Dynamique Des Cultes Voduns Et Du Christianisme Céleste Au Sud-Bénin
Dynamique Des Cultes Voduns Et Du Christianisme Céleste Au Sud-Bénin
Dynamique Des Cultes Voduns Et Du Christianisme Céleste Au Sud-Bénin
INTRODUCTION
En fvrier 1993, le tout rcent gouvernement dmocratique bninois
organisait un festival international des Arts et des Cultures voduns,
Ouidah 92 , pour ressouder les liens avec la diaspora ngro-africaine
de par le monde et pour remettre lhonneur un hritage culturel, source
dinspiration pour les artistes contemporains. Ce festival, dune dure
de dix jours, sest droul dans les trois principales villes de la rgion,
Ouidah, Cotonou et Porto-Novo, et a t loccasion dun bras de fer
entre dtenteurs de cultes traditionnels et dtenteurs de nouveaux cultes.
La rgion du Sud-Bnin, ancien territoire du royaume du Danxom,
cr la fin du XVI sicle, possde un panthon bien structur qui ne
se rduit pas quelques cultes locaux. lments constitutifs de la
royaut abomenne, les cultes voduns ont jou un rle trs important
au cours des sicles qui ont prcd la priode coloniale. Linfluence
de 1Eglise catholique est sculaire - un des premiers prlat? du
Vatican est bninois. Cest grce lautorit religieuse de lvque de
Cotonou, qui prsida la Confrence nationale en fvrier 1990, que les
rcents vnements politiques ont abouti la restauration dun rgime
dmocratique au Bnin.
La querelle qui opposa, au cours du festival 4 Ouidah 92 , les chefs
des anciens cultes voduns aux chefs des nouveaux cultes fut pour moi
loccasion de dcouvrir combien taient actuelles ces questions de lgi-
* Anthropologue Orstom, CP 4736, Shopping Barra, CEP 40141-970 BA, Salvador, Brsil.
Se reporter lexposition scLes Magiciens de la Terre >, La Villette et Beaubourg, &
la mi-1989, laquelle participaient les Bninois Cyprien Tokoudagba et Amidou Dossou.
Le cardinal Gantin, qui occupe la curie romaine le poste de prsident de la commission
pontificale Justice et paix .
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3 Cette question du rapport entre le politique et le religieux est lobjet dun article, <TDe la
dmocratie et des cultes voduns au Sud-Bnin , Cahiers dtudes ufiicaines, 137, 35
(1) : 195-208.
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LE PANTHON VODUN
Sur toute lancienne cte des Esclaves, le culte des voduns rgit lensemble des relations des hommes avec le cosmos. Le vodun, cest
tout ce qui est mystrieux lentendement humain (MAUPOIL,1986).
Divinits multiples, symbiose des trois rgnes, fonctionnant en couple,
les voduns entretiennent entre eux et avec les tres humains des relations de parent et daffinit. Matres du monde, dtenteurs de forces
spcifiques, les voduns doivent leur prennit aux tres humains qui
les honorent. Rituels et sacrifices viennent ractiver leur puissance. Les
voduns sont des objets-dieux, le heu o sopre symboliquement la
fusion de lidentit humaine et de lidentit divine > pour reprendre
les termes de AUG (1986). Leur double caractre - humain et sumaturel - les rend trs sensibles aux agissements humains. Forces ambivalentes, ces divinits sont la fois craintes et adores. Tout
manquement aux rgles (violation des interdits, ngligence des sacrifices exigs) provoque leur colre, qui se manifeste par la maladie ou
la mort.
Les voduns, que lon a souvent compars aux divinits grecques,
peuvent tre classs en quatre groupe& :
les divinits royales, o le vodun est un anctre mythique n de laccouplement dune princesse avec un animal ou un monstre (par
exemple, la panthre Agasu, anctre mythique lorigine de la cration du royaume du Danxom, ou encore les enfants monstres TOXOSU
lorigine des diffrentes dynasties royales qui se sont succd au cours
de lhistoire de ce royaume) ;
- les divinits liguagres, o le vodun est un anctre de lignage divinis la suite dun exploit ou dune conduite exceptionnelle (par
exemple, le vodun Kpate Ouidah qui aurait t le premier autochtone
nouer des relations avec les Portugais, relations qui permirent par la
suite Ouidah de devenir le premier comptoir de la traite ngrire) ;
- les divinits populaires, qui ne sont pas rattaches des segments
de lignage, regroupent les voduns imports lors des conqutes, et ceux
des anciens cultes locaux ;
4 Cette typologie des cukes synthtise les classifications opres par LE HRISS(1911) et
MAUPOIL (1986) et sorganise autour des diffrentes strates de lancienne socit dahomenne.
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lexception des divinits lignagres et, dans une moindre mesure, des
divinits royales, les cultes voduns, dans leur ensemble, sont accessibles tous, mme si les charges du culte ont tendance se transformer en charge hrditaire.
La cosmogonie vodun est troitement lie la constitution du royaume
du Danxom et son histoire. Royaut guerrire, le Danxom, en lutte
constante avec son voisin plus puissant, le royaume dOyo, a intgr
au cours de son histoire les cultes locaux et en a arrach dautres lors
des conqutes.
Toute laire communment appele Aja-Fon brasse une population qui
se rclame dune origine commune, le royaume de Tado. Les diffrentes vagues de migration de louest vers lest et de lest vers louest,
si elles demeurent encore mal connues pour certaines dentre elles, ont
entretenu un brassage et une mobilit des cultes bien antrieurs aux
bouleversements induits par la conqute europenne ou par la colonisation franaise.
De tout temps, les voduns ont t achets ou saisis par la force, puis
intgrs dans un schma lignager, clanique ou dynastique. Ce qui apparat aujourdhui comme le ciment de la tradition fut un jour une
nouveaut acquise pour renforcer la puissance du royaume, du clan, du
lignage ou de la famille. En effet, lexception du culte des anctresa,
qui dans une certaine mesure continue perptuer les diffrenciations
5 Dans un article o il critique les comparaisons faites par Meyer Fortes entre (Edipe, Job
et les figures cosmologiques des Tallensi.
6 quivalent yoruba du vodun de laire aja-fon.
Le parrainage permet la clientle dune dynastie royale dadhrer 2 son culte. Cest ainsi
que lensemble des fonctionnaires du roi dAbomey dtachs Ouidah avait le privilge
et lobligation dhonorer le culte NeszLnw.
* Dans une tude socio-urbaine de la ville de Ouidah 2 laquelle jai particip, jai pu
constater que ctait moins par lagencement spatial que par une manire dhonorer les
morts que les groupes sociaux de cette ville se diffrenciaient les uns des autres (cf. Snvou,
1991).
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Si daucuns voient dans Xevioso une copie conforme du Shango yoruba, qui est la divinit protectrice du royaume dOyo, dautres assurent quil sagit de deux divinits
distinctes, Xevioso tant propre aux populations locales toffi, aujourdhui rfugies sur
le lac Nokou. Pour notre propos, limportant est que cette dernire hypothse est partage
par lensemble des populations concernes.
l Le pays mahi se situe a une centaine de kilometres au nord dAbomey et comprend la
rgion de Savalou.
rr Plusieurs rois dAbomey (Kpengla le sixime et Guezo le neuvime) sont morts de la
variole et plusieurs expditions guerrires se sont soldes par un chec cause des Cpidmies de variole qui ravageaient les troupes (cf. HERSKOVITS, 1967, II : 137).
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Gu, divinit du feu et de la guerre ayant pour attribut le fer, est le patron
des chasseurs et des forgerons et, depuis larrive des automobiles, il
est aussi celui des chauffeurs et des mcaniciens. Dorigine yoruba, il
possde un statut comparable celui de Legba, dans la mesure o tous
deux sont honors au seuil des maisons. Dans le Sud-Bnin, il ny a
pas de temple spcifiquement ddi Gu. Chaque concession possde
dans sa cour des petits autels constitus \Piques de fer fiches dans
le sol et surmontes de ferrailles diverses. A lgal des instances de la
personne qui caractrisent les individus dots dune diffrence marque,
par exemple par la naissance gmellaire ou encore par la prdominance
de Legba dans la structure de la personnalit, Gu tend aujourdhui se
transformer en divinit personnelle pour les corporations de forgerons,
de mcaniciens et de chauffeurs.
divinit de larc-en-ciel symbolise par un serpent qui
se mord la queue, appartient la classe des voduns populaires, avec
toutefois un statut lgrement diffrent. HERSKOVITS
( 1938) lui consacre
un chapitre part tant sa position est singulire. Serviteur du crateur
Mawu-Lisa, Dan nest apparent aucune divinit. Assurant le mouvement entre le ciel et la terre, il rside dans la mer. Cest lui qui porte
le monde tel un serpent lov autour de la terre et certains de sesmouvements sont lorigine des tremblements de terre et des ruptions volcaniques.
Dan Aykxovedo,
Partageant avec Legba une position dintermdiaire - entre les divinits et entre les dieux et les hommes -, Dan se retrouve partout. Mais,
la diffrence de Legba qui est le messager et non le serviteur de
Mawu-Lisa, il nest jamais servi le premier.
Serviteur des dieux et, dans une moindre mesure, des tres humains,
Dan permet daccder la richesse et la prosprit. Ne dit-on pas que
ses excrments sont de lor et des pierres prcieuses ? A la frontire
des divinits populaires et des divinits personnelles, Dan apparat dans
des lieux limites - on retrouve ses autels dans la brousse, ou au bord
des routes. Sa prsence dans les villages est discrtement marque par
un drapeau blanc flottant sur le toit des maisons, ou encore par des
petites poteries formes de deux coupelles reposant lune sur lautre,
enduites de kaolin et places dans lintimit dune chambre ou dans le
temple dune autre divinit. linstar de Legba, Pan peut apparatre
comme une instance de la personne et ses manifestations peuvent se
traduire par des troubles de la personnalit. De la mme faon, une
chance inoue, le sens des affaires, la richesse et la fcondit dune
personne sont attribus la puissance de son Dan. Lintrt de la divinit Dan dans la socit bninoise contemporaine est son caractre
personnel, qui lui permet de continuer jouer un rle dans une socit
o les conflits se rduisent de plus en plus des conflits entre personnes
et entre soi et le monde.
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linverse, Sakpata et Xevioso tendent se figer en divinits lignagres et en signes culturels ressortissant au folklore. Il nest qu voir
la sortie de leurs adeptes lors des ftes annuelles, o la magnificence
des costumes et lhabilet de la danse cherchent plus amuser Ie spectateur qu recruter de nouveaux adeptes. Cependant, la mort par foudre
vient parfois rappeler aux citadins la puissance de Xevioso, comme le
montre ce fait divers survenu Cotonou lors de mon sjour : un matin,
le corps dune jeune femme morte foudroye est retrouv dans un
quartier priphrique, non loin du grand march. Pendant plus dune
semaine, le corps est laiss labandon, chacun se refusant dplacer
ce corps coupable. Les journaux en ont fait leurs gros titres en rappelant que, traditionnellement, ctait aux adeptes de Xevioso de prendre
en charge cette dpouille, ce que ces derniers se refusaient faire :
personne ne connaissait la dfunte, et, en labsence dune famille
de qui exiger les sacrifices pour purifier le cadavre, ils ne pouvaient
sacquitter dune tche qui leur tait autrefois dvolue. Finalement, les
autorits publiques furent alertes et lincident fut clos quand on dclara
que cette femme tait une Ghanenne*3,trangre au pays.
HERSKOVITS (1938, vol. 2 : 137 et suiv.) remarquait, la fin des annes
trente, que la divinit de la Terre, Sakpafa, rencontrait beaucoup de
succs en dpit du programme de vaccination mis en place par Ies autorits coloniales et que le nombre de ses adeptes tait en train de
surpasser celui de la divinit Mawu-Lisa et de concurrencer celui de la
divinit Xevioso. Actuellement, il me semble que les adeptes de MawuLisa sont rares et que les temples les plus dynamiques abritent Xevioso.
On croise encore beaucoup de femmes dun certain ge portant les scarifications de Sakpata, mais la plupart des jeunes initis sont affilis aux
divinits Dan et Xevioso.
la diffrence des divinits Sakpata, Xevioso et Mawu-Lisa qui possdent des collges dinitis organiss autour des structures lignagres,
Dan apparat beaucoup plus comme une composante de la personne
humaine laquelle on sattache par ncessit personnelle. Responsable
de certains troubles de la personnalit chez les femmes, Dan est adopt
pour sattacher les faveurs amoureuses dune personne ou pour prvenir
a Une histoire analogue est raconte dans le livre trs drle de William Boyd, Un Anglais
sous les Tropiques, dont laction se droule dans un pays proche du Bnin et quon suppose
tre le Ghana ou le Nigeria (BOYD, 1984).
l3 On qualifie les prostitues de x Ghanennes>>,indpendamment de leur nationalit, de la
mme faon qu Paris sont ainsi dnommes toutes les prostitues originaires du continent africain. En qualifiant la morte de Ghanenne, on pouvait ainsi dgager sa responsabilit devant un danger qui ne touchait plus la population locale puisque la femme tait
une trangre.
t4 Ren Gualbert Ahyi, psychiatre bninois, voit dans certaines pathologies attribues Dan
des manifestations hystriques.
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LES NOUVEAUX
CULTES VODUNS
Expression utilise par DOZON (1974) dans son article sur les mouvements religieux africains et reprise par MARY (1992) dans sa thse de doctorat dtat portant sur les logiques
symboliques luvre dans le travail syncrtique des prophtes et des communauts
eboga du Gabon.
l6 Selon les textes et selon les rgions, Atinga peut aussi tre appel Aringali et T&urc. Dans
tous les cas, il sagit du mme culte.
Aujourdhui, au Sud-Bnin, ils sont associssous le terme gnrique de Tran, qui dsigne
tous les cultes ami-sorcellerie dorigine ghanenne. DEBRUNNER (196 1). dans son livre sur
la sorcellerie au Ghana, numkre une srie de nouveaux cultes paens qui, pour beaucoup
dentre eux, font partie, au titre de divinits secondaires, du panthon Tron au Bnin :
Aherewa, Kankanzea, Senyakupo, pour ne citer que les plus connues.
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ou le vodun
de la kola au Togo
ls Migration saisonnire de travailleurs de la Gold Coast venant louer leurs bras au Togo
pour la culture du cacao.
l9 De nos jours, les autels de Glo vodun sont installs au seuil des maisons, notamment en
ville, o les exigences de la vie moderne ne permettent pas de dresser ses autels nimporte o. Toutefois, lide de frontire et de seuil est respecte.
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accompagnant la Christian Science diffuse par des travailleurs saisonniers ghanens, pour se transformer au fur et mesure en culte antisorcellerie. Si au dpart la Christian Science a inspir un mouvement
de rforme africain en opposition au christianisme colonial, trs vite ce
mouvement sest transform en culte visant remplacer les structures
religieuses traditionnelles. C. Merlo interprte le succs remport par
Goro comme un moyen pour les notables de restaurer un pouvoir local
branl par les autorits coloniales. En instaurant une hirarchie entre
les premiers dispensateurs du culte et les nouveaux adeptes, en dictant des lois, les premiers dispensateurs du culte de la kola ont certes
voulu reprendre une certaine autonomie daction vis--vis du dominateur colonial, mais cette reprise en main dun certain pouvoir na jamais
t explicitement dirige contre le colonisateur.
Le culte Atinga
au Nigeria
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r Dans une premire phase. ce sont les chefs et les ams qui font appel aux AZuri~ga pour
lutter contre la sorcellerie. Et ce nest quaprs linterdiction du culte par les autorits
protectorales que les jeunes adeptes vont se livrer de vritables exactions contre les
cultes anciens.
Dans de nombeuses socits africaines, les pratiques de sorcellerie sont gnralement attribues aux femmes.
23En outre, si on se rfre larticle historique de CHA~PEL (1974) sur les jumeaux, dans
lequel il montre que ce culte, originaire du Sud-Bnin (rgion de Porto-Novo), est assez
rcent en pays yoruba (processus de conversion assez lent qui, encore au milieu du
xx sicle, ne touchait pas de faon uniforme tout le pays yoruba), on peut supposer que
sa fragilit statutaire pouvait aussi en faire un bouc missaire idal.
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&Veste au Sud-Bnin
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scne de jeunes adultes devenus commis, tudiants ou petits fonctionnaires, que les structures sociales traditionnelles avaient tendance
carter du pouvoir. La multiplicit des divinits, qui composent chacune
avec les diffrentes facettes de la vie quotidienne locale, est dlaisse
au profit dune entit unique qui apprhende les tres humains dans
leur rapport plus gnral au monde. Cette tendance monoltrique >PJ
qui accompagne le changement social est assortie dune rduction du
systme dinterprtation symbolique. On observe partout en Afrique
une corrlation entre le dveloppement de nouvelles formes religieuses
et celui de la sorcellerie comme modle explicatif unique du malheur
et de la maladie. En privilgiant une instance causale, les religions et
cultes nouveaux oprent un travail syncrtique sur les schmes symboliques dinterprtation du mal ainsi quune refonte des catgories de
pense de lidentit personnelle humaine et divine. Aux explications
quivoques et contradictoires, aux recours multiples en face desquels
se trouvait la personne malade se substitue un modle univoque (la
sorcellerie) qui englobe toutes les instances causales autrefois distinctes.
Au mme moment, le malade, autrefois tenu pour victime dagressions
extrieures, voit sa part de responsabilit accrue dans les malheurs qui
le frappent. La culpabilit nest plus principalement rejete sur 1Autre
(le tignage, la divinit aigrie, le voisin jaloux, etc.) et lanalyse de ses
propres actes occupe dsormais une place dcisive. Une dimension
thique beaucoup plus importante que dans les cultes anciens conduit
la personne chercher dans ses propres actes la raison de son infortune. De plus, la frontire entre le bien et le mal est si bien tranche
quon ne ngocie plus avec les fauteurs de troubles, comme les tradipraticiens pouvaient le faire jusqualors.
On a souvent justifi le succs des cultes ami-sorcellerie en sappuyant
sur le phnomne de nouveaut ou encore en mettant en avant la recrudescence des faits de sorcellerie dans la socit africaine daujourdhui.
Or, en pays fon comme en pays yoruba, des institutions particulires
fonctionnant sur le mode des socits secrtes avaient autrefois pour
objet une mission moralisatrice de la vie publique. Elles faisaient des
sorties publiques rgulires pour dnoncer les mfaits commis par les
uns et les autres au cours de lanne. DEBRUNNER
(1961) en dnombre
aussi au Ghana. L, leur mission visait pnaliser les personnes trop
riches et donc souponnes de sorcellerie, en redistribuant leurs biens
pour rtablir un quilibre socio-conomique. La fonction rgulatrice des
24Jean Bottro, cit par AUGE (1982 : 1401,distingue lhnothisme, systme reconnaissant
une place particulire un dieu, du monothisme, qui reconnat un seul dieu. Ce concept
dhnothisme conviendrait sans doute mieux pour qualifier cette tendance a privilgier
un dieu sansrenoncer totalement aux divinits antrieures. En effet, labandon des anciens
dieux, sil est franchement marqu dans la conversion aux nouvelles religions de type
prophtique, lest beaucoup moins dans ladhsion aux cultes de type no-traditionaliste.
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et CIO vodun
au Sud-Bnin
Atingali
noter que ces cultes acquis hors frontires accdent au statut dtre suprme dans leur
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s Mami Wata est perue au Sud-Bnin comme une divinit ghanenne, et il est vrai que
les pcheurs marins dorigine ghanenne qui vivent sur la cte bninoise lhonorent
comme une divinit lignagre et professionnelle. Mais ces communauts de pcheurs
jugent que les adorateurs bninois pervertissent cette divinit. Loccasion ma t donne
de le comprendre au cours dune crmonie o un petit groupe de jeunes pcheurs
ghanens vivant l sest ml aux festivits, semant la pagaille de toute part, parce quils
jugeaient les transes des adeptes ridicules et hontes.
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les alcools les plus fins coulaient flots, les plats les plus sophistiqus
se succdaient et le luxe des voitures qui venaient dposer les convives
achevait ce tableau dopulence. Cest uniquement auprs de ce type de
divinit que lon rencontre pareil talage de luxe et de richesse firement exhibs.
De lautre ct, les parents pauvres du panthon de la kola sont les
voduns Atingali et Kpe vodun. Divinits se manifestant par la transe
de possession, elles exigent le sacrifice du chien et du chat, symboles
des forces malfiques contre lesquelles elles luttent avec une certaine
violence. une poque, les premiers adeptes parcouraient les
campagneP tels des camelots pour dnoncer les mfaits et les auteurs
de sorcellerie, et, si aujourdhui les accusations de sorcellerie ne sont
plus publiques. mais restreintes la cour du chef de culte, la chasse
aux sorciers demeure lactivit principale. Ces divinits recrutent leurs
adeptes auprs des populations les plus dmunies et les plus marginalises de la socit urbaine. La misre, le sous-emploi, les checs matrimoniaux, les maladies et la mortalit qui suivent la grossesse,
limpossibilit de sidentifier et de sintgrer aux rseaux de lconomie
nouvelle attirent une clientle que le discours simplificateur de la sorcellerie comble dexplications et despoirs. En se fortifiant du pouvoir antisorcier contre les parents laisss au village, contre une voisine ou un
voisin dont le sort est encore plus misrable que le sien, en se purifiant
de ses mauvaises penses et actions, et surtout en retrouvant une
communaut dans laquelle les rseaux de solidarit ne passent pas par
une structure trop hirarchise, les adeptes dAtingali et de Kpe vodun
vivent dans lespoir de jours meilleurs et dune vie dcente. Lors des
crmonies de fin de semaine, les danses sont frntiques, la joie est
un peu celle du dsespoir, mais lambiance dbride reste bon enfant.
Mme si, linverse des crmonies dAlafia qui ftent la russite
sociale des adeptes, les tambours de fin de semaine rythment surtout
les sances dexorcisme, de purification et de traitements divers. Ces
rituels de protection et de traitement visent former une nouvelle identit pour permettre la ralisation individuelle telle quelle est idalise
par les messagesde russite sociale que renvoie la socit urbaine daujourdhui. En attendant, ladepte plonge chaque vendredi soir dans un
rituel o la hirarchie est trs fluide, o les codes de conduite sont trs
personnaliss et o les danses et les sances de possession sont un
exutoire toute la misre quotidienne. Sans lapparat des rencontres du
vodun Alafia, sans la rigueur police des cultes voduns traditionnels,
Aujourdhui ncore, dans des villages trs enclavs comme ceux autour du lac Nokou,
par exemple, nous avons pu observer lrection de ces autels anti-sorcellerie dans le
village, sans quil y ait un chef de culte rsidant demeure.
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29La mobilisation constante du schme sorcellaire accompagne le processus dindividuation de la personne, laquelle se trouve confrontbe IAutre indiffrenci.
3o Association cre en 1991 linstigation du gouvernement bninois pour prparer le
festival.
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voduns, son association peut dsormais peser face aux autres formes
religieuses. Et 1Eglise catholique en a bien senti la menace, se montrant
trs rserve lors du festival.
Porto-Novo.
32Pour plus de dtails sur les glises Aladura, cf. PEEL (1968).
33Forme dans les annesvingt, dans la vaste mouvante des glises indpendantes qui refusent lautoritarisme des glises missionnaires, et dont le succs doit beaucoup deux
pidmies, lune de grippe en 1919-1921, lautre de peste bubonique en 1924-1926.
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cleste au Sud-Bnin
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33Cest ce que nous dit trs clairement une de nos interlocutrices lettres, lors dun entretien. Elle ajoute que ce qui la gnait dans la religion catholique, ctait la pratique de la
confession.
35Une dynamique lettrs/non-lettrs se retrouve dans dautres mouvements, comme le
kimbanguisme au Zare. Mais, au Bnin, le Christianisme cleste nest pas encore arriv
au stade de religion nationale, comme cest le cas pour le harrisme en Cte divoire ou
le kimbanguisme au moment des indpendances.
36Je me rfre ici aux distinctions wbriennes, en exagrant quelque peu mon propos.
37Il sagit de L~zi&e sw le C/&tianisme
Cleste, 1972,85 p., nrulrjgr.. qui ce jour est,
ma connaissance, lunique texte officiel de cette glise.
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3x Et non de prophte, comme laurait tant souhait le nouveau leader Bada, ce qui laisse
la place vacante un nouveau prophte qui aura assez de pouvoir charismatiyue pour
succder spirituellement Oschoffa.
jg Rappelons cependant que, linverse des femmes du Christianisme cleste, les femmes
des cultes voduns peuvent accder a la prtrise. En outre, toutes les pouses de vodun Y>
ne sont pas des femmes, mme si leur nombre est de loin suprieur celui des hommes.
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CONCLUSION
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travers les concepts du bien et du mal, que la pense religieuse traditionnelle ne traitait pas en ces termeP. Mais cette nouvelle formulation du monde nempche pas que survive le rle de bouc missaire
dvolu aux femmes, que la crainte dune accusation de sorcellerie
cantonne dans des positions hirarchiques infrieures. Reconduisant en
partie les traditions, la sorcellerie permet doprer un continuum entre
socit traditionnelle et socit moderne. Le changement social a certes
modifi les relations entre ans et cadets. mais la libert des femmes
est loin dtre acquise tant que pse sur elles le soupon de sorcellerie.
Si ce ntait cette crainte, il me semble quil y a longtemps que ces
dernires - dont certaines ont un poids conomique considrable auraient transform leur avantage les usages sociaux.
Ce qui caractrise aussi les nouveaux cultes voduns et les glises
nouvelles comme le Christianisme cleste, cest le dynamisme social
qui les fait fonctionner, dans la socit urbaine daujourdhui, selon
deux ples internes opposs : au sein du panthon de la kola, une lite
de grands commerants oppose un sous-proltariat urbain rcemment arriv des zones ruraIes ; au sein de 1Eglise du Christianisme
cleste, une lite duniversitaires, de fonctionnaires et de lettrs oppose
des jeunes chmeurs sans qualification professionnelle, des petits
artisans et fonctionnaires de larme et de la police. Dun ct soffre
une image de la ville avec ses grands commer$ants peu instruits mais
trs au fait des rgles du capitalisme international, et ses no-citadins
analphabtes et sans aucune matrise des lois du march urbain, de
lautre, la ville no-coloniale, compose de cadres bureaucratiques de
tous niveaux, et lhgmonie de la chose crite. Et, en de de ces stratifications nouvelles, la prpondrance des femmes que la redistribution des rles sociaux maintient dans les positions hirarchiques les plus
basses.
la fois reflet et signe de la vitalit de la socit urbaine contemporame du Sud-Bnin, les nouveaux cultes voduns et le Christianisme
HAGENBUCHER
(1992), dans son tude du Mvulusi congolais, montre trs bien ce rkordonnement conceptuel du bien et du mal.
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cleste poursuivent la route trace par les cultes plus anciens. En prenant
peu peu leur place dans lunivers religieux personnel des citadins, en
touchant toutes les couches de la socit, ces cultes et religions recomposent les identits, selon un mode corporatiste pour les uns, selon un
mode communautaire pour les autres. Et, si les hirarchies sont plus
souples et la mobilit sociale plus fluide, nul doute que de nouvelles
crises et de nouvelles ruptures viendront sculariser ces nouveaux cultes
devenus anciens, et, qui sait, remettre lhonneur les anciennes divinits du royaume dAbomey. Car, si les anciennes hirarchies sont
branles, le respect des anctres vient montrer que la mmoire lignagre est un concept essentiel la dynamique de la socit bninoise
contemporaine. Cela explique aussi pourquoi ladhsion individuelle
aux nouvelles communauts religieuses se transforme peu peu, pour
retrouver des schmes lignagers ou statutaires.
REMERCIEMENTS
Mes remerciements sincres Jean-Pierre Dozon, Marc-ric Grunais et Andr& Mary,
qui mont aide de leurs commentaires et critiques dans llaboration de ce texte.
BIBLIOGRAPHIE
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