Amadeo BORDIGA, PROPRIÉTÉ ET CAPITAL (1980) PDF
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Socialiste italien
PROPRIT
ET CAPITAL
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Amadeo BORDIGA
PROPRIT ET CAPITAL
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PREMIRE PARTIE
DEUXIME PARTIE
Amado BORDIGA
PROPRIT ET CAPITAL (1980) 1
PREMIRE PARTIE
Chapitre I.
LES RVOLUTIONS DE CLASSE
Technique productive et formes juridiques de la production
[Dans le but dtudier avec soin la formule traditionnelle qui dfinit le socia-
lisme comme labolition de la proprit prive, on rappelle les concepts marxistes
sur la succession des rvolutions de classe en tant que consquence de la contra-
diction entre les nouvelles forces et exigences de la production dune part et les
anciens rapports de proprit de lautre. Des diffrents rgimes de classe, fonds
sur les institutions de la proprit individuelle exerce sur les diffrents objets
selon les caractristiques diffrentes de lorganisation productive et de la techni-
que du travail, le plus rcent est le rgime capitaliste]
C'est par une formule simple et justifie par les exigences de la propagande
que l'on a toujours dfini le socialisme comme abolition de la proprit prive, en
Mme si une telle formule n'est pas complte ni absolument adquate, elle ne
doit pas tre rpudie. Mais les questions essentielles anciennes et rcentes
concernant la proprit personnelle, collective, nationale et sociale imposent
d'lucider le problme de la proprit face l'antagonisme thorique, historique et
de lutte entre capitalisme et socialisme.
la proprit n'existait pas puisque tout tait acquis et utilis en commun par les
premiers groupes d'hommes.
Par diverses voies le commerce apparat, les choses qui taient seulement ob-
jets d'usage deviennent des marchandises, la monnaie apparat et la valeur
d'change se superpose la valeur d'usage.
Chez les diffrents peuples et des poques diffrentes nous devons com-
prendre quel tait l'tat d'avancement de la technique productive du point de vue
de la capacit d'intervention du travail de l'homme sur les choses ou sur les mati-
res premires, quel tait le mcanisme de la production et de la rpartition des
actes et des efforts productifs entre les membres de la socit, quel tait le jeu de
la circulation des produits d'individu individu, de maison maison, de pays
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 10
pays jusqu' leur consommation. C'est partir de telles donnes que nous pouvons
russir comprendre les formes juridiques correspondantes qui tendent coor-
donner les rgles de tels processus, en attribuant des organisations dtermines
la tche de les discipliner et la possibilit de contraintes et de sanctions envers les
transgresseurs de ces rgles.
De mme que la proprit des choses ou des biens de consommation ainsi que
la proprit de l'esclave ne remontent pas l'humanit primitive, la proprit du
sol, c'est--dire de la terre et de ce que lhomme y ajoute de durable, les biens
immeubles pour le droit, y remonte encore moins. Une telle proprit dans sa for-
me personnelle arrive en retard par rapport la proprit des biens meubles et des
esclaves eux-mmes, dans la mesure o, au dbut, tout est, sinon commun, du
moins attribu au chef du groupement familial, de tribu ou de cit et de rgion.
Mais mme si l'on voulait contester que tous les peuples soient partis de cette
premire forme communiste et si l'on voulait ironiser sur un tel ge d'or, l'analyse
qui nous intresse selon laquelle l'institution juridique dpend des stades de la
technique reste valide et il suffit de rappeler la grande importance qu'Engels et
Marx donnrent la mise en route de ces tudes sur la prhistoire, nous rservant
d'y revenir plus fond.
En nous limitant aux lignes lmentaires et aux choses connues de tous, les
rapports sur la proprit des biens meubles consommables et dans tous les cas
utilisables, de l'homme esclave ou serf, et de la terre, suffisent dfinir les lignes
fondamentales des types historiques successifs de socits de classe.
vailler seul ou avec d'autres sur les terres plus vastes du seigneur dont les produits
plus abondants reviennent ce dernier. Un tel travail est appel la corve. Dans
les formes les plus rcentes, le serf se rapproche du colon dans la mesure o toute
la terre du seigneur est fragmente en petites entreprises familiales ; cependant un
fort quota du produit de chacune est remis au patron.
faons les procs de fabrication des produits, avec les dcouvertes gographiques
et les inventions de nouveaux moyens de transport de personnes et de marchandi-
ses qui largissent continuellement le cercle des zones de circulation et allongent
les distances entre le lieu de fabrication et celui de l'utilisation des produits.
Une fois arrivs ce point solide avec le rappel de ces quelques traits, rappel
volontairement simplifi pour tenter de mettre les mots justes leur place, de-
mandons-nous quels sont les vritables traits distinctifs de la nouvelle production,
de lconomie capitaliste et du rgime bourgeois auquel elle fournit la base. Et
nous voyons immdiatement en quoi consiste rellement le changement que les
nouveaux systmes techniques, les nouvelles forces productives mises la dispo-
sition de l'homme, suscitent aprs une longue et dure lutte dans les rapports de
production, c'est--dire dans les possibilits et dans les facults d'appropriation
des diffrents biens, en opposition ce qui se passait dans la socit prcdente,
fodale et artisanale.
Nous commencerons ainsi tablir de faon claire les bases de notre enqute
ultrieure sur les relations effectives entre le systme capitaliste et la forme d'ap-
propriation des diffrents biens : marchandises prtes la consommation, instru-
ments de travail, terre, maisons et quipements diverses fixes au sol, pour ten-
dre ensuite cette enqute au processus de dveloppement de l're capitaliste et de
sa fin.
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Chapitre II.
LA RVOLUTION BOURGEOISE
L'avnement du capitalisme
et les rapports juridiques de proprit
[Le capitalisme triomphe au moyen dune rvolution qui brise une srie de
rapports. Parmi ceux-ci, le droit du feudataire sur les paysans serfs et le droit des
corporations sur les artisans sont des rapports entre personne, et non des rap-
ports de proprit sur les choses.
La naissance de l'conomie capitaliste dans ses effets sur les rapports de pro-
prit se prsente non comme une instauration, mais comme une trs large aboli-
tion des droits de proprit prive. Cette thse ainsi formule non seulement ne
doit pas paratre trange mais ne doit pas paratre neuve puisqu'elle est entire-
ment conforme, dans la forme comme dans la substance, l'expos de Marx.
Pour que tout ceci soit correctement compris il faut justement poursuivre l'en-
qute en appliquant correctement notre mthode et ne jamais perdre de vue les
relations qui existent entre les formulations du langage ou du droit courant et cel-
les qui nous sont spcifiques, nous socialistes marxistes.
Avec la perte de tout droit sur les biens produits, le travailleur perdit videm-
ment tous ses droits sur les outils, les matires premires et le lieu de travail. De
tels droits taient un rapport de proprit individuelle que le capitalisme a dtruit
pour y substituer un nouveau droit d'appropriation, de proprit, qui ncessaire-
ment est un droit sur les produits du travail mais qui n'est pas ncessairement pour
autant un droit sur les moyens de production. Le titre de proprit juridique de ces
derniers peut changer sans que l'entreprise perde son caractre capitaliste. De
plus, le nouveau type d'appropriation n'est pas ncessairement - c'est--dire pour
que l'on ait le droit de parler de capitalisme au sens marxiste - un droit de type
individuel et personnel, comme c'tait au contraire le cas dans l'conomie artisa-
nale qui ne dpassait que rarement les limites familiales.
dal tiraient du surtravail fourni par leurs dpendants leur revenu personnel, mais
ils pouvaient trs bien le consommer entirement sans que le systme conomique
cesse de fonctionner l'chelle sociale. La part des produits de leur travail laisse
aux esclaves et aux serfs suffisait les faire survivre et perptuer le systme.
Pour cette raison le droit de proprit du matre des esclaves et des serfs de la
glbe est un vritable droit individuel. Non moins individuel est celui du paysan
libre et de l'artisan qui ne cdent de surtravail personne (il n'est pas encore ici
question du fisc - et dans ces rgimes l'tat tait bon march ) et qui peuvent
consommer tout le produit de leur travail concidant avec celui de leur bien rduit
un peu de terre ou la petite boutique (entendue comme entreprise et non com-
me local). Le capitalisme tire certes un profit du surtravail non pay de ses ou-
vriers qui reoivent seulement ce qui leur suffit pour vivre, mais le trait fonda-
mental de la nouvelle conomie ne consiste pas, en thorie et selon la loi crite,
pouvoir consommer individuellement la totalit du produit ; il rside au contraire
dans le fait gnral et social que les capitalistes doivent rserver une part toujours
plus grande du profit aux nouveaux investissements, la reproduction du capital.
Ce fait nouveau et fondamental a plus d'importance que celui du profit consomm
par celui qui ne travaille pas. Si ce dernier rapport est plus suggestif et s'est tou-
jours mieux prt la contre-propagande sur le terrain juridique ou moral visant
les apologistes du rgime bourgeois, la loi fondamentale du capitalisme est pour
nous la seconde : c'est la destination d'une grande partie du profit l'accumulation
du capital.
Dans notre langage marxiste cela sert expliquer la gense du capitaliste in-
dustriel d'un ct et des masses de travailleurs salaris sans-rserves de l'autre. Et
ceci a t, comme nous avons l'habitude de le dire, le rsultat d'une rvolution
conomique, sociale et politique.
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Nous ne prtendons pas cependant que les bourgeois et les nouveaux capitalis-
tes auraient ralis tout ce procs en conqurant le pouvoir dans une guerre civile,
puis en promulguant une loi dclarant qu'il est interdit toute personne qui n'ap-
partient pas la classe capitaliste victorieuse d'acheter des matires premires, des
outils, et des machines, puis de vendre des produits manufacturs. Les choses se
sont passes bien autrement. Aujourd'hui encore, non seulement il n'est pas inter-
dit par la loi d'tre artisan, mais, alors que l'accumulation capitaliste acclre sous
nos yeux son rythme vritablement infernal, nous voyons les fascistes, les socia-
listes nationaux et les sociaux-chrtiens rivaliser dans l'apologie de l'conomie
artisanale en communiant avec le vieux bguin 4 des mazziniens. Et il faut en dire
autant du producteur agricole autonome, propritaire de son lopin de terre.
s'obtient en quatre heures alors que l'artisan l'obtient en huit, l'artisan, fort de son
plein droit de proprit, pourra le porter au march, mais il en retirera un prix r-
duit de moiti avec lequel il ne pourra pas acqurir les subsistances de sa journe.
Ne pouvant physiquement travailler seize heures par jour pour quilibrer son bi-
lan, il sera contraint d'accepter les conditions du capitaliste, c'est--dire travailler,
disons, douze heures pour celui-ci et de lui laisser les produits, recevant en salaire
l'quivalent de six heures de travail, avec lequel il pourra vivre, serait-ce plus mi-
srablement.
Nous devons voir au contraire clairement quelles sont les lignes distinctives,
le vritable signalement de l'conomie capitaliste, sans cela nous ne pourrons pas
suivre avec sret le procs de son volution et juger les caractres de son dpas-
sement.
Une telle enqute doit avoir pour prmisse quelques prcisions notables sur
l'importance conomique et l'volution juridique du droit de proprit sur le sol,
sur ce qui est au dessous et au-dessus de lui, de la part des personnes et des soci-
ts prives l'poque contemporaine.
Chapitre III.
LA RVOLUTION PROLTARIENNE
Les termes de la revendication socialiste
[La lutte de la classe des salaris contre la bourgeoisie capitaliste a pour ob-
jectif, en conservant la division technique du travail et la concentration des forces
productives cre par le capitalisme, dabolir, en mme temps que l'appropriation
patronale du produit et que la proprit prive des moyens de production et
dchange, le systme de production par entreprises et celui de la distribution
mercantile et montaire, puisque cest seulement en supprimant de telles formes
que le systme dexploitation et doppression que constitue le salariat peut dispa-
ratre.]
Avant d'entrer dans le sujet de cette recherche concernant les institutions juri-
diques de la proprit qui accompagnent l'conomie capitaliste dans son cours
historique, il est cependant ncessaire de rappeler encore quels ont toujours t les
vritables termes de la grande revendication socialiste.
dans les luttes sociales de la classe ouvrire salarie et de son organisation en parti
de classe international faisant sienne la doctrine du Manifeste des communistes et
de Marx.
La revendication socialiste, des millions de fois nonce dans les pages des
volumes de thorie ou dans les modestes paroles de discours et brochures de pro-
pagande, ne peut pas tre vivante et effective si on ne lui applique pas la mthode
dialectique du marxisme, en mme temps dans sa simplicit directe et dans sa
puissante profondeur.
Le cri de protestation contre les absurdits, les injustices, les ingalits, les in-
famies dont est fait le capitalisme ne suffit pas difier la revendication socialiste
proltarienne. En ce sens, les innombrables positions pseudo-socialistes ou semi-
socialistes de philanthropes humanitaires, d'utopistes, de libertaires, d'aptres plus
ou moins excits par de nouvelles thiques et mystiques sociales furent insuffisan-
tes.
Parmi les traits de l'organisation sociale que le capitalisme a mis en place par
son avnement, certains sont des acquisitions que le socialisme proltarien non
seulement accepte, mais sans lesquelles il ne pourrait pas exister, d'autres sont des
formes et des structures qu'il se propose d'anantir aprs qu'elles se soient dve-
loppes.
Ses revendications doivent tre donc dfinies en rapport avec diffrents points
en lesquels nous avons rordonn les lments typiques, les caractres distinctifs
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dans un sens social. A l'chelle sociale, malgr les prlvements du patron indus-
triel, les masses furent mises en mesure de satisfaire avec le mme temps de tra-
vail des besoins nouveaux et plus varis 5 . Avant mme de considrer les normes
avantages du point de vue du rendement productif auquel aboutirent la division du
travail et le machinisme, nous retenons comme un avantage dfinitif, auquel il
n'est pas question de renoncer, la simple conomie de transports, d'oprations
commerciales et de gestion laquelle aboutit la manufacture par rapport aux sim-
ples boutiques. Tout artisan tait son propre comptable, caissier, placier et com-
mis, avec un norme gaspillage de temps de travail, alors que dans les grandes
usines un seul employ accomplit ces mmes services pour cent ouvriers. Toute
proposition de revenir une fragmentation des forces productives concentres par
le capital est, pour les socialistes, ractionnaire. Et nous parlons des forces pro-
ductives non seulement propos des hommes chargs du travail, dont nous ve-
nons de parler, mais naturellement des masses de matires premires travailler
et dj travailles, des instruments de travail, et de tous les complexes quipe-
ments modernes utiles la production en masse et en srie.
Que n'apparaisse pas comme une digression le fait de remarquer que l'accepta-
tion par la revendication socialiste de la progressive concentration des quipe-
ments et des locaux de travail, en opposition l'conomie base sur la petite en-
treprise, ne signifie pas du tout l'acceptation de cette consquence du systme
capitaliste qu'est l'industrialisation technique acclre de certaines zones en lais-
sant les autres dans des conditions arrires, tant comme rapport de pays pays
que de ville campagne. Ce rapport subsiste historiquement tant que le rgime
bourgeois n'a pas t jusqu'au bout de sa phase de spoliation et de rduction des
anciennes classes productives au rang de salaris sans-rserves. Dialectiquement,
la revendication socialiste ne peut pas ne pas s'appuyer sur la fonction rvolution-
naire dirigeante des ouvriers que le capitalisme a urbaniss en masses imposantes,
5 Dans une autre partie de cette mme revue, le lecteur pourra trouver les ter-
mes authentiques de la thse de Marx sur la misre croissante, qui ne
contredit pas la loi sur laugmentation du taux du salaire rel, dans lexpos
explicatif du texte fondamental de lconomie marxiste. (Note de Bordiga).
[Cette note fait rfrence aux lments d'conomie marxiste, traduits en
franais par la revue Programme communiste (nos 2, 3, 4). (Note des traduc-
teurs).]
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mais elle tend la diffusion dans tous les territoires des ressources techniques
modernes et de la vie moderne plus riche en manifestations comme c'est nonc
ds le Manifeste, au point 9 du programme immdiat : mesures tendant sup-
primer progressivement l'opposition ville-campagne 6 - sans contradiction avec
toutes les autres mesures de caractre nettement centralisatrices du point de vue
de lorganisation. Le mme critre guide la prise de position socialiste propos
des rapports entre mtropoles et colonies ; on veut soustraire les dernires l'ex-
ploitation des premires sans oublier que seul le capitalisme et son dveloppement
pouvaient permettre d'acclrer de plusieurs sicles ce rsultat, bien que dans ce
domaine il ait dpass toutes limites dans l'emploi de mthodes impitoyables de
conqute.
tion du patron capitaliste. Ils devront revenir la disposition de la classe des pro-
ducteurs. Ce sera une disposition sociale et non plus individuelle ni mme corpo-
rative. Ce ne sera plus une forme de proprit mais d'organisation technique gn-
rale, et si nous voulions ds maintenant affiner la formule en anticipant sur le d-
veloppement nous devrions parler d'une disposition de la part de la socit et non
d'une classe puisqu'une telle organisation tend vers un type de socit sans clas-
ses.
Mais une telle proprit prive individuelle est un fait statique, formel, elle est
le masque du vritable rapport qui nous intresse, qui est dynamique et dialecti-
que et qui rside dans la nature du mouvement productif, dans l'enchanement des
cycles conomiques incessants.
Une telle formulation est cependant incomplte, mme sur le plan auquel nous
nous limitons dans ce paragraphe, c'est--dire celui du contenu ngatif et destruc-
teur de la position conomique socialiste, sans aborder encore le type d'organisa-
tion de la production et de la distribution en rgime socialiste, et le chemin par-
courir pour y arriver dans le domaine des mesures conomiques et de la lutte poli-
tique.
comme vendeur et acheteur, le salari ne peut le faire que comme acheteur et avec
des moyens limits par la loi de la survaleur.
Mais la fin du prcdent paragraphe nous avons ajout un troisime trait dis-
tinctif du capitalisme par rapport aux rgimes qu'il vainquit : la soustraction au
produit de l'effort productif des travailleurs d'une forte quote-part allant au profit
patronal et surtout la destination d'une part importante de celle-ci l'accumulation
de nouveau capital.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 31
Les diverses rserves que fait le capitaliste avant de prlever son dernier bn-
fice qui lui permet de s'amuser, ont dans une certaine mesure un but rationnel et
social. Mme une conomie collective devra mettre de ct des produits et des
instruments en proportion suffisante pour conserver et faire progresser l'organisa-
tion sociale. En un certain sens existera une accumulation sociale.
Mais l'anarchie que Marx impute au rgime capitaliste rside dans le fait que
le capitaliste accumule par entreprises, par firmes qui se meuvent et vivent dans
un milieu mercantile.
payer bas prix les produits des autres entreprises, le systme capitaliste ne peut
atteindre l'adquation globale de la production et de la consommation et se prci-
pite dans des crises successives.
Tout ceci nous le savions ds 1848, ce qui ne nous empche pas de le rpter
avec une ardeur juvnile.
Nous verrons qu'en cent annes de nombreuses choses se sont produites dans
le jeu des rapports que nous avons considrs, toutes choses qui nous ont rendus
encore plus durs dans l'affirmation de ces mmes thses.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 34
Non sans avoir averti le lecteur que, dans le systme socialiste, mme le pro-
nom le plus courant devient pronom social.
Chapitre IV.
LA PROPRIT RURALE
La rvolution bourgeoise
et la proprit des biens immeubles
Pour plus de clart nous nous arrterons d'abord sur la proprit du sol. La dis-
tribution de celle-ci dans les derniers temps du rgime fodal tait plutt com-
plexe puisqu'il y avait une zone de domaine collectif appartenant aux communes
ou l'Etat, des grands fiefs attribus par les pouvoirs politiques centraux aux fa-
milles de la noblesse, et mme des petites possessions indpendantes d'agri-
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 35
Dans ce systme social, comme Marx l'observe plusieurs fois, plus que le rap-
port juridique entre le propritaire et la terre prvaut le rapport entre le titulaire du
fief, et du titre nobiliaire qui l'accompagne, et la masse des familles de ses serfs.
C'est moins d'avoir beaucoup de terres que de nombreux serfs qui intresse le
seigneur puisqu'il dispose d'une certaine partie du produit du travail de ces der-
niers. Un autre axe de l'organisation fodale est le fait que le seigneur, quelle que
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 36
soit sa gestion conomique, ne peut pas perdre son fief ; celui-ci n'est pas alina-
ble, ne peut pas tre expropri et le systme du majorat en vite mme la subdivi-
sion lors des hritages, ce qui au contraire tait une institution importante dans le
systme romain. Par consquent, et au moins pour ce qui concerne les normes
tendues de terre, objets d'investiture fodale, il n'y a pas de march foncier, la
terre ne peut pas tre change contre de l'argent.
Dans tous les pays d'Europe, la production fodale est caractrise par le
partage des terres entre le plus grand nombre possible de gens assujettis au
seigneur. Le pouvoir du seigneur fodal, comme celui de tout souverain,
ne se mesurait pas la longueur du rle ou taient consignes ses rentes,
mais au nombre de ses hommes, lequel dpendait son tour du nombre de
paysans exploitant eux-mmes leur terre . 7
Comme nous ne voudrions pas que les dveloppements que nous tirerons de
ces prmisses semblent nouveaux ou originaux, nous rappelons galement, pro-
pos du rapport entre le sol et la monnaie, un passage fondamental du chapitre II :
Le capital moderne n'est donc pas la mme chose que la proprit en gnral
et il ne suffit pas d'abolir celle-ci, en thorie et dans le droit, pour l'avoir vaincu.
Le capital est une force sociale dont la dynamique a des aspects bien plus com-
plexes qu'un platonique droit de proprit. Il se prsente comme oppos la pro-
prit foncire traditionnelle, et l'un des principaux lments de l'antithse est que
la seconde est vritablement personnelle alors que le premier sort des limites des
pouvoirs d'un particulier :
dit Marx au chapitre IV pour tablir que la circulation mercantile a pour produit
final l'argent et que celui-ci est la premire forme sous laquelle apparat le capital
(que nous rencontrerons par la suite comme usine, machines, stock de matires
premires, masse salariale). Dans une des notes suggestives du texte il est dit en-
suite :
sion qui lui permet d'tendre les lments de son accumulation au-del des
limites apparemment fixes par sa propre grandeur, par la valeur et la
masse des moyens de production dj produits, dans lesquels il a son exis-
tence . 11
Quand ensuite Marx traite avec force dtails de la priode transitoire qui se si-
tue dans l'histoire anglaise entre la suppression de la servitude mdivale de la
glbe et le dmarrage brutal de la grande accumulation capitaliste, qui fonde la
richesse bourgeoise sur la diffusion d'une impitoyable misre des masses, une
autre note rappelle que la socit japonaise contemporaine, avec une organisation
fodale de la proprit foncire, flanque d'une petite proprit rurale trs rpan-
due, offrait une image plus fidle du moyen ge europen que les livres d'histoire
imbus de prjugs bourgeois.
Quant aux opportunistes de notre temps qui, dans leur incommensurable bti-
se, sont saisis d'horreur chaque fois que les formes mdivales sont sur le point,
prtendent-ils, de refaire surface, mettant en danger les conqutes de civilisation
de l'poque capitaliste, qui ne savent plus quelle sauce nous cuisiner les combi-
naisons btardes entre les idaux de la bourgeoisie et les revendications socialis-
tes, qu'on applique comme un soufflet sur leur face obtuse le trait final de cette
note de Marx : Il est par trop commode d'tre libral aux dpens du Moyen
ge 12 .
* * *
Mais bien vite la classe des capitalistes se vengea des humiliations, des bas-
tonnades et des moqueries en vainquant dans la rvolution sociale la classe des
nobles et des prtres, instaura sa propre domination et ne mit plus de frein l'ex-
pansion de ses forces conomiques. Le systme de la proprit fodale s'effondra
alors et l'acquisition des biens immeubles de la part des porteurs de capital mon-
taire, qui jusqu'ici n'avaient que trs difficilement pu satisfaire ce besoin particu-
lier, se rpandit de faon irrsistible. Tel fut l'un des caractres les plus importants
de la rvolution capitaliste qui parvint, toujours dans le style lapidaire de Karl
Marx, transformer la terre en article de commerce 16 et, de mme qu'elle put
se vanter d'avoir libr les travailleurs des campagnes de la servitude fodale et
les travailleurs des villes des liens corporatifs pour pouvoir en faire ses salaris et
ses exploits, elle put galement se vanter d'avoir incorpor la terre au capi-
tal 17 .
noble, et (ceci) pas tre fable. Prendre sabre . Jouany crit que le mufti par-
le en sabir, jargon parl sur les ctes de Mditerrane, mlange despagnol,
de portugais, ditalien et de maltais. Ctait, ajoute-t-il, la langue diplomati-
que.
16 Le Capital, id., p. 815. MEW, id., p. 752.
17 Le Capital, id., p. 825. MEW, id., p. 761.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 41
c'tait pour ces classes une autre prtention la domination et au prestige que de
conserver de trs vastes tendues de terre cultivable du pays pour leurs diffrents
buts de luxe, de divertissement, de chasse, de villgiature, de vie religieuse, etc.
alors qu'il tait urgent pour l'conomie bourgeoise de mettre le tout en culture soit
en vue d'ultrieurs investissements juteux ou en vue d'intensifier la production de
moyens de subsistances ncessaires l'arme des travailleurs industriels.
comptables. Dans un premier temps ce qu'on appelle frais gnraux est limit
puisque l'usine doit tout produire par elle-mme, lumire, chaleur, force motrice ;
les taxes elles-mmes que l'on paie l'tat sont trs rduites parce que dans les
premiers rgimes libraux la bourgeoisie applique pleinement la politique cono-
mique du laisser faire, laisser passer, et supprime toutes les limites et impts qui
peuvent tre un obstacle aux initiatives de production et de commerce. L'enregis-
trement comptable s'avre donc simple et unitaire et tout le bnfice rsultant de
l'excs des recettes sur les dpenses finit dans les poches du capitaliste qui n'a pas
besoin d'y prlever les loyers et redevances pour les terrains, les quipements et
les btiments qu'il utilise. Dans ce cas classique, primitif, le capitaliste dispose
aussi de liquidits assez abondantes pour pouvoir tre son propre banquier et ne
dbourse donc pas d'intrts du capital numraire dont il a besoin pour ses achats
de marchandises et les avances de salaires.
Pour l'conomie marxiste, toutes ces marges sont produites par le travail hu-
main et reprsentent la diffrence d'actif entre la valeur qu'il a produite et la som-
me infrieure que les salaris ont reu en change de leur force de travail.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 43
Dans tous ces cas, le propritaire du terrain, de l'aire, des btiments et mme,
dans certains cas, de l'outillage, est rtribu par des taxes locatives appropries, le
banquier qui a avanc l'argent reoit un intrt adquat pour les sommes prtes,
l'Etat et ventuellement d'autres organismes concessionnaires touchent taxes et
droits divers, et tout ce qui reste constitue le bnfice de l'entreprise elle-mme
que la comptabilit capitaliste tend mettre faussement en vidence comme quel-
que chose qui nat aprs que les diffrents capitaux, immeubles et meubles, ont
dj t rmunrs.
Le marxisme est venu prouver que cette troisime forme, maquille par les
apologies de classe en indice de progrs, de science, de civilisation, est, plus que
les deux autres, toxique et virulente, faisant crotre l'exploitation, la spoliation et
la misre. Le socialisme est tout entier dans la ngation rvolutionnaire de l'entre-
prise capitaliste et non dans la conqute de celle-ci par ses employs.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 44
Ces diffrents lments et leurs rapports se diffrencient dans les formes capi-
talistes modernes de manire trs diverse, mais c'est vraiment dans un rapport
conomique loin d'tre nouveau que nous trouvons des entreprises capitalistes
auxquelles ne correspond aucune forme de proprit immobilire, ni mme, dans
certains cas, un sige fixe, des machines et outillages valuables, alors que nan-
moins la dynamique du procs capitaliste subsiste pleinement et dans sa forme la
plus pure. Ainsi s'instaure une espce de divorce entre proprit et capital par le-
quel le second se mobilise toujours plus et la proprit se dilue, se dissimule, ou
se prsente mme comme proprit d'institutions collectives dans les tatisations,
socialisations et nationalisations qu'on prtend faire passer pour des formes de
gestion post-capitalistes.
NOTE :
le prtendu fodalisme de l'Italie mridionale
[La thse centrale des opportunistes selon laquelle en Italie il y aurait des res-
tes de rapports fodaux prdominants dans l'ensemble du Mezzogiorno reflte pas
seulement une tactique politique de compromis et de reniement du socialisme
classiste, mais se fonde sur une triple srie derreurs normes de fait propos de
la nature de lconomie et des relations sociales fodales, de lhistoire politique
du sud de l'Italie et de la situation de lagriculture mridionale.]
Les latifundia du sud et des les sont de grandes zones demi incultes o
l'homme ne peut sjourner et o l'on ne trouve ni fermes ni villages dans la mesu-
re o un urbanisme prindustriel et malgr tout nettement anti-fodal a regroup
la population dans de gros centres de plusieurs dizaines de milliers d'habitants,
comme dans les Pouilles et en Sicile. La population est surabondante, mais la ter-
re ne peut pas tre occupe par manque d'organisation et d'investissement en tra-
vail et en technique que, depuis des sicles, aucun rgime tatique qu'il soit na-
tional ou non - ne russit raliser ou ne trouve conforme aux exigences de la
classe dominante. Il n'y a pas de maisons, pas d'eau, pas de routes, la montagne a
t dnude, le rgime des eaux naturelles de la plaine a t drgl et la malaria
est omniprsente. L'origine de cette dcadence de la technique agricole est trs
ancienne, plus ancienne que le fodalisme qui, s'il avait t fort, l'aurait combattue
(de mme qu'au Moyen Age la bonification technique et conomique aurait mieux
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 47
Cependant, avant et aprs cette unification, le jeu des forces et des rapports
conomiques fut plus que conforme aux caractres de l'poque bourgeoise, consti-
tuant un secteur essentiel de l'accumulation capitaliste en Italie dont la limitation
est quantitative et non qualitative.
cants de btail, de laine, de bl, de betteraves, d'eau de vie, etc.; au rang de gens
qui ngocient des produits industriels comme tout commerant ! Ils ont beau tenir
leurs anciens prjugs, ils ne s'en transforment pas moins pratiquement en bour-
geois produisant le plus possible et au minimum de frais possible, achetant au
meilleur march et vendant au plus offrant. Le mode de vie, de production, d'ac-
quisition de ces Messieurs, fait apparatre le mensonge des chimres ambitieuses
qui leur ont t transmises. La proprit foncire, lment social dominant, sous-
entend un mode de production et de transport moyengeux . 19
Dans le sud de l'Italie existe un march de la terre trs actif avec une frquen-
ce de transferts certainement beaucoup plus leve que dans les provinces haute-
ment industrialises ; et c'est l le critre dterminant et crucial qui dpartage co-
nomie fodale et conomie moderne. Il s'accompagne d'un march non moins
actif des grands et petits fermages et naturellement des produits du sol. C'est jus-
tement l o la culture est latifundiaire et extensive qu'elle se pratique dans de
grandes units conomiques en employant exclusivement des salaris et des ou-
vriers agricoles, et, depuis de nombreuses dcennies, la figure du grand fermier
capitaliste, grand dtenteur de liquidits et de stocks, l'emporte conomiquement
sur celle du propritaire foncier, souvent en grande difficult financire et accabl
d'hypothques. Que ce soit l o le produit se rduit aux crales ou l o prvaut
l'levage zootechnique de type arrir et mme l'tat sauvage, non seulement le
capital meuble est entre les mains des grands fermiers et non des propritaires
fonciers, mais un grand nombre des premiers accaparent et exploitent fond les
terres appartenant divers propritaires, en en entranant parfois non la bonifica-
tion mais la dtrioration.
Pour les vrais marxistes, la lutte sociale dans le Mezzogiorno, non moins que
celle se droulant dans le cadre de l'tat italien en gnral, a mis l'ordre du jour,
avant, pendant et aprs les vingt ans 20 dont on nous rabat les oreilles, le dpas-
sement des dernires et des plus rcentes formes historiques de l'ordre capitaliste
et non plus la modernisation sur le modle transalpin de rapports et d'institutions
restes ractionnaires .
20 Ceux du fascisme.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 51
Chapitre V.
LA LGALIT BOURGEOISE
Lconomie capitaliste dans le cadre juridique
du droit romain
Au bas Moyen ge, dans presque toute l'Europe occupe par les conqu-
rants germaniques, on avait vu presque totalement disparatre le concept
de la libert de la terre qui avait fait la prosprit conomique de l'empire
romain. sa place le fodalisme avait prvalu, celui-ci avait t impos
par la ncessit pour les faibles de se dfendre contre les invasions des
Normands, des Hongrois et des Sarrasins, d'o le fait qu'ils se recomman-
daient un puissant, se reconnaissant en sa possession avec obligation de
redevance ainsi que de services personnels condition qu'il les dfendt
des plus grands malheurs ; ce qui explique l'apparition prcoce de la
maxime : Nulle terre sans Seigneur. Au contraire, le droit romain recon-
naissait comme unique origine de la possession le titre de proprit, sa-
voir le contrat librement stipul entre les ayants droit et portant sur le m-
me objet 21 .
Au dicton franais, que nous avons dj trouv chez Marx en regard de la de-
vise de l'conomie nobiliaire l'argent n'a pas de matre , s'oppose, dans les
rgions o le fodalisme ne s'est pas implant, la devise romaine : nulle propri-
t sans titre . Il ne sera pas inutile de noter que le pays dans lequel la sculaire
me, de corves, etc. Plus, d'une part, s'accroissait la population, plus, d'au-
tre part, augmentait le partage des terres - et plus le prix de la parcelle
montait, car le chiffre de la demande croissait avec son exigut 26 .
Cette position politique est celle que Marx, crivant en 1850, attribue aux so-
cialistes rvolutionnaires franais de 1848. Et c'est dans ce passage que l'on trouve
la phrase classique : les rvolutions sont les locomotives de l'histoire 28 .
29 Traduit par nos soins. MEW, t. 7, p. 446: Revue, Mai bis Oktober [1850] in:
Neue Rheinische Zeitung. Politisch-konomische Revue, Fnftes und
Sechstes Heft, Mai bis Oktober 1850.
30 Le Capital, Livre I, op. cit., p. 824-825. MEW, t. 23, id., p. 760-761.
31 Ital.: socialistame.
32 M. Scelba, l'poque Ministre de l'Intrieur.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 55
* * *
Ce retour l'difice juridique propre au droit romain qui suivit l'abolition des
systmes de droit fodal et germanique, ne signifie pas du tout, videmment, un
retour aux rapports de production et l'conomie sociale de l'poque antique. Il
suffit de rappeler quen Grce, Rome et dans les pays domins par elles, ct
de la dmocratie qui rendait gaux en droit les citoyens libres, l'esclavagisme tait
en vigueur, et qu'existait donc toute une classe contrainte au travail de la terre
dont les membres non seulement ne pouvaient pas aspirer en possder mais
taient eux-mmes considrs comme la proprit d'autrui, changeables contre
argent et transfrs avec l'hritage familial des matres. Quoiqu'il existt, parmi
les citoyens libres devant la loi, diffrentes classes, celle des grands propritaires
patriciens, des paysans propritaires de leurs petits lots de terre, pour la plupart
sans esclaves et donc travailleurs directs, des artisans et mme des marchands et
des premiers capitalistes dtenteurs de numraire, il est vident que la prsence
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 56
d'une classe exploite en bas de l'chelle sociale crait de tout autres rapports jus-
qu' mener aux grandes tentatives rvolutionnaires des esclaves.
Cela veut dire que c'est seulement dans l'abstrait que le droit rel, expression
thorique d'un rapport physique entre homme et chose, et dans notre exemple en-
tre homme et sol, semble cder le pas un systme prdominant de droits person-
nels propres l'poque mdivale et fodale, droits qui sont l'expression d'un rap-
port de force entre homme et homme (comme l'interdiction d'abandonner le fonds
cultiv ou de changer de mtier). En effet dans le monde romain le droit personnel
domine le large domaine social constitu par la production esclavagiste, tendant
le rapport de matre esclave jusqu'au droit de vie et de mort. Cependant le matre
a directement intrt maintenir la vie, la force et la sant de l'esclave, et Marx
fait la remarque suggestive que, dans la Rome antique, le villicus, comme rgis-
seur dirigeant les esclaves agricoles, recevait une ration infrieure celle de ces
derniers dans la mesure o son travail tait moins pnible (citation de Theodor
Mommsen) 34 .
La rvolution qui se place entre les deux res sociales - sous l'aspect conomi-
que de la chute de rendement du travail des esclaves par rapport leur cot, sous
l'aspect politique des rvoltes grandioses, la plus classique tant celle de Sparta-
cus tomb aprs deux annes de guerre civile dans la bataille qui se livra prs du
Vsuve, tandis que six mille des ses partisans taient massacrs, sous l'aspect
idologique de l'galit morale des hommes prche par les chrtiens - limina
vraiment dans une large mesure le jeu des droits personnels, en interdisant que la
personne humaine puisse tre traite comme une marchandise.
Mais en ralit, les formes juridiques garanties par le pouvoir d'tat et par ses
forces matrielles sanctionnent et protgent toujours des rapports de force et de
dpendance entre homme et homme, et le droit rel de l'homme sur la chose reste
une forme abstraite. Le citoyen Titus a pu devenir propritaire du terrain de Tul-
lius puisque il disposait de la somme d'argent ncessaire pour en obtenir le titre de
proprit en la versant au citoyen Sempronius puisque, sous le rgime de la libert
de la terre, le terrain de Tullius pouvait tre alin au gr du prcdent propritai-
re. Que signifie le titre de droit rel de Titus, libre citoyen d'une libre rpublique
bourgeoise, sur le libre terrain qu'il a achet ? Il signifie qu'il peut le fermer et,
mme sans supporter les frais d'une clture matrielle, il peut en exclure tous les
libres citoyens, y compris Sempronius, et, si certains passaient outre, son titre de
proprit lui permet d'en appeler aux forces de l'tat et mme, sous certaines
conditions, de les tuer. La libert de Titus et son libre droit de proprit, rpandus
par la philosophie ou le droit thorique, s'expriment dans le rapport personnel
consistant limiter, mme avec des moyens violents, les initiatives d'autrui.
35 Les ditions Iskra notent ici (Propriet e Capitale p. 52) quune ligne du
texte ayant manifestement saut dans cette phrase, elle a t reconstruite par
leur soin.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 58
* * *
Le christianisme abolit les castes, la rvolution librale abolit les ordres, les
classes subsistent non dans le droit crit mais dans la ralit conomique. Marx
dcouvrit non leur existence et leur lutte, connue et constate avant lui, mais le
fait qu'entre elles rgnent, davantage et pire qu'entre les antiques castes et les or-
dres mdivaux, cart conomique, antagonisme et guerre sociale.
Le troisime point dans sa relation avec le premier est non moins essentiel,
dans la mesure o la dialectique de Marx parvient tablir que les grands faits
historiques de la lutte des classes, de la dictature de classe, ne sont pas inhrents
toute socit et toute priode historique, n'ayant pas t dduits de spculations
vides sur la nature de l'homme ou sur la nature de la socit . L'homme
n'est par sa nature ni bon ni mauvais, ni propritaire ni esclave, ni autoritaire ni
libertaire, son espce n'est pas prdestine tre inluctablement classiste ou ga-
litaire, tatiste ou anarchiste! Bien loin et au del de toutes ces balourdises philo-
sophiques, l'cole marxiste, en enqutant sur les dveloppements successifs des
phases de la production, tablit que la classe proltarienne moderne, tant donns
les rapports sociaux dans lesquels elle se meut, est amene se servir de la lutte
de classe, de la violence rvolutionnaire, de l'tat dictatorial, pour rendre possible
le cours vers un systme de production et de vie collective toujours plus exempt
de servitude, de violence et de charpente tatique autoritaire.
Les vieux socialistes, et nous rappellerons entre tous le bon Constantin Lazza-
ri quoiqu'il ne ft pas un thoricien, de mme qu'ils vitaient de parler d'abolition
de la proprit en gnral, ne se limitaient pas la contradiction entre les ouvriers
salaris des usines et leurs patrons, et utilisaient la formule (les formules ont une
grande importance, et la clarification de Lnine, cit l'instant, suffit le prouver)
de : lutte contre l'ordre constitu de la proprit et du capital.
Dans la socit actuelle, les moyens de travail sont le monopole des pro-
pritaires fonciers (le monopole de la proprit foncire est mme la base
du monopole capitaliste) et des capitalistes. Les statuts de l'Internationale,
dans le passage en question, ne nomment ni l'une ni l'autre classe mono-
poleuse. Ils parlent du monopole des moyens de travail, c'est--dire des
sources de la vie. L'addition des mots sources de la vie montre suffi-
samment que la terre est comprise parmi les moyens de travail 38 .
* * *
Le rendement de la rente foncire a une limite assez basse par rapport l'en-
semble du patrimoine (montant de l'argent converti dans l'achat, valeur vnale en
libre commerce), et cette limite est fixe par la nature saisonnire de la production
agricole. Le produit brut ne peut tre augment dans le temps que jusqu' une cer-
taine limite, rduite mme pour le petit nombre de terrains trs fertiles et les cultu-
res les plus intensives. L'conomie doit donc parler toujours de rente brute et nette
annuelle, et la seconde, dans la plupart des cas, ne dpasse pas 5-6% de la valeur-
capital, patrimoniale, du fonds.
pleur encore plus grande qu'en tant que simple organisation productive dans de
grands tablissements et usines. Aucune limite saisonnire ou temporelle n'est ici
pose au cycle engendrant le produit brut et donc le profit net. Le rapport entre
celui-ci et la valeur patrimoniale de l'entreprise peut dpasser n'importe quelle
limite, et la rgnration de tous les facteurs du cycle reproductif peut avoir lieu
de trs nombreuses fois avant le terme annuel classique.
Une quantit dtermine de produit (nous nous sommes dj arrts sur le cri-
tre d'aprs lequel la vritable caractristique du privilge capitaliste est la pro-
prit du produit, davantage que la proprit du sol, des btiments et des machines
qui peut prsenter des rgimes trs varis), dont la valeur serait par exemple de 1
million de lires sur le march, pourra contenir, disons, neuf cent mille lires de
cots (loyers, intrts, amortissements, dpenses gnrales, traitements et salai-
res), le profit de l'entreprise tant alors de cent mille lires, et donc 10 % en quote-
part du produit ; le taux de survaleur selon Marx sera, si les salaires reprsentent
deux cent mille lires, de 50%.
Mais le cycle qui a engendr cette masse de produits peut se rpter d'innom-
brables fois en une anne d'exercice, et le bnfice de l'entreprise saccrotra de
faon vertigineuse, alors que la dpense annuelle pour les locations de biens im-
meubles et pour les intrts bancaires restera la mme. La valeur patrimoniale de
cette entreprise est une grandeur difficilement dfinissable parmi les innombra-
bles trucages et ruses comptables de la moderne spculation affairiste, elle dispa-
rat mme carrment puisque la valeur des installations et celle de l'encaisse appa-
raissent comme dj rmunres par les loyers et les intrts ports au passif.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 63
Avec ces critres de distinction entre les bilans patrimoniaux et les bilans de
gestion, il faut dchiffrer, ce qui n'est pas facile, la tendance historique de l'entre-
prise capitaliste, en tant que bien meuble, dans le bouleversement complexe de ses
formes modernes, et les rapports de celle-ci avec les formes de proprit foncire
et les sources de financement - formes dj connues par des conomies, d'un ct
plus anciennes, et de l'autre moins frocement exploiteuses des classes pauvres,
moins porteuses de dsordres, de contradictions et d'incessante destruction, dans
le mcanisme productif, de moyens socialement utiles, elles furent aussi les bases
de types de socit moins spoliatrices, sanguinaires et froces que la trs moderne
socit capitaliste.
NOTE
LE MIRAGE DE LA RFORME AGRAIRE EN ITALIE
Une quivoque fondamentale rside dans tout ce qui s'crit et se dit des fins
politiques au sujet de la transformation agraire, qu'elle soit prsente comme une
rvolution parallle la rvolution bourgeoise ou ouvrire, ou comme une rfor-
me dans le cadre de l'ordre tabli.
Les rvolutions brisent les anciens rapports de proprit et de droit qui entra-
vaient le libre jeu des forces productives dj prsentes, avec leurs prmisses
techniques dj dveloppes. Nous pouvons appeler rformes, dans un large sens
historique, les mesures radicales successives qu'un pouvoir rvolutionnaire rcent
ralise pour rendre pratiquement possible cette transition technique, mais dans le
sens commun et actuel les rformes sont les promesses continuelles de rapiage
en vue d'mousser et de masquer les contradictions, les conflits et les blocages
d'un systme qui vit depuis longtemps dans le cadre conformiste qui lui est pro-
pre.
Le fodalisme balay par les grandes rvolutions agraires n'tait pas un rseau
organisationnel dentreprises, il ne disposait pas de la production rurale ni ne la
grait techniquement, il l'exploitait seulement en prlevant des quotes-parts dues
par les paysans qui fournissaient tous les lments de la production, travail, ins-
truments, matires premires, etc. Les fiefs taient grands et mme immenses, les
exploitations, trs petites, dans la mesure o elles taient tenues par des familles
rurales, moyennes, dans la mesure o elles taient fondes par les premiers agri-
culteurs possdants, les premiers bourgeois de la terre, eux-mmes alors classe
opprime.
La rvolution, qui ne fut dans certains pays qu'une grande rforme, affronta
la base le problme juridique en balayant le droit du seigneur prlever ces quo-
tes-parts. Rien ne changea dans la technique d'organisation de l'exploitation dans
la mesure o le seigneur ne lui apportait aucune contribution organisationnelle,
n'ayant aucun savoir ni exprience de l'agronomie et du commerce, ou, s'il avait
des fonctions personnelles, elles taient militaires, de cour ou de magistrature.
Une volution et, dans certains pays, une srie de rformes de la technique de
gestion commencrent, non pas dans la mesure o la petite proprit s'carta
beaucoup des mthodes sculaires de culture mais o le capital apport la terre
permit la formation de la nouvelle proprit bourgeoise, et o, sur des surfaces
plus vastes, s'organisrent de moyennes et grandes exploitations diriges par des
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 65
En tant que haut fait rvolutionnaire, la dlivrance des paules rurales par la
chute du joug fodal n'advint d'un seul coup que dans la France de 1789 et dans la
Russie de 1917, accompagnant dans le premier cas la rvolution des capitalistes et
dans le second, celle des ouvriers. partir de ce point de dpart, l'volution de
l'organisation agricole se fit de manire diffrente et sous l'influence de diffren-
tes forces, et l'investigation portant sur la Russie, sur ses avances et ses reculs,
est particulirement intressante. Qu'il nous suffise ici de rappeler qu'en France la
formule juridique rvolutionnaire fut libert du commerce de la terre et en Russie
proprit nationale de la terre et concession de la gestion aux paysans. Mais
mme dans le second cas, on ne put empcher la naissance d'une classe de bour-
geois ruraux riches et moyens, et la lutte contre eux connut des hauts et des bas
dus au fait qu'il fallut tolrer dans une large mesure le libre commerce des den-
res.
Une autre donne distingue les deux grands phnomnes historiques : pour la
France, production intensive et haute densit de la population ; pour la Russie,
production extensive et basse densit. Une donne leur est peut-tre commune :
une distribution uniforme de la population rurale sur la surface cultive.
En Italie, comme nous l'avons dj dit, il n'y eut pas une libration importante
et simultane d'un servage fodal qui n'a jamais t socialement dominant. En
fonction des donnes techniques des diffrentes rgions, tous les types d'entrepri-
ses rurales vcurent dans une relative libert, des petites aux moyennes et grandes,
de celles fondes sur la culture intensive celles fondes sur les cultures extensi-
ves et toutes les formes de proprits prives, trs petite, moyenne et grande, col-
lective, sur des domaines publics et dans des communauts rurales, s'y entrecroi-
srent. Une grande bataille pour soulager les exploitations et les classes rurales du
poids des systmes de droit seigneurial ne fut pas ncessaire et n'eut pas lieu ; l
o de telles formes fodales apparurent, elles furent combattues tour tour par des
Communes, des Seigneuries, des monarchies et les administrations trangres
elles-mmes.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 66
Les vicissitudes furent trs complexes et nous nous limiterons citer encore
l'auteur, certes non marxiste, dont le nom importe peu, mais qui, ayant travaill
toute sa vie sur les problmes de l'agriculture italienne - montrant qu'ils sont ceux
des agriculteurs ne le fit pas pour obtenir des postes politiques pour lui ou pour
les siens :
Nous esprons ne pas avoir lass avec la mthode historique, mais que voulez-
vous !? Quand les feuilles de choux de toute tendance, parlent, toutes les dix li-
gnes, de baronnie, de fodalit ainsi que de bourgeoisie, la pauvrette, et de capita-
lisme, le malheureux, qui n'arrivent pas se dvelopper librement dans ce foutu
pays mdival (si c'tait vrai !), il faut sans cesse enfoncer le clou ... et nous
voyons aujourd'hui quel point nous en sommes dans les choses essentielles.
lambeaux de plaines littorales avec sable et dunes, zones marcageuses, etc. C'est
ainsi que la partie la plus fertile des terres, sur laquelle se concentre la majeure
partie de notre population, se rduit considrablement, avec des territoires qui
alimentent 3, 4, 500 habitants sur un kilomtre carr et parfois mme 700 et 800.
Pour cette raison l'affirmation frquente chez les perroquets selon laquelle il
existe encore chez nous des terres incultes tendues susceptibles de colonisation
avantageuse ne doit tre accepte qu'avec une trs grande prudence. Il ne manque
certainement pas de terres mal cultives et la production agricole italienne est
encore susceptible de saccrotre. Mais les chiffres exposs ci-dessus prouvent
que la question des dites "terres incultes" a une importance trs relative, sinon une
population aussi dense ne pourrait exister chez nous 43 .
Mme les perroquets savent que de 1921 1949 les chiffres ont chang. En
effet sur 301 000 kilomtres carrs 278 000 sont productifs, c'est--dire dans le
mme rapport d'environ 92%, alors que les habitants sont dsormais au nombre de
45 millions, et les chiffres de la densit ont mont 150 et 162, c'est--dire de
15% !
Parmi les sacrifices alimentaires des annes de guerre et les donations intres-
ses de denres agricoles du temps de l'UNRRA et de l'ERP 44 , il parat vident
que la productivit agricole, tant de la petite quantit de moelle que de la majorit
d'os dont est constitue la Botte, a connu, aprs quipement, les quelques augmen-
tations de rendement dont elle tait capable. Quant la population, elle ne songe
pas arrter sa propre croissance qui, en l'anne 1948, a dpass le demi-million
d'units, atteignant l'augmentation relative de 10, 11, 12 pour mille. L'excs an-
nuel des naissances sur les dcs dpassait de peu huit pour mille au temps des
exhortations dmographiques de Mussolini auquel les blagueurs d'aujourd'hui
accordent des facults et des pouvoirs, bons ou mauvais, dont il fut totalement
dpourvu. Il passa pour celui qui interdisait l'migration, ce qui ne fut qu'une fai-
43 Id., p. 7-8.
44 U.N.R.R.A.(United Nations Relief and Rehabilitation Administration) : or-
ganisme des Nations Unies pour venir en aide aux pays ayant souffert du
fait de la seconde guerre mondiale . E.R.P.(European Recovery Programm) :
plan de reconstruction europen aprs la seconde guerre mondiale.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 69
ble mesure tactique de rtorsion face aux grands pouvoirs capitalistes qui ferm-
rent la porte au nez des travailleurs italiens. De toute faon, mme cette soupape
de scurit ne fonctionna pas comme dans le pass : entre 1908 et 1912 l'migra-
tion atteignit le maximum de 600 000 travailleurs par an (vingt pour mille); aprs
la guerre, dans les annes 1920-1924, elle reprit au rythme de plus de 300 000
pour ensuite diminuer fortement ; il semble que l'anne dernire elle soit revenue
137 000, mais il s'agit en grande partie de travailleurs temporaires (trois pour
mille).
Il n'est pas facile de se promener dans le jardinet des statistiques... Dans les
rcentes discussions de la rforme Segni portant sur les contrats agricoles, les
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 70
Des chiffres plus rcents de Serpieri 46 , source qui fait indubitablement auto-
rit s'il s'agit de comparer la situation avant et aprs le Risorgimento, augmentent
de beaucoup le nombre des propritaires auxquels s'ajoutent un nombre important
d'usufruitiers emphytotes 47 et autres ; et aprs avoir plus ou moins confirm la
proportion de fermiers et de mtayers, ils font descendre celle des journaliers et
ouvriers agricoles seulement 30% des agriculteurs.
Si l'on part des recensements de la population, il faut remonter ceux des fas-
cistes qui tentrent un inventaire socialo-corporatif des professions et des situa-
tions conomiques. Mais il n'est pas facile de lire dans les dclarations le nombre
de propritaires, de trier entre propritaires urbains et ruraux, ni d'valuer si, pour
le mme bien, tous les membres de la famille du propritaire, femmes et mineurs
compris, sont dclars comme agriculteurs propritaires.
Pour cette raison, les meilleurs auteurs de traits expliquant le sens des statis-
tiques sur la surface des proprits en rapport au nombre de propritaires, avec les
quantits correspondantes, nombre de ttes, superficies, ou valeurs agricoles (qui
se prtent au petit jeu traditionnel de la propagande : 1% possde 50% de la terre
et les 80% doivent se partager progressivement les 20% peine de la superficie),
ou dautres font des tableaux de pays imaginaires. Supposez le systme de la pro-
prit juridique du sol, du libre commerce de la terre et de la transmission hrdi-
taire, et vous ne pourrez avoir une rpartition diffrente de celle-l, ou tendant
irrsistiblement reprendre cette forme si des interventions extrieures l'en car-
tent, de telle sorte que cette progression alarmante du systme, beaucoup de terres
trs peu et trs peu de terres beaucoup, d'une part est un effet arithmtique de
perspective, de l'autre est la caractristique du rgime civil de la terre libre dans
un pays libre.
connu qui fait parfois voisiner peu de kilomtres la grande proprit extensive et
la minuscule proprit familiale, la grande et la moyenne ferme moderne bien
quipe et la petite exploitation de colline. La varit de choix de rgion rgion
est incontestable si on veut en induire la ncessit de traiter le problme technique
rgionalement, mais, mme sans vouloir prendre au srieux la politique agricole
contingente d'aujourd'hui, on pourrait relever que la varit de la gamme rgiona-
le et ses tranges contrastes sont justement un motif pour combattre les inconv-
nients des cas extrmes par un programme unitaire national...
Avant de s'arrter un moment sur ces deux flaux avec leurs donnes relles,
relevons tout de suite combien il est absurde que l'opposition ne sache opposer,
mme des fins de manuvres et de sabotage polmique, lorientation domi-
nante du parti de la dmocratie chrtienne en faveur du fractionnement des pro-
prits, de la stupide utopie du tous propritaires et sa perspective inepte d'at-
tribuer aux paysans pauvres des lots de terres incultes - qui sont des terres inculti-
vables et que tout agriculteur, peut-tre analphabte mais connaissant les rudi-
ments du mtier, refusera mme si on lui en fait cadeau - la critique bien autre-
ment fonde de lmiettement des terres en exploitations trop petites et restes
attaches des mthodes sculaires et primitives de gestion.
Tous propritaires : prenons donc les 270 000 km2 et rpartissons-les entre les
45 millions d'Italiens. Chacun aura trois cinquimes d'hectare, un espace qui, sil
tait carr, ferait un peu moins de quatre-vingts mtres sur quatre-vingts. Le gril-
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 73
moyenne un plus grand nombre de coparticipants lhritage que dans les grandes
proprits, et que dautre part la dure de vie moyenne de ces agriculteurs, travail-
leurs acharns et qui ne s'pargnent gure, est ncessairement infrieure celle
des classes aises. Les transferts de proprit pour cause d'hritages y sont donc
plus frquents et ces derniers sont ensuite diviss de manire ce que chaque h-
ritier ait son lot de terre, tandis que d'autre part, fait gnralement dfaut la mobi-
lire au moyen de laquelle, dans les classes aises, on liquide les parts de certains
cohritiers. [...]. Cest pourquoi la petite proprit tend se diviser beaucoup plus
rapidement que la grande, avec le grave inconvnient qu'ensuite chaque cohritier
exige sa part de semences, de vigne, d'oliviers, etc., de telle faon que se forment
des pices de quelques ares ou mme de quelques mtres carrs et des lots com-
poss de diffrentes parcelles situes en des endroits du territoire communal trs
loigns les uns des autres. On comprend tout de suite quel norme gaspillage de
temps, d'nergie et de travail provoque ce morcellement.
Il existe en Sardaigne des lots de terre si exigus queut lieu avant-guerre une
expropriation fiscale pour des taxes impayes de 5 lires !
Interrompons par souci de brivet le reste du tableau, avec les invitables en-
dettements usuraires, la misre, le manque de logement, et la description des r-
gions les plus pauvres, qui nexistent pas seulement dans des rgions de Campa-
nie, des Abruzzes ou de Calabre mais aussi d'milie et des monts de Vntie
qui, en raison de la division de la proprit, pourraient tre qualifies de pays
dauthentique dmocratie rurale . Dmocratie toute dsigne en effet pour tre
chrtienne, et le meilleur terrain de semailles politiques pour le gouvernement
actuel.
Ce que l'on ne veut pas comprendre, c'est que labolition ventuelle du titre ju-
ridique de proprit ne revient pas crer une unit de culture plus petite et orga-
nise en lotissements productifs, puisque toutes les causes qui ont donn naissan-
ce au phnomne du latifundium persistent. On ne peut que retomber dans un
morcellement qui, dj dommageable sur une terre fertile, est catastrophique sur
une terre strile et ramnerait une situation pire, et le plus souvent la reconsti-
tution du latifundium si l'on ne supprime pas la libert d'acheter et de vendre.
surmontables car dues la nature gologique des terrains. En Sicile par exemple,
les vastes formations d'argile de l'ocne sont inadaptes la sylviculture et ne
permettent que la culture extensive du bl ; peu de distance de ces contres, dans
la province de Messine, situe sur des formations granitiques, et dans la province
volcanique de Catane prdominent les cultures intensives et fractionnes. Le ca-
ractre endmique de la malaria due au dsordre hydraulique des pentes de mon-
tagne et des fleuves de plaine, la population clairseme, et les raisons historiques
plusieurs fois rappeles, invasions ctires et scurit insuffisante jusqu' une
poque peu loigne, ont eu galement de linfluence. Epoque si peu loigne que
les librateurs et bienfaiteurs amricains eux-mmes, peine arrivs en Calabre,
et une fois liquide la milice forestire fasciste pour d'videntes raisons de morale
dmocratique, ventrrent grande chelle les forts sculaires de l'Apennin cala-
brais en guise de butin de guerre ; ils aggravrent ainsi de faon irrparable la
plaie du dversement des eaux non rgularises vers les basses plaines littorales
dfavorises et malsaines. Ils accoururent ensuite avec le D.D.T...
ils nhabitent jamais sur le terrain cultiv, mais s'y rendent de trs loin
quand les exigences de la culture et des rcoltes le rclament, ils se rfu-
gient dans des meules de paille, des cavernes, des grottes, ou mme dans
de grandes pices ou sous des hangars avec les consquences que nous
avons dj signales ... 51 .
Ces cultivateurs vivent dans des conditions pires que les journaliers, tandis
que d'autre part ils ne pourront jamais parvenir organiser une agriculture moins
extensive par manque de capital d'exploitation.
Nous ne ferons pas une revue des propositions de lois italiennes et trangres
tendant temprer au contraire le morcellement de la proprit agricole, puisque
notre objectif nest certainement pas de proposer une rforme dorientation
contraire celle du gouvernement, mais simplement de remarquer que les techni-
ciens trs friands de situations concrtes et contingentes n'y ont pas pens.
Convaincus que la rvolution agraire russe a t une attribution de lots en pleine
proprit, ils ne vont pas plus loin que le bout de leur nez et ne savent que reven-
diquer la rpartition des terres aux paysans, et mme aux ouvriers agricoles, mais
oui, eux aussi, et pas en gestion collective, indniablement, mais individuelle,
pleine et entire ; telle est la dernire consigne du Kominform comme il ressort de
tant darticles de l'Unit sur la question agraire et les problmes mridionaux.
Qu'en Russie on n'ait absolument rien loti ni expropri mais seulement aboli les
privilges fodaux de la noblesse et du clerg, en soulageant de cette chape de
plomb les petites exploitations existantes dont les limites, dans un premier temps,
ne bougrent pas, puis quon tenta, sans grands succs, de regrouper en exploita-
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 78
tions plus grandes, d'tat ou coopratives ; que donc le problme historique ait t
tout autre, cela ne dit rien ces auteurs, pas plus que la proportion de montagnes
et de plaines en Russie ; la densit de population qui est de 9 habitants par kilom-
tre carr est de 30 en Russie dEurope au lieu de 150 chez nous ; le rapport des
terres cultives la superficie totale est de 25% au lieu de 92 chez nous, malgr
l'immense plaine et sans compter la Russie dAsie, et c'est seulement sur les terres
noires dUkraine que ce pourcentage monte 60% ; l'inexistence dans la pratique
de la classe des salaris agricoles non fixes, etc. etc. ; et tout ceci parce que ces
messieurs ne poursuivent plus dobjectifs suprieurs et de principe, mais se sont
consacrs l'tude des conditions de vie concrtes et immdiates du peu-
ple ... !!
Mais le critre de choix des quelques richards plumer importe peu. La ques-
tion est que faire de la terre qui leur a t enleve, mme si ce n'est qu'en partie -
dans ce cas il est facile de prvoir qu'ils toucheront une bonne indemnit et que
les rsidus qui affligent toute grande exploitation ne leur pseront plus sur
lestomac - et comment l'quiper pour en rendre possible la gestion par le libre
paysan, dans la nouvelle dmocratie rurale et chrtienne. Quelqu'un devra appor-
ter le capital d'exploitation et un capital encore plus important pour la bonifica-
tion. C'est l le point essentiel. Le bnficiaire individuel ou collectif ne pourra
certainement pas le faire. L'tat renverra aux habituelles lois spciales, comme
celles sur la bonification des terres agricoles qui mettront de faibles crdits la
disposition des habituels vieux roublards, alors que d'autre part lEtat n'est en me-
sure de subvenir non seulement aux nouveaux investissements pour des quipe-
ments agricoles ni mme la rparation de ceux qui ont t endommags par la
guerre. Le capital international et celui des fameuses subventions et plans amri-
cains encore moins puisque le critre de base est d'investir dans des cycles brefs -
le plan Marshall prend fin officiellement en 1952 - et tout fait rmunrateurs.
mercenaires. Ce n'est pas non plus le cas de la Russie qui n'aura pas l'Italie dans
sa sphre et n'a pas d'intrts conomiques dominer des pays ayant une grande
densit de bouches nourrir ; et de toute faon elle n'exporte pas de capitaux mais
doit en importer et joue militairement et politiquement mettre profit les inves-
tissements du capital occidental en marge de la guerre froide. Enfin ce n'est pas
non plus le cas si l'Italie est assujettie une constellation mondiale fonde sur
l'entente des deux ou trois grands qui se lanceront dans la colonisation de tous les
continents et ocans plutt que de peser sur le dos osseux de l'Ausonie 52 .
tienne, aprs le flirt d'hier, jetteraient la face des Segni l'argument selon lequel
tout effort rformiste vient confirmer que le rgime capitaliste ne doit pas tre
amend mais ananti ? Fi donc ! Ils leur crient qu'il faut rformer, dmembrer,
morceler davantage, faire prolifrer encore plus la gnration des dmocrates ru-
raux qui, en tant des effectifs aux forces rouges de la lutte de classe dans les
campagnes, gloire de l'histoire proltarienne italienne, crera des phalanges
d'lecteurs pour les listes du gouvernement, des armes de conscrits pour l'tat
major de l'Amrique dans son Entreprise contre la Russie.
Non moins difiant que le sujet de la rforme foncire est celui des contrats
agricoles. Les antifascistes de toutes nuances se prsentrent avec de terribles
promesses de rformes quand ils prirent des mains du fascisme l'Italie bancale,
sans comprendre que les seules tentatives possibles de rformisme dans le monde
d'aujourd'hui sont base politique totalitaire. Ni le nazi-fascisme, ni le stalinisme
ne sont des rvolutions, mais ils sont des rformismes srieux et ils en ont donn
des exemples probants. Le rformisme de la nouvelle Italie se contente dtre la
mouche du coche 54 . Les antifascistes avaient promis l'tude de trois grands sec-
teurs : rforme de l'tat, rforme industrielle et rforme agraire. Majorit et oppo-
sition, en lesquelles le bloc des comits de libration d'alors s'est divis, avec des
orientations contradictoires, se croisant dans tous les sens, et avec des ralisations
inexistantes, donnent chaque jour la preuve de leur vacuit et n'arrivent mme
pas, dans leurs chamailleries, suivre, dans le domaine de la phrasologie, la
boussole des positions sociales et politiques.
Ils jugent bon par exemple de dfendre, pour attraper des voix, la cause du
travailleur et embrassent celle du patron, et si par hasard ils pensent briser des
lances en faveur de la bourgeoisie et des classes moyennes, ils tendent un bton
pour se faire battre.
54 Ital. : fa sudare i rinoceronti, litt. : fait suer les rhinocros . Les rhinoc-
ros, avec leur peau paisse, tant censs ne pas suer, cette expression semble
dsigner une action vaine et voue lchec.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 82
res, autrement dit que chaque anne le fermier livre une quantit donne - quel
que soit le produit brut, puisque nous sommes toujours dans le cas du fermage et
non dans celui du colonat partiaire 60 - d'une ou plusieurs denres. Ainsi le pro-
pritaire se met l'abri des oscillations de la valeur de la monnaie et de la dgra-
dation de son revenu rel qui suit l'augmentation gnrale des prix, comme c'est le
cas aprs les guerres. Mais de nombreux propritaires ne trouvent aucun avantage
recevoir des denres attendu que, dans le cas du grand fermage, il s'agirait d'une
masse considrable de marchandises aises transporter, conserver, etc.. Dans
lintention galement de se mettre l'abri des changements de valeur de la mon-
naie, on tablit que le loyer sera pay en argent, toutefois la somme nest pas fixe
mais correspond plutt au cours de l'anne d'un produit conventionnel - bl, ri-
zon 61 , chanvre - de ceux, le plus souvent, qui sont officiellement cots par l'tat,
en quantit donne relative l'tendue du fonds. On entend dire que le loyer est
de quatre quintaux de bl lhectare, mais il peut arriver que le fermier ne livre
pas de bl, et mme quil nait pas cultiv ni rcolt un seul grain de bl sil prati-
que llevage ou sme d'autres plantes. On pouvait dans le mme but stipuler un
loyer en dollars ou en livres d'or tout en sachant qu'on n'a pas encore trouv l'ar-
bre qui porte ces fruits. Eh bien, en rduisant de moiti ce loyer aucun paysan
travailleur na gagn quoi que ce soit puisque, par sa nature mme, le systme ne
s'applique pratiquement jamais au petit fermage, et des entrepreneurs agricoles
beaucoup plus riches que leurs propritaires et parfois propritaires eux-mmes
d'immenses biens immeubles urbains et agricoles encaissrent des millions. Il est
croire que les Solon d'aujourd'hui n'ont pas encore compris ce rapport simple.
Dans le cas du mtayage, on a bris bien des lances populaires en faveur des
mtayers sans tenir compte que mme parmi eux il y en a qui, en qualit
demployeurs, engagent un personnel salari. Pour les dfendre on a voulu aug-
menter la quote-part du produit allou au mtayer. Mais en Italie les contrats de
colonat partiaire sont de type trs varis selon les cultures, avec diffrents taux de
rpartition et davances de frais et taxes la charge des contractants, de sorte que
l'on a cr le pire fatras qui soit. gauche on a clam, jusqu' un certain point,
60 Cf. le paragraphe sur le colonat partiaire dans Les seconds rles dans le
drame de la terre, il Programma comunista no 10, mai 1954.
61 Riz non dcortiqu.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 84
que cette forme de contrat devait disparatre comme tant de type fodal. Nous en
sommes toujours l : le parti proltarien et socialiste ne serait pas fait pour trans-
former le capitalisme en socialisme - au moyen de caresses ou coups de nerfs de
buf, c'est l une autre question - mais pour veiller ce que le capitalisme ne re-
devienne pas fodalisme. Pas pour couvrir de honte, donc, mais pour louer l'idole
capitaliste ainsi purifie... De toute faon l'argument, faux dans son principe, est
aussi faux dans les faits :
De toute faon, cette ide fixe du fodalisme peut tre une bvue historique
due une phobie infectieuse, mais la plus grosse est celle du rformateur qui ne
voit pas que les bnfices vont dans la poche oppose celle qui lui tient coeur.
La gauche socialo-communiste, en votant contre l'augmentation du fermage dans
un rapport de un dix, tait convaincue d'agir en faveur d'une masse de paysans
travailleurs qui sont redevables du fermage ou de lemphytose aux grands pro-
pritaires. Ces cas existent bien, mais les emphytotes ne sont que quelques mil-
liers, et en vrit les fermages sont si bas que, par effet de relativisme conomi-
que, ils sont en effet des privilgis par rapport tout autre type de gestion agrico-
le, si bien que la nouvelle charge n'est certes pas prohibitive. Mais dans la plupart
des cas, ce sont des propritaires qui possdent une autre terre titre d'emphyto-
se et qui la grent en la louant ou en ayant recours au colonat comme les autres.
Le faible bail emphytotique va des communes, des institutions d'assistance, ou
des communauts religieuses, qui ont vu dans de nombreux cas leur rente annule
par l'inflation. S'il avait t possible de bloquer le dcret rationnel du gouverne-
ment, la grande masse des loyers qui seront pays en plus cette anne [1949] se-
rait alle justement dans les poches des propritaires fonciers, qui on veut au
contraire faire du tort, qu'on veut mortifier et frapper en tant que classe rtrograde
et parasitaire...
Ils nous embtent depuis trente ans en prtendant qu'ils s'appliquent scruter
les problmes concrets, mais dans tous les cas ils ne font que sen donner lair. Ils
ne savent pas, par exemple, combien de grosses proprits mridionales culture
extensive sont nes en accumulant des parts emphytotiques achetes bas prix
aux paysans pauvres, et combien les propritaires ont trouv avantage ce que le
fermage soit encore pay en lires du premier avant-guerre et parfois mme libell
en fraction de lires. Ds le dbut, tout modeste stagiaire soccupant de limpt
foncier tenait compte de ce prvisible rajustement des fermages. Tous ces ph-
nomnes sont des produits du rgime civilis de la libert de la terre dont les ef-
fets resteront inchangs jusqu' ce que saute la libre baraque foraine du capitalis-
me bourgeois.
Chapitre VI.
LA PROPRIT CITADINE
Le capitalisme et la proprit urbaine
des difices et des sols
Il est vident que les premiers groupements de btiments stables neurent pas
pour origine les exigences immdiates de la technique productive non agricole,
puisquen effet en ces poques moins avances la premire manufacture tait tout
fait compatible avec l'parpillement de la population et l'utilisation des marges
journalires et saisonnires de la vie de l'agriculteur. Plus donc que les premires
formes de l'artisanat et de la fabrication de produits non naturels, ce furent les
exigences de l'organisation sociale, politique et militaire qui dterminrent la
naissance des premires villes. On peut donc penser que l'espace urbain est n en
rgime collectif, et que c'est seulement aprs qu'il se brisa en domaines particu-
liers, en rponse aux ncessits d'administration, de dfense, de domination, en
rapport avec les masses parpilles ou des bandes d'envahisseurs, toute la ceinture
urbaine appartenant donc au roi, au tyran, au chef militaire, aux premires formes
d'tat et parfois des castes sacerdotales. C'est ce que veut dire la lgende de
Romulus et Remus traant l'enceinte des murs de Rome et en transformant le
premier outil agricole, laraire, en instrument de construction. Les exigences de
dfense fortifie jourent ensuite leur rle ; la polis grecque avait en son centre
l'acropolis ou citadelle ; un des noms latins de la ville est oppidum, qui signifie
lieu fortifi, tandis que civitas est un terme juridique dsignant l'tat plus qu'une
indication topographique.
fodaux apparurent et autour d'eux ou leurs pieds les bourgs se massrent, abri-
tant d'abord des serfs et des domestiques, puis peu peu des matres artisans et
des marchands indpendants.
Cest peut-tre l'Italie, suivie des Pays-Bas, qui donna les premiers exemples,
la fin du Moyen ge, de grandes villes de type moderne. Les grands palais et les
ensembles imposants de maisons particulires, ne portent pas seulement les noms
et les armoiries des grandes familles nobles, mais appartiennent des firmes
cres par des plbiens qui ont accumul dans la banque, le commerce, la navi-
gation, les premiers gros capitaux et qui en ont investissent une partie importante
dans les constructions urbaines, tandis que les plus importants matres artisans
deviennent propritaires de l'immeuble qui abrite leur atelier, comme ce fut le cas
du boutiquier de Rome pour sa taberna 68 .
* * *
Quoique les mmes rgles du droit fixent l'organisation du march des terrains
agricoles et des sols urbains, en tablissant l'quivalence entre la valeur immobi-
lire de ceux-ci et la somme d'argent en laquelle elle se convertit, les deux faits
sont trs diffrents dans la ralit conomique.
Bien diffrents sont les phnomnes qui influencent le march des sols ur-
bains et de tout ce qui est construit dessus. Dans la production agricole il existe un
certain quilibre entre, dune part, son importance comme patrimoine de qui
senorgueillit dun titre de proprit, et de lautre comme contribution la produc-
tion : les rgimes terriens n'taient pas les plus prdateurs. Dans l'conomie indus-
trielle, les valeurs des produits et la masse du profit s'accroissent normment
alors que les valeurs patrimoniales des proprits restent limites.
Le complexe organisme urbain volue dans des directions qui toutes condui-
sent augmenter le prix du terrain btir. Avec l'augmentation progressive de
l'intensit de la circulation sur les voies, bien que la vitesse accrue des vhicules
facilite le passage d'un nombre de personnes et dun volume de marchandises
suprieur dans un mme temps, l'largissement des voies s'impose et chaque
transformation les lots d'habitation deviennent plus petits. Dans le mme temps,
le progrs de la technique permet d'en augmenter la hauteur et sur la mme surfa-
ce on a donc un plus grand nombre d'tages, de pices et d'habitants. La mise
profit du terrain et le bien quon en tire ayant ainsi t accrus, le prix de vente que
le propritaire en demande augmente. Selon les critres de l'conomie en vigueur,
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 93
on estime la valeur d'un terrain btir en calculant quelle sera la rente du plus
grand difice possible et on en dduit les frais pour raliser la construction, les-
quels se rvlent en gnral infrieurs la valeur prcdemment fixe de l'difice.
La diffrence est une prime qui revient au propritaire du sol, lequel est une va-
leur foncire, de nature diffrente de celle des biens immeubles ruraux, mais qui
cependant engendre lui aussi une rente quand le propritaire du sol reste le pro-
pritaire de l'difice.
Notons pou clarifier que dans la location de logements, une fois les maisons
construites, il n'apparat ou ne figure aucun profit d'entreprise comparable celui
du fermier agricole qui paie un loyer au propritaire du fonds et pourvoit ensuite
l'exploitation et la culture de celui-ci, en restant propritaire du produit.
de la maison peut ne pas tre propritaire du sol sur lequel elle est construite. Des
rgles juridiques dtermines autorisent en effet le permis de construire sur le sol
dont le propritaire reoit un loyer de la part du constructeur et du propritaire de
la maison. Des formes semblables et fort intressantes, soit dit en passant, se r-
pandent loccasion de constructions et dinstallations ralises leurs frais par
des spculateurs privs sur des sols qui ne sont pas eux mais au Domaine, c'est-
-dire la proprit d'organismes publics (communes, provinces, tats), ce qui
aboutit la concession, institution qui est en train de se rpandre considrable-
ment, comme type de capitalisme sans proprit.
Le propritaire de l'immeuble tire ses recettes des loyers ou baux que les loca-
taires lui versent priodiquement. Ce revenu n'est pas du tout ternel ni constant et
n'est pas entirement sa disposition. ce revenu, qu'on a l'habitude d'appeler
rente brute, sopposent toute une srie de dpenses : frais de garde de l'immeuble
(concierge), d'clairage et de nettoyage des parties communes aux locataires (en-
tres, escaliers, etc.), dentretien des parties dlabres ; frais gnraux d'adminis-
tration et autres frais divers. Dans la plupart des cas, il faut ajouter une quote-part
moyenne pour les logements inoccups ou les loyers non encaisss. Et enfin pour
faire face la dgradation de l'immeuble, il faut mettre de ct ce qu'on appelle la
cote d'amortissement, c'est--dire une annuit priodique qui, pargne, permette
daccumuler la somme dpenser pour reconstruire l'immeuble neuf lorsque son
cycle de vie est achev. Une fois tous ces frais additionns et leur montant dduit
de la recette brute, ainsi que les taxes payer aux organismes publics, il reste le
revenu net effectif dont le propritaire est libre de profiter. Il est habituel de tirer
la valeur patrimoniale de l'immeuble de celle du capital qui, aux taux d'intrts en
vigueur, reproduirait la rente nette. Une analyse plus approfondie montre qu'un tel
procd sexpose de nombreuses erreurs parce qu'il admet la constance dans le
temps de nombreuses conditions qui en fait sont variables.
Nous avons rappel tout cela pour montrer, par une comparaison facile, les
diffrences conomiques et sociales entre l'entreprise que gre le propritaire de
logements et les entreprises productives classiques de l'agriculture et de l'indus-
trie. Celles-ci fondent leur gain d'exploitation sur la ralisation de produits qu'el-
les fabriquent et mettent continuellement sur le march. Grce ce gain brut, elles
peuvent ainsi acquitter les diffrentes dpenses parmi lesquelles deux catgories
trs importantes et qui sont pratiquement absentes chez le propritaire de loge-
ments : l'acquisition de matires premires travailler ; la rmunration de travail
salari. Donc, dans le rapport de location, trois lments font dfaut : production
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 96
Dans l'actuel mcanisme des rapports entre les contractants, ces particularits
du rapport de location produisent des disparits pratiques et juridiques sensibles.
Elles se rduisent au fait matriel que le producteur agricole ou industriel tient
fermement en main sa marchandise et que, pour lui faire lcher prise, il faut en
principe sortir son argent. Cette marchandise particulire qu'est la possession de la
maison, mme si nous voulons la qualifier de produit, est entre les mains du loca-
taire et non du propritaire ; si le locataire ne paie pas, il faut mettre en action un
complexe mcanisme juridico-policier pour le mettre dehors. C'est l-dessus que
se fondent les sottises et la dmagogie de la lgislation bourgeoise sur le logement
en temps de crise, ainsi que son exploitation de la part des partis populaires et
pseudo-socialistes. Toutefois, avant d'lucider ce point, il nous faut prouver en
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 97
premier lieu, pour illustrer notre thse selon laquelle le rapport de location n'est
pas un rapport capitaliste, que nous n'avons profr ni hrsie ni stupidit, et en
second lieu que nous n'avons vraiment rien dcouvert de nouveau.
* * *
Lnine, dans son crit cardinal L'tat et la Rvolution, cite longuement les
uvres de Frdric Engels, comme Origine de la proprit, de la famille et de
l'Etat et La science bouleverse par Monsieur Eugne Dhring, mais dans le cha-
pitre IV il se rfre un travail du mme auteur, bien tort moins connu et moins
utilis par la propagande socialiste. Le titre de l'ouvrage est La question du loge-
ment. Lnine se sert de ce qu'Engels a crit sur le programme des communistes en
matire de logement pour mettre en vidence avec sa perspicacit habituelle les
tches de ltat aux mains des travailleurs, les analogies et les diffrences entre
cet tat de demain et l'actuel tat de la bourgeoisie quant la forme et quant au
contenu de leurs activits. La proccupation de Lnine est de parvenir deux so-
lides principes. Primo : l'tat qui sortira de la rvolution est une machine neuve et
diffrente qui se formera aprs avoir abattu et bris la machine de l'tat actuel ;
secundo : les fonctions de cette nouvelle machine de pouvoir et son intervention
de classe dans le corps de la vieille conomie se drouleront de telle faon que
l'on nait pas craindre (comme les libraux et les libertaires l'insinuent) que sur
ce nouveau pouvoir une nouvelle forme de domination et d'exploitation sur les
masses de la part d'un cercle de privilgis ne s'difie. Le problme de savoir si
l'histoire a jusqu'ici confirm la construction doctrinale marxiste et lniniste m-
me sur ce point, ne peut tre abord de faon sre sans une complte clarification
et une analyse positive des rapports conomiques et sociaux d'aujourd'hui. Le
domaine du logement sert admirablement Engels et Lnine pour faire apprcier
l'abysse existant entre les solutions propres la critique rvolutionnaire marxiste
et celles coules par des utopismes purils ou par des rformistes lgalitaires et
anti-classistes.
L'tude de Engels porte la date de 1872 et runit trois articles publis dans le
Volksstaat de Leipzig auxquels l'auteur ajouta une prface date de 1887. En-
gels l'crivit en rplique des crits d'un certain Mlberger parus dans la mme
revue qui s'taient largement loigns du marxisme dans une direction proudho-
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 98
nienne. Engels saisit l'occasion pour faire une critique de la position petite-
bourgeoise de Proudhon, position qui sous divers noms, avant et depuis lors, af-
fleure nouveau et pige la directive marxiste. Il s'agit d'une exposition conduite
avec une main de matre dans laquelle, comme toujours avec Engels, la sret
thorique accompagne de la clart cristalline du dveloppement et de la forme
tonne. Il se peut que la littrature marxiste ne possde pas, pour le domaine de la
production agricole, un texte complet et systmatique, comme celui-ci qui dfinit
et puise le problme de la proprit urbaine. Et pourtant l'homme incomparable
qu'tait Engels tient clarifier, presque en s'excusant, que dans la rpartition du
travail entre Marx et lui, il lui revenait de dfendre leurs positions dans la presse
priodique pour que Marx, lui, puisse se consacrer entirement sa plus grande
uvre. Il ajoute qu'il a voulu, en prenant la question du logement pour occasion,
mettre jour la critique de Proudhon faite en 1847 avec la Misre de la philoso-
phie, et il conclut textuellement : Marx l'aurait fait bien mieux et de faon plus
exhaustive !
La position contre laquelle ds le dbut Engels dirige sa critique est celle qui
veut rsoudre la crise du logement , phnomne moderne qui a frapp et qui
frappe priodiquement les pays les plus divers, avec une rforme qui permettrait
tout locataire de devenir propritaire de l'habitation dans laquelle il vit au moyen
d'un rachat qu'il paierait en plusieurs versements au propritaire. L'auteur de l'ar-
ticle que Engels rfute en arrive naturellement cette grossire erreur program-
matique cause d'normes erreurs dans le domaine de l'conomie, Engels les li-
mine en profitant de l'occasion pour remettre en lumire l'interprtation marxiste.
Une des thses errones est celle-ci :
Marx aurait peut-tre lanc des flammes et des clairs en entendant de telles
neries ; Engels dit avec calme : tout cela est faux. Patiemment et de faon limpi-
de il explique comment ces choses doivent se concevoir, en rappelant les simples
critres descriptifs que nous avons exposs plus haut. Il en tire la rfutation du
calcul balourd selon lequel le locataire paierait force de paiements mensuels,
deux, trois, cinq fois la valeur de sa maison. De plus il en tire l'occasion non seu-
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 99
Entre 1847 et 1887 un adversaire tait mis terre quand il tait convaincu de
thisme. Marx et Engels, athltes de la polmique, auraient aujourd'hui une tche
plus dure, parce que les petits crivains marxistes sont non seulement descendus
au niveau de Proudhon, mais jusqu'aux Pres de l'glise eux-mmes. Ils prati-
quent dsormais le catch as catch can !
Nous retrouvons la thse sur laquelle nous insistons inlassablement dans ces
pages : le rentier et le matre des terres et des palais, ces pauvres restes d'une po-
que rvolue, ne sont pas les gens qui nous couillonnent le plus ; mais ce sont bien
le capitaine d'industrie et lentrepreneur, trs modernes et progressistes, et face
ces derniers nous crions : voici l'ennemi !
70 Ibid., p. 26.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 102
71 Ibid., p. 32-33.
72 Ibid., p. 33. Soulignement dEngels.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 103
Engels rappelle qu'il fut le premier dcrire, dans La situation des classes la-
borieuses en Angleterre, la frocit de cette expulsion des travailleurs hors de leur
maison et de leur foyer, puis il poursuit :
Ensuite Engels, au moyen d'un exemple savoureux - qu'on dirait choisi aprs
avoir lu la loi actuelle sur le plan Fanfani fait la satire des consquences du plan
imbcile (dont on discutait dj lpoque en Amrique, comme cela ressort
d'une lettre dEleanor, fille cadette de Marx, au sujet de la vente aux travailleurs,
des prix exorbitants, de maisonnettes dans les faubourgs 74 ) ayant pour but que
chaque ouvrier industriel achte sa maisonnette temprament, et il imagine un
ouvrier qui, aprs avoir travaill dans diffrentes villes, possde un cinquantime
de maison Berlin, un trente-sixime Hanovre, et d'autres fractions encore plus
compliques en Suisse et en Angleterre de telle faon que la justice ternelle
ne puisse en souffrir.
En conclusion :
Tous ces points qui nous sont prsents ici comme des questions dune
haute importance pour la classe ouvrire, nintressent essentiellement que
les bourgeois et surtout les petits-bourgeois, et, malgr Proudhon, nous
soutenons que les travailleurs n'ont pas pour mission de veiller aux intrts
de ces classes 75 .
73 Ibid., p. 33-34.
74 Ibid., p. 42. Lettre du 28/11/1886.
75 Ibid., p. 49.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 104
dpasser des positions vieilles de soixante-sept ans, ce que l'on compte faire en
matire de logement. C'est justement ce passage que Lnine voulut citer pour d-
montrer le peu de points communs entre un extrmisme utopiste et les positions
consquentes du marxisme radical, ainsi quil le dit avec vivacit propos des
perspectives de l'conomie future : il n'y a pas un grain d'utopie chez Marx .
Lnine montre que cet exemple prouve quil y a une analogie formelle entre
certaines fonctions de l'actuel tat bourgeois et celles qu'exercera la dictature du
proltariat 77 .
76 Ibid., p. 42.
77 Cf. uvres, ditions de Moscou, 1970, t. 25, p. 469.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 105
publique. Marx note ailleurs que la loi d'expropriation prvoit pour le propritaire
le ddommagement de la valeur vnale, mais que le locataire laiss sur le pav par
les grands travaux modernes de la rnovation urbaine n'est ddommag de rien et
que pourtant il est assujetti des dpenses de transport, au paiement de loyers
plus levs, sans compter l'extorsion trs moderne de ce quon appelle caution ou
garantie, du nouveau logement, sil a assez de chance pour en trouver. De plus,
durant les oprations militaires il est aujourd'hui admis que les appartements puis-
sent tre occups pour usage militaire ou toute autre service sy rapportant.
Lnine, son tour, sen tient en commentant la clbre lettre Bracke sur le pro-
gramme de Gotha. Voici l'autre passage dEngels :
On voit bien le contraste profond entre ce trac clair et les programmes pro-
gressistes des dmocraties populaires qui, tous, consistent promettre la frag-
mentation de la rente foncire. O, en bref, il n'y a pas rpartir la centime partie
de ce que raflent les entreprises, la millime de ce qu'anantit le dsordre dmen-
tiel de la production.
* * *
Que ce gain brut de la maison, qui ne correspond pas aux invitables dpenses
sans lesquelles on resterait au bout d'un certain temps priv de maisons habitables,
et qu'on peut considrer comme rente foncire du sol, fonction du droit de pro-
prit sur la terre, bien que celle-ci soit, comme nous le disions, matriellement
79 Op. cit., p. 116-117. Engels souligne seulement chaque ouvrier . Les au-
tres soulignements sont de Bordiga.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 107
improductive, revienne, dit quand mme Proudhon, la socit, et tout ira bien.
Ceci, rpond Engels, signifie l'abolition de la proprit prive de la terre, sujet qui
nous amnerait trs loin .
Il est clair qu'un tel plan, alors qu'il n'exclut absolument pas le paiement de
loyers par les citadins, ne serait pas du tout rvolutionnaire et n'entamerait pas les
principes sociaux capitalistes.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 108
Que cette cinglante rpartie atteigne ceux qui ont dpeint un Engels vieillis-
sant enclin attnuer la haine entre les classes.
80 Ibid., p. 51.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 109
Un second point concerne la police politique des villes et la rpression des in-
surrections armes qui jusqu' la seconde moiti du dix-neuvime sicle se donn-
rent libre cours dans les rues troites et tortueuses des capitales. Engels reconnat
un motif de classe dans la perce davenues larges et rectilignes le long desquelles
la mitraille et l'artillerie pourraient faucher les rvolts. L'exprience ultrieure, si
elle confirme que le coeur de tout effort insurrectionnel est la conqute des gran-
des capitales et des villes industrielles, montre nanmoins que les formations ar-
mes illgales peuvent mener une gurilla plus efficacement et plus longtemps
dans la campagne accidente. Un bon exemple technique est celui des forces de
Giuliano 81 , car il faut retenir qu'elles n'taient pas un dtachement avanc de
lointains tats-majors de forces rgulires.
Les thses marxistes fondamentales sur la question des biens immeubles ur-
bains sont ainsi rcapitules par Engels lui-mme dans une rfutation des proud-
honiens en cinq points :
83 Ibid., p. 118-119.
84 Ibid., p. 55-56.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 111
* * *
Nous avons vu et nous voyons tous les jours des spculations charlatanesques
et lectoralistes se greffer aux vicissitudes bien des fois tragiques de loccupation
des usines et des terres.
Le motif est, entre autres, que ce ne serait plus les fantmes des barons, plus
seulement les affairistes super-bourgeois, mais galement les trop nombreux d-
magogues et dignitaires parvenus, de part et dautre du rideau de fer, qui seraient
drangs dans leur train de vie de gigolos.
85 Ibid., p. 64.
86 Ibid., p. 65.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 112
NOTE
LE PROBLME DES TRAVAUX PUBLICS EN ITALIE
Les lois sur le blocage des prix promulgues en 1940 englobaient tout : pro-
duits de la terre et de l'industrie, salaires, traitements et rmunrations, contrats de
l'Etat en cours avec les entreprises les plus diverses pour des travaux et des four-
nitures.
Parmi ces mesures, les plus intressantes furent celles visant le blocage des
baux immobiliers, tant ruraux quurbains. Le premier rapport est le moins simple :
le locataire de la terre cultivable ne loue pas seulement un emplacement sur lequel
il acquiert le droit de sjourner et de rester, comme ce serait le cas s'il s'agissait
d'un jardin des dlices 87 , mais un vritable instrument de production auquel il
applique son propre travail ou celui de ses employs salaris pour en tirer des
fruits et des produits convertibles en argent sur le march. Nous avons soulign
ailleurs la stupide confusion entre la porte sociale et politique de la lutte pour
comprimer le loyer agricole, et, en apparence, le trs cruel revenu patronal agri-
cole , selon que le bnficiaire de la diminution du loyer est un petit paysan par-
cellaire, un infme colon et gros bourgeois, ou carrment un entrepreneur capita-
liste de lagro-industrie qui corche ses ouvriers agricoles et parfois des travail-
leurs sous-locataires.
Il constitue le seul cas dans lequel le blocage sest avr effectif et a enregistr
un succs. Avant de se demander si ce succs a t conforme aux intrts de la
classe laborieuse, comme il apparat vue de nez et comme les spcialistes de bas
tage de lagitprop trouvent bon de le dire, nous remarquerons que, de par la limi-
tation relative du secteur, il prouve en mme temps que la justesse des concepts
marxistes, l'inconsistance et l'troitesse des capacits de contrle et de planifica-
tion de l'tat moderne dans le domaine conomique, mme sil se montre trs
solide sur le plan politique et policier.
Alors que ce qui importe dans tous les domaines du travail agricole et indus-
triel n'est pas tant, comme nous le dmontrons dans ces notes, le titre pompeux de
propritaire de lieux et dquipements, que le contrle et la possession des pro-
duits, la maison loue, elle, ne produit rien de meuble, transportable ou vendable,
mais n'offre que ses commodits, son utilit, son usage en tant quabri et sjour.
L'tat peut imposer, et ce faisant il a dj fait un pas qui est une dfaite
thorique de l'conomie capitaliste, qu'un produit, disons un chapeau pour
fixer les ides, ne soit pas vendu plus de cent lires. Mais de par sa nature histori-
que et sociale, l'tat actuel ne peut pas imposer de vendre cent lires un, deux, mil-
le chapeaux, si le producteur et propritaire ne les porte pas volontairement sur le
march. L'tat, dit-on, peut recenser et rquisitionner tous les chapeaux o qu'ils
se trouvent. Dans la pratique, la difficult est de dnicher les chapeaux et, si l'on
veut les emporter, de les payer tous, ne serait-ce que cent lires. Do le fait co-
nomique bien connu : une fois le prix des chapeaux bloqu, tax et fix d'autorit,
ceux-ci disparaissent de la circulation et sont accapars pour ntre vendus que
clandestinement un prix major dune somme couvrant le risque d'amendes et
de peines de prison pour le vendeur.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 114
Or, la maison nest pas livre par le loueur au locataire pierre par pierre, mais
toute entire ds que le contrat est sign : le propritaire lui-mme ne peut mettre
les pieds sans l'accord du locataire. Alors que dans tous les autres secteurs du
march celui qui vend est arbitre du prix, puisquil peut dire, impassible : si le
prix ne vous convient pas laissez-moi la marchandise ; dans le cas des maisons,
larbitre est celui qui achte et qui paie, une fois qu'il y est entr. Normalement,
s'il ne paie pas les loyers suivant le premier ou les premiers versements lors de la
signature du contrat, ou s'il paie moins, le propritaire doit recourir une longue
et coteuse procdure lgale d'expulsion entranant rarement le recouvrement des
loyers impays.
Dans le cas gnral, c'est l'acheteur qui doit cder ou courir pleurnicher auprs
de l'tat pour qu'il impose la vente ; dans le cas du logement, c'est le vendeur du
service-location qui n'a pas d'autre choix que d'en appeler l'tat quand il n'est
pas pay.
Comme nous l'avons rappel, ce qui triomphait ce n'tait pas l'orientation mo-
derne dirigiste et planificatrice des pouvoirs publics en fonction de l'intrt gn-
ral, mais l'article traditionnel qui rsume toute la sagesse de la jurisprudence
bourgeoise : Article 5, qui dtient l'emporte .
Nanmoins l'agitateur deux sous dclare : dans le cas du travailleur, nous lui
avons dj vit (Benito et moi) qu' la chert du pain, du chapeau et des chaussu-
res vienne s'ajouter celle de la maison, il est donc moins exploit.
Mais une brve analyse montre que le poids social sur la classe travailleuse,
sur laquelle tout pse et ne peut pas ne pas peser, n'est pas diminu sous leffet de
la stupide, boiteuse et perfide lgislation italienne sur les loyers paraphe par les
gardes des sceaux, qu'ils s'appellent Grandi, Togliatti ou Grassi 88 .
Cela veut dire que, le nombre de maisons diminuant et celui des habitants
croissant, la concentration de la population, qui tait dj une des pires d'Europe,
a cr de faon effrayante et surtout aux dpens des classes pauvres, entasses dans
des maisons anciennes et malsaines, qui paient moins pour le logement, mais aus-
si en utilisent moins et souvent en manquent totalement.
Une disproportion trange entre les maisons loyer bloqu et celles loyer li-
bre tant ensuite survenue, il arrive que les quelques constructions nouvelles peu-
vent se louer n'importe quel prix : aux prix d'aujourd'hui, le capital s'abstient de
toutes celles qui ne peuvent pas rapporter plus de 2 000 lires par pice et par mois
au minimum ; puisqu'un revenu net de 20 000 lires annuelles ne rmunre qu'
5% un capital de 400 000 lires qui ne suffit pas construire une pice. Il en rsul-
te que toutes les contributions des lois spciales bnficient aux maisons des clas-
ses riches et quon nen construit pas pour les pauvres : lapparence selon laquelle
le proltariat paierait avec une part infrieure de son revenu lensemble des mai-
sons qu'il occupait jadis cde devant le fait que les travailleurs paient sous mille
formes, prix levs et taxes, tout en restant dans des taudis, les maisons construi-
tes pour les gens de la haute.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 117
En France, on a not qu'entre 1914 et 1948, tandis que tous les indices co-
nomiques ont t multiplis par 200, celui des loyers la t par 7 ! La classe ou-
vrire paie aujourd'hui 4% du salaire pour le logement, et l'on se propose d'ame-
ner ce pourcentage 12%, ce qui n'empche pas que, dans la construction, le capi-
tal ne rapporte qu'un cinquime du profit normal, et que donc l'tat doive payer
les quatre cinquimes des nouvelles habitations ouvrires. Actuellement, il est
plus intressant pour le travailleur de payer cher la maison dautrui que de payer
prix moyen la maison construite ses frais ! Cette absurde diversit
dajustement des indices conomiques en termes montaires est une btise, parmi
tant dautres, du rgime capitaliste, un lment de plus du poids que l'anarchie
conomique fait peser sur les paules des travailleurs, et certes pas une preuve
que, mme dans un domaine trs rduit, l'Etat moderne veut, peut et sait faire u-
vre de justice ou mme seulement dattnuation des carts sociaux.
Les lois Fanfani dclarent ne pas avoir pour but la reconstruction immobilire
ni la solution gnrale du problme de lhabitat en Italie, mais pallier le problme
du chmage.
Il y a un gros problme qui n'est pas encore entr dans la tte des planifica-
teurs centraux, de leurs observatoires et laboratoires de science conomique et
statistique. Il ny a pas seulement besoin de logements, mais de constructions en
tout genre, parce que pour ces dernires aussi, vieillissement, dommages de guer-
re et retard de la rnovation entrent en jeu. A chaque pice d'habitation correspond
en moyenne deux autres pices pour y travailler, mener diverses activits, com-
mercer et se divertir : ceci bien quon ait ouvert les maisons closes.
La loi Fanfani mobilise 15 milliards annuels sur le budget de l'tat ainsi que
des contributions sur la masse salariale, dont les deux tiers pays par les patrons et
un tiers par les travailleurs. Sans vouloir ennuyer le lecteur avec des calculs, le
plan, son plein rgime, en fournirait peut-tre autant, et donc 30 milliards en
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 119
tout. Cela ne suffit pas pour construire cent mille pices dhabitation par an, soit
le sixime du minimum ncessaire. Le problme dpasse les possibilits du rgime
actuel. En pratique, il reste ensuite voir quelle partie des 30 milliards, qui en
substance sont pays par la classe laborieuse, ft-ce au sens large, ira non pas au
logement mais aux profits somptueux des entrepreneurs, intermdiaires en tout
genre et conducteurs de chars de la finance et des travaux publics.
la moiti pour la main-d'uvre, c'est--dire 170 000 lires, nous pouvons compter
en moyenne 200 journes de travail et l'emploi d'un travailleur par an au maxi-
mum. Donc, sur le million 13 000 personnes seulement travaillent. Les autres
987 000 ne travaillent pas mais restent la maison. Quant manger, ils ne man-
gent pas et d'ailleurs personne ne mange en Fanfanie.
Nous en concluons donc que les chantiers Fanfani, plein rgime, c'est--dire
aprs le premier cycle septennal, emploieront cent mille travailleurs pour faire
cent mille pices dhabitation par an. Pour le disculper des erreurs amricaines,
Pella 93 a rvl que le seul accroissement dmographique jetait chaque anne sur
le march 200 000 nouveaux travailleurs. Le plan Fanfani, donc, nradique ni la
peste immobilire, ni la peste sociale.
Le plus beau, alors qu'on se vante qu'au bout du compte on aura des maisons
effectivement occupes par des ouvriers, cest que le calcul donne un loyer telle-
ment lev qu'un ouvrier, avec les salaires actuels, ne peut se le payer.
Il s'ensuivra que, puisque les maisons prtes l'usage seront toujours peu
nombreuses et nombreux les travailleurs contribuables, l'ouvrier dira sa prire du
matin : Dieu de De Gasperi 94 , fais moi gagner la Sisal 95 , mais pas aux tirages
au sort des maisons Fanfani.
Si, comme pour le blocage, on tient compte du fait que les charges tatiques
psent sur la classe active et non sur celle des riches, on verra bien que le travail-
leur, si le plan prend effet, aura peut-tre une maison lui, mais quil l'aura paye
le double bon poids de sa valeur de march, au prix de renoncements, de sacrifi-
ces et de coupes sombres dans son salaire rel.
Tels sont les miracles de l'intervention de l'tat dans l'conomie qui sont bien
les mmes, quil sagisse de la formule mussolinienne, hitlrienne, rooseveltienne,
ou de celle, travailliste et sovitique d'aujourd'hui.
* * *
THSES RELATIVES
AUX CHAPITRES I VI
Dans les rvolutions sociales une classe te le pouvoir celle qui le dtenait
auparavant lorsque la contradiction entre les vieux rapports de proprit et les
nouvelles forces productives pousse la destruction des premiers.
2 - La rvolution bourgeoise.
3 - La rvolution proltarienne.
La classe des ouvriers salaris lutte contre la bourgeoisie pour abolir, avec la
proprit prive du sol et des quipements productifs, celle des produits de l'agri-
culture et de l'industrie, en supprimant les formes de la production par entreprises
et de la distribution mercantile et montaire.
Les problmes de l'agriculture italienne ne peuvent tre rsolus par des rfor-
mes juridiques de la rpartition des titres de proprit, mais seulement par la lutte
rvolutionnaire pour abattre le pouvoir national de la bourgeoisie, pour liminer la
domination du capital sur l'agriculture et la parcellisation du sol, forme trs mis-
rable d'exploitation de ceux qui le cultivent.
6 - La proprit urbaine.
La concentration des sans-rserves dans des espaces restreints est une condi-
tion de l'accumulation capitaliste ; le manque de logements, leur surpeuplement,
et leur prix lev sont des caractristiques de l'poque bourgeoise.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 124
DEUXIME PARTIE
Chapitre VII.
LA PROPRIT DES BIENS MEUBLES
Le monopole capitaliste sur les produits du travail
Les biens meubles fournis par la production ne sont pas lobjet de proprit en
titre, ils sont utilisables et transfrables au gr de leur possesseur ; telle est la for-
mule juridique dans la socit bourgeoise.
Toute mesure qui, tout en limitant la proprit en titre sur le lieu de travail, les
quipements ou les machines, conserverait le monopole direct ou indirect des
personnes, des firmes ou de la classe des capitalistes sur les produits, leur destina-
tion et leur rpartition, n'est pas du socialisme.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 126
Chapitre VIII.
L'ENTREPRISE INDUSTRIELLE
Le systme d'entreprise fond sur l'exploitation des ouvriers
et le gaspillage social de travail
rieuse que pour toutes les classes) sont rduits un minimum au regard de leffort
produit.
Les thses suivantes sont donc errones : le socialisme consiste dans le paie-
ment intgral du produit du travail - avec l'abolition du surtravail et de la surva-
leur l'exploitation des salaris serait abolie - toute conomie sans survaleur est une
conomie socialiste - une conomie socialiste peut tre comptabilise en units
montaires - l'conomie socialiste consiste comptabiliser des dures de travail.
Chapitre IX.
LES ASSOCIATIONS ENTRE
ENTREPRISES ET MONOPOLES
Le ncessaire monopole, consquence du jeu de
la prtendue libre concurrence
Chapitre X.
LE CAPITAL FINANCIER
Entreprises de production et de crdit et accroissement du parasitis-
me conomique de classe
D'autre part, avec le systme des socits par actions, le capital de l'entreprise
industrielle constitu par des immeubles, des outillages et du numraire, est la
proprit en titre des porteurs d'action qui prennent la place de l'ventuel propri-
taire immobilier, du loueur de machines et de la banque de prt. Les loyers, les
baux et l'intrt des prts prennent la forme d'un bnfice ou dividende tou-
jours modeste distribu aux actionnaires par le conseil dadministration , c'est-
-dire l'entreprise. Celle-ci est un organisme en soi, qui porte le capital-actions au
passif du bilan et, par diverses manuvres, pille ses crditeurs ; elle est le noyau
de laccumulation. La manuvre bancaire, qui seffectue son tour avec des capi-
taux actionnaires, rend, pour le compte des groupes industriels et affairistes, ce
service de spoliation des petits dtenteurs de fonds.
Chapitre XI.
LA POLITIQUE IMPRIALISTE
DU CAPITAL
Les conflits entre groupes et tats capitalistes
pour la conqute et la domination du monde
Dans les pays industriellement les plus avancs, la classe des entrepreneurs
trouve des limites l'investissement du capital accumul dans le manque de ma-
tires premires locales, de main-d'uvre mtropolitaine ou de dbouchs pour
les marchandises.
Pour tout marxiste il est vident que la complexit de ces rapports historiques
entre les mtropoles surindustrialises et les pays arrirs, quils soient de race
blanche ou pas, ne peut qu'engendrer des conflits incessants, non seulement entre
colonisateurs et coloniss, mais surtout entre groupes d'tats conqurants.
Chapitre XII.
L'ENTREPRISE MODERNE
SANS PROPRIT ET SANS FINANCE
L'adjudication et la concession, formes annonciatrices
de l'volution capitaliste moderne
Toute nouvelle forme sociale qui, par l'effet du dveloppement des forces
productives, tend se gnraliser, apparat d'abord entremle aux formes tradi-
tionnelles par le biais d exemples et de modles de la nouvelle mthode.
Aujourd'hui, on peut tudier la forme de l'entreprise sans proprit en analysant
l'industrie du btiment et, plus gnralement, des travaux publics dont le poids
relatif dans l'conomie tend augmenter de plus en plus.
1) Elle n'a pas d'atelier, d'usine, d'tablissement propre, mais installe au coup
par coup le chantier et les bureaux eux-mmes en un lieu mis sa disposition
par le mandant, lequel s'attribue mme une somme comptable pour ces installa-
tions, chantiers et constructions provisoires.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 135
2) Elle peut possder un outillage ou mme des machines en propre, mais plus
souvent, en se dplaant dans des localits diffrentes et loignes les unes des
autres, elle les loue ou les achte et les revend sur place, ou bien parvient s'en
faire payer lamortissement intgral.
3) Elle doit en thorie disposer d'un capital liquide avancer pour les matires
premires et les salaires, mais il faut noter : a) qu'elle obtient facilement ce capital
des banques si elle prouve qu'on lui a adjug une bonne affaire en donnant en
garantie les mandats de paiements ; b) que dans les formes modernes, souvent
sous leffet des lois spciales , ltat finance, avance ou bien oblige des insti-
tuts de crdit le faire ; c) que les prix unitaires sur la base desquels on paie
mesure les parties de louvrage l'entreprise (c'est--dire les produits vritables
de l'industrie en question, couls et tarifs ds le dbut et en dehors de tout ala
commercial, alors mme qu'ensuite il est trs facile den obtenir laugmentation
dans la comptabilit) se forment en ajoutant aussi tous les frais une part pour les
intrts du capital avanc, et seulement aprs tout cela le bnfice de l'entre-
preneur.
Dans ces formes la classe des entrepreneurs ne paie rien pour l'entretien de
l'tat.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 136
La concession prsente une absence presque totale de risques pour ses propres
investissements, le mme taux de profit lev que dans le cas de l'adjudication,
ainsi que la caractristique importante de pouvoir s'tendre tous les types de
production et dapprovisionnement des industries, mme celles sige fixe ; la
tendance de cette forme moderne est donc de couvrir la totalit des secteurs co-
nomiques tout en prservant le principe de l'entreprise et du profit.
En ralit l'tat moderne n'a jamais d'activit conomique directe mais tou-
jours dlgue par lintermdiaire d'adjudications et de concessions des groupes
capitalistes. Il ne s'agit pas d'un procs par lequel le capitalisme et la classe bour-
geoise seraient tenus lcart des positions de privilge ; cet abandon apparent
de positions correspond une augmentation de la masse de survaleur, de profits
accumuls, de l'omnipotence du capital et, par l mme, des antagonismes so-
ciaux.
Chapitre XIII.
L'INTERVENTIONNISME
ET LE DIRIGISME CONOMIQUE
L'orientation moderne de l'conomie contrle,
soumission encore plus grande de l'tat au capital.
La doctrine qui veut que l'tat s'abstienne d'assumer des fonctions conomi-
ques et d'intervenir dans la production et la circulation des biens n'est qu'un mas-
que idologique adapt la priode o le capitalisme dut se frayer un chemin
comme force rvolutionnaire en brisant tous les obstacles sociaux et lgaux qui
l'empchaient d'exercer sa puissance productive.
Toute mesure conomico-sociale prise par ltat, mme quand il arrive im-
poser de faon effective les prix de denres alimentaires ou de marchandises, le
niveau des salaires, les charges patronales pour la scurit sociale , etc., cor-
respond un mcanisme o le capital sert de moteur et l'tat de machine opra-
trice .
De plus ce systme encourage toujours plus les entreprises dont les ralisa-
tions et les produits servent peu ou ne servent rien, qui suscitent des consomma-
tions plus ou moins malsaines et antisociales, entretiennent l'irrationalit et l'anar-
chie de la production, rebours de l'opinion vulgaire qui y voit un principe d'or-
ganisation scientifique et une victoire du fameux intrt gnral .
Chapitre XIV.
CAPITALISME D'TAT.
La proprit d'tat.
L'entreprise sans proprit et sans finance.
traitements, frais gnraux de toute sorte et taxes. Cet argent peut tre dbours
par un financier spcial priv, ou le plus souvent une banque, qui ne s'occupe que
den tirer un intrt annuel taux dtermin. Par souci de brivet, nous appelons
cet lment finance et sa rmunration intrt.
Pour bien comprendre ce qu'on dsigne par les expressions d'tat capitaliste et
de capitalisme dtat, ainsi que par les concepts d'tatisation, de nationalisation et
de socialisation, il faut faire rfrence la prise en charge par les organes de l'tat
de chacune des trois fonctions essentielles qui taient originellement distinctes.
98 Cest--dire la clientle ; litalien utilise ici trois termes aux sens trs pro-
ches : accorsamento, avviamento, cerchia di clientela.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 142
Il ny a pas grand dbat, mme avec les conomistes traditionnels, sur le fait
que toute la proprit foncire pourrait tre tatise sans que, par l, on sorte des
limites du capitalisme et sans que les rapports entre bourgeois et proltaires aient
changer. La classe des propritaires de biens immeubles disparatrait, lesquels,
tant financirement indemniss par l'tat expropriateur, investiraient cet argent
en devenant banquiers ou entrepreneurs.
Les nationalisations de la terre ou des espaces urbains ne sont donc pas des r-
formes anticapitalistes : l'tatisation du sous-sol dj ralise en Italie en est un
exemple. La gestion des entreprises seffectuerait en location ou en concession,
comme cest le cas des proprits domaniales, minires, etc. (exemple des ports et
docks).
Mais l'tat peut prendre en charge non seulement la proprit des quipements
fixes et des outillages divers, mais galement celle du capital financier en enca-
drant puis en absorbant les banques prives. lpoque capitaliste ce processus
est compltement achev, d'abord en rservant une seule banque l'impression du
papier-monnaie garanti par lEtat, puis grce aux cartels obligatoires de banques
et leur contrle central. Dans une entreprise, l'tat peut donc plus ou moins di-
rectement reprsenter non seulement la proprit mais aussi le capital liquide.
Dans la forme ultrieure et complte, l'tat est aussi propritaire lgal de l'en-
treprise : soit il exproprie et indemnise le propritaire priv, soit, dans le cas de
socits par actions, il en acquiert toutes les actions. Nous avons alors l'entreprise
d'tat dans laquelle toutes les oprations d'achat des matires premires et de
paiement des ouvriers se font avec largent de ltat, tout le produit de la vente
des marchandises allant ce dernier. En Italie, le monopole du tabac et les che-
mins de fer d'tat en sont un exemple.
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 143
Ces formes sont connues depuis longtemps et le marxisme a maintes fois fait
remarquer qu'il n'y a l rien de socialiste. Il n'est pas moins clair que
lhypothtique tatisation intgrale de tous les secteurs de l'conomie productive
nest pas la ralisation de la revendication socialiste comme le rpte si souvent
l'opinion vulgaire.
Un systme dans lequel toutes les entreprises fondes sur le travail collectif
seraient tatises et gres par l'tat s'appelle capitalisme d'tat, et c'est une chose
bien diffrente du socialisme puisqu'il est une des formes historiques du capita-
lisme pass, prsent et futur. Diffre-t-elle de ce qu'on appelle socialisme
d'tat ? Avec la dnomination de capitalisme d'tat on veut faire allusion l'as-
pect conomique du processus et l'hypothse que rentes, profits et bnfices
passeraient par les caisses de l'tat. Avec celle de socialisme d'tat (toujours
combattu par les marxistes et considr dans de nombreux cas comme raction-
naire mme par rapport aux revendications librales bourgeoises contre le foda-
lisme) on se rfre l'aspect historique : le remplacement de la proprit des per-
sonnes prives par la proprit collective adviendrait sans qu'il y ait besoin de la
lutte des classes ni de la prise rvolutionnaire du pouvoir, mais au moyen de me-
sures lgislatives manant du gouvernement ; ce qui est la ngation thorique et
politique du marxisme. Il ne peut y avoir de socialisme d'tat, tant parce que
l'tat ne reprsente pas aujourd'hui la socit en gnral mais la classe dominante,
c'est--dire la classe capitaliste, que parce que l'tat de demain reprsentera effec-
tivement le proltariat, mais quune fois l'organisation productive devenue socia-
liste, il n'y aura plus ni proltariat ni tat, mais une socit sans classes et sans
tat.
ces deux critres importants il faut ajouter les suivants, non moins impor-
tants, pour conclure qu'on est en plein capitalisme bourgeois :
Chapitre XV.
LA FORMATION DE L'CONOMIE
COMMUNISTE.
Conditions du passage du capitalisme au communisme
et exemples d'anticipation des nouvelles formes.
Il est inexact que les marxistes, la suite de la critique qui dpassa les syst-
mes utopistes (non pas parce qu'ils taient trop fantaisistes mais parce qu'ils
taient toujours une mchante rplique de l'ordre capitaliste), aient eu en horreur
le dvoilement concret des caractres de l'organisation future.
Il est bien clair que tout mouvement rvolutionnaire commence par montrer
avec prcision aux masses les formes traditionnelles qu'il veut dtruire, tant en-
tendu quelles sont dsormais de purs obstacles une amlioration dj effective
grce aux ressources disponibles de la technique productive. Donc, par exemple :
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 146
L'abolition de la sparation entre les entreprises sert bien rappeler que la vi-
sion marxiste d'une unique association productive est diffrente de celle d'un en-
semble d'associations autonomes de groupes de producteurs qui changent et pas-
sent contrat entre elles et dont les groupes ou conseils de producteurs sont les ar-
bitres. Cette position est une idologie de producteurs propritaires commune aux
coles les plus diverses, objets de notre critique (Proudhon, Bakounine, Sorel et
galement les mazziniens, les chrtiens sociaux, les ordinovistes 99 ). Cette
formule figure dj dans la rgle de Saint Benot, vritablement grandiose pour
l'poque.
Donc, le plan central unique , qui tend tre mondial, est un lment carac-
tristique de l'organisation communiste de travail et de consommation.
Aprs avoir tabli qu'un plan unique de l'tat actuel, ft-il centralis et tendu
des fdrations et des unions intertatiques rgies par une discipline unitaire de
la production et de la distribution, reste entirement capitaliste, nous devons raf-
firmer l'ensemble des caractres qui dfinissent une organisation sociale qui ne
serait plus capitaliste.
La thse juste n'est pas : tout est du capitalisme plus ou moins concentr ou
fragment, libral ou dictatorial, libre-changiste ou planifi, jusqu' ce que la
violence rvolutionnaire brise l'tat politique bourgeois et rige celui de la dicta-
ture proltarienne. C'est seulement partir de ce moment, secteur par secteur, que
nous commencerons voir des formes d'organisation communiste prendre la pla-
ce des capitalistes, quexistera donc une conomie partiellement capitaliste et par-
tiellement communiste, en rapide transformation. En ralit l'urgence de dpasser
les anciennes formes de production ne se prsente pas dans notre conception
comme revendication idale, mais comme vidence concrte qui condamne les
formes anciennes et dmontre le rendement infiniment suprieur des formes nou-
velles, mme avant la rvolution politique.
Par exemple, l'esclavage s'effondre sous les coups des rvoltes d'esclaves,
mais avant cela, et avant mme que l'tat ne le rpudie, il devient vident que les
exploitations fondes sur le travail des esclaves entrent en crise et que les exploi-
tations petites et moyennes des travailleurs libres ou employant des salaris, elles
prosprent. Le fodalisme vacille parce que, le temps venu, les dcouvertes tech-
niques et mcaniques prouvent que les produits des premires manufactures et
entreprises agricoles de travailleurs libres exigent moins de travail que les corps
de mtiers artisanaux et les campagnes fodales. Dj donc en plein rgime fo-
dal, une partie toujours croissante de la production seffectue selon le mode capi-
taliste.
Il doit donc tre possible de rencontrer dans le capitalisme avanc des aperus
de l'organisation communiste future, non pas tant dans les entreprises dtat en
tant que telles que dans des secteurs particuliers.
On peut prendre l'exemple de la poste qui devint un service d'tat bien avant
la rvolution bourgeoise. Seul le tout-puissant seigneur priv pouvait disposer
pour chacun de ses messages dun courrier spcial pied ou cheval. Le service
postal sur les routes principales apparut comme industrie de transport des person-
nes et des choses et ne se transforma quensuite en service de messagerie. Mais il
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 148
Il existe toutefois des exemples o on ne peut fixer de limites, mme pour des
prestations artificielles. Les hpitaux pour accidents accueillent ceux qui se cas-
sent une jambe. Mais ils ne repoussent pas ceux qui, peine sortis, se cassent l'au-
tre. Le service de lutte contre les incendies est non seulement gratuit, mais il ne
subordonne pas son intervention d'ventuels sauvetages prcdents au mme
endroit ou pour la mme personne. Il existe donc des services non mercantiles et
illimits. Cest du reste le cas lorsquon utilise les voies publiques et quon boit
la fontaine de la rue etc., en laissant ici de ct la question des impts.
ne sont pas rmunrs en argent, mais par des distributions en nature et en un cer-
tain sens non limites.
Il n'y a pas de rapport entre l'activit fournie, quelle soit militaire ou civile, de
tel dtachement vis--vis de tel autre, et la quantit de munitions au sens gnral
du terme, y compris celles de bouche, les uniformes, les moyens de transports,
etc., que ces dtachements consomment aux dpens de l' intendance centrale.
Il est donc vident et possible que, dans certains cas, des activits humaines
soient organises sans compensation montaire ; dans d'autres cas, sans quil y ait
proportionnalit entre la consommation de subsistances et le travail fourni ou la
quantit de produit ; dans d'autres cas enfin, sans quon exige que, dans chaque
entreprise, plus d'argent doive entrer qu'il n'en sort. Au contraire les besoins les
plus vastes et les plus modernes de la vie collective ne peuvent tre satisfaits
qu'en sortant des critres de march et de gain qu'on pourrait appeler critres de
bilan . Dans la lutte, par exemple, contre les calamits naturelles, pidmies,
inondations, tremblements de terre, ruptions volcaniques, non seulement on ne
demande pas de rmunration aux victimes, mais, au moyen de plans centraux on
cherche mobiliser les bras de tous les habitants valides prsents dans la zone,
sans compensation, les subsistances et autres aides tant distribues tous sans
contrepartie.
Chapitre XVI.
PHASES DE LA TRANSFORMATION
CONOMIQUE EN RUSSIE APRS 1917.
Cette histoire conomique n'a pas t crite, et il n'y a pas de donnes telles
qu'il soit possible, non pas pour un auteur mais mme pour une organisation ap-
proprie de recherche indpendante (terme qui dans la phase actuelle a perdu tout
sens concret), d'en tirer un trait exhaustif, comparable celui de Marx sur la
naissance et la vie du capitalisme anglais et europen en gnral. Avant tout, les
pouvoirs de la classe capitaliste victorieuse ne furent lorigine ni hermtiques ni
sotriques, et dans leur premire priode ils n'avaient pas intrt masquer les
donnes de fait de leur conomie que, navement, ils croyaient naturelle et
ternelle. Le marxisme trouva donc en Angleterre non seulement des thories
conomiques qui staient hisses un niveau remarquable, do elles sont prci-
pitamment descendues, mais surtout dimmenses matriaux authentiques ; ce qui
aujourd'hui n'est pas possible pour la Russie.
est juste, et peu importe que le Petrograd de 1917 ft la capitale d'un pays encore
moins dvelopp que la France au temps de la Commune de Paris. Les communis-
tes rvolutionnaires ne doivent absolument pas abandonner ce terrain bien solide
pour tourner en drision ceux qui disaient : tes-vous all en Russie ? Alors faites
de la propagande sur la preuve exprimentale que le communisme comme organi-
sation de la production peut parfaitement fonctionner.
Lnine a dit et crit cent fois qu'avant tout un modle isol n'est pas, pour le
marxisme, une chose srieuse, mais que dautre part, pour avancer irrsistible-
ment vers la ralisation du socialisme, il fallait prendre Berlin, Paris et Londres.
Ce qui neut pas lieu. Il faut alors voir clairement les faits conomiques et les po-
sitions sociales programmatiques dans les diffrentes priodes, en revendiquant
celles des bolcheviks de 1903 1917 et de 1917 1923 environ. Et en dmontrant
que les positions du gouvernement russe depuis cette date furent, d'un point de
vue ouvrier, toujours plus gravement contre-rvolutionnaires dans les phases sui-
vantes : destruction du groupe rvolutionnaire bolchevik ; alliance avec les puis-
sances capitalistes occidentales, d'abord l'Allemagne, ensuite les anglo-
amricains ; phase actuelle de propagande pour la collaboration de classe dans
tous les pays et l'chelle mondiale.
1) La naissance du capitalisme russe dans des zones limites est due l'initia-
tive de l'tat fodal et non pas la formation d'une puissante bourgeoisie indigne
(1700-1900).
4) Lnine a dit tout ceci avec fermet au moment de la N.E.P., Trotski, qui
approuvait ses directives, expliqua qu'elle tait du socialisme avec une comptabi-
lit capitaliste ; en effet, c'est bien le type de comptabilit qui dfinit la forme
conomique. L'expression marxiste correcte tait celle-ci : capitalisme avec comp-
tabilit capitaliste, mais dont les registres sont tenus par l'tat proltarien. Il y eut
le march libre et le libre commerce, la libre production artisanale et petite-
bourgeoise, la libre culture petite et moyenne de la terre : toutes formes prtes
jaillir mais jusqu'ici touffes par la machine gouvernementale fodalo-tsariste.
Une soupape sociale rvolutionnaire fut ouverte.
6) Dans la situation qui s'est ainsi cre de manire originale, l'conomie capi-
taliste de march et d'entreprise subsiste pleinement. La difficult d'identifier le
groupe physique d'hommes qui remplacent cette bourgeoisie qui ne s'est pas for-
me spontanment, ou, pour autant que celle-ci s'est forme sous le tsarisme, fut
dtruite aprs Octobre, n'est une grave difficult que sous leffet du mode de pen-
ser dmocratique et petit-bourgeois dont les prtendus dirigeants de la classe ou-
vrire ont infect cette dernire depuis bien des dcennies. Au fur et mesure que
l'entreprise et le ngoce bourgeois, de personnels quils taient, deviennent collec-
tifs, anonymes et pour finir publics , la bourgeoisie, qui n'a jamais t une cas-
te, mais qui est ne en dfendant le droit la totale galit virtuelle , devient
un rseau de cercles d'intrts qui se forment dans le cadre de chaque entrepri-
se . Les figurants de ce rseau sont trs varis : ce ne sont plus des propritaires,
des banquiers ou des actionnaires, mais de plus en plus des affairistes, des
conseillers conomiques, des businessmen. Une des caractristiques du dvelop-
pement de l'conomie est que la classe privilgie dispose dun matriel humain
de plus en plus changeant et fluctuant (le roi du ptrole qui tait huissier, etc.).
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 154
Comme dans toutes les poques, ce rseau d'intrts, et de personnes, qui ap-
paraissent ou non la surface, a des rapports avec la bureaucratie d'tat, mais
n'est pas la bureaucratie ; il est en rapport avec les cercles d'hommes politi-
ques , mais n'est pas le personnel politique.
L'tat russe est aujourd'hui lun deux, mais il a son origine historique particu-
lire. C'est le seul en effet qui soit n de deux rvolutions soudes dans une victoi-
re politique et insurrectionnelle ; c'est le seul qui sest retir de la deuxime tche
rvolutionnaire mais nest pas encore venu bout de la premire : faire de toutes
les Russies une aire d'conomie mercantile. Avec les profonds effets sur l'Asie qui
en rsultent.
La voie la plus rapide pour y arriver, sans quoi on ne peut lutter - ni forniquer
- victorieusement avec les autres tats nationaux, est celle de l'tat matre de la
terre et du capital, la plus fconde et la plus chaude des couveuses pour une jeune
et vigoureuse conomie de march et d' entreprise 101 .
Chapitre XVII.
UTOPIE, SCIENCE, ACTION.
Unit, dans le mouvement proltarien rvolutionnaire, de la thorie,
de l'organisation et de l'action.
Ce mouvement ne peut tre conduit que par une organisation qui accueille
une minorit de la classe en lutte.
Il y a dans tout ceci l'affirmation implicite qu'on peut dcrire grands traits les
lignes directrices du dveloppement futur, et en mme temps qu'une mobilisation
des forces pour favoriser et hter ce dveloppement est ncessaire.
Les groupes humains ont mme commenc par des tentatives de connatre le
futur avant d'avoir difi des systmes de connaissance, mme primitifs, de la
nature et de l'histoire des vnements passs. Le premier systme est la transmis-
sion hrditaire des notions concernant la protection contre les obstacles, les dan-
gers et les cataclysmes ; vient ensuite lenregistrement, mme embryonnaire, des
faits et des donnes contemporains et passs. La chronique nat aprs les rgles
pratiques. L'instinct animal lui-mme, qui se rduit une premire forme de
connaissance quantitativement faible, rgle le comportement en fonction des v-
nements futurs viter ou favoriser ; un spcialiste du sujet en donne cette belle
dfinition : l'instinct est la connaissance hrditaire d'un plan spcifique de
vie . Quiconque labore et dispose de plans travaille sur des donnes du futur.
C'est encore mieux si nous entendons l'adjectif spcifique comme se rapportant
l'espce , c'est--dire non pas un plan particulier, mais un plan pour l'esp-
ce .
Cependant les thses sur l'unit de dieu et l'immortalit de l'me ne sont pas
mises par hasard mais disent, avec dautres mots, que les temps o chaque tra-
vailleur sera libre de sa personne sont imminents. Pour les croyants, les idolo-
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 158
gues, les juristes, il s'agit d'une conqute de la personne humaine, pour nous il
s'agit d'une conqute, venue en son temps, d'un nouveau et plus efficace plan de
vie de l'espce .
Aprs avoir rgl leur compte aux prophtes, on fit de mme avec les Hros
que les vieilles conceptions de l'histoire plaaient sur un pidestal, tant sous la
forme de chefs militaires que de lgislateurs et organisateurs de peuples et d'tats.
Il est inutile aussi de dire qu lgard de tout systme prophtique, tous les hauts
faits des conqurants et des innovateurs politiques sont passs au crible par la
critique marxiste comme autant d'expressions ou de rsultats traduisant les effets
profonds des plans de vie qui se succdent, vieillissent et s'imposent.
Il est clair que si le mouvement ne sait pas tudier, analyser et connatre cette
ligne, il ne sera pas non plus en mesure de la maintenir. Il est non moins clair que
si le mouvement ne sait pas distinguer entre la volont des classes tablies et en-
nemies et celle de sa propre classe, la partie est galement perdue et la ligne,
abandonne. Le mouvement communiste n'est pas une question de pure doctrine ;
ce n'est pas non plus une question de pure volont ; cependant le dfaut de doctri-
Amadeo BORDIGA, PROPRIT ET CAPITAL (1980) 160
ne le paralyse, le dfaut de volont aussi. Et dfaut veut dire absorption des doc-
trines et de la volont d'autrui.
Ceux qui raillent la possibilit de tracer une grande trajectoire historique alors
que son cours n'est qu' la moiti (comme il adviendrait de celui qui, ayant des-
cendu le fleuve de la source mi-parcours, se mettrait en dessiner la carte jus-
qu' l'ocan ; induction qui nest pas accessible la science de la gographie phy-
sique) sont ports exclure toute possibilit d'influence dindividus et de groupes
sur l'histoire ou l'exagrer, du moins en ce qui concerne lavenir immdiat.
On trouve des erreurs volontaristes dans les deux grandes dviations rvision-
nistes de la fin du dix-neuvime sicle et du dbut du vingtime. Le rformisme,
tout en prtendant conserver la doctrine classique en tant qutude de l'histoire et
de l'conomie, refusa comme illusoire la description du cours futur et se contenta
de poursuivre des objectifs de dtail, brve chance et quon renouvelle de
temps en temps. Sa devise fut : le but n'est rien, le mouvement est tout ; ce qui
revient dire : les principes ne sont rien, le mouvement est tout . Dans cette
orientation nat la confusion entre un objectif immdiat de la classe ouvrire et
celui de ses chefs et dirigeants : lun comme lautre peuvent se trouver opposs
lobjectif de classe gnral. L est l'opportunisme. L'autre cole, le syndicalisme,
refusa le dterminisme, sengageant accepter la doctrine de la lutte de classe
conomique et la mthode violente mais non la lutte politique, ce qui l'exclut de la
lutte pour le cours gnral de la classe. Le rformisme et le syndicalisme conflu-
rent dans la dgnrescence social-patriotique.
Dans d'autres textes, on a montr que tout recours des statuts ou des rgle-
ments pour tablir qui est sur la grande ligne historique n'est qu'une illusion tant
qu'on ne juge pas possible de convoquer cette suprme hypocrisie que sont les
consultations, forme purement bourgeoise, les gnrations historiques successives
de la classe : les morts, les vivants et ceux qui natront !
Tout mouvement prsent est pour les dterministes un fait qu'on ne peut nier.
Mais les communistes sont les seuls reprsenter l'avenir du mouvement ,
c'est--dire de la classe en lutte, et qui lutte pour supprimer les classes.
d'action, suivant les postulats d'une prtendue civilisation humaine, tels que les
diffrents thmes idologiques, libraux, galitaires, pacifistes et patriotiques.
Nous avons trait le sujet Proprit et Capital pour qu'il soit bien vident qu
l'poque historique o nous vivons, aprs la chute du fodalisme non seulement
en Allemagne, Russie et Japon, mais aussi en Chine et en Inde, il n'y a qu'une
seule question historique mondiale de la Proprit, et c'est la question du Capital,
de la mort du Capital dont il faut continuer crire l'histoire l'avance.
Ce qui est dcisif au sujet du faux communisme et de l'tat russe, ce nest pas
l'tude, qui ne laisse d'ailleurs aucun doute, de la situation conomique au del du
rideau de fer et des rapports sociaux correspondants, mais l'tude et la simple
constatation de laction politique de ce parti et de cet tat.
Dans des limites donnes d'espace et de temps, la thse d'un parti victorieux
exerant la dictature ouvrire et occup transformer les formes de proprit fo-
dale en formes capitalistes n'est pas absurde du point de vue marxiste. Mais ce
parti NE LE DISSIMULERAIT PAS, il proclamerait au contraire ses propres buts
comme le Manifeste l'impose : faire clater la rvolution dans les pays capitalistes
classiques en maintenant jusque l le pouvoir les armes la main, pour ensuite
mettre en route la transformation sociale.
La certitude que mme dans cette hypothse il s'agira d'une politique contre-
rvolutionnaire, c'est--dire en opposition avec la fin gnrale du communisme
proltarien, ne dcoule pas de chimismes conomiques et sociaux embrouills,
mais rside fermement dans la constatation des ruptures et inversions de la ligne
historique et dans la conviction dimposture laquelle sont lis historiquement
ceux qui ont prsent comme rvolutionnaire la politique visant la restauration
illusoire de la dmocratie contre le fascisme mondial et qui prsentent comme
socit communiste un mercantilisme industriel banal, lequel, nanmoins, incen-
die le cur de l'Asie assoupie depuis des millnaires.
Fin du texte