L Entrée Dans La Vie
L Entrée Dans La Vie
L Entrée Dans La Vie
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ignorent et nient leur inachèvement ? Pourquoi les êtres humains ne sont-
ils pas tous prêts à se remettre en question, à tout remettre en
question au cours de leur vie ? Les discours et les livres qui m’ouvrent
vers d’autres possibles ne servent-ils, eux aussi, qu’à nourrir de nouvelles
illusions que je serais, moi aussi, incapable de repérer ? Je veux dire qu’en
fin de compte tout ce que je développe dans mes pensées n’est qu’un
leurre pour tenter d’oublier que je vais mourir un jour.
En lisant « l’entrée dans la vie » de G. Lapassade, je découvre ses
idées sur l’inachèvement de l’homme. Il parle de Freud, que j’apprécie, je
rentre donc plus facilement dans son cheminement. Je trouve une réponse
à mes interrogations à travers sa pensée, j’accepte donc de rejoindre sa
dialectique… Je me dois de rester honnête envers à moi-même, je me
demande donc ce qui apaise mes interrogations existentielles. Qu‘est-ce
qui a changé en moi ou sur ma façon de concevoir la ou ma vie depuis que
j’ai lu le texte de G. Lapassade ? J’ai mis des mots sur des vides ? J’ai fait
fonctionner mes neurones ? Mais le sens de la vie m’échappe autant que
ma vie ne m’appartient pas. Je peux toujours mourir demain ou dans vingt
ans. Mise à l’épreuve vitalisante ! Je ne suis qu’une poussière, un petit
grain de sable dans l’univers. Tous les mots de tous les grands textes de
philo ne m’apporteront aucune réponse. Ils ont seulement le mérite de me
faire passer le temps dans l’illusion de découvrir un élément nouveau et
de donner du sens à l’absurdité de la vie ! Suis-je mieux préparée à entrer
dans la vie (donc à mourir) en concevant aujourd’hui que je suis
inachevée ? Le masque de la spiritualité m’apporterait-il plus
d’apaisement ? En prétendant élever mon âme serais-je mieux protégée
contre les tourments et la crainte de disparaître ? Rien n’est moins sûr !
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progressivement son inachèvement. J’ai l’impression de faire face à un
immense champ cultivable, fertile et infini.
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deux problèmes différents. Les sociologues contournent la question sans
risquer à la poser. On le comprend : leur postulat est que les institutions
donnent le sens de l’homme. On dit que l’initiation est le secret du
groupe ; en fait c’est le secret de la vie. » Je dois réfléchir sur le sens de
l’initiation. Je ne perçois pas pour le moment le gain de liberté qu’apporte
une initiation régie par un groupe dépendant d’une société établie autour
d’une Loi commune.
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Georges Santayana, Le dernier puritain, Gallimard, 1948
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Certainement pas car je ne sais pas d’où je viens ni qui j’étais exactement.
Voyage impossible puisque tout ce que nous devinons de notre enfance
n’est qu’une réécriture d’illusions réparatrices, compensatrices de notre
énigmatique statut d’adulte inachevé, d’enfance prolongée. Nous
racontons notre enfance avec nos yeux d’enfant-adulte, dans l’après-coup.
Il faut remonter au moment même de notre propre naissance, moment de
tous les possibles, moment de sursis avant que l’éducation ne nous
enseigne à taire et pervertir nos désirs. On apprend tout au long de sa
vie ; j’expérimente la véracité de ce propos dans ma propre histoire de vie.
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question vitale, l’individu doit vivre en même temps et arrive ainsi
facilement à dénaturer le choix en l’ajournant»7. Je veux me construire
contre toutes tentations d’enfermement et poursuivre ma croisière
terrestre comme je l’ai toujours fait : sans gouvernail et sans boussole !
Choisir nous confronte parfois violemment à nous-mêmes, nous obligeant
à sonder les labyrinthes de notre esprit tout en continuant à vivre la
situation dans laquelle nous nous trouvons. Si choisir, c’est renoncer pour
toujours, on ne peut que mieux comprendre les bénéfices d’une crise qui
nous projette dans l’alternative. On s’entend parfois dire : je n’ai plus le
choix, il me faut maintenant choisir ! Choisir nous déstabilise car cela
remet en question notre passé et nous propose un avenir incertain. Ces
moments de ruptures, de choix vitaux surgissent à différentes étapes de
notre existence. Rien n’est acquis en ce domaine. Il nous faut, à un
moment donné, faire face à nous-mêmes, aussi douloureuse que puisse
être cette confrontation pour trouver notre place dans le Monde. Se libérer
de son aliénation, esthétique pour Kierkegaard, est une démarche que l’on
retrouve sur le divan de la cure psychanalytique. Mais peut-on jamais se
connaître soi-même ? Peut-on jamais certifier que nos choix sont
basés sur de vraies certitudes ?
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sont devenus indifférents sinon hostiles, au monde qui les attend et leur
demande d’être des adultes. Leur révolte est sans doute dans une
impasse. Son sens n’en est pas moins essentiel au monde d’aujourd’hui.
On peut y voit en effet, une contestation fondamentale de la norme de
l’adulte, annonciatrice de son déclin ».8
8
Ibid., Chapitre X, p.164
7
quand les mortels prennent conscience de leur finitude (ce que permet le
sublime) qu'ils peuvent alors mieux penser » (Mr Boudinet le mercredi 30
Avril). Si je n’ai pas répondu, fort heureusement d’ailleurs, à mon
interrogation : « Qui suis-je », je peux néanmoins me réjouir d’avoir perçu
ce qu’il m’est permit d’espérer : « Vivre en prenant conscience de
cheminer vers le moment de ma dernière et unique naissance ».
9
Georges Lapassade, L’entrée dans la vie, Anthropos, Paris1997. P., 206.
8
Christine
LEMEL
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