Mohammed Vi 2des
Mohammed Vi 2des
Mohammed Vi 2des
MOHAMMEDVI
LE GRAND MALENTENDU
ALI AMAR
MOHAMMEDVI
LE GRAND MALENTENDU
Calmann-Lvy, 2009
ISBN 978-2-7021-4010-9
Fadoua et Ghalia.
LHYPERMONARCHIE
MOHAMMEDVI
LHYPERMONARCHIE
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LHYPERMONARCHIE
MOHAMMEDVI
MohammedVI a un champ politique lamin et en dshrence, servant dinstrument dintgration des lites domestiques. Rsultat, le Maroc est pass dune monarchie
absolue, rpressive et brutale, une monarchie institutionnalise qui dirige le pays partir dun Palais au pouvoir
politique et conomique hypertrophi reposant sur cet
ternel makhzen, un pouvoir fond sur les fodalits
locales et les clientlismes.
Seul le roi est mme de fixer les limites de son pouvoir. Le Parlement est transform en caisse de rsonance
des volonts royales et le gouvernement, dot de comptences techniques mais dont les prrogatives sont effeuilles,
est rduit excuter les orientations politiques dcrtes
par le monarque et son entourage. Abbas ElFassi, lactuel
Premier ministre, donnera le ton sur sa manire de voir et
de faire la politique: Sa Majest ma prodigu des
conseils et des orientations que je respecterai la lettre,
dira-t-il au lendemain de sa nomination en 2007, se plaant
de facto comme un simple excutant des consignes du
monarque, aux antipodes du rle quil est cens tenir. Une
illustration parfaite dune politique qui ne sexprime que
dans lombre du roi. Dailleurs, MohammedVI na de cesse
de rappeler dans ses discours quil existe un particularisme
marocain sur lequel les valeurs universelles de la dmocratie ne peuvent tre totalement transposes. Il perptue ainsi
une tradition autoritaire marque par des liens de courtisanerie personnaliss, claniques ou tribaux au sein dune
population majoritairement trs pauvre et analphabte. De
ce fait, les Marocains demeurent infantiliss en droit par un
pouvoir de nature traditionnelle, charismatique et religieuse, confort par un apparat extravagant et un culte de
la personnalit pouss lextrme. Lintrt suprme de la
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LHYPERMONARCHIE
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LE SYNDROME DU SULTAN
Dans son petit bureau vitr du Monde, alors que le quotidien parisien est encore situ en bas de la rue Claude-Bernard, Edwy Plenel, le directeur de la rdaction de lpoque,
nous reoit, Aboubakr Jama, alors directeur du Journal,
Fadel Iraki, son actionnaire principal, et moi-mme en ce
jour humide doctobre2000. Cest la premire fois quil nous
accueille tous les trois ensemble. Dautres rencontres pour
voquer ce nouveau Maroc auront lieu au cours des
annes suivantes. Depuis que nous lavons fond en automne
1997, Le Journal, un hebdomadaire iconoclaste lpoque,
tait rput pour donner chaque semaine des sueurs froides
au rgime alaouite. Mais le Printemps marocain qui la vu
natre sest termin trs rapidement sous les giboules de la
censure et des interdictions rptition. En effet, Le Journal,
qui avait dj t saisi en avril20001, devait bientt tre dfinitivement interdit par dcret du Premier ministre socialiste
Abderrahmane Youssoufi2 pour avoir rvl limplication de
1. Lire ce sujet le chapitre10, Les gardiens du temple.
2. Le 25novembre 2000, Le Journal publie une lettre confidentielle
adresse en 1974 par Mohamed Fqih Basri, un leader de lopposition en
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pos. La longue litanie des condamnations, saisies, interdictions et amendes est l pour le confirmer. Le Maroc avait
donn limpression de vouloir rformer un code de la
presse archaque avec ses lignes rouges ne pas franchir, tout en nhsitant pas emprisonner des journalistes
et faire saisir leurs publications. Ce nouveau code de la
presse, adopt en mai2002, a t une dception pour les
dfenseurs des liberts. Les peines de prison sont maintenues pour dlits de presse, mme si les peines sont rduites
(cinq ans de prison pour atteinte la dignit du roi,
contre vingt ans prcdemment). La notion de diffamation a t largie la religion musulmane et lintgrit territoriale. Nouveaut, le pouvoir dinterdire (ou de
suspendre) les journaux nest plus une prrogative administrative, mais judiciaire. Cependant, en labsence dune justice indpendante, cela ne change pas grand-chose dans la
pratique. Le pouvoir de MohammedVI continue de jongler
maladroitement avec lenvie de prserver son image
ltranger et la tentation de contrler les mdias, montrant
les limites de sa capacit douverture dmocratique, pourtant mille fois promise. Quelques cas emblmatiques suffisent illustrer les difficults qui se sont dresses sur le
chemin des journalistes marocains tout au long des dix
dernires annes: Ali Lmrabet, frapp en mai 2005 dune
interdiction dexercice de dix ans pour avoir mis en
doute dans un reportage pour El Mundo que les rfugis
sahraouis dans les camps de Tindouf sont tous squestrs
par le Polisario comme laffirment les autorits marocaines,
et Aboubakr Jama, forc lexil en t 2007 aprs un
amoncellement de poursuites iniques, de condamnations
des peines de prison et damendes exorbitantes lissue de
simulacres de procs et de coups bas de lappareil scuri30
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TRS RICHE ROI DES PAUVRES
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manire des Restos du cur, lanc une campagne de communication sans prcdent qui accompagnait la cration de
la Fondation MohammedV pour la solidarit. La fondation, gre directement par le Palais, avait mis en vente
dans les bureaux de poste, les banques et les pharmacies,
pour lquivalent de 50cents deuro, un petit badge jaune
quon pingle au revers de sa veste afin dtre unis pour
aider les dmunis. Cette initiative fut sans vritables rsultats probants. Elle a surtout aid le roi se faonner une
image de roi social, tout en cassant le monopole des mouvements islamistes qui ont fait du caritatif un moyen efficace de recrutement face un tat rgulirement dfaillant
subvenir aux besoins lmentaires des ncessiteux.
Mais depuis lpisode P.Diddy, et bien dautres, lempathie souvent sincre du monarque pour ses sujets les plus
pauvres sest accommode au grand jour de ses gots de
luxe. Il a vite repris les vieilles habitudes de son pre. Une
seule de ses vires au long cours dans des contres paradisiaques lui cote plusieurs millions deuros. La dlgation
officielle compte plusieurs centaines de personnes mobilisant plusieurs avions gros porteurs pour les transporter de
capitale en capitale. Le seul Boeing 747 de la Royal Air
Maroc (RAM) est souvent rquisitionn avec dautres appareils de la compagnie nationale en plus dun Hercule C-130
des Forces armes royales qui sert lacheminement du
matriel sportif du roi. Lavion royal dnomm Air Makhzen One par les techniciens de la RAM reoit loccasion
un kit spcial avec bureau, chambre coucher, douche, salle
de runion et installations de communication et de musique
hautement sophistiques. Lalla Salma, lpouse du roi, nest
pas en reste. chacun de ses dplacements, cest un aropage de courtisanes qui la suit dans les plus beaux palaces
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voitures de luxe dont la plupart, blindes, valent chacune une fortune forment son cortge. Le garage royal
compte plus de 3000 vhicules, dont quelques centaines
de collection, hrites de HassanII sont parques dans un
crin de verre et dacier. sa construction la fin des
annes90 dans la fort du Hilton Rabat, les habitants de
la capitale ont cru un temps que MohammedVI allait en
faire un muse ouvert au public. Le magazine amricain
Forbes, qui publie chaque anne son palmars annuel des
fortunes mondiales, le classe en 2008 au 7erang des ttes
couronnes avec un patrimoine estim 1,5milliard de
dollars1. Une estimation bien en de des ralits: elle ne
prend en compte que la partie quantifiable de son patrimoine (socits cotes en Bourse, biens immobiliers
ltranger, etc.). Il se place certes loin derrire les mirs du
Golfe, mais il faut rappeler que le PIB par habitant au
Maroc nexcde pas les 1500dollars. Officiellement, le
chmage ne dpasse gure les 10% de la population
active. Il est toutefois nettement plus lev si lon considre le poids exorbitant de lconomie informelle alimente par la contrebande, le trafic de haschich toujours
florissant et les petits boulots au noir qui font vivre des centaines de milliers de familles dans les banlieues pauprises
des grandes villes ou encore dans les campagnes o les
emplois sont tout aussi prcaires. Si seuls les travailleurs
dclars et bnficiant de la Scurit sociale taient pris en
compte, ce taux pourrait doubler. Dailleurs, seuls 10%
des 500000 jeunes diplms qui arrivent chaque anne sur
le march du travail marocain trouvent un emploi stable, et
1. The worlds richest royals, Forbes, 20aot 2008. En 2007, la
fortune de MohammedVI tait estime par Forbes 2milliards de
dollars.
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de premire ncessit, ne doit sa survie quaux aides compensatoires de ltat. Lesieur, sa filiale dans le secteur des
huiles, ne serait pas viable si elle ne sadjugeait un quasimonopole, faisant fi de la rglementation antitrust qui proscrit aux entreprises de sarroger plus de 40% de leur march
afin dviter tout abus de position dominante. Savola, une
marque saoudienne qui a rcemment tent de la concurrencer, a t force de jeter lponge, la justice ayant encore une
fois opportunment conclu une action dloyale. Arriv bien
tard dans les tlcoms, un secteur en pleine expansion au
Maroc, lONA a tout fait pour se tailler une place au soleil
aux cts de Maroc Telecom, cd en partie par ltat la
franaise Vivendi1, et Mditel, lenseigne locale dtenue par
Portugal Telecom et lespagnole Telefonica2. Au point de
pousser lAgence nationale de rgulation des tlcommunications (ANRT) doctroyer sa filiale Wana (ex-France Telecom) une licence dans la tlphonie mobile qui ntait pas
prvue dans le plan initial de libralisation du secteur , au
grand dam des Espagnols qui avaient pourtant dbours plus
dun milliard deuros pour entrer sur le march marocain
dans la transparence.
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1. Dbut 2009, le groupe Renault Nissan a rvis la baisse linstallation de son usine Tanger Med, son plus grand projet rgional, en raison de la crise mondiale qui touche le secteur automobile. Nissan a
dores et dj annonc son retrait.
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HARO SUR LE PRINCE ROUGE
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au Protocole submerg, se charge de la dlgation amricaine mene par le prsident Bill Clinton en personne,
tente mme de tordre le cou aux traditions ancestrales en
proposant avec insistance de supprimer le baisemain royal.
Le soir venu, il critique ouvertement MohammedVI,
devant la Cour, davoir laiss pntrer dans la salle du
Trne les hauts grads de larme, pourtant venus faire acte
de soumission leur nouveau Chef suprme. Ils ny
avaient pas mis leurs brodequins depuis le coup dtat de
Skhirat! plaide-t-il. Plus encore, alors que le jeune roi
veut se retirer pour passer la nuit aux Sablons, sa rsidence
prive de la priphrie de Rabat, Moulay Hicham lui dira,
en prsence de sa garde noire: Tu es maintenant le
Commandeur des croyants, ta place est au cur du Palais,
tu dois y passer ta premire nuit de roi. cet instant,
MohammedVI a dj tranch: il nacceptera plus que ce
cousin impulsif et empress le contredise en public, et
encore moins quil constitue avec lui le tandem que certains
rformateurs envisageaient pour conduire le Maroc vers la
modernit. Lorsquil apprend que Moulay Hicham sest
fait remettre la liste et les CV des membres du cabinet
royal, il entre dans une colre noire. Le 28juillet, il charge
Moulay Abdallah, galement un cousin proche, Fouad Ali
El Himma, son ami de classe qui deviendra rapidement
numro2 du rgime, et Abdelhak El-Mrini, le directeur
du Protocole, de rendre visite Moulay Hicham son
domicile. Prvenu de larrive des trois missi dominici, ce
dernier les attend, un Coran pos sur la table. La rencontre
est orageuse. Il dment avec vhmence les reproches qui
lui sont transmis, menace de quitter sur-le-champ le pays.
Les trois missaires lcoutent, contrits, avant de lui signifier la sentence: sil conserve son titre et son rang daltesse,
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puis et malade, accorde quelques concessions ses opposants de gauche notamment sur la question des droits de
lhomme laune de la sortie trs mdiatise en France de
Notre ami le roi, le brlot de Gilles Perrault , Moulay
Hicham publie en septembre1996 un deuxime article
dans Le Monde diplomatique, mais cette fois consacr au
Maroc. Cest un coup de tonnerre au sein de lintelligentsia
marocaine qui sentiche de ses ides rformatrices, notamment lorsquil fustige linadaptation du rgime face aux
dangers qui guettent le pays, gangren par le npotisme, la
corruption et les ingalits sociales. Le prince est conscient
que se jouent Rabat les derniers actes du rgne de son
oncle. Il sen inquite auprs des lites de tout bord, partageant ainsi les doutes de nombre dentre elles sur les capacits du prince hritier reprendre le flambeau sans heurts.
cette poque, la tragdie algrienne assure un cho particulier ses ides, surtout lorsquil agite la menace dune
alliance de circonstance entre laile scuritaire du Palais et
les islamistes en embuscade, prts balayer la monarchie.
Pour lui, la monte sur le trne dun roi que lon dit falot
ne pourra empcher lmergence dun pouvoir autoritaire
reprsent par Moulay Rachid, le frre cadet de MohammedVI, et le tout-puissant Driss Basri. Seule solution aux
yeux de Moulay Hicham: que le futur roi laccepte comme
rgent de fait. Il tisse alors des liens avec la gauche marocaine, qui a pu arracher HassanII une alternance historique au gouvernement, ainsi quavec la nouvelle presse, Le
Journal en tte, qui porte les germes de ce que les mdias
occidentaux qualifieront trop rapidement de Printemps
marocain.
Le prince Hicham se place au cur des dbats qui
agitent le crpuscule de HassanII. En France, de fins
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gs et de contradicteurs sincres qui continuent le frquenter, dans sa villa du quartier des Ambassadeurs au
cur de la banlieue chic de la capitale ou chez un couple
damis denfance dont le domicile du quartier de lAgdal
Rabat, vritable QG des sceptiques de MohammedVI,
devient le lieu de ralliement de journalistes critiques du
rgime, de gauchistes en rupture de ban avec les socialistes
au gouvernement et dintellectuels lesprit libre. Dsormais connu des services de renseignements, lappartement
est sous surveillance permanente et des fiches sont minutieusement rdiges par la DST sur ses visiteurs dun soir.
Lhte de ces nuits de dbats verra dailleurs sa carrire de
diplomate brise, comme tant dautres fonctionnaires qui
aux yeux de leur hirarchie ont commis lirrparable en frquentant Moulay Hicham. Les discussions y sont souvent
enflammes alors que Moulay Hicham dveloppe un discours critique lendroit du roi. Il dira de son cousin quil
fait lerreur dasseoir son pouvoir sur une logique scuritaire et ultraconservatrice dfaut de vouloir lengager
autour des notions de citoyennet et dmancipation. Il
prend aussi, lors de ces soires interminables, la dfense de
la monarchie lorsque les rpliques des convives heurtent
son rang. Le gouvernement socialiste dAbderrahmane
Youssoufi que lui a lgu HassanII nest pas en reste,
accus davoir trahi lidal de la gauche militante, dilapid
son capital de crdibilit et sombr dans laffairisme et la
courtisanerie. Il dit aussi prendre la temprature de
larme, qui ne lui cacherait pas son mcontentement face
au danger islamiste et aux tergiversations du roi dans la gestion du conflit au Sahara occidental.
Moulay Hicham agace le Palais, mais ce dernier se tait.
Dans les cercles scuritaires on surveille de prs le tru67
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FIRST LADY LA MAROCAINE
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rformes1, peut-on lire. Lengagement de ces deux souveraines musulmanes du XXIesicle dans les uvres caritatives en faveur des dshrits et des enfants maltraits
symbolise le progrs clatant de la condition fminine dans
ces deux royaumes, qui avec la Tunisie, pays prcurseur en
la matire, font figure de modles dans un monde arabe
encore englu dans ses traditions machistes. Mais cette
image dpinal servie aux mdias qui en demandent toujours plus, mlant orientalisme et doux fminisme, tend
laisser croire que la femme marocaine, jusquici soumise
dans son carcan dtre infrieur, a patiemment attendu
quun jeune monarque vienne la librer du joug des hommes
en montrant, dans son choix de vie de couple, le chemin
de sa libert. Larrive au Palais de Lalla Salma na en fait
pas eu deffet concret sur la condition fminine au Maroc,
dans laquelle elle na jou aucun rle direct. Sauf celui de
montrer la face du monde que le jeune couple royal est
acquis au mode de vie occidental. La rforme de la Moudawana ce code ancestral qui fait des femmes, quel que
soit leur statut social, des mineures vie, passant de la
tutelle du pre ou du frre celle dun mari , en vigueur
depuis fvrier2004, rsulte en ralit dun long processus
de maturation et non du simple fait du Prince. Un projet
est rdig ds 1979 par une commission royale qui a travaill pendant toute une anne dans le secret le plus absolu
pour laborer lun des codes les plus complets. Les propositions concernaient ltablissement de lge du mariage
18ans plutt qu 15, la rglementation du statut du tuteur,
le statut de lenfant n hors mariage. La commission royale
1. Moulay Hassan, un petit prince fait son entre dans le monde,
Paris Match, 17janvier 2008.
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tions. Profitant de lmoi populaire, le pouvoir a mis la mouvance islamiste sur la dfensive, la contraignant faire profil
bas et permettant le coup dacclrateur donn la
rforme. Lirruption de la violence avaitincit le roi
aller de lavant, conseill aussi en cela par un Jacques Chirac lui soufflant que se prsentait l une opportunit ne
pas manquer de redorer le blason dune monarchie qui
prtend vouloir sinsrer dans la mondialisation. Pour soutenir MohammedVI dans sa rforme, Jacques Chirac avait fait
concider sa visite officielle Rabat en octobre2003 avec
lannonce royale de la rforme de la Moudawana.
Mais les obstacles restent nombreux. Il faut commencer
par le plus dur: changer les mentalits dans une socit
patriarcale et machiste qui compte prs de 50% danalphabtes. Le code de la famille est en adquation avec la ralit socio-conomique et dmographique de la socit, mais
il est largement avant-gardiste par rapport aux mentalits1,
rsume Mohamed Tozy. Le nouveau code pose la question
de la position des juges conservateurs dans son application,
car il est vrai que lapprciation de nombreux aspects relatifs sa mise en uvre reste la discrtion des magistrats
de mme que sa bonne application dpend aussi du degr
dinstruction des femmes et de la connaissance quelles
peuvent avoir de leurs droits. Le problme, dsormais, est
lapplication de la loi. Les procdures judiciaires sont
longues, coteuses et souvent sans chance daboutir.
Rvolution culturelle dans un pays en attente de tous les
changements? La condition de la femme reste tiraille
entre acculturation la socit occidentale et repli identi1. Jos Garon, Et le roi libra la femme, Libration, 15dcembre
2003.
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LA CHUTE DU GRAND VIZIR
6juin 2004, Paris est baign dun soleil irradiant. Le quartier de La Muette, dans le XVIearrondissement, est
dsert. Dans son appartement haussmannien, rue du
Conseiller-Collignon, quavait occup un temps Pierre Mends France, Driss Basri, en costume dt, rosette de la Lgion
dhonneur pique au revers de son veston, commente, amus,
le faste des crmonies commmorant le 60eanniversaire du
Dbarquement. Il reconnat, dans la foule des officiels, de
vieilles connaissances quil dsigne par leur prnom. Il dcachette machinalement une large enveloppe or et jaune: Ce
sont les journaux du pays, je me les fais livrer par UPS trois
fois par semaine, ils narrtent pas de dire nimporte quoi sur
moi1. Un fax qui trne sur un guridon dorures dbite
des dpches expdies de Rabat par une secrtaire qui fait
sa revue de presse quotidienne. Ce pays na plus de visionnaires, et je le fais savoir dans les mdias2. Chass du pouvoir
1. Entretien avec lauteur, 6juin 2004.
2. Entretien avec lauteur, 6juin 2004.
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dernires tractations, assurant Serfaty que MohammedVI ne fera plus cas des accusations qui taient portes
contre lui, ni videmment de cette nationalit brsilienne
dont il avait t affubl pour justifier son loignement du
royaume. Une ide saugrenue qui, dit-on dans les cercles
du Palais, aurait t souffle HassanII par Ali Yata,
lancienne figure communiste devenue chantre de la
royaut. Le come-back triomphal de Serfaty a t prpar
dans le plus grand secret, sans que Basri nait t mis dans
la confidence. Il ne lapprendra quaprs le dcollage de
lavion Orly. Au cours des prparatifs, on raconte quil
arrivera mme au jeune roi de convier certains de ses collaborateurs en charge de lopration poursuivre la
conversation sur le sujet dans sa voiture pour tre hors
datteinte des oreilles indiscrtes et surtout du systme
dcoutes mis en place par son ministre de lIntrieur.
Lorsquil apprit la nouvelle, des tmoins racontent lavoir vu
plir. Cette premire vraie dcision politique du souverain sera pour lui un camouflet. Un mois plus tard, tandis que la tlvision nationale diffuse une interview de
Serfaty, Basri fulmine contre ce quil considre comme
une insulte la mmoire de HassanII1. Rapporte
MohammedVI, cette remarque lenfoncera davantage
Dcharg dune partie de ses prrogatives, le ministre continuera exercer son autorit sur nombre dofficiels, pour la
plupart choisis par ses soins et dont il avait su faire ses
obligs. Jusqu sa chute, celui qui passait pour lhomme le
mieux inform du royaume chrifien a ignor le sort qui
lui serait rserv. En arrivant Marrakech o il avait t
convoqu par MohammedVI, au matin du 9novembre
1. Entretien avec lauteur en avril2002.
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1999, le numro2 du rgime ne savait pas que son ministre tait encercl par larme et que ses plus proches collaborateurs avaient linterdiction dy pntrer. Une bien
singulire passation de pouvoirs. La veille, il avait ft son
61eanniversaire. Peut-tre pensait-il que le roi voulait le
gratifier dun cadeau? Ne lavait-il pas dcor de lordre
du Trne, deux jours plus tt? Mais le prsent est amer:
cest pour le congdier que le jeune souverain a fait venir
son ministre en son palais de Marrakech. Lhomme le plus
redout du royaume naura donc pas survcu aux premiers
mois de rgne de MohammedVI. Cest cet instant que le
jeune roi a vritablement pris le pouvoir. En destituant le
plus fidle des serviteurs de son pre. Mme Abderrahmane Youssoufi, le Premier ministre de lalternance, qui
tait Paris pour une runion de lInternationale socialiste,
en a t inform peine quelques heures avant que le couperet ne tombe. Il organisera sa rsidence une ubuesque
crmonie du th pour Basri, afin de sceller son dpart,
alors qu sa porte tout ce que le Maroc compte de
militants des droits de lhomme scandait des slogans de
rprobation. Dans les cnacles du pouvoir, on voquait,
pour justifier que rien ne bouge, les forces de la rsistance au changement, en montrant du doigt un Driss
Basri surpuissant et fort de son large cercle daffids avec
qui les supposs rformateurs taient forcs de composer.
Croyant aussi en cette thse, Le Journal avait dailleurs titr
au lendemain de larrive historique des socialistes au gouvernement en 1998 que, pour sauver lalternance, Basri
[devait] partir. Une charge contre Basri impensable
lpoque.
MohammedVI nest pas Juan Carlos dEspagne. Il a
tout de suite exerc la totalit des prrogatives que lui
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aimait donner ses rendez-vous sur le green des golfs, incarnait un systme de gouvernance hrit de lancienne organisation fodale du pouvoir dans le royaume chrifien. Un
systme fond sur lobissance et les passe-droits.
ce titre, Basri a caus des dgts irrparables. Sa
volont de tout monopoliser, sa manire archaque de grer
la chose publique par la corruption, les trucages de scrutins, lasservissement des partis ont caus la dsaffection
politique des lites et durablement plomb les ressorts de la
mritocratie.
Banni du pouvoir, il affirmera: Je ne remets pas en
cause mon dpart du gouvernement: cest une dcision
rgalienne. Ce que je rejette, cest la suite, cette volont
dlibre de jeter aux orties ma mmoire et mon potentiel1. La suite, Driss Basri la vivra comme une dchance
suppliciante. Dabord, on fit couper leau courante la
grande ferme quil possdait au sud de Rabat, un cadeau
reu des propres mains de HassanII dans les annes80.
Ensuite, on lui signifia quil tait indsirable luniversit
de Casablanca o il devait assurer des cours de droit. Jai
obtempr, mais je ne suis pas un ex-dignitaire nazi, pour
quon minterdise ainsi denseigner2, dira-t-il, la rage au
cur.
Enfin, ladministration marocaine refusa de lui renouveler son passeport prim. Il se trouvait pourtant encore
Paris pour des soins pays par la cassette royale (la monarchie ayant toujours fait preuve de magnanimit envers ses
courtisans et rebelles, par calcul politique), alors que la
presse officielle parlait de certificats mdicaux de complai1. Franois Soudan, Basri, lexil et le royaume, Jeune Afrique,
6mars 2005.
2. Ibid.
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niveau de rflexion ne dpasse pas les caves des commissariats. Dsabus quon puisse laccabler de tous les maux,
lui qui avait servi la monarchie avec ardeur, il rpondait
ses dtracteurs: Je suis un matre, un grand matre. Je
suis un colosse, un gant. Je suis un marchal du Maroc.
Il se dfinissait aussi en des termes grandiloquents: Je
suis docteur en droit, grand humaniste, idologue et philosophe de la monarchie. Jai lu Bossuet et saint Thomas
dAquin, alors queux, ceux qui mattaquent, ne savent
mme pas lacer leurs bottes. Je suis un grand monarchiste
et un monarchiste honnte, eux ne sont que des monarchistes rapaces. Le Maroc, ils sont en train de lenterrer1 Il
partira, au grand dam de ceux qui attendaient de lui des
rvlations explosives sur HassanII, sans avoir crit ses
Mmoires. Nombre de journalistes se sont penchs au chevet de cette exceptionnelle source dinformation, dont ric
Laurent, auteur dun livre dentretiens avec HassanII, qui a
d abandonner ce projet: Driss Basri a emport ses secrets
dans la tombe. son enterrement au carr des Martyrs
Rabat le 30aot 2007, la frustration des dfenseurs des
droits de lhomme tait immense, eux qui espraient, sinon
le jugement du Bria marocain, au moins son tmoignage au grand dballage de laprs-HassanII. Cet
homme est parti, comme beaucoup dautres responsables
de graves atteintes aux droits de lhomme, aprs avoir vcu
dans limpunit2, diront-ils amrement. En mai2006, le
1. Franois Soudan, Basri, lexil et le royaume, Jeune Afrique,
6mars 2005.
2. Entretien de lauteur avec Abdelhamid Amine, prsident
lpoque de lAssociation marocaine des droits de lhomme (AMDH), et
Abdelilah Ben Abdeslam, vice-prsident, en aot2007. Lire le chapitre15, Laxe Neuilly-Marrakech.
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juge franais Patrick Ramal lavait fait comparatre en qualit de tmoin dans laffaire Ben Barka. Il avait aussi perquisitionn son domicile, sans grand succs.
En France et jusqu la fin, il gardera ses amitis fidles,
limage des anciens ministres de lIntrieur Charles Pasqua, Jean-Pierre Chevnement, Pierre Joxe, Jean-Louis
Debr, Robert Pandraud, ou de lancien patron de la cellule Afrique, Michel de Bonnecorse, longtemps ambassadeur au Maroc et chaleureusement dcrit comme un
homme rond1. Il gratifiait mme certains dun mes
jeunes poulains, telle Rachida Dati, dsormais garde des
Sceaux2. En rcompense de leurs oreilles, une caisse de vin
de son propre vignoble tait offerte chaque jour de lAn.
Sur ces relations avec la classe politique franaise, il tait
peu disert, sauf pour senorgueillir de pouvoir tutoyer
Jacques Chirac. Il a continu de frquenter Pierre
Mazeaud, avec qui il avait des discussions interminables sur
la rforme de la Constitution marocaine, et Robert Badinter, vieille connaissance des annes Mitterrand, lorsque
Rabat et Paris entretenaient des relations orageuses autour
de la question des droits de lhomme. Badinter, il confiait
volontiers sa mfiance envers MohammedVI qui lavait,
disait-il, rabaiss au statut de sans-papiers de luxe3. Il
saffichait aux grandes messes de lUMP, frayait avec des
thsards dAssas, se montrait des cocktails mondains. On
la vu sur TF1 assister la Mosque de Paris une runion
pour la libration des otages franais en Irak. Il rptait
1. Xavier Monnier, Feu Basri et ses amis, Backchich.info, 31aot
2007.
2. Les relations de la classe politique avec le Maroc font lobjet du
chapitre15, Laxe Neuilly-Marrakech.
3. Entretien avec lauteur, 18mars 2005.
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mre Shhrazade Fechtali. Il coule une adolescence heureuse avec ses copains de toujours, les deux fils adoptifs de
Hafid Benhachem, haut grad de la police et futur directeur de la Scurit nationale. Cest le temps de linsouciance, de largent facile et de la frquentation assidue du
Jefferson, une bote de nuit la mode o se presse tous les
samedis soir la jeunesse dore de la capitale. Il y croise
Hayat Filali MDaghri, fille du conservateur des rsidences
royales de Fs et de Bouznika, au sud de Rabat. Leur idylle
fait scandale lorsquil la ravit sa famille des jours durant.
Les jeunes tourtereaux sont rattraps par la DST, mais, au
lieu du chtiment redout, ils obtiennent la bndiction du
roi pour sunir lgalement. Ce miracle inespr, Mandari le
doit une tante de Hayat, Farida Cherkaoui, concubine
favorite du monarque, qui non seulement a gagn son cur
plus que toutes les femmes de son harem, mais qui a la
haute main sur les affaires internes de la Cour. Cest elle
aussi qui obtient laccord du pre de Hayat pour ce
mariage express en faisant entrer Hicham Mandari comme
charg de mission la Scurit royale, le service des
gardes du corps personnels de HassanII, rgent par
Mohamed Mediouri, celui qui aprs la mort du roi pousera Lalla Latifa, lpouse lgitime du souverain, pour vivre
avec elle dans une riche demeure de Versailles On nage
en plein vaudeville. Nul ne saura si HassanII tait au parfum des sentiments de lhomme qui veillait sur sa scurit.
Mais Mandari, lui, en jouera avec dlectation. peine
admis au Mchouar de Touarga, la citadelle du pouvoir
central niche au cur de Rabat, il sy sentira comme un
poisson dans leau, sattirera les grces des puissants et
celles des recluses du harem qui il apporte cadeau sur
cadeau, notamment des tlphones portables devenus rapi114
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Palais1. Exil dans son appartement du XVIearrondissement parisien, Basri faisait en 2004 feu de tout bois pour que
soit renouvel son passeport marocain et pour qumander
Jacques Chirac un titre de sjour en France.
Fin 1998, la famille Mandari choue aux tats-Unis, sur
les recommandations de MeIvan Stephen Fisher, un avocat
amricain de renom. Et cest laroport de Miami, avec un
visa obtenu quelque temps avant leur dpart, que les Mandari dbarquent. Sur le passeport de Hicham Mandari tait
mentionn: Conseiller spcial de Sa Majest2. Lavocat
Fisher mnera Chicago dintenses ngociations avec
dimportants mandarins de HassanII: Ahmed Snoussi, son
ambassadeur aux Nations unies, Abdelkrim Bennani,
lhomme des missions dlicates et second de son secrtariat
particulier, et Driss Benomar, alors au ministre de lIntrieur. Un grand cabinet davocats de Washington, Zuckerman, et Associs, est commis pour prodiguer ses conseils au
royaume. Le bras de fer est engag loin de la France. Les
tractations sont ardues, interminables. Elles achoppent sur
des points obscurs dont personne ne connatra les dessous
vritables. Cet chec encourage alors Mandari soffrir sa
fameuse page de pub dans le Washington Post. Le fugitif sy
dpeint avec vhmence comme une victime de mensonges
honts. Il demande en outre la grce royale. Douze jours
plus tard, il fait lobjet dune tentative denlvement Miami.
Alors que HassanII se prpare vivre aux cts de Chirac et de Jospin la plus grande reconnaissance de la France,
1. Entretien avec lauteur, septembre2004.
2. Le titre de conseiller spcial du roi figure bien sur son passeport
malgr les dngations officielles de ltat marocain: lauteur a pu avoir
accs une copie de ce document lors de son entrevue avec Andr
Azoulay.
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dclare victime dun chantage et porte plainte contre Mandari. Le richissime financier est un habitu du srail. Il a
fait fortune sous le parasol du Palais au point quon la
longtemps surnomm le banquier du roi en raison des
transactions spciales quil a ralises au cours de sa longue
carrire, notamment dans le domaine de la dfense, grce
ses prcieux contacts aux tats-Unis et en Europe. Je suis
Hicham Mandari, jai en ma possession des documents
compromettants qui vous mettent personnellement en
cause et mme gravement. Je vous souhaite davoir le cur
bien accroch lorsque vous en prendrez connaissance, lui
aurait dit Mandari au tlphone, selon la dclaration du
banquier la justice franaise. Une autre version voque
une ultime mission commandite par le Palais pour rcuprer les fameux documents drobs contre une substantielle
somme dargent. Toujours est-il que les deux hommes ont
djeun le 11septembre 2003 chez Lasserre, lune des
meilleures tables de Paris. Au dessert, le banquier sest
dlest dune sacoche contenant 230000euros quil a donns son invit entour dune brochette de fiers--bras, ses
gardes du corps caucasiens arms jusquaux dents. Le lendemain, il lemmne Genve dans son jet priv et lui
remet 2millions deuros supplmentaires en liquide. Une
semaine plus tard, le 18septembre, Mandari est accoud au
bar de lhtel Vendme. Il y attend Benjelloun pour un
autre versement de 2,2millions deuros. Il ne savait pas que
Nicolas Sarkozy en personne, lpoque ministre de lIntrieur, avait dans la matine donn son feu vert pour quil
soit arrt en flagrant dlit1. Il est tomb dans la souricire.
1. Dclaration de Me William Bourdin, avocat de Hicham Mandari,
lauteur, octobre2003.
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ment en bonne place dans les classements des toutes premires fortunes des tats-Unis. La soixantaine athltique, le
shampooineur de Beverly Hills, comme le dcrivent les
magazines people de Californie, est un richissime selfmade-man, cofondateur de John Paul Mitchell Systems,
une multinationale de produits de soins capillaires au
chiffre daffaires qui frise le milliard de dollars et qui est
aussi clbre en Amrique que LOral. DeJoria possde un
florilge dentreprises, dont Skidmore Energy, fonde avec
Gustin en 1995. Skidmore est ce que lon appelle dans le
jargon des ptroliers une socit de wild catting1, une sorte
de dcouvreur de gisements revendre aux majors
comme Shell, Chevron ou Total, seules capables dinvestir
sur le long terme pour leur exploitation. Le business est risqu, les fonds tant souvent investis en pure perte. Gustin,
qui peine faire fortune, convainc DeJoria que le Maroc est
la dernire frontire explorer. Ses arguments semblent
solides: le sous-sol du pays na pas t suffisamment sond,
il a trouv des partenaires diligents, bien introduits et qui,
fait unique, proposent mme de favoriser lentreprise en la
faisant bnficier des avantages du code des hydrocarbures
avant mme sa promulgation officielle.
Forts de leurs entres au Palais, les Marocains de Medi
Holding saccordent avec les Amricains de Skidmore sur
la liste des avantages quils sengagent obtenir en un
temps record. Ils assurent que Lone Star Energy, leur jointventure qui na que huit mois dexistence, pourra profiter
rapidement des exonrations fiscales et dun rgime des
changes favorable prvus par le nouveau code des hydro1. Appellation donne aux prospecteurs sauvages du Texas pour
les diffrencier des majors du ptrole.
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carbures encore en gestation1. Mieux encore, en contrepartie, le prince Moulay Abdallah rclame par crit John
Paul DeJoria et Michael H.Gustin 12% du capital de
Lone Star Energy pour services rendus auprs des autorits. Cest--dire la certitude de lapplication dune loi qui
nest pas encore en vigueur contre un fauteuil autour de la
table. Cette lettre, dont la copie difficilement obtenue a t
publie dans les colonnes du Journal hebdomadaire, fera
scandale lorsquelle sera rvle au grand public2. Elle prfigure dj la prdation conomique des nouveaux cercles
du pouvoir, arrivs dans le sillage de MohammedVI. En
dix ans de rgne, de telles mthodes peu orthodoxes dans
dautres affaires lies directement au business du roi corneront limage de la monarchie, notamment celles concernant le holding Omnium Nord-Africain (ONA)3.
Les portes des ministres marocains sont grandes
ouvertes pour Lone Star Energy, dont les ralisations sont
pourtant inexistantes. Mohammed Benslimane obtient rendez-vous sur rendez-vous la Direction des investissements
extrieurs, lOffice des changes et au ministre de lconomie et des Finances. Toutes les promesses quil a faites
ses associs amricains sont tenues. Leffort de conviction y
est, largumentaire semble cohrent, mais la facilit est pour
le moins que lon puisse dire inoue. Quelques jours avant
la promulgation du code des hydrocarbures, Medi Holding
1. Le code marocain des hydrocarbures est promulgu en
fvrier2000. Il permet la signature dune lettre dintention dfinitive
entre les Texans et les Marocains le 9mars 2000.
2. Lettre du prince Moulay Abdallah, date du 17novembre 1999,
publie dans Le Journal hebdomadaire du 23mars 2002 et reprise dans
son dition du 10fvrier 2007.
3. Voir ce sujet le chapitre2, Trs riche roi des pauvres.
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ficelle avec ltat marocain une convention dinvestissement qui justifie ses 12% dans le capital de Lone Star
Energy.
De son ct, Gustin joue le tout pour le tout. Il cde
quelques menues affaires au Texas et se lance corps perdu
dans laventure marocaine. Avec le trio Moulay Abdallah,
Benslimane et Skiredj, il fonde donc Lone Star Energy le
20juillet 1999, trois jours avant le dcs de HassanII.
Une toile est ne, elle sera dote dun petit capital de
100000euros qui sera augment par les bnfices futurs.
Au final, Skidmore en dtiendra 88% et Medi Holding
12%, aprs dautres largesses que les Marocains apporteront en gage: ils permettent, entre autres, laccs aux donnes gologiques du pays. Ds le 9dcembre 1999, Gustin
crit DeJoria: Les plus hautes autorits du pays nous
soutiennent [], nous avons la certitude davoir trouv
quelque chose. Comment ont-ils pu dtecter du ptrole
avec une rapidit aussi dconcertante? Des gologues chevronns font dj la moue, comme Abraham Serfaty, lexil
politique le plus clbre du Maroc que MohammedVI a
autoris enfin rentrer au pays et qui a rintgr ses fonctions dans ladministration des mines. Mais Gustin explique
sans ciller coups de dclarations la presse que sa socit
est dpositaire pour le Maroc dune technologie rvolutionnaire suppose rduire considrablement la marge de risque
dans le choix des sites de forages, une technologie concde
par GeoScience, une obscure firme base au Texas et dont
on saura plus tard que Gustin en est aussi actionnaire.
Pour faire simple, ce procd baptis SRM utilise un
rayonnement lectromagntique mis par des avions de
reconnaissance, qui permettrait didentifier des bassins
sdimentaires potentiellement exploitables. Ces donnes,
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croises avec des tudes plus classiques (les cartes gologiques en loccurrence), auraient ainsi permis de se focaliser
sur Talsint Dj la presse spcialise internationale met
des doutes sur cette mthode juge peu crdible1.
Au Palais, personne ncoute ces critiques. Octobre
1999, lors dune audience prive Marrakech, le trio de
Medi Holding prsente MohammedVI en personne le
fruit des trouvailles collectes par les avions renifleurs
de Gustin. Les choses semballent quelques mois plus tard.
Une deuxime entrevue est mme accorde par MohammedVI dans son palais de Tanger, cette fois en prsence
des Amricains, mais la petite Lone Star Energy au capital
ridicule ne fait dj plus le poids. La manne aiguise dsormais dautres apptits plus puissants.
Derrire les annonces tonitruantes, des dissensions
entre Amricains et Marocains autour du contrle de
Lone Star Energy prfigurent dj une crise venir.
Financirement bout de souffle, Lone Star Energy,
sous-capitalise, narrive plus tenir ses engagements
envers les Croates de Crosco, qui menacent de remballer
derricks et trpans et de quitter le pays. La gendarmerie
qui veille au grain sur le site calmera leurs vellits, le roi
insistant sur lavance rapide du forage en prvision de sa
visite sur le site. Le jour mme de sa venue Talsint, un
fonds dinvestissement du nom dArmadillo entre dans la
danse. Selon Gustin et DeJoria, larrive de cet investisseur avait t effectivement convenue avec le roi lors de
la fameuse runion de Tanger, mais ils ne savaient pas
que les Marocains avaient fait appel en coulisses au
1. Samuel Blitz, The SRM paradox, Oil and Gas Monitor, septembre1999.
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parcelles de terrains y furent cdes prix dor par des spculateurs indlicats, mais la crise conomique y a repris ses
droits. Des meutes du pain y ont mme clat en 2008.
Personne ne sait ce que sont devenus les millions de dollars
investis par les Saoudiens de Dallah Al Baraka pour pousser la porte les Texans. Une rumeur persistante assure
quune nappe de ptrole a bien t dcouverte et que
MohammedVI a fait fermer le puits, trop proche de la
frontire algrienne o les tensions sur le Sahara occidental
sont loin de sapaiser. Une manire sans doute de faire perdurer un mirage dont rvait tout un peuple. Du lieu de
forage, l o ont roul les limousines gouvernementales
sous le soleil de plomb de ce 23aot 2000, il ne subsiste
quun amas difforme de ferraille ronge par la rouille, dernier vestige du plus grand mirage qua connu le Maroc
depuis son indpendance. Et du plus grand ratage mdiatique de MohammedVI. Le quotidien casablancais Assahifa1 reviendra sur laffaire en janvier2007. Sa mauvaise
lecture de la lettre ouverte des Texans au roi, disponible
sur Internet, lui causera bien des soucis. La publication
avait compris que lallusion au cadeau politique des Saoudiens tait en ralit un gage financier de 13millions de
dollars accord MohammedVI pour stopper toute prospection Talsint, celle-ci pouvant gner les intrts saoudiens sur le march mondial des hydrocarbures. Malgr le
peu de crdit accord cette thse iconoclaste, limminence
dune sanction royale contraindra la direction du quotidien
faire amende honorable. Mieux, Assahifa dcidera de se
saborder pour ne reparatre dans les kiosques que plusieurs
1. Assahifa faisait partie du mme groupe de presse que Le Journal
de 1998 2005.
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LES DEUX TTES DE JANUS
Mardi 5juin 2007 en dbut de soire, cest lembouteillage dans les ruelles ombrages dun des quartiers les
plus hupps de Casablanca. Moulay Hafid Elalamy, le fringant patron des patrons, invite dner dans sa villa de
matre la fine fleur du capitalisme marocain. Une vingtaine
de convives, jeunes capitaines dindustrie, hritiers dempires
financiers et patrons de multinationales, sont de la partie.
On y remarque le ptrolier et patron de presse Aziz Akhannouch, Abdeslam Ahizoune, le P-DG de Maroc Telecom,
Anas Sefrioui, le tycoon de limmobilier, ou encore les deux
poids lourds du secteur public que sont Mustapha
Bakkoury de la Caisse de dpt et de gestion et Mostafa
Terrab de lOffice chrifien des phosphates (OCP). Les
agapes ont des allures de conclave de tout ce que compte le
Maroc des affaires. Ces hommes daffaires ont rpondu
linvitation dElalamy pour une raison majeure: mettre la
main la poche pour financer la construction du nouveau
sige de la Confdration gnrale des entreprises du
Maroc (CGEM), lquivalent du MEDEF franais, les
anciens locaux du puissant lobby conomique tant devenus lvidence trop exigus pour lambition de ses
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pendant sept ans. Il est aujourdhui le vrai ministre de lIntrieur et non Mustapha Sahel. El Himma a fait plusieurs cures
de dsintoxication lalcool en Suisse. Il est trs colreux et
dtest de lentourage du roi1. El Himma a rtorqu sans
surprise que les islamistes avaient entach limage de
lexception marocaine en matire de scurit et que Sa
Majest ne [pouvait] que prendre les mesures adquates
dans les prochaines semaines. Un prlude au svre tour de
vis scuritaire qui allait caractriser le rgne de MohammedVI jusquen 2006. La suite de la note montre quEl
Himma tait par ailleurs lun des plus ardents dfenseurs de
ce raidissement du rgime. Il est ainsi indiqu que le roi a
cr un Haut Conseil qui a seulement pour tche de rappeler
lordre tous les oulmas qui franchissent les lignes rouges
dfinies par ltat. Toujours selon le document, il se serait
mme montr extrmement menaant, tenant des propos
dignes des radicateurs algriens: Nous passerons
lacte et la logique de lil pour il. Ils nous poussent
revenir lpoque dOufkir, [] cest--dire aux liquidations
en silence des islamistes par diffrents moyens.
De son ct Mohamed Mounir Majidi semploie refaonner, depuis son bureau au palais royal, les contours de
lconomie nationale en faisant valser les dirigeants de
lONA et en dcidant en coulisses du sort de ceux qui prsident aux destines des grandes entreprises nationales. Un
autre scandale le met de nouveau sous les feux de la rampe.
Nous sommes en 2005 et le march de limmobilier est en
pleine expansion, favoris par la demande massive des trangers, retraits franais et anglais pour la plupart, happs par
1. Note confidentielle obtenue par Le Journal hebdomadaire et dont le
contenu a t rendu public le 28octobre 2006.
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soupons ports lencontre dEl Himma, ministre dlgu lIntrieur lpoque des faits. Il aurait t aux commandes de lopration. Le makhzen de MohammedVI
nhsite donc pas, pour faire taire ses dtracteurs, utiliser
les mmes mthodes obscurantistes que celles des fanatiques
islamistes.
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quipe de compromis, distribuant des maroquins la plupart des partis. Dpits, les socialistes, dont le bilan dltre na t que dassurer la jonction entre les deux rgnes,
avalent la pilule. Ils espraient pourtant rempiler la faveur
des suffrages qui les donnaient en tte, mais lentorse faite
par le roi la dmocratie contentait largement leurs dtracteurs, notamment dans le monde des affaires, qui voit dans
larrive de Jettou un retour une rigueur conomique, la
parenthse de lalternance nayant pas su maintenir le cap
trac par HassanII la fin de son rgne. La classe des affaires
est dautant plus satisfaite que le nouveau Premier ministre
sentoure de jeunes quadras, forms dans les meilleures coles
dingnieurs et universits franaises ou amricaines, aux
solides comptences supposes. Adil Douiri, le patron de la
banque daffaires Casablanca Finance Group, hrite du
Tourisme, Karim Ghellab de lquipement et des Transports, Salaheddine Mezouar du Commerce et de lIndustrie,
Taoufiq Hjira du Logement et de lUrbanisme. Des femmes
comme Yasmina Baddou et Nezha Chekrouni entrent au
gouvernement pour prendre en charge des dpartements
caractre social. Mme si la plupart sont encarts dans des
partis, leur arrive est synonyme de changement pour une
opinion due par lalternance, malgr linvitable prsence
dlphants dans une quipe gouvernementale htroclite
qui perd de son relief politique. Exactement ce que voulait
en ralit MohammedVI, plus enclin sengager sur le terrain du dveloppement conomique qu se voir concurrenc sur celui de la politique. Jettou lui rend bien la
pareille en instaurant, grce son sens aigu de la diplomatie
et du compromis, des relations apaises avec les syndicats.
Volontaire et austre, il se plonge dans ses dossiers techniques,
notamment son ambitieux plan mergence de lcono167
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magazines au Maroc et ltranger font rgulirement le trombinoscope pour ce quil est coutume dappeler les 100 qui
font bouger le Maroc. Les principaux recruteurs en sont
bien entendu Fouad Ali ElHimma qui en a fait un systme
efficace dadoubement de certaines lites politiques, au point
de tenter en 2009 de leur btir avec des rsultats bien dcevants un nouveau parti politique, celui de lAuthenticit et de
la Modernit (PAM)1 et Mohamed Mounir Majidi, charg
de reprer dans les milieux de lindustrie et de la finance des
patrons qui serviront appliquer, lextrieur du jeu politique, les volonts du roi en matire conomique. lintersection de ces rseaux informels composs de commis de ltat
apolitiques, de businessmen promus des responsabilits rgaliennes, de lobbyistes aux impressionnants carnets dadresses,
danciens militants gauchistes convertis, on peut par exemple
citer Mustapha Bakkoury de la Caisse de dpt et de gestion,
Aziz Akhannouch, le ministre de lAgriculture et patron du
groupe ptrolier Akwa Holding, Anas Sefrioui, prsident du
groupe immobilier Addoha qui a dfray la chronique lors
dune entre tonitruante en Bourse par la grce du Palais, ou
encore Mohamed Hassan Bensaleh, lhritier du groupe industriel Holmarcom. Peu de gens se rappellent pourtant que, ces
dix ou quinze dernires annes, la carrire de la plupart de ces
capitaines dindustrie aurait pu prendre une trajectoire bien
diffrente. Alors la BMCI, la banque marocaine du groupe
BNP, Bakkoury avait mis quelques billes dans le magazine
Demain dAli Lmrabet, aujourdhui considr comme un
paria infrquentable du rgime. Akhannouch tait avec Basri
au milieu des annes90 en premire ligne de la fameuse
1. El Himma prside aussi la socit de communication Mena Media
Consulting mise contribution dans ses campagnes promotionnelles.
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LES GARDIENS DU TEMPLE
Le 22mai 2002, Le Canard enchan rapportait les propos terribles dYves Aubin de la Messuzire, lpoque
directeur pour lAfrique du Nord au Quai dOrsay, qui
dcrivait un MohammedVI pris en otage, manipul et isol
par son premier cercle dintrigants: Le roi ne matrise
plus rien. On ne sait mme plus qui contrle le rgime,
lchait ce haut fonctionnaire franais en petit comit.
Depuis, le roi, qui il tait souvent reproch dtre en
retrait du pouvoir, a pris de lassurance, mais, sur les affaires
ayant trait la scurit nationale, le makhzen sappuie
toujours sur une garde prtorienne, assemblage de hauts
grads inamovibles hrits du rgne de HassanII, de
conseillers, de thologiens conservateurs, de hauts fonctionnaires tatillons et dune justice aux ordres. Tous veillent au
caractre inviolable et sacr de la Couronne et aux lignes
rouges quils ont traces autour de dossiers sensibles comme
ceux du Sahara occidental ou des droits de lhomme. Au
point de continuer svir par la rpression la plus brutale.
Samedi 15avril 2000. Il parat quils ont dcid de
nous interdire. Le journaliste qui appelle Aboubakr Jama,
directeur du Journal, est formel. Ldition qui comporte en
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envers le Front Polisario, en lui reprochant davoir t inspir par le gouvernement marocain. Un think tank dirig
par Claude Moniquet, un mercenaire, comme laffirmera une source proche de la Sret de ltat, qui en fait
la voix de son matre de la DST franaise1.
Les gardiens du temple frappent aussi la presse internationale, qui est systmatiquement interdite lorsquelle
voque des sujets qui drangent le Trne. De nombreux
priodiques et ouvrages sont censurs rgulirement et les
journalistes eux-mmes ne sont pas en reste. En novembre
2000, Claude Juvnal, le chef du bureau de lAFP Rabat,
a t expuls du royaume au motif de son ingrence dans
les affaires internes du pays. Il avait fait tat dans une
dpche dun communiqu de lAssociation marocaine des
droits de lhomme qui mettait nommment en cause de
hauts responsables de la Scurit marocaine pour leur rle
prsum dans la disparition dopposants politiques sous
HassanII. Des mdias scandinaves, espagnols, franais ont
t interdits de couvrir des vnements au Sahara. La
complotite aigu du rgime atteint parfois des sommets.
Le 28octobre 2002, Taeb Fassi Fihri, le ministre des Affaires
trangres, avait invit son domicile de Rabat une brochette de patrons de presse marocains pour leur expliquer
quil existait une connivence de certains titres locaux avec
les services secrets et la presse espagnols. Fouad Ali El
Himma, lpoque ministre dlgu lIntrieur, et Rochdi
Chrabi, directeur du cabinet royal, avaient particip cette
runion. la suite de ces rvlations, le journaliste
espagnol Ignacio Cembrero, spcialiste du Maghreb et du
1. Pascal Martin, Portrait, Claude Moniquet, Le Soir, 17fvrier
2006. Une assertion conteste par lintress dans un droit de rponse
au quotidien le 3mars 2006.
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mais pas une femme appartenant un mouvement islamiste, ni un journaliste qui a eu de gros ennuis avec les
autorits marocaines? Je ne peux pas accepter cela. Je ne
peux pas me laisser rcuprer de cette faon-l1.
En matire de rpression contre les journalistes, les
escalades sont fulgurantes lorsquil sagit du roi lui-mme.
Lhumoriste Ahmed Snoussi, alias Bziz, trs populaire au
Maroc, inventeur de Sa Majetski, le sobriquet donn
MohammedVI au dbut de son rgne en raison de son
penchant pour les sports nautiques, est interdit depuis
plus de vingt ans de monter sur les planches et de passer
la tlvision. Les cassettes audio de ses sketchs sont
pourtant en vente libre. Nombre de journalistes indpendants sont tout aussi privs dantenne sur les chanes
publiques pour avoir critiqu MohammedVI, notamment
sur 2M, dont certains membres de la direction, qui sont
des intimes du srail, opposent un veto catgorique. Mais
cest certainement le procs dit de la pierre sacre en
2001 contre Ali Lmrabet qui illustre le mieux la folie du
rgime en la matire. Lmrabet, qui avait publi une information sur la vente probable dun des palais du roi, a t
berlu dentendre le procureur lui dire en pleine
audience que non seulement le souverain tait sacr, mais
ses rsidences prives galement. Et, pour donner du
poids sa vindicte, il conclut en brandissant une pierre,
pice conviction dun autre procs en cours o le caillou
tait larme dun crime: Si cette pierre avait t descelle dun mur du palais, tu serais en devoir de la respecter,
comme tu dois respecter notre souverain, que Dieu
lassiste!
1. Abdellah Taa, Qui est Marocain?, El Pas, 21fvrier 2009.
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Samedi 4aot 2007. Nichane et Tel Quel, deux magazines au ton libertaire, sont saisis et dtruits sur ordre du
Premier ministre et du ministre de lIntrieur. Ahmed Benchemsi, leur directeur, trs longuement interrog par la
police, sera inculp pour avoir offens MohammedVI. Son
tort: avoir comment dans son ditorial (publi dans les
deux magazines) un discours royal en utilisant des expressions crues en darija, le dialecte marocain, jug irrespectueux ladresse du souverain. Plus rcemment,
Nourredine Miftah, le directeur dAl Ayam, lhebdomadaire le plus important du Maroc en termes de diffusion,
avait crit au dbut du mois de fvrier2008 au palais royal
pour demander lautorisation de publier certaines photos
de la mre de MohammedVI, Lalla Latifa, et de sa grandmre, Lalla Abla. Toutes les deux sont des personnages
pratiquement inconnus des Marocains car leurs poux, les
rois HassanII et MohammedV, ont toujours vit,
quelques exceptions prs, quelles soient photographies.
Miftah ne reut aucune rponse crite sa demande mais,
en revanche, la police fit irruption au sige de lhebdomadaire avec un mandat pour perquisitionner. Les agents
venus en nombre voulaient aussi mettre la main sur le responsable de la publication et sa rdactrice en chef, Maria
Moukrim. Aucun des deux ntait l. Les policiers prirent
donc le chemin de lappartement de la journaliste. Dautres
firent appel une technique de triangulation pour localiser
le tlphone portable de Miftah. Interpells en pleine nuit,
les deux journalistes furent interrogs et convoqus nouveau au commissariat le lendemain. Ils durent assister une
deuxime perquisition du sige dAl Ayam, au cours de
laquelle la police saisit, enfin, les fameuses photos. Celles-ci
avaient t remises, Paris, en 2005, par le docteur Franois
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de lre HassanII qui montre que le roi a choisi la continuit en matire de scurit, quitte ce que son image en
soit ternie. Septuagnaire au maintien physique lgendaire,
le gnral Hosni Benslimane, le militaire le plus grad du
royaume, contrle, en chef omnipotent, le plus puissant
corps de larme: la gendarmerie royale. La carrire,
maille de zones dombre, de ce familier du roi est exceptionnelle. On le qualifie souvent de poisson savonn
tant il a chapp aux multiples purations des hommes
forts gravitant autour du makhzen. Il est incontestablement
le pilier militaire du rgime, la figure tutlaire de son aile
scuritaire. Maintes fois cit par les organisations de
dfense des droits de lhomme, des tmoins, victimes des
annes de plomb, ou encore par la justice internationale sur
son implication dans la rpression du rgime de HassanII
lgard des opposants, celui qui ne quitte pas dune
semelle MohammedVI pour assurer sa scurit rapproche
a toujours la haute main sur larme. Les liens de fidlit
absolue du vieux gnral envers MohammedVI sont de
notorit publique. La relation quil a avec le roi est hors
normes, MohammedVI le considre comme un hologramme de son pre! dit-on la Cour. Une proximit
qui bloque lapplication des recommandations de lInstance
quit et Rconciliation (IER), pourtant acceptes par le
roi et prconisant den finir avec limpunit des anciens
caciques du rgne de HassanII. Sans aucun doute, lenlvement de Mehdi Ben Barka en 1965 devant la brasserie Lipp
Paris constitue-t-il le plus gros caillou dans les bottes du
premier gendarme du pays. Le gnral Benslimane na
jamais aussi t inquit par ce dossier que depuis la reprise
en main de cette affaire par la justice franaise qui a mis,
le 26septembre 2007, cinq mandats darrts internationaux
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chasse aux barbus va permettre Herzenni de se positionner en 2005. Salah El Ouadie, pote la plume lumineuse, se voudra pragmatique, mais sans convaincre: Nous
sommes dans un processus de transition. Cest comme un
avion qui dcolle. Les attentats du 16mai ont cr des turbulences, et lappareil a t oblig de piquer du nez. Il est
en train de reprendre son envol avec le travail de mmoire
salutaire de lIER. la fin du mandat de [lInstance], nous
serons vraiment dans une nouvelle re1. la mi-juin2005,
Herzenni lance, dans les colonnes de treize journaux
proches du Palais et du gouvernement, un Appel citoyen,
quil fait signer par une poigne dintellectuels, dacteurs
politiques et de militants des droits de lhomme (dont Khadija Rouissi, lue femme de lanne par Le Journal hebdomadaire en 2004 pour avoir dnonc la torture des
islamistes), en raction des manuvres visant crer
un climat dinstabilit mettant en cause les acquis du pays
en matire de transition dmocratique. Une transition qui
nest pas en danger, estiment les auteurs du texte, qui
considrent pourtant que les limites du patriotisme le
plus lmentaire ont t franchies. Et de rclamer que la
loi soit applique, sans zle mais sans laxisme [] chaque fois
quelle aura t enfreinte. Marocains, rveillez-vous2!
titrait en une lun des journaux qui publiaient cet appel
combattre le dfaitisme des dus de MohammedVI. Le
prtexte la rdaction de cet appel a t offert Herzenni
1. Dclaration faite lauteur en 2004 lissue dune confrence, la
facult de droit de Rabat, de John Waterbury, expert amricain des relations des lites marocaines avec la monarchie. Citation reprise par
lauteur dans Le Monde diplomatique davril2005.
2. Aujourdhui le Maroc, 13juin 2005. Lditorial stigmatisait les ennemis du royaume, les intgristes illumins et les nihilistes irresponsables.
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par Nadia Yassine, qui avait dclar prfrer une rpublique une monarchie despotique1. Lappel, vindicatif
lendroit de toute voix critique envers la politique de ltat,
exonrait bien entendu le Trne, dont la sacralit ne devait
pas souffrir, selon ses signataires, de ceux qui voudraient
porter atteinte au contrat liant la monarchie aux forces
vives de la nation2. Cette initiative qui se voulait nationale
devait se muer en une association agissante. En ralit, elle
servira de tremplin pour Herzenni, dfinitivement coopt
par le pouvoir. Nomm la tte du CCDH, il refusera de
recevoir les associations de victimes pour discuter des dossiers en suspens, notamment ceux concernant les vnements de juin1981 Casablanca dont les victimes, pour la
plupart, nont pas encore t ddommages. Jetant aux
orties les recommandations de lIER pourtant approuves
par le roi, Herzenni estimera que les rparations matrielles
font office dexcuses de ltat. Chaque dcision dindemnisation envoye aux victimes comporte en soi une reconnaissance par ltat de ses torts. Il ne faut pas non plus
oublier que le jour o le roi a reu les victimes et leurs
familles, il a dans son discours parl de noble pardon. Cest
pour moi beaucoup plus quune excuse, cest une demande
claire de pardon. Il serait outrecuidant de demander plus
que cela3, dira-t-il la presse.
1. Nadia Yassine a t accuse de se vendre au Grand Satan parce
quelle avait t invite en mai2005 sexprimer sur la situation politique au Maroc luniversit de Berkeley en Californie. Elle sera poursuivie en justice, mais, jusqu la date de rdaction de cet ouvrage, son
procs, maintes fois report, na pas encore eu lieu.
2. Lappel visait, en plus des islamistes et des indpendantistes du
Polisario, la presse indpendante. Le Journal titrait la semaine prcdente: La monarchie, oui mais.
3. Le Journal hebdomadaire, 20dcembre 2008.
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Au sige du quotidien Al-Jarida Al-Oula, cest leffervescence. Ali Anouzla, le directeur de cette nouvelle et turbulente publication, est cit comparatre ce 18juin 2008
devant un tribunal de Rabat. Il vient dtre assign pour la
publication des auditions menes huis clos par lIER et
dont le quotidien a pu obtenir la retranscription. Des
tmoignages drangeants, dans lesquels des personnalits
comme lancien conseiller royal Abdelhadi Boutaleb ou
encore Khalihenna Ould Errachid, le prsident du CORCAS (Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes,
instance dsigne par le roi)1, rvlent des responsabilits
tenues secrtes par lIER et le CCDH. Un joli scoop pour
Ali Anouzla, dautant que le rapport final de la commission
Vrit que prsidait le dfunt Benzekri nest quune version
dulcore du long travail dinvestigation et de mmoire
entrepris au sein de lIER. Mais le rgime est toujours en
opposition la socit civile sur les fondamentaux dun
tat de droit. Et cest le plus dsastreux pour le rgne de
MohammedVI, qui na pas su se surpasser sur cette question nodale. Au contraire, en plaant Herzenni la tte du
CCDH, il avoue son incapacit pouvoir sduire des personnalits crdibles pour le reprsenter. Linjonction de
Herzenni pour faire taire le journaliste a choqu. Elle accusait Ali Anouzla de vouloir provoquer une fitna2 dans les
rangs de la socit. En invoquant une loi sur le secret des
archives dont les textes dapplication nont jamais t vots,
1. Cette instance devait tre compose de membres lus, mais, comme
la plupart des commissions royales, MohammedVI en dcidera autrement. Comme celle, par exemple, de la HACA (Haute Autorit de la
communication audiovisuelle), elle sera constitue de personnes choisies
par le Palais.
2. Fitna signifie chaos.
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AU ROYAUME DES KAMIKAZES
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extrmiste interne. Contrairement aux ides reues, le salafisme est plus ancr au Maroc que dans le reste du
Maghreb, estiment nombre dexperts1.
Lopration du 16mai ne livrera pas tous ses secrets.
Lopinion publique ne saura jamais vraiment si elle a t
fomente depuis ltranger, participant ainsi au grand
retour dAl-Qaida comme laffirmeront demble les autorits marocaines2, ou si elle fut luvre isole dun groupuscule local, intgr une frange de la population dmunie et
acquise aux thses de Ben Laden. Elle survient, en tout cas,
quelques mois aprs que le chef dAl-Qaida a dsign le
Maroc, dans une vido diffuse le 13fvrier 2003 par Al
Jazeera, comme un pays apostat en raison de ses liens avec
Washington. La vague dattentats qui avait frapp lArabie
saoudite quelques jours auparavant en aurait t un signe
avant-coureur. Lattaque paraissait pourtant trop artisanale
pour porter la signature dAl-Qaida. Le choix des cibles,
slectionnes en fonction dune symbolique primaire, laisse
perplexe. Un vieux cimetire juif abandonn, le cercle de
lAlliance isralite ferm le vendredi pour le dbut du Shabbat, la Casa Espaa, un club priv dirig par des Espagnols
mais frquent par de nombreux Marocains de la classe
moyenne qui viennent y dner et jouer au bingo, un restaurant italien, le Positano, et enfin lhtel Farah qui, dit-on,
accueillait au moment du drame une dlgation despions
amricains. Daprs une note blanche du ministre franais
1. Lire ce propos louvrage de Pierre Vermeren, Maghreb, la dmocratie impossible?, Paris, Fayard, 2004.
2. La thse officielle veut que les terroristes aient reu des fonds
dAbou Moussab Al-Zarqaoui, le chef de la rbellion islamiste en Irak,
tu en juin2006 par les forces amricaines, et qui stait dclar affid
Ben Laden.
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difficile de le dpecer1, ragira avec vhmence El Othmani lorsque plusieurs ONG anti-islamistes rassembles
avec le soutien de ltat sous la bannire du collectif Front
uni contre les terroristes lui reprocheront sa responsabilit morale2 dans les attentats. Regardez aujourdhui [les
membres du PJD], mme eux donnent limpression dtre
sceptiques aprs ce quils ont endur suite au 16mai3,
commentera, un an aprs les attentats et depuis son exil
parisien, un Driss Basri dsabus. Pour lui, la politique radicatrice de MohammedVI lencontre des islamistes,
inspire du modle algrien, allait mener plus de subversions. Cest aussi contre les progressistes et les dfenseurs
acharns des droits de lhomme que ltat mnera sa
cabale, trop content den finir avec ceux qui le tanaient de
recourir aux mthodes expditives de Hassan II. Le Journal
hebdomadaire, qui avait critiqu ds 2002 les couacs de la
lutte antiterroriste, avait t cette occasion accus par la
presse proche du Palais davoir du sang sur les mains.
Lhebdomadaire, dont les enqutes avaient t cites par le
trs influent The Economist, avait provoqu lire du makhzen qui voulait laffubler dune part des responsabilits du
massacre. Le magazine britannique avait crit, reprenant les
thses du Journal hebdomadaire, quelques mois avant le
16mai que les avances du Maroc en matire politique
pouvaient se rvler contradictoires, au risque de saboter la
consolidation des droits de lhomme4. Une mauvaise
publicit pour MohammedVI qui poussera Driss Jettou, le
1. Interview de Sad Eddine El Othmani au Journal hebdomadaire,
31mai 2003.
2. Voir ce propos le chapitre10, Les gardiens du temple.
3. Entretien avec lauteur, 12juin 2004.
4. Is torture ever justified?, The Economist, 11janvier 2003.
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Premier ministre, affirmer doctement devant le Parlement que la presse indpendante jouait le jeu des islamistes lorsquelle mettait en doute les dcisions de justice.
Pourtant, le chef du gouvernement, un apolitique proche
du srail nomm contre toute attente la primature
lissue des lgislatives de 2002 pour ses qualits de technocrate, avouera, lorsquil sera questionn sur les cas de torture dnoncs par Amnesty International au quartier
gnral de la DST Tmara: Je ne moccupe pas des problmes scuritaires, jai dj beaucoup faire avec les syndicats1. Philippe Luther, le responsable dAmnesty pour
le Maghreb, confirmera: Le centre de Tmara, administr
par la DST, est lun des principaux endroits dans lesquels
le recours la torture a t signal2. Dans son rapport
dit loccasion de son enqute sur la prison verte de
Tmara3, Amnesty International rvlera par exemple
quAbdallah Meski, un Marocain afghan, y sera mis au
secret et tortur pendant cent soixante-quatre jours. Faisant
cho ce rapport, la presse indpendante parlera dsormais
de Tmara comme de lAbou Ghraib marocain.
Avec un Premier ministre aux pouvoirs bien limits et de
surcrot englu dans ses dossiers sociaux et un gnral (Hamidou Lanigri) au fate de sa puissance lpoque, les liberts
individuelles ne seront pas au beau fixe en 2003. Au Sahara
occidental, alors quon pensait que la rpression aveugle
contre les indpendantistes avait disparu avec Hassan II et
Basri, voil quAli Salem Tamek, une figure de la nouvelle
1. Entretien avec lauteur, juin2004.
2. Ibid.
3. Maroc et Sahara occidental. Lutte contre le terrorisme et recours
la torture: le cas du centre de dtention de Tmara, Amnesty International, 24juin 2004.
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progressiste. Le monarque dcrtera en 1966 la prire obligatoire dans les salles de classe. En 1968, il ira plus loin en
favorisant pour laccession au primaire les lves qui ont
frquent lcole coranique. En 1975, Hassan II continuera
sur sa lance: aprs avoir enclench larabisation marche
force trois ans plus tt, il crera une commission de thologiens et denseignants dont la mission sera de rviser
tous les livres scolaires pour les assainir des fausses thories
et des terminologies dmesures qui ne doivent pas tre
inculques la jeunesse dun peuple fier de sa religion
musulmane et de son Livre sacr. La monarchie, en ces
termes, allait causer des dgts majeurs. Comme dans la littrature islamiste aujourdhui, la lutte contre loccidentalisation et ses valeurs (dont en filigrane la dmocratie) tait
voulue comme une bataille contre lalination. Sous
MohammedVI, lutilisation politique de la religion et son
inscription au fronton des coles sont encore de mise. Plus
que cela, lenseignement religieux ne rhabilite pas une
pense islamique dans sa riche diversit: philosophie, thologie, mystique, droit et autres savoirs. Il continue de se
focaliser sur les dogmes et les rites aboutissant un engourdissement des esprits.
La reprise en main de lislam officiel par MohammedVI
na pas eu deffets majeurs. Il en trace les grandes lignes
dans son discours du Trne le 30juillet 2003, puis le
30avril 2004 dans une allocution consacre la restructuration du champ religieux, pour couper court aux fauteurs de discorde et de zizanie [] et contre tous les maux
causs par les sectaires et les clanistes. Cette reconqute avait t amorce en 2002 avec larrive au ministre
des Affaires islamiques dAhmed Taoufiq, un thologien
mystique, membre de la Tariqa Boutchichiya, une confrrie
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1975, handicap majeur de sa diplomatie mais surtout ferment propagandiste de lunit nationale autour du Trne.
21juillet 2002. Un jet daffaires GulfstreamV immatricul N379P en provenance dIslamabad au Pakistan atterrit
sur la piste de laroport de Rabat-Sal. son bord,
Mohammed Binyam AlHabashi, citoyen britannique dorigine thiopienne, yeux bands et pieds entravs, na aucune
ide de lendroit o il se trouve, ni de ce quil va endurer
dans les cachots de la Prison verte de Tmara, sige de la
DST marocaine et centre de dtention secret. Il y passera
dix-huit mois de calvaire avant dtre transfr comme des
centaines dautres Guantnamo. Binyam est pour ladministration Bush un combattant illgal dAl-Qaida tomb
entre les mains de la CIA et du MI5 britannique qui lexpdient au Maroc, lun des pays qui ont accept de participer
au programme Restitutions extraordinaires pour les interrogatoires muscls de djihadistes capturs en Afghanistan.
Un programme rvl ds 2002 par le Washington Post1 et
qui incluait la sous-traitance de la torture des pays peu
regardants en matire de droits de lhomme. Tmara,
durant sa longue captivit, Stafford Smith, son avocat,
patron de lONG Reprieve, rapporte que Binyam a subi les
pires supplices. Des pratiques mdivales2: scarifications au scalpel sur les parties gnitales, privation prolonge
de sommeil, tempratures excessives, administrations for1. US Behind Secret Transfer of Terror Suspects, Washington
Post, 11mars 2002.
2. Entretien avec lauteur, dcembre2006. Lire aussi Outsourcing:
The CIAs Travel Agent, The New Yorker, 30octobre 2006, et Aboubakr Jama, Delegating the Dirty Work, Washington Post, 12septembre 2003.
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Laden cinq ou six fois, ce qui est bien videmment faux. Ils
ont continu avec deux ou trois interrogatoires par mois. Il
ne sagissait pas vraiment dinterrogatoires, mais plutt
dentranements, en vue de me prparer ce que je devrais
dire. Binyam a dclar Reprieve avoir fait lobjet dune
seconde restitution lors de la nuit du 21 au 22janvier 2004
vers Kaboul. Aprs quon lui a mis des menottes, band les
yeux et quon la transport environ une demi-heure dans
un van, il a t dbarqu dans ce qui lui semble tre un
aroport. Ils ne mont pas parl. Ils ont lacr mes vtements. Il y avait une femme blanche avec des lunettes. []
Lun deux tenait mon pnis tandis quelle prenait des photos numriques. Elle a eu le souffle coup en voyant mes
blessures. Elle a dit: Oh, mon Dieu! Regardez a
Selon le rapport de la commission du Parlement europen
charge denquter sur les vols secrets de la CIA en Europe
et qui rapporte le cas de Binyam1, ces avions ont effectu
40escales au Maroc entre2001 et2005. En dcembre2005,
une enqute du Journal hebdomadaire2 avait lev le voile sur
les dtails de la participation du Maroc ces restitutions. Malgr cela, les autorits, tat-major des Forces
armes royales compris, ont persist dans leurs dngations. En janvier2006, le gnral Abdelaziz Bennani, chef
dtat-major des armes, et ElMostapha Sahel, lpoque
ministre de lIntrieur et aujourdhui ambassadeur du
Maroc Paris, ont mme envoy des prcisions au Journal
1. Rapport de Dick Marty sur les Allgations de dtentions secrtes
et de transferts illgaux de dtenus concernant des tats membres du
Conseil de lEurope, Assemble parlementaire de lUnion europenne,
7juin 2006.
2. Maroc, poubelle de la CIA, Le Journal hebdomadaire, dcembre
2005.
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J.Fitz-Pegado, ex-agente du renseignement du Dpartement dtat devenue spcialiste des dossiers dlicats des
gouvernements en mal de bonnes grces de Washington,
aura la charge de dnoncer lembrigadement de centaines de jeunes Sahraouis de Tindouf par le rgime
castriste1. Transfuge du cabinet Hill&Knowlton, la carrire de Fitz-Pegado avait pourtant t entache par lune
des plus grandes manipulations de lHistoire, celle des
nouveau-ns prmaturs kowetiens sortis de leurs couveuses par les troupes de Saddam en 1990. Elle sera aussi
la manuvre dans la propagande monte autour de la
soldate Jessica Lynch, fausse hrone de la campagne irakienne. Fitz-Pegado avait aussi dfendu, entre autres, les
intrts de Bb Doc Duvalier, lex-dictateur dHati, et
ceux du marchand darmes Adnan Khashoggi. Le Center
for Public Integrity de Washington stait intress de
prs ses activits dans son rapport The Torturers
lobby2 paru en 1992, rapport o il est fait par ailleurs
grand cas du Maroc. Pourtant, en 2006, elle participait
activement aux tournes promotionnelles du royaume afin
de vendre son processus de rconciliation nationale entre
les anciennes victimes de HassanII et le rgime de
MohammedVI.
Le Maroc sest aussi spcialis dans le recrutement
danciens diplomates amricains qui taient en poste
Rabat, comme les anciens ambassadeurs Marc Ginsberg et
Edward Gabriel. Si le premier sest consacr faire la promotion du royaume auprs des multinationales amricaines,
1. Hill&Knowlton, Treat with Caution, 12dcembre 2005.
2. Pamela Brogan, The Torturers Lobby. How Human Rights-Abusing Nations are Represented in Washington, The Center For Public
Integrity, 1992.
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le second sest recycl officiellement dans le lobbying politique. En ralit, ce fils dimmigr libanais, proche du prsident mile Lahoud et ancien conseiller de Clinton pour le
Proche-Orient, est un professionnel du revolving door,
une pratique trs lucrative qui permet de mettre disposition de clients de marque le poids dun carnet dadresses
patiemment constitu tout au long de sa carrire publique.
Il avait pu en mesurer le potentiel lorsquil tait le parangon de linitiative Eizenstat, le programme de soutien conomique dont a bnfici le Maroc la fin des annes90.
Cest lui qui fut lorigine de la campagne Free Them
Now en 2005 en faveur des militaires marocains prisonniers Tindouf. Son cabinet, The Gabriel Company, a t
mandat par le gouvernement marocain pour diffuser une
ptition rclamant leur libration. Il arrivera mme, avec
succs, sadjoindre lappui de John McCain, candidat
malheureux des prsidentielles amricaines et figure emblmatique des vtrans du Vietnam. Gabriel le prsente alors
comme un dfenseur convaincu de la lgitimit du Maroc
sur le Sahara occidental1. Pourtant, Gabriel navait jamais
milit auprs des Marocains en faveur de leurs prisonniers
de guerre lorsquil tait en poste au Maroc: la question
tait alors taboue Rabat2, mais elle est depuis devenue
juteuse Washington. Si juteuse quun projet nomm
Moroccan American Center of Policy (MACP), une plateforme de lobbying mise en place avec le parrainage du roi,
est devenu depuis labandon du plan Baker pour le Sahara
1. Moroccan American Center for Policy Gangfight, On Hump or
Two?, 6avril 2007.
2. Le Journal hebdomadaire qui, en 1999, avait pour la premire fois
soulev ce problme, avait t trait dantipatriote par lagence officielle
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deur du Dpartement dtat en charge de la libert religieuse dans le monde, dagir en consquence. Lanecdote
rsume bien le dilemme du Maroc aujourdhui. Ses efforts
coteux pour faire accepter ses thses et les transformer en
acquis politiques achoppent sur son incapacit formuler
dans le dtail une solution viable au conflit alors que la partie dchecs rgionale est plus que jamais lavantage du
voisin algrien dop par ses revenus ptroliers. Linitiative
royale, bien tardive, proposant une autonomie pour le
Sahara saccompagne dactions bien peu crdibles. Les lobbyistes amricains, aussi influents soit-ils, narrivent pas
convaincre lopinion publique internationale, le Palais ayant
dsign pour se pencher sur la question une instance
consultative (CORCAS) truffe danciens potentats locaux
de lre Basri. En mai2007, lambassadeur Riley avait frl
lui-mme lincident diplomatique en indiquant, des journalistes quil recevait sa rsidence de Rabat, que cette instance navait pas sa place dans les ngociations engages
entre le Maroc et le Polisario: Ses membres nayant pas
t lus, le CORCAS est purement consultatif et non excutif1. Le Palais, qui a toujours cherch convaincre
Washington sur son plan dautonomie sous souverainet
marocaine, a peru cela comme une ingrence. Lorsquen
1996 lancien secrtaire dtat James Baker stait vu
confier la dlicate tche de trouver une solution au conflit
du Sahara occidental, il avait voqu avec HassanII les
contours dune autonomie largie pour le territoire contest
1. Entretien avec lauteur, 3mai 2007. Riley avait par ailleurs t
souvent critiqu par le pouvoir marocain pour avoir engag des discussions avec les islamistes du PJD lorsque Nadia Yassine, de lassociation
Al Adl Wal Ihssan, avait t accueillie aux tats-Unis pour sexprimer
sur son mouvement.
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Elle devait porter lun deux lors du dner officiel offert au roi
la Maison-Blanche1, elle qui ne tarissait pas dloges sur le
tapis marocain quelle venait dacheter sur Internet2. La
lgende veut aussi que ces visites rptes au Maroc soient
justifies par un membre loign de sa famille qui vivrait
dans la rgion de Marrakech. Mais plus srieux sont les liens
dargent qui existent entre les Clinton et la monarchie
marocaine. La Fondation Clinton compte en effet parmi ses
heureux donateurs le roi du Maroc3. Longtemps tenus
secrets4, ces liens ont t rendus publics lorsque Hillary a t
choisie par Obama pour diriger sa diplomatie, mme si les
montants verss par MohammedVI ne sont pas donns avec
prcision. Le New York Sun5 a toutefois estim que MohammedVI faisait partie de la troisime catgorie des donateurs
en termes dimportance la Fondation Clinton, sans compter les versements effectus lors des diffrentes campagnes
politiques du couple. Aprs les trustees, o lon compte
la famille royale saoudienne, les mirs du Qatar, du Kowet
et de Duba qui ont vers plusieurs millions de dollars, suivis des philanthropes, le roi du Maroc se retrouve dans
ce troisime groupe: celui des humanitaires, dont le don
est estim dans une fourchette de 100000 500000 dollars
pour la seule bibliothque qua fait difier la fondation de
lancien prsident des tats-Unis Little Rock.
1. Roxanne Roberts, Kimberley Palmer, Moroccos King of
Hearts, Washington Post, 21juin 2000.
2. Samuel Valle, Des tapis berbres sur Internet, Syfia.info,
1erjuillet 1997.
3. Clinton Foundation Secrets, The Wall Street Journal, 25avril 2008.
4. Matthew Vadum, Deborah Corey Barnes, Clinton Foundation Refuses
to Reveal Donors but Sells List to Friend, Human Events, mai2008.
5. Josh Gerstein, Saudis, Arabs Funneled Millions to President
Clintons Library, The New York Sun, 22novembre 2004.
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HUMILI POUR UN CAILLOU
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Espagne une profonde crise sociale chez les marinspcheurs, interdits de travailler dans les eaux poissonneuses
marocaines. Une manifestation de larrogance coloniale
pour le Palais, qui supportait encore moins ltalage des
passades amoureuses de la famille royale dans les magazines
people espagnols. Une cabale mdiatique selon Rabat,
qui avait provoqu lire de MohammedVI lorsque la
marionnette cense le reprsenter avait fait son apparition
aux Guignols de linfo sur lantenne espagnole de
Canal+. Cest dans ce climat trs lourd que la crise de llot
Perejil allait se nouer.
Selon une note blanche du ministre franais de la
Dfense1, les relations entre Aznar et MohammedVI
avaient trs tt tourn au vinaigre, ds laccession de ce
dernier au Trne, en 1999. Premier homme dtat rendre
visite au jeune souverain, le Premier ministre espagnol
aurait ouvert laudience en faisant une offrande au Maroc
[] sous forme dun chque de 50millions de dollars pour
aider le royaume surmonter cette priode difficile.
Prsent quaurait refus MohammedVI, prfrant que
lEspagne assiste le Maroc en respectant ses positions.
Lors dune deuxime rencontre, le gnral Ahmed El Harchi, lpoque chef de la Direction gnrale des tudes et
de la documentation (DGED), le service de contre-espionnage du Maroc, aurait vu MohammedVI sortir dune
1. Lire ce sujet lenqute de Catherine Graciet, Une taupe au
Palais, parue dans Le Journal hebdomadaire, mai2006, et le chapitre
Lune de miel espagnole de louvrage que la journaliste a cocrit avec
Nicolas Beau (Quand le Maroc sera islamiste, op.cit.), qui rvle lexistence et le contenu de cette note blanche, probablement rdige fin
2002, qui rendait compte dune runion entre Pedro Canales, un journaliste espagnol du quotidien La Razon, et de hauts responsables marocains.
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LAirbus prsidentiel frapp de la cocarde de la Rpublique franaise se pose ce lundi 22octobre 2007 sur laroport de Marrakech Mnara. sa descente de lavion, cest
tout le faste du royaume qui attend Nicolas Sarkozy pour sa
premire visite dtat au Maroc. MohammedVI et son
frre cadet Moulay Rachid sont les premiers lui donner
laccolade. Le programme de ce voyage officiel, longtemps
ajourn, est extrmement charg. Sur le tarmac, le prsident
serre la main une range dofficiels, civils et militaires, que
le Protocole, rgl comme un mtronome, lui prsente.
Parmi eux, le gnral Hosni Benslimane, le puissant patron
de la gendarmerie royale.
Au mme moment, France3 annonce que Benslimane
est vis par un mandat darrt international lanc par le
juge franais Patrick Ramal1 dans le cadre de la disparition
1. Dans son dition du 15 novembre 2008, Le Point a publi un
confidentiel sous le titre Les juges qui agacent llyse. On y lisait
que Jean-Claude Magendie, le premier prsident de la cour dappel de
Paris, avait qualifi dirresponsable linitiative de Patrick Ramal. En
fait, le haut magistrat avait dans un courrier interne exprim sa surprise
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en 1965 Paris de Mehdi Ben Barka, le plus illustre opposant de HassanII. On frle lincident diplomatique.
Lentourage des deux chefs dtat sactive en coulisses
pour que le sujet ne monopolise pas lintrt des mdias,
accourus en masse pour couvrir les retrouvailles francomarocaines. Laudience prvue le jour mme avec le Premier
ministre Abbas ElFassi est annule, et le dner priv avec le
souverain est remplac par une simple rception protocolaire. Nicolas Sarkozy expliquera cette lgre entorse au
programme en invoquant un mal de gorge quil a d
soigner par des antibiotiques que Bernard [Kouchner lui]
a donns1. La presse y voit, elle, la consquence de la
pilule amre que vient de lui administrer sa propre tlvision publique. Le lendemain, alors que le chef de ltat
franais est attendu pour prononcer un discours au Parlement Rabat, Taieb Fassi Fihri, rcemment promu la tte
de la diplomatie chrifienne, ne cache pas sa colre. Il sen
prend ouvertement au juge Ramal quil accuse dtre
lauteur de la fuite organise de linformation Joseph
Tual2, grand reporter de France3 et lorigine du scoop.
Cest le juge qui la dit la presse, alors que ces mandats3
darrt sont contraires aux accords bilatraux de coopradevant la concomitance de la dlivrance des mandats et de la visite de
Sarkozy au Maroc.
1. Confrence de presse du 24octobre 2007.
2. Grand reporter France3, Joseph Tual enqute sur laffaire Ben
Barka depuis dix-neuf ans. Il est interdit de tournage au Maroc depuis
2000, lorsquil avait film des images du PF3 (ou Point Fixe3), une
ancienne prison secrte o pourrait avoir t enterre, selon lui, la tte
de Ben Barka. Ses cassettes avaient t saisies laroport de Casablanca.
3. Plusieurs personnalits marocaines civiles et militaires sont vises
par ces mandats.
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lorganisation de ma rcente venue au Maroc. Jai t sensible aux efforts que vous avez dploys cette occasion, et
je vous en suis trs reconnaissant1, pouvait-on y lire.
Qotbi, peintre ses heures perdues, est assurment la carte
matresse du lobbying marocain en France dans le cadre du
Cercle damiti franco-marocain, dont lide lui avait t
souffle aprs la sortie en 1990 de Notre ami le roi, le pav
dvastateur de Gilles Perrault. Qotbi, qui venait dtre fait
officier des Arts et des Lettres par Pierre Brgovoy, avait
attir lattention du Palais. Un proche de HassanII laurait
immdiatement adoub et lanc la chasse aux politiques
franais. Hubert Vdrine, alors secrtaire gnral de llyse et ami de longue date du Maroc, sest vu attribuer le
poste honorifique de vice-prsident du Cercle. De gauche
comme de droite, de nombreuses personnalits du gotha
parisien allaient grossir les rangs de ce club et user de leur
influence auprs des mdias et des intellectuels en vue. Le
7novembre 2006, Qotbi organisait une grand-messe de la
Francemaroc lAssemble nationale. Colloque auquel
ont particip entre autres Philippe Douste-Blazy, lpoque
locataire du Quai dOrsay, Brice Hortefeux, le bras droit
de Sarkozy, les crivains Erik Orsenna et Jean Lacouture et
des journalistes comme Josette Allia du Nouvel Observateur
ou Hamid Berrada de TV5 et de Jeune Afrique. La troupe
des amis du Maroc stait dj, trois mois aprs le
sisme dAl Hoceima de fvrier2004, retrouve autour de
Jacques Chancel, autrefois bien en cour sous HassanII,
Bernard-Henri Lvy, un habitu du Festival de cinma de
Marrakech, et bien dautres, comme Maurice Druon, Tahar
1. Catherine Graciet, Vous prendrez bien un peu de pastilla?, Le
Journal hebdomadaire, 30mars 2006.
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pas de continuelles frictions avec le royaume. MohammedVI dcidera, contre toute attente, de scher le sommet
de lUnion pour la Mditerrane (UPM), organis en
grande pompe le 13juillet 2008 Paris. Alors que tout
indiquait quil allait participer cette messe, laquelle ont
pris part plus de 40dirigeants dEurope et de la rive sud du
bassin mditerranen, le roi a choisi de rester au Maroc et
de dpcher son frre, le prince Moulay Rachid, pour le
reprsenter. En labsence dun communiqu officiel du
ministre de la Maison royale, du Protocole et de la chancellerie, les spculations iront bon train sur les raisons de
labsence remarque du monarque, dcide la veille du
sommet. Le prtexte peu convaincant de lagenda
charg du roi servira de billet dexcuse. MohammedVI
navait pas reu lassurance que le Maroc abriterait le secrtariat gnral de lUPM alors que Tunis tait aussi en lice.
Toujours est-il que Rabat bnficiera de tout le soutien de
la France pour lobtention en novembre2008 du statut
avanc quelle rclamait auprs de lUnion europenne.
Le patronat franais, largement acquis la cause de
Nicolas Sarkozy pendant sa campagne prsidentielle, dispose de bien des atouts pour donner corps cette exception marocaine. Trente-huit des entreprises listes au
CAC40 sont implantes au Maroc. Cest par exemple le cas
de la Socit gnrale, de Total ou dAlcatel. Dans lhtellerie, Accor se taille la part du lion, Vivendi possde en
majorit Maroc Telecom, Lafarge est cote la Bourse de
Casablanca, Suez est prsente lenvironnement, Renault y
assemble sa Logan et ne dsespre pas ddifier une de ses
plus grandes usines aux abords du port de Tanger Med, la
BNP y ouvre chaque anne des dizaines dagences Ces
quelques exemples montrent quel point lconomie locale
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dpend de lHexagone. Paris est de loin le premier partenaire commercial du royaume et les investissements franais
sont quivalents au total de ceux des autres pays trangers,
mme si ces dernires annes largent des pays du Golfe a
afflu, notamment dans les infrastructures, limmobilier ou
le tourisme. Mais ce sont surtout la kyrielle des petites
entreprises franaises qui emploient prs de 100000personnes dans lindustrie de loffshoring et les services dlocaliss, comme les call centers, qui pullulent dans les
principales villes. A contrario, le Maroc ne pse rien dans
lconomie franaise, compar son riche voisin lAlgrie,
mais cest un march forte marge. En clair, un pays de
Cocagne o les bnfices sont juteux. Vivendi la bien compris lorsque, en 2000, le groupe dirig lpoque par JeanMarie Messier remporte la privatisation de Maroc Telecom
en acqurant 35% de loprateur marocain. Loffre, trs
gnreuse en chiffre, avait fait penser que ltat chrifien
avait bien men ses ngociations, Messier ayant accept de
surenchrir de 10% par rapport au prix attendu. Mais, en
ralit, le Maroc avait de srieux problmes budgtaires, ce
qui la pouss secrtement cder le contrle effectif de la
marie Vivendi malgr sa position dactionnaire minoritaire. Cette privatisation reprsentait 2 3% du PIB marocain. Laccord, tenu confidentiel, ne sera rvl qu laune
de la dconfiture de Vivendi Universal. Les autorits boursires amricaines et franaises sortiront de lombre un avenant au contrat dont nul ntait au parfum. Dat du
19dcembre 2000, soit la veille de la vente, un courrier
confidentiel de la direction financire de Vivendi indiquait
que la transaction devait permettre de consolider les rsultats de Maroc Telecom ceux de Vivendi. En clair, faire de
Maroc Telecom une vache lait pour donner des couleurs
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2028. Autant parler de don dguis. De plus, lAgence franaise pour le dveloppement apportera aussi sa dot avec un
chque supplmentaire de 200millions deuros. Cependant, malgr cet effort du contribuable franais, laide
financire ne couvre que la moiti du cot total de ce projet
pharaonique dont lestimation basse est value 1,8milliard deuros. la charge de MohammedVI de trouver
dautres philanthropes pour combler les besoins restants,
qui, espre-t-il, proviendront dun autre prt consenti par la
Banque europenne dinvestissement (BEI), car pour lhritier de HassanII rien nest trop beau lorsquil sagit du
Maroc en mouvement.
Larchipel marocain
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un journaliste tranger qui minterrogeait sur lidentit marocaine, jai rpondu que ma gnration vivait dans
un royaume insulaire. Si proche et si loin de la citadelle
Europe, coup du Maghreb par cette frontire avec lAlgrie ferme depuis 19941, isol de lAfrique par le Sahara et
bord sur son flanc ouest par une faade atlantique de plusieurs milliers de kilomtres. Pour cette gnration, la dfinition potique de HassanII, qui disait souvent du Maroc
quil est limage dun arbre dont les racines plongent au
cur de lAfrique et dont le feuillage bruisse au vent de
lEurope, est une chimre.
Mais le Maroc nest pas une le. Cest un archipel de
mondes qui signorent. Car, au-del de la mtaphore gographique, sa socit est une mosaque, une sorte de Brsil
nord-africain o la diversit est palpable tout point de
vue. Est-il pourtant un pays arabe comme les autres?
La premire langue trangre enseigne lcole est justement larabe classique, que personne ne parle chez soi,
ce qui rend les discours du roi, les dbats au Parlement, les
1. Lire chapitre 12, Au royaume des kamikazes.
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niveau de dveloppement conomique est comparable, poussant ses jeunes lexpatriation force. Daprs un sondage
publi en 1998 par Le Journal, 70% des jeunes Marocains
taient candidats lexil. Cest certainement toujours le cas
dix ans plus tard au vu du nombre toujours croissant de
clandestins qui chouent sur les ctes espagnoles, aprs une
traverse prilleuse du dtroit de Gibraltar. Laspiration au
dpart concerne aussi bien les ruraux que les citadins
entasss dans les priphries populaires et les ocans de
bidonvilles. Elle touche galement dans un autre registre
lintelligentsia, la fuite des cerveaux tant un phnomne
qui reste en pleine expansion.
La socit est ainsi cartele et cela transpire dans ses
valeurs qui sentrechoquent. Car, si la frontire de largent
est trs nette entre les nantis et les dmunis, dans les esprits
cest la schizophrnie qui rgne. Traditionalisme dans les
murs et mode de vie europanis font mauvais mnage et
provoquent bien des convulsions. Cette schizophrnie se
traduit aussi dans le silence assourdissant des intellectuels
modernistes, prompts par leurs appels et ptitions
crier au loup pour dnoncer les conservatismes religieux
tout en se gardant daborder la question des pouvoirs absolus (et religieux) du roi ou de la rpression de son rgime,
limage de lAppel pour un pacte dmocratique lanc
la veille des lections de 2007 et rdig par Abdellatif
Labi, crivain et pote respect de tous pour son pass
militant. Cet appel qui, comme son nom ne lindique pas,
ne demande pas aux partis politiques de sengager pour des
rformes dmocratiques, ni ne dnonce labsolutisme ou
lautoritarisme du rgime, la torture, la corruption, etc., mais
se borne vouloir faire barrage la dferlante obscurantiste menaant les fondements humanistes de la Maison
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Maroc, vitant soigneusement de faire mention des atermoiements du pouvoir dans cette voie vers la modernit
que ce texte prend pour acquise.
ce titre, le conformisme des lites opposant de
manire manichenne le bikini et le voile, emblmes simplistes du progrs et de larchasme, renvoie celui des islamistes, qui, eux, ont certainement lavantage dtre en
phase avec une socit dont on oublie trop facilement le
trs fort conservatisme. Leur projet rejette lacculturation
occidentale en se rfrant avec force au dogme de lislam,
religion dtat, soulignant ainsi la contradiction du rgime
qui persiste inscrire sa lgitimit dans sa dimension religieuse, mais en demeure prisonnier lorsquil affiche des
vellits de modernit. La ralit est que la monarchie
encourage une libralisation des murs, mais se refuse ce
quelle saccompagne dune rforme de son statut de
Commanderie des croyants. Cette schizophrnie au
cur du systme suffit contenter la frange progressiste
de la socit, mais non sa majorit, certes acquise au roi
mais toujours jalouse de son identit traditionnelle.
En fait, ces tiraillements sont la consquence dun
dsenchantement trs largement partag face la politique,
renforant la fausse ide de la ncessit dune monarchie
absolue, seule garante de la stabilit face tous les prils,
lislamisme en premier. Pourtant, de la mme manire, la
soif de libert et de dmocratie est bien relle. Elle se manifeste par le foisonnement de la vie associative souvent
rprime dailleurs , par une libration de la parole dans
de nouvelles agoras dont Internet, par une nouvelle scne
artistique qui en dix ans est sortie de la confidentialit, mais
aussi et surtout par la vigueur dune presse indpendante
qui a bris bien des tabous. L encore, le bilan est contra330
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Remerciements
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TABLE
Lhypermonarchie.............................................................
15
33
55
75
93
110
126
143
162
183
204
220
246
271
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