Liberte Religieuse MGR Tissier

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La libert religieuse,

droit naturel la libert civile,


limite par les exigences du bien commun
en matire religieuse
tude critique de cette thse
par Mgr Bernard Tissier de Mallerais

AR SA DCLARATION Dignitatis human promulgue le


7 dcembre 1965, le concile Vatican II a enseign un droit des personnes et des groupes la libert religieuse civile. Cette doctrine fut
combattue au Concile et a t depuis lors dnonce sans cesse par des vques,
des thologiens, des philosophes, comme contraire lcriture sainte,
lentire Tradition divine orale et spcialement au magistre constant de
lglise.
Une thse parue en 1989 a tent de rsoudre la contradiction ; elle ne serait
quapparente : le magistre antrieur enseignait la limitation de cultes errons
selon les exigences du bien commun, et la libert religieuse conciliaire enseigne la libert de tous les cultes dans les limites des exigences du bien commun.
Cela revient au mme : le bien commun est la rgle.
Cette conciliation illustre lhermneutique de continuit et de nouveaut
promue depuis 2005 par le pape Benot XVI : la libert religieuse serait une
nouveaut dans la continuit. La prsente tude dvoile certains vices cachs
de cette thse.

nonc du droit la libert religieuse


1. Le concile du Vatican [Vatican II] dclare que la personne humaine a
droit la libert religieuse. Cette libert consiste en ce que tous les hommes
doivent tre soustraits toute contrainte de la part soit des individus, soit des
groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte quen
matire religieuse nul ne soit forc dagir contre sa conscience ni empch
dagir, dans de justes limites, selon sa conscience, en priv comme en public,
seul ou associ dautres. Il dclare en outre que le droit la libert religieuse
a son fondement dans la dignit mme de la personne humaine telle que la

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fait connatre la Parole de Dieu et la raison elle-mme. Ce droit de la personne


humaine la libert religieuse dans lordre juridique de la socit doit tre
reconnu de telle manire quil constitue un droit civil.
Tel est lobjet prcis de la dclaration conciliaire Dignitatis human sur la
libert religieuse (DH, n. 2, 1).

Les papes antrieurs


nauraient pas condamn ce droit-l
2. Selon lhermneutique de continuit et de renouveau, Dignitatis human
dclare, en matire religieuse, un droit naturel la libert civile limit par les
exigences du bien commun. Expliquons la signification de ces termes.
Ce droit est en matire religieuse.
Ce droit est naturel, car fond sur la dignit naturelle de la personne humaine.
Cest un droit qui ne prtend pas se fonder sur lopinion errone selon laquelle toutes les religions se valent ou quon peut obtenir le salut ternel dans
le culte de nimporte quelle religion (indiffrentisme).
Ce nest pas un droit affirmatif, cest--dire un droit dagir (en matire religieuse), afin dviter linconvnient de proclamer un droit lerreur, si la
religion est fausse. Ce droit est un droit purement ngatif , un droit ne
pas tre empch... Et un tel droit peut en effet exister mme pour les adeptes de lerreur, par exemple un droit civil limmunit. La libert religieuse est
un droit naturel limmunit de contrainte.
Cest le droit une libert : parce que la prestation que la personne requiert
de ltat nest pas le culte mais seulement la libert du culte.
Ce droit protge dabord contre la contrainte qui force agir contre sa
conscience. Et cette protection-ci nest pas ici objet de discussion.
Ce droit protge aussi contre la contrainte qui empche dagir selon sa
conscience, et voil lobjet de la controverse.
Ce droit a un objet limit, puisque son objet est la libert religieuse dans
de justes limites .
Enfin, ces justes limites sont les exigences du bien commun de la cit. Cest
une clarification de ce que dit confusment DH en 7, 2 et 7, 3. Mais de quel
bien commun sagit-il ?
Or, disent les dfenseurs de la libert religieuse conciliaire, les papes du 19e
sicle ont condamn seulement :
a) premirement, le droit la libert de religion inspir par
lindiffrentisme religieux, et,
b) deuximement, un droit illimit la libert religieuse.
Or, ajoutent ces dfenseurs, la libert religieuse conciliaire est autre, car :
a) elle se fonde sur la dignit de la personne, non sur lindiffrentisme,
b) et, secondement, elle est un droit limit, comme on la dit.

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Par consquent, disent ces mmes dfenseurs, la libert religieuse du


Concile ne tombe pas sous la condamnation du magistre du 19e sicle.
Notre tche est de rpondre cette argumentation. Cela nous mnera des
considrations philosophiques et juridiques non sans importance.

La libert des cultes est-elle condamne


pour son indiffrentisme ?
3. Tout dabord il ne semble pas exact que les papes Grgoire XVI, Pie IX et
Lon XIII aient condamn une libert des cultes fonde sur lindiffrentisme.
Certes ils affirment que la libert des cultes dcoule de la source empoisonne
de lindiffrentisme, mais lnonc prcis de la libert condamne ne parle pas
dindiffrentisme, et la condamnation nest pas motive par lindiffrentisme
ventuel des avocats du droit la libert des cultes. Il suffit de lire les textes.
Dabord Grgoire XVI :
De cette source trs putride de lindiffrentisme [voici la source] dcoule
cette maxime errone ou plutt ce dlire [voil la qualification de ce qui suit]
quil faut affirmer et revendiquer pour chacun la libert de conscience [voil
lobjet prcis de la condamnation]. (Mirari vos, Dz 1613.)
On voit que la libert de conscience est condamne en elle-mme, comme
tant en elle-mme errone et dlirante, et non pas en tant quelle dcoule de
lindiffrentisme.
Ensuite Pie IX :
[Les novateurs] appliquant la socit civile le principe impie et absurde du
naturalisme, comme ils lappellent, osent dire que la meilleure organisation de
la socit et le progrs civil requirent tout fait que la socit humaine soit
constitue et gouverne sans gard la religion, comme si elle nexistait pas, ou
du moins sans faire de distinction entre la vraie et les fausses religions [cest
lindiffrentisme de la cit et de ltat, lidologie rgnante et inspiratrice de la
libert des cultes]. Et contre les saintes Lettres, lglise et les saints Pres [cest
la raison de la condamnation], ils nhsitent pas affirmer que la meilleure
condition de la socit est celle o nest pas reconnu au pouvoir public loffice
de rprimer par la sanction des peines les violateurs de la religion catholique, si
ce nest quand la paix publique le demande [cest la proposition condamne].
On voit encore que le droit la non-coaction civile nest pas condamn
pour lindiffrentisme qui linspire alors, mais en lui-mme, comme contraire
lcriture et la Tradition.
Enfin Lon XIII, dans Libertas (n. 34 et 36), certes condamne
lindiffrentisme religieux, celui de la personne et celui de ltat. Mais dans sa
conclusion (n. 55-61), il dcrit les trois formes de la politique librale sans

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mentionner leur ventuelle racine dindiffrentisme, puis il termine par une


condamnation qui vise, entre autres, le droit naturel la libert de religion (n.
61), sans quil soit question dindiffrentisme :
Il suit de ce qui a t dit, quil nest pas du tout permis de demander, dfendre, concder la libert de penser, crire, enseigner, non plus que la libert des
religions sans distinction (promiscuam religionum libertatem), comme autant de
droits que la nature aurait donns lhomme. (Libertas, Dz 1932.)
Cest dire quune telle libert nest pas un droit naturel.
Lon XIII condamne un droit naturel une libert sans distinction de la
vraie et des fausses religions : tel est le sens de promiscuam libertatem, comme
dans la lettre du mme Lon XIII lempereur du Brsil, E giunto, du 19 juillet
1889 : La libert de culte, considre dans son rapport avec la socit [... est]
la reconnaissance ceux-ci [aux cultes dissidents] des droits mmes qui
nappartiennent qu lunique vraie religion, que Dieu a tablie dans le
monde 1.
Concluons : les papes du 19e sicle condamnent en lui-mme le droit la libert des cultes (parfois aussi nomme libert de culte ), ils ne le condamnent point en tant que ce droit dcoule de lindiffrentisme. Par consquent,
mme si on revendique ce droit pour une autre raison, par exemple au nom de
la dignit de la personne, on revendique un droit condamn.

Est-ce une libert illimite des cultes


qui a t condamne au 19e sicle ?
4. Vient maintenant le second argument de lhermneutique de continuit
et de nouveaut. Il snonce ainsi : les papes du 19e sicle ont condamn seulement un droit la libert illimite des cultes, tandis que Vatican II dfinit un
droit une libert limite (DH 2, 1).
Or cela semble inexact en ce qui concerne les papes du 19e sicle : ils
condamnent simpliciter, en lui-mme, un droit naturel la libert civile en
matire religieuse, sans jamais le qualifier dillimit.
Grgoire XVI condamne absolument le droit la libert civile de conscience : cette maxime fausse ou plutt ce dlire quil faut procurer et garantir
quiconque la libert de conscience erronea sententia seu potius deliramentum,
asserendam esse ac vindicandam cuilibet ( quiconque) libertatem conscienti
(Mirari vos, Dz 1613). Le cuilibet qualifie le sujet du droit : une personne exerant un culte quelconque ; il ne qualifie pas lextension des manifestations du
culte, ni leur incidence sur le bien commun.

1 Enseignements Pontificaux de Solesmes, La Paix intrieure des nations, Tournai,


Descle, 1962, p. 162, n. 234 (dans la suite, not EPS-PIN).

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Pie IX de mme condamne absolument le droit propre chaque homme,


cest--dire un droit naturel, la libert civile de conscience et des cultes :
libertatem conscientiae et cultuum proprium esse cuiuscumque hominis jus la
libert de conscience et des cultes est un droit propre chaque homme
(Quanta cura, Dz 1690).
Et Lon XIII condamne licere petere, defendere, largiri [...] promiscuam religionum libertatem veluti jura [...] qu homini natura dederit la permission de
demander, de dfendre ou daccorder une libert religieuse sans distinction,
comme un droit que la nature aurait confr lhomme (Libertas, Dz 1932),
cest--dire un droit naturel une libert sans distinction de la vraie et des
fausses religions, comme nous lavons expliqu. Mais sans distinction ne
signifie pas sans limites . Ces papes ne disent jamais quils condamnent
cette libert parce quon la revendique illimite, mais parce quelle est fausse
en elle-mme. Ils ne disent pas que cette libert civile en matire religieuse
pourrait tre un droit naturel si elle tait restreinte certaines limites. Pour
eux, limite ou non, la libert religieuse nest pas un droit naturel. Ces papes
savent bien quun droit donn par la nature est ncessairement chose bonne,
quil est inepte de vouloir limiter comme si elle tait mauvaise. Le concept
mme dun droit naturel limit est pour eux une contradictio in terminis une
contradiction dans les termes. (Des limites per accidens peuvent intervenir,
mais elles sont extra objectum). Nous reviendrons sur cette contradiction.
Il sensuit que mme si on revendique un droit naturel limit la libert des
cultes, on revendique malgr cela un droit condamn.

Pourquoi donc condamner un droit naturel


la libert des cultes ?
5. Donc le droit naturel la libert civile des cultes est un droit condamn.
Quelle est la raison de cette condamnation ? Est-ce une raison prudentielle ?
Ou bien un dcret arbitraire de lglise ? Ou bien une raison philosophique et
thologique ? Pourquoi la libert civile dexercer le culte divin ne serait-elle
pas un droit naturel de lhomme ? Ce droit ne rsulte-til pas du devoir corrlatif dhonorer Dieu dun culte ? Le pape Pie XII ne proclame-t-il pas souvent
et constamment cette libert comme un des droits fondamentaux de la
personne humaine ? (voir EPS-PIN, 804, 1023, 1084, etc.).
Cest exact, videmment ; condition de prciser de quel culte divin on revendique la libert. Il y a quand mme une diffrence entre la libert du culte
et la libert des cultes !
Il ne faut pas oublier que le droit-devoir de lhomme au culte divin a t
prcis par Dieu : Dieu a lui-mme fait connatre la religion quil agre,
lunique vraie religion , quil a lui-mme institue, cest celle de lglise
catholique (DH 1, 2). En cette matire, le droit naturel est prcis par le droit
positif divin.

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Expliquons le principe philosophique qui justifie cette prcision dun


droit naturel. Le droit correspond toujours un devoir corrlatif, ainsi le droit
des parents dduquer leurs enfants leur vient du devoir qui leur incombe,
eux seuls, de dispenser cette ducation. Or, le droit, objet de la justice, est
extrieur au sujet ; il se dfinit indpendamment de la subjectivit de lagent
qui lexerce, dit saint Thomas, mais par rapport lobjectivit du d autrui.
Le droit dpend uniquement de lautre et de ce qui lui est d. Cette dpendance exclusive de lautre est la proprit de la justice entre toutes les vertus
morales (II-II, q. 57, a. 1). Ainsi la bienfaisance dpend sans doute du besoin
dautrui, mais elle est mesure par mon bon cur, au rebours de la justice, qui
est mesure uniquement par le d autrui. Ce d autrui demande souvent
tre prcis ; cest le rle dune facture, par exemple. Ce besoin dune prcision
du debitum alteri de laquelle dpend totalement la dlimitation du jus agentis
peut tre illustre par cette analogie : un bon pre, une bonne mre procurent
la sant leurs enfants, cest un devoir moral. Mais ce devoir ne dtermine pas
ce en quoi consiste la sant des enfants, ni ce qui la promeut. La nature de la
sant est une ralit extrieure qui procure son objet concret la vertu de
justice, mais cette nature ne peut pas tre dduite du seul devoir moral (voir III, q. 94, a. 3 ; q. 95, a. 2 ; q. 99, a. 3, ad 2).
Il en est de mme du devoir cultuel envers Dieu. La nature du culte exercer ne peut tre dduite du devoir, mais elle dpend de Dieu, qui est rendu
le culte, et qui a dict le culte dont il doit tre honor. Cette dcision divine
vaut pour les personnes comme pour la cit. Les citoyens ne sont pas des
personnes abstraites pratiquant un culte naturel dans une cit naturelle .
Il y a concrtement de nombreuses religions dont une seule est vraie, la religion catholique, les autres tant fausses. Or cest selon ce vrai culte que ltat,
reprsentant la cit, doit honorer Dieu, et cest ce seul culte vrai que ltat doit
protger contre lerreur des autres religions. On ne peut donc tablir dans la
cit un droit religieux concret des personnes sans considrer la nature du culte
exerc et sa conformit au droit positif divin.
Dautre part le mme ralisme concret requiert que le droit des catholiques
soit tabli et prcis de manire tre opposable non seulement un tat
perscuteur de tout culte, abstraitement, comme droit au culte divin , mais
encore comme un droit opposable au droit putatif des adeptes des faux cultes,
pour contrecarrer lgalement lexpansion de fausses religions en pays catholiques. Donc le droit des catholiques doit tre sparment dfini et affirm
comme un droit concret : le droit la libert du culte catholique.
Cest ce que dlibrment refuse de faire DH par lusage de labstraction :
agir en matire religieuse (DH 1, 3), ou : les groupes religieux (DH 4).
Ce refus est une faute juridique et politique, qui te toute crdibilit au texte
conciliaire. Bien plus, il rend faux le droit conciliaire la libert religieuse : il
invoque un droit religieux abstrait pour permettre lactivit concrte de religions dont la plupart sont fausses et offensent Dieu. En dfinitive, cette faute
te aussi tout caractre magistriel la dclaration dun droit qui fait abstraction de la volont de Dieu. La volont de Dieu nest-elle plus la premire
norme du magistre ? Rien ne sert de mentionner que les associations ont

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des devoirs envers la vraie religion (DH 1, 3) si on nen tient pas compte
dans lnonc mme du droit quon dclare. Cest mme une contradiction de
dire que la doctrine de la libert religieuse ne porte aucun prjudice la
doctrine catholique ce sujet (DH 1, 3), alors quelle lui porte le plus grand
prjudice, qui est de taire cette mme doctrine dans la dlimitation mme du
droit la libert religieuse.

Mais il faut bien pouvoir dclarer


le droit la libert du culte face aux soviets !
6. Donc, en cette matire religieuse, le droit naturel est prcis par le droit
positif divin. Il nempche que le droit au culte de Dieu demeure radicalement et peut donc tre parfois revendiqu sous cette forme abstraite, par
exemple contre les totalitarismes qui perscutent tout culte religieux ; mais,
concrtement, il est uniquement le droit au vrai culte du vrai Dieu, ainsi que le
droit la libert de lexercer lui seul. Pie XII, chantre du droit fondamental
de la personne au culte divin et la libert civile du culte divin , a souvent
explicitement prcis, discrtement, selon ses correspondants ou ses auditoires, que ce droit (au culte ou la libert du culte) ne vaut que pour la vraie
religion. Quon veuille bien lire ses crits et ses discours ce sujet dans les
Enseignements Pontificaux de Solesmes , La Paix intrieure des nations (EPSPIN) : la libert de pratiquer la religion fonde sur la loi de Dieu et sa Rvlation (834), la libert de servir le vrai Dieu (1052), le droit la libert de
vnrer le vrai Dieu (1119) et la pleine libert dexercer le vrai culte divin
(1252) 1. Pour les non-catholiques, le droit au culte et la libert du culte
nest quun droit putatif, un jus existimatum 2 qui doit cder devant le droit
vritable des catholiques : prsumptio cedat veritati.
Or DH entend dvelopper la doctrine des souverains pontifes les plus rcents (DH 1, 3) sur les droits fondamentaux de la personne ; par consquent
linterprtation de DH devrait se situer dans la ligne de Pie XII : le droit la
libert religieuse concrtement parlant nest autre que le droit des catholiques
la libert de leur culte.

Doctrine traditionnelle :
les devoirs de ltat envers la religion
7. Mais les dfenseurs du concile Vatican II refusent cette hermneutique
trop simple. Pour ne pas rompre demble la discussion thologique avec eux,
entrons dans le dtail de la comparaison de la doctrine de DH avec celle des
papes antrieurs. La doctrine constante de lglise sur les devoirs de ltat
1 Voir aussi Pie XI : le droit de tendre sa fin dernire dans la voie trace par
Dieu (EPS-PIN, 684).
2 MERKELBACH, Summa theologi moralis, t. I, n. 211.

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envers la religion catholique, en principe admise par DH 1, 3, a t rsume


par le schma de la commission de thologie prparatoire au Concile sur les
relations entre lglise et ltat et la tolrance , prsent par le cardinal Ottaviani 1. On peut en extraire ceci :
La cit est une crature de Dieu (en raison de la nature sociale de lhomme),
elle a donc la mme fin ultime que lindividu : le salut ternel. Elle a une fin
prochaine, propre et proportionne, le bien commun, qui consiste en la paix et
la scurit des personnes et des biens, en laffluence des biens spirituels et
matriels, et en la concorde des citoyens dans les lgitimes croyances et coutumes et par-dessus tout lunit dans la religion, par laquelle ils satisfont
leurs devoirs envers Dieu. La fin prochaine est ncessairement ordonne la
fin ultime ; donc ce bien commun est ordonn (indirectement puisquil ny est
pas proportionn) au salut ternel des citoyens. Ltat doit donc particulirement veiller la moralit objective du peuple, reconnatre Dieu et Jsus-Christ,
lui rendre un culte public selon la religion agre de Dieu, favoriser la vie
spirituelle et religieuse selon la loi de Dieu, veiller lunit religieuse du
peuple, ne rien statuer qui soit contre lglise et protger lglise, spcialement
contre lexpansion de lerreur. Mais cette doctrine sapplique diffremment
selon la manire dont le pouvoir civil qui reprsente la multitude (vicem gerens
multitudinis) connat le Christ et lglise fonde par lui.

Le principe de rpression
8. La doctrine intgrale ci-dessus ne peut sappliquer qu une cit dont les
citoyens professent la foi catholique. Cest la situation normale, o la socit
satisfait son devoir moral envers la vraie religion et lunique glise du
Christ (DH 1, 3). Cest la situation modle de lunanimit religieuse catholique de la cit.
De cette situation idale se dpart la conjoncture o une minorit plus ou
moins dveloppe de citoyens nest pas catholique. Lattitude de ltat envers
eux est gouverne par la justice, la prudence politique et la charit. Or la
justice et la prudence ensemble dictent deux principes : le principe de rpression et le principe de tolrance.
Le principe de rpression est un principe mtaphysique, selon lequel tout
ce qui sinsurge contre un ordre de choses est consquemment rprim et
rduit par cet ordre ou par le principe de lordre (saint Thomas dAquin, I-II,
q. 87, a. 1). Appliqu la morale (politique), ce principe, dans le but de sauvegarder lordre catholique menac de la cit et de lglise, accorde au pouvoir
public le droit-devoir (loffice) de rprimer lexercice des faux cultes.
Ainsi sexprime le schma Ottaviani :
1 Des relations entre lglise et ltat et de la tolrance religieuse , commission
centrale prparatoire du concile Vatican II, schma dune constitution sur lglise propos
par la commission thologique, 2e partie, chap. 9 (reproduit dans Mgr LEFEBVRE, Ils lont
dcouronn, Escurolles, Fideliter, 1987, p. 253 et sq.).

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De mme que le pouvoir civil sestime en droit de protger la moralit publique, de mme, afin de protger les citoyens contre les sductions de lerreur,
afin de garder la cit dans lunit de la foi, ce qui est le bien suprme et la
source de multiples bienfaits mme temporels, le pouvoir civil peut, de luimme, rgler et modrer les manifestations publiques dautres cultes et dfendre
ses citoyens contre la diffusion des fausses doctrines qui, au jugement de
lglise, mettent en danger leur salut ternel 1.

Le pape Pie IX, au 19e sicle, enseigne la lgitimit de cet office de ltat, en
condamnant lopinion selon laquelle
la meilleure condition de la socit est celle o on ne reconnat pas au pouvoir le devoir de rprimer par des peines lgales les violations de la loi catholique, si ce nest dans la mesure o la tranquillit publique le demande optimam
esse conditionem societatis in qua imperio non agnoscitur officium coercendi
sancitis pnis violatores catholic religionis, nisi quatenus pax publica postulet. (Quanta cura, Dz 1689.)
Les violatores ne sont pas ceux qui exercent des violences physiques mais
ceux qui contreviennent extrieurement lordre catholique de lglise et de la
cit. En effet le texte ne dit pas violentias mais violatores, cest diffrent.
Donc Pie IX enseigne quivalemment : est meilleure ou au moins aussi
bonne, donc lgitime, lorganisation de la socit o est reconnu ltat le
droit-devoir (officium) de rprimer des pratiques religieuses extrieures
contraires aux pratiques catholiques, et pas seulement pour sauvegarder la
paix publique, mais pour cela mme que, ntant pas catholiques, ces pratiques sont nuisibles ipso facto et cela pour plusieurs raisons :
1) Dabord elles offensent la majest et la vracit du seul vrai Dieu et
sont donc un scandale.
2) Dautre part elles menacent ou blessent de fait le bien commun de la
cit en rompant la concorde des citoyens dans la vraie foi, qui est la part
suprme du bien commun.
3) De plus elles menacent darracher ou arrachent de fait lglise catholique, Corps mystique de Jsus-Christ, certains de ses membres, leur faisant manquer leur salut ternel, qui est la fin ultime de lhomme et aussi de
la cit.
4) En outre, elles sment souvent le pch et le vice, comme par exemple
le divorce ou la polygamie.
5) Enfin elles maintiennent des mes loin de la vrit de Jsus-Christ et
de lglise, les gardant prisonnires de lerreur par un carcan socioreligieux.

1 Des relations entre lglise et ltat et de la tolrance religieuse , schma doctrinal prsent par le cardinal Ottaviani, n. 5 (reproduit dans Mgr LEFEBVRE, Ils lont dcouronn, Escurolles, Fideliter, 1987, p. 258-259).

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9. Ce premier principe, de la rpression civile, est la doctrine constante des


papes, des Pres et des thologiens ; elle dit ce qui doit tre, ou ce qui est
lgitime, dans la situation normale, celle que lglise considre comme la
situation meilleure 1 et comme la situation idale : lunit du peuple
dans la vraie religion et lunanimit daction entre elle et ltat 2 . Cette doctrine demeure mme si le malheur des temps ne permet pas de lappliquer.
Certains objectent que ce nest pas une doctrine, mais seulement une pratique constante, qui a donc une faible autorit doctrinale, et ils concluent quon
peut sans inconvnient lui opposer lautorit de la doctrine de la libert religieuse conciliaire. Admettons-le, dato non concesso ; mais alors lglise, en
demandant constamment aux chefs dtats la rpression civile des autres
religions, aurait ignor pendant quinze sicles le droit naturel de la personne
la non-coaction en matire religieuse ; lglise aurait constamment ls un
droit naturel : cela est impossible cause de lindfectibilit de lglise. Donc
mme la simple pratique constante de lglise reflte ncessairement la doctrine de lglise.

Le principe de tolrance
10. Le second principe de la doctrine traditionnelle concerne encore une socit catholique dans laquelle apparaissent et se dveloppent dautres religions. Cest le principe de tolrance : dans certaines circonstances, la tolrance
peut tre meilleure que la rpression. Pour promouvoir un plus grand
bien , par exemple la paix civile ou une plus grande efficacit de la prdication de lglise parmi les non-catholiques, ltat peut tolrer lexercice extrieur de certains cultes errons et sanctionner limmunit de leurs adeptes par
un droit civil 3.
Pie XII transmet fidlement cette doctrine en 1953 :
Le devoir de rprimer les dviations morales et religieuses ne peut [...] tre
une norme ultime daction ; il doit tre subordonn des normes plus hautes et
plus gnrales qui, dans certaines circonstances, permettent et mme font peuttre apparatre comme le parti le meilleur celui de ne pas empcher lerreur,
pour promouvoir un plus grand bien 4.
De cette doctrine, saint Thomas dAquin nonce le principe en rappelant
que le sens commun (la synse, vertu qui fait juger selon la norme ordinaire)
doit tre modr par le sens de lexception (vertu gnm). Lagent moral doit
savoir aussi juger et dcider selon cette seconde vertu : Oportet de huiusmodi
judicare secundum aliqua altiora principia quam sint regul communes secundum

1 LON XIII, lettre Longiqua oceani, 6 janvier 1896, Actes de S .S. Lon XIII, Bonne
Presse, t. IV, p. 161-165.
e
2 PIE XII, discours au 10 congrs des sciences historiques, 7 septembre 1955.
3 LON XIII, Immortale Dei (Dz 1874) ; Libertas (Dz 1932).
4 Allocution Ci riesce, 6 dcembre 1953, EPS-PIN 3040.

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quas judicat synesis il faut juger de ces cas selon des principes plus levs que
les rgles communes dont sinspire la synse (II-II, q. 51, a. 4).
Ces normes ou principes plus levs et plus gnraux sont tout simplement le bien commun de la cit dans ses lments les plus fondamentaux et
gnraux : la paix publique et la scurit des personnes, etc. ; mais aussi le
bien de lglise dans sa part la plus ncessaire : la libert de sa prdication.
Bien sr ces principes de base sont plus humbles et moins parfaits que ceux
qui sauvegardent lunanimit religieuse de la cit et le rgne social du ChristRoi, mais ils sont plus levs au sens de primordiaux.

Ltat lse-t-il le droit des tolrs


sil ne les tolre pas ?
11. Venons-en largument le plus grave de lhermneutique de la libert
religieuse conciliaire. Dans ces circonstances dtermines dont parle Pie
XII, o lon va appliquer le principe de tolrance, Dieu ne donne ltat
aucun devoir et mme peut-tre aucun droit de rprimer ce qui est faux et
erron (Ci riesce, EPS-PIN 3040). On doit conclure de cette affirmation que
ltat qui rprime alors quil devrait tolrer commet une faute non seulement
contre la prudence mais peut-tre encore contre la justice. Il semble que ce
faisant, ltat lse le droit des non-catholiques, un droit strict, un droit naturel
de ne pas tre empch civilement dagir tant quon ne trouble pas le bien
commun.
Et si lon dveloppait un peu cette doctrine, on aurait laffirmation suivante : tant quils ne lsent pas, ou pas gravement, le bien commun par
lexercice extrieur de leur culte, ses adeptes ont un droit naturel ne pas tre
rprims. Ils jouissent ainsi, en matire religieuse, dune zone sociale naturelle
dactivit autonome dans la cit, zone quenvahirait ltat en sortant de ses
limites, qui sont la sauvegarde du bien commun. Et telle serait la doctrine de
la libert religieuse du Concile, une doctrine semble-til trs raisonnable, une
interprtation du texte conciliaire (DH 3, 5 ; 6, 1 et 2) dans un sens apparemment traditionnel.
Nous devons rpondre ngativement cette hermneutique. Pie XII
nenseigne nullement un droit naturel limmunit religieuse publique dans
les limites du bien commun.
Pie XII en reste la doctrine de la tolrance. Or la tolrance est pour le bien
commun. Donc ltat qui rprime alors quil devrait tolrer pche contre le
bien commun, voil tout. Il ne pche pas contre les personnes. Sa faute est
contre la justice envers le bien commun, mais elle nest pas contre la justice
commutative. Ce faisant, il ne viole pas une zone civile rserve de la personne sur laquelle ltat ne devrait pas empiter ; il ne viole pas un droit de la
personne antrieur ltat.
12. Certes, la doctrine traditionnelle enseigne que les individus et les familles ont des droits naturels antrieurs ltat, et que, comme dit Lon XIII, il

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