Le Chahrazed Bakhouche
Le Chahrazed Bakhouche
Le Chahrazed Bakhouche
Langage, interculturalit et
iconotexte dans Mes Algeries en
France de Leila Sebbar
Mmoire labor en vue de lobtention du Diplme de Magistre
Option : Science des textes littraires
Sous la direction du :
Pr. Jean-Pierre Montier
Universit Rennes 2
Membres du jury :
Prsident
Rapporteur
Examinateur
Anne universitaire
2009 / 2010
Remerciement
Je remercie notre encadreur monsieur
Jean Pierre Montier pour ses conseils et son aide,
je remercie aussi tous les enseignants de
dpartement de franais, option science des
textes littraires.
Ddicace
Je ddie ce travail mes parents, mon
grand pre, je le ddie ma belle mre mon
mari Fouad, ma petite fleur Gizelle.
Je ddie ce travail aussi celui qui a sem
en moi lamour du savoir mon oncle Mokhtar ,
ma tante Chrifa et mon oncle Abd Elhamid pour
leurs prcieux conseils et tous ceux qui mont
aid de loin ou de prs pour le raliser.
Interculturalit et iconotexte
Sommaire
Introduction 4
Partie I
De lobjet livre la lecture dun iconotexte ..10
Chapitre 1
Le caractre disparate des matriaux iconiques....11
1.1. Quest ce quun iconotexte ? .12
1.1.a. Dfinitions gnrales de liconotexte 12
1.1.b. Pour pouvoir dcoder une image ..17
1.2. Lobjet-livre : une analyse iconologique ..20
1.3. Diffrentes images, diffrentes valeurs ..23
1.3.a. La valeur des photos de famille 23
1.3.a.1. Souvenirs dune enfance heureuse et spare ..23
1.3.b. Carte postale et photos de femmes .25
1.3.b.1. Cartes postales de femmes 25
1.3.b.2. Photos de femmes (Photo de reportage) .29
Photos de femmes conteuses .29
Femmes de la Goutte dOr ...35
Femmes militantes 36
Photos de femmes qui ont quitt lAlgrie .37
1.3.b.3. Portrais de femmes 42
1.4. Valeurs des cartes postales dcoles ..43
1.4.a. Ecoles indignes .43
1.4.b. Filles et cole ...43
1.4.c. Ecole de la rpublique 45
1.5. Valeur des cartes postales et peintures, reprsentant des lieux et des
crivains 50
1.5.a. Des lieux dcrivains 50
1.5.b. Portraits dcrivains .....52
1.5.c. Lieux .. 54
1.6. Des Algriens en France : uvres artistiques, photos de
reportage ...... 56
1.6.a. Des artistes 56
1.6.b. Les Chibanis ..58
1.6.c. Les harkis ...60
1.6.d. Algriens et caf 61
1.6.e. Des soldats indignes ..62
1.7. Nostalgie et retour ....65
1.7.a. Papier dorange ..65
1.7.b. Fleurs ...66
1.7.c. Palmier .....66
Interculturalit et iconotexte
1.7.d. Cigogne ..67
1.7.e. Les abeilles 68
1.7.f. La Singer 68
Chapitre 2
Le caractre htrogne des voix auctoriales .70
2.1. Diffrentes histoires en relation avec lHistoire des deux rives (France
et Algrie) 72
2.1.a. Des femmes spares de lAlgrie .72
2.1.a.1. Yaza Boulahbel 72
2.1.a.2. Marthe Stora .73
2.1.a.3. Aime Chouraqui .74
2.1.b. Des Franais amis de lAlgrie .75
2.1.b.1. Michelle Perrot .75
2.1.b.2. Pierre Vidal-Naquet .76
Chapitre 3
La construction de la lecture de ce texte fragmentaire grce la table des
matires .......81
3.1. Lcriture fragmentaire ...82
3.2. La construction de la table des matires 83
3.3. La voix de limage ...92
Partie II
Une criture autobiographique contre loubli ...105
Chapitre 1
Pourquoi crire un roman autobiographique ? ...106
1.1. La pluralit de voix dans le roman de Leila Sebbar ..110
1.2. Leila Sebbar dans son uvre 114
1.2.a. Les parents 114
1.2.b. Enfance heureuse et spare 119
1.2.c. Leila Sebbar chez elle en France ..120
1.2.d. Le rve ...124
1.2.e. Le cauchemar ...126
1.2.f. Le renouement ................127
Chapitre 2
Une criture contre loubli ...131
Pour ne pas oublier ..132
Conclusion ...146
Annexe .........149
Bibliographie....154
Interculturalit et iconotexte
Introduction
Interculturalit et iconotexte
Leila Sebbar est une crivaine, qui appartient aux deux rives lAlgrie
et la France, un pre algrien, une mre franaise, elle est ne Aflou, une
fille qui a vcue son enfance en Algrie. Une enfance heureuse mais
spare des enfants indignes , de ses surs trangres, elle fut
loigne de la belle langue, elle vit dans une atmosphre choisie par le pre
lac, linstituteur de la rpublique qui a voulu vivre loin des problmes de
lpoque coloniale, loin de la misre.
Elle a crit plusieurs nouvelles et romans qui sont en gnral une
mmoire pour faire revivre les temps passs et pour parler de certaines
ralits dont elle fut loigne. Elle raconte des histoires qui remontent
lpoque de la guerre, elle a crit aussi dans un magazine Histoire delle ,
changeait des lettres avec Nancy Huston.
Elle dcide dcrire aprs des annes de silence impos, elle a trouv
dans la littrature le refuge, le livre tait son seul ami avec lequel tout type de
bavardage est permis. Lun de ses roman qui casse le silence, celui quon a
choisi dtudier est Mes Algries en France. Un roman qui combine entre
criture et images, dans un nouveau style, une cration qui dpasse le seul
pouvoir de lcrit, les photos paraissent au premier regard nigmatiques :
Pourquoi elles sont l ? Pourquoi lcrivaine les implique-t-elle dans son
uvre ? Pourquoi crire de cette faon ?
Des images qui appartiennent des personnes clbres du pass et
du prsent, des personnes en relation avec lHistoire, lactualit et les
souvenirs denfance de lcrivaine sous forme dun cadre qui entoure le titre,
comme elles ont entour la mmoire de Leila Sebbar. Un roman
autobiographique une nouvelle faon de dire le je ; Leila Sebbar raconte
quelle ne connat pas la langue du pre, quelle ne connat que le son de la
voix qui insultait les filles du matre. Elle vivait dans une maison dinstituteurs
de la rpublique, le pre algrien a choisi la culture et la langue de sa femme
la franaise quil aime. Mme aprs lindpendance il a choisi de sexiler
dans le pays de sa femme.
Leila Sebbar a choisi de devenir crivaine, pour dpasser ce choix de
silence qui lloignait de la langue des beaux contes des aeux, qui lloignait
des vrits de lpoque de la guerre. Elle sest fabrique tout au long de ces
Interculturalit et iconotexte
annes une mmoire secrte loin des interdits, des non dits, une mmoire de
femmes, dobjets, de dessins et dcrivains.
En feuilletant le roman on dcouvre que limage occupe une place
importante, que lcriture qui laccompagne, elle ne la dcrit pas, et limage
nillustre pas ce qui est crit. On constate que lun complte lautre ce qui
nest pas dit par lcrit est dit par limage ; limage dpasse le simple fait de la
reprsentation, dpasse le cadre qui fut choisi. Limage ou la photo est vue
gnralement comme une reprsentation relle des choses, mais en ralit
tout limaginaire de la fiction se dtache de cette dernire pour laisser libre
cours aux diffrentes interprtations des lecteurs, comme nous le montre
larticle suivant :
Le langage de limage
Limage, preuve apparemment tangible de la ralit, est
bien souvent trompeuse. On peut lui faire dire facilement le
contraire de la vrit fixe sur la pellicule, au moment de la prise
de vue (qui est dj un choix, une limitation). Le traitement de la
photographie va rendre multiples les significations possibles dun
mme document. Trois techniques principales sont retenir :
Le cadrage : mise en valeur dune partie dun clich. En
liminant les autres parties on peut en changer la signification.
La retouche : transformer un visage, liminer un arrire
plan, etc. On peut aussi dtourer une partie dun clich pour
ne garder par exemple quune silhouette.
La lgende : les exemples abondent de photographies
dagences, publies dans diffrents quotidiens le mme jour, et
dont les lgendes transforment radicalement la signification. Cest
la lgende et larticle accompagnant la photo qui donne tout
son sens limage.
Limage de presse et en premier lieu la photographie
nest pas un accessoire. Elle est bien souvent information autant
quillustration. (). Elle sadresse la sensibilit, elle provoque le
choc psychologique, alors que lcrit sadresse principalement la
raison. Ainsi les photos daccidents meurtriers, datrocits des
Interculturalit et iconotexte
guerres, de catastrophes sont parfois aussi parlantes quun long
article 1
Donc limage a un langage bien spcial qui a plus de force, plus de
mots dire, que lcrit. Cette image que lcrivaine a utilise dans son uvre
cest en ralit son me, un travail pour faire revivre la mmoire les instants
perdus ou cachs dans le pass. Pour bien comprendre son livre
autobiographique, on va se rfrer au concept de liconotexte. Quest-ce
quun iconotexte ? Et quelle est sa valeur en terme de restitution dune
mmoire individuelle ou collective ? Est ce que lusage des photos fait perdre
luvre son aspect littraire ? Est ce quon considre cette uvre comme
un document historique ou au contraire cest une uvre littraire fictive ?
Cest ce quon tudiera dans le premier chapitre, puisquon a besoin dune
tude smiologique de limage pour pouvoir mieux expliquer sa valeur dans
ce travail de mmoire que sest fix Leila Sebbar.
Lcrivaine a vcu loin du peuple de son pre de sa famille, elle disait
que son pre cest ltranger bien aim , parler de soi crire une mmoire
collective ou personnelle veut dire connatre les deux cultures pour
sexprimer ctoyer ces milieux quelle ne connat pas. Elle choisit ces images
pour approcher un monde o seul le silence rgne, pour dmontrer des
ralits qui choquent, des vrits caches pour entendre une voix dune
langue quelle ne comprend pas, elle aime cet accent, ce chant.
Je veux dire que dans lHistoire coloniale et dans mon histoire
en Algrie, o jai vcu jusqu lge de 18 ans, o jai vcu la
guerre, il y a tellement de blanc... de blanc, je veux dire, des
choses non-dites, que je naurai jamais sues et que je ne saurai
jamais, que jai besoin dcrire sur ce blanc-l. 2
Elle tait spare de cette culture arabe de son pre, ce dernier qui
vite de rpondre ses questions et qui prfre oublier. Reconstruire une
mmoire individuelle pour une personne qui veut dcouvrir tout ce qui tait
non dit, par les objets quelle a collectionns ou par des photos des images
quelle a vues, des ralits quelle a vcu. uvres dartistes qui revendiquent
Leila Sebbar dans linterview avec Roswitha Geyss, Paris, le 16 mai 2005
Interculturalit et iconotexte
une naissance dune nouvelle gnration, une gnration de rvolte, une
gnration de cultivs dartistes jeunes, dans tous les domaines. Elle ntait
pas coupe de lAlgrie, elle suit lactualit, elle donne son opinion sur ce qui
se passe au pays, elle est contre la politique de loubli.
Lcrivaine dessine une mmoire collective aussi bien pour les
Algriens que pour les Franais, une criture contre loubli, des photos des
images qui font revivre des sujets quon veut oublier, effacer de la mmoire.
Elle tisse aussi des histoires sur les enfants issus de cette relation entre
lAlgrie et la France, limage a plus de force pour le faire.
Cependant, en choisissant ce style dcriture, on se demande si on
peut parler dune criture fminine ou de lautobiographie ?
On peut constater que cest une uvre autobiographique, puisquelle
raconte sa vie par un crit dispers un peu partout dans les diffrentes
parties de luvre, elle crit une autobiographie par les images, elle nous fait
entrer chez elle, une femme qui crit pour ses surs trangres, elle crit
pour dfendre les droits de cette femme qui militait autrefois ct de
lhomme, cette femme qui a perdu son enfant ou son mari durant la dcennie
noire.
On rejoint Roswitha Geyss qui a fait un travail sur Leila Sebbar et
Assia Djebbar intitul Bilinguisme et double identit dans la litttature
maghrbine de langue franaise le cas dAssia Djebbar et de Leila Sebbar ,
elle crivait :
Le nud inextricable de la littrature maghrbine
fminine, cest l, dans cette zone de lentre-deux, de lentredes, que tout se joue en profondeur : (1) lopposition entre
loralit et lcriture, (2) le regard, le voile et le phnomne du
dvoilement, (3) la violence de lautobiographie et (4) lcriture
contre loubli 3.
Donc cest une criture dune femme divise entre deux cultures qui
appartiennent aux deux rives de la mditerrane, une double identit, mais
lune delle est efface par une dcision du pre, la fille a crit une
Interculturalit et iconotexte
autobiographie violente elle cherchait comprendre pourquoi ce choix, ce
choix qui a fait delle une trangre.
Interculturalit et iconotexte
PARTIE I
De lobjet livre la lecture dun iconotexte
10
Interculturalit et iconotexte
Chapitre 1
Le caractre disparate des matriaux iconiques
11
Interculturalit et iconotexte
maternelle, franais langue seconde. Adresse URL: http/://www. Linguistique franaise. Org.
p.512. (Page consulte le 03 fvrier 2009).
12
Interculturalit et iconotexte
crivain (qui peuvent dailleurs tre une seule et mme personne) note
la spcificit de la lecture de telles oeuvres :
Le genre de liconotexte gnre des processus de
lectures plurielles [] le va et vient entre les deux systmes
smiologiques provoque transfert et glissement dun mode de
lecture sur lautre, avec mcanismes de transfert multiples, des
glissements plus au moins conscients, plus ou moins voulus, plus
alatoires, dans leffort daccommodation de lil et de lesprit
deux ralits la fois semblables et htrognes qui peuvent
souligner lidentit des composantes, ou la dissemblance des
moyens dexpression, ou lunit invisible rgissant les deux
ensembles ou lirrductibilit dune diffrence, etc. Mais cette
opposition est en jeu cest bien une absence, une bance entre
le texte et limage, bance qui est moteur mme des effets
contextuels 5
Lilane Louvel quant elle crit dans Lil du texte :
Dans lactivit iconotextuelle qui tente limpossible
rconciliation du voir et de lentendre, de limaginaire et du
concret, on reconnat le processus de la cration comme
mobilisation du tout de lhomme, de son
imagination, sa
13
Interculturalit et iconotexte
entretiennent une infinie Conversation Sacre, dans la relation
infinie. Lil du texte regarde le lecteur qui tente de soutenir ce
regard pris dans lentrelacs du voir. Quand lil est dans le texte
et regarde lautre 6.
Donc ici cest une double relation qui existe entre texte et image, et entre
lecteur et image, une double lecture, une cration, un imaginaire qui part
dun rel. Ce rel qui nest quun reflet fait revivre la mmoire, mobilise tout le
savoir du lecteur pour arriver dcoder luvre, qui se partage entre le
visible et linvisible. Ce qui ne fait pas perdre luvre sont aspect littraire :
au contraire, limage lui ajoute plus de fiction.
Dans le livre de Liliane Louvel Texte/Image on comprend trs bien la fusion
entre les deux :
Le livre de fiction se meut en livre dhistoire de lart
consulter. Le processus de lecture est affect par limage
puisque voir et lire vont de pair. Chair du texte, limage loquente
donne voir au lecteur des choses trs particulires, des
images. Inversement, ces images lorigine du texte donnent
naissance une histoire, comme la tapisserie de la Dame de
Shalott partir dune vision aperue dans un miroir et en fin sujet
dun pome. Le texte renvoie des images tout comme ces
images ont donn naissance au texte. Le transport et la
translation sont ici proprement infinis. Le lecteur est pris dans
leur entrelacs, sur le pli de lentre-deux7
Le lecteur est invit chercher la relation entre les deux, leffet du
texte, et chercher sur la source de limage sa valeur dans le texte. Et ce
sujet Liliane Louvel ajoute :
Si limage peut tre intratextuelle elle peut aussi tre
extratextuelle et provoquer alors un autre effet de suspens de la
lecture allant jusqu' tirer le lecteur hors du texte8
Liliane Louvel. Texte image, Presse Universitaires de Rennes, 2002 .p. 159
14
Interculturalit et iconotexte
Cest ce quon remarque dans luvre de Leila Sebbar, puisquil y a
des images, que le lecteur ne connat pas, des photographes et peintres dont
il entend les noms pour la premire fois; alors il va chercher hors de luvre
pour avoir une ide sur le contenu.
La photographie est la plus utilise de toutes les techniques de
production dimages, dans luvre de Leila Sebbar. Lilane Louvel a crit sur
la photographie :
Lerreur consisterait considrer la photographie
comme plus raliste que le tableau, lui donner valeur
dattestation, alors quon le sait, tout tous les trucages sont
possibles, nos exemples le dmontrent, et quen plus la
photographie en dit autant sur le sujet qui photographie que sur
lobjet photographi : le choix du cadre, du sujet, de lheure, du
lieu, sont tous des indices qui remontent vers lil non objectif.
Les tudes de Roland Barthes, de Susan Sontag, de Jean-Marie
Schaeffer, sont bien connues et il ne sagit pas dy revenir 9.
Donc lcrivaine veut dpasser le simple rle des photos de famille ou
autres, elle veut incarner les faits.
Toujours dans le mme ouvrage :
Les absents du cadre :
Supplment au texte narratif, la photographie peut aussi inscrire
en creux ce quil est banal de nommer la prsence dune
absence, ce qui nest somme toute que le fonctionnement de la
reprsentation. Cette fois-ci cest par ce qui manque et non par
ce qui y figure que la photographie joue le rle de
rvlateur 10
La photo fixe le temps, larrte, le fige l o lcrivaine veut attirer
lattention du lecteur, sur ces absents auxquels elle redonne une seconde vie
dans son uvre, pour tmoigner des faits.
10
Idem. p. 104.
15
Interculturalit et iconotexte
Comme dans un clich, a still photograph , le moment est
suspendu tout comme lactivit reprsente, gelant ainsi jamais
le sujet dans une sorte de mort picturale. Le titre, donc dvoile le
contenu smantique du texte 11
Comme dans le roman de Leila Sebbar Mes Algries en France quon
va tudier, cest le titre qui va nous dvoil la pluralit du sens des images
qui lentourent.
Dans Texte Image, de Liliane Louvel, on arrive comprendre la magie
des appareils optiques et leur relation avec la ralit quelles reprsentent :
Les dtours de liconotexte sont nombreux et subtils.
Limage, nous lavons vu, ne se contente pas den passer par le
tableau pour ouvrir lil du texte. Si le miroir est lun de ses
substituts privilgis affect dun coefficient reprsentatif mais
aussi ambigu, la photographie, la cartographie sont aussi des
reprsentations du rel, deux dimensions. Pour sen tenir aux
dfinitions de Pierce, la photographie, serait iconique mais aussi
indicielle car marquer dune empreinte laisse par lobjet sous
forme doccultation de la lumire 12.
Regard port sur lautre quon ne peut pas touch, quon ne peut pas
entendre, il est de lautre face du miroir.
Ce quelle claircit la fin de son ouvrage :
Ici, le rexamen du langage de la critique permet de
proposer un affinement des catgories du descriptif lies aux
pratiques intersmiotiques. Cest ce que tentent de faire les
nuances du pictural . Les mdiateurs smiotiques autres que
la peinture, qui varient le rapport texte/image, font lobjet
dveloppements dans lesquels les rapports entre le texte et le
miroir, le texte et les appareils optiques, les reflets mais aussi la
photographie, la cartographie, et le tableau vivant sont
abords sous langle des substituts du pictural .
11
Idem. p. 108.
12
16
Interculturalit et iconotexte
Le
travail
sur
lintersmioticit
saccompagne
13
17
Interculturalit et iconotexte
personne ne songeait mettre en question. Ils sont les grands
poseurs de questions du monde 14
Et comme ce domaine est aussi un mtier de cration, les crivains
comme celle que nous sommes entrain dtudier, vont crer de nouveaux
moyens, pour poser des questions sur lidentit, ou sur des gens qui ont
disparus et quon oublie, et pour comprendre le style de lcrivain il faut que
le lecteur soit averti, un lecteur qui va lui-mme la recherche du sens cest
lui qui va interprter luvre comme le signale Umberto Eco :
Un narrateur na pas fournir dinterprtation son uvre,
sinon ce ne serait pas la peine dcrire des romans, tant donn
quils sont, par excellence, des machines gnrer de
linterprtation. 15
Et en mme temps lcrivain doit avoir une stratgie pour que le
lecteur puisse entrer dans luvre :
Que signifie penser un lecteur capable de surmonter lcueil
pnitentiel des cent premires pages ? Cela exactement veut dire
crire cent pages dans le but de construire un lecteur adquat
pour celles qui suivront 16.
Dans cette uvre de Leila Sebbar le lecteur a besoin de connatre la
culture, la valeur le sens de chaque image, des signes des signifis. Et pour
cela il faut parler de la smiologie de limage, on sest rfr au site de M.
Gaste qui nous donne plus dinformations sur ce sujet.
Dabord, dans le domaine de littrature, le mot, le dessin peuvent avoir
plusieurs sens qui orientent la fin le lecteur vers un sens bien prcis.
Il faut comprendre que limage a plusieurs fonctions, elle peut tre
symbolique ou esthtique, elle peut tre aussi pistmique.
Dans la smiologie de limage on sintresse au signe, au visuel du
spectateur, ce dernier comme on a dit auparavant doit tre averti, puisque
cest lui qui construit limage, et limage aussi construit le spectateur, cest
14
Umberto Eco, Apostille au Nom de la Rose, Editions Gasset, Paris, 1985, pp.6/7
16
Idem, p.56
18
Interculturalit et iconotexte
lide que lui rvle limage ou cest ce quil pense de cette image, il va
lidentifi, la reconnatre, partir de ce quelle rveille en lui comme
connaissances, ou souvenirs, et pour pouvoir la dcoder il faut se baser sur
des connaissances culturelles, avoir un niveau de codage, tre capable de
partir du rel vers limaginaire, comparer les deux.
Linfluence de limage apparat sur le spectateur une fois quelle touche ses
sentiments, et quelle fait appel aussi son imaginaire. Cela dpend de la
faon avec laquelle le sujet est trait, comment la scne est vue ? Enfin
lopinion porte sur tel ou tel vnement qui poussera le spectateur agir.
Limage est choisie par rapport son contenu, sa luminosit, la gamme des
couleurs et les lments graphiques. La prsentation du contenu de limage
a une importance mais on sintresse aussi aux temps prsents, leurs
valeurs : le prsent fait appel une mmoire immdiate, le sens de la dure
voque donc une mmoire long terme, le sens du futur renvoie nos
attentes, nos interprtations, et finalement le sens de la synchronie et de la
diachronie qui renvoient au mme moment, tous dpend de la reprsentation
du temps donn par limage.
Et comme on parle aussi de la photographie le temps reprsent cest un
temps synthtis, puisque la photographie contient une trace du temps, un
indice, et prsuppose un archi, une connaissance de son mode de cration.
Le cadrage reprsente des fragments despace dcoup par un regard, et
qui porte un point de vue, un choix guid.
Donc limage fonctionne selon des stratgies, et elle nest pas toujours une
reprsentation du rel, puisque le tout est choisi, pour attirer le spectateur, ce
dernier en se basant sur le contenu la composition de limage va construire
son constat.
19
Interculturalit et iconotexte
20
Interculturalit et iconotexte
qui ne sont pas dun peintre ou dun photographe bien dtermin. Cest tout
un chantillon que lauteure a choisi, ce sont des uvres dart sous
diffrentes formes, relles ou imaginaires. Son Algrie quelle a connu au
pass et actuelle et qui est toujours en relation avec la France. Diffrentes
priodes, diffrents sentiments, diffrents regards, les images qui crent
plusieurs interprtations au titre, qui devient polysmique. Peut-tre va-t-elle
nous raconter son histoire personnelle en Algrie ou lHistoire de lAlgrie et
de la France ? Peut-tre va-t-elle nous raconter lhistoire des gens de lettres
qui ont connu lAlgrie, travers chaque image ?
Ces diffrentes voies quon devine, et ces diffrentes voix quon
entend par le titre, essayent dexprimer toute cette pluralit des images
vivantes, qui tissent des histoires quon va dcouvrir.
On lit en bas de la premire de couverture carnet de voyages ,
encore un pluriel : cest ce dsir de retour, ce voyage virtuel en Algrie, qui
rveille peut-tre ses souvenirs et sa mmoire pour en faire une uvre
autobiographique o les images prennent autant dimportance que le texte.
On a limpression quon est devant une criture o toutes les rgles sont
revoir, puisque Leila Sebbar nous plonge dans une double lecture de son
uvre ; une lecture du texte mais aussi de limage.
Et juste en bas de la premire de couverture la maison ddition
Bleu autour . Dans la quatrime de couverture une suite de quelques
images et le rsum, en bas est crit dun regard lautre .
Pour le contenu du roman comme indiqu dans la premire de
couverture, il commence par la prface de Michelle Perrot ensuite une
ddicace pour sa mre, Dominique et son fils.
Ce roman se compose de 238 pages, qui se partagent entre images
et textes. On peut trouver plusieurs images qui correspondent chaque
partie ; chacune commence par une photo ou une uvre artistique en plus
du titre.
Dans une seule page on peut trouver plusieurs images et parfois
deux images, ou deux images divises en deux pages, ou bien une seule
sur deux. On remarque aussi que parfois le texte ne dpasse pas une seule
page ; dautres fois lon a des textes sans images ou des images sans
textes. Ces derniers sont de diffrentes sources, ils nappartiennent pas
21
Interculturalit et iconotexte
uniquement lauteure. Des lettres des rcits, divers types dcrits, chose
quon remarque aussi sur les rfrences des images. Elle na pas utilis
uniquement des photographies mais aussi des uvres dart, des peintures
des cartes postales, une planche de BD. On ne trouve pas uniquement des
portraits de personnes mais aussi des images qui reprsentent des lieux, un
plan darchitecture dune maison et encore dautres qui montrent des objets
personnels de lauteure dont les photos sont prises de chez elle. On
remarque que la femme est la plus reprsente.
A la fin du roman, une page pour les remerciements, aprs trois
pages pour la table des matires qui contient les titres et les images qui sont
rpertories en plusieurs parties. Sept parties et chaque fois un titre
diffrent, et une image diffrente comme si elle se souvient dune chose, et
quelle se trouve oblige de la mentionner par souci doubli. Une sorte de
suite de fragments. Chaque partie son tour est divise en sous- parties,
chaque fois on a une chose dcouvrir. En haut de la page, des images
mais sous formes dicnes. Lindex des uvres reproduites est ralis par
lauteure elle-mme, signalant combien ces images sont essentielles et font
partie intgrante du livre.
Cela nous montre que luvre est bien organise, et que lemploi de
limage cot du texte na pas pour fonction le simple fait dillustrer mais elle
est employe pour un autre but qui ne se complte que par leur union et leur
existence ensemble, ce qui offre aux lecteurs une lecture complexe quon
dcouvrira tout au long de ltude.
22
Interculturalit et iconotexte
1.3.a.1.
Tout fait au dbut, la page 16, lhistoire commence par une photo
en noir et blanc de ses parents Mascara en 1945. Ils sont jeunes, lun
23
Interculturalit et iconotexte
ct de lautre, faisant les mmes pas, habills leuropenne, la mode
de lpoque. Le pre habill dun costume, il portait des lunettes. La mre
portait une chemise demi-manche, une jupe courte et des sandales
blanches : cest lt. Ici commence lhistoire, par leur union ; tous ceux qui
les entourent dans la photo (femmes enfants et hommes qui se
promenaient) taient des Franais, ctait lAlgrie des annes quarante,
pas une trace dindignes .
Ensuite la page 20 et 21 les portraits de ses parents. Le dbut de
leur union de leur amour dabord celui de son pre jeune algrien bien
coiff habill en costume, cravate la mode comme un intellectuel de
lpoque, comme un Franais ; pas de chchia. Sa mre : une jeune
franaise, belle, lgante.
Aux pages 26 et 27, le rsultat de cette union damour ; le portrait de
la famille, une photo en noir et blanc, qui a pris lespace de deux pages,
cest un moment heureux vol par la famille. La mre avec ses trois filles,
parmi elles lcrivaine, en promenade assisse ct de leur mre dans la
belle nature, sur lherbe en train de manger. Toutes sont habilles en robes
courtes, jambes nues, comme de petites Franaises, cela montre quils
vivent une priode de bonheur. Une vie bien russie, loin de la misre pour
ces parents qui ont un bon statut ; ils taient instituteurs, cest en Algrie
durant les annes cinquante.
A la page 221 cette fois, toute la famille est runie dans un grand
jardin plein darbres exaltant la vaillance du pre, ce dernier photographi
ct de sa femme et de ses enfants : trois filles et un garon Une petite
famille heureuse ; on peut voir aussi lombre du photographe qui a pris la
photo Hennaya le quatre dcembre 1949. Le pre de lcrivaine aime bien
les plantes et lapiculture ; on le trouve aussi photographi la page 236
avec ses ruches durant les annes cinquante. Leila Sebbar dans Mes
Algries en France crit :
Cest le jardin de linstituteur agricole. Des cyprs le bordent,
comme le domaine du colon franais, le voisin de terre. Une terre
riche et fertile, le nom du village, Hennaya, le dit 17
17
24
Interculturalit et iconotexte
Et plus loin elle crit aussi:
Au fond du long jardin, bord de roses glantines et plant
dorangers, moustiquaire mtallique du bureau du matre dcole,
des ruches. Je ne peux pas les dcrire 18.
Lcrivaine narrive pas dcrire tous ces objets ; elle les a remplacs par
ce quil lui reste comme mmoire et aussi par tous les sentiments que tout
cela peut rveiller en elle, ce sentiment dtre loigne de tout ce qui est
beau dune vie heureuse. Dans La colonie elle crit:
Je cherche les abeilles depuis ce village quitt, et la maison et
le jardin. Mon pre a laiss les ruches. Je les cherche comme si
javais les apprivoiser. 19
Donc par ces photos de famille quon trouve en deux parties dans la
premire intituler Portrait de famille Les coles et dans la dernire partie
Parcs et jardins bestiaire , elle a dessin le portrait dune famille bien
heureuse o les parents sont des instituteurs qui suivent le rgime de La
rpublique. Loin de tous les troubles et les problmes de lAlgrie colonise,
la formation des gnrations cest ce qui compte pour un instituteur dans
une colonie, mais aussi on voit la sparation des enfants de linstituteur des
indignes pas de photos avec eux, que se soit ami ou cousin, peut tre cest
parce quils ne connaissent pas la langue et parce quils ont t levs loin
deux, ils ne peuvent pas avoir une relation avec ceux qui ne les
ressemblent pas et quils ne comprennent pas.
la page 86 lon trouve des cartes postales qui reprsentent des filles
ou des femmes Ouled Nails20.
Leila Sebbar crit :
18
Idem.
19
Idem.
20
Femmes issues dune confdration de tribus, les femmes connues sous cette
25
Interculturalit et iconotexte
Je me fabrique secrtement une mmoire demprunts,
artificielle, avec les Algriennes sur cartes postales que je nest
pas montr mon pre, il aurait dit comme tant dAlgriens que
ces femmes-l ntaient pas des Algriennes, seulement des
femmes de bordel dguises en Algriennes. Et lorsque Patrice
Rotig me propose dcrire un texte pour le livre Femmes dAfrique
du Nord, des cartes postales (1885-1930) que Jean-Michel
Belorgey collectionne comme je le fais depuis longtemps sans les
montrer jamais, je comprends que ces femmes sont des femmes
du peuple de mon pre et la filiation aursienne, nomade,
berbre, oranaise ou constantinoise, juive ou turque simpose
partout o je marche, je les vois, je les entends 21.
la page 86, la premire carte postale, en haut, est en couleur, on
peut voir cinq femmes, agrables regarder, belles, brunes ; gauche deux
filles quon voit du profil, le regard orient droite, comme attires par
quelque chose. Au milieu une fille avec un regard fier, la tte haute, la main
sur lpaule de sa copine, et les deux autres filles le regard rveur, la main
sur la joue ou la pommette. Lune delle a une cigarette la main, signe de
libert, et de modernit. Elles sont toutes maquilles, deux dentre elles sont
tatoues. Ces femmes ne portent pas de voiles, elles portent des habits
traditionnels (un gilet brod port par lune delle, des foulards sur la tte
entours par des bijoux, et sur la tte aussi une sorte dcharpe fin blanc,
rose ou bleu avec des point, qui tombe sur les paules), et des bijoux de
toute sorte (des colliers, de gros bracelets de diffrentes couleurs, et de
grandes boucles doreille, des bagues) on ne peut savoir si ces bijoux sont
dargent, dor ou du cuivre.
Dans la deuxime carte postale en noir et blanc, des femmes aussi
mais cette fois ci plus nombreuses, assises, lune ct de lautre, la mme
coupe et parure mais quelques-unes dentre elles portent en plus des
plumes sur la tte. Leila Sebbar dcrit dans Femmes dAfrique du Nord :
Les Ouled Nails sont surtout connues pour la
dextrit ensorcelante de leurs danses et la luxuriance de leurs
21
Leila Sebbar. Mes Algries en France, carnet de voyage, Bleu autour, 2004.p.48
26
Interculturalit et iconotexte
parures composes de somptueux diadme (arsa) surmonts de
plumes
dautruche,
de
coiffes
agrmentes
de
broches
22
Leila, Sebbar, Femmes dAfrique du Nord, Bleu autour, mars 2002, pp.93 95.
23
Leila, Sebbar, Femmes dAfrique du Nord, Bleu autour, mars 2002, p.11.
24
Idem.
27
Interculturalit et iconotexte
Ces jeunes femmes comme le montre la premire carte postale
fument, lcrivaine dvoile dans Mes Algries en France:
Elles venaient lhpital chaque semaine, les services
sanitaires militaires protgeaient les troupes de la syphilis
endmique, elles taient sous surveillance. Mais qui pouvaient
les soustraire du kif et labsinthe ? Trs vite elles ntaient plus
belles ni jeunes, mme les jeunes celles qui ont fait la rputation
du Djebel Amour25, les Ouled Nails, riches et que les prtendants
au mariage se pressaient au pas de leurs portes, foutaise 26.
Ces femmes taient les muses de certains crivains, on les frquente
dans les romans dIsabelle Eberhardt, ou chez Pierre Loti et dautres
crivains qui ont t fascins par cette beaut et ce monde tranger.
Elle crit dans Mes Algries en France :
On voit le clinquant de Dinet dans la longue
description
dIsabelle
Eberhardt
et
lintrigue
amoureuse
Lune des villes les plus connues de cette rgion est Bou Saada, 250 kilomtres
27
28
Nail Djelfa,
Interculturalit et iconotexte
nouveaux. Cest tout un rituel qui se droule le vendredi, journe sacre
chez les musulmans, et de visite de cimetire.
Dans le cimetire, le blanc des voiles se mlange avec celui des
tombes et le vert des houx celui des arbres. Dans lun des extraits on voit
un homme, peut-tre cest le gardien du cimetire, il est habill dun burnous
rouge et dune gandoura blanche et il porte un bton la main. Toujours sur
la mme carte, on trouve le symbole de la Rpublique franaise, un timbre
de la semeuse.
Autres scnes la page173 ; ce sont des cartes postales en noir et
blanc, o on voit le voile blanc dans la rue, de nombreuses femmes qui sont
descendues pour clbrer la fte dindpendance. On les voit de derrire,
on voit aussi un homme parmi elles, le drapeau suspendu ; on ignore qui le
porte. Tous avaient le regard en avant, attirs par quelque chose devant
eux. Le blanc est prsent aussi comme dans lpoque coloniale. Elles
participent encore lindpendance. A la page 175 une autre carte postale
en noir et blanc, une peinture allgorique dans cette dernire figure un
homme qui a entre les mains le drapeau Algrien, habill en tenue militaire
et juste ct les deux drapeaux celui de la Tunisie et du Maroc, sur une
carte o il ny a pas de frontire ; on a crit Vive le Maghreb arabe . En
haut, crit en arabe, un verset coranique qui a pour sens lunion et juste en
bas en arabe et en franais Honneur nos martyrs . Ce quon remarque
sur cette peinture, cest quil ny a pas de femmes, mais dans la carte
postale il y en a une qui passe juste en bas de la peinture, voile en hak
blanc invisible, inaperue, au milieu des hommes, comme si on a oubli de
lui donner une place ct de lhomme malgr quelle a milit ses cts.
1.3.b.2.
29
Interculturalit et iconotexte
les lettres, les lignes, pas dans la voix. Ils ne sont pas conts, il y
en a beaucoup dans la maison mais la voix du conte est muette.
Jaurais aim, comme Nora, ensommeill sur un grand tapis
dAflou, fille prodigue, mendormir parmi les miens dans les
chants et les mots des femmes qui dessinaient les motifs de la
traditions, pieds et mains rougis, dcors avec le henn de la
fte 28.
la page 49 des photos de vieilles conteuses algriennes en couleur
prises lt 2001, par Nora Aceval. Trois vieilles femmes sont habilles
diffremment, ce qui renvoie aux diffrentes rgions de lAlgrie, deux
arabes et une kabyle.
Les mains ornes du henn, tatouages sur le front et les mains, elles
portaient des foulards des gandouras ; les deux femmes photographis en
haut Oumbarka et Hadja Zohra portaient des gandouras blanches la
premire droite orne par des fleurs de toutes couleur et la deuxime
gauche gandoura en soie, et en bas Na khadidja une gandoura noir style
kabyle, elle est aussi fleurie, et dcor par des zigzags verts, bleus, jaunes,
les mains jointes sur la tte. Les traits de leurs visages, les gestes de leurs
mains, leurs regards montrent quelles sont en train de raconter quelque
chose, peut-tre des histoires imaginaires, des lgendes. Peut-tre, elles
rcitent des pomes ou sont en train de raconter des ralits vcues ou
subies durant lpoque coloniale, que le temps na pas effac mais au
contraire il leur a donn plus de charme, et de mystre. En regardant leurs
yeux doux, leurs bouches, lon a limpression que ces images semblent
vivantes. Comme si lon entendait rellement leurs voix ! Cela nous donne
envie de nous asseoir cot delles pour couter leurs chants et dguster la
beaut et la magie de leur contes. Le lecteur est un peu perdu dans tous
ces univers. Leila Sebbar crit :
...Elle recueille la voix des conteuses, Oumbarka, Hadja
Zohra et Hadja Khetra, leurs petites Filles assises sur les tapis
noir et rouge dAflou, Kheira, de la tribu des Ouled Sidi Khaled,
un enfant tout petit dort dans les coquelicots de sa robe, on est
28
30
Interculturalit et iconotexte
en 2002, et Nora coute encore et encore ces histoire dogres et
de djinns quon entend en cho outre-mer, en Normandie ou en
le-de-France 29.
Elle montre encore pour nous faire vivre ce manque, ce vide quelle
ressent, en souhaitant toujours entendre la voix du conte dont elle fut
spare :
Nora a recueilli des contes kabyles, par interprte,
dans le village de Tifra. Na Yasmina ,80ans en2000, a rcit des
pomes de guerre (elle a pass trois ans en prison pendant la
guerre dAlgrie, son fils de seize ans a disparu, son frre a t
assassin par larme franaise) et sa sur Na Khadija a
retrouv la mmoire des contes, contrainte lurgence par ses
descendants. Jaurais pu, comme Nora, vingt ou trente annes
plus tard, masseoir contre le mur chaul, l o chantent les
colombes de la vieille tante, et couter les contes traduits par un
ami. Mais il ny pas eu dami pour transmettre parce que le pre
lui-mme na rien transmis 30.
la Page 50, une photo dune femme algrienne les annes
soixante, photo en noir et blanc prise par Marc Garanger, une femme dont
les rides ont dform le visage. Son regard, les yeux ramollis, tristes
racontent son histoire avec la misre. Cheveux dmls, habille de
vtements dchirs, elle a dpass son ge rel, elle nest pas heureuse
malgr le sourire quelle essaye de dessiner sur son visage ple, elle
raconte sa vie dure, et elle raconte son rve, si elle a le droit de rver, de
vivre en paix, elle le raconte lil de photographe.
Pour Leila Sebbar pas de grand-mre, pas de tantes pour lui raconter
des contes. Pour Djamel Fars si. Une photo quil avait prise en 1969, photo
en noir et blanc, o parat sa grand-mre portant des lunettes et sur les
bords de sa gandoura deux grands foulards et une cl accroche sa
ceinture, elle portait une gandoura blanche et un chle autour de la tte, les
29
30
31
Interculturalit et iconotexte
manches accrochs ses paules. droite des photos et dessins colls au
mur. Elle a racont lcrivain peut-tre diffrentes histoires, beaucoup
dhistoires, comme ces images sur le mur (des photos de famille et des
dessins), chacune delle raconte une histoire diffrente de lautre, Leila
Sebbar avoue :
Jamais, dans lenfance algrienne, je nai entendu le
plus petit mot de lgende arabe ou franaise. Pas daeule
comme la grand-mre kabyle de Djamel Fars au Clos Salembier
en1969, Gida, que son petit-fils, photographe, surprend dans
lembrasure dune porte, la cl de sa maison la ceinture.
Djamel, cinq ans, est encadr prs de rveil au milieu des
dessins de sa grand-mre. Gida a srement racont des
lgendes du haut pays au petit garon. Peut-tre le pote Nabile
Fars a-t-il entendu les chants kabyles de lanctre depuis le
berceau suspendu la poutre fatire de la maison ? Il laura
crit. Il me le dira un jour 31.
Les contes kabyle : en voyant une photo en couleur les annes
soixante prise par Jacques Guerry, la page 56, on est en pleine nature
dans les montagnes kabyles, une beaut qui se laisse voir, des arbres et
une terre qui na pas de limite, une liaison qui se cre entre ciel et terre. De
l on comprend do vient la source de ces pomes et contes infinis. Au
milieu de ce dcor naturel sauvage, on trouve une jeune fille qui porte sur
son dos un gros bb, signe de la bonne sant, envelopp dans une fauta32
orange rayures noirs ; peut-tre cest une fille puisquelle porte un foulard
blanc sur la tte et une chemise bleue rayures marrons.
La jeune fille porte une gandoura blanche, un foulard vert orn de
fleurs marrons, son visage rayonn de sourire, malgr la difficult de la vie,
juste derrire elle une vieille dame qui la regarde de loin, elle porte une
gandoura et un foulard orange, peut-tre est-ce sa mre ou sa grand-mre ?
Sa tante ou sa voisine ? On ne sait pas mais par cette image on ressent une
certaine continuit de gnration en gnration, une transmission de
31
Leila Sebbar. Mes Algries en France, Carnet de voyage, Bleu autour 2004.p.58
32
32
Interculturalit et iconotexte
traditions, de rites, de chants et de pomes tout en travaillant. Et le soir, en
rentrant, peut-tre la jeune fille coute-t-elle des histoires quelle va
transmettre son tour. Des femmes qui ignorent lcriture mais qui ont la
magie de la parole, de loral.
la page 53, figure la photo de Noria Boukhobza, ou lAuvergnate,
comme cest crit en rfrence. Photo en couleur prise en 1999 : une jeune
femme, une belle beurette , brune, cheveux noir dmls. Regard plein
de vie et dambition, et un sourire satisfait. Cest une jeune conteuse mais
sa faon, puisquelle est anthropologue, en France elle fait des cherches sur
les cultes des anctre ; son sujet lcrivaine crit :
Anthropologue
auvergnate,
elle
sintresse
aux
rites
33
Leila Sebbar, Mes Algries en France, Carnet de voyage, Bleu autour 2004 .p.56
34
33
Interculturalit et iconotexte
ne sera plus, lmotion est la mme, srement devant une trace
lisible qui peu durer limage 35.
Femme de terrain quelle tait, femme cavalire qui a fait des
recherches dans la rgion des Chaoua comme nous le dvoile ce
texte :
lpoque o Augusti Bernard, professeur la facult
des lettres de Paris , perptue la vision anthropologique la
plus communment admise de son temps, une jeune femme
intrpide, Germaine Tillion, arrive dans cette partie des Aurs qui
prcde le dsert du Sahara : le pays Chaoua. Elle vient
pratiquer une science nouvelle : lethnographie. Elle va vivre ici et
l, plusieurs saisons en tmoin attentif, avec un interprte, un
chien, des bagages et un cheval et un cheval, des moyens
denregistrer le son , des fiches et des carnets remplir de
comptes rendus. Elle tablit son campement principal prs dune
source vive, dans un abri de rochersElle est un produit de
luniversit , mais elle doit aussi beaucoup sa propre
exprience du terrain . Elle a t dsigne, parce qui va
devenir lInternational African Society, pour aller enquter sur le
peuple des Chaoua 36
Une autre photo en couleur qui a pris lespace de deux pages 54-55
celle de Sounia, une jeune fille kabyle, belle, habille en noir ; elle porte une
chemise et un pantalon, bien coiffe, maquille, une montre la main et des
bracelets, cela montre que cest une fille qui travaille, ou qui tudie et sort de
la maison. Sonia est assise sur un lit couvert de drap jaune orn par des
fleurs blanches. Sa chambre, dont les murs sont peints en blanc, est
modeste, une chambre pleine de photos extraites de journaux ou de
magazines, des hros de feuilletons ou de cinma, mme du sport, dont elle
est fan , colls partout et nimporte comment sur les murs, comme si elle
35
36
34
Interculturalit et iconotexte
cherche senfuir du rel par la magie de lcran qui alimente sa vie, son
rve peut-tre de vivre une belle vie pleine damour, des rves de jeune fille.
Un fil noir traverse le long de la chambre, il lalimente dlectricit. On voit
aussi la moiti dune table, et une chaise, la table est couverte par une sorte
de drap pli, marron, dcor par des fleurs. Sur la table, des vases, un
classeur sur ce dernier un cadre dans lequel on peut voir une photo dune
femme et cot une sorte de porte-monnaie. Sur lun des murs on peut voir
dans un cadre la photo de Maatoub Lounes, un chanteur et pote kabyle
clbre, assassin lors de la dcennie noire de lAlgrie indpendante. Elle
a accroch au cadre une grande broche peut-tre en argent orn par des
perles rouges, symbole de son amazighit. Cest lhistoire de Sonia qui
habite prs du village de lcrivain Mouloud Feraoun37.
Femmes de la Goutte dOr :
Pour ces femmes pas de photographies, mais une uvre qui raconte
leur histoire, qui raconte encore une fois les liens croiss des pays de la
mditerrane. Luvre calligraphique qui est ralise par elles, qui figure
la page 71, une uvre artistique faite par ces mains dillettres, Leila
Sebbar dcrit ces femmes de la Goutte dOr en disant :
des femmes assises dans les fleurs de leurs robes, certaine
tatoues, dautre non, du henn leurs mains, boucles noires et
tresses chappent au foulard 38.
Et sur leur travail elle crit :
elles sont l dans latelier de Catherine Schuk, pour des
livres, elles illettres, elles feront des livres, des dessins au
pochoir, des gravures sur bois, livres cousus, brods, latelier
durera jusquen 2000 39.
Luvre ralise par ces femmes est crite en une autre langue, pas
le franais, pas larabe, cest lespagnol, avec de belle lettres, cest peut tre
37
Tizi-Hibel
village
de
fouroulou,
personnage
principal
39
Idem.
35
de
son
roman
Interculturalit et iconotexte
un pome, puisquil y a des refrains qui se rptent. Les mots quon arrive
lire sont Fatima, Marin .
A la page suivante 72, Leila Sebbar crit :
dans lenfance algrienne, jentendais ces paroles de
chanson :
Aicha, Fatima, Meriem
Tres morillas
Aicha, Fatima, Meriem
Dans des livres qui racontaient lEspagne andalouse et
mauresque, que ces prnoms familiers auraient t princiers.
Sinon princiers, du moins ceux de musiciennes et de potesses
de cour, Grenade ou Tolde, peut-tre Sville, ou existaient
alors des cours damour. Dans les palais, Aicha, Fatima, Meriem
ont dit des vers, elles ont chant, dans, elles ont jou du luth,
des nuits entires, pour les hommes qui croyaient vivre, sur terre,
au paradis dAllah 40.
Femmes militantes :
Dans la guerre de lAlgrie ce ne sont pas uniquement des hommes
qui ont men cette lutte mais aussi des femmes, des Algriennes et des
Franaises, on voit leurs photos, page 68, en noir et blanc. Belles rebelles,
visages lumineux, souriants, regards satisfaits, serins et fiers qui
dclenchent la rvolte et qui cherchent la libert. Jeunes pleines dambition.
Intellectuelles, ou non, il y a une cause commune dfendre malgr les
risques, cest bien lAlgrie quelles aiment Alger la blanche comme la
veut Anna Grki. Des photos de femmes : parmi elle celle de la potesse,
Tounes Brahimi, de Danile Minne prise entre 1959-1962 Pau, et une
autre photo dArezki et Fatiha Hermouche, un jeune couple, photo prise au
maquis, lieu de leur rencontre : jeunes qui dfient la mort.
Non loin, aux pages 156-157 une photo en noir et blanc prise en
1957, un groupe de militants, hommes et femmes, en tenues civiles et
40
36
Interculturalit et iconotexte
militaires. Lun dentre eux est arm dune mitraillette en pleine fort.
Debout, droite, lun deux est en train de boire du caf, au milieu un autre
qui montre du doigt la nourriture et le dernier porte un fusil. gauche, un
homme qui tait assis cot de Malika Chellali, qui mettait un foulard sur la
tte, la diffrence des autres femmes, elle portait un habit militaire, pas de
gandoura. Lhomme invitait par son geste le photographe manger, et ses
cts un autre debout qui tient de sa main gauche une marmite et une
cigarette la main droite. Il est en train de regarder en bas, en souriant, une
femme qui remue le contenu dune marmite puisquelle tient une cuillre la
main gauche, au milieu dautres femmes qui sont en train de prparer un
repas, puisquelles pluchent des lgumes, les marmites devant elles. Au
total ils sont dix, cinq femmes et cinq hommes, visages toujours heureux,
calmes et sereins, le devoir les a unis. Cette photo a marqu une pause,
avant de continuer leur combat chacun sa faon pour voir lAlgrie
indpendante ; selon les indications qui accompagnent la photo, nous
sommes Oran.
Le mme climat se retrouve la page 160, des photos en noir et
blanc, mais cette fois-ci Constantine en 1961, o on rencontre une autre
maquisarde infirmire surnomme Yamina Cherrad, accompagn par
dautres jeunes militants. Parmi eux un adolescent avec une arme la main.
Ces photos montrent encore la solidarit entre diffrentes tranches dges
du peuple mobilis. la page 170-171, une femme maquisarde Malika. B.
dguise en femme civile de Sabra, et en garon civil, cela montre les
diffrents moyens utiliss pour atteindre ses fins.
Le combat nest pas dclench uniquement en Algrie mme ; en
France, il y eut la manifestation pacifique des Algriens du 17 octobre1961,
qui ont t torturs par les autorits franaises lpoque. A la page 176 on
trouve enfin aprs des annes une plaque commmorative, appose sur le
pont Saint Michel par Bertrand Delano, maire de Paris, le 17 octobre 2001.
Photos de femmes qui ont quitt lAlgrie :
LAlgrie quitte, cest le paradis perdu, pour les familles qui lont quitte la
veille de lindpendance, ils ont laiss leurs biens, leur pass, leurs vies
derrire eux. Il ne reste que le souvenir rvl par les photos. Des
37
Interculturalit et iconotexte
Algriennes, des Franaises, des Juives qui racontent le pass et le jour du
dpart.
la page 123, une photo en noir et blanc, de Marthe Stora durant les
annes 30, une Juive constantinoise, elle et peut-tre sa sur dguises en
jeunes hommes europens, pantalon cravate et cigarette, photographies
dans une pice spacieuse, avec un dcor oriental. la page 124-125, cette
fois-ci, elle et ses surs elles sont six, elles sont dguises en femmes
berbres, portant des habits traditionnels, et des bijoux lourds en argent.
Assises par terre, sur un tapis, les pieds nus, faisant des gestes diffrents
en mettant les mains dans les ustensiles de cuisine berbre. Elles ont pris
cette photo dans une terrasse puisquil y a des barreaux et une vue
lextrieur. Daprs ces photos, elles menaient une vie heureuse, aise loin
de la misre. Jolies, le sourire sur le visage, cest le bonheur ! La photo fut
prise Constantine en 1935.
38
Interculturalit et iconotexte
Elle tait la seule infirmire, diplme de France. Le
chef de service lui a interdit les tournes dans la commune. Elle
a obi la premire anne, la deuxime puis elle a dit quelle
nobirait plus et quil pouvait la licencier, le travail ne manquait
pas. Elle ouvrirait sa maison une annexe de lhpital 41
Elle a quitt lAlgrie.
la page 130, la premire de couverture dun mensuel comme on
peut le lire dans la rfrence, qui a paru de 1976-1980, qui a pour titre
Histoires delles ; cest le quinzime numro, on peut lire : les
BRONT comme titre et juste en dessous est crit : romans denfance
1829-1834 , et marche des femmes sur Paris 6 octobre mensuel paru
septembre 76 au prix de 6 francs. On constate daprs les sujets choisis
quelles sintressent aux ralisations fminines, et on voit sur la page noire
trois femmes, les surs BRONT dessines par leur frre, en 1934, qui ont
tiss des histoires imaginaires. Il napparat rien que le blanc de leurs
visages ples, un regard triste furieux qui est orient dans le vide, elles
regardaient, chacune dans un sens diffrent de lautre, une bouche ferme
qui avale le sourire. Elles ne sont pas contentes, elles cherchent quelque
chose quelles ont perdu, ou quelles veulent avoir. Juste a cot une page
parue dans le mme numro, en haut en gras est crit soulign :
CHRONIQUE RAPATRIEE III (suite et fin).1964. MARSEILLE.
PARIS ,
On trouve la fois un dessin et un texte crit. Le texte raconte
lhistoire dune femme qui a quitt avec sa famille lAlgrie pour ne plus
revenir. Elle a quitt Oran, sa ville natale, elle raconte les dbuts des
troubles en Algrie, la veille de lindpendance. Son problme dintgrisme
dans la nouvelle socit en France. Les propos sont recueillis par Leila
Sebbar. On a dessin la Tour Eiffel, des nuages derrire, en bas un petit
nuage, dans lequel on a dessin un chameau, des pyramides et des
palmiers, ce qui signifie lOrient comme un rve, comme si le fleuve qui
partait de la tour tait coup. Au milieu de la page est crite une phrase :
41
Leila Sebbar. Mes Algries en Franc, Carnet de voyage, Bleu autour 2004.p.118
39
Interculturalit et iconotexte
maman tu me cherches la mer , comme si la mer que connat lenfant a
disparu ; il cherche son pays, la mer quil a lhabitude de voir.
la page 131 des photos dAime Chouraqui, en noir et blanc. La
premire la montre avec son mari qui se promenaient dans la ville dOran,
lgants, habills la franaise ; ils marchaient sur les mme pas lun
cot de lautre. Derrire eux se dessine une ville europenne avec des
voitures, peuple de gens habills de la mme faon, pas dArabes, Oran
les annes 40. La photo qui suit, cest un portait dune cousine maternelle,
Tlemcen, dans les anne 30. Habille traditionnellement, on dirait une
Algrienne, elle porte un long foulard en plus de bijoux traditionnels pour
dire quils font partie de la socit. En bas une photo prise en 1901, un
groupe dhommes, peut-tre des membres de sa famille. Il y a une femme
parmi eux, et les travailleurs de la maison puisque lun deux porte un tablier,
devant lentre dune maison de meuble fonde par son grand-pre
maternel comme cest indiqu dans les donns. En haut est crit en grandes
lettres : Plage Meubles ; et en bas le nom du propritaire. Cela prouve
que sa famille sest implante en Algrie depuis des annes, mais on ne sait
pas si cette maison se trouve Oran ou Tlemcen.
Aprs avoir quitt lAlgrie, des annes aprs lindpendance, Yaza
Boulehbel, voque le souvenir de la vie passe par son pre cad durant
lpoque coloniale. la page 141, on voit le pre habill traditionnellement,
un fez sur la tte au lieu de la chchia, il a mis plusieurs mdaillons sur son
paule. ct de lui ladministrateur, un Franais en uniforme, et dautre
hommes arabes. Son pre tait cad Meskiana, rgion des Chaoua
comme cest indiqu dans les donns. Son pre, lgant, beau, vit une vie
heureuse, aise ; sa fille avoue dans Mes Algries en France :
Mon pre a fait des tudes en droit mais il refuse la charge
de notaireil tombe amoureux de sa cousine avec laquelle il a
t leve, elle laime aussi, mais la famille exige quil accepte le
titre de cad pour lpouser. Il rentre dans le rang, pouse sa
cousine 42,
Elle dclare aussi :
42
40
Interculturalit et iconotexte
A Vichy, il porte le coutume europen avec un fez, comme
en Turquie en Egypte 43.
Une autre qui a quitt lAlgrie mais en emportant lnigme de la mort
de son mari Maurice Audin, avec elle. Josette Audin, lcrivaine la dcrit
dans Mes Algries en France:
Elle parle la langue des mathmatiques 44 Elle parle donc la
langue des nigmes des symboles, mais elle narrive pas dchiffrer la mort
de son mari puisque le silence a rgn, des lments ncessaires pour
russir cette quation sont occults. la page 136-137 apparaissent les
photos en noir et blanc du jeune couple, dans la premire page le portrait de
Maurice Audin, jeune, les cheveux comme emports par lair, des yeux avec
un regard ambitieux, on a limpression quil chappe au cadre de la photo : il
le dpasse, en cherchant plus despace de libert, un regard dun homme
plein de rve, de projets, et peine voit-on se dessiner sur son visage un
sourire, un sourire mfiant.
Leila Sebbar le dcrit en ces termes:
Les yeux obliques des orientaux, noirs. Grands, trs
noirs. De lorient que sait- il ? La colonie. Terre africaine, berbre,
arabe, confisque, et les jeunes hommes de ce pays, les
premiers, en rvolte, il les accompagne sans quitter les
thormes savants 45.
Dans lautre page figure le portrait de Josette Audin : jeune femme,
belle, sourire qui illumine le visage, regard calme, qui laisse voir une
douceur, cheveux coups la mode de lpoque. Elle poursuit encore son
chemin pour trouver la vrit, dans le mme roman Leila Sebbar crit:
La femme de Maurice Audin nous parle la langue de la
science mathmatique. Elle na jamais cru la fiction militaire
quun historien courageux dmonte lanne suivante. Il sappelle
Pierre Vidal-Naquet. En 2001 il na pas renonc imposer la
vrit, elle non plus, Josette Audin, la jeune pouse de Maurice
43
44
45
Idem
41
Interculturalit et iconotexte
Audin, disparu, assassin par des parachutistes franais
tortionnaires une nuit dt Alger 46.
1.3.b.3.
Portrais de femmes :
46
42
Interculturalit et iconotexte
43
Interculturalit et iconotexte
unes dentre elles joignaient les mains comme les surs et quelques-unes
aussi ne mettaient pas de foulards. Pour la majorit, les pieds nus et les
vtements misrables. Leila Sebbar a crit dans Femmes dAfrique du
Nord :
Mon pre maurait racont les orphelines de la mission,
les petites filles des Soeurs Blanches, en Afrique du Nord,
missionnaires de Notre- Dame dAfrique . Dans les ouvroirs
des visiteuses doutre-mer , les enfants musulmanes, tablier
carreaux et foulard blancs, deviendraient des dentellires
accomplies, des tisseuses de soi et de laine des brodeuses de
dentelle laiguille, la dentelle arabe dont les citadines riches
et lgantes garnissent leurs costumes dapparat, ces pices
rares que les peintres et les photographes collectionnent pour
des femmes sur cartes postales et tableaux orientalistes.
Appliques les petites orphelines, assises au bord du bassin de
la cour mauresque ou sur les sofa en pierre labri de la glycine,
sages sous le regard de la jeune religieuse, que deviendront
elles ? Et si on ne leur trouve pas de mari trop vieuxSi elles
senfuient
de
la
maison
adoptive
ou
conjugale,
sans
amourJimagine 47.
Sur la mme page une autre carte postale : des filles dans la cour
formaient des cercles, elles avaient lair de jouer et linstitutrice tapait des
mains, peut-tre pour signaler la fin de la rcration. Les filles sont habilles
en robes, la plupart sans foulards, les cheveux boucls ou en tresses et
elles portent des chaussures. Elles avaient lair dtre heureuses, pour
linstitutrice cest une Franaise, on le comprend par ses habits, en
rfrence on na pas des prcisions sur la date de la prise de photo ; on
trouve extrait de carte postale : Lalla Maghnia (Algrie) - Rcration
lcole des filles . Mais par les habits et la coupe de cheveux de linstitutrice
on peut constater que cest au dbut de la conqute et les filles sont des
filles europennes, avec quelques filles indignes.
47
44
Interculturalit et iconotexte
Ensuite la page 40 une carte postale dans laquelle figure une cole
et une grande Plaque sur laquelle est crit COLE COMMUNALE et
juste en haut la date de sa fondation et la croix symbole de la religion. Elle
est dote dune grande fentre, dune chemine ; des branches darbres
apparaissent. Et juste devant le grand portail de lcole de petites filles
groupes, certaines dentre elles portent des chapeaux pour se protger du
soleil, des filles europennes toujours. Pas de date mais sur la carte on
trouve crit comme donn STORA. Ecole Communale et juste en bas
droite G.G. .
45
Interculturalit et iconotexte
Feraoun, ni Nouar, lami dAlger, cest le temps heureux du frre
qui aime ltude. 48.
Et dans une autre page elle note :
Ils sont tous les enfants de la Rpublique, ils seront les
matres de lcole rpublicaine partout dans la colonie, les
matres indignes dans des coles de garons indignes, ainsi
en a dcid Jules Ferry, le Takinois 49.
la page 35 sur une photo prise ct dune cole en haut on voit
bien grav Ecole garons-indignes . Juste en bas on voit quatre enfants
trois filles, parmi elles lcrivaine et un garon, son frre Alain, tous habill
la franaise. Les filles portaient des robes courtes et des poupes la main.
Ils sont bien coiffs loin de la misre Hennaya prs de Tlemcen. Leila
Sebbar note dans Mes Algries en France:
Eugne-Etienne Hennaya, prs de Tlemcen, la ville de lami
et crivain Mohamed Dib, sur le fronton du porche de lcole, on a
grav dans la pierre cole de garons Indignes . Cest lcole
de mon pre, lcole de lenfance, heureuse et spare 50.
la Page 37 pas de renseignements, cest un portrait de son pre
jeune instituteur, une photo en noir et blanc, bien coiff, et habill la
franaise. Il avait un regard calme, sur le visage on peut voir peine se
dessiner le sourire. Sur les deux pages qui suivent 38 et 39 dans un jardin
son pre habill en costume et bien coiff : cest linstituteur au milieu de ses
lves indignes. Cest son premier poste dinstituteur El Bordj en 1935,
les enfants sont tous des Arabes, pas un seul Franais, habills en saroual
et chchia en majorit ou des gandouras, des chemises et vestes
boutonnes nimporte comment. Ils ne sont pas tous propres, ils bougeaient
tous dans tous les sens, comme sils parlaient et faisaient des gestes face
cet appareil qui les a surpris. On ne dira pas que les garons sont bien
coiffs mais bien rass, part un seul qui ne porte pas de chchia et dont
on peut voir les cheveux. Ils avaient les pieds nus, quelques-uns avaient la
48
Leila Sebbar. Mes Algries en France, Carnet de voyage, Bleu autour 2004 .p. 30
49
50
46
Interculturalit et iconotexte
poitrine nue au-dessous de leurs misrables vtements. Ils avaient les
mains sur les yeux ou les ttes inclins pour se protger du soleil. On ne
sait pas en quelle saison on est, on les voyant on ressent la pauvret et la
misre.
Ces cartes postales et ces photos prouvent quil y a un enseignement
malgr la diffrence des thmes et des faons, que ce soit du ct des
Indignes ou celui des Franais qui travaillent pour la rpublique. Cest une
sorte de comparaison pour montrer la diversit des coles, leur diffrence et
ressemblance, coles arabes, kabyles et franaises. Les coles des
indignes (Arabe et Kabyle) se ressemblent dans les sujets enseigner.
Cest un culte religieux faire apprendre de la mme faon et avec les
mmes moyens qui sont une planchette et un roseau bien taill pour crire.
Apprendre dans la nature ou dans une chambre peu spacieuse o la
matresse porte un long bton pour bien assurer que tous les apprenants le
suivent et rptent aprs lui les versets sacrs. Ce quon remarque aussi
cest quil ny a pas denseignement pour les filles puisque la majorit des
apprenants sont des garons.
Leila Sebbar tmoigne dans Femmes dAfrique du Nord:
Mon pre me parle de ses surs elles niront pas
comme lui, lcole de la France ni lcole coranique, elles
couteront le frre bien- aim rciter les versets sacrs quelles
apprendront par cur, jusqu' leur mort elles les diront dans
leurs prires. Ses surs vont louvroir, la maison des surs,
Dar la sourette comme elles disent, mon pre rit avec laccent
de sa maison natale, elles sauront broder leur trousseau. On les
mariera, dabord lane puis la cadette. 51
Donc ici le destin de la fille est bien clair, elle na pas dautre choix
faire, elle na qu suivre ce quon lui donne et se contenter de ce quon lui
offre, couter et appliquer, puisque le but cest de les protger. Elle crit
aussi dans le mme roman:
Elles seront protges, peut tre malheureuses en amour,
mais les Nazarens, nouveaux venus au pays, curieux de ce qui
51
47
Interculturalit et iconotexte
ne les regarde pas, nentreront pas dans la maison des femmes,
ils ne les regarderont pas avec cet il mcanique qui sent le
diable, ni avec lil avide de celui qui les dessine la mine ou au
pinceau. Ces hommes-l, des trangers arrogants, des impies qui
ignorent les rgles de la vie dans ce pays qui nest pas leur, ces
hommes contreviennent aux lois de lhospitalit et parfois mme
ils se dguisent. Ils nauront pas nos femmes, disent les pres, les
poux, les frres. Et pourquoi prendraient-ils nos femmes, aprs
nos terres ? Ils nont pas de femmes jeunes et belles ? Et qui les
aiment et qui leur donnent de beaux enfants ? La terre de leur
pre les a renis, ou bien eux-mmes fuient le pays de leur
naissance ? Et pour quelle raisons ? Ils seraient criminels,
proscrits Sils sont de simples voyageurs, quils aillent en paix,
et quils nous laissent en paix. Nos femmes ne sont pas
vendre 52.
Pour ce qui est de la France, elle na pas oubli de fonder des coles
pour les indignes bien sr diffrentes des leurs. Il y a des coles pour filles
et dautres pour garons (elles sont spares), le ct administratif des
documents photographis le montre, ainsi que les moyens utiliss, tels que
les livres, ces documents quon voit la page 41 o on remarque quon na
pas occult la culture de lautre, en dessinant de petits enfants, un garon et
une fille allant lcole, le sourire sur le visage et habills comme les
indignes. Donc on donne la possibilit denseignement aux filles comme
aux garons, on respecte la religion puisquon voit dessine une mosque ;
elle fait partie du dcor saharien avec les plantes. On peut lire premier
livre de lecture courante pour le cours prparatoire des coles francomusulmanes . Sur un autre document on peut constater partir de ce qui
tait crit quil sagit de raconter lhistoire de lAlgrie et de la France, chose
quon voit en bas : deux cours lun ct de lautre, le premier intitul
Charlemagne et les Carolingiens et le deuxime Le royaume de
Tiaret . Comme cest clair, pas dEuropens avec les Indignes : on le
constate par les cartes postales, les photos et ces documents.
52
48
Interculturalit et iconotexte
la page 42 Leila Sebbar crit dans Mes Algrie en France :
Comme
53
Leila Sebbar. Mes Algries en France, Carnet de voyage, Bleu autour 2004.p.42
54
49
Interculturalit et iconotexte
50
Interculturalit et iconotexte
arcades, une vigne plante, de grands bancs o les gens trouvent un
refuge, un espace de dtente, un espace o la lumire chappe entre les
arcades pour y ajouter plus de magie, une belle architecture arabesque, qui
se laisse voir aussi dans la deuxime carte postale o un vieux se lave pour
faire la prire dans une grande cour, une sorte de puits devant lui, et de
petits bancs autour, et juste derrire lui une fontaine, des arbres, une suite
darcades avec une partie qui apparat du minaret de la grande mosque, un
dcor arabe, andalou, oriental, qui se dessine devant nos yeux. Ces cartes
postales sont en noir et blanc.
A la page suivante 94, deux autres cartes postales, la premire en
couleur : le Minaret d Aghadir (cest toujours le style arabesque qui domine)
est entour par des arbres et juste ct cest la rue, des gens qui passent
dans les deux sens accompagns par leurs chiens, ou sur leurs btes, des
hommes et des femmes habills traditionnellement. La deuxime est en noir
et blanc, en bas on trouve inscrit Tour de Mansourah, elle est moiti
fondue, presque le mme style que le Minaret, ct on peut peine voir
des gens debout et dautres assis. On ne peut pas voir sil y a des plantes
puisquelle nest pas claire. Dans la mme page un dessin complte la
beaut de cette ville. Un dessin du cimetire de Tlemcen : on peut dtecter
lombre des arbres sur les deux cts de la route, et au milieu deux femmes
voiles peut-tre, un dessin de Sbastien Pignon en 2003.
En fait ces cartes postales peuvent symboliser le paysage, le dcor
qui a influenc lauteur de la grande maison Mohammed Dib dans lequel il a
grandi, qui a quitt la ville et le pays pour ne plus y revenir.
Ensuite la page 96 un dessin de Sbastien Pignon en 2003 La
ferme de Jean Plgri une petite maison avec des tuiles, des palmiers
des arbres, un endroit vraiment agrable pour y vivre ; ensuite la page 97
un extrait de carte postale Alger - Au jardin dessai en noir et blanc un
jardin plein de plantes, des palmiers des arbres le tout en harmonie. On voit
deux femmes voiles en haks et de saroual algrois, et un homme en
gandoura qui se promenait dans ce merveilleux endroit. Dans la deuxime
page un autochrome qui donne plus de magie en voyant les belles couleurs,
le vert des palmiers et de lherbe, le blanc et le rouge des feuilles de fleurs,
et en habit traditionnel algrois une femme qui se promne la tte incline
51
Interculturalit et iconotexte
pour mieux apprcier cette merveille. Cest un oncle ingnieur agronome de
Jean Plgri qui tait lorigine de la cration de ce jardin. Leila Sebbar
crit:
Un oncle ingnieur agronome qui cre une ppinire dans sa
ferme de Sidi-Salem prs de Rvet, ses recherches agricoles
permettront de crer le fameux Jardin DEssai dAlger 55
On voyage vers un autre dcor aux pages 84-85, tout fait diffrent
de celui de la ville, cest le dsert, des cartes postales en noir et blanc prises
un peu de partout, du Sud oranais, Ain Sefra, des dunes, Kzar et les
quinconce, types darchitecture tout fait diffrent de la ville. Une autre
image de lAlgrie, du dsert, des constructions. Dcore darcades, de
coupoles, de palmiers, la mosque de la zaoua dEl Hamel, en plein dsert,
peinte en blanc. Elle est diffrente des autres maisons ct delle, cest un
milieu saint dirig par le grand-pre de Mohamed Kacimi, le cheikh
Mustapha Kacimi el Hassani, photographi en portant des habits blancs,
une barbe, une chane la main qui laide prier Dieu tout le temps ; cest
un symbole aussi de sophisme. Son regard est celui dun religieux ; ct
de lui son fils habill comme un petit taleb, comme son pre, en bas on voit
dessin un mausole de marabout par Sbastien Pingnon, au milieu du
dsert, puisquil y a des palmiers qui lentourent. Le dsert, un milieu qui a
fascin plusieurs crivains ; parmi eux, Isabelle Eberhardt qui est alle
jusqu la zaoua del Hamel. Leila Sebbar crit dans Mes Algries en
France:
Mohamed me raconte Lalla Zineb, son destin singulier, sa
rencontre avec Isabelle dans cette maison quil connat depuis la
naissance 56
55
56
52
Interculturalit et iconotexte
des houx un dcor dsertique, un crivain sophiste, une vedette algrienne
un rvolutionnaire, qui a voulu cre un tat algrien.
Lcrivaine le dcrit en disant:
Il aime Dieu, le livre et le cheval Le jeune homme ne cesse
dapprendre, il dcouvre le monde et poursuit son travail spirituel
drudit et de philosophe musulmanle fabuleux butin na pas
suffit, les soldats ont plis La bibliothque, les livres qui none pas
t cachs dans un ravin, ces livres disparus dont parle Abd elKader, captif Amboise (A Taqdemt en 1839, lancienne Tiaret,
capitale fixe dAbd el-Kader, lmir a eu le projet de fonder une
grande bibliothque 57.
Page 82 un portrait dIsabelle Eberhardt dessin par Jacques
Ferrandez en 2003 comme cest indiqu dans les rfrences. Au milieu du
dsert vide pas de bruit loin de la ville ; mystre dIsabelle dguise en
homme. Avec Si Mahmoud elle veut vivre la libert au milieu de ce fascinant
orient, elle sest convertie lislam, mais cela ne la pas empche de vivre
des aventures quelle ncrit pas uniquement dans ses fictions mais quelle
gote aussi au rel, en frquentant des endroits vus pour la premire fois.
Les couleurs de ses habits disent quelle fait partie de ce monde quelle veut
conqurir.
Lela Sbar crit :
Isabelle Eberhardt, Si-Mahmoud, qui les hommes du Sud
ont donn une belle jument blanche avec une selle de filali rouge,
fume labsinthe avec elles dans les cafs maures 58.
Dans un autre ouvrage intitul LAlgrie oublie on nous explique cette
relation qui existait entre le dsert et Isabelle Eberhardt :
sur ces confins o Isabelle Eberhardt avait rencontr Dieu,
un mari spahi et le colonel Lyautey Et plus loin :
57
58
Leila Sebbar. Femmes dAfrique du nord ,Bleu autour mars 2002 .p.10
53
Interculturalit et iconotexte
Quest ce qui pousse Isabelle Eberhardt sidentifier quelque
saint marabout abmer dans la prire, se vtir comme un
chamelier, se faire appel Si Mahmoud ? 59
Pierre Loti, un autre crivain qui a connu lAlgrie, est dessin par Sbastien
Pignon en 2003, la page 151, habill comme un homme oriental, turc ou
gyptien. Un fez sur la tte, de grandes moustaches, une cravate, un
costume, on ne dirait pas un Franais ! Cela montre quil aimait ce nouveau
monde quil est en train de dcouvrir, il voulait ressembler aux autochtones
peut-tre pour mieux les connatre. Il ne sagit pas uniquement de les
dcrire mais de chercher aussi des sujets dinspiration. Cest un crivain de
littrature exotique puisquil se trouve insr dans un pays nouveau, une
nature nouvelle.
A la page 150, on trouve une photo dobjets ftiches, dans laquelle on
peut lire en arabe le prnom dune personne ; lorsquon le prononce, on
pense directement lorient et sa magie. Sur une affiche publicitaire dune
ptisserie, au milieu dune arcade dessine, est crit Sharazad pour dire
que cest un style propre lorient. Ce beau prnom qui fait rver nest pas
uniquement crit en arabe, la langue que lcrivaine ne connat pas, mais
quelle trouve belle, en italien aussi, peut-tre cest en Italie quelle la
trouv trouv le prnom de son hrone ?
1.5.c. Lieux :
Vichy, aux pages 142, 143 et 145 : des extraits de cartes postales en
noir et blanc qui reprsentent des constructions thermales. Dans cette ville
franaise, on rencontre larchitecture orientale, la dcoration aussi qui
fascine aussi bien le client que le lecteur. De trs belles demeures qui non
seulement sont dotes dune beaut orientale imaginaire, mais en plus la
verdure qui vient pour complter son charme, les colonie qui deviennent une
source d inspiration, pour les architectes occidentaux comme larchitecte
dont figure le nom la page 145, Antoine Percilly.
59
54
Interculturalit et iconotexte
Un autre lieu quon peut voir la page 76, un caf Constantine, une
photo en couleur prise en 2001, cest ce quon a comme informations dans
les donns, on ignore la source de la photo.
On peut voir une grande plaque sur laquelle on a crit en
arabe caf de ltoile , le fond de la plaque est peint en blanc, lcriture
en rouge, les points des mots ctaient des toiles. Entre les mots caf et
toile, on trouve une toile rouge, dans laquelle il y a une autre toile verte ;
au bord de chaque toile des lampes de couleur rouge, vert et blanc.
Ces trois couleurs sont celles du drapeau national Algrien, et ltoile
y figure aussi, cest le symbole de la religion islamique, cest lAlgrie.
Le caf a de grandes fentres, et une grande porte, on peut voir des
hommes qui sont assis lintrieur, et on peut voir une lampe de non
allume, puisquil faisait noir.
A lextrieur, des hommes assis contre le mur peint une moiti en
blanc et une autre en rouge ; des tables sont installes sur le trottoir, et
dautres sur la route. Les hommes assis sont gnralement des vieux, le
serveur est un vieil homme aux cheveux blancs, il porte un tablier blanc, une
montre la main, et une chchia sur la tte. Entre ses mains on peut voir
une bouteille de limonade verte.
Nedjema60 un mot qui veut dire toile, cest le titre dun roman de
Kateb Yacine, et Constantine cest la ville bien aime, il a rdig ce roman
pendant la guerre dAlgrie.
60
55
Interculturalit et iconotexte
56
Interculturalit et iconotexte
Le 21mai 1996, sept moines du monastre de Tibhrine en
Algrie seraient assassins et dcapits par un groupe islamiste.
Jcrirai pour Rachid et ses Sept dormants 61.
A la page 105 une planche de BD, ralise par le dessinateur Farid
Boudjellal en 2003. Dans cette planche, deux personnes, un garon et une
fille, peut-tre sa copine, marchent ensemble, les habits provocants de la
fille dclanchent une discussion entre elle et le jeune qui porte sa sur
comme un exemple auquel il ne faut pas toucher puisquelle est voile. Mais
il se permet de faire des commentaires sur les autres filles en les touchant,
sans bien les comprendre puisquon le voit furieux en voyant une photo
dune femme nue. Un discours port sur les apparences, les habits portes
par les filles en Algrie qui du coup portent un jugement sur cette dernire et
son comportement. Cela montre la mentalit des jeunes Algriens et leur
faon de raisonner, le langage utilis cest celui de jeunes, un registre
familier. Le dessinateur invite le lecteur rflchir sur un sujet qui est
considr comme tabou en Algrie.
A la page 107, un autre beur qui dessine cette fois-ci un tableau
prfigurant la sculpture en bronze peint, comme cest indiqu en bas dans la
lgende. Un habit traditionnel kabyle de petite fille, quil nomme Kahina : en
Histoire, cest le prnom dune clbre reine et guerrire berbre. Il lui a
choisi des habits kabyle et pas dautres puisquil est dorigine kabyle.
Larrire plan est en rose, une fille pas un garon puisque les filles sont
gnralement dlicates, sensibles, tendres, elles ont aussi un imaginaire qui
na pas de limites, romantiques et trs li leur famille. Une fille cest la
fcondit, laffection, cest la nostalgie envers ce monde quil imagine,
comme les traits du visage de la petite fille peine visibles, on ne voit pas
les mains et pieds. Puisquil na pas aussi une ide bien claire sur ce qui est
une enfance dans son pays natal, il a dessin un enfant et non pas un
adulte car lenfance cest linnocence, la transparence, la vie, la continuit et
lespoir, il ne connat pas la haine, il ne sais rien faire quaimer, un enfant
cest le bonheur, il peint son tableau en rose, les filles aiment le rose,
couleur des rves enfantins, plein de jouissances en souvenir du pays
61
57
Interculturalit et iconotexte
dorigine, lAlgrie. Kimoume, Kabylie et Kahina si ces trois mots ont un lien
qui les unis cest bien le K, mme si on nest pas ne l-bas au pays natal,
cela ne veut pas dire quon est coup ou bien quon a oubli qui nous
sommes, puisquon est toujours li aux origines, lHistoire, aux histoires
qui dessinent notre enfance et tracent notre avenir.
58
Interculturalit et iconotexte
barreaux quon a ajouts. On a dessin une partie en haut une autre en bas,
au milieu on voit la photo dun jeune aux yeux pensifs, la main jointe la
bouche un geste de quelquun qui a dcid de mener une lutte, et cette
photo est insre dans une autre une fentre dune institution pnitentiaire
en Algrie. Juste cot, en bas dans la rue, un vieux sur une bicyclette,
laquelle il a accroch le drapeau national algrien, un vieux aux habits
modestes : cela montre que si Toumi sera hors les barreaux ils seront de
mme ge. Ce vieux en portant le drapeau marque la poursuite du combat
du chemin, et sil est l cest pour dire quon est contre loubli, et quon na
pas oubli Toumi, quon imagine son sort aprs ces annes de silence.
Sur dautres photos, on peut lire MICHELIN et RENAULT en
France, l ou les vieux on pass des annes de travail dur, l ou ils ont
donn leurs jeunesses pour envoyer largent la femme et aux enfants au
bled, ou ramens en France. Les autres photos cest pour des hommes
assis, des vieux qui se rencontrent dans un bar ou dans la rue, qui portent
des blue-jeans, et qui discutent, se dtendent en plein soleil, avec des amis
ou tout seuls, juste derrire ou cot des panneaux de sens interdits, de
stop pour dire on a arrt de travailler, on a arrt de fournir largent, on
se repose et on travaille plus ! Ils sont photographis seuls et hors leurs
maisons sils ont des maisons, toujours seuls, assis, sans famille.
A la page189 en haut, deux photos de papier rouler Le zouave
comme lcrivaine a indiqu dans les rfrences. Une publicit, cest un
dessin dun homme, avec de grandes moustaches, une barbe, soldat en
uniforme rouge, symbole de force. Larrire plan une fois bleu une autre
jaune. En bas une autre photo quelle avait prise en novembre 2002, qui
nous fait entrer dans sa maison, parmi des objets mis sur table, comme des
photos de famille, des cartes de poker, une feuille sur laquelle elle a crit
ses rendez-vous, et dautres objets placs nimporte comment. Figurent les
fameuses boites chiquer que les vieux consomment lpoque, petites
rondes, neuf boites, lune sur lautre, que lcrivaine a collectionnes. Sur
lune delle on voit dessiner une carte dAfrique. Les vieux la prennent dans
leurs poches, prparent leurs cigarettes tout seuls, cest conomique, cest
un plaisir, et ils se sont habitus au got et lodeur du produit, que jamais
59
Interculturalit et iconotexte
les jeunes, leurs fils ne consommeraient ; ces produits cest le souvenir du
bled quitt, des amis et des annes passes.
A la page 191, des photos en couleur de tombes prises par Patrice
Rotig en 2003. Une fois morts ailleurs ils sont enterrs dans le carr des
musulmans ou celui mme des chrtiens puisquils sont rejete par leurs
familles, ou ils nont plus de famille : personne ne soccupera de leurs
enterrement dans le carr musulmans. Cest le carr des fous dans le
cimetire dAinay-le-Chteau, une fin tragique pour eux. Cest ltat qui les
prends en charge, cest la fin du trajet de parcours des annes de travail en
France, dans les tombes, on peut lire les noms des hommes et des femmes
qui ont pris ce chemin et qui sont mort l-bas loin des frres et surs. Mort
tous seuls, fous dans un pays tranger, qui se souviendra deux ? Qui les
pleurera ? Personne, ils seront oublis et leur prsence est inaperue.
60
Interculturalit et iconotexte
entrain de prparer leur repas collectif. Femmes et enfants les pieds nus ils
ont gard les mmes habits ou sont habills nimporte comment, les enfants
ct ils ne sont pas lcole ; le linge est sur des fils suspendus entre les
guitounes. Conditions misrables pour vivre pour des tres humains ; cest
le prix quils ont pay.
A la page 196 une plaque commmorative ralise en 2001 la
faveur des Harkis, cette date on leur rend hommage, aprs des annes de
souffrance, disolement, de marginalisation. On voit bien clair que cela ne
dpasse pas la plaque, puisque la ralit dit autre chose, comme symbole
de reconnaissance rien na chang sauf les guitounes la place desquelles,
on trouve des petites maisons qui forment un hameau. On est en 2000, il ny
a pas dcoles, pas dinstitutions, on est loin de la ville, dans de mauvaises
conditions de vie et toujours cach aux yeux du monde, les fils du linge
suspendu Cette photographie en couleur marque un arrt pour se
souvenir ou pour dire que la ralit est la mme et quils en tmoignent
encore.
61
Interculturalit et iconotexte
air ou lintrieur du caf ; dans lune des cartes postales un tranger (un
Europen) assis se fait essuyer les chaussures par un petit garon. En
regardant bien les images lexception quon trouve, ce sont des femmes
dans la dernire carte postale devant lentre dun caf qui sont entrain de
discuter.
Les dessins et les cartes postales nous font voyager dans deux
poques diffrentes mais nous font voir aussi une seule ralit, ces hommes
trouvent du plaisir en passant toute la journe sans rien faire alors que le
temps passe, et ctait leur seul refuge pour se divertir.
62
Interculturalit et iconotexte
entre la croix et larcade : cest un mlange entre les deux religions
diffrentes, qui se fusionnent pour une seule chose, la France
A la page 214 des extraits de cartes postales, des Tirailleurs comme
cest indiqu dans les rfrences. En habit traditionnel darabes, saroual et
chchia, ils portaient des tambours et des clairons, ils faisaient une
dmonstration de nouba en pleine rue, dans la ville, la page suivante.
Une affiche publicitaire en couleur dun roman, sur un soldat arabe vue sa
tenue en rouge et vert brod un fez sur la tte, on dirait un Turc. Sa barbe et
son teint brun, le sourire sur le visage, faisant le geste de quelquun qui est
la recherche de quelque chose ; en arrire plan sa femme et sa fille
contrairement lui elles sont habilles la franaise, blondes, belles, un
bb est dans un joli berceau, et en haut en gras le titre du roman En bas
on indique que cette premire livraison est gratuite, on a tiss des histoires
sur ces combattants, ces soldats que la rpublique a forms et qui partirent
en guerre pour dfendre ses couleurs. Juste cot un extrait de carte
postale en noir et blanc, deux soldats avec des clairons en habits identiques
celui du soldat de laffiche, de longues moustaches, pas de barbe. Dans la
mme page en bas une photo prise chez elle, des livres ; parmi eux ceux de
Mohammed Dib. En premier plan des figurants, des soldats arabes au teint
blanc et noir larme sur lpaule, ils sont toujours prts, portent des habits de
diffrentes couleurs, rouge et bleu, blanc, les trois couleurs de la rpublique.
Et un soldat franais qui porte un chapeau. Des botes plumes : on a
dessin sur lune delle un soldat qui porte une arme dans un dcor
asiatique, dans lautre bote on dessin la semeuse, en plein dsert en train
de semer.
la page 215 des photos en couleur et une carte postale en noir et
blanc qui renvoient aux Spahis, un mus de ces derniers Senlis en 2000,
une humble porte en bois : en haut on a crit Muse Des Spahis ;
gauche une fentre en bois ferme, deux curs en haut, et juste ct
dans un muse militaire, une poupe en tenue de Spahis saharien en vert,
une pe accroche sa poitrine et une corde la main. En bas la carte
postale, des spahis sahariens comme cest indiqu en rfrence,
photographis en plein dsert, des cartouches tout au long du ventre, les
63
Interculturalit et iconotexte
uns assis les autres debouts, chacun portant un fusil, la majorit avec des
moustaches et des barbes.
A la page 215, Les Zouaves, un tableau ralis en faveur de leurs
victoires. On peut lire les rgions et les dates des conqutes : un aigle au
milieu symbole de victoire porte un long cache-nez sur lequel on a dessin
un N et une couronne du roi, symbole de triomphe. Et puis juste en bas
un croissant et une toile, symboles de la religion musulmane laquelle on
a accroch un mdaillon : cest le plus beau dailleurs en raison de la victoire
ralise MAGENTA 1859 . A chaque victoire ralise, un mdaillon
rcompense les mrites des Zouaves. Ensuite deux cartes postales, la
premire pour un Zouave en faction avec tout son matriel sur lui, il est en
pleine nature il porte ses couvertures sa casserole, sur son dos une
bouteille deau, et un fusil tenu bien droit.
Un regard dune personne engage qui ne craint rien. En bas, un
autre groupe de Zouaves Stif avec des barbes et moustaches, habills
en saroual gonfls, des chchias rouges des ceintures larges autour du
ventre, et des gilets. En habits militaires mais cette fois-ci sans armes, ils
sont photographis dans un quartier qui est le leur, comme cest indiqu
dans les rfrences ; juste derrire eux des immeubles des arbres et une
charrue port par deux chevaux.
Spahis, Zouave, Tirailleur : cest lhomme fort sur lequel on racontait
des lgendes qui disent leur bravoure, et sur lesquels ont rdig des romans
damours des crivains tels que Pierre Loti. Ils sont spars de larme
coloniale et nationale franaise, il ny a pas parmi eux un seul Franais, rien
que des Arabes. Les cartes postales montrent des scnes imagines par
des photographes. Diffrentes poses qui laissent voir des soldats fiers et
courageux, ils sont forms et dirig par des Franais, ils ont leur uniforme
spcial qui les diffrencie des autres, ils sont appels raliser les rves de
la Rpublique pour dautres victoires et dautres conqutes et largir son
empire, et leur mmoire la rpublique leur a fait des tombes sur ses terres,
et ils le mritent !
64
Interculturalit et iconotexte
65
Interculturalit et iconotexte
ces belles oranges. Et juste cot de petites icnes, de diffrentes parties
prises de papier dorange, pour montrer les diffrentes marques sources de
ces productions ; dans la premire un homme noir avec une boucle doreille,
la marque de ces oranges MORO . Il parat que cest une marque latine
ou africaine, daprs les coordonnes mentionnes sur le papier, et les
autres on montre les parties o figure la marque, la beaut de produit.
1.7.b. Fleurs:
A la page 223 un dessin de fleurs ralis en 2000 : une aquarelle, qui
rveille en elle le souvenir du jardin de sa mre, de belles fleurs, de
diffrentes couleurs qui rendent le dessin vivant, qui ne cessent de faire
remonter lcrivaine dans le temps pour les sentir et les toucher les faire
revivre en France. Elle crit:
des violettes dans lombre de lescalier. Les capucines
prolifrent, sexhibent, jaune safran, terre de Sienne, rouge
brique, la feuille plate, trs verteJe maccroupis contre le lger
talus vers les violetteLes fleurs de ma mre que jai tent de
faire pousser, ici et l, ont toujours crev. Jai la main sche. Si
bien que je les regarde sur estampes aquarelles 62.
1.7.c. Palmier:
Leila Sebbar rencontre lAlgrie ou des traces dAlgrie en France,
parmi ces traces le palmier qui est le dsert, lorient, les hauts plateaux
quon voit partout en Algrie. Ces photos en couleur prises de diffrentes
rgions de France montrent bien linfluence de cet arbre, de ses feuilles sur
larchitecture, les oeuvres dart, mme les objets les plus simples tels les
balais aux bouts longs et verts. Cela fait revivre les relations, les points de
rencontre entre lAlgrie et la France comme en tmoignent les photos des
pages, 229, 230 et 231.
62
Leila Sebbar. Mes Algries en France, Carnet de voyage, Bleu autour 2004, pp.
222 /224.
66
Interculturalit et iconotexte
1.7.d. Cigogne:
La cigogne cet oiseau migrateur, on voit ses photos sur les pages
234 et 235, des phots en couleur prises en France. Sur lune delle on a
accroch le drapeau franais, elle est sur une chemine et lautre sous
forme de statue est dans son nid, dans un htel qui porte son nom. Cest le
repos aprs un long voyage, cest labri. Une carte postale en noir et blanc,
prise Constantine en Algrie cette fois-ci montre des cigognes relles
dans leur nid, sur une chemine : l aussi cest le voyage entre France et
Algrie, laller et le retour, entre les deux rives, comme lcrivaine, mais elle
ne fait de voyage que par ses crits, en ralit elle est spare de lAlgrie,
ce voyageur, ce migrateur dpasse les limites, les frontires, et va l ou tait
Leila Sebbar autrefois. La cigogne semble tre pour Lela Sebbar un animal
ftiche. Car en France cest un symbole dunion nationale (loiseau
reprsente lAlsace et la Lorraine, provinces pour lesquelles se sont battus
les Franais durant la pr emire guerre mondiale), et en Algrie cest un
gage de bonheur et de prosprit. Animal faisant le va-et-vient dune rive
lautre, la cigogne personnifie le projet littraire et culturel de Lela Sebbar
elle-mme.
Dans lautre page en haut dautres photos en couleurs, dans dautres
lieux en France mais ou juste en Alsace, o lcrivaine les a rencontres, et
en bas une autre photo prise de sa maison, un mur auquel on a coll des
objets ftiches, des cigognes cette fois-ci de diffrentes tailles, diffrentes
couleur, entrain de voler ou dans leurs nids. Elles sont nombreuses, elles
sont dessines sur des timbres ou dans des cadres, toujours libres et prtes
pour faire le voyage. Elles sont places en dsordre dans deux sens
diffrents laller et le retour et dans les deux cas elles sont chez elles
quelles soient en Algrie ou en France, pas de diffrence les deux sont un
abri pour elles et leur maison. Lcrivaine les porte chez elle comme des
objets de souvenir, de nostalgie et comme un espoir de retour un jour. Elle
crit:
Jai vu passer un vol de cigognes, (ou ctait des grues ?) Audessous des bois de chtaigniers en Dordogne, la Gonterie, je
suis sure quelles allaient directement dans le champ de bl prs
67
Interculturalit et iconotexte
de lcole de mon pre, dans le village presque natal cot de
Tlemcen 63.
1.7.f. La Singer:
A la page 65 une autre photo qui rveille chez notre crivaine le
souvenir denfance, de lAlgrie. Cest une photo en couleur prise en 2001
dans le Prigord, en France, la rgion dont la mre de Lla tait originaire.
On voit une partie dune maison modeste, devant laquelle on a plant de
belles fleurs, et une vigne qui va jusquau premier tage, o on trouve
cloue une plaque rectangulaire, cot dune fentre aux volets rouge
brique. Le fond de la plaque est moiti noir et jaune. Le fond noir prend
plus despace, on y trouve crit un grand S en jaune, en arrire plan, on a
dessin une femme assise en train de coudre. En bas du grand S, on
trouve crit en gras SINGER cest une marque dune machine coudre,
63
68
Interculturalit et iconotexte
en bas en jaune aussi on peut lire le slogan En confort mnager, ce quil y
a de mieux . Dans la petite moiti fond jaune on peut lire aussi 3000
AMIS SINGER, 280 MAGASINS SINGER, A VOTRE SERVICE , cest crit
en noir. Cette plaque publicitaire ramne notre crivaine dans le temps, elle
garde encore en mmoire le souvenir de la couturire de Tlemcen ! Leila
Sebbar crit:
Les jeudis de couture, la maison de ma mre, les
journaux de mode dans la vranda, les tissus et la couturire
juive de Tlemcen, trois filles habiller et la mre. Attentive aux
modles, curieuse, linstitutrice posait des questions la
couturire domicile, il faudrait travailler la journe entire 64.
Lcrivaine est spare de lAlgrie il y a des annes, peut-tre ce
souvenir va-t-il son tour incarner sa volont : celle de parvenir recoudre
les parties spares, suturer les dchirures ?
64
69
Interculturalit et iconotexte
Chapitre 2
Le caractre htrogne des voix auctoriales
70
65
Leila Sebbar. Mes Algries en France, Carnet de voyage, Bleu autour, 2004. p. 13
71
66
Ibidem. p. 139
72
Interculturalit et iconotexte
Durant la guerre dAlgrie, le pre a t relgu Sedrata, ensuite en
1962 cest le dbut des troubles, il tait condamn par lOAS, il a pu
schapper grce des Europens qui len ont averti. Enfin aprs
lindpendance, cest le dpart pour la France, puisque les Algriens
voulaient annuler le rgime du cad.
Le hros de Yaza est mort et enterr dans le cimetire de la famille
An-Bada, sa mre est enterre en France. Lauteure et toute sa famille sont
restes l-bas, elle crit :
Je
suis
franaise,
parisienne
rive
gauche,
mme.
Ibidem. p. 146
73
Interculturalit et iconotexte
pour pouvoir sintgrer. Un ami de son mari leur a trouv un logement, elle
commence a travailler chez Peugeot, son mari avec son diplme de droit a
trouv aussi un travail mais il tait mal pay, les deux faisaient des heures
supplmentaires ; son mari est mort en 1985. Elle rsumait les annes de
son bonheur de 1979 1985, date du dcs de son mari.
Enfin seule elle se souvient de sa mre, aveugle mais qui connaissait
bien sa maison en Algrie, elle a perdu ses repres une fois en France, dans
cette nouvelle maison quelle ne connaissait pas. Marthe Stora aprs ces
annes crit au sujet de sa mre :
Avant son dpart de Constantine, elle tait dj aveugle mais
elle tait dans sa maison, elle la connaissait. L, dans une autre
maison 68.
Ces propos sont recueillis par Lela Sebbar en janvier 1991.
68
69
74
Interculturalit et iconotexte
de son enfance en Algrie: Je nai pas la mmoire des faits prsents, alors
que je me rappelle tout depuis ma naissance.70.
Propos recueillis pour Histoires delle, 1979, Ivry-sur-Seine.
71
Idem. p.154
75
Interculturalit et iconotexte
1957 1961 elle devient une vrai militante, elle passe laction, elle portait
des sacs contenant de largent pour le FLN. Ensuite elle raconte la
manifestation du 17 octobre 1961 en France, que les Algriens voulaient
quelle soit pacifique, mais les autorits la voulaient rouge, elle se reprochait
de ne rien faire, de ne pas agir, de se taire face la violence qui a trouv
chemin ce jour-l.
Mme aprs lindpendance, Michelle Perrot est toujours lie
lAlgrie mais par les femmes, elle sintresse leurs conditions de vie, la
manire dont elles sont vues dans la socit. La question du voile : la femme
Algrienne est voile, pourquoi voiler aussi ses droits ? Cest un tre humain,
elle a particip la construction de la socit, elle a milit ct des
hommes. Michelle Perrot participait des manifestations en faveur des
femmes algriennes. Elle na pas revisit lAlgrie indpendante pour
laquelle elle a milit.
Propos recueillis pour la revue Algrie/ Littrature/ Action, 1999, Paris.
76
Interculturalit et iconotexte
de guerre, il navait pas uniquement dfendu les Algriens torturs par les
Franais mais il tait contre lexcution des militaires franais par le FLN.
17 octobre 1961 : cette date inoubliable qui a marqu lHistoire des
deux rives, des Algriens manifestaient dans les rues de France, ces
derniers taient torturs par la police franaise. Pierre Vidal-Naquet et
dautres militants avec lui ont recueilli des tmoignages sur ce jour l pour
Vrit Libert. Son ami Panijel a fait le film Octobre Paris, il a t saisi en
France. On ne parla clairement dans mdias sur ces vnements que durant
les annes qui suivirent, et pas avant 1980.
Une fois lAlgrie indpendante, il constate que les rves du pays
indpendant sont dtourns. Il tait contre le parti unique, contre le
massacre, contre le silence. Il tait pour les droits de la femme, pour mieux
la reconnatre, la comprendre, la librer puisquil sait quon limite son rle la
maison ; cette ide est en relation avec la religion et le regard de la socit.
Propos recueillis pour la revue Algrie/ Littrature/ Action, 1999, Paris.
Les photos et les cartes postales qui accompagnent ces textes sont
pour des femmes, elles soulvent le problme des droits de la femme
algrienne aprs lindpendance. Des photos sont prises, durant la guerre,
de femmes au maquis, elles ne portaient pas de voile, elles faisaient leur
devoir ct des hommes, et des cartes postales daprs lindpendance
montrent des femmes voiles, caches comme on a occult leurs droits.
Louvrage
de
Leila
Sebbar,
Mes
Algries
en
France,
est
77
Interculturalit et iconotexte
des
enjeux
relatifs,
mon
sens,
la
notion
mme
dautobiographie.
Il ne sagit pas en effet dun ouvrage qui soit mme de
sinscrire dans la logique traditionnelle, par laquelle le rcit de sa
propre vie est dfini dune part grce lappartenance au genre
narratif, de lautre en fonction de la catgorie du bios , dune vie,
borne par la naissance et la mort, scande par les tapes
chronologiques dune maturation allant de lenfance lge mr,
tendue par la pousse des jours en direction du terme choir.
Mes Algries en France me parat proposer une dfinition originale
de lautobiographie, que jappellerai dans un premier temps et de
manire ngative non gocentrique . Cest videmment l un
paradoxe, puisque par dfinition toute autobiographie est centre
sur un go, un moi, et mme un moi rflchi par lui-mme (au sens
o lon parle dun pronom personnel rflchi ), puisque la
relation est non pas dun autre un tiers (comme dans lcriture
exobiographique) mais bien de soi soi.
Or, comment une autobiographie peut-elle tre sinon non
gocentrique, du moins non gocentre ?
Probablement suffirait-il de changer la dfinition du moi,
de telle sorte quil ne serait plus conu comme une monade, une
entit
rflchissant
et
condensant
un
univers
lui-mme
jai
tel
ou
telle,
la
forme cartsienne
de
78
Interculturalit et iconotexte
dune vie conue comme un univers autosuffisant quant
linterprtation que lon en donne, et en tout cas orient en direction
dun
devenir
crivain.
Au
contraire
la
dfinition
non
79
Interculturalit et iconotexte
quil accepte de prendre part au travail collectif de mmoire que de
son point de vue, unique et personnel, Lela Sebbar prend sa
charge en produisant de la littrature. Autrement dit, en
construisant une autobiographie altergotiste, Lela Sebbar
impose un travail de mmoire quau sein de leurs communauts
respectives ni les Franais ni les Algriens nont encore vraiment
accept deffectuer.72.
Par ici on comprend lusage des diffrents textes dans luvre, ce qui
ne fait pas perdre luvre sa composante littraire : au contraire ces textes
donnent un nouveau souffle lhistoire, dans un ouvrage qui contient des
histoires comme si on tait en train de lire les Mille et une nuit, des histoires
qui laissent travailler limaginaire du lecteur. Ces histoire qui nont pas une
fin, ni suspens, ont nanmoins une forte dimension dramatique, quelles
tiennent tout simplement des drames qui se sont nous durant cinquante
ans. Elles poussent le lecteur imaginer la suite, suppler aux dfaillances
de la mmoire, ses oublis, volontaires ou non. Cest chaque fois une
nouvelle chose dcouvrir, chacun de ces auteurs va porter son
tmoignage, laisser son empreinte, pour faire un travail de mmoire
personnelle et collective la fois.
72
France, de L. Sebbar. A paratre dans les actes du Colloque de Tunis sur lautobiographie
fminine, direction Ridha Bougherra, fvrier 2008.
80
Chapitre 3
La construction de la lecture de ce texte fragmentaire
grce la table des matires
81
www.fabula.org
82
Interculturalit et iconotexte
par lnonciation, lcriture fragmentaire se dfinissait comme une criture en
mouvement, entre dmentir et mentir, laltrit qui parcourt le carnet,
souligne lincompltude du fragment, il est impossible de tout dire, et plus
forte raison de tout dire de soi travers cette altrit, cest lidentit non
seulement de lnonciateur mais aussi de lcrivain qui est mise en cause, on
ne plus se reconnatre dans un miroir.
Dans cet ouvrage, on sent que le thme fuit dune voix une autre,
comme dans une fugue, une sorte de fragments mlodique excut
pralablement par une autre voix, cest le mme thme mais qui se rpte
par une autre voix, le sens qui se dplace pour ne pas se fixer, une
discontinuit dans le temps et lnonciation.
Dans son roman on trouve des parties qui ne contiennent rien que des
images, et dautre o on trouve des noms de soldats tus lors des deux
guerres mondiales, et une autre liste de diffrentes appellations de figues.
Cest une faon de dire entre les lignes, et par les symboles, de dire entre les
blancs qui fragmentent lcriture, pas de personnages fixes, des thmes
discontinus qui dsorientent le lecteur.
83
Interculturalit et iconotexte
thmes, une sparation, une division des titres qui brouillent le sens de
luvre qui finissent par le dsir du retour.
Commenant par la premire partie, on voit dabord la photo des
parents instituteurs lun cot de lautre Mascara pour lire ensuite lintitul
Portrait de famille. Les coles , cette partie se compose de cinq titres
diffrents ; le premier, Le bal, raconte dune faon romanesque lhistoire
damour, le destin qui a uni les parents de lcrivaine sans dire dans le texte
quil sagit bien de son pre et de sa mre. Ce sont les photos du jeune
couple amoureux qui le montrent ; le titre suivant cest sur lcole coranique,
pour les enfants des indignes il est important de suivre des cours religieux
qui consistent apprendre par cur les versets coraniques. Parmi eux tait
son pre laque, ses surs taient trs heureuses de lui et lattendaient pour
leur apprendre son tour des sourates pour faire la prire. Un autre titre, une
phrase qui rsume le plan colonial au niveau des coles de la rpublique,
elle nappartient pas lauteur, cest une phrase dAim Dupay,
Bouzara, nous faisons la France ; ils forment des instituteurs indignes
capables denseigner la langue de la rpublique. Son pre avait suivi des
tudes l-bas, il dirigea par la suite une cole comme le montre le titre
suivant Lcole de mon pre. Cest lcole de lenfance de lcrivaine, cest
une cole parmi dautres qui appartiennent la rpublique, ce qui est
dvelopp dans le dernier titre Les coles de la rpublique o elle
raconte la Marianne symbole qui figure sur les instituts de la rpublique mais
elle parle aussi des femmes des banlieues parisiennes qui se dguisaient en
Marianne.
La deuxime partie est rserve pour les femmes, elle est intitule
Algriennes, elle est prsente par une aquarelle, une femme habille en
blanc tach en rouge et qui porte un foulard : une arabe une algrienne.
Dans cette partie il y a huit titres, qui racontent ses surs trangres, des
femmes conteuses qui symbolisent la mmoire veille, et dautres femmes
qui restent en mmoire : les courtisanes des Ouled Nails, Safia, les militantes
ainsi que les prnoms de femmes arabes clbres par leur beaut qui taient
des musiciennes, des potesses, et des danseuse, Grenade. Leurs
prnoms sont tracs par les femmes illettres de la Goutte dOr quelle a
rencontres dans un atelier en France. Ensuite elle nous prsente une lettre
84
Interculturalit et iconotexte
qua crite Shrazed, une beurette, un des personnages de ses nouvelles,
o elle raconte lodalisque, les femmes du pays de son pre quelle dcouvre
sur les cartes postales ; elle raconte tout a dans une lettre quelle envoie
Julien.
La troisime partie est consacre pour Arts et lettres, elle se
compose de dix titres ; elle commence par une photo dun caf Nedjema
comme le titre du clbre roman de Kateb Yacine, uvre qui a marqu son
temps, une criture fragmenteuse, une nouvelle faon de traiter la
question algrienne durant lpoque coloniale. Dans cette partie elle rend
hommage aux grands crivains algriens qui ont cr un changement dans
lcriture, et les thmes. Elle commence dabord par lanctre glorifi par tout
les crivains des annes cinquante, la place des pres incapables de
bouger de librer leur mre, lEmir Abd El Kader, tait un exemple par son
savoir et son courage pour des gnrations dcrivains.
Un autre crivain Isabelle Eberhardt ou Si Mahmoud, une femme qui
crivait pour ce pays qui narrte pas de linspirer, elle raconte le dsert, les
courtisanes et Dieu. Ctait une femme libre qui ne craignait rien ; elle sest
convertie lislam, elle frquentait les zaouas, elle connaissait larabe la
langue des indignes quelle aimait, mais elle aimait aussi les courtisanes,
femmes libres et hors du foyer les femmes des Ouleds Nails. Elle a parcouru
le Sahara, sur son cheval en se dguisant en habits dhomme, Si Mahmoud.
Autres crivains quelle cite, elle commence par le condisciple de son
pre, Mouloud Feraoun quelle recherche Barbs en France, ensuite
Mohammed Dib qui a crit pour son pays durant la guerre mais qui a t
exil aprs lindpendance : depuis il nest jamais rentr pour revoir sa
grande maison, puisquil a perdu les repres tracs durant la guerre ; il tait
contre le rgime unique. Il est mort en exil. Enfin Kateb Yacine et Jean
Plgri : les deux aimaient lAlgrie chacun sa faon et chacun en
sexprimant dans la langue de lautre. Lela Sebbar crit sur ce sujet :
Nedjema, Le Maboul, les deux romans fondateurs de la littrature
algrienne. 74.
74
Lela Sebbar. Mes Algries en France, carnet de voyage, Bleu autour, 2004.p. 100
85
Interculturalit et iconotexte
Ensuite elle raconte les artistes algriens quelle a dcouverts en
France, ils sont arrivs prouver leur valeur par leurs uvres et leur travail,
des artistes chacun dans son domaine comme Rachid Korachi qui est un
calligraphe, Farid Boudjelal un caricaturiste, Rachid Kimoum un sculpteur et
finalement Zidane lartiste en football.
La quatrime partie Une passion algrienne contient neuf titres, elle
souvre avec une photo dune personne qui a donn sa vie, sa jeunesse pour
lAlgrie ; il a t tu mais comment, o exactement et pourquoi ? Personne
ne le sait, son affaire reste nigmatique, sa photo est l contre loubli, cest la
photo
du
jeune
Maurice
Audin,
que
sa
femme
lenseignante
de
86
Interculturalit et iconotexte
spacieuse pour la femme et les enfants qui ne reviendront jamais, ces
Chibanis comme la crit Lela Sebbar en ralit comme le raconte son
rcit nont rien gagn au contraire ils ont tout perdu, le rve fut transform en
cauchemar, pas denfant, pas de femme ; ils se trouvaient seuls, vieux et
pauvres, les enfants emports par la socit franaise nacceptent plus le
retour au pays des pres.
Une autre mmoire qui se laisse voir et lire celle des Harkis, les
perdants de la guerre, un dossier sensible, personnes ne les accepte ni en
Algrie puisquils sont vus comme des tratres ni en France le pays o ils
sont alls travailler, puisquils reprsentent une page quils faut plier et
oublier. Leila Sebbar est alle dans leurs camps et a vu les misrables
conditions dans lesquelles ils vivaient avec leurs familles. La rpublique
franaise ne leur a rendu hommage que des annes aprs en 2001 en leur
spcifiant une journe dhommage national.
Finalement elle cite lendroit prfr pour les Algriens le caf, mais
cette fois ci elle ne raconte rien, elle ncrit rien que le titre le reste cest des
cartes postales, et des dessins raliss par Sbastien Pignon.
La sixime partie Le champ des morts contient trois titres, lhistoire
commence par une photo dune tombe sur laquelle ils ont crit en arabe sur
des terres franaises, cest la tombe de dfunt, et ils ont dessin un cercle tri
couleur. Un espace rserv aux morts, un champ plein de tombes de soldats
indignes qui restent en mmoire de la rpublique, ils sont morts sur le
champ dhonneur dans plusieurs guerres. Dans cette partie le seul texte crit
appartient Yassine Chab qui rsume linhumation de soldats musulmans
par larme franaise, ensuite Leila Sebbar crit quelques noms de ces
derniers verticalement, et de la mme faon quils taient crit sur la stle,
tous sont mort pour la France. Enfin une autre page sur laquelle elle a crit
quelques batailles auxquelles ils ont particip, des exemples de cimetires
o sont enterrs des prisonniers Kabyles, des soldats marocains et
sngalais morts pour la France, la rpublique construit en leur mmoire
des monuments. Dans cette partie aussi il y a des titres mais aprs lesquels
pas de texte mais des cartes postales et des affiches publicitaire pour les
Spahis, les Zouaves et les Tirailleurs.
87
Interculturalit et iconotexte
La septime et dernire partieParcs et jardins. Bestiaire, elle se
compose de huit titres, limage qui prcde le titre, un papier dorange un
objet simple, mais sur lequel on a crit en franais un mot en arabe qui veut
dire notre patrie, une orange belle souriante, la belle patrie de Lela Sebbar,
qui lui manque, comme la langue arabe Larabe comme un chant secret. Des
textes o elle raconte le pass, souvenir de sa famille du jardin du pre et de
la mre, de la famille runie des beaux moments, des rcit aussi avec des
personnages fictifs qui vivent dans des conditions misrables qui raconte la
nostalgies, en gardant les objets qui rveille le souvenir du pays, elle
racontent la cigogne, les abeilles qui renvoient lunion, la socit
exemplaire dont rve lcrivaine, dans une autre page elle cite les diffrents
types de figuiers, et elle crit un texte sur Les figues de laube, pas de
dfinition de ce type de figuier, comme si elle lajoute la liste prsidente
pour dvoiler son amertume contre ce qui se passe on Algrie durant la
dcennie noire, o les Algriens ont subits la terreur femmes enfants,
hommes, jeunes, ou vieux personne nest loin du massacre, la priode de qui
tue qui ? Elle raconte son rve de rentrer avec ses surs et Safia pour revire
les beaux moments perdus, le figuier symbole de limmortalit et de
labondance de la terre, cest le rve immortel aussi de lcrivaine lespoir de
retourner pour une vie meilleur pleine damour et de paix comme le
symbolise le titre suivant Les tourterelles du vieux Tns o elle raconte
les tourterelle quelle avait vu et cout dans une ferme en France, et limage
qui lui revient de sa vieille tante qui lve ces oiseaux Tns et qui ont une
relation avec la religion musulmane. Elle les lve parce quelle ne peut pas
se dplacer vers le lieu sacr mais les tourterelles, si. Pour Lela Sebbar
cest la mme chose : ces oiseaux peuvent se dplacer et aller vers lautre
bout de la mditerran mais pour elle cest encore un rve.
A chaque fois comme si elle se souvient dune chose et par souci doubli, elle
raconte ce quelle a lu et quil faut faire lire, des images quelle a vu quil faut
que le lecteur les dcouvre aussi, et des images quelle garde en mmoire,
des fois elle laisse limage parler seule une autre elle laisse les noms parler
la place des personnes, elle joue avec les titres, elle joue avec le sens, on
trouve chaque fois des traces dune uvre quelle a dj crite, une
criture dans laquelle le lecteur dcouvre et cherche la fois, le lecteur
88
Interculturalit et iconotexte
dcouvre des crivains, des historiens, des sociologues, des peintres et des
photographes, des fois elle nous fait entrer dans sa vie intime, une autre elle
nous fait entrer dans dautres vies, on rencontre dautres personnes dautre
ralits.
Jean Pierre Montier a crit sur ce sujet:
Je rebondis sur le mot fragment, tant il est clairement
significatif des diverses formes que prendront des dchirures dans
ses
productions
littraires.
Paradoxalement,
la
double
89
Interculturalit et iconotexte
franais lui-mme, qui prtendait reposer sur des principes
rpublicains universalistes que leur mise en uvre contredisait
systmatiquement. 75.
Cest toutes ces diffrences cette complexit qui va
pousser lcrivaine crer une uvre aussi diversifie. Elle utilise
en plus ses propres connaissances en histoire en sociologie pour
raliser ce roman comme le montre Jean Pierre Montier:
Dautre part que ses propres tudes en histoire, en
anthropologie et en sociologie de la colonisation lont immunise
contre lillusion qui et consist considrer son propre cas
comme unique ni li sa seul personnalit. Si pathologie il y a, et
si lignorance de la langue paternelle est un symptme, ils ne
jouent pas le rle de biographmes propres mais renvoient une
histoire, collective, entre deux terres, de part et de lautre de la
mditerrane. 76.
Elle utilise des ralits historiques, sociales, mais en leurs ajoutant le
timbre littraire:
Sans doute est-ce la raison pour laquelle les matriaux de
son criture littraire et, si lon peut dire, sa mthodologie sont
pour une part ceux des sociologues et des historiens. Toutefois ils
sont employs par Leila Sebbar de telle sorte que leurs relations
soient de tension mais non dexclusion avec les procds
proprement littraire de la mise en fiction et de la chronognse
marquant la forme autobiographique. 77
Et il crit aussi sur le caractre htrogne des textes crits par Leila
Sebbar elle-mme:
75
France, de L. Sebbar. A paratre dans les actes du Colloque de Tunis sur lautobiographie
fminine, direction Ridha Bougherra, fvrier 2008
76
France, de L. Sebbar. A paratre dans les actes du Colloque de Tunis sur lautobiographie
fminine, direction Ridha Bougherra, fvrier 2008
77
Ibidem
90
Interculturalit et iconotexte
pour ceux des textes qui sont pris en charge par lauteur,
ils se prsentent tantt comme des tmoignages et des souvenirs,
tantt comme des fictions avec des personnages ports en
troisime personne par les pronoms il ou elle. 78
On a parl sur la varit des textes ainsi que la varit des thmes
abords, des pronoms personnels utiliss, de la fiction et sur la prsence de
lauteur dans ses textes, et comme on est entrain de travailler sur
liconotexte, on va parler aussi sur la varit des images du point de vue de
Jean Pierre Montier, le fragment est aussi au niveau des images:
Pour reprendre la mtaphore du puzzle utilise plus haut,
il existe une circulation des images dun chapitre lautre, images
tantt personnelles, tantt culturelles ; tantt documentaires, tantt
esthtiques ; tantt rfrentielles, tantt symboliques, tantt
textuelles, tantt iconiques, qui sont partiellement superposables
les unes aux autres, mais ne valent que diffrentiellement, dans
un brassage de pices donn travailler, recouper, comparer
par le lecteur. 79
Donc le lecteur fait appel chaque fois son imagination, ces
connaissances, encore il doit chercher pour pouvoir comprendre la relation
qui existe entre les diffrentes images, pourquoi elle les a choisis ? Pourquoi
elle les a class dans cet ordre ? Limage joue un rle important dans son
uvre, comme on a tudi prcdemment des fois elle commence par une
photo de famille, une autre par une uvre artistique chaque fois le lecteur
dcouvre un nouveau style dcriture, une nouvelle image qui prend la parole
la place de lcrit.
78
Ibidem
79
Ibidem
91
92
Numro de la
page
16, 20, 21, 2627, 35 et 221
30, 33, 38-39,
236 et118
28 et 29
29
Objet iconique
Nombre de
pages
07
Photo du pre
07
03
01
Valeurs
Enfance
Durant la guerre
Ecoles de la rpublique.
1907
Epoque coloniale
2003
Daprs ce quon regarde dans les
05
normales dinstituteur
filles.
fondation
En 1870
44 et 45
05
93
Interculturalit et iconotexte
Montrer la qualit
07
autochtones.
Symbole de la rpublique,
quon a modifi, la place du
43
01
46
49
50
algrienne en habit
2003
traditionnel.
En mmoire de femmes
03
conteuses.
En mmoire de femme qui
01
raconte la misre.
94
Interculturalit et iconotexte
51
En mmoire de femme
01
conteuse
54-55
57
74
60 et 86
LOdalisque en rouge
tableau de Egne Giraud
Cartes postales des femmes des
01
anctres
01
Beurette, 1999.
Montrer la nouvelle
gnration dAlgriennes
en 2001.
La Continuit de la
01
transmission du culte
traditionnel
En mmoire de femme qui
01
reprsentait un modle de
lorient mystrieux.
03
Ouled Nals
95
libres.
conqute.
Interculturalit et iconotexte
101
165
117
174-175
113
118
123, 124-125
03
femmes kabyles
en 1960
02
01
01
02
inoubliables moments en
96
Aprs lindpendance
1972 Aprs lindpendance en
France
Les annes 40 lpoque coloniale
Interculturalit et iconotexte
Algrie
132
03
femme
02
Histoires delles
lindpendance de LAlgrie
lAlgrie la veille de
lindpendance
136
141
78
02
Contre loubli
01
01
Hommage lcrivain
97
Interculturalit et iconotexte
82
En souvenir de la femme de
01
lhomme de lcrivain de
En 2003 en France
lAlgrien Si Mahmoud.
Hommage lcrivain
89
Juillet 2002
91
02
de Fouroulou
93, 94
94
Hommage lcrivain de la
Dib
/Hommage lcrivain de la
01
98
En 2003 en France
Interculturalit et iconotexte
97
98
99
85
103
Autochrome
Sur le jardin dessai
Photo du grand-pre de Mohamed
Kacimi chef de la zaoua dEl Hamel
Calligraphie de Rachid korachi
01
En 2003 en France
Kateb Yacine
En mmoire de Jean Plgri
01
et de Kateb Yacine
lpoque coloniale.
01
et de Kateb Yacine
Isabelle Eberhardt
Un langage de symboles dun
01
artiste touch.
Juin 2003
01
beurs.
107
simplicit et le rve.
99
Beur
Interculturalit et iconotexte
108
01
artiste en football
Un objet ftiche qui nous
publicitaire dun
01
restaurant Sharazad
Annes 90
151
01
2003
01
Pas de date
lorient.
84
06
100
Pas de dates
Interculturalit et iconotexte
85
85
01
119
Photos dAflou
02
144
01
76
01
gens de sud.
aprs lindpendance
darchitecture orientale.
Montrer linfluence du style
01
2003
En mmoire du chef-duvre
07
darchitecture orientale.
A lpoque de la rpublique
En 1906
182
01
17 octobre 2001
En mmoire de Chibanis
01
101
Pas de date
Interculturalit et iconotexte
183
01
Les annes 80
limmigration et du Tiers-monde
185
186
01
France.
Pas de date
immigrs.
Montrer o et comment
186
Photos de vieux
03
Et 1998 Collobrires
journe.
189
02
Pas de date
symbolise le tabac
01
En Novembre 2002
05
vieux immigrs
102
En 2003 en France
Interculturalit et iconotexte
05
196
01
196 et 199
07
En 1962 la veille de
lindpendance
Hommage aux
Harkis.
Mauvaises conditions de vie.
Le 25 septembre 2001
Et 2000/ 1998 en France
Diffrents comportements
07
Avril 2003
et parler et gnralement ce
sont des adultes.
204 et 205
206, 208, 209,
212 et 213
06
07
pour la France
Pas de date
2003
01
103
Pas de date
Interculturalit et iconotexte
08
218 et 227
06
235
01
234 et 235
Tmoignages.
07
06
rve de lunion
Pas de date
Paris 1995
Souvenir de la maison et du
237
1996 Paris
01
104
PARTIE II
Une criture autobiographique contre loubli
105
Interculturalit et iconotexte
Chapitre 1
Pourquoi crire un roman autobiographique ?
106
Interculturalit et iconotexte
Aprs des annes doubli Leila Sebbar arrive crire son je, crire soi
dans la langue de sa mre:
dire je, lcrire, a sapprend. Et si personne na t l
pour quil prenne vie, pour quil vive et prospre, ce je inconnu,
n de pre et mre inconnus ? Orpheline du jematernel et du
je paternel. Comment, dune double absence, produire la
prsence dunje priv de lun et de lautre ? Il nexiste pas, dans
la langue franaise, un mot qui dise ltat dune mre, ou dun
pre, qui a perdu son enfant. Comment nommer celle qui a perdu
le je , le sien, qui existe, forcment ? Mais, ne sachant pas sil
est mort, il faut en faire le deuil, le pire des deuils. Il aurait disparu,
on laurait fait disparatre, il fait si peur, il est si dmoniaqueSil a
disparu, comme les jeunes morts abandonns dans la bataille et
dans la boue, on entreprendra des recherches, en secret, pour le
retrouver, malgr les obstacles et les interdits. Mais combien de
dtours avant que laudace lemporte sur la rserve et lextrme
pudeur. Rserve, pudeur, retenue, jusqu lasphyxie, lamnsie.
Comment, par quel miracle mest revenue la mmoire de ces
je , ce je ? Par quel jeu de miroir est apparu ce que je nai
pas connu ni prouv de lautre ct de mon corps natal, le pays
de mon pre ? LAlgrie loin de la France, carte par la mer, un
trs large fleuve qui spare, mais cest comme si on voyait lautre
rive, toujours, que le ciel soit clair ou quil soit obscur. Pour oprer
les dtours multiples et qui ne se donnent pas toujours pour tels, il
faut la rupture. Sans violence. Consentie80.
Pourquoi crire un roman autobiographique ? Est ce uniquement pour
le simple but de raconter sa vie personnelle ? Raconter sa race son milieu
les vnements qui lui ont marqu sa vie suivant un rsonnement logique ?
Commenant par la dfinition la plus gnrale de lautobiographie
donne par Philippe Lejeune :
80
107
Interculturalit et iconotexte
Rcit rtrospectif en prose quune personne relle fait de
sa
propre
existence,
en
particulier
sur
lhistoire
de
sa
personnalit 81.
Le roman de Leila Sebbar que nous sommes en train dtudier est un
roman autobiographique ; premire remarque quon peut faire partir du titre
cest lusage du pronom possessif Mes qui rvle une trace de lintime du
soi de lauteur dans luvre. Ce qui nous pousse se demander : est-ce
quelle a fait comme le condisciple de son pre Mouloud Feraoun qui avait
crit Le fils du pauvre ? Ce dernier a dclar dans le roman mme quil a
voulu que sa vie soit connue, par ses enfants, on pntre dans lintimit
dune famille que lauteur a dcrite avec des dtails minutieux. Feraoun a
dcrit ses personnages dans leurs occupation quotidienne domestique ou
lextrieur de la maison, comme les labeurs les soins de btes, la cueillette
des olives et des figues. Quant au contenu il est chronologique puisquil
raconte la vie dun personnage depuis son jeune ge jusqu lge adulte.
En lisant le roman de Leila Sebbar le lecteur dcouvre que ce nest
pas le cas, chaque fois il est devant un souvenir spcifique, qui jaillisse tout
au long de luvre ; il est aussi devant un nouveau style dcriture pour dire
le moi . Elle ne respecte pas un seul rythme chronologique : dabord elle
commence par une histoire romanesque comme dans un conte, la
troisime personne, o elle ne dit aucun moment quil sagit de son pre et
de sa mre, ensuite le lecteur les dcouvre par leurs photos.
Dans les pages qui se suivent, des parties titres diffremment, pas
dordre chronologique, des fragments, pas de vie personnelle uniquement ;
mais elle tisse la sienne avec dautres. Un carnet de voyage comme cest
crit sur la couverture, qui ne se satisfait pas de lcrit mais qui utilise aussi
des photos des images qui jouent un rle important dans lhistoire.
Des photos personnelles ou qui appartiennent dautres personnes
donnent plus de vie, du rel, du limaginaire son uvre et du sens qui
dpasse le simple fait de se prsenter. Elles parlent, elles cassent le silence.
81
108
Interculturalit et iconotexte
Pour ce qui est de lnonciation on remarque bien que
lcrivaine assume son pass en utilisant le je lorsquelle
raconte ses souvenirs denfant et le prsent pour ce qui est de sa
vie actuelle. Lnonciation est marque aussi par une distance
entre
lcrivaine
et
son
109
110
Interculturalit et iconotexte
dun temps qui nexiste plus. Une femme dont on dcouvre les touches
fminines tout au long de luvre par le choix de photos et ses tendances
parler des fleurs dans les textes, de lenfance du rve. Elle parle trs souvent
de la femme, dailleurs la majorit des photos sont pour des femmes.
Donc Leila Sebbar na pas fait comme Mouloud Feraoun, elle ncrit pas
son histoire dune faon classique ou habituelle, elle crit sa faon son
histoire, son identit ; elle avoue au milieu dune table ronde ralise par
Nabil Fares :
Je me mfie de lautobiographie. Dune part, il me
semble que la pratique autobiographique comme pratique
systmatique dcriture assche linspiration littraire (sauf
exceptions russies dont je peux donner les exemples que je
connais le mieux : Proust et Cline, qui nont cess ds le premier
texte de fabriquer du littraire romanesque partir dune matire
biographique, immdiatement visible dans ce quils crivent).
Linconscient qui travaille le texte littraire a sa source dans les
obscurits de lenfance. Une matire inattendue arrive ainsi la
lumire, mesure que scrivent des rcits, des fictions. Cest un
processus de cration quon peut rendre perceptible par lanalyse
et dont peuvent tmoigner un certain nombre dcrivains, lorsquils
ont dj produit plusieurs livres qui seront peut-tre un jour une
oeuvre avec ses cohrences, ses paradoxes, ses errements.
Dautre part, linterdit tacite familial des pres et mres sur la mise
en scne publique de soi, il faut russir le transgresser par
quelque ruse. Ce que je fais depuis que je publie (en parallle
avec la publication de nouvelles et de romans) en crivant, par
fragments, des textes o je minterroge sur mes langues, la
dominante et labsente dans la maison de lenfance, un pays
spar, une minuscule utopie rpublicaine, dans la colonie et plus
prcisment dans le quartier indigne, dans lcole de garons
indignes de mon pre. Je publie ainsi plusieurs textes brefs,
obsessionnels dans des revues que mes pre et mre ne liront
pas (sauf accident, il y en eut un seul, dramatique, o ma mre
sest vue soudain en accuse ; lamnsie la recouvert et jai
111
Interculturalit et iconotexte
poursuivi la publication quasi clandestine de ces fragments
autobiographiques 82.
Donc elle veut faire une criture autobiographique mais qui dpasse le
fait de raconter son histoire, dune faon qui fait perdre luvre son aspect
littraire standard. Une criture de fragments, une fuite qui a pour raison se
cacher parmi dautres vies, dautres sujets, pour viter de dire trop de soi,
dexposer sa vie, pour ne pas choquer ses proches.
Une stratgie de lcrivaine pour faire passer des messages, pour
parler et dire ce manque, cette sparation, une femme spare de lautre.
Une femme trangre qui se rvolte, qui cherche aller et connatre lautre,
lentendre par les images, mais aussi crire sa langue avec des images.
Elle raconte des femmes spares comme elle, des Juives, une Berbre fille
du cad qui sont considres comme trangres. Les premires ne sont pas
des musulmanes, et pour la deuxime elle est vue comme une allie des
occupants, puisque le pre reprsente le rgime ; et Leila Sebbar est vue
comme la fille de la franaise du matre de lcole. Elles sont vues comme
trangres malgr quelles soient nes l-bas, elles qui ont vcu le rve au
pays et le cauchemar le jour de la sparation, du dpart pour la France.
Les Harkis sur lesquels crits Leila Sebbar sont aussi spars diviss
entre deux rives, ils sont perdus, mpriss, des deux cts des trangers par
rapport aux Algriens et aux Franais. Des chibanis immigrs dans une
socit trangre o ils ne peuvent sintgrer, plus des enfants qui ne
veulent plus revenir au pays dorigine.
Des soldats indignes qui sont inhums en France, des trangers
dans une terre trangre. Elle rvle aussi ses surs algriennes
trangres mais elle les rencontre sur des photos et des cartes postales, elle
tisse pour chacune delle une histoire : elles sont les hrones.
82
112
Interculturalit et iconotexte
Leila Sebbar rend lespoir aussi aux jeunes beurs en donnant des
exemples dartistes qui ont russis leurs carrires des beurs qui ont du talent
et qui sont arriv se prouver. Ils ont fix leurs noms dans lhistoire par leurs
uvres.
En plus de tous ces thmes, elle noubli pas de parler sur les crivains
qui ont crits des uvres inoubliables qui cherchent le changement qui se
rvoltent par lcrit pour casser le silence, comme Dib, Kateb Yacine, Jean
Plgri, Mouloud Feraoun et dautres qui ont aim LAlgrie comme Isabelle
Eberhardt et Pierre Loti, et dautre historiens comme Michelle Perrot, Pierre
Vidal Nacquet, et ethnologue comme Germaine Tillion que lAlgrie narrte
de les inspire de les occupe.
Un style tout fait nouveau, littraire qui nous fait dcouvrir plein de
noms que se soit au niveau de lcrit ou des images, le but de lcrivaine
cest raconter pour lutter contre loubli pour faire revivre une mmoire, elle
crit dans son roman :
Nous sommes, Assia et moi, les filles du pre, diseuses
de mmoire. Ecrivaines, saurons-nous transmettre une filiation
nouvelle ? 83.
Ce quelle a de commun avec ces personnes et personnages dans
son roman cest le destin, le sort, lHistoire et lcriture, une uvre qui est
destine aux Algriens et aux Franais, qui a un but de renouement de
rconciliation, une criture de lespoir. Lcriture de soi peut servir de
mmoire thrapeutique ; pour Gabriel Matzneff crire le retient de sombrer
dans la schizophrnie ou le suicide :
Cest mon journal intime qui ma sauv de la dmence et
de la mort. Cest galement grce lui que jacquis le got de
lcriture
la
matrise
de
la
langue,
le
sens
de
84
83
84
Leila Sebbar. Mes Algrie en France, Carnet de voyage, Bleu autour, 2004. p32
Jean Picano/ Marcelle Bilon/ George Bafaro, Lcriture de soi, Lpreuve de
113
Interculturalit et iconotexte
Ctait la guerre, la pension, le silence, et, sil ny avait
pas le bavardage des livres, je serais reste muette. 85.
Une autre forme de dire soi en fragments que le lecteur va dcrypter
tout au long de luvre en se basant sur lcrit et limage pour identifier les
non dits.
Dans cette partie du travail on va entrer dans lintime de Leila Sebbar
par lcrit, et limage, on va lapprocher et dcouvrir son monde, les souvenirs
de lenfance heureuse et spare, le manque de la voix du conte, le rve et
le cauchemar.
Leila Sebbar. Mes Algrie en France, Carnet de voyage, Bleu autour, 2004. p236
114
Interculturalit et iconotexte
peine vouloir, pouvoir en parler, en crire. Mais je ny viens
pas sans dtours. Parce que lhistoire du roman familial, des
bords de la Dronne, o nat ma mre, au bord de la mer o nat
mon pre, cette histoire est sans mmoire. Aucun rcit, aucune
lgende, pas de mythologie qui ressourcent la jeune intelligence
des enfants ns de ces croisements muets 86.
Elle raconte la naissance de sa mre la franaise, sa relation avec
leau et le fleuve qui lunira avec quelquun de lautre rive ce voyage prdit
par la femme qui la mise au monde, la page 18 elle crit:
la petite est ne avec la rivire cest ta fille. Ne tinquite pas. Je
ne vais pas la voler ou labandonner la rive. Je veux seulement
quelle regarde, jusquau sommeil, la pierre du chemin, les talus
du pr, les vieux noyers et la rivire. Quelle noublie pas, mme si
elle part un jour, loin trs loin, de lautre ct de la rive. 87. La
prdiction : Ta fille partira. Tu le sais . Et la fin elle donne
un indice en citant les romans quelle lisait: Elle lit les romans
africains de Pierre Loti 88.
Le lecteur dcouvre des personnages tel que la vieille, le pre de la fille,
quon comprend quil est gendarme et il aime la pche: il pche des
truites, en pcheur et en braconnierEt comme il est aussi gendarme .
La mre de Marie, soucieuse de la prdiction de la vieille et qui ne veut pas
se sparer de sa fille, une discussion se dclanche entre elle et la vieille. Un
dcor franais des rivires cites : la Dronne, la Dordogne .
Dans une autre page une autre histoire que le lecteur dcouvre,
histoire dun enfant de lautre rive, il a fait lcole coranique, et plus tard il
entre dans lcole de la rpublique, histoire quon dcouvre la page 22, il
sappelle Mohammed son pays cest lAlgrie, dans lcole il apprcie les
cours de gographie sur les fleuves.
86
Leila Sebbar. Larabe comme un chant secret, Rcit, Bleu autour, p60
87
Leila Sebbar. Mes Algrie en France, Carnet de voyage, Bleu autour, 2004. p18
88
Idem. p.19
115
Interculturalit et iconotexte
Dautres personnages quon dcouvre : la mre et ses filles son
fils unique, dautres rituels et une autre culture, lenfant devient un homme,
un instituteur dans lcole de la rpublique franaise, il dcouvre lors dun
voyage en France, en ralit la beaut du fleuve quil a tudi autrefois. Il a
fait la rencontre de linstitutrice franaise Marie dans un bal il lenlve vers
lautre rive et la prdiction se ralisera, leau qui les sparait, les a uni une
histoire damour qui ne se raconte que comme des contes, et on parle pas de
la guerre, elle crit : cest lt ce soir il fait doux. Personne ne parle de la
guerre 89.
Dans les pages qui suivent elle nous prsente son pre, et son
parcourt dinstituteur dans la colonie de la rpublique.
Le pre :
la page 28 intitule lcole coranique , elle nous prsente une
partie de la vie de son pre, comme tout indigne il a fait lcole
coranique, elle nous prsente son village natal Tns, un fils unique quon
aime et quon sintresse son enseignement. Le pre du fils est trs
satisfait puisque ce dernier a appris le livre sacr, il lui a donn sa
planchette, il tait content lui et ses filles, lorsque Mohammed rcitait les
versets coranique.
Ensuite la page 30, elle raconte le souvenir du pre, toujours la
troisime personne, comment il sest prpar pour aller Bouzerah, le
trousseau prpar pour le frre :
Il avait le numro 518. Ses surs, les meilleurs
brodeuses de louvroir, nauraient marquer le trousseau comme
elles lavait fait pour le tout jeune pensionnaire de Boufarik qui
arrivait en train depuis Tns(y avait-il un train direct de Tns
Boufarik ?), habill en petit arabe disait-il. Saroual et chchia
et le trousseau complet, elles se rappellent, numro 89 sur
chacune des pices, elles navaient jamais vu autant de linge la
89
116
Interculturalit et iconotexte
fois pour une seule personne, le frre prfr, celui qui les quittait
trop tt. 90.
Il raconte le rgime suivit Bouzara pour la formation des instituteurs
indignes, ni lui ni ses amis Mouloud Feraoun mettaient de chchias, ctait
les belles annes dtudes. la page 32, le frre raconte ses surs la
beaut des jardins de Bouzerah de lapiculture. Le frre ne parle pas de la
religion puisque la formation dans lcole est laque, Leila Sebbar marque un
point historique et cite des noms tel que Jules Ferry
et Aim Dupuy,
90
91
Idem.p.220
117
Interculturalit et iconotexte
Cest la mmoire du pre instituteur indigne lac de la rpublique.
Leila Sebbar voque aussi le souvenir de sa mre la franaise qui
portait des jupes amples, ornes de fleurs la page 220 :
sur sa robe, des iris (elle prfre les larges fleurs
rouges et roses de ses jupes amples, cest mieux pour sasseoir
sur la natte en tailleur devant les braises du kanoun 92.
De la couturire qui suit par les journaux la mode en France et qui
essaye de les raliser avec sa mre la page 64 :
Les jeudis de couture, la maison de ma mre, les
journaux de mode dans la vranda, les tissus et la couturire
domicile, il faudrait travailler la journe entire, elles bavardaient
sans temps perdu 93.
la page 63 elle dcrit la plaque de la singer en France. Une plaque
qui rsiste t comme hiver, garde sa couleur dore, cette singer mme
quelle rencontre chez des filles dans les maisons dexil, quelle aide faire le
trousseau.
Le souvenir aussi du jardin de sa mre :
Des violettes dans lombre de lescalier. Les capucines
prolifrent, sexhibent jaunes safran, terre de Sienne, rouge
brique, la feuille plate, trs verte grimpante Les grands iris Lilas,
violets, presque noirs, bordent lalle, toujours les iris bordent une
alle. Sur la robe dt de ma mre des iris bleus et verts, et sur
le bolro, il me semble quun bolro de coton avec les mmes iris
couvrait ses paules le soir en promenade, ma mre et ses amies
aux yeux verts marchaient au bord dune mer sombre Port Say
vers le rocher de la Moscarda, elle parlaient riaient, les iris de la
robe, tantt bleus, tantt verts, ondoyaient, souples, au pas de
jeunes mres, ce ntait pas encore la guerre 94.
Cest une franaise qui na pas changer ses habitudes mme ses
amies sont des franaises, la fleur prfre de la mre cest liris.
92
Idem.p.220
93
Idem.p.64
94
Idem.p.222/224
118
Interculturalit et iconotexte
1.2.b. Enfance heureuse et spare :
Filles de la franaise : filles de la franaise matresse de
lcole , les petites franaise , les filles de linstitutrice
franaise , Ce qui fait delle une trangre spare de la famille de son
pre : jtais une trangre, la fille du frre prfr, oui, mais pas la fille
de la cousine 95. Donc pas de liens, elle est vue comme une trangre,
elle est diffrente, une diffrence de langue, elle ne parle pas larabe langue
de son pre, une diffrence de mre, et cela forme une barrire entre elle et
la famille du pre et son peuple :
Les filles du matre dcole ne parlent pas sa langue,
elle le sait, mais elles suivent sa bouche, sa voix, ses mots, ses
gestes, elles comprennent ce quil faut96,
une diffrence
96
97
Idem.p.9
98
Idem.p.220
99
100
Idem.p.135
119
Interculturalit et iconotexte
Leila Sebbar a vcu durant lenfance un manque du conte, de loral, de
la langue, de la voix qui raconte, quelle soit franaise ou arabe :
[] pour moi pas daeul pour des contes, pas mme de
lecture haute voix le soir, pre ou mre, dans la maison dcole,
pas dhistoiresLes contes sont dans les livres, les lettres, les
lignes, pas dans la voix. Ils ne sont pas conts, ils sont crits. Des
livres, il y en a beaucoup dans la maison mais la voix du conte est
muette 101.
Pour montrer lenfance heureuse en Algrie, elle utilise des photos
des moments de bonheur partags avec sa famille, avec son pre, sa mre,
ses surs et son frre. Les filles avec leur mre sur lherbe, il apparat quils
sont en promenade. Une autre photo o toute
tard,
il
sera
amateur
de
voitures
et
de
101
102
120
Interculturalit et iconotexte
Dabord on va parler sur une tapes importante dans sa vie, celle o
elle a commenc crire dans histoire delle , avec dautres femmes, une
image de la premire de couverture figure dans le roman, elle crit
dans Larabe comme un chant secret :
Nous crons un journal, trois annes particulires,
effervescentes, et la revue de Xavire Gauthier, Sorcire, donne
libert aux mots. Cest alors que me reviens la mmoire de
lAlgrie, par ses femmes arabes plus que par ma mre, la
Franaise institutrice de lenfance 103.
Ensuite les choses auxquelles elle est trs attache, et qui montrent
quelle nest spare de lautre rive. Des objets quelle a collectionns. Ces
photos nous dmontre dautres dimensions : des objets, ce quelle crit
comme notes, des photos colles sur le mur on ne sait pas qui elles
appartiennent. Quatre photos en dessous de trois dentre elles elle crivait
chez moi . Et une o cest crit sur ma table de travail .
Page 150 : sur un mur elle a coll une photo dun enfant allong,
derrire une feuille sur laquelle elle a crit peu tre des notes ; dautres
photos o il y a des hameons sont accroches au mur. Une autre photo,
une feuille en jaune sur laquelle on a dessin un bateau et on peut
lire nouveau en France , on peut voir le bout dun poisson accroch, cest
en relation avec la mer la pche, le voyage de mer, la mer qui spare et unit
les deux rives. On voit encore accroche une affiche dun restaurant, on a
crit en arabe SHARAZED ce prnom de lorient qui fait rver, qui fait
voyager, qui donne plus de magie daventure. On peut voir aussi des timbres
accrochs, les uns sur les autres tous. Ces photos, feuilles, timbres forment
une unit un cadre, un beau tableau dune femme qui collectionne tout.
la page 189 sur sa table de travail, de petites statues de coccinelles
de diffrentes couleurs, et une autre dun homme sa femme et leur petit
enfant statue de couleur verte. Des notes mises les unes sur les autres,
crites en noir et entoures de rouge, pour mentionner des rendez vous,
pour ne pas oublier. Un coffret sur lequel elle a pos des photos et derrire
une feuille sur laquelle on peut lire dAlgrie , une photo dun homme et
103
121
Interculturalit et iconotexte
un petit enfant quil tient par la main, plein dobjets, des botes chiquer, de
la poussire sur la table. Une petite brochure publicitaire dun pain, une autre
petite photo familiale, des cartes de jeu et deux boites dans une delle une
aspirine des boutons, dans lautre des pingles. Cela montre quelle est une
femme qui aime collectionner tout, qui fait sa propre mmoire, une femme
qui ne classe pas ses objets elle voit quils forment une unit une harmonie
malgr leur diffrence, des souvenirs personnels qui ont une relation avec la
famille, lAlgrie, lorient, ils ne lont jamais quitt. A la page 215, ct des
tirailleurs et des botes plumes, les romans que lcrivaine aime lire, ceux
de Mohammed Dib, crivain algrien, lun des pionnier de la littrature
algrienne dexpression franaise :
Je suis la fille de ces fils qui crivent des livres si loin de
la maison quils ont quitte pour ny plus revenir et, parce quils
sont partis, parce quils ont subi lpreuve du passage pour tous
les autres, nous crivons, jcris. Mohammed Dib est de ces fils
l, dont je serais comme lune des filles 104.
Il crivait pour lAlgrie durant la priode coloniale, une fois lAlgrie
indpendante il na plus de place, il prfre lexil lors du parti unique, la seule
voie quon a choisi pour lAlgrie, et pour ne pas se perdre pour ne pas obir,
il part et il mort exil, il nest jamais rentr au pays la grande maison.
Une autre page de ce roman, une autre image qui nous donne aussi
bien le sens du voyage du dpart sans limite sans frontire ni barrire, du
retour celle de beau oiseau quon trouve aussi bien en Algrie quon France,
celui qui fait ce voyage et qui fait penser lunion, puisque les photos quelle
a choisi sont de lAlsace. De belles cigognes partout sur le mur, des timbres,
des fleurs, un ange ail, un chameau et des palmiers tous sont en harmonie
avec larrire plan choisi. De petits cadres, cercles, comme si ils sont
dessins par un artiste, comme on peut limaginer par la petite palette qui
contient diffrents couleurs et les pinceaux, un artiste qui fait son tableau
personnel, il le fait par des objets.
On peut constater par ses photos prises de chez elle en France, ses
objets ftiches que le lecteur dcouvre, ce que Leila Sebbar aime de quoi
104
Leila Sebbar. Mes Algrie en France, Carnet de voyage, Bleu autour, 2004. p.95
122
Interculturalit et iconotexte
elle rve, ce qui loccupe toujours, ce quelle garde comme mmoire vivante
qui dpasse le temps des objets qui peut tre seront oublis dpasss par le
temps, cest une femme qui se fabrique une mmoire personnelle par ses
objets, et qui se fait une autre collective par ses crits, ses images.
Dans ce roman on dcouvre le rve, le cauchemar, lespoir, la rvolte,
une crivaine qui a lu pour plusieurs auteurs qui voyage, qui cherche ou se
trouve lautre qui part pour le dcouvrir, et qui crit sur lAlgrie, sur les
immigrs, pour la femme, elle crit aussi pour ses surs trangres quelle
rencontre sur photos ou cartes postales :
Ces visages daursiennes dvoils de force, les
cheveux dcouvert, posant sur un tabouret devant le mur chaul
de la Mechta (il fallait tablir des cartes didentit pour contrler
les populations des villages de regroupement, le jeune appel
photographe devait en photographier jusqu' deux cent par jour),
ce livre, ces photos publies pour leur rendre tmoignage
mavaient bouleverse. Aujourdhui, je ne peux feuilleter lalbum
sans le dsir dcrire lhistoire de chacune, son regard. Jai crit
plusieurs nouvelles dont deux, peut tre trois de ces femmes sont
les hrones, elles ne le sauront pas et peut tre sont-ellemortes , Je nai pas parl. Plus tard jai crit des textes pour
elles, pour Catherine, Aicha, Fatima, Mrieme, en 1997 105,
Et lorsque Patrice Rtig me propose dcrire un texte pour le
livre Femmes dAfrique du nord, des cartes postales (1885- 1930)
que Jean-Michel Belorgey collectionne comme je le fais depuis
longtemps sans les montrer jamais, je comprends que ces
femmes sont des femmes du peuple de mon pre et la filiation
aurssinne, nomade, berbre, oranaise ou constantinoise, juive
ou turque simpose partout o je marche, je les vois, je les
entends. 106.
105
106
123
Interculturalit et iconotexte
1.2.d. Le rve :
Lcrivaine rve de Safia, cette fille sauvage qui joue avec les
garons, cette fille quelle rve de lui parler durant lenfance algrienne :
Safia libre de surveillance maternelle ou fraternelle,
libre de ses jours et de ses nuitsJe ne les regardais pas les
garons, seulement Safia, elle seule, qui ne savait pas quelle
tait ma rverie. Me voyait elle ? Les garons devaient lui montrer
la fille du matre, debout dans la cour contre le romarin en fleurs,
les abeilles ne leffrayaient pas, elles voletaient autour des
boucles noires, serresElle ne se demandait pas ou Safia vivait,
mangeait, dormait, si elle allait lcole, si elle avait des frres,
des surs, comme elle orphelins, Safia tait l, vivante, intrpide,
belle, lenfant ensauvage qui elle ne parlerait pas. Tout les
spare 107.
Ltrangre se tait, elle ne connat pas la langue, la fille du matre et
de la franaise ne peut dire aucun mots, elle ne fait rien que regarder
observer de loin, elle ne veux pas tre une trangre :
Les Algriennes que jappelle mes surs trangres,
je les voudrais surs de sang, de terre et de langue mais je reste
trangre, sans la gloire dtre ltrangre. 108.
Un autre rve celui dentendre la voix du conte, de lentendre dune
grand-mre dune tante, de lapprcier de vivre laventure la magie par la
voix, lendroit :
Jaurais pu, comme Nora, vingt ou trente annes plus
tard, masseoir contre le mur chaul, l o chantent les colombes
de la vieille tante, et couter les contes traduits par un ami. Mais il
ny a pas eu dami pour transmettre parce que le pre lui-mme
na rien transmis , Jaurais aim comme Nora, ensommeill
sur un grand tapis dAflou, fille prodigue, mendormir parmi les
miens dans les chants et les mots des femmes qui dessinaient
107
108
124
Interculturalit et iconotexte
les motifs de la tradition, pieds et mains rougis, dcors avec le
henn de la fte 109 .
Le manque et le cauchemar qui survient celui de la sparation de
lloignement :
Pour moi pas daeule pour des contes, pas mme de
lecture haute voix le soir, pre ou mre, dans la maison dcole,
pas dhistoires 110.
Elle rve aussi de retourner dans un pays loin de problmes de
cauchemar, de meurtre loin du noir loin des annes damertume elle a utilis
un titre significatif : Les figues de laube , qui symbolise le changement,
lespoir la page233 :
Je sais o jirai. Exactement.
On ngorgera plus de femmes, enfants, vieillards, des
familles, comme si une maldiction millnaire prenait acte
aujourdhui, Chlef, An Defla, ces noms de villages associs aux
crimes familiaux les plus terribles. Comment vivre pour celui ou
celle quia chapp- par quelle protection fortuite, divine ?- au
massacre des pre et mre, frre et sur, lanctre et lenfant
natre ?
Leau sera abondante et claire pour tous, pauvres et riches,
les fontaines ne seront plus taries, chaque famille sa maison et
son jardin, la boue et la puanteur des bidonvilles on les aura
oublies, on entendra des noms de fruits et lgumes du paradis
sur tous les marchs de la plaine et des monts, du dsert et des
plateaux, jusqu la mer, les anciens apprendront aux jeunes et
les matres aux disciples, pour le pays, le peuple tout entier, qui
voudra alors gorger lenfant, la femme, le vieux et la vieille ?Je
saurai que je peux revenir sans crainte ni mfiance au pays de
mon pre, au pays o je suis ne. Personne ne pourra me
linterdire. Jirai, je ne serai pas seule, mes surs avec moi, et
peut tre Safia, lorpheline sauvage, dans le village de lenfance.
109
Idem.p.56
110
Idem.p.58
125
Interculturalit et iconotexte
Les fleurs du jardin de ma mre, les asprges du jardin de mon
pre et ses abeilles. Nous serons assises sous la vranda et nous
mangerons les figues de laube. 111 .
1.2.e. Le cauchemar :
Leila Sebbar raconte aussi le cauchemar, les annes noires o
lAlgrie sombre, du terrorisme, de la peur la page 52 :
(Nora Aceval a entendu des rcits qui auraient pu
emprunter aux contes. En 2000, on lui a racont que des
assassins islamistes avaient oblig une mre manger le foie de
son fils quil venaient de tuer, dautres rcits plus terribles et bien
rels, ce qui faisait dire certains : Tu cherches des histoires
dogres et dogresses ? Tu apprendras que les ogres sont des
hommes cannibales. Les anciens les ont appels ogres , ce
sont des tres humains. ) 112.
Encore la page135 :
Kouba, deviendra au dbut des annes 90, trente ans
aprs lIndpendancece quartier populaire dAlger deviendra,
comme Belcourt et autres quartiers (o Albert Camus, Jacques
Derrida, ont shoot passionnment dans une balle de chiffons,
une boite de sardines vide), lun des hauts lieux de la nouvelle
guerre dAlgrie. Cette guerre sans noms o
les Ninjas
111
Idem.p.233
112
Leila Sebbar. Mes Algrie en France, Carnet de voyage, Bleu autour, 2004. p.56
126
Interculturalit et iconotexte
Elles manifestent, brandissant la photographie du fils, du mari, du
frre, et eux crient on ne peut pas nous tuer, on est dj
morts , les mots de Tahar Djaout, le pote assassin en 1993, ils
les crivent sur les banderoles et, sur les bandeaux noirs qui
ceignent
leur
front,
113
crits : LIBERT.
en
lettres
blanches
ils
ont
1.2.f. Le renouement :
Lela Sebbar femme de deux rives, un pre algrien et une mre
franaise. Lhistoire sanglante des deux pays, la relation entre colonis et
colonisateur, avait pour rsultat la sparation, la rupture. Aprs toutes ces
annes en France, elle na pas oubli lAlgrie au contraire elle la dcouvert.
Elle casse le silence, elle est toujours li au pays de lenfance, et elle
cherche recoudre ces liens, le lecteur peut bien le constater par la photo de
113
Idem.p.138
114
Idem.p.102
127
Interculturalit et iconotexte
singer , la machine coudre, les textes de son roman sont lis lun
lautre malgr leur diffrence, il semble tre tisser, ce nest rien que les titres
qui les sparent, un texte est tymologiquement un tissu, Leila Sebbar pose
par son uvre de tisser , ou de retisser des liens, son livre est
un ouvrage fminin comme on disait dans les magazines des annes
cinquante, elle reprend la mtaphore traditionnelle de la femme comme celle
qui tisse en effet les rapports humains (Marivaux disait que sont les femmes
qui civilisent les hommes), lintrieur de la famille et au-del, surtout dans
les familles dchires , comme lAlgrie et la France.
Elle donne lexemple de la bonne socit en voquant les abeilles, les
cigognes, qui appartient aux deux rives, qui unissent les espaces spars
par la terre par les hommes.
Elle crit deux rcits de fictions ou elle voque une certaine nostalgie,
les histoires se droulent en France, Papier dorange la page 224, un
homme pauvre qui garde en lui soigneusement un papier dorange quil aime
voir, quil garde dans un portefeuille, plutt que regarder la photo dune jolie
fille coll au mur que ses compagnons aiment voir, elle crit :
De la dernire poche en cuir dur, lhomme sort,
dlicatement, un papier pli, fin comme du papier de soie, peine
gaufr. Sur un journal pais, peut-tre deux, il ouvre le carr
transparent et lger. Ne pas le dchirer. Il sapplique. Au milieu,
lorange, belle, ronde, une sanguine. A petits coups patients, il la
fait briller 115.
Et un autre texte la page228, Mes rigoles , le hro qui nettoie les
rues, les objets quil rencontre chaque jour le balai quil utilise lui rappellent le
pays :
Mon balai grandes palmes vertes (chez moi on
fabrique les toits de maisons avec des palmes, un palmier cest
comme un mouton, rien ne se perd), et je vais par la ville, de
rigole en rigole 116 .
Et plus loin :
115
Leila Sebbar. Mes Algrie en France, Carnet de voyage, Bleu autour, 2004. p.224
116
Idem.p.228
128
Interculturalit et iconotexte
Parfois des morceaux de papier passent sur leau, mes
plumes sont dlicates, elles ne les corchent pas, elles les
laissent aller, moi je les regarde, je reconnais les lettres de mon
pays, ce bel alphabet que je ne comprends pas, mais je sais, leau
de mes rigoles le sait, les palmes vertes le savent, ces papiers
avec leur message iront jusqu Nantes, Bordeaux, lOcan et
aprs, loin, trs loin, Casablanca, Nouakchott et le fleuve
Sngal 117, Cest le retour la liaison, le renouement.
Et par les images elle raconte une autre histoire avec une autre langue
pas celle de sa mre, pas de la langue de lcrit une autre langue que Leila
Sebbar ne connat pas, pourquoi devenir un crivain, Jean Pierre Montier va
mieux nous expliquer dans ce passage, limportance de ces images:
Idem.p.230
129
Interculturalit et iconotexte
ni la forte tradition. Or, crire une autobiographie nest pas
seulement dcider dassumer le cours de sa vie passe, cest
aussi pose une sorte de prise du pouvoir, un acte de conqute de
la figure mme de lcrivain telle quune langue et une culture
donnes lon labore. Une prise de pouvoir symbolique que Leila
Sebbar ralise dans les faits tout en semblant ne pas vouloir
laccomplir tout fait. Ce qui ne signifie pas que son entreprise
littraire serait dfaillante ou mal matrise, au contraire ; mais elle
crit dun point de vue non autoritaire, elle marque une rserve,
juste assez pour quil sagisse l dune manire dtre dans la
langue
maternelle,
le
franais,
langue
dune
littrature
118
France, de L. Sebbar. A paratre dans les actes du Colloque de Tunis sur lautobiographie
fminine, direction Ridha Bougherra, fvrier 2008.
130
Chapitre 2
Une criture contre loubli
131
Interculturalit et iconotexte
132
Interculturalit et iconotexte
consquences sur la vie de lcrivaine, elle a vcu la sparation cause de
la guerre, une amnsie impose par la dcision du pre, qui ne veut pas
parler sa langue, qui veut tout oublier et ne veut rpondre aux questions de
sa fille, mais le pre na pas su que sa fille cassera le silence comme on le
dcouvre dans ses uvres des thmes obsessionnels qui simposent peut
tre de peur quelle oublie ou quelle vit encore dans la sparation.
Elle a crit dans la quatrime de couverture de son roman Je ne parle
pas la langue de mon pre :
Mon pre, lAlgrien, le matre dcole, ne ma pas appris
la langue de son peuple. Il ne ma pas appris la langue de sa
terre, de sa mre. Il sest tenu loin dans le silence. De son roman
familial algrien, je nai rien su. Mon pre est mort. Aprs toutes
ces annes dexil, dhistoires racontes, crites pour dcouvrir,
comprendre ce qui na pas t dit, cest par les femmes et les
hommes de son peuple, qui parlaient sa langue, que je tente
dapprocher mon pre, ltranger bien-aim.
Un travail de mmoire qui sest impos moi, vital.119
Elle a toujours en elle le souvenir de lenfance qui ne reprsente
quune seule partie parmi dautres. Elle fille dun instituteur algrien et dune
mre franaise, qui ont choisi dapprendre la langue de la rpublique aux
enfants, la langue de la mre, on le dcouvre dans son roman Larabe
comme un chant secret:
Et mon pre ? Mon pre est fier, je crois, de sa petite
France quil transporte dun poste lautre dans la maison dcole
que lingniosit de sa femme transforme en maison chaleureuse
et gnreuse. On le flicite- Le jardin, les enfants-dans la
langue de la France, jamais dans la langue du pays indigne .
Dans la maison de sa femme, mon pre ne parle pas la langue de
sa mre. Il est arabe et je ne sais pas quil est arabe. Il est dabord
mon pre, attentif, prsent, patient (son nom mme le dit mais je
lignore), et matre dcole, il rsout magiquement les problmes
119
Leila Sebbar. Je ne parle pas la langue de mon pre, rcit, Julliard, 2003.
Quatrime de couverture
133
Interculturalit et iconotexte
dont je lis et
120
Leila Sebbar. Larabe comme un chant secret, Rcit, Bleu atour, .p.43.44
121
134
Interculturalit et iconotexte
entre franais et indigne. Les murs qui taient diffrents, les coutumes la
culture, la religion, la langue tous les sparent. Lenseignement dans cette
priode, pour les indignes, ils ont leurs enseignements spciaux religieux
qui consistent apprendre les versets du livre sacr, laide dune
planchette. Pour lenseignement qua programm la rpublique aux
indignes, on trouve des documents qui lient entre les deux nations
algrienne et franaise, des livres dhistoire qui combinent lhistoire des deux
pays. Lexemple dalgriens qui ont subit le mme rgime cest son pre qui
devient par la suite un instituteur dans la rpublique, et qui va la spare de
la langue, des corps et de tous ce qui est reprsentait un problme
lpoque, elle qui a trouv le refuge dans les livres pour oublier, casse le
silence par ses livres par lcriture, elle sest fix un but dapprocher la vrit,
dentendre par les images le son de la voix du peuple de son pre.
Elle crit une mmoire collective aussi bien que pour les algriens ou
les franais, elle crit pour les deux, une mmoire qui traite des sujets
sensibles, pour les deux rives quelle rveille aprs toutes ces annes du
silence, comme ceux de Maurice Audin, lOAS, le FLN, les Harkis, les Juifs
qui ont quitt lAlgrie la veille de lindpendance, les chibanis, les beurs
qui ne veulent plus retourn au pays des pres, les femmes Algriennes
aprs lindpendance, la dcennie noire.
Dans son recueil Le peintre et son modle,( il contient huit nouvelles),
elle raconte ce nouvel orient, dcouvert par loccident, et elle rveille la
mmoire au dbut de chaque nouvelle, en commenant par Pour Et
chaque fois elle cite une personne qui a une relation avec lhistoire des deux
rives, ou un endroit quelle a visit en France et qui raconte une partie de
lhistoire des deux nations, pour chaque personne elle crit une histoire, et
la fin la dernire nouvelle le rve du retour au pays natalLe livre du retour
au pays natal.
Un autre livre quelle crit Larabe comme un chant secret, ou elle
raconte son pre Ltranger bien aim, elle raconte la sparation,
lloignement. Elle et ses surs qui taient poursuites par des garons
indignes qui les insultaient sur le chemin de lcole, elle ne comprend de
cette langue que ces mots qui lagressaient, qui laissent entendre une
violence, elle raconte cette complexit de sentiments quelle ressent comme
135
Interculturalit et iconotexte
un tre partag et priv de lautre. La langue, le pre lont spar des
femmes, elle raconte comment elle les a rencontr :
Mon pre ma tenue loin delles mais leurs voix
parvenaient jusqu' moi et je suis alle les chercher de lautre ct
de la rive. Elles taient l de corps et de langue et je les ai
dcouvertes, derrire le rideau des maisons secrtes et des
studios trangers o des photographes curieux fascins venaient
voler leur belle image. Elles sont l sous lil de qui veut les voir
(mon pre ne les aurait pas regardes comme je le fais). Je les ai
entendues, patiente, indiscrte, dans la langue de mon pre,
travers les squares, les tours et les barres des cits. Elles
portaient encore les robes et les foulards fleurs collines,
montagnes et plateaux dplacs sur la rive trangre, dans la
langue trangre- avec leur flanc des enfants qui bientt ne
voudraient plus voir les fleurs de leurs mres devant lcole, le
dispensaire ou la mairie, ni entendre les mots quil croyaient les
mots des pauvres (qui serait l un jour pour les convaincre du
contraire ?). mon pre qui ma tenue loin delles, je donne ces
femmes, les femmes de son peuple quil a quitt (il a dfendu sa
libert dans la guerre dindpendance mais il la quitt). Ces
femmes avec qui je nai pas habit mont habite comme si jtais
ne avec elles, comme si je les porte et quelles me parlent dans
une langue que jentends sans la comprendre, jai le son, je nai
pas besoin du sens, il est pour ainsi dire dj l, je sais ce quelles
disent, je ne crois pas me tromper. Elles me soufflent leurs mots.
Un ange ma droite, un ange ma gauche, elles sont mes
anges. Mon pre aurait peu tre dit non ces femmes que je lui
donne, refusant le rle de patriarche et ses contraintes
ancestrales, ses filles auraient t prives de lcole, du livre, du
savoir rservs aux garons, ou il aurait fallu une belle fortune
quil navait pas pour les matres domiciles122
122
136
Interculturalit et iconotexte
Elle crit dans la mme uvre la raison pour laquelle elle crit, et
comment elle raconte son histoire par des fragments qui la soulagent et qui
donnent des rponses ses questions, qui comblent le manque, elle avoue:
Joffre mon pre non pas son peuple sur sa terre et
dans sa langue mais des fragments du corps algrien dans le
silence de lexil, dans lexil de lautre langue et de son cole
hospitalire, sur la rive franaise de sa femme revenue au pays
natal sans avoir jamais quitt sa langue, peut-tre la mer, ctait la
mer de lenfance Tns, la mer circulaire que rien ne spare
delle-mme, peut-tre la mer a-t-elle roul laccent maternel en
mme temps que le corps nageur et heureux de mon pre en
Mditerrane ? Il a refus de sloigner de son rivage. Et lorsquil
senfermait dans sa maison paysanne du beau pays de France, la
Dordogne de ma mre, avec ses rivires, il sasseyait sur la pierre
plate, sa pierre sous la treille, et il lisait, ce quil lisait je ne saurais
le dire mais lhomme du livre quil tait me faisait penser au jeune
homme mditant sous lolivier centenaire de la colline qui regarde
le Cap de Tns. Mon pre a donn ses enfants sa femme, la
France, la langue damour qui la reu comme matre dcole
modle, il lui a donn le meilleur et sa jeunesse, ses lans
didaliste rpublicain, malade de justice et dgalit. Il ne pouvait
pas tre de Juste dans la langue de sa mre ? Ou elle tait l,
prsente en sur jumelle, et je ne le savais pas ? Je ne le sais
pas ?
Je traduis lAlgrie, je traduis mon pre dans la langue de
ma mre. Je lui fabrique, je me fabrique une famille immense des
deux cts de la mer. Je crois ainsi rtablir une filiation rompue.
Cest cette filiation que joffre mon pre. Je ne lai pas rencontr.
Ce serait la fin de lintranquillit. La srnit ? Je ncrirais plus.
Jajoute, jy pense linstant, que la langue de mon pre,
absente, entendue, perdue, retrouve, jamais parle, sa langue
est l malgr le silence volontaire, elle est l, sdimente,
personne ne me lenlvera. Je lentends comme une musique,
une langue sacre. Je sais, il y a la mort, la mienne. Et les livres
137
Interculturalit et iconotexte
crits ne suffisent pas, ils quittent un jour les rayons publics,
privs. O ils finissent ? Papier recycl, soldes, bouquinistes au
mieux, et nouveauIls finissent aussi poussire, cest possible,
la poussire revient la poussire. Cette langue arabe que les
autres et moi aussi, longtemps, ont cru trangre, hostile parfois
et dangereuse, larabe de mon pre donne motion, chant profond
la langue de ma mre. Jai laiss venir la langue arabe et elle
est venue, souple et ronde, avec des clats de rires et des
colres. Elle est venue et je laccueille. Comme mon pre la
langue de la France. Comme mon pre la langue de la France,
jaccueille ltrangre du pays natal, je la veux trangre avec la
distance familire et complice de lamour, larabe de ltranger
bien aim, mon pre123.
Elle crit les identits croises en parlant de beurs qui ont russi leurs
vies au sein de la socit franaise, elle les cite comme des exemples, dans
ses uvres comme Zidane, Rachid Khimoum, Boudjelal quelle rencontre en
France. Elle raconte les femmes intellectuelles crivaines qui suivent les
trace du conte ancestral, qui connaissent cette belle voix du conte, et des
femmes conteuses, comme le montrent les photos de vieilles femmes
conteuses algriennes, tatoues, les robes motifs de fleurs et les mains
teints de henn:
Les femmes savantes, attentives, veilleuses, mes
amies, je les entends aussi, je les lis. Femmes dAlger, Sidi belabbs, Montpellier, Paris, elles tissent les mots des revues
quelles
fabriquent:
Prsence
de
femmes,
Etoiles
123
124
Leila Sebbar. Mes Algrie en France, Carnet de voyage, Bleu autour, 2004. p.50
138
Interculturalit et iconotexte
Cest
le
plaisir
du
conte,
la
rptition
et
les
une
tradition
sculaire,
les
femmes
de
ce
125
126
139
Interculturalit et iconotexte
Le mythe photographique de la Mauresque
La production de cartes postales coloniales rserve une
large
part
aux
femmes
rpertories
sous
lappellation
en
scne
photographique
persiste
recrer
la
127
140
Interculturalit et iconotexte
oranaise ou constantinoise, juive ou turque simpose partout o je
marche, je les vois, je les entends128.
Dans ce livre, des cartes postales de femmes en diffrentes poses,
diffrentes races, comme femme Kabyle, femme du sud, femme juive ou
algroise qui peuplent ce livre Femmes dAfrique du nord, diffrentes
parures, qui marquent la diffrence des coutumes de plusieurs rgions en
Algrie, elle fait des tudes sur ces femmes:
la photographie et la carte postale, orientaliste puis
coloniales, nont donc pas seulement t les supports dune vision
fictionnelle des femmes dOrient; elles ont aussi t vhicules
idologiques dune image stigmatisante de la fminit orientale,
prsentant la sexualit comme rvlatrice dun tat de civilisation
infrieur. Guy de Maupassant nest pas en reste. A propos de
lAlgrienne Allouma, il crit en 1889:je ne laimais pas, non, on
aime points les filles de ce continent primitif (). Elles sont trop
prs de lanimalit humaine; elles ont un cur trop rudimentaire,
une sensibilit trop peu affine pour veiller dans nos mes
lexaltation sentimentale qui est la posie de lamour. Rien
dintellectuel, aucune ivresse de la pense ne se mle livresse
sensuelle que provoquent en nous ces tres charmants et nuls. Il
trace ainsi une frontire entre lui et elle, dfinissant par l
mme ce qui est suprieur, la masculinit occidentale et ce
qui est infrieur, la fminit orientale.
Allouma est dlgitime commeanimalet rudimentaire,
cest--dire comme moralementarchaque et sexuellement
sauvage. Le primitivisme des murs, trs nettement inscrit
dans un darwinisme social mis au service dune hirarchisation
raciale
des
peuples
et
dune
colonisation
profondment
128
Leila Sebbar. Mes Algrie en France, Carnet de voyage, Bleu autour, 2004. p.48-
52
141
Interculturalit et iconotexte
Pour dmontrer la crdibilit et la vracit de laccusation
de primitivisme, il faut catgoriser et spcifier diffremment.
Apparat alors, dans le champ sans cesse en renouvellement de
la photographie et de la carte postales coloniales, une nouvelle
manire de faire, de dire et de voir, diteethnographique: on
construit un certain nombre de type ethniques de femmesarabe, Berbre, Mauresque- lOrientale. Que les
femmes dsignes comme Bdouines, Kabyle, Algroises
soient gnralement des modles (danseuses, chanteuses ou / et
prostitus) nayant souvent rien avoir avec la dnomination
spcifie nenlve rien la pertinence de la construction en tant
que telle. En effet, lappellation ethnique sert dabord lgitimer
limage fantasmatique et racialise de la femme figure; cest
uniquement
pour
cela
quelle
mobilise
lattirail
habituel
galement
scientifique.
Le
recours
la
science
des
communauts
mentionnes,
et
les
de
studios
mais
la
ralit
quotidienne
de
ces
femmes129
Elle qui connat lamertume de la guerre, ncrit pas uniquement aux
Algriens et aux Franais, elle crit aussi pour lOrient bless, pour les
Palestinien et les Israliens qui sont en guerre infinie qui sme la sparation,
et des conflits infinis entre les deux nations. Lcrivaine a souffert de la
guerre, elle connat ce got amer, connat cette dchirure, elle essaye donc
de recoudre par lcrit, de raliser lamiti par la fiction elle crit:
129
142
Interculturalit et iconotexte
Une abeille, Jrusalem, se pose sur les cheveux roux
de la jeune juive, Yal, prs de Julien qui pense Schrazede,
disparue130
Et dans Le peintre et son modle elle crit un texte en hommage la
Palatine quelle intituleIls seront maudits131, et dans ce texte elle dnonce
la politique exerce dans ce pays divis, dchir.
Elle fait revivre lorient par lhrone des contes des milles et une nuit,
celle qui est arrive arrter les crimes de lhomme par la magie de ses
contes. Une beurette appel Sharazed raconte lhistoire des immigrs
des gnrations qui sont en France loin des pays des pres. Elle cherche
lorient dans la maison de Pierre Loti, elle raconte Julien ses aventures elle
lui envoie des lettres, qui elles aussi voyagent par le temps dpassent
lespace la recherche des rponses pour lier tout les continents pour
casser toutes les frontires, pour des moments idales dcriture.
Elle crit aussi en mmoire de soldats qui sont morts sur le champ de
bataille pour la France, morts seuls et personne ne leur donnera de
limportance, comme elle crit dans Larabe comme un chant secret:
aux pied des soldats noirs, cette adresse du pote
africain Lopold Sdar Senghor:
Passant,
Ils sont tombs
Fraternellement
Pour que tu restes Franais
Depuis 1993, on se promne dans les alles funbres de
limmense Mmorial des guerres en Indochine o salignent les
listes murales des noms arabes, berbres, africains, indochinois,
franais quelques-uns, on lit, on dchiffre des noms exotiques, on
entend pas les langues. Ils sont tous morts, les soldats. Sur une
dalle, entrs des colonnes de silence:
130
Leila Sebbar. Mes Algrie en France, Carnet de voyage, Bleu autour, 2004. p.236
131
p.35
143
Interculturalit et iconotexte
ICI REPOSENT LES CORPS DE
1352 MILLITAIRES MORTS POUR
LA France EN INDOCHINE
1939-1954
Ces cimetires sontles villages ngres de larme
coloniale mais des villages ternels en beau marbre blanc132
Elle crit un texte dans Le peintre et son modle, pour rendre
hommage ces soldats:
la phrase est langue il retient les derniers mots:la
France reconnaissante.
Il dit:cest quoi reconnaissante ? le pre rflchit.
Comment expliquer la phrase pitaphe, lhommage funbre de la
Mre- Patrie133
Leila Sebbar rend hommage aux crivains comme Kateb Yacine et
Isabelle Eberhardt dans son romanLe peintre et son modle, elle crit un
texte Pour Kateb Yacine intitul La femme arrte sous un arbre134
Le retour Tns le figuier de la maison des anctres cest le rve,
entendre les tourterelles de la vieille tante aux yeux verts et entendre le
chant de la langue de son pre raconter sa beaut son secret dans la langue
de sa mre, elle le raconte dans toutes ces uvres. Le lecteur revoit dans
ces dernires les mmes images que Leila Sebbar ne veut pas oublier, elle
veut les raconter, recoudre cette sparation. Voyant des photos de femmes,
des milieux dont elle fut spare, des milieux quelle a rencontr sur les
images, ou dans les livres quelle a lu. Les gens quelle a connus dans le
domaine de lcriture.
Elle fait son travail de mmoire pour crire le pass oubli, elle ne veut
pas apprendre la langue du pre, elle veut se renouer avec elle par les
132
133
134
p.30
144
Interculturalit et iconotexte
images le son du beau accent, elle avoue dans Je ne parle pas la langue de
mon pre:
je napprendrai la langue de mon pre.
Je veux lentendre, au hasard de mes prgrinations.
Entendre la voix de ltranger bien-aim, la voix de la terre et du
corps de mon pre que jcris dans la langue de ma mre135
135
Leila Sebbar. Je ne parle pas la langue de mon pre, rcit, Julliard, 2003.p. 125
145
Conclusion
146
147
Interculturalit et iconotexte
femmes, leurs habits, le henn sur les mains, les tatouages dessins sur le
front, les robes ornes par les fleurs, les bijoux qui ont diffrentes
appellations.
Les photos de femmes assises sur le tapis, des conteuses qui
transmettent de gnration en gnration le culte la langue et la ralit. La
magie de cette langue orale que lauteur ne veut pas apprendre, elle veut
lentendre comme un chant secret par ces femmes algriennes ses surs
trangres quelle rencontre partout o elle va.
Aprs des annes de sparation, de rupture, elle tisse le renouement,
elle veut parler et dire tout ce qui est cach pour pouvoir continuer le chemin.
Comprendre pour pouvoir dpasser les obstacles et vivre en paix avec soi,
cet tre divis entre les deux rives ; elle crit la fin de lun de ses romans
Le peintre et son modle :
avec mes surs, nous habiterons une maison, pierre
contre sable, la mer battrait les murs, et les vagues en tempte
menaceraient les bougainvilles rouges de la terrasse. Nous irions,
les trois surs, ensemble, seules, sur le rivage, au crpuscule.
Sur la table en bois de cdre, au pied du figuier, lheure de
la sieste, leau de la fontaine, je lentends depuis toujours. Jcrirais.
La maison.
Les surs avec les servantes.
La mer, la seule mer.
Et le cimetire marin
Le pays natal 136
Elle crit le rve, elle crit contre loubli, elle crit le retour.
136
p.58
148
Bibliographie :
I.
2003.
Leila Sebbar. Larabe comme un chant secret, Rcit, Bleu atour.
Leila Sebbar. Le peintre et son modle, Nouvelles du Maghreb, Al
Manar, 2007.
Leila Sebbar. Mes Algries en France, Bleu autour, 2004
II.
Ouvrages cits :
b)
Article cit :
c)
Sites Internet :
http://gaste.univ-tln.fr/preao/semio.pdf
http://www.linguistiquefrancaise.org/index.php?option=article&access=
standard&Itemid=129&url=/articles/cmlf/pdf/2008/01/cmlf08037.pdf
149
Interculturalit et iconotexte
III.
Ecriture fragmentaire :
a)
Sites Internet :
http://www.fabula.org/
IV.
Ecriture autobiographique :
a)
Ouvrages cits :
b)
Article cit:
V.
150
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