pour toutes les pratiques
énergétiques et thérapeutiques. Yoga-nidrâ insistera ainsi sur la prise de conscience
et la saveur de certains points précis dans les gros orteils, les chevilles, les genoux,
les hanches, les sphincters extérieur et intérieur de l’anus, la base du sexe, entre le
pubis et le nombril, dans le plexus solaire, le point central du cœur, la gorge, la
luette, l’occiput, la racine de la langue, l’espace entre les sourcils, la pointe du nez, le
centre de la tête dans la région intérieure du front et dans la fontanelle.
Notons également la présence de certains « nœuds » (granthi) dans la structure
énergétique. Au départ chaque individu a trois nœuds qui appartiennent à l’espèce.
L’un des buts du yoga est de comprendre et de défaire ces trois nœuds. Chacun doit
les dénouer dans sa vie pour transcender les conditionnements de l’espèce et
accomplir son destin spirituel. Ils sont liés aux trois centres (chakra) principaux dans
lesquels les énergies sont les plus puissantes, ainsi qu’aux trois dieux de la trinité
hindoue, symbole de l’apparition, du maintient et de la disparition des phénomènes.
Dans le centre d’énergie de la base, le « nœud de la création » exprime la
personnalité animale, corporelle, sexuelle. Il peut libérer l’individu de sa bestialité et
le corps devient alors un temple. Dans le centre du cœur, le nœud de la personnalité
psychologique, de l’ego, est l’espace dans lequel l’individu s’enferme dans ses
conditionnements prédéterminés, ses hérédités et ses émotions. Dans le centre du
front, le nœud de la raison, de l’intelligence, renforce l’identification au mental, à la
pensée, mais ouvre sur la conscience lorsqu’il se dénoue, lorsque les activités
mentales se trouvent suspendues.
33
qu’ils sont perçus, lorsque il est intimement ressenti qu’ils ne constituent qu’un vaste
réseau de sensations et de pensées, il devient alors possible de laisser s’exercer sur
lui une certaine influence consciente. Dans l’instant où j’arrête de prendre la corde
pour un serpent, je n’ai plus peur de m’en saisir et d’en user à bon escient. Mais la
nature des processus mentaux, qui s’articulent autour de la conscience, de
l’inconscience et de la prise de conscience, me font constamment naviguer entre
l’appréhension et l’oubli de la réalité. Yoga-nidrâ permet de comprendre que plus je
suis conscient dans le sommeil et plus je le suis dans l’état de veille, et vice-versa.
Cette connaissance amène plus de recul face aux réactions automatiques de la
structure corps-esprit. Elle permet ainsi d’enrichir la qualité de notre relation à nous-
mêmes et au monde, de trouver dans l’ordinaire les choses les plus belles, en nous
ouvrant à plus de beauté, de joie et de saveur.
34
mes actes que de l’attitude intérieure avec laquelle je les accomplis et les observe.
Et il en va de même pour toutes les autres pratiques, qu’elles soient physiques,
dévotionnelles ou plus contemplatives.
Le terme de vâsanâ (de la racine vâsa, « parfum ») peut être traduit par
« souvenir », « désir », « inclinaison », « tendance » ou « illusion ». Il évoque la
tendance latente de notre comportement, nourri de nos actions passées et des
impressions reçues. Ce sont les tendances profondes de notre personnalité, son
« parfum », qui influencent le mental à notre insu. La conscience ordinaire est un flux
tourbillonnant de pensées, d’idées et d’images. La totalité des expériences
psychologiques ne sont que des fluctuations mentales (vritti) qui viennent de la
perception des sens et de l’expression de nos tendances latentes. Chaque désir
laisse une imprégnation dans le mental. Ces imprégnations se manifestent et
s’incarnent, par exemple, sous la forme d’impulsions irrésistibles, de réactions
conditionnées et incontrôlées. La vie mentale, dans la veille comme dans le rêve, est
une décharge continue de ces tendances profondes, de ces impressions résiduelles
de sensations antérieures. Instant après instant, elle actualise cet espace « causal »,
inconscient, qui conditionne ainsi le caractère spécifique et la personnalité de
chaque individu. Ces prédispositions latentes du mental se transmettent aussi par
hérédité ou transmigration. Elles alimentent le désir de vivre, de se sentir exister (et
non « être »), ainsi que la répétition des mêmes schémas de souffrances, qui
tournent en rond (samsara), en obéissant aux lois universelles. Elles continuent à
vivre dans l’esprit en nous conditionnant, dans la mesure où leurs effets se
prolongent au-delà de leurs causes initiales. Elles désignent donc un facteur de
prolongation, de continuité mais aussi d’intelligibilité dans l’espace-temps. Ces
impressions résiduelles alimentent nos souvenirs et nos rêves, tout en permettant
aussi les liens entre certains phénomènes. C’est pourquoi, au-delà de la servitude
inextricablement liée aux conditionnements qu’elles génèrent, elles peuvent être
vues comme une force, ayant une certaine utilité dans la vie.
Dans le rêve comme dans le souvenir, le mental, même plus libre de l’influence des
organes des sens, reste conditionné, au niveau du contenu, par ces tendances
inconscientes. Le rêve se révèle être plus complexe que le souvenir. Si ce dernier
dépend essentiellement des seules expériences vécues qui le limitent au passé (à la
mémoire et donc à la personnalité conditionnée), le rêve, bien que conditionné aussi
par les impressions résiduelles, jouit d’une plus grande liberté et créativité grâce à
l’espace imaginaire, tout en pouvant apparaître encore plus vrais et consistants. Les
facteurs à l’origine des rêves sont plus nombreux et variés. Ils peuvent être
déclenchés par l’expression d’une impression reçue avant de se coucher, par
exemple. Dans ce cas, elle va conditionner le rêve, sinon lui donner une impulsion,
une coloration particulière. Le rêve reproduit donc ici une expérience passée dans
l’état de veille. Mais il peut aussi y avoir des impressions qui viennent des
expériences faites au moment même du rêve. Le rêve peut également être
déclenché par une perturbation de l’organisme. Enfin, plus mystérieusement, par la
35
trame invisible de notre destin, par les effets invisibles tissés par nos actes
antérieurs, qui font qu’on se voit dans certaines situations favorables ou pas,
donnant une certaine coloration au rêve. Dans ce dernier cas, il y a participation de
l’intuition.
Au-delà du travail de purification qu’elle entraîne, l’attitude du témoin, du spectateur
tranquille, réunit, relie les rêves et les souvenirs, concilie les phénomènes. Mais elle
permet surtout de s’ouvrir à la dimension sacrée au-delà des deux. Car c’est
important de le comprendre, ni le rêve ni le souvenir ne peuvent m’éveiller à ma
véritable nature. Ils peuvent m’aider à comprendre un peu mieux la vie quotidienne,
phénoménale, avec ses désirs et ses aversions, ses joies et ses peines. Mais je ne
peux me connaître vraiment, absolument, ni au moyen de la mémoire immédiate du
mental, ni au moyen des rêves, ni au moyen de la mémoire profonde liée aux
tendances et aux impressions latentes. Transcender les dualités du monde
phénoménal n’est pas une affaire d’action, d’effort, de pensée, de mémoire, de
temps, d’espace ou de faire. Il s’agit plutôt, encore, d’une attitude de disponibilité et
d’ouverture, d’effacement et de lâcher-prise. Le « secret » demeure dans la saveur
de la présence lumineuse à soi-même, dans la pure conscience d’être, dans l’écoute
inconditionnelle de ce qui est, ici et maintenant. Car tout apparaît et disparait dans
cette écoute sans jamais l’affecter ni en troubler le profond silence qui lui est
inhérent. Yoga-nidrâ permet de reconnaître cette différence fondamentale entre ce
qui est en train de se passer et l’espace même dans lequel cela se passe. Tout
réside dans une certaine qualité de l’attention, totalement impersonnelle :
Tous les êtres humains désirent être heureux et éprouvent de l’aversion pour la
souffrance. Tous cherchent d’une façon ou d’une autre à trouver le bonheur et à
échapper à la misère. Mais l’observation attentive montre que plus je le cherche et
plus je m’en éloigne. Absorbé par la danse les phénomènes, j’ignore ma véritable
nature et me prends pour une entité séparée en pensant être l’auteur de mes
actions. Conditionné par les tendances latentes, je m’identifie aux noms et aux
formes, je vis dans l’illusion d’exister en tant qu’individu. Le mental et les organes
des sens entrent en contact avec des objets, et chaque contact entraîne une
36
sensation. Dans mon agitation, je réagis à chacune de ses sensations, sans m’en
rendre compte, par du désir ou de l’aversion. Je stocke ainsi des impressions,
accumule des imprégnations qui continuent de conditionner cette structure corps-
esprit que j’appelle « moi ». Gesticulant, aveugle et sourd, je poursuis ce que
« j’aime » et cherche à éviter ou à fuir ce que « je n’aime pas ». Je passe ainsi mon
temps insatisfait à réagir au fait qu’il m’arrive ce que je ne souhaitais pas et qu’il ne
m’arrive pas ce que je voulais. Ainsi, je renforce l’attachement à ce que j’ai
l’impression de posséder, et donc, également, la peur de le perdre. Pris dans le
tourbillon du devenir et des pensées, écartelé entre le passé et le futur, je me réveille
chaque matin en répétant le même schéma de désirs, d’aversions et de malheurs.
Je marche ainsi de souffrance en souffrance, dans la décrépitude et la vieillesse,
jusqu’à finir par disparaître dans le sommeil profond ou la mort.
Encore une fois, ce ne sont pas les actes en eux-mêmes qui nourrissent le stock
d’imprégnations conditionnantes et « ma » souffrance, mais l’attitude personnelle et
égoïste, motivée par le désir de gratification et de reconnaissance, avec laquelle je
les accomplis. Á y regarder de plus près, cet égoïsme ne relève même pas d’un
choix délibéré et conscient, mais d’un flot continuel de pensées automatiques,
auquel je suis totalement identifié et pour ainsi dire, « résumé » :
37
comme l’action, n’est pas « bonne » ou « mauvaise » en soi. Si je désire le bonheur
c’est qu’une part de moi l’a bien connu, ou le connaît. Alors dans ce cas, qu’est-ce
qui m’en sépare ? Dans le sommeil profond, je reconnais qu’il n’y a plus de
« problèmes » ; plus de solutions non plus, plus de « moi » pour penser en avoir ou
en détenir. A ce moment là, je baigne dans une profonde béatitude, naturellement
sans désir ni aversion. Au réveil, je m’identifie au corps et aux pensées, j’éprouve de
nouveau des désirs, et je souffre. A force d’observation, je constate que seule
l’identification me fait souffrir, et que l’apparition du désir lui-même, plutôt que d’être
une entrave, est un processus naturel qui m’offre à chaque fois l’occasion de me
souvenir que je suis différent de lui. En étant attentif à l’apparaître du désir, je
m’ouvre à l’espace de conscience joyeux dans lequel il apparaît. De la même
manière, il peut m’être donné de voir que j’aspire à la liberté seulement avec
l’apparition de l’état de veille. Dans le sommeil profond, ou dans la simple joie d’être,
cette aspiration n’existe pas ; elle n’apparaît qu’avec une pensée ; et pourtant, tout
n’est que joie et vastitude. En cherchant à obtenir le bonheur ou une quelconque
« réalisation », je ne fais qu’accroître la souffrance. Mais lorsque je m’efface, lorsque
moi-je se trouve suspendu, le temps d’un accident, d’une sieste ou d’une séance de
yoga-nidrâ, une paix immense nous rappelle qu’elle n’a jamais cessé d’être là :
38
« Ce n’est pas sans raison qu’on nous fait regarder à nostre sommeil mesme,
pour la ressemblance qu’il a de la mort. Combien facilement nous passons du
veiller au dormir (Avec combien peu d’interest nous perdons la connoissance de
la lumière et de nous) A l’adventure pourroit sembler inutile et contre nature la
faculté du sommeil qui nous prive de toute action et de tout sentiment, n’estoit
que, par iceluy, nature nous instruict qu’elle nous a pareillement faicts pour
mourir que pour vivre, et, dès la vie, nous présente l’eternel estat qu’elle nous
garde apres icelle, pour nous y accoustumer et nous en oster la crainte. » 34
39
tentative, la pratique ou l’action qui a lieu, il importe de s’interroger sur la nature du
« moi » qui pense la mener et en être l’auteur : qui médite ? Qui pense bien ou mal
méditer ? Qui s’endort ? Qui est en paix ? Qui meurt ? Qui pose la question ? Une
fois écartée toutes les réponses du mental, il ne reste que cette lumineuse
évidence que Ramana Maharshi réalisa dans sa dix-septième année :
« J’étais assis seul dans une pièce du premier étage, dans la maison de mon
oncle. Comme d’habitude, ma santé était parfaite, mais soudainement une peur
violente de la mort me saisit sur laquelle on ne pouvait se tromper. J’eus la
sensation que j’allais mourir. Il ne se passait rien dans mon corps qui pouvait
expliquer cette sensation et je ne pouvais me l’expliquer moi-même. Je n’ai pas
cherché à savoir si la peur était bien fondée. J’ai senti ’je vais mourir’ et aussitôt
je me suis demandé ce qu’il fallait faire. Faire appel à des docteurs, la famille ou
des amis ne m’importait pas. J’ai senti que je devais résoudre le problème moi-
même, sur-le-champ. Le choc causé par la peur me rendit aussitôt introspectif.
Je me suis demandé : ’Maintenant que la mort est là, qu’est-ce que cela
signifie ? Qu’est-ce qui meurt ? C’est ce corps qui meurt.’ Aussitôt j’ai mimé la
scène de la mort. J’étendis mes membres en les tenants raides comme si la
rigidité cadavérique s’était installée. J’imitai la condition d’un cadavre pour
donner un semblant de réalité à mon investigation. Je retins ma respiration et
serrai les lèvres pour qu’aucun son ne pût s’en échapper, pour que le mot ’je’ ou
tout autre mot ne pût être prononcé. ’Eh bien ! me disais-je, ce corps est mort.
Tout rigide, il sera transporté au champ crématoire où il sera brûlé et réduit en
cendres. Mais, avec cette mort du corps, suis-je mort moi-même ? Ce corps est-
il le ’je’ ? Il est silencieux et inerte, mais je sens la pleine force de ma
personnalité et même le son ’je’ en moi…, séparé du corps. Ainsi ’je’ suis un
esprit, quelque chose qui transcende le corps. Le corps physique meurt, mais
l’esprit qui le transcende ne peut être touché par la mort. Je suis donc l’esprit
immortel. Tout cela n’était pas un simple processus intellectuel. Tout jaillissait
devant moi comme la vérité vivante que je percevais directement, presque sans
raisonnement. Le ’Je’ était quelque chose de très réel, la seule chose réelle en
cet état ; et toute l’activité consciente en relation avec le corps était centrée sur
lui. Depuis cet instant, le ’Je’ ou mon ’Soi’, par une fascination puissante, fut le
foyer de toute mon attention. La peur de la mort s’est évanouie instantanément
et pour toujours. L’absorption dans le Soi s’est poursuivie dès lors jusqu’à ce
jour. D’autres pensées s’élèvent et disparaissent comme diverses notes de
musique, mais le ’Je’ demeure toujours comme la shruti, la note sous-jacente
qui accompagne les autres notes et se confond avec elles. Que le corps soit
occupé à parler, lire ou quoi que ce soit d’autre, j’étais toujours centré sur le ’Je’.
Avant cette crise je n’avais pas de perception claire du ’Je’ et je n’étais pas
attiré consciemment vers lui. Je ne ressentais pour lui aucun intérêt directement
40
perceptible ; encore moins la tendance à demeurer en lui d’une manière
permanente. » 36
41
toutes les grandes Traditions spirituelles, l’homme peut de son vivant faire la
découverte du fondement même de la Conscience et donc comprendre le
« mystère » de la mort. Cela commence par mettre entre parenthèses tout ce que je
pense savoir à son propos. Que reste-t-il si je n’y pense pas ? Je n’ai peur de la mort
que si je suis identifié au corps et aux pensées, si je ne reconnais pas comment la
mort pourrait être autre chose que l’extinction de ce que je pense être. La
confrontation avec la mort m’offre une opportunité incroyable de la transcender : la
perception attentive de ma fragilité renforce la conscience qui m’est donnée de cette
paix dans laquelle la vie danse, sous toutes ses formes, avec la mort elle-même. Ce
que je croyais être la mort n’est peut-être rien d’autre – outre une croyance parmi
d’autres – que ce grand silence dans lequel je m’allonge tous les jours, comme une
bulle d’eau qui jaillit de la vague, pour retomber et ne faire plus qu’Un avec l’océan.
Lors d’un décès, il n’est pas rare d’entendre ou de dire : « Qu’il ou elle repose en
paix ». Mais « celui qui repose en paix » n’est pas mort. Et si l’évènement reste
encore une vague idée à venir, cette paix, déjà là, ne demande alors qu’à être
reconnue et habitée, en amont de tout ce que je sais ou pense savoir :
[5] Vishnusahasranama Stotra, chapitre 149 du Mahâbhârata. Tous les textes anciens du présent
ouvrage sont traduits du sanskrit par l’auteur pour cette occasion. Je tiens ici à remercier
chaleureusement Alain Porte pour son précieux concours à faire partager l’amour et la compréhension
de cette « langue rigoureuse et puissante que l’on saisit par ses racines et que l’on pénètre par ses
feuillages », ce sanskrit sacré qui « est à la conscience ce que l’Arbre inversé est au cosmos. » (Alain
Porte, in Les Paroles du Huit-Fois-Difforme, Éditions de l’Éclat, 1996.)
[6] Voir Shiva, le Seigneur du Sommeil, traduit et commenté par Alain Porte, Seuil, 1993.
[7] Sarah Combe, Un et multiple, Dieux et déesses, mythes, croyances et rites de l’hindouisme, Dervy,
2010, p. 377-378. On trouve également des représentations de Kâlî assise sur le corps allongé de
Shiva.
[8] Dans les Yoga-Sutra, le terme « nidrâ » désigne une des modifications du mental (I-6), dont l’état de
rêve, simple agitation du mental basée sur un contenu illusoire (I-10), que la pratique du yoga permet de
percevoir consciemment (I-38). Dans un autre grand classique du yoga, le Hatha-Yoga-Pradîpikâ, le mot
est également employé dans le sens général de sommeil (II-55, III-39, 111, 125 & IV-75). Voir aussi
Bhagavad-Gita, XIV-08 et XVIII-39.
[9] Shankarâchârya, Yoga Târâvalî 25-26.
[10] Mandukya Upanishad, 7.
[11] Mandukya Upanishad, V. Voir aussi : Brihad Aranyaka Upanishad, IV, 3, 19 & 3, 15. Chandogya
Upanishad, XI, 1.
42
[12] Les entretiens de Ramana Maharshi, Albin Michel, 2005.
[13] Yoga-Sutra I-38. « Il jouit, mais n’est pas lié (au plan karmique) par sa jouissance » (Mandukya
Upanishad, Karika I-5).
[14] Shiva Sutra, Partie I, Verset 7 à 11. Voir Les aphorismes de Shiva, avec les commentaires de Mark
S. G. Dyczkowski, Almora, 2013.
[15] « Il est un, mais se présente comme triple » (Mandukya Upanishad, Karika I). Sur les « corps », voir
chapitres suivants.
[16] Un phénomène apparait, se maintient, disparaît ou se transforme. Brahmâ Génère, Vishnu
Organise et Shiva Détruit (G.O.D.).
[17] Sur les rives de Mère Ganga, Santé-Yoga hors-série n°2, 2012.
[18] Bhagavad-Gita, 13 :1-2.
[19] Nisargadatta Maharaj, JE SUIS, Les Deux Océans.
[20] Voir chapitre sur l’inconscient humain.
[21] « Causal » dans la mesure où il contient toutes les tendances latentes, toutes les impressions
inconsciemment accumulées (samskara ou vâsanâ) qui conditionnent et colorent les pensées. Voir
chapitre correspondant.
[22] Shri Anirvan, Antara Yoga, Imago, 2009.
[23] Idem.
[24] . Op. Cit.
[25] A ce sujet, pour un exposé d’une rare clarté, je conseille vivement de voir la conférence « La logique
de la spiritualité » incluse en DVD dans : Swami Chinmayananda, La Non-Dualité, Dervy, coll. « Yoga
Intérieur », 2014.
[26] Katha Upanishad 1.3.3-4.
[27] Shankara, Tattva Bodha (commenté par Chinmayananda), Chinmaya Mission France, p. 59-73.
Dans la Chandogya Upanishad (III, 19, 2), Tat est la Réalité indifférenciée, non manifestée, qui précède
la manifestation universelle.
[28] Shrî Anirvan, La Vie dans la vie, Albin Michel, 1984, p. 192.
[29] Bhagavad-Gîta II, 23-24.
[30] C’est l’un des grands enseignements de la Bhagavad-Gita.
[31] Jean Klein, Qui suis-je ? La quête sacrée, Le Relié, 2007.
[32] Bhagavad-Gita, II, 62-63.
[33] Les entretiens de Ramana Maharshi, op. cit.
[34] Montaigne, Les Essais, Chapitre VI.
[35] Les entretiens de Ramana Maharshi, op. cit.
[36] http://www.sriramanamaharshi.org/fr/. Voir aussi Vijnana Bhairava Tantra 77.
[37] Montaigne, Essais I, 20.
[38] L’un des noms de Shiva.
[39] Bhagavad-Gita, VIII, 6 & 7. « Au moment de quitter ton corps » comme au moment de s’endormir…
43
II - La pratique
du yoga-nidrâ
« Ce qui est nuit pour tous les êtres est jour pour le sage.
Ce qui est jour pour les êtres est nuit pour celui qui sait. » 40
44
réveil du matin. Yoga-nidrâ aborde également la thérapeutique. De façon générale,
le symbole pourra être abordé comme un moyen de mise en relation entre des
niveaux qui coexistent mais qui ne communiquent pas forcément. Par exemple, le
processus symbolique des centres d’énergie sert à orienter le mental de sorte à le
mettre en résonance avec la réalité énergétique, même si l’image n’est évidemment
pas le centre lui-même. Yoga-nidrâ aborde les grands thèmes fondamentaux de
l’humain comme le désir, la peur, l’animalité, le temps, l’amour, la mort ou l’extase
sexuelle, en invitant toujours à renouveler un regard conscient sur les structures qui
nous composent en partie, comme les sens, le corps, les roues d’énergie, les
méridiens, les processus mentaux, etc. Quelque soit l’angle d’observation, yoga-
nidrâ devrait toujours nous ramener à l’essentiel qui ne peut être ailleurs que dans le
silence, le vide, la joie et la quiétude du cœur, dans la saveur unique de la pure
présence sans objet.
C’est pourquoi, plus que sur les phénomènes en eux-mêmes, yoga-nidrâ nous
demandera d’observer surtout les « entre-deux », les « failles », les « passages » :
d’une posture à une autre, d’un souffle à l’autre, d’une pensée ou une sensation à
l’autre, d’un état à un autre. D’où le fait de jouer avec les changements, les
retournements, les « points de vue », les endormissements, les réveils et les
suspensions. Yoga-nidrâ nous apprend ainsi à repérer les processus mentaux,
comment le mental passe de la conscience à l’inconscience, de l’état de sommeil à
l’état de rêve, etc., même si les trois ne sont pas vraiment séparés. Je suis éveillé et
pourtant je rêve, je rêve et pourtant je suis éveillé. Tout est mélangé. Yoga-nidrâ va
nous aider à comprendre, à savoir comment fonctionne l’organe du mental qui est
essentiel pour notre vie dans le monde, car je ne peux pas vivre en harmonie avec
les autres si je ne comprends pas ce qui se passe au niveau de la pensée. La
pratique nous amènera ainsi à discerner l’organe mental (un organe parmi d’autres,
considéré comme un simple 6e sens) de la conscience, du Soi. Si je ne comprends
pas cette différence je ne me connaîtrai jamais, je serai constamment pensé par le
mental. Il y a l’organe et la vie qui l’anime, comme il y a l’ampoule et l’électricité. En
observant les passages, en jouant à passer d’un point de vue à un autre, en
explorant les « entre-deux », je serais peut-être amené à réaliser leur véritable
nature. Que cela soit entre l’équilibre et le déséquilibre, entre deux pensées, deux
postures, deux expériences ou deux états, l’espace qui les relie est toujours le
même, car il est le substrat même dans lequel tout se passe. Avant le visage
paraissait « jeune », maintenant il paraît « vieux ». Celui qui pense qu’il est le sien,
avant ni portait guère d’intérêt, tandis que maintenant il s’en soucie. Mais le regard
qui prend conscience de tout cela n’a jamais changé. Il est la conscience dans
laquelle tout apparaît et passe son chemin. Ce type de pratique, visant à explorer les
structures de l’être, ne va évidemment pas sans expériences profondes que le
pratiquant a tendance à désirer obtenir, en imagination, ou à renouveler. Or,
l’attention aux « entre-deux » ne vise pas à jouir d’une expérience mais à
reconnaître cet arrière-plan dans lequel les expériences se produisent. Les
45
expériences passent, tandis que cet arrière-plan demeure toujours tranquille, libre
des phénomènes qui apparaissent et disparaissent en lui. Il est le Cœur de yoga-
nidrâ, cette réalité qu’évoque ici Nisargadatta Maharaj :
« Question : Monsieur, en quoi est-ce utile pour moi que vous me disiez que la
réalité ne peut pas être trouvée dans la conscience ? Où suis-je censé la
chercher ? Comment l’appréhendez-vous ? Maharaj : C’est très simple. Si je
vous demande quel est le goût de votre bouche, tout ce que vous pouvez dire
c’est : elle n’est ni sucrée ni amer, ni aigre ni astringente. Elle est ce qui reste
lorsque tous ces goûts n’y sont pas. De la même façon, lorsque toutes les
distinctions et réactions n’existent plus, ce qui demeure est la réalité, simple et
solide. » 41
Outre cette immersion dans l’origine des choses, yoga-nidrâ permet également de
nous promener dans les archétypes de l’espèce, dans les mythes. L’état de veille
enferme, limite, mais l’état de sommeil permet de se promener dans les archétypes
et symboles de l’espèce et de l’univers. Yoga-nidrâ permet de pénétrer
profondément chacune des structures qui nous composent, en passant de la matière
la plus grossière, la plus dense, à la plus subtile, la plus vibrante ; de dépasser le
petit ego pour s’ouvrir à ce qui le dépasse. Yoga-nidrâ est un voyage qui observe
comment la machine fonctionne, et qui part dans des horizons de l’espèce, de
l’univers, du micro au macrocosme, de l’individu à l’absolu, pour en observer
profondément chaque phénomène et son mode d’apparition, jusqu’à finir sa course
dans l’observateur lui-même. C’est un véritable voyage dans les états de la matière,
de la conscience et de la joie d’être. De là, au-delà même de la perspective idéale
d’être conscient dans chaque état, doit naître un équilibre, une paix, une harmonie,
une joie qui s’étend à tous les moments de la vie quotidienne. En contemplant
passer la rivière de la vie sans se laisser emporter par ses puissants courants, le
sens profond du mot « contentement » prendra une toute autre épaisseur, la joie une
toute autre saveur, et la vie, un tout autre éclat, qui donnera à voir dans la rivière
toute sa beauté.
Ces pratiques vont nous guider vers ces états de conscience, nous faire flirter, aller
et venir entre les états. Contrairement à l’idée courante, une bonne nuit est ici une
nuit pleine de réveils, savoir que je dors, tranquillement, arriver à cet état de
conscience immobile, témoin du corps et des pensées qui dorment. Si dans l’état de
veille tout est plus rangé, quand je dors, l’ordre ordinaire du mental disparaît. Celui-ci
perd son agencement de l’état de veille et cela permet de franchir les barrières qui
opèrent habituellement. Quand je dors, tout tombe et il n’y a plus de limite. Et c’est là
que peut commencer un merveilleux voyage. La structure mentale devient un
labyrinthe dans lequel je peux naviguer différemment. Je peux m’infiltrer au plus
profond de moi-même, découvrir ce que je ne suis pas et laisser ce que je suis se
dévoiler. Ce travail amène une capacité à moins dormir, à récupérer avec moins de
46
temps de sommeil, et accessoirement, à ne pas perdre un tiers de sa vie. Il importe
donc d’accepter et de savourer les moments de clarté, lors de nuits plus légères et
lumineuses ; de se relaxer, s’abandonner, s’effacer complètement. Ce que je suis
vraiment se dévoilera de lui-même, indépendamment, au-delà de tout ce qui m’est
donné à voir et de l’idée que j’en ai, et au-delà même de tout sentiment de
progression. C’est pourquoi il convient d’adopter à la fois beaucoup de rigueur,
d’humilité et de nonchalance dans cette pratique, en l’accomplissant sans désir de
résultats ni attachement à l’action. Simplement, tranquillement, pour la saveur
unique de la présence à soi-même.
Pratiques préparatoires
47
(sarvayoni) et l’« amante de la félicité » (ânandabhuk). Le sommeil est une
invocation à cette Mère véritable. C’est aussi un yoga, et avec un peu de
technique, tous les membres du yoga peuvent être mis en pratique. » 43
Les postures
Ainsi, les postures (âsana), dans leurs versions classiques, permettront d’abord de
détendre le corps et de l’harmoniser avec le souffle et la pensée, en éveillant une
autre qualité de présence à soi-même. Elles ne doivent pas être réalisées dans un
esprit de performance ou de compétition, mais en pleine conscience, dans une
écoute sans attente de résultat, comme si c’était à chaque fois la première fois.
Maintenir l’attention sur la gravité et la sensation du corps, sur chaque souffle,
chaque vibration qui apparaissent et disparaissent. Prendre la pose avec sensualité,
en savourant cette présence aux mouvements du corps et de l’esprit. La pose me
donne à voir comment je suis dans l’instant, où je suis, et comment je suis dans la
vie, dans mes désirs et aversions. Chacune permet une observation de soi différente
par rapport aux nombres limités de positions que je prends dans ma journée
quotidienne ordinaire, au bureau, ou avachi sur le canapé. La pose me familiarise
avec ce que je ne suis pas. Elle se fait le support d’une vaste écoute, le
pressentiment d’une tranquillité profonde. Il convient pour cela de s’ouvrir à la
dimension vibratoire du corps, au vide dans lequel se fait et se défait la pose. La
pose m’éveille à l’espace dans le corps, entre chaque articulation. Je vois la pose
avant de la prendre, je laisse les structures mentale et énergétique imposer leur
souplesse. Je laisse la pose se faire sans l’imposer, sans forcer d’aucune façon. La
pose doit être ouverture, disponibilité, exploration, écoute et saveur. Il n’y a pas de
maîtrise à avoir et rien à obtenir ou atteindre. Juste cette écoute attentive et
équanime des tensions, des sensations, des vacuités dans le corps. Ni désir ni
aversion. Laisser les conditionnements se défaire sans en créer de nouveaux.
S’ouvrir à la spontanéité de l’instant, à la sensibilité, au libre déploiement des formes
et de l’alphabet des postures. Rester un témoin vigilant et silencieux, à l’écoute du
phénomène. Pose après pose, je laisse l’attention lâcher-prise et s’éveiller à sa
véritable substance. « La seule véritable posture qui compte », disait Ramana
Maharshi, « est de demeurer dans le Soi ». Cette dernière, sans forme ni effort, ne
se substitue pas aux autres, elle s’y ajoute ; toutes les autres apparaissent et
disparaissent en elle. Elle n’est pas une action mais le témoin impersonnel de
l’action. Par conséquent, personne ne la fait ; elle est, simplement.
L’alphabet des poses peut également répondre à quelques règles de grammaire
élémentaires, tout autant opératives que symboliques, afin de former des mots, des
bouts de phrases et de véritables poèmes composés ou improvisés dans la
spontanéité de l’instant, ne sachant pas ce qui pourrait bien apparaître à la seconde
48
suivante. Par exemple, il est possible de laisser les poses se déployer dans l’ordre
de montée des centres d’énergie, comme c’est également le cas pour l’attention
dans les séances proprement dites de yoga-nidrâ. Une telle règle répond à une
logique inhérente au retrait des sens, au processus d’effacement du « moi » et de
résorptions des éléments du grossier au subtil. Chaque pose peut éventuellement se
conjuguer avec un souffle et une concentration particulière, mais toujours dans la
conjugaison intime de la détente et de la vigilance.
Après un exercice de purification, la classique « salutation au soleil » insuffle dans le
corps une puissante énergie qui le régénère et le prépare bien, en l’échauffant, à
entreprendre sa journée comme à prendre d’autres poses. 44 Parmi les 84 postures
mentionnées par les textes, quelques unes se déclinent bien pour servir yoga-nidrâ.
Parmi elles, la posture debout, l’arbre, les triangles, les paumes, les mains aux
pieds, le lotus, la montagne, l’étirement vers l’ouest (la pince), le cobra, la sauterelle,
l’arc, le crocodile, la barque allongée, l’enroulement de l’estomac, le diamant (assis
et allongé), l’embryon d’or, le balancier, le poisson, le corbeau, le chat, la tête de
vache, le demi-poisson, la chandelle, la charrue, la roue ; toutes les postures de
prières, toutes celles qui ouvrent l’espace du cœur en relation directe avec le toucher
et le sommeil, et bien sûr, pour leur qualité d’immobilité, la pose sur la tête et la pose
du cadavre, qui offrent, à deux niveaux de pratique différents, d’infini possibilités
pour yoga-nidrâ.
Les souffles
49
« Puis, pendant un moment, portez votre attention sur la respiration : qu’elle soit
pleine et rythmique. En accord avec cette respiration, faites alors japa en
répétant continuellement le mantra-germe Hamsa ; prononcez Ham en expirant,
Sa en inspirant. C’est prânâyâma. » 46
Il s’agit ici moins de prononcer que d’écouter le mantra naturel se répéter à travers
nous. J’observe le souffle simplement. J’accueille son flux et son reflux, je le laisse
s’allonger comme des vagues qui se perdent dans l’horizon infini. Le souffle
s’allonge, le corps et la pensée se détendent, se relâchent, se dénouent. Un espace
bienheureux commence à s’ouvrir. Le sens du mantra se dévoile : « JE SUIS ».
Après que les postures, les gestes et les souffles aient créé des conditions
favorables à l’introspection en éveillant une sensibilité corporelle et vibratoire
beaucoup plus fine qu’à l’ordinaire, l’attention peut commencer à s’enfoncer dans
des couches intérieures plus profondes. Comme c’est naturellement le cas à
50
l’endormissement, il convient d’abord de se détacher progressivement de l’emprise
des sens. Je peux pour cela commencer à prendre conscience, successivement et
en lien avec les roues d’énergie, de l’odorat, puis du goût, de la vue, du toucher et
de l’ouïe. Je prends d’abord conscience des sons les plus lointains, puis je ramène
progressivement l’attention aux sons de la pièce dans laquelle je me trouve, puis au
son du corps, de la respiration, jusqu’à entendre « le son du silence » lui-même. Je
peux également fixer une image inspirante ou une tâche de lumière, « derrière les
yeux », et la laisser se rétrécir jusqu’à devenir un point minuscule qui finira par
disparaitre dans le « sans forme ni couleur ». Je peux aussi ressentir une partie du
corps, comme la colonne vertébrale, et laisser la sensation vibrante, comme un
« toucher subtil », me conduire vers une immobilité encore plus vaste. Ce « retrait
des sens » favorise alors une meilleure qualité de concentration sur un
support intérieur plus subtil, comme un centre ou un flux d’énergie particulier. Le jeu
des membres du yoga ne cherche qu’à suspendre la pensée pour nous ouvrir à
l’Inconnu, en conjuguant la plus grande vigilance possible à la relaxation et la
tranquillité la plus profonde.
« En même temps, imaginez que vous êtes Nârâyana couché dans son repos
éternel, et laissez se répandre en vous le sentiment que cette visualisation fait
surgir. Vous ne reposez pas sur votre lit, mais sur l’Océan infini primordial de
lumière ; sur cet Océan, votre colonne vertébrale flotte, chargée d’électricité.
Maintenant amenez toute votre conscience dans votre cœur ; de là, imaginez
qu’elle s’élève en un courant de sensation ineffable jusqu’au centre de la gorge,
puis à celui du front et enfin, à travers la couronne de la tête, jusque dans le
Vide. Au-dessus, au-dessous, à droite, à gauche, il n’y a plus que le vide total
d’un ciel infini et sans support. De là, la Mère, sous la forme du sommeil
yogique, descend dans votre cœur pour remonter ensuite vers le ciel, dans la
conscience située au-dessus de la tête. C’est pratyâhâra et dhâranâ. Par cette
pratique, il est possible de transformer votre sommeil. » 47
51
pas au domaine du faire. Méditer n’est pas une action. C’est à cette compréhension
que nous mène yoga-nidrâ. C’est dhyâna et samâdhi.
Tout l’art de yoga-nidrâ consiste ensuite à marier les membres du yoga pour venir
servir son but. Certaines pratiques, réalisées indépendamment, constituent une
excellente préparation au sommeil conscient et aux séances plus formelles et plus
longues.
Le simple fait de rester allongé dans la posture du cadavre, parfaitement immobile,
« sans rien faire », est en soi un merveilleux exercice. Et certainement le plus
difficile. C’est à la fois l’alpha et l’oméga, l’union de la première et dernière lettre de
l’alphabet sanskrit (a-ham, je suis), l’exercice avec lequel je débute et auquel tous
les membres de la pratique finissent nécessairement par me ramener. Simplement,
allongé, « être », sans mot, sans pensée.
Allongé sur le sol, les bras et les jambes légèrement écartés, les paumes de main
vers le haut, le dos adhérant au sol. C’est la position de base dans les séances
formelles de yoga-nidrâ. Celle avec laquelle on glisse en douceur vers l’immobilité
du sommeil et de la mort. Il est possible d’adapter la posture avec un coussin sous la
tête ou sous les genoux pour soulager les lombaires. Chacun sa vie, sa mort, sa
posture du cadavre. Je veille à bien relâcher le corps, notamment le visage, les
mains, les bras, les épaules, la nuque, tout le dos et les jambes, en prenant
conscience des points d’appuis. Je prends conscience de l’air qui entre, qui sort un
peu plus chaud. Inspir et expir : prendre et donner, vivre et mourir. Souffle après
souffle, je m’abandonne à l’immobilité, à l’inertie, à l’arrière plan tranquille, témoin,
dans lequel tout apparaît et disparaît. Je me laisse figer dans l’immuable, dans la
conscience. Le souffle lui-même se fait fin et subtil, presque inexistant, comme un
cadavre qui ne respire plus. Comme m’y invite le yoga tantrique, je savoure cette
paix immobile, je prends plaisir à être, simplement être, jusqu’à oublier et ne plus
savoir que je suis. Les paradoxes et les dualités se dissolvent alors dans une vaste
paix.
52
Les ténèbres étaient noyées par les ténèbres en ce temps-là.
Tout était eau indistincte.
Le Devenir, recouvert par le Vide,
Était l’Un qui naissait par la puissance de l’Ardeur.
53
une fois dans l’espace mental, infini. Suite à cet exercice, je prends le temps de
savourer, de ressentir, d’être, immobile.
54
positions qui stimulent le centre d’énergie du sommeil. Elles se prêtent donc
parfaitement à l’exercice. La posture doit rester confortable sinon l’endormissement
est impossible. Or, le but ici est d’étudier les processus qui précèdent
l’endormissement et de jouer avec les passages d’un état à un autre. L’embryon
d’or consiste à s’assoir dans la position du diamant, les fesses sur les talons, les
mains sur les côtés, puis de descendre vers l’avant, la poitrine contre les cuisses, et
d’appuyer le front au sol ou sur un coussin. Dans la pose, je me détends et glisse
tranquillement dans le souffle du dormeur.
Quelque soit la position ou son support, le déroulement est toujours le même :
j’installe un souffle lent et léger (éventuellement en le synchronisant avec un mot ou
quelques mots sacrés), le regard médian, conscient de l’espace infini derrière les
yeux. J’accueille les premiers signes de l’endormissement : les modifications
physiologiques, respiratoires et mentales.
Physiologiquement, le corps et les tensions se relâchent en profondeur, l’état de
détente s’installe, les sens s’intériorisent, s’effondrent, et la température du corps
diminue. Ce rapport au froid est important dans yoga-nidrâ car il permet de garder un
certain éveil, contrairement à la chaleur qui entraîne l’engourdissement. Le froid
nous relie à la sensation tactile, au toucher, à la peau et donc, conformément à
l’interdépendance des éléments, au centre d’énergie du cœur, le centre du sommeil.
C’est pourquoi, durant la pratique de yoga-nidrâ, je peux essayer de rester le moins
couvert possible pour sentir le froid et m’habituer à cette sensation de fraîcheur. Ce
signe m’indique non seulement que l’endormissement va se produire, mais il me
permet aussi de me réveiller et de me relier au centre du cœur. Au niveau de la
peau, cette fraîcheur se manifeste par une sensation particulière au cours de
l’endormissement, comme la peau de quelque chose de vide à l’intérieur, comme un
« sac de peau » vide de contenu physiologique. La fraîcheur qui circule sur cette
membrane permet alors de m’aider en me guidant dans la pratique. Là encore,
« être bien dans sa peau » c’est avant tout bien la sentir. Donc si besoin, il ne faut
pas non plus hésiter à la couvrir.
Sur le plan des modifications mentales, l’ordre et la cohérence du mental
disparaissent. Lors de la phase d’endormissement, le mental se déstructure, perd
son agencement de l’état de veille, les pensées se dénouent. Je pénètre dans un
monde différent, avec l’impression d’entrer et de m’enfoncer dans un profond couloir,
avec des images ou flashs qui défilent de plus en plus rapidement à mesure
qu’approche le sommeil. Les impressions latentes se manifestent sous un nouveau
regard. Si je perçois des associations de pensées en relation avec les événements
de la journée qui vient de s’écouler, je peux voir apparaître d’autres images qui
surgissent spontanément, au seuil du sommeil, en relation avec un passé plus
lointain, encore identifiable, ainsi que d’autres images d’apparences inconnues, dont
je constate la présence, sans pouvoir les relier à une origine connue.
Quant aux modifications respiratoires, le souffle se confond progressivement, à
l’approche du sommeil, avec la « respiration du dormeur ». Si je suis couché sur le
55
côté droit, dans la posture du Bouddha allongé, je me concentre sur l’activité de la
narine gauche, en écoutant simultanément le son intérieur, jusqu’à tranquillement et
consciemment glisser dans le sommeil. J’essaye de m’endormir en gardant cette
sensation subtile et simultanée du souffle et du son, que j’essaye ensuite
d’immédiatement « retrouver » au réveil, comme si les deux états étaient reliés par la
sensation d’une vibration très fine, à peine perceptible, qui m’apparaît comme un
véritable fil d’Ariane, comme un guide précieux dans les méandres des différents
états de conscience. Je comprends ainsi mieux l’interdépendance du sommeil et du
souffle, et la finesse de la qualité d’attention demandée.
« Lorsque le sommeil n’est pas encore venu et que pourtant le monde extérieur
s’est effacé, au moment où l’attention reconnaît ce passage, la Déesse [la
Conscience] suprême se révèle. » 49
56
« Comment conserver cette sensation de soi vivante dans le sommeil ? Le
premier effort à tenter est d’entrer consciemment dans le sommeil en restant
dans une sensation très subtile de soi, sensation qui persistera bien au-delà de
l’état de conscience ordinaire sombrant dans la lourdeur du sommeil, pour n’être
plus qu’une vibration de vie dont le processus est rigoureusement connu. Au
réveil, le processus inverse se produit. Cette vibration se déroulera pour animer
la sensation de soi, longtemps avant le réveil du corps. » 50
Le lien entre les deux états ne peut pas être « créé » ou « fabriqué ». Il ne peut
qu’être reconnu, mais la prise de conscience des centres d’énergie, des éléments et
des sens, dans leurs rapports intimes, confère une précieuse disponibilité. C’est
pourquoi, s’entraîner également à s’endormir dans les poses du yoga qui nous
mettent en relation avec le centre d’énergie du cœur, et donc du toucher et du
sommeil, permet de mieux comprendre ces imbrications physio-énergétiques. Je
peux ainsi prendre la tortue ou l’embryon d’or, en observant le souffle, la sensation
de vibration et le son, et verser en « chien de fusil » juste au seuil de passer dans le
sommeil. Peu à peu, j’apprends ainsi, tout en maintenant une certaine qualité de
vigilance, à m’endormir superficiellement ou plus profondément. Le processus
d’endormissement apparaissant avec plus de clarté, je peux ainsi le « découper » en
différentes phases, suivants l’ordre de l’effondrement sensoriel, et associer chacune
d’entre elles, par exemple, à une sphère lumineuse d’une couleur et d’une intensité
particulière. Il peut alors m’être donnée l’occasion, à l’instar de la lune qui orne le
front de Shiva, de reconnaître cette « claire lumière » qui n’est alors plus un objet
perçu, comme une sphère de couleur, mais la Conscience même dans laquelle
« je » passe de la veille au sommeil. Comme le conseillait Shrî Râmakrishna, de la
même façon que les textes tantriques, il importe toujours de s’engager « dans le
sommeil volontaire en partant du cœur et non d’un centre inférieur ». Je peux m’y
entraîner en portant l’attention, dans le cœur, sur une sphère ou un point lumineux,
comme je l’ai déjà évoqué, ou sur le son interne, « non frappé », continu, en
essayant de m’endormir sur les pauses à vide, pour prendre conscience du grand
passage.
« Avec un petit effort, cet instant peut être prolongé. Lorsqu’on s’endort, l’esprit
tend naturellement à cesser son activité ; on peut s’exercer à retenir ce
processus de telle façon que le passage se fasse le plus lentement possible,
comme un chemin qui se cherche. Il ne faut pas souffler la flamme d’un seul
coup, mais glisser dans le sommeil comme la lumière du jour qui s’évanouit
dans le crépuscule, comme l’enfant qui s’endort sur le sein de sa mère.
Cependant cette dernière comparaison n’est pas complète. L’enfant s’endort,
mais la mère reste éveillée. L’enfant se confie en quelque sorte à la vigilance de
57
sa mère, mais sans en avoir vraiment conscience. Dans le sommeil yogique
(yoga-nidrâ), cette conscience sera claire et nette. » 51
Le yogi Shrî Anirvan éveille le même sentiment, propice à l’abandon, lorsqu’il parle
de la « Mère », c’est-à-dire la Conscience, cette « clarté limpide semblable à un pâle
clair de lune » :
« Toute la journée, nous sommes absorbés par nos activités. Alors, nous disons
à notre Mère : « Ô Mère, nous n’avons pas un seul instant pour t’invoquer. C’est
pourquoi nous ne nous souvenons pas de toi. Où trouver le temps de s’arrêter
pour se tourner vers toi ? » Mais la Mère ne nous oublie pas. Au plus profond de
la nuit, Elle efface notre univers de labeur fébrile et de pensées bruyantes. Dans
son immense compassion, elle nous attire vers les profondeurs insondables de
son cœur yogique, dans le Fleuve originel de la connaissance qui remonte à sa
Source. Même si je ne le sais pas, la Mère le sait. Même si je ne peux rien lui
offrir d’autre, que je puisse au moins lui donner mon sommeil ! Si seulement je
pouvais lui dire : « Lorsque je repose, je suis à tes pieds ; dans mon sommeil, je
ne pense qu’à toi. » 53
Pratiques de nuit
58
Yoga-nidrâ compose également avec les insomnies et les réveils nocturnes,
programmés et spontanés. Normalement, lorsque je me trouve dans un état de
conscience ordinaire, le cycle commence avec un sommeil « lent léger » durant
lequel je reste très sensible aux bruits extérieurs. Dans le sommeil « lent profond »,
le corps se repose complètement et je n’entends plus rien. L’activité cérébrale
redémarre avec le sommeil « paradoxal », l’état de rêve. Cette activité mentale se
manifeste par l’augmentation des ondes cérébrales et les rapides mouvements des
yeux. Après un moment de latence, le corps se réveille ou recommence un nouveau
cycle d’environ une heure trente. Quatre cycles correspondent à peu près à une nuit
de six heures, ce qui offre naturellement de nombreux intervalles à explorer.
« (…) la nuit, avec son silence, devrait être le temps consacré avant toute chose
au travail gradué d’intériorisation consciente, puis au sommeil volontaire en état
de conscience éveillée. Ce sommeil dans un corps sans fatigue et sans
tensions (hors celle très minime causée par l’usure du temps) et dans une pose
étudiée, toujours la même, devient le champ de nombreuses expériences. » 54
Les pratiques qui consistent à faire retentir une alarme plusieurs fois par nuit, pour
se réveiller intentionnellement, ne doivent être réalisées que sous la direction d’un
enseignant très compétent, sur des courtes périodes et dans des conditions
favorables, au risque de n’apporter que fatigue et confusion. C’est pourquoi il est
préférable d’utiliser les réveils nocturnes naturels et spontanés pour relancer, par
exemple, une séance commencée à l’endormissement. Sinon, plus simplement, lors
d’un réveil spontané, lorsque je prends conscience que j’étais plongé dans l’oubli, je
peux reprendre immédiatement une posture classique de yoga-nidrâ, comme celle
du cadavre ou du Bouddha allongé sur le coté droit. La pose doit être prise sans
effort, sans agitation, pour continuer à savourer cet entre-deux. Je demeure dans le
cœur, observe le souffle, et de nouveau, l’endormissement. Lors des réveils, je peux
également simplement me tourner, étirer le corps, observer une lumière ou relancer
un souffle. Comme toujours, l’important est de rester tranquille et vigilant, en
s’abandonnant à la bienheureuse vacuité :
59
Le réveil du matin, comme tous réveils, recèle la même importance que
l’endormissement. Il me donne à voir le processus inverse. Mais qu’apparaissent
l’aube ou le crépuscule, l’entre-deux offre toujours la même possibilité de reconnaître
sa véritable nature. Comme le sens du « moi » disparaît progressivement avec
l’endormissement, il apparaît de nouveau avec chaque réveil. L’instant où le sens du
« je » surgit est l’occasion parfaite d’assister à la résurgence du monde sensoriel et
matériel, avec son lot de désirs, d’aversions et de souffrances. C’est l’occasion de
prendre conscience que ce sens du moi n’est qu’une idée qui émerge lorsque je suis
identifié au corps. 56
Une histoire raconte que le roi Janaka, très célèbre en Inde, se réveilla un matin
quelque peu troublé. Il venait de rêver qu’il était un petit ouvrier. Il se demanda alors
s’il était le roi Janaka qui venait de rêver qu’il était un ouvrier, ou s’il était un ouvrier
en train de rêver qu’il est le roi Janaka. La question peut certes être troublante, mais
elle n’apparaît encore qu’avec l’identification à une forme conditionnée, que cela soit
dans le rêve ou dans l’état de veille. Que je pense être le roi Janaka, un ouvrier,
Tchouang-Tseu ou un papillon, je reste le douloureux jouet des pensées. La paix ne
se donne entièrement que lorsque je réalise que je ne suis ni l’un ni l’autre. Et cela
demande d’être présent à cette première pensée qui s’élève. Lorsque le rêve
apparaît.
La meilleure manière d’être conscient de ses rêves la nuit est d’abord d’être
conscient de ses rêves le jour. Dans l’état de veille, je passe la plupart du temps à
rêvasser, « perdu dans les pensées ». Si je n’en prends pas conscience maintenant,
cela n’arrivera jamais pendant le rêve nocturne. Cela étant dit, le yoga tantrique
propose des pratiques pour favoriser la pleine conscience dans l’état de rêve. A la
différence du rêve dit « lucide », yoga-nidrâ, ou dans ce cas Svapnayoga, n’a pas
pour ambition de « maîtriser ou réaliser ses rêves », et ainsi d’entretenir le sens du
moi et de grossiers désirs. Yoga-nidrâ invite simplement à prendre conscience que
je rêve quand je suis en train de rêver. C’est, en Soi, largement suffisant.
Pour y aider, Svapnayoga propose quelques pratiques qu’il convient d’aborder
comme un jeu, avec l’état d’esprit de l’enfant qui regarde le monde pour la première
fois. Par exemple, dans l’état de veille, il est possible, sous la forme d’un exercice,
d’élaborer un court scénario impliquant les cinq sens et d’en extraire l’image qui le
résume le mieux. En se souvenant ensuite de cette image dans les moments entre-
deux, comme l’endormissement, l’éternuement ou l’orgasme, ou grâce à certains
souffles, fixations oculaires et autres concentrations liées au feu, où une certaine
masse d’énergie est disponible, l’impression laissée sera d’autant plus forte et
susceptible de resurgir pendant l’état de rêve. Si cela a également été « travaillé »
60
pendant les séances, la résurgence de l’ « image sensorielle » dans le rêve offre
alors la possibilité d’en prendre conscience, de s’éveiller au rêve, sans pour autant
se réveiller. C’est une prise de conscience savoureuse, lumineuse et puissamment
conciliatrice.
Notons ici l’importance du centre d’énergie du ventre, particulièrement actif pendant
l’état de rêve. Rappelons également le lien qu’il entretient avec l’élément feu, avec la
vue, les yeux, les gros orteils, l’anus et tout le canal central. On peut facilement
constater que les impressions visuelles sont souvent plus « marquantes », qu’elles
« s’impriment » plus rapidement dans la mémoire et qu’elles occupent une part
importante de nos rêves et de nos souvenirs. C’est pourquoi, dans le cadre du yoga
du rêve, il est naturellement plus aisé de travailler avec une image qu’une odeur,
même si tout dépend de chacun. Le toucher occupe aussi une place essentielle,
c’est aussi pourquoi yoga-nidrâ accorde une place si importante à la sensation, au
ressenti intime, intérieur, du corps et de la structure énergétique. Pour qu’une
impression apparaisse, il faut un contact entre un organe et un objet sensoriel
(externes ou internes). Et lorsque je reçois une impression, si je suis attentif, présent
à moi-même et au monde, je peux la sentir vibrer dans les centres d’énergie et le
corps physique, par exemple dans le canal central et le plexus solaire. La vibration
du plexus indique souvent l’apparaître d’une émotion, d’une réaction du corps au
mental, mais aussi, parfois, l’éveil à un autre mode de compréhension. L’observation
des processus de souvenirs et de rêves peut bien sûr aussi se faire par un travail sur
les autres centres et à travers d’autres thématiques essentielles. Parmi elles,
l’amour, la possession, la peur, le plaisir, la perte, la rencontre et bien évidemment la
mort, la « voix secrète » qui guide le pratiquant de yoga-nidrâ vers la paix de l’âme et
la clarté de l’esprit. Il y a là un vaste champ d’investigation à visiter par soi-même.
Avec ou sans image et quelque soit le souffle à l’œuvre, les enseignements
tantriques invitent toujours à s’endormir dans le cœur. Si, après avoir médité sur
« l’énergie du souffle dense et légère » qui circule entre l’espace du cœur et l’espace
au-dessus de la fontanelle, « on entre dans le cœur au moment de
l’endormissement, on obtiendra alors la conscience de ses rêves ». 57 Yoga-nidrâ
considère le cœur comme un espace initiatique, le centre même par lequel
s’organise le passage vers le sommeil. Au moment où je vais m’endormir, tous les
contenus de mon histoire et de mes expériences sensorielles disparaissent dans cet
espace. Cela me permet, dans ce contexte, de libérer l’intuition, d’appréhender mes
contenus mentaux et émotionnels, mes tendances latentes qui font ma personnalité
et mon comportement, dans la mesure où ces contenus ne sont pas barrés par
l’ordre et l’intelligence de mon état de veille. Ainsi des portes s’ouvrent sur mes
conditionnements des états de veille et de rêve, tout en me rendant plus disponible
au pressentiment de l’Inconditionné. Car le Cœur, dans les traditions védantiques et
tantriques, au-delà de l’organe ou du centre d’énergie, désigne le « quatrième état »
lui-même, l’état de yoga-nidrâ, la conscience non-duelle, l’Être, la félicité sans objet,
la vacuité, le Soi dans lequel tout apparaît et disparaît.
61
« Quel est donc ce Soi ? - C’est cet Être infini qui s’identifie avec l’intellect et qui
réside au milieu des organes – c’est cette Lumière qui brille au-dedans du
cœur. »
« Dans ce séjour de Brahman est un petit lotus, une demeure dans laquelle est
une petite cavité occupée par l’Espace ; on doit rechercher Ce qui est dans ce
lieu et on Le connaîtra ».
« Brahman est réalité, connaissance, infinitude. Celui qui sait qu’il est caché
dans le creux du coeur et au suprême firmament, réalise tous ses désirs avec le
sage Brahman. » 58
La « séance » de yoga-nidrâ
62
Soi seul est le véritable enseignant. C’est en pratiquant la vie que je peux tout
apprendre. C’est aussi en pratiquant yoga-nidrâ, à l’écoute du « Seigneur du
Sommeil », qu’il me sera donné comment vraiment le pratiquer. Dans ce domaine, il
n’y a plus que l’expérience vécue, directe, qui compte.
Préparation (prastuti)
La relaxation n’est pas une finalité mais un préalable, encore une phase de
préparation. Non détendu, pétri de tensions, il est impossible d’être conscient des
structures profondes, de l’énergie, que ce soit le jour ou la nuit. Plus je suis détendu
et vigilant, plus je suis réceptif. Voici donc quelques exercices faciles à enchaîner ou
à sélectionner en début de séance pour lâcher-prise sur les tensions physiques,
émotionnelles et mentales.
La « raideur du cadavre » : juste avant de prendre la pose définitive, les yeux
fermés, rapprocher les bras et les jambes le long du corps. Inspirer, tenir à poumons
pleins en contractant le corps entier le plus possible, tout en serrant les bras contre
le tronc et les jambes l’une contre l’autre. Observer le corps en train de se raidir.
Puis relâcher tout d’un seul coup en expirant. Observer le « cadavre » en train de se
détendre et devenir complètement immobile, « inerte ». Qui meurt ? À qui apparaît
cette expérience ?
Sans intellectualiser, je prends conscience de mon état général, ici et maintenant,
sans chercher à le changer. Pour « retirer les sens », je peux d’abord écouter les
sons les plus lointains, en ramenant progressivement l’attention aux sons les plus
proches et les plus intérieurs, jusqu’au silence. Je prends conscience du flux et du
reflux de la respiration en élargissant progressivement l’attention aux points d’appuis
du corps sur le sol, de la tête aux pieds. Sur chaque expiration, tout se dépose, se
repose, se fond dans le silence de l’espace du cœur et du toucher. Je prends
63
conscience des courants de vibrations, de l’espace mental où tout ce qui nous arrive
apparaît et se dessine. Les yeux demeurent immobiles, le regard, bien derrière, dans
la pose du témoin, en train de contempler, sans commentaire, la profondeur infinie
de ce ciel intérieur.
La « vague » : pour approfondir la détente et la sensibilité, je laisse la caresse du
souffle remonter par le devant du corps, avec une sensation, du dessus des pieds au
sommet de la tête quand j’inspire, et retomber, quand j’expire, par l’arrière du corps,
du dos de la tête aux talons. J’observe le flux et le reflux des souffles et les vagues
de sensations me purifier, me laver de mes tensions physiques et mentales. Souffle
après souffle, je savoure l’enveloppe de sensations, je lâche-prise. Je laisse le
corps, le shavâ, se déposer, se détendre au rythme de la respiration qui va-et-vient
comme des vagues sur l’océan tranquille.
Si j’y suis sensible, je peux ici invoquer l’image de Nârâyana couché dans son repos
éternel, ou de Shiva, allongé sous la déesse Kâlî. Je laisse alors s’éveiller un
sentiment nouveau, sur l’inspir, en le mêlant au souffle vital, et le laisse se répandre
dans tout le corps sur l’expir. « Vous ne reposez pas sur votre lit, mais sur l’Océan
infini primordial de lumière… ». A chaque souffle, je prends conscience des flux
d’énergie qui traversent la colonne vertébrale. Vibrations à l’inspir (JE), conscience,
vibrations à l’expir (SUIS), félicité. Les vagues de sensations, d’émotions, de
pensées et d’images vont et viennent, mais l’Océan profond demeure parfaitement
tranquille, spectateur détaché des flux et des reflux qui apparaissent et disparaissent
en lui.
Plus le pratiquant progressera et plus il raccourcira la phase de relaxation pour
prendre le temps d’aller à l’essentiel, surtout s’il a pratiqué au préalable une série de
poses et de souffles. Il est alors censé être déjà relaxé, prêt et disponible.
Avec cette disponibilité et cette sensibilité en éveil, l’énergie est ressentie, vibrante,
dans la chair et les os ; la pensée devient créatrice, s’ouvre à l’intuition. Yoga-nidrâ
invite alors à faire un « souhait » (samkalpa), de manière courte et positive, afin de
laisser cette pensée chargée d’énergie s’incarner et « prendre corps ». Simplement,
j’inspire, je répète trois fois le souhait en rétention, et en expirant, j’oublie tout. La
tradition dit ici qu’il conviendrait de garder le même souhait jusqu’à ce qu’il se
réalise. On trouve aussi souvent l’idée que pour être entendue et exaucée des forces
supérieures, toute prière doit être répétée au moins trois fois. Il est également
possible d’inspirer « je… » et d’expirer le souhait, simultanément ou tour à tour, dans
les structures physique, énergétique et mentale. Le souhait peut aussi être formulé
dans l’espace mental, entre veille et sommeil, comme un message adressé
64
directement au subconscient. Il peut être formulé dans l’espace du cœur où loge
« l’arbre à souhait », mentionné par les textes comme l’arbre magique qui « réalise
les désirs » : « Les résolutions sont des arbres-à-souhaits (kalpataru) ; l’énergie de
la conscience est le verger céleste aux arbres d’abondance. » 60
Le souhait peut aussi être intérieurement formulé, simultanément ou
progressivement, aux trois niveaux de l’articulation mentale : de manière articulée,
non-articulée et entendue. Mais avec la pratique et l’expérience, le souhait devient
un non-souhait, libre de mot, de pensée et d’intention. Il est souvenance sans objet,
pure présence, sans choix ni forme. Il ne saurait y avoir d’autre désir que de
demeurer dans le Soi.
« En renonçant sans aucune exception à tous les désirs nés des imaginations et
projections mentales et en contrôlant totalement, de tous côtés, l’ensemble des
sens, on atteint peu à peu la tranquillité. Ayant établi le mental dans le Soi, on
ne pense à rien d’autre. » 61
« Dans la tradition indienne un mythe prétend que nous sommes une unité
perdue, perdue de vue. L’humain, dit cette tradition, est habité par le sentiment
d’avoir perdu quelque chose. Une chose dont il ne saurait plus rien mais qu’il
aimerait cependant retrouver. Cette saveur perdue, en correspondance étroite
avec le “regard conscient” est ce que le mythe nomme Shiva. Quant au désir de
retrouver cet état de conscience, le mythe lui donne les traits de Shakti. Shakti
est l’énergie par laquelle Shiva va se manifester. Les deux personnages
représentent ainsi deux aspects de la réalité, et lorsque ces deux aspects sont
totalement reliés, tout conflit disparaît, la séparation n’existe plus ;
l’iconographie indienne les représente alors dans une union sexuelle
indissoluble. C’est dans l’intimité de ce couple un peu particulier que s’enracine
la légende. L’histoire raconte, qu’abîmés dans leur union Shiva et Shakti
oublient complètement l’univers, ils en perdent la mémoire au point que
l’équilibre du monde s’en trouve menacé. Les hommes inquiets vont donc se
65
plaindre aux dieux, Shiva et Shakti sont encore allés trop loin ! On décide
aussitôt une opération commando, des êtres mi-terrestres, mi-célestes étant
chargés d’enlever Shakti au sommet des Himalaya, et de la cacher à l’autre
bout de l’Inde, au Cap de la Vierge. Une fois l’opération terminée, Shiva sort
lentement de sa torpeur et en un clin d’œil (le troisième !) repère sa compagne.
Pris de colère que leur union ait été troublée, il la rejoint, l’empoigne par les
cheveux et s’empresse de la traîner vers leur demeure himalayenne. Les
hommes qui n’ont aucune envie de voir les amants retourner à leurs ébats
décident alors de couper la déesse en morceaux qui seront éparpillés aux
quatre coins du pays. Tandis que Shiva traîne sa compagne, ils commencent à
découper la déesse, d’abord le pouce de la main droite, puis le deuxième doigt,
le troisième, etc. » 62
66
voit tout, il accueille tous les phénomènes qui apparaissent et disparaissent, sans
commentaire, sans mot. Il observe les mondes se faire, se défaire sans être affecté.
Je demeure pleinement attentif, allongé, tel Nârâyana, sur un Océan de sensations
subtiles. Le corps s’endort mais la conscience veille, « comme un enfant qui s’endort
dans les bras de sa mère ».
Pour rassembler les petits morceaux d’énergie qui restent inconscients, la
conscience peut ainsi se déplacer selon un itinéraire codifié ou plus spontané. La
rotation peut être « externe » (bahirnyasa), axée sur le corps physique, ou
« interne » (antaranyasa), plus axée sur les roues d’énergie ou l’apparaître des
images. Mais on l’a vu, elle peut également se faire sur ces trois premières
« gaines » simultanément, en prenant conscience de la sensation, de la vibration et
de l’image. Elle peut aussi se faire dans des sens et des directions différentes.
L’important est surtout de ressentir sans laisser la pensée partir dans des
associations. Pour cela, outre le fait de bien connaître un itinéraire pour ne pas avoir
à y penser, chaque battement du cœur, chaque souffle, ou un bref mantra, comme
« AUM » ou « ram », peut aussi venir « toucher » chaque partie du corps, pour les
localiser, les sentir et lâcher comme une offrande. Ainsi sachant ce qui est tenu, il
est ensuite beaucoup plus facile de lâcher. C’est pourquoi le corps, une fois
intimement éprouvé, peut alors être « effacé ». Il disparaît dans le Vide avec le sens
du « moi ». Il ne reste que la saveur paisible et silencieuse du sommeil conscient.
Cette « rotation de conscience » peut également désigner un pèlerinage « sur les
lieux où étaient tombés les morceaux de la déesse et sur lesquels ont été érigés des
temples. » 64 J’ai moi-même retrouvé cette « saveur de l’unité perdue » en
parcourant l’Inde de lieux saints en lieux saints, comme mon corps de membre en
membre. Un vieux proverbe tiré du Skanda Purana m’avait mis sur la voie de quatre
hauts lieux pour tenter de rassembler un savoir que je pensais alors perdu : « Voir
Chidambaram, naître à Tiruvarur, mourir à Bénarès ou se souvenir d’Arunâchala,
c’est la Délivrance. » Si l’ancien verset m’avait mis sur une piste, yoga-nidrâ m’a mis
en présence d’un lien, et du fait que dans l’absolu, il n’y a que le lien, l’espace sacré
dans lequel toutes les séparations se résorbent. Les centres d’énergie, sous la forme
de points dans le corps ou de villes sacrés, viennent à la conscience. Tout
m’apparait, JE demeure immobile. D’abord « voir » tout ce qui n’est pas le lien ; puis
« mourir », s’effacer, laisser la place au lien ; « naître » à la conscience et s’en
« souvenir », l’« habiter », demeurer le libre spectateur du temps qui passe.
Le décompte
67
de la 108e, de la 54e ou de la 27e respiration. J’inspire, j’expire, 108, j’inspire,
j’expire, 107, etc., jusqu’à 0, le « centre » de soi-même. A chaque expiration, le
compte se dissout dans le silence. Je reste spectateur du compte à rebours. Je le
laisse se faire, se défaire, tout seul, sans intervenir. Je me laisse porter vers
l’inconnu. Je me contente de compter les moutons en sens inverse, de partir du
multiple pour aller vers l’unité. C’est un moment propice pour l’endormissement, pour
aller et venir, sans tomber dans l’inconscience totale. Mais c’est aussi une phase où
je risque de m’endormir complètement en tombant dans l’inconscience totale. Alors,
« attention »…
Par ailleurs, le décompte peut aussi être l’occasion de « purifier » l’espace mental,
en lui associant la respiration alternée, sans boucher les narines avec les doigts :
j’inspire à gauche, j’expire à droite, j’inspire à droite, j’expire à gauche, j’inspire à
gauche, etc. Je prends simplement conscience du souffle qui passe dans un côté,
puis dans l’autre, de façon très « tactile ».
Le zéro créé la suspension des fluctuations mentales et l’ouverture, propice à
l’émerveillement, à la joie et à l’exploration.
Le travail thématique
Les premières phases de la séance sont censées créer une grande disponibilité pour
un travail plus approfondi entre veille et sommeil. En jonglant avec les différents
corps, gaines, centres, structures et autres phénomènes, il est ensuite possible de
composer une infinité d’approches pour favoriser l’exploration du labyrinthe intérieur,
et peut-être, trouver une issue à la souffrance et à l’ignorance. Cette partie centrale
fait appel à tous les membres du yoga, notamment à la concentration, à la
méditation et à la contemplation profonde. Quelque soit le thème abordé et l’intention
de départ, tout doit finir par se dissoudre dans la paix profonde du silence.
Les grandes séances de yoga-nidrâ portent essentiellement sur les grandes
questions de l’existence. Certaines visent à observer, sous différents angles, les
différentes structures en détail, avec leurs processus, leurs liens et leurs passages :
le corps physique et ses tissus (peau, muscles, os, organes), le système sensoriel et
son rapport à l’inconscient, le corps énergétique (centres, supports, souffles,
méridiens, etc.), les aspects de la pensée (mental, mémoire, intelligence et sens du
moi), ses modes d’apparition et de disparition, etc. Si yoga-nidrâ invite presque
systématiquement à observer attentivement la sensation, la vibration, la lumière et le
son, certaines séances peuvent insister plus avant sur un de ces aspects en
particulier, en introduisant également des souffles et des mantra. Parmi les thèmes
importants, yoga-nidrâ ne manque pas d’interroger notre rapport à l’animalité, au
68
temps, au devenir, aux désirs, aux éléments, à la jouissance, à l’extase, à l’amour,
au « moi », au divin et bien entendu, au rêve, au sommeil et à la mort.
De manière générale, comme pour l’exécution des postures, le déroulement
progresse toujours dans l’ordre « montant » des centres d’énergie. Une fois le
décompte effectué, cela permet de donner un axe et une direction à la séance. De
plus, d’après les enseignements traditionnels, cet ordre coïncide avec la résorption
des sens et la dissolution des éléments dans le processus du sommeil et de la mort.
C’est pourquoi ce repérage général, qui « découpe » le processus, constitue une
excellente préparation. En voici les grandes lignes, dans lesquelles de nombreuses
variations peuvent être apportées : • Je commence par prendre conscience du
centre d’énergie de la base, au niveau du coccyx, en associant le souffle et la
pensée (Ham Sa, « je suis »…) à la sensation de vibration. Cela me permet de
renforcer la concentration et la sensibilité, tout en ouvrant un espace. Je peux aussi
éventuellement percevoir les particularités physiques et énergétiques (tissus, roues,
formes, couleurs, etc.) avec plus ou moins de détails. L’important reste toujours le
ressenti, la sensation. Je profite de chaque souffle pour laisser apparaître et
ressentir les liens intimes qu’entretient le centre d’énergie avec les autres
structures : l’anus, le sens de l’odorat et les impressions qu’il a laissées, les tissus du
corps physique, son inertie, sa stabilité, son état solide, son rapport à l’élément terre
et au sentiment de tranquillité. A l’instar de Nârâyana ou de Shiva, je demeure
témoin des phénomènes qui apparaissent et disparaissent, des états qui changent,
sans commentaire ni jugement, sans me laisser prendre par l’énergie de leurs
mouvements. Le souffle continue de s’allonger. Je reste disponible au parfum de la
présence. • Je me laisse ensuite glisser dans le centre d’énergie du pubis, au niveau
de la région sacrée. Au rythme de chaque souffle, je prends conscience des
relations avec le sexe, le sens du goût, l’élément eau, la circulation du sang et de
l’énergie, les courants de vibrations dans tout le corps, au-delà des frontières de la
peau. Je laisse s’éveiller un sentiment de fluidité et de joie. Une saveur nouvelle. •
L’attention continue son ascension dans le centre d’énergie du ventre, au niveau de
la colonne lombaire. J’explore les liens qu’il entretient avec le plexus solaire,
l’élément feu, la vue, les formes, les yeux, la chaleur, la lumière, la vibration, les
émotions, le mental et le rêve. A chaque souffle, je m’abandonne à un profond
sentiment d’irradiation. Du nombril de Nârâyana sort un lotus sur lequel le dieu
Brahmâ est assis, créant les pensées et les mondes qui s’élèvent et retombent. Le
Beau est la saveur du vrai. Souffle après souffle, le feu consume les désirs, les
peurs et le sens du moi. Le passage n’est pas loin. • L’attention remonte alors dans
le centre du cœur, au niveau de la colonne dorsale : la peau, les mains, l’élément air,
le toucher, le sommeil et « moi », au bord du Vide. Souffle après souffle, « je »
disparais dans un sentiment d’expansion, une sensation d’énergie impersonnelle,
libre comme l’air, qui se répand et embrasse l’univers tout entier, au-delà des limites
de la peau et du mental. C’est la saveur de la béatitude et de l’amour. « L’enfant dort
mais la Mère veille ». • L’attention passe ensuite dans le centre de la gorge, du côté
69
de la colonne cervicale : les oreilles, les cordes vocales, le sens de l’ouïe, l’élément
espace et le son, par lequel se fait le dernier contact avec le mourant et le monde
des phénomènes. Le sentiment d’expansion finit par laisser la place à l’immobilité
totale. L’expansion elle-même, comme le souffle, apparaît dans le vide. C’est la
saveur du silence. • L’attention passe ensuite dans le centre du front, entre les
sourcils, au milieu de la tête. L’espace physique lui-même, comme le jeu de
l’ensemble des centres et des éléments, apparaît dans cet espace mental fait
d’énergie consciente. C’est la saveur de la conscience et de la joie pure. • Enfin, cet
espace mental lui-même apparaît dans l’espace de la conscience. L’énergie finit sa
course dans le centre aux « mille pétales », dans le vide au-dessus de la tête qui ne
fait qu’un avec le vide du cœur. C’est l’union de la clarté et de la vacuité. C’est la
saveur de l’Être, de l’Incréé, de l’« unité retrouvée ».
Les nuages des sensations, des émotions et des pensées, comme les états de
veille, de rêve et de sommeil, apparaissent et disparaissent dans le ciel, mais le ciel
de la conscience demeure parfaitement immobile, inaffecté et immuable. Il contient
tout, il pénètre tout, il est tout. Ramana Maharshi disait que « l’univers entier est
dans le corps et le corps tout entier est dans le Cœur. Donc l’univers est contenu
dans le Cœur. (…) Cœur est ton Nom Ô Seigneur ! » Comme le dit si bien Swami
Dayânanda, « Il n’y a pas un seul Dieu. Il n’y a que Dieu ». A ce stade, aucune
pratique n’est possible. Il n’est plus question d’effort, de concentration, de faire et
d’intention. Il n’y a plus personne. Seule brille la Conscience.
Une séance type de yoga-nidrâ peut aussi inclure certaines « visualisations » qui
peuvent être également travaillées indépendamment. Certaines écoles utilisent
systématiquement l’évocation d’« images » dans leur conduite de séances, en les
développant même en scénarios et en histoires. Si une telle pratique peut nous
permettre d’accéder à des couches profondes de l’inconscient individuel et collectif,
comme à la sphère savoureuse de l’intuition, il n’en demeure pas moins qu’elle peut
aussi, plutôt que de la suspendre, trop stimuler la pensée ordinaire associative, et
donc nous empêcher de s’éveiller à la réalité en amont de cette structure
mécanique. A chacun de pratiquer avec soin, sincérité et vigilance, et de voir ce qui
70
« fonctionne » le mieux pour soi. Elles peuvent aussi être un bon support pour le
yoga du rêve.
Les images évoquées dans ce type de séquence, souvent symboliques et
archétypales, peuvent être des postures de yoga, des représentations divines, des
arbres, des fleurs, des animaux, des oiseaux, des montagnes, des océans et tout ce
qui évoque la nature, le jour, la nuit et les saisons. Elles peuvent être sélectionnées
logiquement en référence aux cinq éléments (terre, eau, feu, air et espace), ou à
d’autres thèmes comme l’amour, le vide, le sommeil et la mort.
Les textes classiques du yoga, du vedanta et du tantra regorgent de ce type
d’images capables d’éveiller une fine qualité de sentiment et d’intuition, et d’inspirer
yoga-nidrâ. Par exemple, la Shiva Samhita évoque des images qui renvoient
symboliquement au corps humain composé des cinq éléments : le Mont Méru
entouré par sept îles, sept fleuves, des mers, des montagnes, le bâton, des champs
et des propriétaires des champs, le lac, un feu, un ciel, un sommet de montagne
enneigé, une grotte, un temple, un précipice, le soleil, la lune, le corps comme lieu
d’offrande, un aigle, un félin, un serpent, un éléphant, un daim, un crocodile, une
baleine, etc. 66 Ainsi, en laissant spontanément apparaître ces images en soi ou à
côté de soi, dans l’espace, sans mots, sans commentaires, sans associer un savoir
ou une pensée, je peux intuitivement en ressentir la résonance, la vibration, dans
certains lieux précis du corps comme la colonne vertébrale, les centres d’énergie et
les principaux méridiens. L’essentiel ici est de reconnaître un autre mode de
perception et de connaissance des choses que d’habitude, sans passer par la
pensée discursive, en restant dans un ressenti subtil. C’est pourquoi, dans le cadre
d’une séquence comportant un nombre conséquent d’évocations, il importe de les
laisser défiler 67 assez rapidement pour ne pas que le mental ne prenne le dessus et
commente. Ainsi, avec un peu d’entraînement, il est possible de laisser défiler une
série complète sur une seule expiration, lente, profonde ou plus en phase avec le
rythme du dormeur, en recommençant plusieurs fois si besoin. En dehors d’une
séance type, l’exercice peut être fait plusieurs fois par jour (ou par nuit), assis,
debout, couché, en marchant, les yeux fermés ou ouverts. Le plus important,
finalement, reste encore le fait que l’image puisse me rappeler à l’espace tranquille
et conscient dans lequel elle apparaît. Il ne s’agit pas ici de spéculer sur les
phénomènes et de savoir, mais de plonger dans le Cœur et d’être, simplement.
71
moi, s’est effacé avec les pensées. Il ne demeure alors que la saveur du silence et
du vide, la joie indicible d’une vision originelle, impersonnelle et intensément vivante.
Dans le cadre d’une séance formelle, ce moment de méditation pure, sans
préhension, se traduira par un long silence. C’est une ouverture directe sur l’intuition,
la béatitude et le bienheureux témoin de ces épiphanies, sur « le jaillissement de la
félicité du Soi et la prise de conscience permanente du JE » (Kshemarâja) :
« Dans la caverne profonde du cœur, la seule réalité qui est l’Absolu, brille
devant nous sous la forme du Soi, vibrant comme conscience du Soi, c’est à
dire « JE-JE ». Vous devriez entrer dans le Cœur en poursuivant la pensée
« JE », ou en plongeant en lui. » 68
Dans le cadre d’une séance formelle, ce moment est propice pour entendre de
nouveau trois fois le « souhait » effectué en début de séance. De cette félicité sans
forme émerge le verbe, la volonté, le son, la lumière, la vibration qui vont ensuite
s’incarner dans la chair et l’apparence du monde. Dès que le souhait s’est effacé
dans le vide vibrant, je reprends alors progressivement conscience des différentes
structures jusqu’au corps physique, partie par partie, de la tête aux pieds. Je reste
alors spectateur immobile du corps en train de se remettre en mouvement. 70 Je
prends le temps de savourer en demeurant dans cette présence lumineuse à moi-
même, qui par la conjugaison de la pratique et de la grâce, s’élargit peu à peu aux
autres heures du jour et de la nuit, avec le sentiment profond d’être « heureux,
tranquille et libre ». J’inspire la conscience d’être et j’expire la joie d’être. JE SUIS.
Cette manière de sortir d’une séance s’applique également au réveil du matin et à
l’apparaître du sens du moi. Une pratique complète peut consister à préparer et
observer l’endormissement avec les différentes phases d’une séance classique,
jusqu’à s’endormir dans le « cœur ». Ainsi, chaque réveil, s’il y a, devient l’occasion
de simplement observer le passage ou relancer la séance déjà entreprise. Sinon de
demeurer spectateur des états en train de passer… jusqu’au réveil où après un
souhait et un moment de prise de conscience, le corps se remet en mouvement pour
sortir du lit et vaquer à ses occupations.
72
Yoga-nidrâ ne se limite ni à des pratiques formelles ni à l’observation du sommeil.
C’est une approche intégrale de tous les états de conscience. Yoga-nidrâ propose
une certaine méthodologie qui varie selon les écoles, mais cela reste avant tout une
attitude, une façon d’être et un art de vivre au quotidien, qui n’a rien à voir avec le
paraître, la morale ou la nature des activités. Il ne se substitue à rien mais s’ajoute à
tout, dans la conjugaison de la pleine conscience et de la paix profonde. Ce lien
sacré peut être « établi » en reconnaissant le sommeil dans le silence de l’état de
veille. « Il nous suffit d’invoquer ce silence et d’y élargir notre conscience en la
répandant dans le cœur yogique de la Mère ; ainsi, même le sommeil peut être
transformé. » 71
Dès les premiers instants du réveil, je peux profiter de cet « entre-deux » pour
directement entrer en méditation, de manière formelle ou non. Ouvert, sans
intention, je laisse ce silence accueillir les phénomènes, les premières actions, les
événements, les obligations sociales, professionnelles ou familiales. Il ne s’agit pas
ici de changer ses conditions ordinaires d’existence mais de s’observer,
précisément, dans ces conditions, en train d’agir normalement. La méditation pure
n’étant pas une action, elle s’ajoute sans problème à mes activités quotidiennes.
Mais cela étant dit, il est recommandé de prendre le temps de s’asseoir en silence
au moins deux fois par jour. Car ce silence a besoin d’être reconnu, cultivé, pénétré.
Pour me préparer à appréhender consciemment les activités de la journée, je peux
donc prendre le temps de m’assoir un certain temps prédéfini. Tous les membres du
yoga sont mis en œuvre. Dans une assise confortable, une main dans l’autre, je
commence par me détendre en relaxant le corps de la tête aux pieds, partie par
partie. A chaque souffle, je laisse les tensions se défaire. Je ramène ensuite
l’attention sur la respiration naturelle, sans chercher à la changer. Je me contente
d’observer l’air qui entre et qui sort avec chaque petit moment de pause. Souffle
après souffle, je laisse les sens et l’attention se retirer vers l’intérieur en prenant
conscience du son (hamsa) et du silence. Je reste concentré sur le souffle en
laissant l’agitation venir mourir dans le silence. Une fois établie la tranquillité du
corps et de l’esprit, je commence par observer les sensations de la tête aux pieds
puis des pieds à la tête, en partant de la fontanelle et en déplaçant l’attention partie
par partie. Je veille à rester attentif et équanime devant chaque sensation, émotion
ou pensée qui apparaît, afin de ne pas réagir par du désir ou de l’aversion. Qui suis-
je ? Qui observe ? Peu à peu, la perception du phénomène renforce la conscience
de l’espace tranquille et silencieux dans lequel il apparaît. En demeurant dans la
pure observation, la pensée finit par se suspendre, et la conscience finit par se
replier sur elle-même pour s’éveiller à sa véritable nature : JE SUIS. La méditation
devient alors une contemplation sans objet, sans savoir, sans connaissance, sans
souvenir, sans « technique » ni intention. Il n’y a ici plus personne pour penser
savoir, faire ou méditer. Il ne demeure alors que la conscience et la joie d’être, un
sentiment de paix impersonnel et d’amour illimité. Lorsque le « gong » signale la fin
de ce moment d’assise, je peux prendre quelques minutes pour laisser irradier la
73
paix et les vibrations subtiles à l’univers tout entier, comme un souhait et un partage,
avec sincérité et bienveillance : « Puisse tous les êtres être en paix et heureux ».
AUM. Par la suite, dans le cours des activités ordinaires, si je suis repris par le flux
des phénomènes, la prise de conscience du moindre signe d’agitation, de tension et
de négativité devrait m’inviter à revenir à cette présence et cette observation
tranquille, ici et maintenant :
74
Les champs d’application du yoga-nidrâ
« La conscience d’être et la joie d’être sont les premiers parents. Elles sont aussi les
ultimes transcendances. » Shrî Aurobindo
75
extension thérapeutique de yoga-nidrâ. La relaxation, le lâcher-prise, la prise de
conscience, ont la faculté de générer des énergies importantes pour la santé du
corps et de l’esprit, pour le sentiment de bien-être et de vitalité, pour la
concentration, la créativité et la qualité du sommeil.
Une séance axée sur la « thérapeutique » suit le même déroulement qu’une séance
classique, mais avec une intentionnalité différente. Voici un exemple. Tout en
synchronisant le souffle à chaque étape, la phase préparatoire va insister sur la
relaxation, le relâchement des tensions physiques et mentales, la prise de
conscience du corps, de la chaleur et de l’énergie vitale. Le souhait occupe ici une
place importante dans la mesure où il envoie une « suggestion positive et incarnée »
au subconscient, et qu’il peut facilement s’adapter à tout type de pathologies. Selon
le temps à disposition et l’expérience, la rotation de conscience sur le corps
physique, dans l’esprit d’un « checking », peut être beaucoup plus détaillée sur la
peau, les muscles, les os et les différents organes vitaux. Je laisse l’attention, la vie,
dans la pleine conscience du souffle, toucher chaque point pour les « vivifier ». Je
prends le temps de ressentir le plexus, le cerveau et la moelle épinière quand
j’inspire, je laisse le bonheur vital inonder les cellules quand j’expire. Je prends
conscience de la vitalité, de la vigueur, de la joie d’être, des centres et des courants
d’énergie positive qui circulent dans le corps. Je laisse s’équilibrer les souffles et les
horloges internes, je prends conscience du cœur, de l’énergie qui le fait battre. Avec
ce ressenti, je peux tenter, par exemple, de soulager une douleur dans le corps en la
« noyant » dans un espace de sensation plus vaste, ou en « l’expulsant » avec le
souffle. Je peux aussi stimuler ou apaiser un tissu en mobilisant une énergie
« chaude » ou « fraîche » dans l’un des centres d’énergie (ou ailleurs…), à
l’inspiration, et la laisser se diffuser dans le point du corps ciblé à l’expiration. En
renouvelant attentivement l’expérience plusieurs fois, un soulagement finit
généralement par s’imposer. L’exercice du compte à rebours peut aider à s’enfoncer
dans la tranquillité et la sensibilité, en libérant l’intuition, en laissant peut-être, au
bout du compte, apparaître une situation – une « vision sensorielle » – dans laquelle
la problématique est réglée, sinon acceptée, dans la joie et la sérénité. Puis, au-delà
des images et du mental, dans la « caverne du cœur », demeure toujours cette paix
inaffectable, ce silence profond, dans lequel les cellules se régénèrent et le corps se
repose. Pour terminer une séance formelle, il suffit ensuite de répéter son souhait
dans l’espace mental, puis de laisser la « force du yoga », l’énergie de l’attention,
l’incarner dans la reprise de conscience du corps. Je prends ensuite le temps de
savourer, de me sentir baigné de joie et de gratitude.
Dans l’absolu, yoga-nidrâ ne cherche pas à changer le cours des choses mais aide à
voir et accepter la réalité telle qu’elle est, en l’épousant à chaque instant. « Si ça
marche c’est bien, si ça ne marche pas, c’est bien ». Cela n’empêche pas de tenter
quelque chose, au contraire. Mais cette tentative doit être menée sans s’attacher à
l’action et à ses fruits. De la même façon, l’acceptation véritable ne peut jamais venir
de la pensée dualiste. La pensée se résigne mais n’accepte pas, il y aura toujours
76
un « oui mais », avec de la souffrance. Or, l’acceptation est un « oui » sans
« mais » ; accepter, c’est accueillir la situation dans la quiétude sans désirer que
celle-ci soit autrement que ce qu’elle est. En observant la part de soi qui n’accepte
pas, en lui laissant la place, la possibilité nous est alors donnée de s’éveiller à
l’espace bienheureux de l’acceptation, en amont de la pensée. Et de reconnaître que
si moi je n’accepte pas, le vide silencieux que je suis, lui, accueille tout, non
seulement sans distinction, mais aussi avec amour. Tout devient alors plus simple.
Ici et maintenant, l’observation, en elle-même, se révèle être la « guérison »
suprême. « A cause de douleur comme le mal de tête, on dit « j’ai mal », en parlant
de soi-même. Mais le témoin est différent de celui qui est perçu en train de souffrir.
Le témoin n’est pas celui qui souffre. » 74 Même physiquement malade, celui qui
reconnaît cela est heureux, et déjà « guéri » de tout.
Ultime crispation
« Il faut savoir veiller tout le jour pour pouvoir bien dormir » écrivait Nietzche dans
Ainsi parlait Zarathoustra. Dans le contexte de yoga-nidrâ, cette affirmation prend
une épaisseur nouvelle qui apparaît comme un enseignement d’une grande
pertinence. Et à nous d’ajouter qu’il faut également savoir dormir toute la nuit pour
pouvoir bien veiller.
Entre veille, vie, sommeil et mort, yoga-nidrâ propose donc un cheminement de
détente, de connaissance intérieure, d’évacuation, de régénération et d’ouvertures
sur des espaces libres de souffrance. En investissant l’inconscient, à la source des
conditionnements, yoga-nidrâ permet de porter un nouveau regard, plus apaisé, sur
le monde, sur les autres et sur soi-même. Avec l’entraînement régulier, quotidien, les
pratiques se mettent en place toutes seules, même la nuit. C’est clair et lumineux.
Une saveur qui change la vie, notre façon de nous connaître et d’être. La philosophie
est essentiellement pratique. Le savoir et l’être sont réunis dans une danse
harmonieuse, bienheureuse et nourricière. La carte n’est pas le territoire mais
permet de commencer à avancer sur la voie, de se trouver, de se perdre, de se
laisser saisir par ce qui « ni ne se trouve, ni ne se perd ».
Je peux faire de la relaxation sans pratiquer yoga-nidrâ mais je ne peux pas
pratiquer yoga-nidrâ sans être relaxé, de la même manière qu’en méditation assise.
Dans l’état de veille, la relaxation travaille essentiellement au niveau du corps
physique et de tous ses tissus. Non détendu, pétri de tensions, il est impossible
d’être conscient des structures profondes, de l’énergie qui circule, que ce soit le jour
ou la nuit. Or, dans la pratique du « sommeil conscient », plus la relaxation est
profonde et plus la disponibilité est grande. Si elle n’est qu’une phase préparatoire,
elle n’en demeure pas moins essentielle. Car la perception des tensions permet de
lâcher prise et de s’éveiller à un espace de conscience déjà paisible et sans tension.
77
Les différents processus sont observés tranquillement. Les « entre-deux » traqués ;
l’investigation, ouverte : « Qui suis-je ? Les sensations apparaissent et disparaissent
en moi, je ne suis donc pas ce corps tendu, relaxé, en bonne santé ou malade. Les
émotions apparaissent et disparaissent en moi, je ne suis donc pas ces émotions
changeantes. Les pensées apparaissent et disparaissent en moi, je ne suis donc pas
ces pensées. A qui apparaissent ces pensées ? » La seule réponse possible serait
« JE SUIS », mais si la réponse m’apparait, c’est qu’en réalité je suis déjà antérieur
à elle. A la lumière de cette présence-témoin, l’ego, la « pensée je », apparait alors
soudainement comme une simple tension de l’esprit, une cristallisation de pensées
qui n’appartiennent à personne, un nœud sans réelle consistance, une crispation qui
une fois relâchée n’existe déjà plus, comme au coeur du sommeil profond, de
méditation ou du « sommeil conscient ». Mais il convient de rester très vigilant, car
les états changent et les tensions reviennent vite sans être forcément repérées.
Avec la pratique, yoga-nidrâ, en tant que réalité et non plus en tant que moyen, se
révèle être l’arrière-plan toujours tranquille de toutes mes activités et de toutes mes
expériences. « Conscient », « pas conscient », « être » ou « non-être », « tendu » ou
« détendu », « endormi » ou « éveillé », toutes ces dualités finissent par se résorber
dans ce qui n’est « ni ceci ni cela ». Aucun yoga, en tant que « technique » ou
« pratique », ne peut me permettre de réaliser le Soi car la réalisation du Soi n’est
pas une action. Mais en revanche, la pratique du yoga peut me rendre disponible à
une telle découverte en me familiarisant avec le non-Soi et en m’éveillant ainsi à une
autre qualité d’écoute. Par l’engagement total, par l’effort conscient et soutenu qu’il
nécessite contre la manifestation mécanique de ma personne, il produit la friction par
laquelle le non-effort s’impose de lui-même, comme une évidence à la fois vide et
claire, vibrante et lumineuse. Lorsque tout concept est résorbé, le yogi s’efface alors
dans la transparence bienheureuse de sa véritable nature qui est la même
Conscience en chacun de nous, l’Unique Force sous-jacente à chacune de nos
multiples singularités, la Vie à l’œuvre dans chacune de nos cellules. Comme dans
toutes les voies traditionnelles, yoga-nidrâ nous invite à reconnaître par la simple
observation que non seulement nous ne sommes pas l’« ampoule » mais
l’« électricité », que l’électricité est la même dans chaque ampoule, et surtout que
« l’électricité ne meurt pas quand l’ampoule est grillée ».
Mais l’ampoule a trop facilement tendance à penser – dès que la lumière se rallume
– que le courant vient d’elle et que c’est elle qui produit la lumière. La vigilance reste
toujours de mise, au risque de tomber dans l’écueil du « moi » qui une fois réapparu,
rattrape et s’attribue tout. Ramana Maharshi nous invite à bien distinguer
« l’apaisement temporaire de la pensée », produit par la concentration, de sa
« suspension permanente », « la libération de la vie et de la mort », qui dépend plus
de la conjugaison de l’investigation intérieure et de la grâce. Car il est facile de
constater que dès que la concentration cesse, même après « mille ans », les
pensées reviennent à la charge avec une intensité parfois décuplée. C’est pourquoi
« celui qui pratique doit donc être toujours sur le qui-vive et bien examiner à
78
l’intérieur, qui a cette expérience, et qui ressent son caractère agréable ». 75 Si je
ressens la paix, le silence et le vide, c’est que je suis encore au-delà de cette
sensation ou de ce sentiment. Attention donc aux « illusions » et aux « faux
sentiments de libération ». « On ne doit pas se laisser surprendre par de telles
périodes de silence de la pensée. Au contraire, à ce moment-là, il faut reprendre
conscience et, intérieurement, rechercher avec beaucoup d’attention qui est-ce qui
éprouve ce silence. » Car n’ayant ni début ni fin, le silence du Soi ne change pas. Il
n’y a que la pensée qui apparaisse et disparaisse. « Découvrez d’où surgit ce faux
« je » et il va disparaitre. Vous serez alors simplement ce que vous êtes, c’est-à-dire
l’être absolu. » Il ne suffit donc pas d’ « arrêter les pensées » pour être libre ; il faut
surtout reconnaître leur source.
Ultimement, yoga-nidrâ n’est donc plus une technique à pratiquer, une méthode à
apprendre, une faculté à développer, une intention, une expérience, un état ou un
but à accomplir. Yoga-nidrâ est simplement la reconnaissance de ce que j’ai toujours
été, avant même de savoir que « je suis ». Je peux alors chanter et célébrer la Gloire
de l’Être avec Shankarâchârya :
79
[45] Antara-Yoga, op. cit. « Allongé sur le sol, comme un cadavre, cela est appelé Shavâsana. Il enlève
la fatigue et apaise l’esprit. » Hatha-yogha-pradīpikā 34.
[46] Antara-Yoga, op. cit.
[47] Antara-Yoga, op. cit.
[48] Rig-Veda, Cosmogonie, X, 129, traduction d’Alain Porte.
[49] Vijnana Bhairava Tantra 75.
[50] Shri Anirvan, La vie dans la vie, Albin Michel, 1984.
[51] Antara Yoga, op. cit.
[52] Père Fray Francisco de Osuna, Abecedario espiritual, III. Cité par Henri Tracol dans Pourquoi dors-
tu Seigneur ?, Pragma, 1983.
[53] Antara Yoga, op. cit.
[54] Shri Anirvan, La vie dans la vie, Albin Michel, 1984.
[55] Antara Yoga, op. cit.
[56] Après chaque réveil, je peux réaliser une « rotation de conscience » (décrite dans la deuxième
partie de ce livre), et sortir du lit avec la sensation du corps tout entier, avant de poursuivre mes
activités, en présence.
[57] Vijnana Bhairava Tantra 55.
[58] Brihad-âranyaka-up., IV, III, 7 ; Chândogya-up., VIII, I, 1 ; Taittirîya-up. II, 1.
[59] Swami Satyananda, Yoga Nidra, Bihar School of Yoga, 1980.
[60] Bhavana Upanishad 8.
[61] Bhagavad-Gita, VI, 24-25.
[62] André Rhiel, « Le Sommeil et le Regard de Shiva », retranscription d’un enseignement oral, 15 août
2006.
[63] La prise de conscience du pouce de la main droite, comparée à d’autres lieux du corps, par son
action immédiate sur le cerveau, permettrait plus rapidement de changer d’état de conscience. Voir
Satyananda, op. cit.
[64] André Rhiel, op. cit. Plusieurs textes anciens, à l’instar des Purana (Shiva, Devi, Brahmanda, Kalika,
Mahapitha, etc.), du Pithanirnaya Tantra ou du Shakti Pitha Stotram de Shankara, mentionnent 18, 52,
64 ou 108 « lieux de force » (shakti pitha). Si les lieux et la base de l’histoire varient selon les sources, le
sens profond demeure toujours le même.
[65] Shrî Shankarâcharya, Upadesha Sâhasrî 11-6.
[66] Shiva Samhita, II, 1-5, et suivantes.
[67] Ou de les énoncer, si vous guidez une séance.
[68] Ramana Maharshi, op. cit.
[69] Tantrâloka VI, 10.
[70] Qu’est-ce qui ne change pas et demeure immobile quand le corps et la pensée se remettent à
bouger et changent d’état ?
[71] Antara Yoga, op. cit.
[72] Ashtâvakra-Gîta I-4.
[73] Extrait de Jîvanmukti, un ouvrage de Swami Shantânanda Puri, traduit de l’anglais par l’auteur du
présent ouvrage.
[74] Shankarâchârya, Upadesha Sahasri, 16-8.
80
[75] Ramana Maharshi, Sois ce que tu es, Sri Ramanasramam, Tiruvannamalai, 2011.
[76] Shankarâchârya, Dashashlokî, 8 & Âtma Shatkam, 5 (« Dix » et « Six strophes sur le Soi »).
81
Annexes
4 SÉANCES GUIDÉES (ET PLUS ENCORE !)
Pour vivre ces séances sans la présence d’un enseignant, vous pouvez d’abord
vous enregistrer, en parlant très lentement d’une voix calme, pour ensuite vivre la
séance de manière guidée. Les points de suspension correspondent à des temps de
silence plus ou moins longs selon l’intention. L’art de la guidance consiste
notamment à « doser » ces pauses de façon à éveiller les prises de conscience.
Avec l’expérience, le silence – qui n’est pas absence mais présence – prend de plus
en plus de place dans le cadre des pratiques. Vous noterez que l’emploi du
« souhait » (samkalpa) n’est ni nécessaire ni systématique. Concernant la posture, il
est possible de l’adapter pour plus de confort, avec un coussin, une couverture et un
foulard sur les yeux…
Lors d’un séjour d’étude à Rishikesh, j’ai eu l’immense chance de rencontrer des
yogi remarquables dans la lignée des « sages visionnaires » de l’Inde ancienne et
des maîtres de l’Himalaya, dont Swami Rama et Swami Veda Bharati sont
d’éminents représentants. Auprès d’un élève direct de ces derniers, j’ai pu découvrir
et étudier une forme de yoga-nidrâ dont j’ignorais alors l’existence. Cela ne faisait
que me confirmer l’importance et la place de la tradition orale dans le yoga-nidrâ, de
l’Inde au Tibet, et l’impossibilité de réduire cette pratique ancestrale, dont l’origine se
perd dans la nuit des temps, à un fondateur, une école ou une forme en particulier.
Comme un Upanishad, yoga-nidrâ s’apprend littéralement et essentiellement en
s’asseyant et en s’allongeant « aux pieds du maître ». L’enseignement reçu à
Rishikesh, inscrit dans la tradition védique et très axé sur l’art du mourir, reste très
proche, à quelques détails près, des enseignements tantriques shivaïtes que j’avais
reçus dans le cadre de la tradition des nâtha-yogi de Bénarès. Cette approche
82
« himalayenne » vise directement la pleine conscience des sensations, des
émotions, des pensées, des rêves et du sommeil profond, dans le but de reconnaître
le témoin toujours tranquille de ces différents états et expériences. Dans le cadre
d’expériences scientifiques, Swami Rama avait par exemple montré que le yoga-
nidrâ lui permettait de se stabiliser consciemment dans les ondes delta qui sont
celles que le cerveau émet dans le profond sommeil. Swami Rama pouvait
également exercer une action sur les muscles involontaires de son corps physique,
comme son cœur, qu’il pouvait ralentir jusqu’à complètement l’arrêter. Mais ce type
de performances et d’expériences de laboratoire n’a que peu d’importance, si ce
n’est de satisfaire la curiosité, l’incessant besoin de preuves extérieures qu’éprouve
un mental agité et anxieux. En fait, yoga-nidrâ n’accorde que très peu d’importance
au corps physique, si ce n’est au départ, dans la phase de relaxation, ou alors dans
son approche thérapeutique. Le travail cherche ensuite rapidement à passer à la
pleine conscience du réseau énergétique subtil, qui habite et entoure le corps
grossier. Il ne peut y avoir de yoga-nidrâ sans une compréhension poussée du
système énergétique et des processus mentaux, le ressenti et la saveur de ces
derniers étant un tremplin vers la conscience supérieure. Ainsi, de prise de
conscience en prise de conscience, sachant ce qui est tenu, le pratiquant peut alors
lâcher-prise et laisser les objets et le prétendu sujet de l’expérience se dissoudre
dans le vide lumineux de la Conscience, à l’instar de Nârâyana allongé en éternel
yoga-nidrâ :
83
correcte. Parce que toutes les philosophies spirituelles viennent de l’expérience
personnelle d’états supérieurs de conscience de quelqu’un. Quand vous croyez
dans le postulat de quelqu’un au sujet de cet état supérieur de conscience, vous
suivez une religion. Mais ici, nous ne suivons pas une religion. Quand vous
vérifiez cette philosophie par des méthodes pratiques de la spiritualité, c’est cela
que l’on appelle le yoga. Donc, de cette expérience, vous vérifiez et confirmez
que ce que disent les rishis, les textes anciens et les maitres est correct.
Maintenant, souvenez-vous d’une chose. Vous pouvez utiliser les mêmes
chemins pour entrer en méditation et vous pouvez utiliser les mêmes chemins
pour entrer en yoga-nidrâ. C’est un point très important. Dans la tradition des
maîtres de l’Himalaya que nous suivons, quand vous entrez en méditation, vous
utilisez votre mantra avec votre respiration. Quand vous entrez en yoga-nidrâ,
vous n’utilisez aucune autre pensée, mais seulement le ressenti du flot, même
pas le mantra. Ceci est la différence principale entre les chemins de la
méditation et les chemins du yoga-nidrâ. Maintenant, je ne vais pas faire un
grand discours sur le système des chakra. Nous parlons des états de
conscience. Le centre de jagrat, de l’état de veille, est dans le centre du front.
Le centre pour contrôler l’état de rêve est dans le centre de la gorge. Le contrôle
de l’état du sommeil est dans le centre du cœur. Le contrôle du système
immunitaire et du champ du prana est dans le centre du ventre. Et ainsi de
suite. Donc, comme j’ai dit, ces kriya vous aident à des niveaux bien différents.
Par exemple, le centre de la gorge peut vous aider à contrôler votre façon de
manger et de boire. Beaucoup de gens lisent des livres sur les rêves lucides. Si
vous vous endormez avec l’image de la pleine lune sans tâches dans le centre
de la gorge, vous apprendrez à maitriser l’état de rêve. Sachez maintenant qu’il
y a une différence entre se concentrer sur une lune blanche ou sur une lune un
peu pâle. Je ne peux pas vous initier à tout cela en une nuit. Ce que vous avez
appris dans ces séances : pratiquez, pratiquez, pratiquez… » 77
84
travers 61 points très précis, où trois nadi (marma) ou plus de trois nadi (chakra) se
croisent. A cause du stress et de la négativité, des tensions, des nœuds, des
blocages apparaissent à ces endroits. Cette séance fondamentale permet de
dépasser le plan physique (shthula sharira) pour naviguer dans la structure
énergétique, subtile (sukshma sharira), laisser ces nœuds se défaire, et ainsi laisser
librement et correctement circuler l’énergie vitale (prâna). Cette prise de conscience
subtile induit un état de très profonde relaxation, de disponibilité, propice à la
reconnaissance de la Présence et de la joie qui lui est inhérente. Mais comme le dit
un proverbe indien, « pour connaître le goût du lait, il faut boire du lait ».
La pratique sera d’autant plus effective après une séance de hatha-yoga ou une
marche méditative. Cela permet de régénérer les cellules et de se débarrasser des
tensions les plus grossières. Le corps est alors bien « énergétisé », réveillé et
disponible à la détente profonde.
Relaxation → Prenez conscience du sol sur lequel vous êtes allongé… de l’espace
de votre corps sur le sol, de la tête aux pieds… du léger mouvement de votre ventre
qui monte et retombe au rythme de votre souffle… mentalement, dessinez un
mandala autour de vous, fait de trois cercles de lumière… décidez que votre mental
ne sortira pas de ce mandala, et que rien n’entrera à l’intérieur… observez le corps
entouré des cercles de lumière… le souffle, le ventre, qui monte, qui descend…
relaxez votre mental… prenez conscience du sommet de votre tête et relâchez votre
cuir chevelu, votre front… vos sourcils, vos paupières, vos yeux, les globes et tout
autour… relaxez vos narines… vos joues… vos lèvres, votre bouche, votre langue…
votre menton… votre cou, votre nuque, votre gorge… relâchez l’épaule droite…
l’articulation… le bras jusqu’au coude… l’avant-bras, le poignet… le dos de la main,
la paume… le pouce… l’index, le majeur, l’annulaire et l’auriculaire… le bout des
doigts… chaque articulation… la paume, le dos de la main… le poignet… l’avant-
bras, le coude… la partie supérieure du bras, jusqu’à l’articulation de l’épaule…
85
relaxez bien l’épaule… le cou, son articulation… le creux de la gorge… relâchez
l’épaule gauche… l’articulation… le bras jusqu’au coude… l’avant-bras, le poignet…
le dos de la main, la paume… le pouce… l’index, le majeur, l’annulaire et
l’auriculaire… le bout des doigts… chaque articulation… la paume, le dos de la
main… le poignet… l’avant-bras, le coude… la partie supérieure du bras, jusqu’à
l’articulation de l’épaule… relaxez bien l’épaule… le cou, son articulation… le creux
de la gorge… la poitrine… les côtes, sous les aisselles, sous les côtes… la
poitrine… le dos… la zone du cœur… le ventre… sur les côtés… le nombril… les
organes internes… le nombril… le bas-ventre… la taille… les hanches… relaxez la
cuisse droite… les muscles… derrière la cuisse, sur les côtés, devant… sous le
genou, dessus… le mollet… la cheville droite… le pied droit… chaque doigt en
commençant par le petit orteil… chaque articulation… le dessus du pied, la plante, le
talon… la cheville droite, chaque coté… le mollet… le genou, dessous, dessus… la
cuisse, derrière, chaque côté, devant… l’articulation de la hanche droite… le pelvis…
l’articulation de la hanche gauche… derrière la cuisse, sur les côtés, devant… sous
le genou, dessus… le mollet… la cheville gauche… le pied… chaque doigt en
commençant par le petit orteil… chaque articulation… le dessus du pied, la plante, le
talon… la cheville gauche, chaque coté… le mollet… le genou, dessous, dessus… la
cuisse, derrière, chaque côté, devant… l’articulation de la hanche gauche… le
pelvis… les hanches… la taille… le bas-ventre… le nombril… le ventre… bien à
l’intérieur… relaxez bien les organes internes… le centre du cœur… la cage
thoracique, la poitrine… les poumons, la poitrine… sous les aisselles… le dos… les
épaules… les articulations… les parties supérieures des bras, les coudes… les
avant-bras… les poignets… les mains, dessus, dessous… les pouces, les index, les
majeurs, les annulaires, les auriculaires… le bout des doigts… les articulations des
doigts… les paumes, le dessus des mains… les poignets… les avant-bras, les
coudes… les parties supérieures des bras, les articulations des épaules, les
épaules… l’articulation du cou, derrière, sur les côtés, le creux de la gorge, la
pomme d’Adam, l’intérieur de la gorge et la base de la langue… relaxez la langue,
sous le menton, le menton, les mâchoires, la bouche, les lèvres, l’intérieur et
l’extérieur des joues… les narines… les yeux et autour, les globes oculaires, les
paupières, les yeux, les sourcils, le point au milieu… les tempes… le front…
relâchez bien toute la tête et le mental, et portez votre attention sur votre respiration
comme si votre corps entier respirait, du sommet de la tête jusqu’aux orteils et des
orteils au sommet de la tête, comme une seule vague, sans à-coups, sans pauses…
86
l’étoile brillante, la vibration… dans le creux de la gorge… l’étoile bleue dans
l’articulation de l’épaule droite… du coude… du poignet… le bout du pouce droit…
de l’index… du majeur… de l’annulaire… de l’auriculaire… l’articulation du poignet
droit… du coude… de l’épaule droite… étoile bleue dans le creux de la gorge… dans
l’articulation de l’épaule gauche… du coude… du poignet… le bout du pouce droit…
de l’index… du majeur… de l’annulaire… de l’auriculaire… l’articulation du poignet
gauche… du coude… de l’épaule gauche… étoile bleue dans le creux de la gorge…
avec chaque souffle, ressentez la radiance, la vibration… dans le centre du cœur…
le têton droit… le centre du cœur… le têton gauche… le centre du cœur… du
nombril… du pubis… du périnée… l’étoile bleue dans le côté extérieur de la hanche
droite… du genou… de la cheville… le bout de chaque orteil en partant du petit
jusqu’au gros… le côté intérieur de la cheville… du genou… de la hanche… l’étoile
bleue dans le périnée… dans le côté extérieur de la hanche gauche… du genou…
de la cheville… le bout de chaque orteil en partant du petit jusqu’au gros… le côté
intérieur de la cheville… du genou… de la hanche… l’étoile bleue dans le périnée…
dans le nombril… le centre du cœur… le creux de la gorge… le mantra, la vibration,
la lumière… étoile bleue dans le centre du front avec le mantra… le flux et le reflux
du souffle… ressentez le souffle vibrer à travers tout le corps, à travers tous les
points, du sommet de la tête jusqu’aux bouts des pieds et du bout des pieds au
sommet de la tête… ressentez simultanément toutes les étoiles… lumière, vibration,
partout… comme une seule présence, vibrante, lumineuse… des points de force,
une seule trame, une étoile… aucune pause dans votre respiration… comme une
vague, sans pause, en laissant le corps respirer à travers tous les points… irradier,
lumière et vibrations…
87
Retour en position assise → Très doucement, laissez la lumière de vos mains et vos
doigts venir à votre visage… portez les mains sur votre visage et unissez les deux
rayons… lentement, laissez vos yeux remplis de cette lumière s’ouvrir sur vos
mains… laissez les doigts de lumière masser votre visage, les tempes, la nuque…
gardez votre mantra… asseyez-vous doucement en gardant conscience de la
lumière lunaire dans le visage, dans la respiration, dans vos mains et doigts… puis
unissez la lumière de vos mains et doigts avec celle des pieds et des orteils… placez
doucement vos mains sur vos pieds pour que les deux rayons de lumière s’unissent,
pour que la lumière du bout des doigts et la lumière des orteils deviennent un seul
rayon… très doucement, massez vos chevilles, vos pieds, vos orteils, et asseyez-
vous dans une posture de méditation…
88
Séance n°2 : La contemplation des éléments (Mahâbhûta
Visarga Yoga-Nidrâ)
« En contemplant les éléments dans son propre corps comme dans l’univers,
allant des subtils aux encore plus subtils, se résorbant les uns dans les autres,
la Conscience Suprême finit par se révéler. »
Vijnana Bhairava Tantra, Verset 54
Relaxation → prenez conscience de votre état général… du sol sur lequel vous êtes
allongé… des sons extérieurs les plus lointains aux sons intérieurs les plus
proches… prenez conscience du flux et du reflux de votre respiration en élargissant
progressivement votre attention aux points d’appuis de votre corps sur le sol, de la
tête aux pieds… laissez le corps, le shavâ, se déposer, se détendre au rythme de
votre souffle qui va-et-vient comme des vagues sur l’océan tranquille… la vague
monte par le devant du corps à l’inspir, du dessus des pieds au sommet de la tête…
89
retombe par l’arrière à l’expir, de l’arrière de la tête aux talons, en longeant votre
colonne vertébrale… savourez ce toucher, cette caresse, cette sensation… qui vous
enveloppe… profitez de chaque expir pour laisser ces vagues vous nettoyer de vos
préoccupations, de vos soucis, de vos tensions physique et mentale… laissez-vous
envelopper par cette présence… les vagues vont-et-viennent comme les sensations,
les émotions et les pensées, mais l’océan profond demeure parfaitement tranquille…
témoin du flux et du reflux… Profitez de chaque inspir pour vous remplir de prâna, de
vie, comme un gaz raréfié qui se diffuse dans tout le corps… avec un profond
sentiment de lâcher-prise à chaque expir… sentez-vous enveloppé d’énergie, de
vibrations… sentez vibrer votre colonne vertébrale à l’inspir (avec le mantra So),
vibrer à l’expir (avec le mantra Ham)… puis placez-vous dans le centre du cœur
avec la sensation de l’énergie qui se diffuse partout… sentez-vous paisible… la
saveur du sentiment qui s’éveille…
90
l’image… et laissez remonter la saveur dans le ventre, le plexus… la région
lombaire… rein droit, gauche… la région des côtes, à gauche, à droite… puis dans
la région thoracique et dorsale… sein droit, sein gauche… flanc droit, gauche…
omoplate droite, gauche… le point au milieu… clavicule gauche, droite… ressentez
bien les deux jambes, le tronc, jusqu’aux épaules… avec les bras… et laissez
remonter la conscience dans le cou, la gorge, dans la nuque, dans les vertèbres
cervicales… puis dans toute la tête : ressentez le nez (narine gauche, droite), la
langue et la bouche (lèvre inférieure, supérieure, les dents), les yeux (gauche, droit,
entre les deux), la peau du visage détendu, les oreilles (gauche, droite)… toute la
tête, les chairs, le crâne, le cerveau… la fontanelle qui respire… et ressentez tout le
corps entier… en train d’inspirer, d’expirer (So’Ham)… de vibrer… partout…
ressentez bien la colonne vertébrale, vibrante… observez, savourer simplement cet
état (en écoutant le mantra naturel se répéter à travers vous)… profitez de chaque
expiration pour lâcher-prise et vous fondre dans la paix en arrière-plan, dans ce dos
d’attention, d’énergie, de lumière… qui voit tout… qui accueille tous les phénomènes
qui apparaissent et disparaissent, sans commentaire, sans mot… observez les
mondes de pensée se faire, se défaire… sans vous affecter… demeurez pleinement
attentif… le corps s’endort mais la conscience veille, comme un enfant qui s’endort
dans les bras de sa mère… le corps dort mais la mère veille…
91
l’expir… conscience du flux et du reflux de vibrations… (Vam’Vam ou So’Ham)…
continuez jusqu’à ressentir l’impression de ne faire plus qu’un avec l’élément eau…
contemplation profonde, en partant du centre de la gorge… FEU : sur une expiration,
laissez maintenant l’attention remonter dans le centre d’énergie du palais, vers
l’occiput… le passage de l’état « liquide » à l’état igné… en inspirant conscience de
la vibration, de la chaleur et de la lumière dans le centre d’énergie… en expirant,
profond sentiment d’irradiation… (Ram’Ram ou So’Ham)… laissez le feu consumer
le sens de la forme… le sens du moi… laissez le feu consumer les désirs et les
peurs… continuez jusqu’à ressentir l’impression de ne faire plus qu’un avec
l’élément feu… contemplation profonde, en partant du centre du palais… laissez la
flamme de l’attention éclairer tout ce qui apparaît et disparaît, souffle après souffle…
toutes les sensations, les émotions, les pensées et les images… apparaissent et
disparaissent… AIR : sur une expiration, laissez maintenant l’attention remonter
dans le centre d’énergie du front, dans la tête, entre les sourcils… le passage du feu
à l’état gazeux… en inspirant conscience de la vibration dans le centre d’énergie…
en expirant, profond sentiment d’expansion… d’énergie toute-embrassante, sans
forme, qui se répand dans tout l’univers… (Yam’Yam ou So’Ham)… comme si vous
pouviez tout toucher, pénétrer et ressentir en même temps… sans mot, sans
pensée, sans image, juste le ressenti… continuez jusqu’à ressentir l’impression de
ne faire plus qu’un avec l’élément air… jusqu’à éprouver une sensation globale et
impersonnelle d’expansion, expansion d’une énergie toute-embrassante,
impersonnelle, libre comme l’air, au-delà des limites de votre peau et de votre
mental… laissez cette énergie embrasser et pénétrer l’univers tout entier… se
répandre au-delà de toutes limites… profond sentiment d’expansion… de
dissolution… d’être, de conscience et de joie profonde… de ne faire plus qu’un avec
la qualité la plus subtile de l’élément air… contemplation profonde, en partant du
centre du front… vivez la conscience d’être, à l’inspir, la joie d’être, à l’expir…
saveur, amour et bienveillance… ESPACE : sur une expiration, laissez maintenant
l’attention remonter et traverser la fontanelle, dans le vide au-dessus de la tête…
(Ham’Ham ou So’Ham)… comme un pâle et limpide clair de lune… laissez le
sentiment d’expansion vous dévoiler l’immobilité de l’être… dans laquelle ce
sentiment d’expansion lui-même apparaît… sentez le lien avec l’endormissement, le
passage… vers la contemplation du ciel… de l’espace… au-delà des formes, des
sentiments et des pensées… au-delà de tout, ressentez « JE SUIS », sans mot,
sans pensée… le silence, l’immobilité parfaite… LES « 2 ESPACES » : restez
témoin, spectateur… quand vous inspirez l’air (So), conscience du flot de vibrations
qui descend par les centres dans l’espace du cœur… quand vous expirez l’air
(Ham), laissez le courant de vibrations remonter du centre du cœur au centre de la
gorge, du palais, puis au centre de la tête, avant de finir sa course au-dessus de la
fontanelle, dans le vide… après chaque expiration, la pause, le vide, le passage…
restez quelques minutes à contempler ce mouvement, ce flux et ce reflux subtil qui
apparaît et disparaît dans le vide… jusqu’à ressentir que le vide du cœur et le vide
92
au-dessus de la tête ne sont qu’UN… au-dessus, en-dessous, sur les côtés, il n’y a
plus que le vide total d’un ciel infini et sans support… le grand silence dans lequel
tout apparaît… disparaît… comme des nuages dans le ciel… la clarté, la vacuité, la
joie profonde, sans objet… le cœur, le ciel de la conscience… infini… UN SILENCE :
qui perçoit ? qui suis-je ? à qui apparaissent cette expérience et ces pensées ? [très
long silence]…
« Le AUM est l’arc, l’esprit est la flèche et le Soi est dit être la cible. La cible doit être
atteinte par celui qui est maître de lui-même. Ce qui frappe la cible devient, comme
la flèche, un avec la cible, un avec Brahman. »
Mundaka Upanishad, Chapitre II, Section 2, verset 4
Cette séance relève d’une pratique des plus anciennes. Elle se sert du son « AUM »
pour suspendre le mental et laisser se dévoiler le grand silence du Soi. Yoga-Nidrâ a
des racines dans le shivaïsme du cachemire aussi bien que dans la tradition
védique. D’aucuns le font remonter à la pratique de l’asparsha-yoga, le yoga du
« non-contact », de la « non-relation », du « non-lien », une voie directe vers le
lâcher-prise absolu, en amont de toutes les formes, de tous les systèmes, de tous
les états. Si le contact (sparsha) est une cause de souffrance, le non-contact
(asparsha) est extinction, libération et joie qui demeurent. Dans ses « Karika »,
Gaudapada emploie ce terme pour décrire la Conscience Ultime, le fameux
93
« quatrième état ». Comme le ciel n’est pas affecté par les nuages, le Soi demeure
libre de tout se qui se passe en lui. Pour le reconnaître, le yogi doit lâcher prise sur
les sensations, les émotions, les pensées, les images, les désirs et les peurs. En
pratique, c’est la conscience des « contacts » avec les objets de perception qui va
peu à peu dévoiler l’espace de cette non-relation. Comme le dit Gaudapada,
« Toutes les lamentations se retirent à son approche, en lui il n’est plus aucun
tourment, mais une paix céleste, une illumination éternelle, une absorption
inaltérable et immuable. Il n’est plus rien à prendre, plus rien à donner, là où ne
demeure plus le moindre tourment. C’est alors, reposant en l’Atman semblable à lui-
même, la connaissance éternelle, l’union accomplie. Cela se nomme le Yoga du
non-contact (Asparsha Yoga). » 79 D’une certaine façon, c’est la perception des
phénomènes qui dévoile la conscience qui peut nous être donnée de l’Ineffable. La
pratique se sert du son pour révéler le silence, du support pour reconnaître ce qui
est justement sans-support ni contact, conscience et joie sans objet. L’asparsha-
yoga est un oxymore qui suspend les fluctuations duelles du mental pour dévoiler la
non-dualité. C’est un yoga d’investigation du Soi qui demande d’aller directement à
l’essentiel en regardant qui se cache derrière chaque désir et chaque effort, y
compris celui d’être libéré. L’essence de ce yoga n’étant pas une action, il n’y a rien
à faire. Être, simplement. Ce qui implique d’aborder chaque séance avec joie et
légèreté, sans attente, sans préhension. Voici les grandes lignes de cette séance.
Chant du AUM →…en restant très attentif, chantez 18 fois le son AUM, en
ressentant la vibration s’élever du centre du cœur, remonter par le centre de la gorge
et du front, avant de disparaître dans le vide au-dessus de la tête… prenez bien
conscience de la pause à vide après chaque expiration, après chaque chant…
94
chaque doigt de la main droite en partant du pouce… dans le poignet… le coude…
l’épaule… tout le bras… dans chaque point cité, le son AUM qui vibre… dans
chaque orteil du pied droit… dans la cheville… le genou… la hanche… toute la
jambe droite… répétez la même séquence dans la jambe gauche… dans le bras
gauche… puis ressentez le son et la vibration dans la région du périnée, dans le
centre de la base… dans la région sacrée et le centre du pubis… le plexus, la
colonne lombaire, le centre du ventre… le centre du cœur, qui irradie dans la poitrine
et la colonne dorsale… le centre de la gorge, dans les vertèbres cervicales… le
centre de la tête… dans tout le corps, dans tout l’axe, dans toute l’étoffe vibratoire…
juste le son, la sensation, la vibration, partout… laisser ce toucher subtil embrasser
et pénétrer l’univers tout entier…
Reprise → [éventuellement, inspirez, tenez le souffle, répétez trois fois votre souhait,
et en expirant, oubliez-le]…de nouveau, en restant ouvert à l’espace silencieux,
répétez mentalement le son AUM… dans le flux et le reflux du souffle… et prenez
conscience du son, de la vibration dans toute la tête… dans le cou… les épaules et
les bras… la poitrine et le dos… le ventre… les hanches… la base du tronc, les
jambes… ressentez tout le corps vivant et vibrant… de nouveau repassez en
posture assise de méditation, en observant le passage d’une pose à l’autre…
demeurez immobile et chantez une dernière fois le son AUM à voix haute… avant
d’ouvrir les yeux… et de rester attentif au silence qui demeure toujours présent sous
l’aspect sensible su son…
« Ô Déesse, portes l’attention sur la vibration du son AUM qui s’élève du centre du
cœur (A), qui remonte par le centre de la gorge (U) puis dans le centre de la tête
(M), jusqu’à fusionner dans le Vide silencieux au-dessus. » (Inspiré du Vijnana
Bhairava Tantra, Verset 39)
95
Séance n°4 : L’Art du Mourir (Marana Yoga-Nidrâ)
« En méditant sur la forteresse de son propre corps, comme consumée par le feu du
Temps qui se déploie depuis le gros orteil droit, un état de quiétude finit par
s’installer. De même, en imaginant l’univers entièrement calciné, avec un mental
tranquille, la plus haute condition humaine sera réalisée. »
Vijnana Bhairava Tantra 52-53
Cette séance abord directement le thème de la mort pour nous mettre radicalement
face à nous-mêmes, face à notre propre condition humaine. La perception de notre
propre finitude renforce la conscience qui nous est donnée de la vie en train de
s’exprimer dans l’instant. La pensée suspendue, je ne peux que reconnaître que je
ne sais rien ; la mort m’apparait alors comme une croyance parmi d’autres, comme
un concept. Dans cette absence de projection et de peur, dans cette immobilité du
corps et de l’esprit, l’inconnu se révèle, la joie d’être dévoile sa splendeur. Dans le
cadre d’une pratique personnelle, la séance peut être vécue sur toute la durée d’un
corps qui brûle, environ trois heures. L’attention sera constamment ramenée sur la
sensation afin que les « visions » évoquées ne dévient pas en associations de
pensées, mais servent uniquement le ressenti qui lui-même finit par se consumer
dans l’espace de la non-relation, du non-contact, libre d’objet (asparsha). Il est
conseillé de bien pratiquer avant, sur plusieurs semaines, la séance sur les éléments
(séance n°2), avant d’aborder celle-ci avec un corps sans tension, un esprit
tranquille et joyeux. Avec l’entraînement, les deux séances se confondront dans le
ressenti d’un chemin unique vers le silence. De plus, comme l’indique le Vijnana
Bhairava Tantra, la dissolution du corps peut ensuite s’étendre à l’univers tout entier,
jusqu’à ce que la joie de ne rien être révèle d’elle-même la joie d’être le tout.
Préparation → Série de poses et de souffles, de gestes et de concentrations pour
allumer le feu de la sensation, « comme si c’était la dernière fois »…
« Dramatisation 80 » & Relaxation → Allongez-vous sur le dos… inspirez, serrez
bras et jambes en sentant le corps entier se raidir, rétention en maintenant la tension
et en prenant conscience du shava, expirez puissamment en relâchant tout… (3 fois)
… observez tout le corps se détendre… les yeux sont fermés, les bras et les jambes
écartés du corps qui se fait de plus en plus immobile à chaque souffle… comme
mort… sans chercher de réponse intellectuelle, demandez-vous « Qui meurt ? »…
demeurez témoin du shava… immobile, tranquille… de l’inspiration, de la vie… de
l’expiration, de la mort… prendre conscience du « dernier souffle », de la pause à
vide après l’expiration… à chaque expiration, lâchez prise sur les tensions du corps,
96
sur les pensées… à chaque fois, enfoncez-vous, oubliez-vous dans l’espace du
cœur… à la fin de chaque expir, la pause, le passage…
Souhait → dans cette tranquillité profonde… inspirez, tenez le souffle, répétez trois
fois votre souhait, et en expirant, oubliez-le…
Rotation de Conscience → voir séance n°2… [Laisser l’attention habiter tous les
points du feu (pouces, orteils, yeux…), les centres d’énergie dans les articulations et
le long de l’axe, en prenant bien conscience de la chaleur, de la lumière, des
vibrations, de l’irradiation, du feu dans le corps…]
Décompte → voir séance n°2… [pour s’enfoncer dans l’inconnu, le non-savoir…
ressentir la pause à vide, le point de passage de la veille au sommeil, de la vie à la
mort… laisser chaque sensation, émotion, pensée et image se dissoudre dans
l’arrière-plan tranquille… sans effort…]
Crémation → [Si vous avez été à Bénarès, et/ou si cela vous touche, vous pouvez ici
vous voir ou vous imaginer au Manikarnika Ghat, le célèbre lieu des crémations, sur
le bûcher encore éteint… et accueillir le sentiment que cela éveille…]…conscience
du corps et du mental immobiles… comme mort… autour de vous, peut-être, des
membres de votre famille ou des amis… qui se recueillent… lors de votre naissance
les gens autour de vous riaient… peut-être que maintenant ils pleurent… observez la
scène et le sentiment qui s’éveille en vous… restez témoin, spectateur équanime…
comme si vous regardiez un film… puis imaginez un feu près des pieds… entendez
le crépitement… ressentez une douce chaleur sous les plantes des pieds… le feu
spirituel est la lumière de la conscience, au-delà du monde des projections… la
flamme du regard, de l’attention… laissez le feu toucher l’orteil droit qui s’embrase…
ressentez la braise incandescente, chaude, vibrante dans le gros orteil droit… puis
laissez le feu du temps, la sensation se répandre aux deux pieds, dessous,
dessus… sentez la flamme de la sensation irradier et se répandre avec le flux et le
reflux de votre respiration… dans les talons… les chevilles… les mollets, le long des
tibias… comme deux bâtonnets d’encens qui se consument en douceur… sentez la
purification du feu divin, l’amour brûlant qui nettoie et dissout… au fur et à mesure
que le feu remonte, ressentez les parties précédemment brûlées se réduire en
cendres… s’effacer… laissez s’embraser les genoux en sentant le feu de plus en
plus ardent… dans les cuisses jusqu’aux deux hanches… sensation, vibrations… les
fesses, le périnée, le bassin… le feu s’intensifie… laissez le corps, l’image du corps
et toutes les résistances, s’effacer… disparaître… les bras à partir des pouces… la
base du tronc continue de brûler lentement… le feu remonte le long de l’axe… avec
le flux et le reflux du souffle, de la sensation… l’anus, le pubis, le ventre, le cœur, le
cou, la tête… tout le corps en feu, en train de finir de brûler… d’être réduit en
cendres… le feu, le souffle qui efface tout… au-delà du feu lui-même, ressentez la
chaleur tout autour qui se diffuse partout… sentez le rayonnement du feu dans tout
l’espace autour… dans toutes les directions à la fois… jusqu’à ce que s’effacent
toutes sensations… tout le corps est effacé, réduit en cendres dispersées par le
vent… la terre retourne à la terre, l’espace retourne à l’espace… ne demeure que
97
CE QUI EST… ni corps ni pensée, juste la Présence qui demeure… la joie, la
quiétude, la paix, la transparence de l’espace vide… [laissez spontanément le feu
purificateur s’étendre au monde et à l’Univers tout entier… les autres corps, les
villes, les forêts, les montagnes, les planètes… jusqu’à ce qu’ils soient complètement
calcinés, jusqu’à qu’il ne reste plus rien du monde phénoménal…]… ressentez JE
SUIS même quand il n’y a plus rien… ni forme, ni sensation, ni pensée, ni mot, ni
image… ressentez qu’avant même de penser « je suis mort ou vivant », JE SUIS…
quiétude, paix… éternité… être… conscience… félicité… vide et plein de tout en
même temps… [Long silence]
Souhait → dans cette tranquillité profonde… inspirez, tenez le souffle, répétez trois
fois votre souhait, et en expirant, oubliez-le…
Reprise → progressivement reprenez conscience des phénomènes qui
réapparaissent dans la conscience… restez témoin… de la pensée « je », du sens
du moi… de l’univers tout entier… les galaxies, le soleil, les planètes, la Terre, les
corps… votre propre corps… l’image, le souffle, les vibrations, les sensations de la
tête aux pieds… la vie qui s’incarne de nouveau, dans toutes vos cellules… sentez
vous unifié… vivant, vibrant… laissez la quiétude habiter toutes les cellules de votre
corps… sentez la joie d’être… la conscience d’être… et avec ce goût, respirez
profondément, recommencez doucement à bouger… étirez-vous, bâillez, et avec la
saveur d’être sous un regard plus vaste, quitter yoga-nidrâ… sentez-vous purifié,
vide, vacant, transparent, libre, rayonnant de bienveillance et d’amour pour tous les
êtres…
Bien qu’évidente et simple, la reconnaissance du Soi n’est pas pour autant facile.
Tout dépend de la sensibilité de chacun. C’est pourquoi il existe tant de voies,
d’écoles et de « techniques », comme autant de tentatives pour reconnaître
l’essentiel. Le cœur d’une séance peut donc également composer avec d’autres
supports de concentration ou angles d’observation. Le Vijnana Bhairava Tantra
mentionne ainsi 112 « micro-pratiques » qu’il est possible d’aborder séparément, de
façon directe, à n’importe quel moment du jour et de la nuit. Elles peuvent
également, de façon plus progressive, en les abordant isolément, en les développant
ou en les combinant par résonances, inspirer yoga-nidrâ et ses grandes séances
(voir séances précédentes n°2 et n°4). Elles ne pointent que l’intuition, la suspension
du mental, la plénitude, la félicité, la spacialité, l’effacement, la présence, l’êtreté, la
shivaïté, l’énergie, le vide, la non-dualité. Si Dieu est leur unique dessein, l’attention
peut alors être considérée comme le moyen par excellence pour le reconnaître,
notamment quand elle s’éveillera à sa propre substance, au-delà des pensées
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dualisantes, après avoir « trébuché » sur l’une ou l’autre de ces tentatives, entre
deux états.
En vous inspirant avec les modèles des séances précédentes, vous pourrez, à l’aide
des micro-pratiques ci-dessous, composer une infinité de séances plus ou moins
longues. Vous pouvez, par exemple, commencer par la phase de relaxation,
éventuellement le souhait, la rotation de conscience, un décompte, avant de porter
l’attention sur une ou plusieurs des « concentrations » suivantes :
1. Prendre conscience de l’inspiration qui descend, de l’expiration qui monte, et des
deux « cœurs », intérieur et extérieur, où elles apparaissent et disparaissent. 81
2. Porter l’attention sur les espaces vides entre inspiration et expiration, puis entre
expiration et inspiration.
3. Laisser le souffle et la pensée se suspendre pour dévoiler le Cœur avec lequel les
deux points se confondent.
4. Concentrer l’énergie du souffle dans des rétentions à poumons vides et à
poumons pleins.
5. Porter l’attention sur l’énergie lumineuse et irradiante qui s’élève du centre de la
base jusqu’à l’espace vide au-dessus de la tête.
6. Sentir l’énergie s’élever comme une lumière fulgurante d’un centre d’énergie à
l’autre jusqu’à l’espace vide au-dessus de la tête.
7. Faire vibrer les douze voyelles de l’alphabet (sanskrit) dans les centre de la base,
du pubis, du « trois doigt sous le nombril », du ventre, du cœur, de la gorge, de la
luette, de la tête entre les sourcils, du front, de la fontanelle, de l’énergie de la
conscience au-dessus de la tête et dans le Vide.
8. Remplir le corps jusqu’à la fontanelle avec l’énergie vitale du souffle, puis, la
franchir en contractant les sourcils pour transcender la dualité des pensées.
9. Plonger dans la vacuité du Cœur en portant l’attention sur le vide d’où émergent
et se résorbent les cinq sens.
10. Porter l’attention sur un objet extérieur, sans surimposition mentale, et laisser
l’attention se résorber en elle-même.
11. Fixer et stabiliser l’attention dans l’espace intérieur du crâne, assis, immobile, les
yeux fermés.
12. Porter l’attention sur le vide intérieur du canal central qui permet à l’énergie de
s’écouler librement.
13. Bloquer les ouvertures des sens avec les mains pour s’isoler des impressions, et
observer le point lumineux s’effacer dans l’espace infini.
14. Laisser apparaître une petite flamme dans l’espace mental, entre les yeux, puis
l’observer avec grande attention dans le centre au-dessus de la tête et dans le
centre du cœur jusqu’à disparaître dans le vide.
15. Porter l’attention sur le son ininterrompu qui vibre dans le centre du cœur et qui
résonne dans l’oreille, en se laissant transporter dans la plus grande béatitude.
16. Porter l’attention sur la vibration du son « AUM » qui s’élève du centre du cœur
(A), au centre de la gorge (U) puis au centre de la tête (M), jusqu’à fusionner dans le
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Vide silencieux au-dessus de la tête.
17. Porter l’attention sur l’espace silencieux d’où émerge et se résorbe n’importe
quel phonème.
18. Écouter attentivement le son d’un instrument de musique jusqu’à ce qu’il se
fonde dans le silence, en se laissant absorber avec lui.
19. Voir une lettre et entendre sa sonorité, puis laisser l’image et le son se dissoudre
dans le vide vibrant.
20. Prendre conscience de l’espace vide dans le corps et autour du corps dans
toutes les directions à la fois.
21. Méditer simultanément sur le vide du sommet et le vide de la base.
22. Méditer simultanément sur le vide du sommet, du cœur et de la base pour
suspendre la pensée.
23. Une fois le mental immobile, ressentir la vacuité dans un endroit quelconque du
corps.
24. Contempler tout se qui constitue le corps comme imprégné de vide.
25. Ressentir la peau comme une membrane enveloppant un corps vide à l’intérieur
et vide à l’extérieur, jusqu’à que se dévoile l’Un qui ne peut être perçu.
26. Ramener et dissoudre les sens dans l’espace du cœur jusqu’à ce qu’éclate la
joie.
27. Méditer sur un espace vide ou sur la vacuité du corps entier.
28. Maintenir toujours et partout l’attention dans l’espace vide du cœur ou de la
fontanelle.
29. Méditer sur son corps en train de brûler des pieds à la tête jusqu’à ce qu’il ne
reste que des cendres dispersées par le vent.
30. L’esprit tranquille, imaginer le monde entier consumé par les flammes.
31. Méditer, dans la sensation du corps physique et cosmique, sur les éléments qui
se résorbent les uns dans les autres, du plus grossier au plus subtil, jusqu’à
remonter à la Source-Conscience.
32. Ressentir l’énergie du souffle, dense, subtile, sonore, dans l’espace de la
fontanelle puis entrer dans le cœur au moment de l’endormissement pour être
conscient de ses rêves et du sommeil.
33. Méditer sur l’univers en train de se dissoudre progressivement dans le vide avec
des formes de plus en plus subtiles.
34. Percevoir la réalité de Shiva, sans limite, dans toutes les formes de l’univers.
35. Voir l’univers comme s’il était complètement vide et laisser la pensée s’y
dissoudre.
36. Prendre conscience de l’espace vide dans n’importe quel récipient sans prêter
attention aux parois.
37. Contempler longuement un vaste espace dépourvu d’objet et laisser les pensées
s’y dissoudre.
100
38. Prendre conscience puis demeurer dans l’espace entre deux objets, états,
pensées, souffles, etc.
39. Prendre conscience de l’attention immobile qui s’est retirée d’un objet, juste
avant qu’elle ne se saisisse d’un autre.
40. Contempler le corps et l’univers en les ressentant faits de conscience.
41. Prendre conscience de la fusion des deux souffles dans l’espace vide et de
l’harmonie globale.
42. Ressentir, contempler et savourer globalement le corps et l’univers comme
remplis de félicité.
43. Accueillir la béatitude et la réalité qui peuvent se révéler après s’être chatouillé
les aisselles.
44. Fermer les ouvertures des sens et laisser éclater la joie en ressentant le
fourmillement produit par l’énergie du souffle.
45. Prendre conscience du déploiement d’énergie et de joie entre le début et la fin
d’un rapport sexuel.
46. Observer attentivement l’orgasme dans la pleine conscience de l’énergie dans le
corps.
47. Seul, se remémorer consciemment le moment qui précède l’orgasme jusqu’à la
jouissance.
48. Lorsque se présente une grande joie, comme au moment de revoir un ami ou un
parent après une longue séparation, être attentif à l’apparaître de ce bonheur.
49. Être attentif au plaisir qui émerge du fait de manger et de boire (au plaisir et non
à l’objet du plaisir).
50. Être attentif à la joie que procurent la musique et l’art en général.
51. Prendre conscience du sentiment de satisfaction et du lien qu’il entretient avec la
plus grande félicité.
52. Prendre conscience de l’endormissement et du point de passage entre les états
de veille et de sommeil.
53. Laisser le regard embrasser un espace éclairé par les rayons du soleil, de la lune
ou d’une lampe.
54. Être particulièrement attentif aux moments où se dissout le sens du moi : le
repos de la mort dans la posture du cadavre, l’énergie du corps dans un accès de
colère, la fixité du regard et de l’attention, la succion ininterrompue et la
concentration sur le goût, le retournement de la langue et la contemplation du vide.
55. Méditer assis sur un siège, mains et pieds sans support.
56. Paisiblement assis ou allongé, les bras légèrement arrondis, se concentrer sur le
creux vide des aisselles.
57. Fixer le regard sans cligner sur une forme extérieure et laisser la pensée perdre
tout support.
58. En gardant la bouche ouverte, retourner la langue contre le palais et se
concentrer sur l’émission du son « hhh » en laissant le mental se dissoudre dans la
paix.
101
59. Assis ou allongé, méditer sur le corps comme s’il était privé de support.
60. Prendre conscience de la lenteur d’un véhicule ou des mouvements du corps
dans la marche pour se laisser couler dans la tranquillité du flot et de l’espace
conscient.
61. Contempler longuement un ciel clair et sans nuages avec le corps et les yeux
immobiles.
62. Contempler le ciel entier comme étant de la nature de Shiva et le laisser se
répandre dans la tête jusqu’à le percevoir dans toute chose.
63. Prendre conscience de la nature de Shiva, dans la veille, le rêve et le sommeil
profond, comme le substrat commun aux trois états.
64. Méditer sur l’obscurité extérieure lors d’une nuit noire et sans lune.
65. Contempler l’obscurité intérieure les yeux fermés en laissant le mental s’y
dissoudre, puis en ouvrant les yeux sur l’obscurité extérieure, reconnaître l’espace
commun dans lequel tout cela apparaît.
66. Lorsque un obstacle accidentel ou volontaire s’oppose à la satisfaction d’un
sens, prendre conscience de l’espace vide et non-duel.
67. Chanter ou prononcer le son « A » sans lui ajouter de sonorités nasales ou
aspirées à la fin.
68. Se concentrer, l’esprit libre de support, sur un « h » aspiré (visarga) en fin de
lettre.
69. Méditer sans support en ressentant le vaste ciel infini dans toutes les directions
en même temps.
70. Être attentif lorsqu’une douleur apparaît, comme en se piquant le corps avec une
aiguille.
71. Percevoir la vacuité du mental, de l’intellect et de l’ego.
72. Observer les phénomènes, conscient que c’est toujours la pensée dualisante qui
sépare et crée l’illusion de la dualité.
73. Observer un désir dès qu’il apparaît, et le laisser immédiatement se dissoudre
dans l’espace même d’où il a jailli.
74. Ressentir que « JE SUIS » avant même l’apparition de la volonté et du savoir, et
demeurer simplement en tant qu’ « Être ».
75. Une fois que le désir et le savoir sont apparus, ramener l’attention à leur source,
libre de tout objet.
76. Dès qu’un désir de connaître un objet ou de savoir quelque chose apparaît
spontanément, ramener l’attention sur la spacialité de la connaissance elle-même.
77. Reconnaître que c’est la même Conscience impersonnelle qui est à l’œuvre dans
des milliers de corps pour transcender le temps.
78. Rester tranquille lorsqu’apparaissent les différents états de désir, colère, avidité,
ivresse ou jalousie, et prendre conscience de l’arrière-plan tranquille dans lequel ils
apparaissent.
79. Contempler l’univers tout entier comme un spectacle ou un simple film, sans
s’identifier au spectacle.
102
80. Observer avec attention et équanimité le jeu de la douleur et du plaisir, sans se
laisser prendre.
81. En se désidentifiant du corps, réaliser que « je suis partout », bienheureux.
82. Voir que la connaissance, le désir et l’activité apparaissent en soi comme dans
tous les objets en même temps et se fondre dans leur substance commune et
partout présente.
83. Prendre conscience de l’unité au-delà de toute relation duelle sujet-objet.
84. Faire l’expérience de la conscience dans le corps des autres comme dans le
sien, en ressentant la conscience de chaque être comme sa propre conscience.
85. Libre de tout support, sans pensée, reconnaître spontanément la non-dualité du
Soi.
86. Parce qu’omniscient, omniprésent et omnipotent, reconnaître que je ne suis pas
différent de Shiva, que « Je suis Shiva ».
87. Prendre conscience que tous les phénomènes jaillissent de Soi, comme les
vagues de l’eau, les flammes du feu et les rayons du soleil.
88. Lorsqu’on s’écroule d’épuisement et que l’agitation s’apaise, savourer la
disponibilité.
89. Prendre conscience de toute « perte de conscience » où l’esprit disparaît.
90. Demeurer les yeux fixes et sans cligner, l’attention simultanément ouverte à
l’espace intérieur et extérieur.
91. Se boucher les oreilles, contracter l’anus, et écouter le son intérieur.
92. Contempler le fond d’un puits ou d’un abîme et laisser les pensées se dissoudre
dans la profondeur.
93. Si la présence de Shiva est partout, où bien pourrais-je aller ?
94. Profiter de chaque impression sensorielle pour reconnaître la conscience paisible
dans laquelle tout apparaît.
95. Profiter de l’éternuement, de l’apparaître d’une grande peur ou peine dans un
moment de catastrophe, de la stupéfaction, de la faim ou de la satiété pour
reconnaître l’essentiel.
96. Lorsque le souvenir d’un objet apparaît à la vue d’un lieu connu, l’accueillir
librement et le laisser se dissoudre ici et maintenant dans la pure conscience du
corps.
97. Fixer un objet puis en retirer lentement le regard et la pensée jusqu’à se sentir
être la demeure du vide.
98. Contempler l’énergie de la conscience qui émerge de l’intense dévotion.
99. Regarder un objet en incluant tous ceux autour dans le même espace de
perception et méditer dans la paix de cet espace vide impersonnel.
100. Se libérer des pensées de pureté et d’impureté en prenant conscience du
bienheureux regard, libre des pensées qu’il illumine.
101. Reconnaître que rien n’existe indépendamment de la Conscience.
102. Demeurer heureux dans la paix sans forme et équanime dans toutes les
situations.
103
103. Demeurer libre du désir et de l’aversion, et dans l’espace entre les deux, être
conscience.
104. Reconnaître ce qui ne peut être connu et saisi, le vide qui imprègne tout,
comme Shiva lui-même.
105. Contempler l’espace vide sans support ni limite jusqu’à reconnaître et se fondre
dans le non-espace au-delà de l’être et du non-être.
106. Profiter du moment où l’attention se porte sur un objet pour l’en retirer
immédiatement et libérer la pensée de tout support dans l’espace vide qui l’englobe.
107. Chanter le nom de Bhairava jusqu’à s’identifier à Shiva.
108. En affirmant « je suis ceci ou cela », ou « ceci est à moi », se souvenir qu’avant
d’être ceci ou cela, « JE SUIS », et trouver la paix, sans support.
109. Méditer sur des mots comme « éternel, omniprésent, sans support, Seigneur de
tout ce qui est » jusqu’à incarner pleinement ce qu’ils signifient.
110. Pour être en paix, considérer l’univers entier comme une illusion.
111. Percevoir clairement que les objets extérieurs dépendent de la connaissance
sensorielle et mentale que nous en avons, et qu’en amont ce cette perception
limitée, dans la Vision du Soi, l’univers entier est vide.
112. Voir qu’il n’existe ni attachement ni libération au-delà de la peur, et que l’univers
apparaît dans la conscience comme le soleil se reflète sur l’eau.
113. Reconnaître que plaisir et douleur apparaissent par l’intermédiaire des sens, et
s’en détacher en demeurant dans le Soi.
114. Quand l’attention s’éveille à elle-même, contempler la connaissance et le connu
comme n’étant qu’essentiellement Un.
104
[77] . Swami Veda Bharati, extrait d’une conférence donné à Budapest (Hongrie). Retranscrit & traduit
de l’anglais par l’auteur.
[78] Voir goraksa-śatakam « Les 100 versets de Goraksha ».
[79] Mandukya Upanishad, Karika III, 37-39, extrait des 108 Upanishads, traduits et présentés par
Martine Buttex, Dervy, 2012, p. 271.
[80] Voir chapitre sur la mort et l’expérience de Ramana Maharshi.
[81] Vijnana Bhairava Tantra. La première pratique est donnée dans le verset n° 24. Ainsi, la n°2 renvoie
au verset n° 25, etc. Je conseille vivement les traductions et commentaires de Lakshman Jo, Lilian
Silburn et Pierre Feuga, et bien sûr de revenir au sanskrit pour en comprendre toutes les nuances et les
subtilités.
[82] Cette concentration correspond au verset 138. Je fais donc ici référence à 115 versets et 115
« observations », bien que trois d’entre eux (le n° 69, 70 et 106, soit ici les n° 46, 47, 83), pour certains
commentateurs, ne mentionnent pas directement une « concentration ». Selon cette logique, nous
revenons à « 112 », ce qui correspond au chiffre mentionné dans le Tantra au verset 139. Mais l’on
pourrait aussi très bien considérer que les concentrations n° 21-22, ou 88-89, ou 110-111 n’en forment
qu’une, parmi d’autres combinaisons possibles.
105
Bibliographie
Si les ouvrages traitants exclusivement du yoga-nidrâ sont rares, ceux consacrés au
Yoga en général sont aujourd’hui très nombreux. Je ne propose ici que quelques
références qui m’ont notablement éclairé ou qui d’une façon ou d’une autre renvoient
directement aux enseignements abordés dans ce livre.
ANIRVAN Shrî, La Vie dans la vie, Albin Michel, 1984 ; Antara Yoga et Le
pèlerinage vers la vie et vers la mort, Infolio, 2009.
AUROBINDO Sri, La Force du Yoga, Textes choisis et présentés par P.
Bonnasse, Seuil, 2011.
BALSEKAR Ramesh, Conseils de Ramana Maharshi pour la réalisation
spirituelle, Almora, 2011.
BOUCHARD d’ORVAL Jean, Reflets de la Splendeur, Le Shivaïsme tantrique
du Cachemire, Almora, 2009.
BUTTEX Martine (traduction & présentation de), 108 Upanishads, Dervy, 2012.
CHINMAYANANDA Swami, La Non-Dualité, Dervy, 2014 (avec DVD) ; la
Bhagavad-Gita commentée, Trédaniel, 2012.
DYCZKOWSKI Mark (traduction & commentaires de), Les aphorismes de Siva :
les Shiva Sutra avec le commentaire de Bhaskara, le Varttika, Almora, 2013.
FEUGA Pierre (traduction & commentaires de), Cent douze méditations
tantriques, le Vijnana Bhairava Tantra, Accarias, 2007.
HART William, L’art de vivre, Méditation Vipassana enseignée par S.
N. Goenka, Seuil, 1997.
KLEIN Jean, Qui suis-je ? La quête sacrée, Le Relié, 2007.
LAKSHMAN JO Swami, Shivaïsme du Cachemire, le Secret Suprême, Les
Deux Océans, 2000 ; Vijnana Bhairava, The Manual for Self-Realization,
106
Munshiram Manoharlal, 2007.
MAHARSHI Ramana, L’enseignement de R. M., Albin Michel, 2005 ; Sois ce
que tu es, Sri Ramanasramam, Tiruvannamalai, 2011.
MICHAEL Tara Michael (traduction & commentaires de), Hatha Yoga Pradîpikâ,
Un traité de Hatha Yoga, Fayard, 1974 ; Yoga, Le Rocher, 1980.
MILLER Richard, Yoga Nidra : Awaken to Unqualified Presence Through
Traditional Mind-Body Practices, Kindle, 2010 ; Yoga Nidra : The Meditative
Heart of Yoga, Sounds True Ink, 2005.
MONTAIGNE Michel Eyquem de, Œuvres complètes, Gallimard/Pléiade, 1962.
NISARGADATTA, Je suis ; A la source de la conscience ; Conscience &
Absolu, Les Deux Océans, 2000.
NORBU Namkhaï, Le cycle du jour et de la nuit, Seuil, 2003 ; Le yoga du rêve,
Accarias, 2012.
PANDA N.C., Yoga Nidrâ, Yogic Transe, Theory, Practice and Applications,
Printworld, 2003.
PAPIN Jean (traduction & commentaires de), Shiva Samhita ; Gheranda
Samhita, Traités classiques de Hatha-Yoga, Almora, 2013.
PATANJALI, Yoga-Sutras, sous la direction de Françoise Mazet, Albin Michel,
1991.
PORTE Alain (traduction & commentaires de), Ashtavakra-Gita, Les Paroles du
Huit fois difforme : Dialogue sur la réalité, Ashtavakra-Gita, L’Eclat, 1996 ;
Shiva le Seigneur du Sommeil, Seuil, 1996.
RAMA Swami, Living with the Himalayan Master ; Enlightenment Without God ;
Path of Fire and Light, Volume II ; Om the Eternal Witness ; Exercice Without
Movement, Himalayan Institute, 1999.
RHIEL André, « Le Regard de Shiva », Les Entretiens de La Falaise Verte,
2006.
RIVIERE Jean M., L’asparsha Yoga, Un yoga pour l’Occident, Arché Milano,
1989 ; Lettres de Bénarès, Albin Michel, 1982.
SATYANANDA Swami, Yoga Nidrâ, Bihar School of Yoga, 1980.
SHANKARÂCHÂRYA Shrî, Tattva Bodha, La connaissance de la vérité,
Chinmaya Mission France, 1996 ; Upadesha Sahasri, Les mille
enseignements, Arfuyen, 2013 ; et aussi : Dashashlokî ; Âtma Shatkam ;
Yogataravali, etc.
107
SILBURN Lilian (traduction & commentaires de), Le Vijnana Bhairava, Institut
Civilisation Indienne, 1999 ; La Kundalini ou L’énergie des profondeurs, Les
Deux Océans, 2000.
TIKHOMIROFF Christian, Le Banquet de Shiva, Pratiques et philosophie du
Nâtha-Yoga, Dervy, 2013.
TRACOL Henri, Pourquoi dors-tu Seigneur ?, Pragma, 1983.
TRINLAY Wamgyal, Yogas tibétains du rêve et du sommeil, Claire Lumière,
2008.
VEDA BHARATI Swami, Night Birds : A Collection of Short Writings,
International Institute of Yoga Science and Philosophy, 2000.
WAITE Dennis, L’Advaïta-Vedanta, Théorie & Pratique, Almora, 2011.
108
Du même
auteur
Bibliographie sélective de Pierre Bonnasse
L’Amant du Vide, Poèmes pour la Présence, Le Nouvel Athanor, 2012.
Sur les rives de Mère Ganga, Le Journal du Yoga, 2012.
Sri Aurobindo, la Force du Yoga, Seuil, 2011.
Vaincre le harcèlement moral par la Sophrologie, Médicis, 2011.
L’Attitude phénoménologique, Notes sur la conversion et la non-dualité du
regard, Éoliennes, 2011.
Conseils de Ramana Maharshi pour la réalisation spirituelle, Almora, 2011.
Au coeur de l’Inde éternelle, Le Journal du Yoga, 2010.
La Route du Soi, la voie du retour vers l’Origine, Véga, 2010.
Le Pouvoir de l’Attention, Exercices de Sophrologie pour la vie quotidienne,
Médicis, 2009.
The Magic Language of the Fourth Way, Inner Traditions, 2008.
Mode d’emploi de la parole magique, Dervy, 2005.
Les Voix de l’Extase, Trouble-fête, 2005.
Plus d’informations :
www.nidra-yoga.com
109
Pour l’édition originale :
© Éditions Almora, 2015
ISBN de l’édition originale :
978-2-35118-238-3
Illustration de couverture :
François Matton
Éditions Almora
51 rue Orfila, 75020, Paris
110
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Dans la même collection
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www.almora.fr
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Table des Matières
Page de titre 2
Présentation 3
Sommaire 4
Résumé du propos 7
Introduction 9
Les voix de la philosophie indienne 9
Les membres et les voies du yoga 12
I – La philosophie du yoga-nidrâ 14
Les origines du yoga-nidrâ 14
Les états de la conscience 19
Qui suis-je ? 22
Les plans de l’être 22
Conscience, énergie, éléments & états de la matière 24
Les qualités du sommeil 25
Approche de la psychologie indienne 26
Approche de la manifestation des phénomènes 28
Le système énergétique du yoga 30
Monde phénoménal & constructions mentales 34
Une approche de l’inconscient 34
Peurs, désirs & souffrances 36
L’expérience du sommeil et de la mort 38
II - La pratique du yoga-nidrâ 44
Le yoga-nidrâ en tant que pratique (introduction) 44
Pratiques préparatoires 47
Les postures 48
Les souffles 49
Les gestes et les ligatures 50
Le retrait des sens & la concentration 51
Méditation & contemplation profonde 51
Quelques pratiques préparatoires 52
Pratiques pour l’endormissement 54
114
Pratiques de nuit 59
Pratiques pour le réveil du matin 60
Le yoga du rêve (svapna-yoga) 60
La « séance » de yoga-nidrâ 62
Préparation (prastuti) 63
La relaxation profonde (shithilîkarana) 63
La force de l’intention (samkalpa) 64
La rotation de conscience (chetanâ sanchârana) 65
Le décompte 68
Le travail thématique 68
Les visualisations sensitives 70
Se fondre dans le Cœur 72
Souhait (Samkalpa) & Achèvement (samâpti) 72
L’art de vivre en pleine conscience 73
L’électricité ne meurt pas quand l’ampoule est grillée 74
Les champs d’application du yoga-nidrâ 75
Ultime crispation 77
Annexes 82
Séance n°1 : Les étoiles bleues (nîlatârâ yoga-nidrâ) 82
Séance n°2 : La contemplation des éléments (Mahâbhûta Visarga
89
Yoga-Nidrâ)
Séance n°3 : Du son AUM au « non-contact » (Pranava Asparsha
93
Yoga-Nidrâ)
Séance n°4 : L’Art du Mourir (Marana Yoga-Nidrâ) 96
112 séances à composer 98
Bibliographie 106
Du même auteur 109
Copyright 110
Mentions légales 111
Dans la même collection 112
Almora 113
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