L'archipel en Feu by Verne, Jules, 1828-1905
L'archipel en Feu by Verne, Jules, 1828-1905
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Language: French
Jules Verne
L'ARCHIPEL EN FEU
(1884)
I Navire au large
II En face l'un de l'autre
III Grecs contre Turcs
IV Triste maison d'un riche
V La c�te mess�nienne
VI Sus aux pirates de l'archipel!
VII L'inattendu
VIII Vingt millions en jeu
IX L'archipel en feu
X Campagne dans l'archipel
XI Signaux sans r�ponse
XII Une ench�re � Scarpanto
XIII � bord de la �Syphanta�
XIV Sacratif
XV D�nouement
I
Navire au large
Mais ce qui ne pouvait se voir d'en bas pouvait se voir d'en haut,
c'est-�-dire du sommet de ces cr�tes qui dominent le village.
Vitylo est construit en amphith��tre sur d'abruptes roches que
d�fend l'ancienne acropole de K�lapha. Au-dessus se dressent
quelques vieilles tours en ruine, d'une origine post�rieure � ces
curieux d�bris d'un temple de S�rapis, dont les colonnes et les
chapiteaux d'ordre ionique ornent encore l'�glise de Vitylo. Pr�s
de ces tours s'�l�vent aussi deux ou trois petites chapelles peu
fr�quent�es, desservies par des moines.
�Eh! qu'y a-t-il, p�re, qu'y a-t-il?� s'�cria l'un des marins, en
courant vers lui.
�Eh! parle donc, p�re, parle donc!� s'�cria un vieux marin, nomm�
Gozzo, plus impatient que les autres, comme s'il e�t devin� ce que
venait annoncer le moine.
Or, si les Maniotes, � l'heure qu'il est, sont encore des demi-
sauvages, il est ais� de s'imaginer ce qu'ils devaient �tre, il y
a cinquante ans. Avant que les croisi�res des b�timents � vapeur
n'eussent singuli�rement enray� leurs d�pr�dations sur mer,
pendant le premier tiers du ce si�cle, ce furent bien les plus
d�termin�s pirates que les navires de commerce pussent redouter
sur toutes les �chelles du Levant.
Et pr�cis�ment, le port de Vitylo, par sa situation � l'extr�mit�
du P�loponn�se, � l'entr�e de deux mers, par sa proximit� de l'�le
de C�rigotto, ch�re aux forbans, �tait bien plac� pour s'ouvrir �
tous ces malfaiteurs qui �cumaient l'Archipel et les parages
voisins de la M�diterran�e. Le point de concentration des
habitants de cette partie du Magne portait plus sp�cialement alors
le nom de pays de Kakovonni, et les Kakovonniotes, � cheval sur
cette pointe que termine le cap Matapan, se trouvaient � l'aise
pour op�rer. En mer, ils attaquaient les navires. � terre, ils les
attiraient par de faux signaux. Partout, ils les pillaient et les
br�laient. Que leurs �quipages fussent turcs, maltais, �gyptiens,
grecs m�me, peu importait: ils �taient impitoyablement massacr�s
ou vendus comme esclaves sur les c�tes barbaresques. La besogne
venait-elle � ch�mer, les caboteurs se faisaient-ils rares dans
les parages du golfe de Coron ou du golfe de Marathon, au large de
C�rigo ou du cap Gallo, des pri�res publiques montaient vers le
Dieu des temp�tes, afin qu'il daign�t mettre au plein quelque
b�timent de fort tonnage et de riche cargaison. Et les caloyers ne
se refusaient point � ces pri�res, pour le plus grand profit de
leurs fid�les.
�Navire en vue!�
�Eh! la mis�re est pour nous et le diable s'en m�le! dit Gozzo, en
lan�ant un de ces jurons polyglottes dont il accentuait toutes ses
phrases. Nous n'aurons l� qu'une felouque...
Mais, si, pour les marins de Vitylo il n'y avait plus aucun doute
sur ce point que la sacol�ve donnait dans le golfe, ils ne
laissaient pas de se demander si ce serait � destination de leur
port.
-- Ou pour Kalamata?�
Ces deux mots furent bient�t jet�s par le vieux marin, dont le
bras, arm� d'une main crochue, se lan�a vers le petit b�timent
comme un grappin d'abordage.
Cela n'�tait pas pour satisfaire tous ces m�cr�ants. Ils avaient
int�r�t � ce que le navire qu'ils convoitaient se jet�t sur
quelque roche. En ces conjonctures l'�cueil se faisait volontiers
leur complice. Il commen�ait la besogne, et ils n'avaient plus
qu'� l'achever. Le naufrage d'abord, le pillage ensuite: c'�tait
leur fa�on d'agir. Cela leur �pargnait une lutte � main arm�e, une
agression directe, dont quelques-uns d'entre eux pouvaient �tre
victimes. Il y avait, en effet, de ces b�timents, d�fendus par un
courageux �quipage, qui ne se laissaient point impun�ment
attaquer.
Au m�me instant, ce feu �tait remplac� par un autre feu, qui fut
plac� tout d'abord dans la m�me direction; mais, si le premier,
immobile sur le m�le, indiquait un point toujours fixe pour le
navigateur, le second, gr�ce � sa mobilit�, devait l'entra�ner
hors du chenal et l'exposer � donner contre quelque �cueil.
�Aux canots!� dit le vieux Gozzo, dont les ordres n'�taient jamais
discut�s, surtout quand il commandait le pillage.
Ainsi s'explique la r�ception qui fut faite � cet homme par les
habitants de Vitylo, pourquoi il leur imposa rien que par sa
pr�sence, comment tous abandonn�rent ce projet de piller la
sacol�ve, lorsqu'ils eurent reconnu celui qui la commandait.
�Que ces dix hommes, dans une heure, soient � bord de la _Karysta_,
ajouta le capitaine.
Depuis dix ans, la maison avait donc �t� abandonn�e par le fils,
depuis six ans par la m�re. On disait dans le pays, cependant,
qu'Andronika y �tait quelquefois revenue. On avait cru, du moins,
l'apercevoir, mais � de rares intervalles et pour de courts
instants, sans qu'elle e�t communiqu� avec aucun des habitants de
Vitylo.
Quant � Nicolas Starkos, jamais avant ce jour, bien qu'il e�t �t�
ramen� une ou deux fois au Magne par le hasard de ses excursions,
il n'avait manifest� l'intention de revoir cette modeste
habitation de la falaise. Jamais une demande de sa part sur l'�tat
d'abandon o� elle se trouvait. Jamais une allusion � sa m�re, pour
savoir si elle revenait parfois � la demeure d�serte. Mais �
travers les terribles �v�nements qui ensanglantaient alors la
Gr�ce, peut-�tre le nom d'Andronika �tait-il arriv� jusqu'� lui --
nom qui aurait d� p�n�trer comme un remords dans sa conscience, si
sa conscience n'e�t �t� imp�n�trable.
Mais alors le sang lui monta aux yeux. Il vit �rouge� comme on
dit, mais rouge de feu. Cette maison, qu'il voulait visiter encore
une fois, il n'osait plus y entrer. Il lui semblait que son p�re,
sa m�re, allaient appara�tre sur le seuil, les bras �tendus, le
maudissant, lui, le mauvais fils, le mauvais citoyen, tra�tre � la
famille, tra�tre � la patrie!
Cette femme avait une figure �nergique, avec de grands yeux noirs
d'une vivacit� un peu sauvage, un teint h�l� comme celui des
p�cheuses du littoral. Sa taille �tait haute, droite, bien qu'elle
f�t �g�e de plus de soixante ans.
III
Pendant pr�s de deux cents ans, on peut dire que la vie politique
de la Gr�ce fut absolument �teinte. Le despotisme des
fonctionnaires ottomans, qui y repr�sentaient l'autorit�, passait
toutes limites. Les Grecs n'�taient ni des annex�s, ni des
conquis, pas m�me des vaincus: c'�taient des esclaves, tenus sous
le b�ton du pacha, avec l'iman ou pr�tre � sa droite, le djellah
ou bourreau � sa gauche.
Une autre grande figure doit �tre plac�e au m�me rang que cette
vaillante Hydriote. Toujours m�mes faits amenant m�mes
cons�quences. Un ordre du sultan fait �trangler � Constantinople
le p�re de Modena Mavroeinis, femme dont la beaut� �galait la
naissance. Modena se jette aussit�t dans l'insurrection, appelle �
la r�volte les habitants de Mycone, arme des b�timents qu'elle
monte, organise des compagnies de gu�rillas qu'elle dirige, arr�te
l'arm�e de S�mil-Pacha au fond des �troites gorges du P�lion, et
marque brillamment jusqu'� la fin de la guerre, en harcelant les
Turcs dans les d�fil�s des montagnes de la Phthiotide.
Ce fut dans ces circonstances qu'au mois d'ao�t 1827, elle revint
dans les provinces du Magne. Elle voulait revoir sa maison de
Vitylo. Un singulier hasard y ramenait son fils le m�me jour... On
sait le r�sultat de la rencontre d'Andronika avec Nicolas Starkos,
et comment ce fut une supr�me mal�diction qu'elle lui jeta du
seuil de la maison paternelle.
IV
On sait que, depuis 1815, par suite des trait�s qui portent cette
date, le groupe des �les Ioniennes avait �t� plac� sous le
protectorat de l'Angleterre, apr�s avoir accept� celui de la
France jusqu'en 1814.[2]
Henry d'Albaret avait press� la main que lui donnait Hadjine comme
gage de ses sentiments.
�Je vous remercie de toute mon �me! r�pondit-il. Oui! nous sommes
bien l'un � l'autre... d�j�! Et si notre s�paration n'en est que
plus p�nible, du moins emporterai-je cette assurance avec moi que
je suis aim� de vous!... Mais, avant mon d�part, Hadjine, je veux
avoir parl� � votre p�re!... Je veux �tre certain qu'il approuve
notre amour, et qu'aucun obstacle ne viendra de lui...
Quelques jours avant, ainsi que cela avait �t� convenu, le jeune
officier vint trouver Elizundo et lui demanda la main de sa fille.
Il ne lui cacha pas qu'Hadjine serait heureuse qu'il voul�t bien
approuver sa d�marche. D'ailleurs, il ne s'agissait que d'obtenir
son assentiment. Le mariage ne serait c�l�br� qu'au retour d'Henry
d'Albaret. Son absence, il l'esp�rait du moins, ne pouvait plus
�tre de longue dur�e.
Tout cela fut dit assez froidement, mais l'important �tait que
cela e�t �t� dit. Henry d'Albaret avait maintenant la parole
d'Elizundo, et, en �change, le banquier re�ut de sa fille un
remerciement qu'il prit avec sa r�serve accoutum�e.
Tout semblait donc aller pour la plus grande satisfaction des deux
jeunes gens, et, il faut ajouter, pour le plus parfait
contentement de Xaris. Cet excellent homme pleura comme un enfant,
et il e�t volontiers press� le jeune officier sur sa poitrine!
-- Oui!... Oui!
La c�te mess�nienne
-- Si.
-- Quand cela?
-- Mais o� est-il?
�On voit bien que nos amis les �gyptiens ont pass� l�! murmura
Nicolas Starkos, qui n'�prouva m�me pas un serrement de coeur
devant cette sc�ne de d�solation.
Skop�lo �tait bien l'homme d'affaires qu'il fallait pour g�rer les
int�r�ts de ces pirates de l'Archipel, tr�s habile � s'occuper du
placement des prises, de la vente des prisonniers livr�s sur les
march�s turcs et transport�s aux c�tes barbaresques.
-- Aucune, en effet.
-- Vous n'avez rel�ch� nulle part depuis que vous avez quitt�
Tripoli? demanda Skop�lo.
-- On en parlera!�
Nicolas Starkos s'�tait lev�, apr�s avoir vid� son verre que
Skop�lo remplit de nouveau. Il marchait de long en large; puis,
s'arr�tant devant la fen�tre, les bras crois�s, il �coutait le
grossier chant des soldats turcs qui s'entendait au loin. Enfin,
il revint s'asseoir en face de Skop�lo, et, changeant brusquement
le cours de la conversation:
-- O� sont-ils?
-- Peuh!
VI
Le vent �tait bon, une brise de terre bien �tablie que lui
envoyait le sud-est. Aussi, la sacol�ve, sous ses bonnettes de
hunier et de perroquet, fendait-elle rapidement les eaux de Zante,
presque aussi tranquilles alors que celles d'un lac.
Cette �le, de huit lieues de long sur une lieue et demie de large,
singuli�rement rocheuse, superbement sauvage, riche de l'huile et
du vin qu'elle produit en abondance, compte une dizaine de mille
habitants. Sans histoire personnelle, elle a pourtant laiss� un
nom c�l�bre dans l'antiquit�. Ce fut la patrie d'Ulysse et de
P�n�lope, dont les souvenirs se retrouvent encore sur les sommets
de l'Anogi, dans les profondeurs de la caverne du mont Saint-
�tienne, au milieu des ruines du mont Oetos, � travers les
campagnes d'Eum�e, au pied de ce rocher des Corbeaux, sur lequel
durent s'�couler les po�tiques eaux de la fontaine d'Ar�thuse.
Ce qui avait �t� dit par ces Anglais et ces Corfiotes n'avait rien
d'exag�r�. Il n'�tait que trop vrai! Depuis quelques ann�es, les
d�pr�dations de Sacratif se manifestaient par des actes
r�voltants. Nombre de navires de commerce de toutes nationalit�s
avaient �t� attaqu�s par ce pirate, aussi audacieux que
sanguinaire. D'o� venait-il? Quelle �tait son origine?
Appartenait-il � cette race de forbans, issus des c�tes de la
Barbarie? Qui e�t pu le dire? On ne le connaissait pas. On ne
l'avait jamais vu. Pas un n'�tait revenu de ceux qui s'�taient
trouv�s sous le feu de ses canons, les uns tu�s, les autres
r�duits � l'esclavage. Les b�timents qu'il montait, qui e�t pu les
signaler? Il passait incessamment d'un bord � un autre. Il
attaquait tant�t avec un rapide brick levantin, tant�t avec une de
ces l�g�res corvettes qu'on ne pouvait vaincre � la course, et
toujours sous pavillon noir. Que, dans une de ces rencontres, il
ne f�t pas le plus fort, qu'il e�t � chercher son salut par la
fuite, en pr�sence de quelque redoutable navire de guerre, il
disparaissait soudain. Et, en quel refuge inconnu, en quel coin
ignor� de l'Archipel, aurait-on tent� de le rejoindre? Il
connaissait les plus secr�tes passes de ces c�tes, dont
l'hydrographie laissait encore � d�sirer � cette �poque.
VII
L'inattendu
-- En effet, Elizundo.
-- Vous?
�Ma fille ne peut �tre votre femme, Nicolas Starkos, parce qu'elle
doit �tre la femme d'un autre!
-- Un officier fran�ais.
-- Oui!
-- Et il se nomme?...
�ELIZUNDO.�
Il se trompait.
�Je saurai quel est cet homme! s'�cria-t-il. Celui-l�, quel qu'il
soit, je le conna�trai!... J'arriverai jusqu'� lui!... Je lui
parlerai... et il faudra bien qu'il me r�ponde!�
�Oui, mais c'est contre son gr�!... Elle subit une pression qui la
livre � cet homme!... Elle se sacrifie!�
VIII
On aurait pu croire que Nicolas Starkos, aux premiers mots que lui
en dit Skop�lo, allait s'abandonner � quelque mouvement de col�re.
Il n'en fut rien. Le capitaine savait se poss�der et n'aimait
point � r�criminer contre les faits accomplis.
-- Foudroy�?...
Nicolas Starkos parlait avec une telle assurance, que son second,
quoique peu enclin � se faire des illusions, se reprit � croire
que l'�v�nement de la veille n'emp�cherait pas l'affaire de se
conclure. Il n'y aurait qu'un retard, voil� tout.
Dire que cette communication fut faite d'un ton aimable, ce serait
aller trop loin. Le ton de Xaris n'�tait rien moins qu'engageant,
sa voix rien moins que douce, quand il aborda le capitaine de la
_Karysta_. Mais celui-ci n'�tait pas homme � s'�mouvoir de si peu,
et il suivit Xaris jusqu'au comptoir, o� il fut aussit�t
introduit.
Pour les voisins, qui virent entrer Nicolas Starkos dans cette
maison, si obstin�ment ferm�e jusqu'alors, il n'�tait plus douteux
que les chances ne fussent en sa faveur.
-- Il sera difficile!
-- Il sera honn�te!
-- Et pourquoi?
-- Et pourquoi?
-- Non!... et plut�t les an�antir, plut�t les jeter dans les eaux
du golfe! r�pondit Hadjine.
Hadjine Elizundo vit tout cela en un instant. Mourir! Eh! que lui
importait maintenant! La mort ne l'e�t point effray�e. Mais
l'�nergique jeune fille avait autrement dispos� d'elle-m�me...
Elle s'�tait condamn�e � vivre.
�Xaris!� cria-t-elle.
�Je ne vous tue pas, parce qu'elle ne m'a pas dit de vous tuer!
Quand elle me le dira, je le ferai!�
Et il referma la porte.
Quel coup cela fut pour lui! Nicolas Starkos, admis dans cette
maison d'o� l'excluait une consigne impitoyable! Il fut tent�,
tout d'abord, de maudire Hadjine, et qui ne l'e�t fait � sa place?
Mais il parvint � se ma�triser, son amour l'emporta sur sa col�re,
et, bien que les apparences fussent contre la jeune fille:
�Henry,
�La mort de mon p�re m'a rendu ma libert�, mais vous devez
renoncer � moi! La fille du banquier Elizundo n'est pas digne de
vous! Je ne serai jamais � Nicolas Starkos, un mis�rable! mais je
ne puis �tre � vous, un honn�te homme! Pardon et adieu!
�HADJINE ELIZUNDO.�
IX
L'archipel en feu
On comprend que les Hell�nes voulussent ravir aux Turcs cette �le
superbe, magnifique joyau de ce chapelet des Sporades. Son ciel,
le plus pur de l'Asie Mineure, lui fait un climat merveilleux,
sans chaleurs extr�mes, sans froids excessifs. Il la rafra�chit au
souffle d'une brise mod�r�e, il la rend salutaire entre toutes les
�les de l'Archipel. Aussi, dans un hymne attribu� � Hom�re -- que
Scio revendique comme un de ses enfants -- le po�te l'appelle la
�tr�s grasse�. Vers l'ouest, elle distille des vins d�licieux qui
rivaliseraient avec les meilleurs crus de l'antiquit�, et un miel
qui peut le disputer � celui de l'Hymette. Vers l'est, elle fait
m�rir des oranges et des citrons, dont la renomm�e se propage
jusqu'� l'Europe occidentale. Vers le sud, elle se couvre de ces
diverses esp�ces de lentisques qui produisent une pr�cieuse gomme,
le mastic, si employ� dans les arts et m�me en m�decine -- grande
richesse du pays. Enfin, dans cette contr�e, b�nie des dieux,
poussent avec les figuiers, les dattiers, les amandiers, les
grenadiers, les oliviers, tous les plus beaux types arborescents
des zones m�ridionales de l'Europe.
Or, Andronika ne savait que trop quelle part Nicolas Starkos avait
prise aux massacres de Scio, quel r�le il avait jou� dans ces
�pouvantables circonstances. C'est pourquoi elle avait voulu venir
l� o� elle e�t �t� cent fois maudite, si on e�t su qu'elle �tait
la m�re de ce mis�rable. Il lui semblait que de combattre dans
cette �le, que de verser son sang pour la cause des Sciotes, ce
serait comme une r�paration, comme une expiation supr�me des
crimes de son fils.
Mais, du moment qu'Andronika avait d�barqu� � Scio, il �tait
difficile qu'Henry d'Albaret et elle ne se rencontrassent pas un
jour ou l'autre. En effet, quelque temps apr�s son arriv�e, le 15
janvier, Andronika se trouva inopin�ment en pr�sence du jeune
officier qui l'avait sauv�e sur le champ de bataille de Chaidari.
�Henry d'Albaret!
�Et lorsque cette guerre sera finie, que comptez vous devenir? lui
demanda-t-il.
-- Le remords, Andronika?
-- Oui!�
Et ce que cette m�re voulait dire, c'est que sa vie seule avait
�t� un mal, puisqu'un pareil fils �tait n� d'elle!
-- Et il se nomme?...
-- Nicolas Starkos!
-- Lui!...�
-- Je l'ignore!
Cela dit, elle quitta le jeune officier, qui resta sous le coup
d'une profonde �motion. Mais, depuis ce moment, quelque effort
qu'il fit pour rencontrer Andronika, ce fut inutile. Sans doute,
elle avait abandonn� Scio pour retourner sur la terre de Gr�ce.
Henry d'Albaret dut renoncer � tout espoir de la retrouver.
-- En trois!
-- Il coule!... Il coule!
XI
Un timonier parut.
�Qui est venu ici pendant que j'�tais sur le pont? demanda Henry
d'Albaret.
-- C'est bien!�
Le timonier se retira, apr�s avoir port� la main � son b�ret.
Scyros est l'une des plus importantes des neuf �les qui forment ce
groupe, dont l'antiquit� aurait peut-�tre d� faire le domaine des
neuf Muses. Dans son port de Saint-Georges, s�r, vaste, de bon
mouillage, l'�quipage de la corvette put facilement se ravitailler
en vivres frais, moutons, perdrix, bl�, orge, et s'approvisionner
de cet excellent vin qui est une des grandes richesses du pays.
Cette �le, tr�s m�l�e aux �v�nements semi-mythologiques de la
guerre de Troie, qui fut illustr�e par les noms de Lycom�de,
d'Achille et d'Ulysse, allait bient�t revenir au nouveau royaume
de Gr�ce dans l'�parchie de l'Eub�e.
On sait que cette �le fut une des premi�res � se soulever d�s le
d�but de la guerre, en 1821; mais les Turcs, apr�s s'�tre enferm�s
dans la citadelle de N�grepont, s'y maintinrent avec une
r�sistance opini�tre, en m�me temps qu'ils se retranchaient dans
celle de Carystos. Puis, renforc�s des troupes du pacha Joussouf,
ils se r�pandirent � travers l'�le et se livr�rent � leurs
massacres habituels, jusqu'au moment o� un chef grec, Diamantis,
parvint � les arr�ter en septembre 1823. Ayant attaqu� les soldats
ottomans par surprise, il en tua le plus grand nombre et obligea
les fuyards � repasser le d�troit pour se r�fugier en Thessalie.
-- Aucun, commandant.
-- Je l'ignore.
-- Cela est fort triste, mais, apr�s tout, mon commandant, les
Cr�tois ne sont pas absolument des Grecs!�
Mais, comme il ne faut pas qu'il nous voie, vous ferez �teindre
tous les feux � bord.�
Le second donna des ordres en cons�quence. On continua d'observer
le brick, tant qu'il fut visible sous la haute terre qui
l'abritait. Lorsque la nuit fut faite, il disparut compl�tement,
et aucun feu ne permit de d�terminer sa position.
�Ce n'est point l'allure d'un b�timent qui chercherait � fuir, fit
observer le second.
Vers dix heures du matin, soit qu'elle e�t �t� plus favoris�e par
le vent, soit que le navire inconnu e�t consenti � lui laisser
prendre un peu d'avance, la corvette avait gagn� quatre milles sur
lui.
Il se trompait.
Et, alors, tout ce que peut faire un marin exp�riment� dans le but
d'augmenter la vitesse de son navire, voiles arros�es pour en
resserrer le tissu, hamacs suspendus, dont le branle peut imprimer
un balancement favorable � la marche, tout fut mis en oeuvre --
non sans quelque succ�s. Vers sept heures, en effet, un peu apr�s
le coucher du soleil, deux milles au plus s�paraient les deux
b�timents.
XII
Scarpanto est une �le grecque, ou, du moins, elle est habit�e par
une population grecque, mais elle appartient � l'Empire ottoman.
Apr�s la constitution d�finitive du royaume de Gr�ce, elle devait
m�me rester turque sous le gouvernement d'un simple cadi, lequel
habitait alors une sorte de maison fortifi�e, situ�e au-dessus du
bourg moderne d'Arkassa.
-- Trois mille!�
C'�tait Nicolas Starkos qui avait parl�, cette fois. Que s'�tait-
il donc pass�? Pourquoi intervenait-il personnellement dans la
lutte? D'o� venait que sa voix, si froide d'habitude, marquait une
violente �motion qui surprit Skop�lo lui-m�me? On va le savoir.
Depuis quelques instants, Nicolas Starkos, apr�s avoir franchi la
barri�re du batistan, se promenait au milieu des groupes de
captifs. La vieille femme, en le voyant s'approcher, s'�tait plus
�troitement encore cach�e sous son manteau. Il n'avait donc pas pu
la voir. Mais, soudain, son attention venait d'�tre attir�e par
deux prisonniers qui formaient un groupe � part. Il s'�tait
arr�t�, comme si ses pieds eussent �t� clou�s au sol. L�, pr�s
d'un homme de haute stature, une jeune fille, �puis�e de fatigue,
gisait � terre. En apercevant Nicolas Starkos, l'homme se redressa
brusquement. Aussit�t la jeune fille rouvrit les yeux. Mais, d�s
qu'elle aper�ut le capitaine de la _Karysta_, elle se rejeta en
arri�re.
Que l'on juge donc des sentiments qui s'empar�rent de ces deux
ennemis, lorsqu'ils se virent en face l'un de l'autre.
XIII
� bord de la �Syphanta�
�Henry d'Albaret, dit-il, soyez b�ni de tous ceux que vous avez
rendus � la libert�!
Cette fortune que lui avait laiss�e son p�re, d�s qu'elle sut d'o�
elle provenait, Hadjine Elizundo prit la r�solution de la
consacrer enti�rement au rachat de ces prisonniers, dont le trafic
en constituait la plus grande part. De ces vingt millions,
odieusement acquis, elle ne voulut rien garder. Ce projet, elle ne
le fit conna�tre qu'� Xaris. Xaris l'approuva, et toutes les
valeurs de la maison de banque furent rapidement r�alis�es.
Mais, pendant les six mois qui allaient suivre, que de fatigues �
supporter, que de dangers � courir!
-- Laquelle?
-- Voil�, mon commandant. Ils savent que vous devez vous marier
avec Hadjine...
-- Aussi bonne?
�Navires au vent!�
XIV
Sacratif
�Hurrah! Hurrah!�
�� l'abordage! � l'abordage!�
�Sacratif!... Sacratif!�
XV
D�nouement
Le combat entre la flottille et la corvette avait dur� plus de
deux heures et demie. Du c�t� des assaillants, il fallait compter
au moins cent cinquante hommes tu�s ou bless�s, et presque autant
de l'�quipage de la _Syphanta_, sur deux cent cinquante. Ces
chiffres disent avec quel acharnement on s'�tait battu de part et
d'autre. Mais le nombre avait fini par l'emporter sur le courage.
La victoire n'avait pas �t� au bon droit. Henry d'Albaret, ses
officiers, ses matelots, ses passagers, �taient maintenant aux
mains de l'impitoyable Sacratif.
-- Faites!
Cinq ou six hommes se jet�rent sur Henry d'Albaret, tandis que les
autres retenaient le capitaine Todros qui essayait de briser ses
liens.
La jeune fille avait �t� amen�e par ordre de Sacratif. Elle savait
que le chef de ces pirates, c'�tait Nicolas Starkos. Mais ni son
calme ni sa fiert� ne devaient lui faire d�faut.
�Henry!... Henry!...�
�Mis�rable! s'�cria-t-elle.
Les pirates qui �taient encore sur le pont, entra�n�s par Skop�lo,
essay�rent de se porter � son secours. Les marins, arm�s de haches
et de poignards, en eurent raison jusqu'au dernier.
�Morte! dit-il. Que Dieu pardonne au fils par piti� pour la m�re!�
3 Pagaille
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