Vive La Crise Et L - Inflation
Vive La Crise Et L - Inflation
Vive La Crise Et L - Inflation
LA CRISE
ET"
L'INFLATION!
1.
JACQUES MARSEILLE
ALAIN PLESSIS
VIVE
LA CRISE
ET
L'INFLATION!
HacheHe
littrature .gnrale
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INTRODUCI'ION
INTRODUCTION
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INTRODUCfION
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14
des conomies occidentales, condamn les travailleurs aux angoisses du chmage et les consommateurs
la socit d'austrit.
Pour les conomistes imprudents qui crivaient
comme J. Lecaillon la fin des annes 1960 : ..
Une crise majeure du type de celle de 1929 est
aujourd'hui impensable. Une crise de ce genre reprsente en effet un gaspillage considrable de ressources, des pertes de production normes et une
accumulation importante de misres en raison du
chmage qui en rsulte. Elle constitue un phnomne
i"ationnel par rapport aux objectifs de bien-tre et de
satisfaction des besoins. Aussi serait-elle d'autant
moins tolre.par l'opinion publique et les diffrents
groupes sociaux que les pouvoirs publics, grce aux
progrs raliss par l'analyse conomique, ont aujourd'hui les moyens de s'y opposer efficacement * , le
ptrole devenait un alibi providentiel, une explication
de l'i"ationnel. La crise impensable avait dsormais
un acte authentique de naissance, octobre 1973.
Jamais le capitalisme occidental ne s'tait aussi bien
port qu'avant cette date. TI convenait dsormais
d'apprendre aux Franais que les temps avaient chang.
Rpondant' une question de Gilbert Mathieu
lors d'une confrence de presse en novembre 1978,
v. Giscard d'Estaing excusait ce rappel: J'ai peur
que la question de M. Mathieu ne m'oblige une
explication un peu gnrale de la politique conomique et'sociale, car c'est une question qui englobe la
. fois la croissance et l'emploi. Les Franais ont trs
bien compris que nous vivons des temps conomiques
et sociaux diffrents de ceux auxquels nous avions t
habitus. Jusqu'en 1974, se posait la question centrale
du dbat conomique et social : comment partager
* J.
1967.
LBCAILLON,
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21
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France
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3
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Unis
22
Fronco
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500
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400
300
200
150
50
74
77
80
23
pays, la part de la valeur ajoute revenant l'entreprise, le taux de marge, dcline de manire sensible.
UN NOUVEAU KONDRATIEV?
24
VIVE LA
CRISE ET L'INFLATION!
25
II
LES VERTUS
D'UN MAUVAIS KONDRATIEV
1-'
UN
MAUVAIS
KONDRATIEV
27
28
UN MAUVAIS KONDRATIEV
29
30
UN
MAUVAIS KONDRATIEV
31
32
UN MAUVAIS KONDRATIEV
33
34
t:-
UN MAUVAIS KONDRATlBV
35
36
UN MAUVAIS KONDRATIEV
37
Enfin, cette poque du mauvais Kondratiev ,un pouvoir encore plus clair croit trouver dans
le syndicalisme l'arme la plus dcisive dans son
entreprise de domestication de la classe ouvrire.
En 1880, cela faisait peine un an que la
Rpublique existait de fait. n avait fallu que le
monarchiste Mac-Mahon abandonne la partie en se
dmettant le 30 janvier 1879. Or voici que la France
industrielle se couvre d'autant de grves que les
abricotiers de fleurs: 190 grves, 110000 grvistes,
plus d'un million de journes de grves, des chiffres
jamais atteints . qui meuvent les contemporains et
aiguisent la rflexion des jeunes .prfets chargs par la
fragile Rpublique de consolider les bases sociales du
rgime.
En mme temps que l'ouvrier surgit dans la
littrature avec Zola, il se dresse insolent, vindicatif
et menaant, prt renverser les murailles de la cit.
Si ne veulent point nous rinqurir, clament les
38
UN MAUVAIS KONDRATIEV
39
A quelle poque du XIXc sicle le salaire rel a-tille plus augment? De 1880 1900, en pleine phase
B d'un Kondratiev? Difficile d'en prendre conscience
pour des travailleurs confronts d'une manire permanente au chmage saisonnier et qui voient plafonner leur salaire nominal, le seul qu'ils peroivent, le
seul qui alimente les rancurs et les insatisfactions.
A quelle poque du XIXc sicle l'action sociale de
l'Etat a-t-elle le plus progress? Entre 1873 et 1896,
en pleine phase B d'un Kondratiev. Les dpenses
pour l'ducation ont t multiplies par plus de huit
au cours de cette priode.
Peut-on tablir ainsi une corrlation entre les
phases de l'activit conomique et les actions
d'hommes qui pensent tre guids par leur programme politique, par leurs convictions, voire ... par
leur libre arbitre? L. Fontvieille, dans sa thse,
L'Evolution et la croissance de l'Etat franais de 1815
1969, tente de rpondre cette interrogation:
Peut-on conclure qu'il y ait liaison? Et en quoi
l'action de l'Etat s'inscrit-elle dans le mouvement
d'auto-rgulation de l'conomie? Les dpenses
d'ducation sont incontestablement des dpenses
pour la force de travail. Certes, lorsque nous avanons cette proposition, nous n'entendons pas rduire
l'ducation, la culture, au seul dveloppement de la
40
UN
MAUVAIS KONDRATIEV
41
III
PUTRFACTION
ET PAUPRISATION ABSOLUE?
PUTIFACl'ION ET PAVPmusATlON?
43
avoir sa part de bnfices, n'est-il pas une collaboration indispensable qu'il faut intresser?.. Si vous
supprimez au capital son intrt, vous n'en trouverez
plus quand vous en aurez besoin! Ceux qui l'auront le
conserveront, c'est tout simple... L'change perptuel, c'est la vie du capital, et c'est l en mme temps
'son utilit. Comment empcher le capital de se
former? .. TI Y avait un ouvrier, parmi les mille que
j'ai employs, qui gagnait cent sous par jour; il s'est
dit : "Tiens! Bibi n'a besoin que de quatre francs
pour vivre, Bibi va mettre vingt sous de ct tous les
jours! " TI dit, et au bout de l'anne, il a 365 francs; il
recommence l'anne suivante, dix ans, vingt ans de
suite, et voil un capitaliste 1Presque un petit patron!
Son fils pourra agrandir le capital paternel, et c'est
peut-tre une grande fortune qui commence. La
trouverez-vous mal gagne?
Non, certes, mais comment mettre vingt sous de
ct pendant les vingt trente ans qu'a dur ce
bon Kondratiev alors que le salaire rel n'a
quasiment plus progress, alors que le poids des
dpenses alimentaires dans les budgets ouvriers
reprsente toujours, en 1930, 60 % des dpenses
totales? .
De 1896 la fin des annes vingt, le proltaire
survit, s'duque, se syndique et lutte, mais il ne
consomme pas.
Seuls des rengats , des traitres la classe
ouvrire pouvaient d'ailleurs lui laisser esprer que le
capital tait capable d'accepter une amlioration
durable du niveau de vie des masses populaires.
Consommation et capitalisme, telle est en effet la
question qui divise la Belle Epoque les thoriciens
se rclamant du marxisme. L'enjeu tait de taille. Le
capitalisme tait-il capable de s'amender ou non?
Etait-il capable d'attnuer ses contradictions ou non?
44
Etait~il
PU1'1FACTION ET PAUPRISATION?
4S
46
burg et Boukharine martleront cette vrit irrfutable . Comment la bourgeoisie pourrait-elle accepter d'augmenter la part de la classe ouvrire pour
tenter de se tirer du ptrin ses propres dpens ?
Elle prfrera conqurir des marchs extrieurs,
exporter ses capitaux l'tranger, accrotre le revenu
de ses rentiers qui pourront le dissiper sur la Cte
d'Azur ou sur les rives des lacs suisses.
Dans son ouvrage, L'Economie mondiale et
l'imprialisme, Nicolas Boukharine se hasardera
mme cette prvision : La question conomique
essentielle est de savoir quel sera le sort des diffrentes parties du revenu national; autrement dit, le
tout est de savoir comment le produit national sera
rparti entre les diverses classes sociales et, en
premier lieu, comment voluera la "part" de la
classe ouvrire. A ce sujet, nous supposons que le
processus se dveloppe de faon peu prs identique
dans tous les pays avancs et que les thses justes
pour les conomies nationales le sont galement pour
l'conomie mondiale.
Tout d'abord, on est oblig de constater une
tendance profondment enracine la diminution du
salaire rel. La chert, essentiellement base sur la
disproportion de la production capitaliste, ne disparaitra pas mais s'aggravera ... Rsultat: une part de
plus en plus grande du produit reviendra la bourgeoisie et son gouvernement.
D'autre part, la tendance contraire venant de
la classe ouvrire se heurtera la rsistance croissante
de la bourgeoisie consolide et organise, troitement associe avec l'Etat. Les conquetes ouvrires
habituelles de l'poque antrieure (le livre est crit en
1915) ne sont pour ainsi dire plus possibles. Ainsi, il y
a aggravation non pas relative, mais absolue de la
situation de la classe ouvrire.
Ce pessimisme est en fait le fondement essentiel
PUTRFACI'ION ET PAUPRISATION?
47
48
PUTlFACI'lON ET PAUPIUSATION?
49
50
1913
1938
1955
40mn
12mn
35mn
37mn
16mn
26mn
1 h26
23mn
32mn
30h
3h
33 h 20
2h20
71h25
6h 11
10 h
7h30
16h 40
51
PUTRFACTION ET PAUPRISATION?
1913
1938
1955
8h24
9 h 41
10 h 7
3 h 77
13h97
5 h 88
5 h46
4 h 68
5 h 10
1 h 12
5h25
Oh97
4h42
5 h 42
4 h 35
Oh74
3 h60
Oh545
2h 94
Oh 88
Oh605
8 h 47
6 h 35
Oh220
Oh 51
1 h 05
Oh 121
o h49
Oh 79
23 h 5
Oh 441
1 h 36
2 h 21
52
IV
L'AUSTRIT,
AVATAR SUPIME DU CAPITALISME
54
...
L'AUSTRIT, AVATAR
suPdME
55
CLIGNOTANTS PRCOCES
L'affirmation peut sembler telle~ent surprenante qu'il nous faut rappeler par avance ce que nous
entendons par le mot crise . Les Anglais ont pour
ce faire une expression image, tuming point ou peak.
* Nous reproduisons largement ici un article que nous
avons publi dans la Revue conomique, nO 4, juillet 1980, sous
le titre, Les origines " inopportunes " de la crise de 1929 en
France .
56
La crise correspond en effet au point de retournement, au point critique qui marque le passage de
l'expansion la dpression. Pour la dpression dans
laquelle nous sommes plongs, nous avons' observ
que la crise pouvait tre date des annes 1969-1970.
Pour la dpression qui s'amorce la fin des annes
vingt en France, la crise peut tre situe en 19281929.
Sans vouloir tablir une quelconque hirarchie
des clignotants, le premier indice observer
semble bien le mouvement des prix. Aussi tonnant
que cela puisse paraitre aujourd'hui, la baisse des prix
annonce infailliblement jusqu'en 1930 une longue
priode de dpression conomique. Or si cette baisse
s'amorce, au niveau du march mondial, au milieu
des annes vingt, elle s'aggrave nettement au dbut
de l'anne 1929 et c'est en France que la chute est la
plus prcoce et la plus marque.
L'indice des prix de gros entame partir du mois
de mars 1929 un mouvement de repli qui l'amne en
octobre un niveau infrieur de 8,7 % celui de
fvrier. Cette baisse est nettement plus marque
qu'en Allemagne (- 2,1%); qu'en Angleterre
( - 3,5 %) ou qu'aux Etats-Unis ( -1,9 %). Mais ce
repli moyen de plus de 8 % masque des volutions
plus prononces et plus significatives.
Le prix des textiles, par exemple, a chut de
16,5 % entre le mois de fvrier et le mois de
dcembre 1929, celui des cuirs et des peaux de 23,7 %
et celui du caoutchouc de 31,2 %.Par contre, le prix
des produits chimiques, des mtaux et des matriaux
de construction est rest peu prs stable.
Autre clignotant particulirement frileux, le
cours des valeurs revenu variable. Les professionnels de la Bourse - Contrairement. aux petits pargnants -. ont l'piderme sensible au moindre refroidissement de l'atmosphre. Plus que d'autres, les
57
58
-23,7 %
-45,6 %
-20,9 %
-16,3 %
- 4,7 %
-19,4 %
-21,4 %
-25,3 %
2e trimestre 1928
4e trimestre 1928
2e trimestre 1929
4e trimestre 1929
1er trimestre 1930
2e trimestre 1930
Laine, soie
Coton, cuir
Fonte, acier, automobile,
travail du cuivre
Caoutchouc
Industries extractives
Papier, btiment
59
60
61
F?3
%
3SI-c 1 Taux de profil (= b"a)
30
25
191~913
20
1947
15
0""""" , "!",, ,
1896 1900
1905
1910 19131920
1925
1930
1935
1955
1965
Source: A. BIRI01TI, D. JOURNET et F. SBRMIER. Le taux de profit sur longue priode et l'volution de
l'conomie franaise aux X1Xe etxxe sicles , note ronote I.N.S.E.E., janvier 1976. Tableau reproduit
dans R. BoYER et J. MIsTRAL: Accumulation, inflation, crises, P.U.F., 1978, p. 250.
63
64
65
66
67
68
Industries de la soie et de la
rayonne
Tissage 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
Branches secondaires :
Rubanerie stphanoise 2 40
Moulinage 1 '.' . . 62
Filatuie de rayonne 1 . . . . . . . . . . 28
Industries de la laine 3 ... S03
Tissage du Nord 4 . . . . . . . . . . . . . .
Industries du coton 5
Tissage6 SPays~gers ......
lCOlomes ........... .
Modes, confections, lingerie 7
Peaux et pelleteries 7
Parfumerie 7 . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Produits pharmaceutiques 7
ao~l~erie, bijouterie, orfvrene ...................... ..
Maroquinerie, bimbeloterie, arts
et curiosits 7
Instnuiients de musique 7
65
30
54
35
38"
10
14
18
50
30
49
24
50
44
13
3
28
60
50
60
60
50
et les colonies.
69
38
15
S
30
14*
29
10
7
25
10
33
29
29
35
10
6,5
7
15
70
Pourcentages
des exportations
par rapport
au chiffre
d'affaires
1500
1150
39
43 2
INDUSTRIE AUTOMOBILE
I>aUder()lllemagne) ................
Fiat (Italie) .........................
Renault (France) ...................
British-Leyland (RoyaUIDe-Uni) ......
860 1
23
590
32
1240
930
670
490
32
INDUSTRIE ClDMIQUE
Floec~()lllemagne)
................
B.A.S.F. ()lllemagne) ...............
Bayer ()lllemagne) .................
Rhne-Poulenc (France) .............
I.C.I. (RoyaUIDe-Uni) ...............
660
28
20
21
21
SlDmtURGIE
'.1370
500
220
450
34 3
24
25 3
19
DIVERS
1210
125
500
200
140
115
50
21
65
12
19
4. 1974.
Mais cette forte dpendance l'gard des marchs extrieurs peut-elle tre considre comme un
coup d'clat mesurant l'exceptionnelle vigueur du
71
LA CAUSE INOPPORTUNE
CRISE DE 1929
DE
LA
72
73
74
75
1,8
6
0,4
3,9
5,5
%
%
%
%
%
76
77
4635
406
600
4365
Total P ..... .
10006
Placement:
Consommation franaise, machines comprises, value en lingots et comprenant 400 000 tonnes rserves aux industries de
la construction ...................... ; ...............
Consommation en Alsace-Lorraine-Sarre, value en lingots .................................................
Anciennes exportations, machines comprises, mais diminues
de ce qui allait en Belgique, dcomptes en lingots ......... .
Extinction des importations temporaires, values en lingots .. .
4732
440
544
75
Totalp ........... .
5791
4215
4215
2300
1915
78
L'AUS'IlI1, AVATAR
sUPdME
79
80
L'AUSmlU', AVATAR
suPdME
81
82
1896-1913 ..........
1921-1929 ..........
1929-1938 ..........
1950-1959 ..........
1959-1974 ..........
1,8
6
0,4
3,9
5,5
Salaire rel
(taux de croissance
moyen annuel)
(%)
2,1
-0,1 (1922-1929)
0,4
4,1 ~1953-1959~
4,1 1959-1978
83
84
dans les secteurs produisant des biens de consommation : textiles, cuirs et peaux, vtements et lingerie,
automobile ...
A cet gard, la crise de 1929 et la dpression qui
l'a suivie sont un pisode crucial de l'histoire du
capitalisme. Dans la mesure o toute crise est rvlatrice des structures conomiques et sociales dans
lesquelles elle s'insre, celle de 1929, en France, est
un remarquable miroir de la rencontre entre deux
mondes qui se croisent sans se reconnaitre : le monde
productiviste du xxe sicle, celui de la rationalisation
et de l'investissement, et le monde frugal et misrable
du XlXe sicle, un monde o la consommation
d'oranges et de chocolat est rserve aux jours de
fte.
En somme, ce n'est pas un hasard si la crise de
1929 clate brutalement dans une France qui ralise,
presque malgr elle, sa rvolution capitalistique ,
tout en s'accrochant dsesprment ses valeurs
anciennes. La crise de 1929 serait ainsi, non pas la
sicle, non pas la premire du xx
dernire du
sicle, mais le divorce explosif entre deux mondes, le
monde productiviste du xxe sicle qu'annonce l'essor
spectaculaire de la productivit dans les annes vingt
et le monde du XlXe sicle o salaire et consommation
sont encore soumis la loi d'airain .
me
v
LA JOUISSANCE AU SERVICE
DU CAPITAL
86
Ailleurs, il faudra attendre un peu plus longtemps. En France, les accords Matignon signs au
lendemain des lections du Front populaire avaient
jet les fondements d'une telle socit en gnralisant
la pratique des conventions collectives. Ce n'est
toutefois qu'au lendemain de la Deuxime Guerre
mondiale que ce bouleversement des valeurs sera
effectivement ralis. Le salaire minimum garanti
institu par la loi de 1950 en sera la clef de vote.
On mesure mal aujourd'hui la rvolution sociale
que reprsente une telle mesure. Les nouveaux
conomistes ne s'en sont d'ailleurs pas encore consols. Jusqu' cette date, en effet, c'est l'activit conomique et le march du travail. qui dterminaient le
niveau et le mouvement des salaires. Ceux-ci pouvaient donc fortement varier selon les professions,
selon les rgions, selon la conjoncture.
En cas de crise conomique, le salaire baissait
puisque la demande de travail excdait l'offre. En cas
de prosprit, il augmentait pour la raison inverse.
Les conomistes classiques avaient fait de cette
liaison le fondement des politiques anti-crise. Ds
1931, le regrett Jacques Rueff attribuait l'allocation chmage et au syndicalisme l'origine de la crise
de 1929. En empchant les travailleurs d'accepter des
salaires plus bas, les syndicats et les allocations
chmage avaient, selon lui, fauss les mcanismes du
march et plong les conomies capitalistes dans une
crise dont les travailleurs taient seuls responsables!
Un de ses disciples , Andr Siegfried, expliquait ainsi la crise britannique des annes trente :
Le chmage, en Angleterre, n'est pas le fait
d'un insuffisant degr d'employabilit de la maind'uvre ... Il n'est gure contest qu'on retrouverait
du travail pour beaucoup de gens en abaissant jusqu'au point ncessaire le taux de la rmunration
ouvrire. Le problme et la solution, rduits nu,
87
88
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1950
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1970
89
90
91
2,2
9,6
11,2
2,4
12,2
15,4
1,3
10,9
10,1
1,3
12,6
11,9
2,7
13,5
11,2
2,2
5,8
7,8
4,1
8,1
10,4
3,4
13,4
18,2
1,9
13,8
16,9
1,3
7,6
8,0
2,4
5,8
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5,8
7,8
92
93
94
1959-1963
1963-1969
1969-1973
9,1
8,8
1,8
9
18,8
8,9
13,1
9
8,7
11,5
1,9
1,4
6,3
2,9
0,7
Toutes les valeurs qui avaient fond la reproduction du systme conomique pendant le bon
Kondratiev se dsagrgent donc partir de la fin des
annes soixante et la diffusion de ces nouveaux
comportements ne se limite pas aux jeunes gnrations. La catgorie des 25-30 ans apparemment
mieux intgre et bnficiant d'emplois stables,
constate Roger Sue, conteste de plus en plus la
primaut du travail dans leur vie au profit de ces
nouvelles valeurs. De plus en plus nombreux sont
ceux qui, revenus des idologies qui avaient faonn
leur comportement, commencer par l'idologie du
travail, se mettent la recherche d'un nouveau sens
donner leur vie.
Et comme ces comportements privilgient le
loisir sur l'ostentation, le culturel sur le statut social,
95
la sant sur le transport, l'esthtique sur l'quipement, c'est un dsquilibre grandissant qui s'instaure
entre les capacits de production et les possibilits
d'absorption du march. Si l'austrit avait provoqu
le retournement de la fin des annes vingt, c'est
l'excs de jouissance qui semble provoquer celui
de la fin des annes soixante.
C'est du moins ce que laissent penser, les
statistiques de consommation des mnages de 1959
1973.
La priode 1969-1973 qui prcde le coup
d'Etat ptrolier voit s'accentuer le recul relatif des
dpenses alimentaires. En 1973, elles ne reprsentent
plus que 25 % de la consommation des mnages
contre 34,5 % en 1959.
Le recul de la consommation dans le domaine de
l'habillement est galement spectaculaire.
La construction automobile et les secteurs qui lui
sont lis, fonderie, travail des mtaux, rparation et
commerce automobiles s'essoufflent et la chute brutale, aprs 1973, entrine une volution qui lui est
antrieure.
Les investissements des entreprises ne pouvaient
manquer d'tre affects par ces mutations.
En dehors des entreprises productrices de services qui accroissent rgulirement leurs investissements de 1959 1973, le recul est spectaculaire dans
le domaine des industries alimentaires (I.A.A.), du
btiment, du textile et de la construction automobile.
Le choc ptrolier n'a donc fait que rvler
l'ampleur de ces mutations. La croissance glorieuse provoque partir de 1950 par l'urbanisation
acclre, par l'apptit de biens de consommation
durables: automobiles, matriels lectromnagers,
radio, tlvision, par la modernisation de l'agriculture et le dveloppement des industries agro-alimentaires, s'est progressivement enraye partir de la fin
96
1960
1963
1969
1973
1980
30,4
12,6
24,8
24,0
37,5
26,2
39,7
30,6
52,8
62,6
72,4
50,1
9,3
14,6
61,S
78,5
85,2
65,1
4,5
7,4
5,8
21,3
69,S
89,S
95,0
78,9
15,3
25,8
40,4
61,8
Source: E. Join-Lambert : L'quipement des mnages en biens duraoies au dbut de 1980 , Collections de l'I.N.S.E.E., M. 88.
4(
VI
VIVE LA CRISE!
98
VIVE LA CRISE!
99
100
VIVE LA CRISE!
101
VII
103
104
EN
105
Le prcieux numro des Cahiers franais consacr L'Inflation , en 1978, commence par un aveu
en forme de regret : l'inflation reste pour nous une
inconnue, car le mot est mal dfini. Pourtant,
comme il aurait t souhaitable de pouvoir expliciter, au seuil de ce cahier, ce qu'est l'inflation, et de
construire les dveloppements ultrieurs en s'appuyant sur la dfinition retenue! Cette facult nous
est refuse pour l'inflation, le mot tant trop imprcis ... Si l'on savait exactement ce qu'est l'inflation, on
en parlerait moins souvent et l'on agirait avec plus de
vigueur son encontre.
Les conomistes, qui considrent souvent que ce
phnomne constitue en ce moment le problme
conomique et social le plus important de notre
pays (Jean Marczewski), nous ont pourtant propos
une gamme inpuisable de dfinitions dont voici
quelques chantillons.
Pour les uns, l'inflation est un phnomne essentiellement montaire: c'est la dprciation de la
monnaie (ou l'augmentation du prix des produits
exprim en termes de monnaie) ; or la monnaie ne
peut se dprcier que dans la mesure o l'offre de
monnaie croit trop rapidement par rapport la
demande : l'inflation est donc une cration de
monnaie excessive. Pour d'autres, qui se situent sur le
terrain des changes rels, l'inflation est un dsquilibre flagrant entre l'offre de produits et la demande de
produits, elle est due un excs de l'offre sur la
demande. Ces deux types de dfinition peuvent tre
runis en une sorte de synthse : ainsi, pour J. Marczewski, il y a inflation lorsque le dbit des flux
montaires augmente par rapport celui des flux
rels, composs de biens et de services .
106
107
108
68 TICKET DE METRD
2' CLASSE ISOLE
80
40
34 BEEFSTEAK
LE KILO
20
AliMENTS ET BDISSONS
,,"'--_~~__
~,-_--~,..
.......=-:.::-:.:-:.:-:.:-::;-=-:::..-_.;:;;-_ _-_-_-_."'-~..,=-----I.. ENSEMBLE
\
'_................
........
................
2D
..................:-...........
PRODUITS MANUFACTURES
KM DE CHEMIN DE FER
PLACE ENTIERE
17"2' CLASSE
lS.. KWH 1~ TRANCHE
A PARIS
..................
23. ESSENCE LE LITRE
VOITURES
PARTICULIERES
40
47 EOUIPEMENT
MENAGER
109
monnaies). C'est ce qu'on appelle la dsorganisation des prix relatifs . Aussi si l'on voulait revenir
sur la cration du franc lourd, dcide par le gnral
de Gaulle au dbut de la ye Rpublique, pour
restaurer comme unit montaire l'ancien franc,
notre actuel centime,.il suffirait de multiplier par cent
tous les prix, mais une telle multiplication ne provoquerait par elle-mme aucune inflation.
Ainsi, suivant de fort prs la dfinition utilise
par exemple par l'historien conomiste Jean Bouvier,
nous dirons qu'il y a inflation quand se produit un
n est
sil'Rs ..
110
111
112
C'est justement sur l'importance relative accorder chaque composante dans la construction de cet
indice qu'ont port les critiques les plus vives de la
C.G.T. et de la C.F.D.T. TI Y a dix ans, lors d'une
mmorable passe d'armes, les syndicats ont reproch
en particulier l'LN .S.E.E. de minimiser l'importance du poste Loyers . Dcidant en effet d'exclure du champ de ses observations l'autoconsommation en logement , l'I.N.S.E.E. n'a pas pris en
compte le cot du logement pour les mnages propritaires de leur habitation. Partant d'une moyenne
entre la situation des Franais qui paient des loyers
(d'un cot par ailleurs fort variable) et les autres, il
obtient pour ce poste une pondration trs faible, qui
tait de 4, 65 % en 1976, puis de 7,55 % en 1978. De
tels chiffres ont bien sr de quoi tonner les mnages
de locataires, qui consacrent trs souvent leurs
loyers une part trs suprieure de leur budget.
Les syndicats en sont ainsi venus calculer leurs
propres indices, en prenant pour base la structure des
dpenses de consommation des catgories sociales
dont ils dfendent les intrts; ainsi la C.G.T. s'est
rfre une population comprenant les mnages
ouyriers de quatre personnes pour tablir un indice
des prix reprsentant plus fidlement selon elle la
consommation ouvrire. L'indice de la C.G.T. a ds
lors suivi un cours souvent assez diffrent de celui de
l'I.N .S.E.E., faisant apparaitre certaines annes des
hausses sensiblement plus fortes que les chiffres
officiels, ainsi 9,5 %en 1971, au lieu de 6 %, et
11,5 % au lieu de 8,9 % en 1973.
En octobre 1982, sur la mme base de 100 correspondant aux prix de 1970, l'indice de la C.G.T. en
est 428, et celui de l'I.N.S.E.E. 322...
Par-del cette querelle des indices, il faut admettre que toute pondration rsultant d'enqutes sur la
consommation moyenne d'un ensemble de mnages
113
ayant en fait des structures de dpenses trs diffrentes ne saurait dcrire la situation exacte de chacun
d'eux face une hausse par dfinition htrogne des
prix. Un couple sans enfant, qui n'achte pas de
Jeux et Jouets , est videmment insensible un
relvement du prix des produits qui composent ce
poste, alors que ce renchrissement touche directement le budget de parents ayant de nombreux enfants
qu'ils sont soucieux de gter. Chacun de nous a sa
propre structure de consommation, et s'il veut obtenir un indice de la hausse des prix qui le concerne
vraiment, ou son propre taux d'inflation, il lui faudrait noter tout ce qu'il paie pour ses achats, tablir
ses coefficients de pondration particuliers, et faire
pour son propre compte les mmes calculs que les
statisticiens de l'I.N.S.E.E.
La construction d'un indice gnral de l'volution des prix se heurte d'autres difficults, dues au
temps qui, en passant, affecte sensiblement la valeur
des choix initiaux, de trois faons principalement.
L'indice risque d'abord de vieillir parce que la
rpartition des consommations qui sert tablir les
coefficients de pondration volue, en fonction de
l'accroissement des revenus, des campagnes publicitaires, et de la naissance de nouveaux besoins, ce qui
pousse largir la gamme des produits. Par suite, la
part relative des secteurs de dpenses traditionnels
dcline: ainsi l'alimentation constituait encore 45 %
du panier de la mnagre en 1962, selon l'I.N .S.E.E.,
31,5 % seulement en 1970, et 25,5 % actuellement.
Les statisticiens parent la difficult en remettant
jour annuellement leUrs pondrations ...
Par ailleurs, les produits dont ils examinent les
prix ne forment pas un ensemble stable, donc comparable des dates diffrentes, car leur nombre et leur
nature voluent sans cesse. Des biens et des services
114
115
116
117
VIII
UN MAL QUI DEVRAIT
RPANDRE LA TERREUR
UN MAL
119
120
-. Pour revenir au terrain conomique, les diffrences de rythmes d'inflation selon les pays doivent se
rpercuter sur leurs balances-commerciales. Puisque,
en France, la hausse des prix tend tre plus rapide
que chez ses principaux concurrents, et en particulier
en Allemagne, c'est pour cette raison qu'il est de
plus en plus difficile de maintenir sur les marchs
extrieurs la comptitivit de nos produits.
- Enfin l'inflation est en elle-mme, dit-on, un
facteur redoutable d'inefficacit et de destruction de
l'conomie, et elle agit dans ce sens par bien des
mcanismes. Ainsi les amortissements qu'ont le droit
de faire les entreprises sont calculs sur le prix d'achat
de leurs machines, mais quand arrive le moment de
remplacer l'une d'elles, son prix excde de beaucoup
les sommes qui ont t rserves dans cetteperspective. Plus gnralement, l'inflation dcourage d'pargner, de faire des placements sur une longue priode,
et d'investir. Les particuliers comme les entreprises,
n'ayant plus confiance dans la valeur de la monnaie,
rpugnent immobiliser les fonds qu'ils dtiennent,
ils prfrent les utiliser dans des placements court
terme et surtout dans des spculations sur les marchandises et les monnaies .. Et finalement, pour certains conomistes, l'inflation est l'origine de la crise
conomique actuelle, et elle est la cause profonde du
chmage d'aujourd'hui.
Voici donc un mal qui nous frappe tous, d'aprs
ce qu'on nous dit sans. cesse, les commerants comme
les consommateurs, les salaris comme les patrons, et
un mal qui devrait rpandre la terreur parmi les
Franais. Pourtant l'opinion publique n'en parait
gure mue. Quoique depuis le dbut de l't, le
gouvernement ait entrepris toute une campagne pour
nous convaincre de l'imprieuse ncessit de combattre l'inflation, il n'y a encore, d'aprs les sondages,
qu'un Franais sur cinq pour considrer la lutte
121
UN MAL
PRocS?
De nombreuses accusatio~s portes contre l'inflation peuvent tre rfutes, corriges, ou au moins
nuances. Examinons la plus grave, celle qui est la
racine de toutes les autres : l'inflation, dit-on, entrainerait un appauvrissement gnral des Franais. Il est
vrai que chaque groupe, chaque individu a une vive
conscience du renchrissement des biens et services
qu'il achte, et qu'il s'en plaint dans l'espoir que
l'Etat interviendra pour freiner cette hausse ou pour
lui accorder quelque compensation. Mais ces individus ou ces groupes oublient trop facilement la hausse
des prix des biens et des services qu'ils vendent. Or
seule la comparaison entre le mouvement des prix de
ce que chacun vend et le mouvement des prix de ce
122
UN MAL
123
Au XIXe sicle, un homme adulte, sans qualification professionnelle, gagnait par heure 0,14 franc en
1801, et 0,34 franc en 1913. Son salaire nominal a t
multipli par 2,4 et comme entre-temps le cot de la
vie n'a que trs peu progress, on peut dire que son
salaire rel a d peu prs doubler en un sicle dit de
stabilit montaire.
Depuis que nous sommes entrs en une priode
marque par une forte inflation, le salaire de ce
mme manuvre (en y incluant les complments
sociaux) est pass de 0,34 franc 12,80 francs en
octobre 1976, et il est aujourd'hui de prs de
30 francs. Si on transforme ces derniers chiffres en
anciens francs, on voit que ce salaire a t multipli
par 3760 jusqu'en 1976, et par 8000 environ jusqu'
nos jours. Mais comme le nombre d'heures de travail
effectues annuellement par ce manuvre a diminu,
son salaire nominal annuel a peut-tre t multipli
par 5000 entre 1913 et 1982. Sans doute la plus grosse
part de cette progression spectaculaire n'est que du
vent, elle ne fait que compenser la dprciation
rapide de la monnaie. Mais une fois dduite la hausse
du cot de la vie, on constate que le salaire rel de ce
manuvre a encore t multipli par 4 ou 5. D'autres
calculs, portant sur d'autres catgories de salaris
donnent des rsultats sans doute diffrents, mais qui
vont toujours dans le mme sens. Le rythme
d'augmentation du salaire rel a t trois fois plus
rapide au xxe sicle, sicle de l'inflation, qu'au XIXe ,
et il a t particulirement fort pendant le quart de
sicle d'inflation permanente qui succde la dernire guerre mondiale.
En suivant Jean Fourasti, on peut tirer aussi du
rapprochement entre les salaires et les prix de surprenantes constatations sur le mouvement rel de ces
derniers. On sait que les prix courants, ou prix
nominaux, qui taient rests peu prs stables au XIXe
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20
+
O~~~~~
____________
TAUX DE
SAlAIRES
HDRAIRES
____ __
~
13 TICKET DE METRO
2' ClASSE ISOlE
20
31 BEEfSTEAK
LE KILO
40
j;
60
M DE CHEMIN DE FER
PLACE ENTIERE
ClASSE
57 lkWH 1 TRANCHE
58'U PARIS
6O!EN, LE LITRE
WITURES
TlCULIERES
72 EQUIPEMENT
MENAGER
125
Premire Guerre mondiale . prs (Je 3000 centimes
aujourd'hui. TI a donc t multipli par prs de
1500, mais il reprsentait 6 ou 7 salaires horaires
(s.h.) la fin de la Belle Epoque, et un seul s.h.
aujourd'hui. Le prix rel du kilo de poulet est tomb
de 11 s.h. 0,6 s.h. seulement, le prix salarial du
ticket de mtro a t divis par dix, etc. Pour les
produits ptroliers, il est difficile de remonter jusqu'
une poque o leur utilisation tait encore fort
restreinte, mais depuis 1929 l'hectolitre d'essence a
diminu de 70 s.h. 15 s.h. environ, malgr les chocs
ptroliers ...
On pourrait en conclure paradoxalement que
l'inflation, dfinie comme la hausse des prix, n'a en
ralit jamais exist. Retenons plutt qu'elle ne se
manifeste que lorsqu'on exprime les prix l'aide
d'units montaires, et qu'elle a longtemps march de
pair avec une progression substantielle du niveau de
vie. Ceci ne prouve pas que l'inflation soit la cause de
l'enrichissement des Franais aprs la Seconde
Guerre mondiale (il faut l'attribuer plutt aux
progrs des techniques de production, aux gains de
productivit, etc.), mais en tout cas rien n'indique
que durant cette longue priode l'inflation ait le
moins du monde empch ou frein l'amlioration du
pouvoir d'achat des Franais.
L'inflation prsente aussi un avantage considra. ble : elle rend moins cruelle pour nous une des plaies
majeures des socits d'autrefois, les dettes. Pendant
des gnrations et des gnrations, les honimes ont
vcu dans l'obsession d'arriver un jour se librer des
charges de leurs dettes. On peut remonter jusqu'au
vue sicle avant Jsus-Christ, lorsque Solon est venu
librer du poids qui les crasait ces paysans de
l'Attique qui taient rduits en esclavage par leurs
cranciers parce qu'ils ne pquvaient les rembourser.
A la fin du :xvne sicle, nombre des sujets du Roi-
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UN MAL
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UN MAL
VICTIMES ET PROFITEURS
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UN MAL
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UNMAL~
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UN MAL
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IX
.Les conomistes, les responsables d'organisations politiques ou professionnelles qui, d'une mme
voix, dnoncent sa nocivit, se sparent et s'opposent
ds qu'ils veulent identifier les premiers initiateurs,
les fauteurs de l'inflation. Chacun privilgie son
groupe-cible, sur lequel il braque les projecteurs pour
le dsigner la vindicte publique.
Pour les uns, c'est l'tranger qu'il faut chercher
les coupables. Depuis prs de dix ans, nous avons
entendu dire et rpter: C'est la faute
l'O.P.E.P. ! C'est la faute aux Arabes! (Notons au
passage que tous les pays arabes ne produisent pas du
ptrole, et que tous les pays exportateurs de ptrole
ne sont pas peupls d'Arabes ... ) L'envol du prix du
baril de ptrole brut, qui est pass d'un peu plus de
2 dollars en 1972 34 dollars serait directement
l'origine de notre inflation. L'imputation est peu
fonde, puisque par eux-mmes les chocs ptroliers
ont provoqu un surcroit d'inflation annuelle de 2 %,
3 % tout au plus. Par ailleurs c'est bien avant qu'a
dmarr et que s'est dveloppe notre inflation,
pendant un bon quart de sicle, ceci alors que le prix
du ptrole stagnait, ce qui signifie qu'en termes rels
il dcroissait fortement; aussi Le Monde notait-il, le
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VIVBLACRISE ET L'INFLATION!
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Si gauche on s'en prend volontiers aux banquiers, droite on dnonce plutt les responsabilits
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LES SPCIALISTES
NE SONT PAS D'ACCORD
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appartiennent une mme discipline de se diffrencier les uns par rapport aux autres pour manifester
leur originalit. Comme depuis trente ans des milliers
d'conomistes par le monde dissertent de l'inflation,
nous en avons des milliers d'explications, mme si
chaque auteur proclame volontiers qu'il n'y a qu'une
cause toute simple, avant de proposer la sienne,
comme une clef magique.
Rappelons les analyses marxistes, qui soutiennent que l'inflation est inhrente au systme capitaliste et qu'elle ne disparaitra qu'avec lui, et les
thories de l' inflation importe , dont toutes les
variantes attribuent l'inflation franaise des causes
internationales. Les autres explications peuvent se
regrouper en quelques familles principales.
Les unes, qui dfinissent l'inflation comme un
dsquilibre entre l'offre et la demande, l'attribuent
soit une insuffisance de l'offre ou son manque
d'lasticit, rsultant par exemple de capacits de
production trop faibles, soit, beaucoup plus frquemment, un excs de la demande, et particulirement
de la demande des mnages. Cette inflation aspire
par la demande peut provenir d'un dficit budgtaire
combl par l'mission d'un supplment de monnaie,
ou de trop grandes facilits de crdit accordes par les
banques aux consommateurs, ou de phnomnes de
dthsaurisation , certains agents conomiques se
mettant dpenser une partie de leur pargne
antrieure, etc.
D'autres points de vue (qui sont loin d'tre
toujours radicalement diffrents du prcdent) relvent d'une explication montariste de l'inflation.
Cette trs vieille thse remonte en France au moins
Jean Bodin qui, en 1568, attribuait la hausse des prix
dans l'Europe de son temps une cause, la principale et presque la seule, ... l'abondance d'or et
d'argent venus d'Amrique. Cette conception
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Leurs divergences d'analyse conduisent les conomistes prconiser des politiques anti-inflationnistes trs varies, qui n'ont gure en commun que
d'tre fort difficiles appliquer efficacement.
Les plus libraux prnent une politique montariste : puisque selon eux l'inflation nat d'un excs de
monnaie en circulation, il faut et il suffit que les
autorits (le gouvernement et la banque centrale)
imposent la discipline d'une croissance modre et
161
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effets pervers allant l'inverse de l'objectif poursuivi : les entreprises qui, faute de pouvoir se passer
de crdit, doivent supporter de tels taux, voient par l
mme leurs charges financires accrues les pousser
dans la voie de l'inflation par les coftts. Aussi tend-on
souvent remplacer le relvement des taux d'intrt
par l'encadrement du crdit ou par sa limitation
quantitative, mais de telles mesures, d'ailleurs antilibrales (et anti-conomiques selon les libraux),
sont plus ou moins efficaces, et toute restriction du
crdit peut accrotre le chiffre des faillites, le nombre
des chmeurs, et le mcontentement gnral.
Alors d'autres, se rclamant de la vieille orthodoxie budgtaire, conseillent au gouvernement
d'quilibrer ses recettes et ses dpenses, ou au moins
de contenir au maximum le dficit. Mais une telle
politique, qui ne donne pas la certitude d'un succs
dcisif contre l'inflation, est dlicate mettre en
uvre, car de nos jours on ne sait plus comment
freiner la progression presque automatique des
dpenses de l'Etat (en raison notamment du relvement ncessaire des rmunrations des fonctionnaires), et on n'ose plus proposer encore un accroissement sensible de la pression fiscale globale.
TI y a aussi les partisans de mesures franchement
dirigistes. Comme Galbraith aux Etats-Unis, ils
demandent au gouvernement de contrler le mouvement des prix et aussi quelquefois celui des salaires,
voire de procder pour un temps au blocage ou au
gel des uns et .des autres. Mais il est malais
d'instaurer une telle politique, et plus encore de la
maintenir durablement, car elle suscite des rsistances et des mcontentements croissants, elle risque
de plus de masquer les manifestations de l'inflation,
sans s'attaquer ses causes profondes, et elle peut
aussi dvelopper des effets allant l'encontre de son
but.
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approfondir leurs analyses. Mais il est apparu tonnant que des hommes si savants proposent des
mdicaments si diffrents. Leurs dbats ont donn
l'impression d'une grande confusion, et d'un dsarroi
reconnu par certains d'entre eux. On en a vu se
contredire dans les colonnes des journaux et se traiter
mutuellement de faon peu respectueuse. Ds s'accusent ainsi de manquer de srieux, de ne rien
comprendre l'inflation , d'tre des Cassandres
professionnels , des mgalomanes , ou ... des
Diafoirus de l'inflation . Mais oui, si injuste
qu'elle soit, la comparaison est trop tentante: ces
conomistes qui parlent un jargon souvent bizarre et
qui se chamaillent doctement notre chevet pour
nous imposer le seul bon traitement contre l'inflation,
le leur, ne sont pas sans rappeler les mdecins de
Molire ...
XI
A LA DCOUVERTE
DES LOINTAINS ANTCDENTS
DE NOTRE INFLATION
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On ne dispose pas pour les nT, xvne et xvme sicles d'un indice du niveau gnral des prix, mais les
'mercuriales indiquent les prix des denres que
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- Quel est le rle de l'Etat dans le dclenchementrlu processus inflationniste? C'tait souvent le
souverain qui provoquait (par une mutation) de
l'inflation, et il en tirait parti pour allger le fardeau
de ses dettes. Mais le pouvoir intervenait aussi,
souvent la demande des milieux conomiques ,
pour contrecarrer par ses initiatives montaires des
tendances dflationnistes qui risquaient de menacer
l'activit conomique ...
- Quel rapport y a-t-il entre la hausse des prix
et le climat conomique? Dans ces temps anciens, si
l'on met part (et l'exception est considrable) les
emballements des prix agricoles provoqus par de
mauvaises rcoltes, les montes des prix, ou leurs
tendances la hausse, allaient gnralement de pair
avec l'essor conomique, tandis que la baisse des prix
signifiait le marasme ou la baisse de l'activit.
- Quel est l'impact de l'inflation sur les revenus
des diffrents groupes sociaux? Brve ou longue, la
prosprit lie la hausse des prix ne s'avrait pas
galement bnfique pour tous. Les dbiteurs (et en
particulier l'Etat) taient dj les grands gagnants, les
cranciers et les titulaires de revenus fixes .les victimes. Les patrons de l'poque (maitres artisans,
marchands fabricants, exploitants agricoles importants) y trouvaient aussi des occasions de profit
multiplies, tandis que les salaris avaient grandpeine maintenir leur revenu rel.
LA FOLLE INFLATION DE LAW
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de mtaux prcieux utiliss comme monnaie a peuttre diminu d'un quart ou d'un tiers entre 1683 et
1715, et il a d tomber en de d'un milliard de livres.
Cette pnurie de numraire n'tait pas rellement
compense par la multiplication de billets mis par le
Trsor royal ou par ses financiers, car ces papiers qui
n'inspiraient plus confiance taient de moins en
moins accepts en paiement. De l une pression
dflationniste, qui abaissait les prix un niveau
insuffisamment rmunrateur et insuffisamment
incitateur et menaait de paralyser ainsi les affaires.
Le manque de monnaie tait tel que par moment le
taux de l'escompte atteignait 2,50 % par mois, ce qui
correspond un taux annuel de 30 %, et un taux
rel encore plus lev, puisque les prix tendaient
baisser. Dans cette situation tendue, on ressentait le
besoin d'une plus grande abondance montaire, qui
rende le climat plus favorable aux affaires et qui
stimule les investissements productifs. Aussi les
commerants, quoiqu'ils n'aient encore qu'une faible
comprhension des phnomnes conomiques, se
mettaient rclamer et l une augmentation ou
un rehaussement des espces (en monnaie de
compte); autrement dit une mutation montaire de
caractre inflationniste. Enfin beaucoup de sujets du
roi, beaucoup de paysans en particulier, taient
accabls par l'usure, et la tendance baissire des priX
leur rendait insupportable le poids des dettes contractes par eux, par leurs parents ou par leurs grandsparents.
Au fond, les Franais de la Rgence souffraient
de maux qui rappellent un peu ceux qui svissaient
Athnes, la fin du vue sicle, quand il avait fallu
faire appel Solon, ou ceux qui frapperont les EtatsUnis au dbut des annes 1930. Dans ces trois
situations, Jort loignes dans le temps, les difficults
ont leur source dans la dflation, qui se marque par
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189
190
Commerce d'aujourd'hui) exposaient dans une supplique aux dputs qu'il fallait d'urgence remdier
la disette absolue d'espces . Puis ce sont des
entrepreneurs, des particuliers, des municipalits, qui
ont rclam la cration de petits assignats, parce que,
faute de disposer d'assez de monnaie mtallique,
mme de billon, ils en taient rduits la ncessit
d'mettre leurs propres billets de confiance . Dans
un premier temps, les assignats ont effectivement
contribu mettre un terme aux embarras du
moment et la dflation montaire provoque par
le dbut mme de la Rvolution. Leur effet conomique a t plutt positif, avant que leur dgringolade
ne devienne inluctable, ce qui n'est arriv qu'aprs
le 9 Thermidor.
Mais l'assignat a surtout eu des consquentes
incalculables sur le plan social et politique. Les
bnficiaires et les victimes demeurent assez mal
connus, et il est difficile de suivre l'volution relle
des diffrents revenus. Cette inflation a pnalis les
revenus fixes, une fois de plus, et les dtenteurs de
certaines formes de richesse, elle a ainsi appauvri ou
ruin certaines catgories de bourgeois : les officiers
(qui dtenaient une fonction publique), dont les
charges ont t supprimes et rembourses en assignats, les rentiers de l'Etat, et d'autres cranciers
divers. Cette mme inflation a t trs dure pour les
classes populaires urbaines, parce que les salaires
suivaient avec retard la hausse des prix - et le
blocage des salaires et des prix dcid par les lois dites
du maximum, du temps du gouvernement rvolutionnaire, n'avait rien arrang - , parce que, aussi, les
paysans vendeurs de bl tout comme les marchands
(boulangers, bouchers, aubergistes, etc.), ne voulaient plus accepter d'assignats en paiement, ce qui
provoquait des disettes dans les villes. Cette volution de la monnaie et des prix s'est avre favorable
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XII
L'INFLATION AU XIXe SICLE:
DISPARITION OU REFOULEMENT?
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dre sa fi"appe en 1876, et renoncer de fait au bimtallisme. Enfin il a fallu deux fois, la suite de la
rvolution de 1848 et cause de la guerre de 1870,
suspendre la convertibilit desbiUets de la Banque de
France et tablir leur cours forc. Si ces expriences
de papier-monnaie n'ont pas donn lieu des missions inflationnistes, c'est en raison de la prudence
des dirigeants de la Banque et des autorits politiques, qui avaient fix un plafond la circulation
fiduciaire autorise.
Mais c'est surtout la notion de stabilit des
prix du XIXe sicle qui est rviser. Elle est valable
long terme, mais elle ne signifie nullement qu'il n'y
ait eu que de faibles variations des prix durant toute
cette priode. L'illusion de prix qui seraient rests
alors presque immobiles vient de ce que nous sommes
ports minorer les oscillations qui ont affect la vie
de nos anctres autant qu' exagrer l'importance des
mouvements qui nous touchent directement; elle
s'appuie aussi sur des graphiques l'chelle trompeuse,- qui crasent les dents de scie d'autrefois, ou
sur la comparaison d~ niveaux de prix observs
des dates loignes les unes des autres: si, vingt
ou cent ans de distance, un indice donne des
chiffres identiques, cette stabilit peut n'tre que
la rsultante de multiples changements en. sens
inverse qui se sont au total annuls. C'est ce qui s'est
pass pour les prix au sicle dernier: en dure
sculaire, leur volution tend vers zro, mais, de part
et d'autre de cette horizontale qui indique la tendance
longue, la courbe des prix annuels rvle des fluctuations nombreuses et de trs forte amplitude, en
France comme dans les autres pays occidentaux.
On peut dceler sur cette courbe plusieurs types
de mouvements qui s'entrecroisent. Les mauvaises
rcoltes provoquent encore des pointes, qui vont en
s'estompant et disparaissent partir des annes 1860.
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revenus est trs ingale. Les profits, qui dans l'ensemble progressent beaucoup plus vite que les prix, sont
les grands gagnants, et c'est leur rinvestissement qui
son tour nourrit l'expansion. Quant aux salaires
horaires nominaux, ils augmentent cahin-caha, peu
prs au mme rythme, que les prix montent ou qu'ils
baissent, comme si le mouvement des prix n'exerait
aucune influence sur eux. Ainsi Paris, de 1852
1856, leur progression n'a t que de 9 %, alors que
celle des prix dpassait 23 %. n n'est pas question
alors pour les ouvriers, qui ne prennent conscience
qu'avec retard et confusment de la hausse des prix
(on n'avait pas alors sa disposition des indices
mensuels et mme annuels), et qui n'avaient pas de
syndicats pour dfendre leurs intrts, de rclamer
une indexation quelconque des salaires. Pourtant le
recul du pouvoir d'achat du salaire horaire ne signifie
pas une pauprisation accrue de la plupart des
salaris. Car l'expansion gonfle le nombre des
emplois, et fait reculer le chmage, tant partiel que
complet. Finalement, la plupart des actifs sont
gagnants lors de ces hausses des prix, et leur consommation s'accroit. Le pouvoir d'achat gnral
augmente en mme temps que le produit national, les
dbouchs intrieurs et extrieurs s'amplifient. C'est
le temps de la confiance.
Enfin les hausses cycliques des prix concident
avec des accroissements de la quantit et de la vitesse
de circulation de la monnaie (Le Bourva). La
dilatation de la masse montaire est due parfois en
partie l'afflux de mtaux prcieux (par exemple de
1851 1856, l'or de Californie), mais elle rsulte
surtout de l'extension des crdits bancaires. EntraiDs
par l'optimiste ambiant, les chefs d'entreprises
commencent en effet par acclrer l'utilisation de
leurs encaisses, puis ils demandent plus de monnaie
aux banques, et celles-ci accordent sans peine des
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C'EST LA CRISE!
Une crise, crivait Juglar, est toujours prcde d'une grande prosprit et d'un grand mouvement d'affaires qui n'a pu avoir lieu sans une progression, pour ainsi dire continue, de hausse . Et toujours elle apparat comme l'arrt de la hausse des
prix , avant mme d'tre une interruption de la
croissance et le dbut d'une priode de dpression qui
se marque par le recul des revenus nominaux. Les
profits s'effondrent, ce qui multiplie les faillites. Si les
salaires horaires nominaux rsistent (car les salaris
s'opposent une rduction de leur paye) et progres-
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Le refus d'une vritable inflation au sicle dernier a t d'un tel cot conomique, social' et humain
que nul n'accepterait aujourd'hui de payer si cher
pour s'en dbarrasser. Mais on craignait alors moins
les crises que ce que nous appelons l'inflation. Ce mot
n'tait pas employ, du moins avec son sens actuel,
mais on apprhendait plusieurs des caractristiques
du phnomne (le crdit facile ou l'argent abondant ... ), et on s'en effrayait. Ceci en vertu d'une loi
que Galbraith nonce ainsi : Le dsordre veille le
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socialisme, et la stabilit montaire est un des fondements essentiels de la stabilit sociale ...
Ces ractions s'appuient sur de constantes rfrencesau pass, la banqueroute de Law et
l'effondrement des assignats. L'exprience des assignats, autrement dit d'une inflation qui a t un
instrument de la Rvolution, ne doit jamais recommencer. Aussi en 1800, quand la Banque de France a
t fonde, une poque o justement la bourgeoisie
voulait qu'enfin l're rvolutionnaire soit close,
toutes les prcautions ont t prises pour que la
nouvelle monnaie de papier ne puisse tre cre
qu'avec mesure et pour qu'elle soit bien gage: les
billets de banque seront convertibles en or ou en
argent, et ils ne seront mis qu'en change de bonnes
valeurs et surtout d'effets de commerce reprsentant
des marchandises existant rellement en magasin.
Pendant tout le sicle, la mentalit des dirigeants de
la Banque reste marque par le souvenir lancinant
des assignats. De l la prudente sagesse avec laquelle
ils dveloppent les oprations de l'institut d'mission.
De l aussi la grande peur de beaucoup de bons
Franais en 1871, quand ils surent que la Banque de
France tait la merci des communards: si ceux-ci
en profitaient pour faire une nouvelle inflation de
papier-monnaie, ce serait 1793 qui recommencerait,
une nouvelle rvolution sociale ...
Plus surprenant encore est le souvenir toujours
vif imprim dans la mmoire collective par la banqueroute de Law. Prs de deux sicles aprs sa chute, le
systme scandalisait encore, parce qu'il avait bris en
son temps des fortunes solidement tablies et boulevers la hirarchie sociale. Les tudiants d'histoire et
ceux qui avaient le loisir et le goftt de s'intresser la
Rgence pouvaient ainsi lire dans le tome VIII du
Lavisse, paru en 1911, qu'en 1716-1720 l'inflation et
la spculation avaient amen une laide crise
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XIll
L'INFLATION AU GRAND JOUR
Avant la guerre de 1914 des phnomnes inflationnistes ont pu se dvelopper, niais on ne parlait
pas d'inflation, car ce mot n'tait pas pris dans son
acception conomique et montaire. La preuve en est
cette anecdote (relate par A. de Lattre) : peu avant
le premier conflit mondial, le gouverneur de la
Banque de Belgique reut un jeune conomiste, qui
deviendra plus tard ministre des Finances, et, aprs
cet entretien, voici ce que le gouverneur confie l'un
de ses collaborateurs : Ce jeune homme est venu
me parler d'un drglement des affaires montaires,
qu'il appelle, je crois, inflammation! En 1919
encore, on se plaint de la vie chre , de la hausse
vertigineuse des denres , perue comme un scandale permanent , mais on n'use que trs exceptionnellement du mot d'inflation. Ce terme apparat enfin
dans certains articles de revues, en 1920-1921, et il
s'impose aussitt dans les dbats sur les problmes du
temps comme un mot clef, qui revient sans cesse dans
les communications faites en 1922 lors de la Semaine
de la Monnaie.
Le succs de ce mot nouveau dans notre vocabulaire reflte avec quelques annes de retard les
changements dcisifs qui se sont produits partir de
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Mais l'inflation s'est par la suite fortement acclre, il s'est produit comme une inflation de l'inflation, et dans le mme temps la production a ralenti sa
croissance et fini par stagner. Voici venu le temps de
la stagflation et de ses crises. Des crises originales par
rapport celles d'autrefois qui faisaient baisser
conjointement les prix et les productions. Maintenant
les prix (tout comme les salaires) continuent et
accentuent mme leur hausse, tandis que les productions et les consommations se contentent de stagner,
et cet gard la situation est moins grave qu'autrefois. Faut-il pour autant penser que nous vitons le
traditionnel effondrement de l'activit en temps de
crise grce un surcroit d'inflation? Mais cette forte
inflation s'accompagne d'une terrible extension du
chmage, contrairement tout ce qu'impliquait la
courbe de Philips.
Laissant de ct ici le problme de la crise
actuelle, penchons-nous sur le saut qui a propuls la
hausse des prix d'un rythme annuel moyen de 4 ou
5 % l'an un rythme deux ou trois fois plus rapide.
Cette hausse, qui est plus rgulire encore que par le
pass, se situe dsormais entre 9-10 % et 14-15 %, les
acclrations de 1974 et de 1979-1981, (on en est alors
aux environs de 14 %), n'tant plus suivies que de
reculs trs limits, comme si la courbe butait sur un
nouveau plancher situ aux alentours de 10 % l'an.
Cette acclration de l'inflation a commenc plus
tt qu'on ne le pense souvent, sans doute vers 1967 :
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XIV
VIVE L'INFLATION?
A plusieurs reprises durant son histoire, l'inflation a subi de profondes modifications. Ainsi, du XIXe
et du dbut du xxe sicle nos jours, son mode de
dveloppement, sa signification conomique et
sociale et son origine mme ont bien chang. De
cycliques qu'elles taient, les hausses de prix sont
devenues permanentes. Hier, ces hausses, qui accompagnaient fidlement le boom des affaires, s'arrtaient net au dbut de chaque crise, tandis que la crise
dont nous ne sommes toujours pas sortis a t de pair
pendant dix ans au moins avec une puissante acclration de l'inflation. Pendant trs longtemps, l'inflation a grossi les profits et pes durement sur le
pouvoir d'achat des salaris, mais depuis une quinzaine d'annes les salaires se dfendent contre elle
mieux que les profits. Enfin l'inflation, qui paraissait
autrefois tre un phnomne avant tout montaire,
d une utilisation excessive de la planche
billets , est aujourd'hui l'vidence lie aux apptits
rivaux des groupes sociaux qui se disputent les plus
grosses parts du revenu national.
En ce domaine, un historien ne peut avoir la
moindre prtention de donner quelque leon
indiquant la direction suivre, car l'histoire n'apporte
VIVE L'INFLATION?
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que serait pour le capitalisme une monnaie inbranlablement stable. Les hritiers de l'homme qui aurait
plac, ily a deux millions d'annes, un sou intrts
composs, auraient, sans rien faire, depuis longtemps
pu craser toute production sous le poids de cette
promesse unique . Finalement, il est heureux pour
notre niveau de vie actuel que nos anctres aient
souvent fait en sorte que vive l'inflation .
L'inflation n'est pas le mal , mais elle peut
tre un mal. Il n'est donc pas question de procder
une rhabilitation sans nuance de l'inflation et de
remplacer sa condamnation systmatique par un
loge sans nuance. Alors faut-il la combattre? Nous
admettons volontiers l'ide qu' certains moments
l'intrt gnral puisse exiger que l'on donne la
priorit la lutte contre l'inflation, comme l'ont fait
les derniers gouvernements franais, et en particulier
le gouvernement Mauroy depuis juin 1982. Mais le
choix est minemment politique, puisqu'il s'agit de
choisir entre les inconvnients et les avantages de l'inflation et ceux, tout compte fait, d'une lutte contre
l'inflation qui n'est jamais indolore. Le bilan de ces
cots et profits varie d'ailleurs selon les situations.
Vers 1934, c'tait un mauvais choix de privilgier la
lutte contre une inflation (d'ailleurs irrelle) et la
situation est aujourd'hui toute diffrente ...
Reste l'ultime question, celle qui porte sur
l'avenir de l'inflation: arriverons-nous l'extirper
enfin, ou devrons-nous nous accommoder toujours de
son invitable prsence? Comme historien, je
rpugne avancer une prvision, et je n'ai gure
envie de me ranger parmi ces pronostiqueurs dont les
prdictions sont sans cesse dmenties par les faits.
Quelques constatations permettent seulement d'envisager quels rles pourrait demain jouer l'inflation.
D'abord, comme il n'y a jamais eu de stabilit
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EN GUISE DE CONCLUSION
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EN GUISE DE CONCLUSION
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pas cet exercice pdagogique que ses lecteurs attendaient d'elle, mais, au fond, n'y a-t-il pas un jansniste dans chaque Franais 1
BIBLIOGRAPHIE
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TABLE
Introduction .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
PREMIRE PARTIE
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26
42
53
85
97
102
192
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Bibliographie ............................
247
118
136
154
167
~:
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c - - .
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23-73-3707-01
ISBN: 2-00-8424-1
N" d'dition: HOl4/83 - 23-73-3707-01.
N" d'impression: 167-144.
Dpt lgal: 3707 - fvrier 1983.
Impriml en France