Strates - Paysage Urbain
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Xavier MICHEL
diteur
Laboratoire Ladyss
Rfrence lectronique
Xavier MICHEL, Paysage urbain : prmisses dun renouvellement dans la gographie franaise,
1960-1980 , Strates [En ligne], 13 | 2007, mis en ligne le 12 novembre 2008, Consult le 30 septembre
2016. URL : http://strates.revues.org/5403
NOTE DE LDITEUR
Cet article a bnfici des travaux mens dans le cadre dune recherche collective, sous la
direction de F. Pousin, Saisir le paysage urbain : du rle des publications, figurations
architecturales, des pratiques photographiques et cinmatographiques dans les dcennies
1960-1970 , ministre de la Culture et de la Communication, BRAUP, Programme
interdisciplinaire de recherche Art, architecture paysage , 2005-2006.
1 Les dcennies 1960 et 1970 sont marques par une volution de la discipline due
lengouement pour de nouvelles approches, fondes sur la statistique, lanalyse
quantitative et une volont de thorisation, et lmergence dune approche traitant de
lespace peru. Dans le rapport de la gographie la socit, cette vingtaine dannes est
aussi une priode trs importante de mutation de la France. La croissance conomique et
dmographique induit un changement de laspect du pays. Les villes existantes stendent
et se transforment, et dautres villes sont cres. Beaucoup a t crit sur les
amnagements urbains de cette poque, partir notamment des politiques de
planification et des oprations qui les ont traduites. Il importe ici de faire le point sur ce
qui sest dit au sujet du paysage urbain. Ce nest pas une notion nouvelle. Le paysage est
classiquement utilis en gographie, y compris pour qualifier les aspects des villes. Mais
jusqualors il sagissait de dcrire les centres-villes traditionnels . Lurbanisation, dj
en cours depuis laprs-guerre, impose aux gographes de tenir compte des effets quelle
produit sur le paysage. Peu peu, ils ne vont plus pouvoir penser et dcrire le paysage,
urbain, comme avant. Une partie au moins des enjeux alors en cours et venir est
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dabord, montrer que le paysage urbain est une composition de diffrents lments, et
ensuite, relater les diffrents paysages urbains que les gographes franais ont pu
identifier et spcifier.
4 Une premire dfinition peut tre prise chez S. Rimbert : Le paysage urbain est fait dun
assemblage de formes dont chacune est porteuse de significations et ces dernires sont
hirarchises. Cest ainsi que ces formes-signes mettent des signaux qui ne sont pas tous
perus au mme niveau9. Certes, mais cela ne nous dit rien sur la spcificit du paysage
urbain. Les autres paysages, en dehors des villes, sont aussi des assemblages de formes qui
ont un sens, possdent une hirarchisation, et qui sont diffremment perues. De mme,
on cherche montrer la spcificit du paysage urbain par lide de personnification : On
dit quune cit est triste, gaie, grise, ensoleille, dynamique ou conservatrice, on lui
donne des qualificatifs comme un individu10 , mais il existe aussi des campagnes dont
on dit quelles sont grises ou riantes
5 Lenjeu est donc lidentification du paysage urbain, et ceci dans un premier temps par
rapport aux autres paysages. Tout dabord, Pierre George nonce brivement un certain
nombre de critres descriptifs qui le [paysage urbain] diffrencient du village 11 . Ces
critres sont la maison urbaine, la voirie urbaine, les services, donc un ensemble
dlments qui personnifient le paysage urbain. Mais au-del des lments et des formes,
ce sont surtout les relations entre la ville et lhomme qui vont caractriser le paysage
urbain : Quil sagisse du mobilier urbain, des constructions, des voies de circulation, les
objets dpassent souvent la taille humaine. La vision du spectateur est donc limite et les
dformations optiques peuvent tre importantes suivant lemplacement o il se trouve12
. La spcificit ne rside pas, l encore, dans le dpassement de la taille humaine, mais
lautre partie de largumentation est plus intressante. Cest en ville que les relations de
lindividu au paysage sont les plus mouvantes, du fait de la densit de composition du
paysage urbain et des changements trs importants de perception des paysages urbains
au cours de dplacements dans cet espace. Les modifications de paysages sont plus
immdiates en ville.
6 Une autre voie a t peut-tre davantage suivie, savoir la description comparative de
diffrents paysages entre eux. Il peut sagir de dfinir un paysage en faisant comprendre
quil ne relve pas du paysage urbain, donc de faire une dmonstration par la ngative,
par exemple au sujet des lotissements de banlieue : [] dans la banlieue parisienne ce
nom dsigne plus spcialement les quartiers de pavillons entoures de leurs jardins,
dpourvus ou presque dimmeubles collectifs, possdant le minimum dquipements
collectifs, de btiments publics et de commerces, sans monument en gnral, sans voie
matresse, dune trs grande monotonie13. Le gographe se concentre sur un espace
donn pour le qualifier.
7 Un autre mode de diffrenciation est la comparaison. Ce qui est recherch est alors un
effet de complmentarit et de distinction dans la prsentation des paysages. La rflexion
peut alors se dcliner diffremment selon les tudes de cas. Il peut sagir de la
prsentation despaces contigus dans une dmonstration sur lorganisation des espaces
dune agglomration. Ltude intgre alors des chelles diffrentes. La prsentation peut
sattacher une partie dune grande agglomration : situ la limite dune
agglomration urbaine prive de rgion, Mrkische Vertel a t conu comme un grand
ensemble sans rle gnral et uniquement en fonction de ses besoins propres. Il est
complt par un centre commercial et administratif (grand magasin, march, boutiques,
poste, etc.) et deux zones industrielles contigus14 . Parfois, la description est laisse de
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sur la hauteur et la densit des constructions24. La diffrence porte sur la qualit, mais
aussi sur la temporalit : Dcoupage et affectation du sol urbain sont dtermins en
gnral pour bien plus longtemps, prsentent une bien plus grande rigidit et fixit 25.
10 partir de l, il importe pour les gographes dobserver lintgration ou la coupure entre
les paysages, et de ce point de vue, le souci est le mme pour les espaces de banlieue
comme pour les espaces du tourisme. Dans les deux cas, il y a comparaison de situations
entre deux modes de mise en relation. J. Basti prend lexemple du niveau dintgration
de diffrents paysages btis au paysage rural : les grands lotissements, avec leurs petites
maisons basses et leur vgtation non ordonne staient assez bien intgrs au paysage
rural. Ils ncrasaient pas le vieux centre villageois []. Le grand ensemble au contraire
provoque une rupture dans le paysage, par les dimensions de ses btiments, leur
architecture, leurs matriaux modernes, leurs couleurs, les espaces verts ordonns. Il est
le triomphe de la gomtrie et de la ligne droite26 . La mme situation existe dans les
stations de la cte aquitaine, si lon compare, dune part Mimizan : les contrastes sont
vigoureux entre le cur du vieux village, rest trs rural et le nouveau centre communal
trs moderne27 , et Hossegor, dautre part : tmoigne dun souci plus vident
dadaptation au site forestier. Cest sans doute la seule station de ce littoral conue
vritablement en fonction du paysage landais28 . Ainsi, les exemples concrets nous
montrent dj que le paysage urbain est celui qui sintgre mal ou ne sintgre pas du tout
au paysage rural. Lexplication sera prcise plus loin.
11 S. Rimbert explore une autre piste. Elle prend lexemple dun mme espace, et examine
son volution dans le temps : Le passage entre deux maisons est galement un hritage
caractre rural : cest le passage vers le jardin potager, vers la basse-cour, avec les
brouettes et les pieds boueux. Dans un paysage vraiment urbain, ou bien le passage est
remplac par une porte cochre et couvert par le premier tage, o il disparat
compltement et les murs sont mitoyens29. On se place donc ici dans le cas dune
mutation paysagre. Mais le paysage, cest surtout la relation entre lhomme et laspect
du pays qui lentoure, en tenant compte de ses pratiques et de sa faon de percevoir. La
datation des rfrences compte ici pour apprcier lvolution des repres des gographes.
Au dbut des annes 1960, le raisonnement sopre en lien avec un monde rural encore
prsent aux marges des villes, et donc lexamen du paysage urbain dans son rapport au
paysage rural se fait localement : Le vritable citadin achte ses carottes et ses poulets,
et laisse sa voiture contre le trottoir30. Au contraire, au cours des annes 1970, la
comparaison se fait distance , les deux paysages tant reprsents comme bien
dissocis. Cest alors une diffrenciation en termes de paysages peru et vcu qui se
dveloppe : Prenons lexemple dune grande ville o les citadins sont continuellement
exposs aux affiches publicitaires, la circulation et la signalisation routire []. Vont-
ils ragir de la mme manire que les ruraux31 ?
12 Cest surtout dans la mise en avant du paysage urbain contemporain par rapport au
paysage urbain pass que les gographes dveloppent la notion. Lattention est dabord
attire par le nouvel aspect de la ville : Les nouvelles constructions rompent
brutalement avec les traditions architecturales du pays32. Dune part, lemploi des
matriaux modernes permet de substituer aux anciens paysages urbains un dcor tout
fait nouveau [] surgissent des btiments de ciment et de verre qui rompent rsolument
avec lharmonie des lignes dautrefois33 . Ces matriaux changent par eux-mmes une
partie du paysage, mais ils sont aussi les facteurs dune mutation plus complte, qui
associe llvation des immeubles une nouvelle rpartition des surfaces bties et non
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bties : limmeuble qui slve plus haut quautrefois recule par rapport la chausse [
], les cours souvrent, leur fonction dans la vie sociale spanouit en se transformant et en
recevant de la verdure34 . Les transformations sont frappantes au moment de la
dcouverte des villes par le gographe : le trait le plus remarquable du paysage qui se
cre, cest sans doute Francfort, Hambourg, Essen, Dsseldorf, et dans une certaine
mesure Munich, la prolifration des grands immeubles35 .
13 Le deuxime fait essentiel est conjoncturel, mais il pose en mme temps le paysage urbain
des annes 1960 comme particulier, et il implique des consquences. P. George rappelle
bien la diffrence et loriginalit du paysage urbain contemporain : Le pass urbain
reprsentait une somme dapports successifs chelonns sur plusieurs dcennies, dans
certains cas sur plusieurs sicles []. La reconstruction, en particulier parce quelle
seffectue sous la pression de lurgence, est au contraire un fait global qui sinscrit dans
un seul moment de lvolution36. La premire consquence est lexistence phmre
dune ville qui nest pas acheve et dj habite : le grand ensemble conserve longtemps
encore aprs larrive des premiers habitants, une allure de chantiers, quelque chose
dinachev, avec ses terres dfonces, ses bulldozers, ses grues gantes, les squelettes de
ses btiments en cours de construction []. Les habitants [] connaissent la boue durant
plusieurs hivers37 . Ici encore, la correspondance avec le paysage de la station touristique
est frappant : les belles grues oranges resplendissent sous le soleil dhiver [] les
touristes font le dlicat apprentissage du cheminement dans la gadoue, sautant [] sur un
rocher [] miraculeusement pargn par les bulldozers38 .
14 Ensuite, il existe des effets long terme qui vont marquer le paysage urbain de ces
espaces. S. Rimbert nous place demble dans le fond de la question : Ces signes,
comment se mettent-ils en place ? Ils sembleraient devoir rsulter de crations
collectives ; or, cest rarement le cas. Le plus souvent, une minorit darchitectes,
durbanistes, dentrepreneurs-techniciens, dadministrateurs, dcident du style, de
limplantation, des rglements dont la majorit devra saccommoder39 , et, mme si cette
organisation nest pas nouvelle, elle prend une telle ampleur que le type de paysages
urbains, y compris et surtout dans leurs dimensions des relations perceptives des
habitants, en sont modifis. Plusieurs gographes dnoncent alors laspect que prend ce
nouveau paysage urbain : la standardisation [] saccompagne dune simplification,
dune uniformisation du paysage urbain par rapport ltat antrieur40 . La relation avec
ce dernier est effectue sur le mode dun bilan ngatif : limpression de densit est
accrue par la monotonie du paysage urbain, form de constructions de moins de trois
tages, difies en srie41 .
15 linverse de la monotonie, il est trs intressant de relever que le ou les immeubles qui
se dtachent trop de lensemble prexistant participent positivement ou ngativement au
paysage urbain. Pour Yvette Barbaza, limportant est que lhtel ou les appartements
introduisent dans le paysage urbain un lment architectural qui respecte ou dtruise son
harmonie, son quilibre []. Trop souvent, les nouveaux difices, quelle que soit leur
destination, sintgrent mal dans le paysage urbain42 . Dans cette urbanisation
touristique rcente et rapide de la Costa Brava, la diversit est excessive, elle rompt
lquilibre. Avec une autre situation, celle de lagglomration londonienne, elle est en
revanche bienvenue : la quasi-totalit de ces ensembles est constitue dappartements.
Durant la priode 1919-1939, la hauteur optimum fut de cinq six tages. Les blocs
taient le plus souvent en briques rouges, coiffs de vastes toits et disposs sans effort
dimagination autour de cours cimentes []. partir de 1956, le passage la dimension
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diffrenciation, lun entre deux espaces, lautre au sujet dun mme espace qui a volu
dans le temps. Une de leurs principales proccupations est lobservation compare des
quartiers priphriques des grandes villes, en lien avec la place quy prend lautomobile.
Parmi les nombreuses descriptions, on retient lopposition entre les nouveaux quartiers
de Francfort-sur-le-Main, comme celui de Nordweststadt, o on retrouve la double
circulation, celle des automobiles sur des voies priphriques aux quartiers et lgrement
en tranches qui conduisent des garages souterrains et celle des pitons sinueuse entre
les difices et franchissant les prcdentes par des ponts49 , et dautre part ceux de
Berlin-Ouest (Mrkische Viertel) ou de Hanovre (Auf den Horst), dans lesquels
lautomobile na pas t dissocie du reste de lespace ; ce qui est soulign est alors
lencombrement des rues par les voitures, et en mme temps labsence de voies
pitonnes. Le souci nest pas seulement de prsenter ces rpartitions entre les espaces des
deux modes de transport, mais de dcrire le paysage urbain qui en rsulte, ainsi
Munich : les voitures en stationnement sont rares sauf sur de petits parcs qui jouxtent
le noyau commercial de quartier. Le rseau pitonnier est trs tendu et soign entre les
immeubles de 6 14 tages assez carts les uns des autres50 , o lon retrouve ici la
fois le dimensionnement et la composition formant le paysage.
20 Lautre approche de la relation entre lautomobile et la marche dans le paysage est
diachronique. Le centre ville de Munich a connu une sensible volution de son
organisation : En 1963, les responsables [] montraient un des premiers centres de
rgulation de la circulation par la tlvision, les zooms des camras permettaient
didentifier les voitures fautives aux carrefours proches de lHtel de Ville51. La
modernit est ici prsente la fois dans le mode de circulation, et dans son mode de
contrle. Huit ans aprs, le changement est radical : En 1971, aux mmes endroits, les
rues ont disparu, cdant la place aux artres et places entirement consacres la
circulation des pitons52. Lexemple est reprsentatif dun mouvement plus gnral,
ainsi au sujet de la City de Norrmalm Stockholm : Une certaine raction vis--vis de la
voiture amena le nouveau plan de 1967 modifier dans un sens favorable aux pitons les
schmas de circulation ; cest ainsi quun rseau cohrent de cheminements pitonniers
fut mis sur pied53.
21 Cette question de la mobilit intra-urbaine dans le paysage est aussi applique aux
stations touristiques, avec la mme sensibilit, par exemple au sujet de Carnon, dans
lHrault : son centre [sera] purg de toute circulation automobile54 . La description des
dplacements permet notamment dy montrer leurs effets dans le paysage des stations,
comme Avoriaz : la plupart des immeubles sont accessibles skis aux pieds, mais
certains itinraires exigent demprunter des ascenseurs publics, o il arrive, aux heures
de pointe des vacances scolaires, que les skieurs fassent la queue ! [] Le boulevard des
skieurs est une autre piste de ski intra-urbaine permettant la descente dans lautre sens 55
. Lanalogie avec la ville du quotidien est bien mise en vidence ici, avec le thme de
laccessibilit dj nonc par P. George, la prsentation des encombrements, ainsi que la
qualification des espaces partir de leurs pratiques ( le boulevard des skieurs ).
22 une plus vaste chelle, et avec des relations diffrentes, le paysage urbain est constitu
par lintgration des espaces du quotidien, du tourisme et de la visite, cest--dire trois
espaces-temps qui sont des produits de la civilisation urbaine.
23 La premire posture est de considrer que la ville est lespace du quotidien, dont il sagit
de svader. Aprs Georges Chabot56, cest P. George qui reprend la reprsentation dune
population voulant schapper du cadre urbain, pour aller vers autre chose que la simple
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diffrence qui contribue crer le dpaysement est un moyen parmi dautres de dceler
loriginalit dun paysage urbain ou de saisir la banalit des autres67 . Ceci ne signifie pas
quil ny a quun seul type de paysage urbain, mais pose la similitude entre les lments
rcurrents des paysages urbains de la ville du quotidien et de la ville touristique. Et la
vue du touriste ne se met pas, ou pas seulement, en place parce que lindividu est
touriste dans un espace quil ne connat pas, mais elle slabore en rfrence au paysage
du quotidien, qui amne spcifiquement lindividu une perception sur le mode de
lanalyse du dtail. Comment alors penser la relation entre les paysages urbains du
quotidien, du tourisme et de la visite ? Cette relation stablit en deux temps. Il ny a pas,
demble, une diffrenciation des deux paysages. Au contraire, cest le processus
dassimilation qui passe en premier, et qui justement, permet ensuite, mais ensuite
seulement, la diffrenciation.
25 S. Rimbert dveloppe une rflexion sur le paysage urbain comme un paysage de la
totalit, au sein duquel les paysages de la ville quotidienne et de la ville touristique
forment systme : le dpaysement que recherche le touriste doit [] provoquer une
certaine forme dinquitude [] qui appelle aussitt des structures scurisantes, cest--
dire habituelles68 . Elle explicite ainsi la relation entre les espaces sous la forme dun
processus dialectique, qui conduit une nouvelle tape dans le cheminement de
lindividu, le faisant passer de la diffrenciation laquelle il tait arriv en reprant des
dtails dans la ville touristique, une d-diffrenciation qui lui rappelle le quotidien :
On en arrive transporter son propre paysage urbain quotidien en dtruisant leffet de
dpaysement69. Serait-on alors revenu au point de dpart, savoir lassimilation des
deux paysages ? Non, car si la matrialit du paysage, autrement dit son cadre, est
comparable lespace du quotidien, le paysage est aussi constitu de lanimation humaine
dans cette matrialit ainsi que des valeurs que lindividu lui confre : Cette banlieue
nest pas tout fait semblable celle de la ville dorigine du touriste ;
morphologiquement elle peut mme tre pire, mais psychologiquement elle peut tre
pare dune valeur diffrente70. La dernire tape dans la rflexion est donc celle dune
re-diffrenciation du paysage urbain touristique par ce qui ne relve pas du matriel dans
le paysage. In fine, S. Rimbert en arrive montrer que le paysage urbain est une totalit,
la fois gographiquement, par larticulation entre diffrents espaces-temps humains
tablis en rseau, et thmatiquement, par le fait que ce rseau fonctionne par une
intgration, voire une fusion, de la matrialit et des reprsentations du paysage : la
ville touristique se dfinit par son opposition lenvironnement courant : on y attend non
seulement des formes nouvelles, mais encore des modes de vie, des climats, des
ressources, diffrents de ce que lon trouve chez soi. Une architecture de ville de vacances
ne peut suffire elle seule librer le citadin ; il faut la combiner avec de nombreux
autres facteurs71 .
26 Diffrentes parties composent chaque paysage urbain. Antoine Bailly puise chez
Kevin Lynch les lments qui les forment : La structure du paysage urbain se dcompose
en cinq lments : les cheminements, les limites, les nuds, les repres et les quartiers 72
. Mais les gographes, au cours des deux dcennies prcdentes, ont souvent exprim
les modes de partition du paysage urbain, dans le but de mettre en vidence sa
composition. Cest ce quil importe de rsumer ici.
27 Le premier type de description rapporter est en quelque sorte un niveau 1 de
description des parties du paysage, car il exprime une partie relle associe une partie
imaginaire, qui nexiste pas dans le paysage examin, ainsi Londres dans
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30 Pour approfondir cette priodisation du mode de description du paysage urbain avec ses
parties, il sagit de montrer lautre renversement de reprsentation, fond sur la relation
entre les parties et le tout. En effet, au dbut des annes 1960, la reprsentation du
paysage urbain comme une totalit existe, et alors les parties sont nonces aprs. Cela
est dcrit pour la ville traditionnelle : le corridor commercial canalise quatre axes
dintrt : a) lalignement de faades varies, b) le trottoir pitons, chiens, voitures
denfants, c) le caniveau, d) si le trafic de la chausse est un obstacle aux relations
riveraines, du moins entretient-il une distraction continuelle79 . Mais cette approche du
paysage urbain du tout aux parties est aussi applique la description des nouveaux
quartiers, comme pour le grand ensemble de la SCIC Viry-Chtillon : de loin, il voque
une moderne cit fortifie, mais lorsquon y circule, lalternance tours, blocs linaires,
petits btiments est harmonieux80 , qui prsente un dcalage entre un mode de
reprsentation hrit et une nouvelle configuration par rapport laquelle lauteur oscille
entre surprenance et importunance, pour finalement sembler sy adapter.
31 Par la suite, le rapport sinverse, et la ralit despaces urbains nouvellement construits
conduit leur reprsentation paysagre partir des parties pour essayer de constituer un
tout. Un certain propos de transition est nanmoins formul au dpart, marquant la
difficult relative sortir du schme prcdent, au sujet de Churchill Gardens Estate : [
] des immeubles de six dix tages []. Des espaces verts abondants, des bandes de
verdure cernant chaque immeuble ne dissipent pas latmosphre dune vritable unit de
voisinage qui, par ailleurs, possde un quipement complet pour les besoins journaliers 81
, ou bien exprimant une ville fonctionnelle fonde sur la bonne articulation des parties,
Studley Estate : Un rseau de circulation pour les automobiles est juxtapos un
rseau pour les pitons. Une cole primaire, des terrains de jeu et une vingtaine de
commerces de dtail achvent lunit fonctionnelle de cet ensemble82. Cette unit
fonctionnelle est plus affirme partir de lassociation des parties dans les nouveaux
espaces urbains, comme les stations balnaires du Languedoc : intercalation entre les
grands ensembles construits de plaines de sports , dquipements de loisirs et
despaces boiss ; structuration des quartiers par la construction de centres
commerciaux, de services, danimation83 . Mais le gographe na pas pour seule fonction
de dcrire pour dcrire. Les partitions des diffrents paysages urbains, dans une
gographie compare, appellent une valuation. Cest ce que semploient faire P. Brunet
et P. Pinchemel au cours de leurs excursions urbaines en Allemagne. La composition des
parties peut tre satisfaisante, Nordweststadt : Les immeubles, peu importants [],
sont trs varis en hauteur (un seize tages), et on sest efforc de diversifier les espaces
intermdiaires en combinant diffremment les espaces de jeux propres chaque groupe
de btiment, les lieux de repos, les massifs darbuste et mme les petits jardins qui
accompagnent quelques ranges de pavillons. Lcole primaire, lglise et des commerces
lmentaires se trouvent dans chaque quartier84. La qualit du paysage sobtient par une
grande complexit de lassociation de ses parties. Dans une situation intermdiaire,
dautres quartiers sont composs de parties qui ne donnent que partiellement
satisfaction, comme Mrkische Viertel : quatre lotissements de pavillons trs modestes
noys dans les arbres fruitiers de leurs jardinets qui ont t incorpors au plan comme
espaces verts, pour les yeux seulement puisque proprits prives85 . Enfin, le troisime
stade de la description des parties est plus ngatif, et il renvoie, non labsence, mais
linsuffisance des parties dans la ville, en relatant le paysage de Limesstadt Francfort :
Par contre, les espaces non construits sont peu tendus, le rseau pitonnier assez peu
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dcouvrent dautant plus vite quils sont plus laids regarder101. Au sujet despaces
urbains trs diffrents, le mode de rflexion du gographe est semblable en ce qui
concerne la mise en vidence des effets des temporalits dans la ville sur le paysage
urbain : il sagit dtablir une comparaison entre deux espaces. De faon complmentaire,
le mouvement de la nature nest pas une gne dans laffirmation du paysage urbain, bien
au contraire : Dans la deuxime moiti de la saison, lorsque les jours sallongent et que
le soleil devient plus agressif, la station apparat sous son vrai visage ; le village des neiges
a disparu, lembryon de ville a resurgi102.
38 Enfin, le dernier type de paysage urbain est celui qui slabore dans la dernire partie de
notre priode. Il est prsent comme une meilleure solution compte tenu des effets
ngatifs de ceux qui ont t fonds depuis la fin des annes 1950 : On laccuse (la charte
dAthnes) de sgrger les diffrents quartiers, de sparer lhabitat des activits []
Cergy-Pontoise comme Evry, le cur de ville est quasiment rserv aux grands
quipements. Les ralisations les plus rcentes sont au contraire caractrises par la
polyvalence des fonctions et lintgration systmatique de lhabitat au milieu des activits
et des quipements collectifs103. Ce paysage urbain nouveau redonne en mme temps
plus de pertinence sa composition en diffrentes parties.
39 La gographie franaise a ainsi pris la mesure des nouveaux paysages urbains en
dveloppement dans lEurope occidentale des annes 1960-1970. Lapprhension de
lobjet, et la rflexion sur le sujet, se sont notamment fondes sur des exemples trangers.
Pour cela, les difficults initiales cerner les mutations et ses enjeux ont peu peu t
combles par la capacit mobiliser la rflexion disciplinaire afin de mettre en relation
les composantes diverses. Celles-ci, finalement, ont toujours contribu faire la
gographie, savoir les diffrents types despaces, leurs aspects et leurs fonctions, leurs
matrialits et humanits, et ce dans le prsent sans oublier le pass ou, en tout cas, le
mode dantriorit. Nanmoins, au-del de la spcificit de paysages urbains neufs , il a
aussi fallu, et ctait cest toujours ? plus novateur, mettre en avant le rle des
mobilits dans la constitution mme de ces paysages. Parmi lensemble de lanalyse, cest
en effet une des thmatiques principales qui a amen sinterroger sur le renouvellement
mme de la notion de paysage urbain.
40 Il reste replacer lanalyse dans les cadres pluridisciplinaires et disciplinaires. En effet, le
paysage urbain a t pens en gographie en rfrence lhistoire des villes, aux
dmarches architecturales et urbanistiques. En outre, le dveloppement de la gographie
subjective , relative aux perceptions et reprsentations, sest fait par des passerelles
avec dautres disciplines de sciences sociales. Vis--vis de ces influences soffre en
perspective un prolongement la question initiale en matire dapports originaux de la
gographie, qui se construisent au cours des annes 1970.
ANNEXES
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NOTES
1. P. George, Prcis de gographie urbaine, Paris, PUF, 1961, p. 3.
2. Il sagit des Annales de gographie, de LInformation gographique ainsi que, partir
de 1972, de LEspace gographique.
3. G. Rougerie, Gographie des paysages, Paris, PUF, 1969, p. 5, in S. Rimbert, Approches
des paysages , LEspace gographique, n 3, 1973, p. 234. noter que S. Rimbert ne reprend
pas la dernire partie de la phrase : ainsi que les interactions du complexe vivant quil
constitue .
4. J.-B. Racine, La notion de paysage gographique dans la gographie franaise , Le
gographe canadien, n 2, 1972, p. 151, in A. Bailly, La perception de lespace urbain, Paris,
Centre de recherche durbanisme, 1977, p. 21.
5. S. Rimbert, Les paysages urbains, Paris, Armand Colin, 1973, p. 6.
6. S. Rimbert, Approches des paysages , LEspace gographique, n 3, 1973, p. 233.
7. G. Rougerie, Les cadres de vie, Paris, PUF, Le gographe , 1975, 264 p.
8. R. Rochefort, La perception des paysages , LEspace gographique, n 3, 1974, p. 205.
9. S. Rimbert, Les paysages urbains, p. 16.
10. A. Bailly, La perception de lespace urbain, Paris, Centre de recherche durbanisme, 1977,
p. 24.
11. P. George, op. cit., 1961, p. 72-73.
12. A. Bailly, op. cit., 1977, p. 39.
13. J. Basti, La croissance de la banlieue parisienne, Paris, PUF, 1964, p. 535.
14. P. Brunet, P. Pinchemel, Grandes oprations durbanisme en Rpublique Fdrale
dAllemagne , Annales de gographie, n 447, 1972, p. 568.
15. Ibid., p. 571.
16. M. Cassou-Mounat, La vie humaine sur le littoral des Landes de Gascogne, Paris, Champion,
1977, p. 527.
17. Ibid., p. 574.
18. P. Pinchemel, La France, t. 2 : Activits, milieux ruraux et urbains, Paris, Armand
Colin, 1974, p. 359.
19. R. Knafou, Les stations de sports dhiver des Alpes franaises, Paris, Masson, 1978, p. 60.
20. Ibid., p. 62.
21. Ibid., p. 63.
22. Ibid., p. 65.
23. M. Cassou-Mounat, Tourisme et espace littoral : lamnagement de la cte aquitaine
, LEspace gographique, n 2, 1976, p. 141.
24. J. Basti, Le sol, lment primordial du paysage urbain , Annales de gographie, n
406, 1965, p. 709.
25. Ibid., p. 709.
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RSUMS
Le paysage urbain est une notion en renouvellement dans les annes 1960 et 1970. Elle est
prsente en filigrane et se (re)construit dans les rflexions des gographes urbains franais qui la
dfinissent par comparaison au paysage rural et aux autres paysages. Son originalit
contemporaine est redevable aux nouvelles architectures, une certaine forme de
standardisation, la rapidit de sa cration et son inachvement. Outre la matrialit de la
ville, il est caractris par une ambiance marque par les circulations et leurs effets. Il se fonde
sur une reprsentation articulant les espaces du quotidien, ceux du tourisme, et ceux de la visite.
Les gographes identifient les lments rcurrents des paysages urbains, et rflchissent aux
diffrenciations ou non entre les espaces-temps. Leurs crits rendent compte des paysages
urbains sur le mode de la description, en prsentant les rapports existant entre le tout et les
parties, ainsi que les diffrents types reprables en fonction des organisations urbaines, telles
que le rapport centre-priphrie, la sectorisation, les mobilits et les temporalits des villes.
Xavier Michel, The urban landscape as a premise for renewal in French geography, 1960-1980
A renewal of the notion of urban landscape is to observe during the 1960s and 1970s. This notion
is detectable and (re)constructed in the writings of French urban geographers. These writings
define urban landscape in comparison with the notion of rural landscape and other landscapes.
Its contemporary originality depends on new architectures, standardization, rapidity of its
creation and its unfinished appearance. Besides the urban materiality, the urban landscape is
characterized by an atmosphere linked to the city traffics and their consequences. It is based on a
representation articulating spaces of daily life, spaces of tourism, and spaces of visits.
Geographers identify recurrent elements of urban landscapes, and they think of the
differentiation or not between time-spaces. These writings represent urban landscapes through
description, highlighting the existing relationships between the whole and the parts, as well as
the different types to be distinguished according to urban organizations, such as centre and
periphery relationships, partition of urban space, mobility and temporality of cities.
INDEX
Mots-cls : Paysage, paysage urbain, histoire de la gographie, mobilits, ici et ailleurs
Keywords : mobility, landscape, urban landscape, history of geography, here and elsewhere
AUTEUR
XAVIER MICHEL
Strates, 13 | 2007