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Thse dirige par Monsieur Le Professeur Pierre LE GOFFIC Madame Le Professeur Laurence DANLOS Soutenue le 25 juin 2004
JURY : Monsieur Jacques BRES, Professeur lUniversit Montpellier III Madame Francine CICUREL, Professeur lUniversit Paris III Madame Laurence DANLOS, Professeur lUniversit Paris VII Monsieur Michel FOURNIE, Professeur lINALCO Monsieur Pierre LE GOFFIC, Professeur lUniversit Paris III Madame Xuyn LE THI-VU XUAN, Matre de Confrences lUniversit Paris VII
REMERCIEMENTS
Lors de la prparation de la prsente thse jai bnfici dune allocation de recherche, pour laquelle je remercie vivement lEcole doctorale de lUniversit Paris VII. Mes remerciements vont aussi lInstitut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO) qui ma accueilli ces dernires annes comme enseignant dans sa Section vietnamienne en qualit de Moniteur, puis dAttach Temporaire dEnseignement et de Recherches (ATER), exprience dont jai tir le plus grand profit. Ma reconnaissance va tout particulirement : Monsieur Pierre LE GOFFIC, Professeur lUniversit Paris III, qui ma dispens, toujours avec bienveillance et dlicatesse, son enseignement rigoureux et ses prcieux conseils depuis la Licence de Lettres Modernes jusquau doctorat. Il ma fait aimer la grammaire franaise et tout particulirement le systme verbal franais. Il a toujours fait preuve de beaucoup dcoute et de patience en relisant maintes fois cette thse, Madame Laurence DANLOS, Professeur lUniversit Paris VII, qui a aimablement accept de codiriger cette thse en me prodiguant des conseils bnfiques la construction de celle-ci, Monsieur Michel FOURNIE, Professeur lINALCO, qui ma reu avec amabilit dans son quipe enseignante, ma donn loccasion dexercer ma premire exprience denseignant de vietnamien lINALCO et lEcole Normale Suprieure Lettres et Sciences Humaines Lyon, ma procur des conseils pertinents pour amliorer sans cesse ma thse, et a accept den tre rapporteur, Monsieur Jacques BRES, Professeur lUniversit Montpellier III, qui a accept de participer au Jury et dtre rapporteur de ma thse, Madame Francine CICUREL, Professeur lUniversit Paris III, pour avoir accept de faire partie du Jury, et dont jai suivi un cours dinitiation la recherche en Matrise de Franais, Langue Etrangre, Madame Xuyn LE THI-VU XUAN, Matre de Confrences lUniversit Paris VII, pour avoir accept de faire partie du Jury, Monsieur CAO Xun Hao, Professeur au Viet Nam, qui ma fait bnficier de quelques leons de linguistique vietnamienne et ma vivement encourag poursuivre ma recherche relative lexpression temporelle vietnamienne, Mon pre adoptif, Jean HURINVILLE, qui depuis de nombreuses annes ma suivi et encourag avec affection dans mon parcours, et a relu avec dvouement et patience lensemble de ma thse, Franck HURINVILLE, son cousin, qui a veill avec rigueur et talent sur lcriture de mon travail, Philippe LAMBERT, mon collgue lINALCO, pour sa matrise du traitement de texte et tous ses conseils, Mon pre, qui nest plus l, mais a toujours veill sur moi et aurait tant aim pouvoir assister cette soutenance, Ma mre et ma sur Kim Anh, pour leur amour profond et leur soutien moral, Mes oncles, mes tantes, lensemble de ma famille et de mes amis pour leurs encouragements. De cela, ainsi que de tout ce qui mchappe, je les remercie.
SOMMAIRE
LISTE DES ABRVIATIONS ET DES SIGNES UTILISS ................................................................ 4 INTRODUCTION GNRALE............................................................................................................ 5 PARTIE I : QUELQUES PROBLMES THORIQUES DU VIETNAMIEN ET DU FRANAIS ....... 13 PRSENTATION DE LA PARTIE I ......................................................................................................... 14 CHAPITRE I : LA NOTION DASPECT LES ASPECTS EN FRANAIS ....................................................... 15 CHAPITRE II : QUELQUES PARTICULARITS DU VIETNAMIEN LES ASPECTS EN VIETNAMIEN .................. 31 CHAPITRE III : TUDES ANTRIEURES SUR LES MARQUEURS VIETNAMIENS COMMENTAIRE DE CES TUDES ...................................................................................... 45 PARTIE II : TUDE DES PRINCIPAUX MARQUEURS VIETNAMIENS ......................................... 63 PRSENTATION DE LA PARTIE II ........................................................................................................ 64 CHAPITRE I : ABSENCE DE MARQUEUR : TUDE DE ZERO .................................................................. 65 CHAPITRE II : PRSENCE DE MARQUEURS : TUDE DE A
ET DE SES COMBINAISONS AVEC CHA, ROI ET TNG ................................................... 91
CHAPITRE III : PRSENCE DE MARQUEURS : TUDE DE ANG ........................................................... 156 PARTIE III : TUDE COMPARATIVE ENTRE LE FRANAIS ET LE VIETNAMIEN .................... 179 PRSENTATION DE LA PARTIE III ..................................................................................................... 180 CHAPITRE I : TUDE COMPARATIVE AU NIVEAU PHRASTIQUE ............................................................. 181 CHAPITRE II : TUDE COMPARATIVE AU NIVEAU TEXTUEL .................................................................. 260 CHAPITRE III : PERSPECTIVES DIDACTIQUES .................................................................................... 303 CONCLUSION GNRALE ........................................................................................................... 313 ANNEXES ...................................................................................................................................... 321 INDEX DES NOTIONS ................................................................................................................... 338 INDEX DES AUTEURS .................................................................................................................. 347 INDEX DES UVRES LITTRAIRES, DES JOURNAUX, DES REVUES .......................... 353
Cl. M. M. E. M. N. M. Imp. t
: : : : : : :
Classificateur Absence de marqueur (Zro) Marqueur Marqueur exclamatif Marqueur ngatif Marqueur impratif Moment de lnonciation
(?) :
signale un nonc moins naturel : ? Hom qua, toi a gap Paul Paris VII.
(Hier / je / M. / rencontrer / Paul / / Paris VII)
Hier, jai rencontr Paul Paris VII. (??) : signale un nonc non naturel : ?? Paul ban, anh e cho no yen.
(Paul / zro / tre occup / tu / laisser / il / tranquille)
Paul est occup, laisse-le tranquille. (?? *) : signale un nonc quasiment irrecevable : ?? * Beethoven a soan chn bai giao hng roi ay. ?? * Beethoven a dj compos neuf symphonies. au lieu de : Beethoven a soan chn bai giao hng.
(Beethoven / M. / composer / neuf / Cl. / symphonie) (Beethoven / M. / composer / neuf / Cl. / symphonie / M. / particule finale)
Beethoven a compos neuf symphonies. (*) : signale un nonc irrecevable ou impossible : * Hai vi hai a la bon.
(Deux / avec / deux / M. / tre / quatre)
* Deux et deux ont fait quatre. au lieu de : Hai vi hai la bon. Deux et deux font quatre.
INTRODUCTION GENERALE
Selon une conviction multisculaire, ancre dans lesprit des Vietnamiens depuis le dictionnaire dAlexandre de Rhodes (1651) jusquau dictionnaire de Nguyen Nh Y et al. (1999), les marqueurs A, ANG et SE expriment respectivement le pass, le prsent et le futur. Pourtant, dans le concert des linguistes vietnamiens, qui croient fermement lexistence de temps grammaticaux dans leur langue (version europocentrique)(1), se font entendre quelques voix discordantes. Ainsi, Cao Xuan Hao (1998 b) manifeste-t-il la certitude que le vietnamien est totalement dpourvu de temps grammaticaux, et que A,
ANG et SE nindiquent nullement le temps. Dans son article (op. cit, p. 7), il conte
lanecdote suivante : dans les annes soixante, un jeune chercheur vietnamien(2) prparait une thse qui consistait comparer les temps verbaux russes avec A, ANG et SE dans la traduction vietnamienne de Guerre et Paix(3). Au terme dune anne de travail acharn sur plus de mille pages de traduction, le doctorant ntait pas parvenu trouver lquivalence parfaite laquelle il sattendait entre les temps verbaux russes et ces trois marqueurs. Croyant un chec, il abandonna son travail et ne publia pas les rsultats de ses recherches. Pour sa part, Cao Xuan Hao regretta vivement que ce travail nait pas t vulgaris : cet t une occasion de tenter de convaincre les partisans du point de vue traditionnel que les temps grammaticaux nexistent pas en vietnamien. Dans la thse de doctorat caractre didactologique de Pham Th Thu Hang (1998), les enseignants vietnamiens de franais interrogs avouent ignorer lexistence de la notion daspect en persistant penser que A, ANG et SE sont des marqueurs de temps. Lors du Colloque Chronos 4 organis Nice en 2000, auquel nous avons assist, un expos fut consacr lexpression du temps en vietnamien, dans lequel lintervenante(4) continuait de soutenir le point de vue traditionnel. Pourquoi la plupart des linguistes et des enseignants vietnamiens font-ils abstraction de la notion daspect ? Quels mobiles conduisent les Vietnamiens croire, tort, que ces marqueurs servent traduire le temps et non laspect ? Pourquoi les grammairiens vietnamiens prouvent-ils le besoin didentifier trois marqueurs pour indiquer le pass, le prsent et le futur ? Se sentiraient-ils en scurit lorsque le systme verbal vietnamien ressemble celui du franais ou de langlais ? Pourquoi nont-ils pas pris en considration les diffrences fondamentales entre le vietnamien, langue isolante, et le franais, langue flexionnelle(5) ?
(1)
Dans cette thse, nous appelons europocentrique (d Au vi trung, terme vietnamien utilis par Cao Xuan Hao) ou traditionnelle la position adopte depuis A. de Rhodes par la grande majorit des linguistes vietnamiens. Bui Khanh The. Lon Tolsto. Minh H Lo-Cicero, Universit de Madre Portugal. Voir la dfinition des langues isolantes et des langues flexionnelles aux Chapitres I et II de la Partie I. 6
Weinrich (1973, p 66-67) souligne que la tripartition du temps tait prise en considration ds lAntiquit par les grands penseurs grecs tels que Homre(6), Protagoras dAbdre(7), Platon(8), etc. Lpoque moderne a reconduit cette tripartition rencontre ainsi chez Schiller(9) : Triple est le pas du temps / Le futur arrive en hsitant / Rapide comme la flche, voici que lheure prsente est envole / Le pass est dans une immobile ternit , Voltaire(10) : Les Lapons, les Ngres aussi bien que les Grecs, ont eu besoin dexprimer le pass, le prsent, le futur, et ils lont fait , ou encore Aragon(11) : Le temps ce miroir trois faces / Avec ses volets rabattus / Futur et pass qui seffacent / Jy vois le prsent qui me tue . Or, si, en franais, on peut recourir des temps verbaux pour exprimer la tripartition, en vietnamien, en revanche, ce sont les circonstanciels de temps qui permettent de localiser clairement les faits dans le temps. En effet, une trs grande quantit dnoncs oraux et crits vietnamiens traduisant le pass, le prsent et le futur ne sont pas pourvus de A,
ANG et SE, et, quand ces marqueurs sont utiliss, ils nexpriment pas le temps. Nous
prsentons ci-dessous succinctement quelques exemples pour tayer ce point de vue, qui rejoint entirement celui de Cao Xuan Hao (op. cit.), et remet donc en question la position traditionnelle. (a) Ngay xa (* a)
Jour ancien
Il tait une fois un homme riche Dans (a), extrait du dbut dun conte vietnamien, le procs co mot anh nha giau (il y avait un homme riche) est situ dans le pass grce au circonstanciel de temps localisateur
Une fois achete, cette carte nest plus changeable. (Avertissement sur les cartes de tlphone) Dans (b), A indique laspect accompli du procs mua (acheter), valable tout instant.
(6) (7)
Iliade, 1, 70 De clarorum philosophorum vitis libri decem, IX, 8, n 3, p. 240, dition tablie par A. Westermann et J. F. Boissonnade, Paris, 1878 Time, 37 C s Spruch des Konfuzius (La sentence de Confucius, 1795), Werke in drei Bnden, Munich, 1966, p. 712 du vol. II Dictionnaire philosophique, article ABC Elsa, Paris, 1959, p. 104 Dans cet nonc, le verbe vietnamien co (avoir) correspond la locution impersonnelle franaise lIMPARFAIT (il y avait), qui a le sens du verbe tre (Larousse encyclopdique), ce qui explique lemploi du syntagme Il tait une fois situ au dbut des contes. Voir le dbut de Cendrillon de C. Perrault (Annexe 2, Texte 2). 7
moment je
Hier, lorsque je chantais, le tlphone a sonn. Dans (c), les procs hat (chanter) et reo (sonner) sont localiss dans le pass par le circonstanciel de temps dictique hom qua (hier). ANG indique que hat (chanter) est en train de se drouler lorsque le procs reo (sonner) se produit. (d) au nam 2003 Paul noi vi toi la cuoi nam se lay v.
Dbut anne 2003 Paul dire je que fin anne M. prendre femme
Au dbut de 2003, Paul ma dit quil se marierait la fin de lanne. Dans (d), le procs lay v (se marier) est postrieur au procs noi (dire), mais il est antrieur t. En dautres termes, SE ne traduit pas le futur dans le sens absolu, mais un fait postrieur un point de rfrence choisi. (e) Khi Trieu a sang anh An Dng Vng th ben Tau nha Tan a suy
Moment Trieu a
Lorsque Trieu a vint attaquer An DngVng, en Chine la dynastie des Tn avait dclin, nha Han sap len lam vua, nc Tau ang vao luc ai loan.
dynastie Hn M. monter faire roi Cl. Chine M. entrer moment grand crise
venir attaquer An
Dng Vng
M. dcliner
la dynastie des Hn allait accder au pouvoir, la Chine entrait dans une crise profonde. (Extrait de Viet Nam s lc, lHistoire du Vit Nam de Tran Trong Kim) Lextrait littraire (e), pourvu des quatre procs suivants : sang anh (venir attaquer),
suy (dcliner), len lam vua (accder au pouvoir) et vao (entrer), illustre parfaitement
lemploi aspectuel de A, ANG et SAP. Certes, (e) est dpourvu de circonstanciel de temps localisateur, la diffrence de (a), (c) et (d), mais les noms propres Trieu a, roi chinois, nha Tan (la dynastie des Tn) et nha Han (la dynastie des Han) permettent de situer les quatre procs dans le pass. Le premier procs sang anh (venir attaquer), perfectif, dat de 208 av. J.-C.(13), point de repre pour les trois autres procs, nest pas prcd de marqueur, car on ne peut lui en antposer aucun. Le deuxime procs suy (dcliner), prcd de A, traduit une valeur daccompli par rapport au premier procs. Le troisime procs len lam vua (accder au pouvoir), exprime un fait imminent se produisant juste aprs le premier procs. Quant au dernier procs vao luc ai loan (entrer dans une crise profonde), il restitue le droulement dun fait concomitant au premier procs. En rsum, (b, c, e) plaident nettement en faveur de laspect et non du temps. Autrement dit, A, ANG, SAP, etc., sont des marqueurs daspect. Pour localiser les procs dans le temps, le vietnamien a recours aux circonstanciels de temps (a, c, d).
(13)
Si la notion daspect est moins usite que les temps grammaticaux, cest sans doute parce que les linguistes ne sont pas du mme avis son propos. Selon Grevisse (1993, 740), Riegel et al. (1994, p. 292), et Leeman-Bouix (1994, p. 47)(14), la notion daspect a t introduite trs tardivement dans la grammaire franaise, prcisment cause des divergences entre les linguistes franais ce sujet. En vietnamien, la situation est quasiment identique : tandis que Tran Trong Kim et al. (1940) sont les premiers grammairiens utiliser la notion daspect dans leur grammaire sans pour autant en expliquer clairement la signification, Phan Khoi (1950) sinsurge contre lintroduction de cette notion par ses prdcesseurs, car il est convaincu de lexistence des temps grammaticaux en vietnamien. Dans lextrait suivant, W. V. O. Quine (1977, p. 242) critique limportance accorde par les linguistes au traitement grammatical de la catgorie de temps :
La langue ordinaire trahit un prjug fcheux dans la manire dont elle traite le temps. Les relations temporelles sont exaltes par la grammaire, ce qui nest pas le cas pour les relations de position, de poids et de couleur. Ce prjug est, par lui-mme, une inlgance ou un manquement lidal de la simplicit des thories. De plus, la forme quil revt tout particulirement le fait dexiger que chaque forme verbale exhibe une indication de temps est la source de complications inutiles, parce quelle mobilise une attention de commande sur laspect temporel des choses, mme lorsque le temps est trs loin de nos penses. (Cit par Cao Xuan Hao, 1998 b, p. 2)
Si Cao Xuan Hao nest pas le premier linguiste faire appel la notion daspect, il est le premier avoir attaqu de front le point de vue europocentrique, credo scientifique que personne nosait discuter. A ses yeux, le vietnamien est une langue sans th (temps grammaticaux) et, par consquent, on doit recourir des moyens lexicaux pour localiser les procs dans le temps. Lextrait suivant de R. Jakobson (1963, p. 82) corrobore son opinion : Si telle catgorie grammaticale nexiste pas dans une langue donne, son sens peut se traduire dans cette langue laide de moyens lexicaux . Cao Xuan Hao (op. cit., p. 29) souligne que la grammaire dite normative en usage dans lenseignement, qui relve de la vision eurocentrique, na pas dinfluence sur lemploi des marqueurs vietnamiens dans la vie quotidienne et la littrature. Il convient de souligner quen franais, langue pourvue de temps grammaticaux, on ne peut se fier lemploi de tel ou tel temps verbal pass pour conclure que tel ou tel nonc exprime le pass. Prenons lexemple des noncs au PASSE COMPOSE Maintenant jai compris, et a y est, Paul est arriv, qui ne traduisent pas le pass, mais ltat rsultant au moment de lnonciation t. Ces exemples peuvent en effet tre paraphrass respectivement par deux noncs au PRESENT : Maintenant, je suis capable de comprendre (ou de pouvoir
(14)
discuter avec toi) ; Paul est l devant moi. Il en va de mme de lnonc lIMPARFAIT Si javais beaucoup dargent, qui nindique pas le pass, mais reprsente un fait prsent irrel. En revanche, lnonc au PASSE COMPOSE et lIMPARFAIT : Hier, lorsque Paul est arriv, je chantais, dsigne clairement le pass, grce la prsence du circonstanciel dictique hier. En dautres termes, que ce soit en vietnamien ou en franais, les circonstanciels de temps localisateurs sont des moyens efficaces de situer clairement les procs dans le temps. A ce sujet, G. Serbat (1988, p. 37) crit : Signalons que ces dateurs sont beaucoup plus prcis quun verbe au pass qui se borne situer le procs dans un avantmaintenant thoriquement infini , et explique que dans Le 2 septembre 31 avant Jsus-Christ, Octave battit la flotte de Cloptre Actium, le pass est exprim dune faon exacte par le syntagme nominal (cest--dire par le circonstanciel de temps localisateur de type absolu : le 2 septembre 31 av. J.-C.), dune faon imprcise par le verbe. La double rfrence une notion unique permet ici encore une conomie, par lemploi du prsent : Octave bat la flotte . En franais, un nonc commenant par hier appelle le choix dun temps pass : Hier, je suis all au cinma, et non celui du temps prsent : ??Hier, je vais au cinma. Dans la mme situation en vietnamien, on recourt naturellement ZERO (absence de marqueur) :
Hom qua, toi i xem phim (hier / je / zro / aller / voir / film) ; la prsence du circonstanciel de temps dictique hom qua (hier) suffit situer le procs i xem phim (aller au cinma) dans le pass. De ce fait, il nest pas naturel dutiliser A : Hom qua, toi ?a i
xem phim. En franais, lemploi du PASSE COMPOSE (suis all) est obligatoire, car cette
langue est pourvue de temps grammaticaux. En revanche, en vietnamien, qui en est dpourvu, lutilisation des marqueurs nest pas obligatoire, cest au locuteur de dcider de recourir labsence de marqueur (ZERO) ou la prsence de marqueurs. Dans sa thse de doctorat caractre sociolinguistique, Nguyen Ngoc Thanh (2000, p. 101) met en relief les diffrences fondamentales entre les langues pourvues de temps grammaticaux et les langues qui en sont dpourvues : En comparant les langues pourvues de temps grammaticaux avec les langues qui en sont dpourvues, on saperoit aisment que dans les premires, lobligation davoir recours aux temps verbaux prime le besoin de les utiliser, tandis que dans les secondes, le besoin de se servir des marqueurs prvaut sur lobligation de les employer. Cao Xuan Hao nous a personnellement encourag poursuivre nos recherches dans cette voie car, selon lui, il reste encore quantit de problmes tudier relatifs au temps et laspect en vietnamien. Certes, la question du temps en vietnamien nest pas un sujet inexplor, car elle a dj t examine par nos prdcesseurs(15). Toutefois, nous constatons
(15)
quune trs grande majorit des travaux antrieurs se rclame du point de vue traditionnel. Par consquent, nous proposons, dans la prsente thse, une approche descriptive du temps et de laspect du vietnamien pour tenter de dgager sa structure spcifique et de la distinguer ainsi de celle du franais. Nous sommes convaincu que chaque langue doit fonctionner selon un systme de signes qui lui est propre, et quil est indispensable de dcrire lexpression du temps et de laspect du vietnamien, tel quil est utilis dans la vie quotidienne, dans la littrature et dans la presse. Lide dune dmarche comparative entre le vietnamien et le franais, ce sujet, nous tient cur depuis longtemps. Cest en traduisant une dizaine de nouvelles vietnamiennes(16) en franais et un roman franais(17) en vietnamien, titre personnel et exprimental, que nous avons pris conscience des difficults lies au choix des marqueurs vietnamiens et des temps verbaux franais. Cet exercice de thme et de version, servant de dclencheur, nous avait alors incit envisager de mener un jour une tude comparative des deux langues. Ds lors, en annes de Matrise et de D.E.A. de Sciences du Langage, sous la direction du Professeur Pierre Le Goffic, nous avons tudi lemploi des temps verbaux franais(18) avant de nous lancer dans une thse contrastive. Nous avons dcid dorganiser cette thse(19) en trois grandes parties, dans lesquelles les corpus dtude vietnamien et franais sont constitus dnoncs oraux, dextraits littraires et journalistiques. Dans lanalyse des marqueurs vietnamiens, nous nous intressons aux modalits dnonciation(20) et non aux modalits dnonc. La Partie I, portant sur Quelques problmes thoriques du vietnamien et du franais, est compose de trois chapitres. Dans le Chapitre I, nous faisons le point sur la notion daspect en gnral, et sur les aspects en franais. Le Chapitre II est consacr un aperu de quelques particularits du vietnamien et des aspects verbaux de cette langue. Dans le
(16) (17) (18)
(19)
(20)
Odeur fauve (Quy The) (voir Annexe 1). Le pain de ltranger (Henri Troyat) (voir Annexe 2). Mmoire de Matrise : Lemploi de lImparfait narratif franais. Mmoire de D.E.A. : Lemploi des temps verbaux dans la presse franaise contemporaine. Sagissant dune thse contrastive, le recours une seule thorie linguistique ne nous a pas sembl pertinent pour tudier lexpression temporelle vietnamienne et franaise. Certes, nous sommes conscient que cette dmarche peut prsenter la fois des avantages et des inconvnients. Ainsi, nous sommes-nous rfr au point de vue de Cao Xuan Hao pour lexamen des marqueurs vietnamiens, tandis que pour le franais nous avons consult essentiellement les grammaires et articles de M. Riegel et al. (1994), P. Le Goffic (1993), J. Brs (1998, 1999), C. Touratier (1996), L. Gosselin (1996) pour exposer les valeurs des modes personnels (Indicatif, Subjonctif et Impratif) et des modes impersonnels (Participe et Infinitif). Les modalits dnonciation renvoient au locuteur en marquant lattitude de celui-ci dans sa relation son allocutaire. Elles sexpriment par diffrents types de phrases nonciatifs : dclaratif, injonctif ou interrogatif traduisant respectivement une affirmation, un ordre ou un questionnement, lintention de lallocutaire. Les modalits dnonc, qui renvoient au locuteur en marquant son attitude vis--vis du contenu de lnonc, expriment la manire dont le locuteur apprcie le contenu de lnonc. (M. Riegel et al., 1994, p. 580). 11
Chapitre III, nous rsumons une quarantaine dtudes, comprenant grammaires, thses, articles et dictionnaires, ralises par nos prdcesseurs sur le mme sujet que notre thse. La Partie II, intitule Etude des principaux marqueurs vietnamiens, est la partie centrale de notre thse. Dans le Chapitre I, nous traitons de ZERO, considr comme labsence de marqueur, symbolis par le signe . Dans le Chapitre II, nous nous penchons dabord sur le fonctionnement aspectuel de A, puis sur son extension aux emplois particuliers (argumentatifs et temporels), enfin sur ses combinaisons avec CHA, ROI,
TNG, ANG, SE, SAP, VA et MI. Ltude de A constitue donc le point capital de la
Partie II. Dans le troisime et dernier chapitre, nous mettons en relief les emplois aspectuels de ANG. La Partie III, qui comprend trois chapitres, est dabord consacre une tude comparative entre le franais et le vietnamien aux niveaux phrastique (Chapitre I) et textuel (Chapitre II). Certes, lobjet essentiel de notre thse consiste comparer le vietnamien avec le franais, mais nous pensons quil est intressant dtendre brivement notre rflexion langlais et au chinois, langues respectivement flexionnelle et isolante. Il convient de noter que toutes les langues, quelles soient isolantes, flexionnelles ou agglutinantes, peuvent exprimer le temps, qui est un concept universel. Cependant, sa reprsentation linguistique varie dune langue lautre, do lintrt dentreprendre une tude contrastive pour examiner les diffrents moyens mis en uvre par une langue isolante ou par une langue flexionnelle, afin de traduire les notions de temps et daspect. Lextrait suivant emprunt R. Jakobson (1963, p. 84) illustre bien cette opinion : Les langues diffrent essentiellement par ce quelles doivent exprimer, et non par ce quelles peuvent exprimer . Le Chapitre III souvre aux perspectives didactiques o, dune part, nous rflchissons aux objectifs de lapprentissage des langues vivantes trangres, la facult dapprentissage en fonction de lge de lapprenant, et aux applications de notre recherche contrastive au domaine temporel, et dautre part nous exposons quelques propositions didactiques la lumire de lenseignement de lexpression temporelle vietnamienne et franaise.
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PRESENTATION DE LA PARTIE I
Cette partie introductive est compose de trois chapitres. Dans le Chapitre I, aprs avoir donn une dfinition de la notion daspect, nous voquons en premier lieu, de faon succincte, les aspects en latin, en grec, en anglais, dans les langues slaves, qui illustrent ici le cas des langues indo-europennes (langues flexionnelles). En second lieu nous prsentons les principaux aspects en franais : laspect lexical et laspect grammatical. Dans le Chapitre II, le premier point est consacr la classification des mots vietnamiens, qui nous parat dterminante pour montrer lappartenance des marqueurs daspect : A, ANG, SE, ROI, SAP, VA, TNG, etc., et celle des verbes. Dans ce premier point nous prsentons brivement quelques exemples pour illustrer les caractres isolants du vietnamien. Dans le second point, nous exposons les principaux aspects au moyen des verbes (mots pleins) et des marqueurs (mots outils). Dans le Chapitre III nous rsumons plus dune quarantaine dtudes et de travaux de linguistes relatifs au temps et laspect en vietnamien. Nous y mettons en relief les points de vue de linguistes opposs sur ce sujet, et procdons ensuite un commentaire critique.
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I.
LA NOTION DASPECT Aprs avoir dfini la notion daspect, nous prsentons brivement les aspects dans
quelques langues indo-europennes avant dexposer les aspects en franais. 1. DFINITION DE LA NOTION DASPECT Le mot aspect vient du mot russe vid qui signifie vue . Laspect peut se dfinir comme le regard dune personne port sur lvnement dont elle parle. Cet vnement peut tre peru dans son droulement ou dans sa globalit, etc. Daprs Alain Frontier (1997, Chapitre XI, p. 510), il semble que dans lhistoire des langues indo-europennes et sans doute aussi dautres familles de langues, la notion daspect soit extrmement ancienne, peut-tre mme antrieure celle de datation . Mais malgr cette hypothse, cette notion na t dveloppe quau dbut du XXe sicle, plus prcisment en 1908.
Laspectologie a une date de naissance officielle : 1908, et un pre putatif : Sigurd Agrell, auteur dun copieux ouvrage sur le verbe polonais. Les slavisants ont transmis le furet aux germanistes. Il est pass ensuite, de proche en proche, aux romanistes, puis aux anglicistes, aux africanistes, aux amrindianistes (M. Wilmet, 1997, Chapitre VII, p. 309)
2. LES ASPECTS DANS QUELQUES LANGUES INDO-EUROPENNES Nous choisissons de prsenter un aperu sur les aspects en latin, en grec, en anglais et dans les langues slaves, qui sont des langues flexionnelles appartenant aux langues indoeuropennes. 2.1. Les aspects en latin Selon M. Wilmet (1997, p. 356-357), le latin organise les trois temps du praesens (prsent), du praeteritum (pass) et du futurum (futur) sur les deux radicaux de linfectum qui signifie inaccompli, inachev, imparfait : video (je vois), videbam (je voyais), videbo (je verrai), et du perfectum qui signifie accompli, achev, parfait : vidi, videram, videro, je suis / jtais / je serai dans ltat davoir vu. Ces radicaux prsentent respectivement le procs en cours et le procs accompli (voir le tableau ci-dessous). Tableau 1 Praesens Praeteritum Futurum Infectum video videbam videbo Perfectum vidi videram videro
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2.2. Les aspects en grec Selon A. Mirambel (1969, p. 55), laspect sexprime essentiellement par une opposition de deux thmes. Le thme de prsent indique la dure, une action en cours ou rpte, tandis que le thme daoriste dsigne une action ponctuelle, une absence de dure ou de rptition. Quant au parfait, il marque un rsultat, un achvement par rapport au prsent (action en cours) et laoriste (action ponctuelle). Outre ces aspects, il existe une opposition entre laspect perfectif et laspect imperfectif dans tous les temps verbaux et les modes (B. Comrie, 1976, p. 127). 2.3. Les aspects en anglais En anglais il existe, dune part une opposition entre la forme progressive (to be + ing) et la forme non-progressive, dautre part une opposition entre le perfect (to have + participe pass) et le non-perfect (B. Comrie, 1976, p. 124). 2.4. Les aspects dans les langues slaves Dans les langues slaves en gnral et la langue russe en particulier, la notion qui domine le verbe est celle de laspect (A. Mazon, 1995, p. 157). On note une opposition entre les aspects perfectif et imperfectif dans tous les verbes. Prenons lexemple du verbe chitat (forme de linfinitif du verbe) qui signifie lire . Si lon ajoute le prfixe pro- ce verbe, on obtient le verbe prochitat qui veut dire lire jusquau bout . Selon la tradition linguistique slave, prochitat dsigne laspect perfectif, tandis que chitat indique laspect imperfectif. Ja chital Ja pro- chital knigu : Je lisais le livre. (L.-E. Wiberg, 1995, p. 30) knigu : Jai lu le livre (jusquau bout)
II. LES ASPECTS EN FRANAIS Daprs Grevisse (1993, 13e d., 740, p. 1121), Riegel et al. (1994, p. 292) et LeemanBouix (1994, p. 47), lintroduction de la notion daspect en grammaire franaise sest avre trs difficile, les points de vue des linguistes ci-aprs tant souvent opposs ce sujet. En effet, si Brunot (1922), Guillaume (1929), Imbs (1960), Martin (1971), Wilmet (1976), Fuchs et Lonard (1979) reconnaissent lexistence de cette notion en franais, en revanche, Damourette et Pichon (1930) et Tesnire (1959) nacceptent pas son existence.
La notion daspect na pris quassez rcemment une grande place dans les tudes sur le franais. Les linguistes prsentent ce sujet des vues souvent divergentes. (Grevisse, 1993, p. 1121)
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F. Brunot lintgre explicitement ds 1922 (La Pense et la langue), mais Damourette et Pichon (Des mots la pense, 1930), L. Tesnire (1959) et dautres la rejettent comme trangre la langue franaise. Cest Gustave Guillaume qui a donn laspect une place primordiale en franais : Laspect est une forme qui, dans le systme mme du verbe, dnote une opposition transcendant toutes les autres oppositions du systme, et capable ainsi de sintgrer chacun des termes entre lesquels se marquent les dites oppositions (Temps et Verbes, 1929, p. 109). Des linguistes guillaumiens (P. Imbs, R. Martin, G. Moignet, B. Pottier, M. Wilmet,) ont dvelopp des analyses approfondies des valeurs et des ralisations linguistiques de laspect. Pour le dcrire, on se fonde ici sur leurs travaux, complts par ceux inspirs par A. Culioli, qui situe laspect dans le cadre de sa thorie de lnonciation (C. Fuchs & A-M. Lonard, 1979) (M. Riegel et al., 1994, p. 292) Jusqu une priode rcente, les grammaires courantes ne mentionnaient gure laspect aussi ne serait-il pas tonnant que cette notion vous soit inconnue , et ne parlaient propos du verbe que des modes et des temps () (D. Leeman-Bouix, 1994, p. 47)
Avant dvoquer les aspects en franais, nous prsentons trs brivement quelques points illustrant la flexion verbale de la langue franaise. 1. LE FRANAIS : UNE LANGUE FLEXIONNELLE Dans la grammaire de M. Arriv et al. (1986, p. 269), la flexion est lensemble des formes distinctes (cest--dire le paradigme) qui, pour un mot appartenant une classe donne, manifestent, par leurs oppositions rciproques, les catgories qui caractrisent la classe . En franais, la flexion sapplique aux verbes (conjugaisons verbales), aux adjectifs et aux noms (opposition du masculin au fminin et du singulier au pluriel, cest dire le paradigme du genre et du nombre) (voir Le Grand Livre de la Langue franaise, p. 229-239, M. Yaguello et al., 2003). 1.1. La catgorie du verbe Du point de vue morphologique, le verbe est un mot variable qui se conjugue. Du point de vue syntaxique, selon L. Tesnire (1959), cest le terme central de la proposition, le pivot autour duquel sorganise la phrase. La personne du verbe est dtermine par son sujet. Le verbe connat lopposition du singulier et du pluriel. Il tient son nombre de son sujet, avec lequel il saccorde. Le mode, le temps et laspect, qui consituent trois sries de classement des formes verbales, se manifestent essentiellement par la variation de la dsinence et ventuellement du radical du verbe. (M. Riegel et al., 1994, p. 244). 1.2. Morphologie verbale : la conjugaison Une forme verbale est compose de deux lments : le radical et la dsinence. Le premier est llment central du verbe, car il porte le sens lexical stable du verbe : il marche / la marche. Le second apporte des informations sur le mode, la personne, le nombre et le
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temps. Dans chanteras, on a un segment -er- (FUTUR / CONDITIONNEL), suivi de -a(FUTUR), suivi de -s (2 personne du singulier).
e
Dans tous les modes franais, on distingue les formes simples des formes composes. Les formes simples du verbe sont constitues dun radical et dune dsinence souds, alors que dans les formes composes, le radical verbal, pourvu dune dsinence de participe pass, peut tre aussi prcd dun verbe auxiliaire (tre ou avoir). L. Gosselin (1996, p. 10) distingue deux types daspects en franais : laspect lexical, qui quivaut aux types de procs (tat, activit, accomplissement, achvement) exprims par le lexme verbal et son environnement actanciel, et laspect grammatical qui dfinit le mode de prsentation du procs (accompli, inaccompli, itratif) tel quil est indiqu essentiellement par les marques grammaticales (temps morphologiques, semi-auxiliaires, adverbes daspect) . 2. LASPECT LEXICAL Laspect lexical correspond aux quatre types de procs proposs par Z. Vendler (1967, Chapitre IV, p. 97-121) : tat, activit, accomplissement et achvement. Le sens des verbes (ou des procs ou des prdicats) est porteur dindications aspectuelles indpendantes de leur emploi grammatical. Les verbes expriment ce quil est convenu dappeler des procs(21). Le procs qui est le signifi du verbe peut tre une action, un tat, une relation entre deux termes (M. Arriv et al., 1986). Par dfinition, tout procs suppose la fois un point de dpart (borne initiale), un droulement et un terme (borne finale). En ce qui concerne laspect lexical, les linguistes distinguent laspect imperfectif ou le procs imperfectif, et laspect perfectif ou le procs perfectif. 2.1. Laspect imperfectif M. Riegel et al. (1994, p. 293) dfinissent laspect imperfectif de la faon suivante :
Laspect imperfectif envisage le procs dans son droulement, sans vise dun terme final ; le procs est engag ds que le seuil initial est franchi (toute application, si minime soit-elle, suffit), et il est peru comme indfini et prolongeable, moins quun vnement extrieur ne vienne linterrompre (laction de marcher est engage ds quon a fait un pas (Je marche) et elle peut linguistiquement se prolonger indfiniment, mme si en ralit elle est borne par le temps, la fatigue ou dautres contraintes extrieures).
Laspect ou le procs imperfectif, qui est homogne, non tlique ou non terminatif, est reprsent par les verbes dtat et dactivit.
(21)
R. Martin ( Temporalit et classes de verbes , p. 5, 1988) : on entend par procs, laction ou ltat dcrit par la phrase entire et non seulement par le verbe . L. Tesnire (1959, p. 61) : Les procs sont les tats ou les actions par lesquels les substances manifestent leur existence, p. ex. est, dort, mange, fait, etc Les mots pleins exprimant lide dun procs sont appels verbes. 19
2.1.1.
Les verbes dtat reprsents principalement par tre + adjectif peuvent tre subdiviss en quatre tats, selon C. Fuchs et al. (1991, p. 145-148). Proprits ncessaires (atemporel) : tre mortel, tre un animal, etc. Proprits permanentes : tre rond, tre carr, etc. Proprits contingentes stables (non momentan) : tre colreux, tre avare, tre mchant, etc. Proprits contingentes instables (tat transitoire) : tre malade, tre fatigu, tre absent, etc. Outre les exemples forms par tre + adjectif, il faut tenir compte des types de syntagmes verbaux suivants : avoir deux yeux, avoir les yeux bleus, avoir un angle droit, avoir faim, avoir la grippe, savoir le franais, aimer quelquun, garder un secret, se trouver sur le haut de la colline, longer une rivire, habiter X, etc. Daprs Vendler (op. cit. p. 99), ces verbes sont incompatibles avec la forme progressive en anglais. Ainsi la question : What are you doing ?, on ne peut pas rpondre par : *I am knowing (loving, recognizing, loving you) Il est galement impossible, en franais, dutiliser tre en train de dans les phrases suivantes : * Lhomme est en train dtre mortel. * La terre est en train dtre ronde. * Je suis en train de savoir le franais. * Je suis en train dtre malade. Dune manire gnrale, les verbes dtat proprits ncessaires, permanentes et contingentes stables ne sont pas compatibles avec en / pendant + indication de dure, comme dans les deux exemples ci-dessous : * La terre est ronde en / pendant X annes. * Marie est belle en / pendant X annes. Quant aux proprits contingentes instables, certains syntagmes verbaux sont compatibles avec pendant, mais non pas avec en, comme dans les exemples ci-aprs : Marie a t malade pendant une semaine. Marie a te absente pendant une semaine. * Marie a t malade en une semaine. * Marie a te absente en une semaine. 2.1.2. Les verbes dactivit
Parler, marcher, courir, crire, travailler, pleuvoir, dormir, chercher une solution, conduire une voiture, fumer, pousser une charrette, etc. sont des verbes imperfectifs de type activit, car leur procs ne comporte pas de limitation intrinsque.
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Ces verbes partagent certaines proprits avec les verbes daccomplissement en ce quils sont compatibles avec la forme progressive en anglais. Ainsi la question : What are you doing ?, on peut rpondre par : I am running (writing, pushing a cart). Il est galement possible en franais de dire : Je suis en train de courir (crire, pousser une charrette). Comme ces verbes ressemblent galement aux verbes dtat en ce quils ne sont pas tliques (non terminatifs), il est donc impossible de poser la question suivante : Combien de temps a-t-il fallu pour marcher, courir, crire, fumer, chercher une solution, etc ? Par consquent, ils ne sont pas compatibles avec en + indication de dure (* Il marche en 5 minutes), mais avec pendant + indication de dure (Il marche pendant 5 minutes). Lorsquil sagit des verbes dactivit transitifs, leur emploi absolu (sans complment dobjet direct) peut les transformer en verbes dtat. Ainsi la question : Quest-ce quil fait (dans la vie) ?, on peut rpondre par : Il crit qui signifie cest un crivain ; Il boit ou il fume qui peut tre interprt comme cest un buveur ou un fumeur. Lemploi des articles devant les complments dobjet (un, du, des, les) joue aussi un rle important pour dterminer les types de procs. Ainsi, fumer, fumer des cigarettes, boire, boire de leau, etc, sont des verbes dactivit, car la quantit de cigarettes et deau nest pas clairement prcise, alors que fumer une cigarette, boire un verre deau, etc, sont des verbes daccomplissement. 2.2. Laspect perfectif M. Riegel et al. (1994, p. 293) dfinissent laspect perfectif de la faon suivante :
Laspect perfectif envisage le terme du procs : le procs nacquiert dexistence complte et vritable que lorsquil est parvenu son terme (ainsi, laction de sortir nest ralise quaprs le seuil, quand on est sorti, cest--dire quand on est dehors).
Laspect ou le procs perfectif, qui est tlique(22), non homogne, est exprim par les verbes daccomplissement et dachvement.
(22)
Tlique est ladjectif correspondant au substantif grec telos qui signifie terme . Selon M. Kozlowska dans Jacques Moeschler et al. (Le temps des vnements, 1998, Chapitre 10 Bornage, tlcit et ordre temporel , p. 221-244), il convient de distinguer la tlicit et le bornage. La tlicit est alors une proprit inhrente (intrinsque) dune ventualit : une ventualit est par dfaut tlique ou non tlique. Par contre, le bornage nest pas une proprit inhrente (cest une proprit extrinsque) () Autrement dit, la tlicit marque une rfrence temporelle virtuelle et le bornage marque une rfrence temporelle actuelle. En consquence une mme ventualit est ou nest pas tlique. En revanche, elle peut tre prsente comme borne ou non borne : (a) Max a couru le 400 mtres. (b) Max est en train de courir le 400 mtres. Ainsi, courir le 400 mtres est tlique. Ce processus est prsent comme born en (a) et comme non born en (b) . 21
2.2.1.
Ces verbes sont reprsents par les syntagmes verbaux suivants : courir un 100 mtres, tracer un (X) cercle(s), crire une (X) lettre(s), fumer une (X) cigarette(s), boire un (X) verre(s) deau, manger un (X) gteau(x), peindre une (X) cuisine(s), faire un (X) sandwich(s), construire une (X) maison(s), etc. On note que les verbes ci-dessus sont des verbes transitifs ; ils sont suivis dun complment dobjet direct dont la quantit est clairement limite par un ou X, X pouvant tre 2, 3, 4, etc. Ils sont compatibles, comme les verbes dactivit, avec la forme progressive en anglais. Ainsi la question : What are you doing ?, on peut rpondre par : I am running a mile (writing a letter, drawing a circle). Il est galement possible en franais de dire : Je suis en train de courir un cent mtres (crire une lettre, tracer un cercle). Comme ces syntagmes verbaux renvoient des vnements qui ont une certaine extension temporelle, il est donc naturel de se demander combien de temps un v-nement a pris pour saccomplir. Les verbes daccomplissement diffrent des verbes dactivit en ce quils sont compatibles avec en / pendant + indication de dure : Paul a trac un cercle en 5 minutes : le cercle est termin. Paul a trac un cercle pendant 1 minute : le cercle nest pas encore termin. 2.2.2. Les verbes dachvement
Entrer, sortir, partir, natre, mourir, atteindre, trouver, arriver, casser, apercevoir, gagner, exploser, etc., sont des verbes dachvement, car une fois son terme atteint le procs quils expriment ne peut pas tre prolong. Ces verbes renvoient des vnements qui sont par nature instantans, ponctuels ou momentans.
Un procs est momentan sil se ralise dans un intervalle instantan o, du mme fait, il est impossible de discriminer des phases. (R. Martin, 1988, p. 6)
Compte tenu des proprits des verbes dachvement, il est impossible de se demander combien de temps a dur un vnement de ce type ou au bout de combien de temps il sest termin (C. Fuchs et al., op. cit., p. 37). Les verbes dachvement ressemblent aux verbes dtat en ce quils ne sont compatibles ni avec les priphrases commencer , continuer , tre en train de, finir de (23) ni avec en / pendant + indication de dure. * Paul (commence , continue , tre en train de, finit de) atteindre le sommet. * Marie (commence , continue , tre en train de, finit de) tre belle. * Paul a atteint le sommet pendant 5 minutes.
(23)
Selon Z. Vendler (ibid, p. 104), les verbes dachvement, en anglais, ne sont pas compatibles avec la forme progressive : * I am reaching the top. 22
? Paul a atteint le sommet en 5 minutes. * Marie est belle en / pendant X annes. Selon R. Martin (1988, p. 6), un nonc comme Paul a atteint le sommet en quelques minutes est acceptable dans le sens o lintervalle est fait dinstants o le procs dcrit nest pas ralis mais seulement prpar ; le procs na lieu qu linstant ultime. Accompagn de la prposition en + indication de dure, le procs atteindre le sommet de type achvement, se transforme en procs de type accom-plissement. En ce qui concerne les temps verbaux, les verbes dachvement ont des affinits naturelles avec le PASS SIMPLE et le PASS COMPOS : Il a atteint (atteignit) le sommet 8 heures Paul est n (naquit) le 01/01/2000. Dans les exemples suivants le choix de lIMPARFAIT peut modifier le sens et laspect du verbe mourir, de type achvement : (a) Hier il mourait, aujourdhui il va bien. (b) Il mourait tous les soirs au troisime acte. (c) Le lendemain, il mourait. Dans (a) il mourait est un fait unique signifiant il tait mourant . Lemploi de lIMPARFAIT transforme le procs perfectif de type achvement du verbe mourir en procs imperfectif de type activit. Dans (b) il mourait exprime un procs itratif dans le pass. Dans (c) il mourait est un emploi dit narratif de lIMPARFAIT quon rencontre trs souvent dans la littrature. Cest un fait unique correspondant il mourut . Nous prsentons ciaprs le tableau rcapitulatif des quatre classes verbales (C. Fuchs et al., op. cit.).
Traits Classes Verbe dtat Verbe dactivit Verbe daccomplissement Verbe dachvement Dynamique Born Ponctuel
-+
+ +
--+ +
---+
3. LASPECT GRAMMATICAL Nous prsentons dabord laspect accompli et laspect non accompli, et ensuite laspect global et laspect scant.
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3.1. Laspect accompli et laspect non accompli Dans tous les modes franais (Indicatif, Subjonctif, Infinitif, Participe), lopposition entre laspect accompli et laspect non accompli ou inaccompli se manifeste par celle existant entre les formes composes et les formes simples du verbe. Dans le tableau ci-dessous, chaque forme simple correspond une forme compose :
FORMES SIMPLES Je chante (prsent) Je chanterai (futur) INDICATIF Je chantais (imparfait) Je chantai (pass simple) Je chanterais (conditionnel prsent) Que je chante (subjonctif prsent) SUBJONCTIF Que je chantasse (subjonctif imparfait) INFINITIF PARTICIPE Chanter (infinitif prsent) Chantant (participe prsent) MODES FORMES COMPOSES Jai chant (pass compos) Jaurai chant (futur antrieur) Javais chant (plus-que-parfait) Jeus chant (pass antrieur) Jaurais chant (conditionnel pass) Que jaie chant (subjonctif pass) Que jeusse chant (subjonctif plus-que-parfait) Avoir chant (infinitif pass) Ayant chant (participe pass)
Les formes simples expriment laspect non accompli qui saisit le procs en cours de droulement. Autrement dit, le procs est vu en cours daccomplissement. Quant aux formes composes, elles traduisent laspect accompli qui envisage le procs au-del de son terme, comme tant ralis, achev. A ct de laspect accompli on rencontre trs souvent dans les grammaires franaises laspect achev. Y a-t-il une nuance entre ces deux notions ? Dans de nombreuses grammaires franaises(24), la plupart des linguistes franais se servent indiffremment des notions daccompli et dachev pour dfinir les formes composes en gnral et le PASSE COMPOSE en particulier. C. Touratier (1996, p. 145) et J-J. Franckel (1989, p. 110) le prcisent clairement :
Seuls restent alors pour dcrire les valeurs et les emplois du PASSE COMPOSE les termes d achev ou d accompli , qui sont en quelque sorte venus spontanment lesprit des grammairiens. Et cette dernire notion est dautant plus intressante quelle pourra tre utilise pour dcrire les valeurs de tous les temps de la srie morphologiquement compose, qui semblent manifestement ajouter au morphme que contient le PASSE COMPOSE un morphme de non actuel dans le cas du PLUS-QUE-PARFAIT, un morphme de prospectif dans celui du FUTUR ANTERIEUR, et un morphme de pass factuel dans celui du PASSE dit ANTERIEUR. (C. Touratier) Les descriptions classiques du PASSE COMPOSE font couramment appel aux notions daccompli et dachvement du procs. (J-J. Franckel)
(24)
F. Brunot (1922), P. Imbs (1960), J-C Chevalier et al. (1964), E. Benveniste (1966), G. et R. Le Bidois (1971), R. Martin (1971), M. Arriv et al. (1986), H-D. Bchade (1986), R-L. Wagner et J. Pinchon (1991), P. Charaudeau (1992), Grevisse (1993), A. Herschberg Pierrot (1993), D. Denis et A. Sancier-Chateau (1994), D. Leeman-Bouix (1994), D. Maingueneau (1994), M. Riegel et al. (1994), L. Gosselin (1996), C. Touratier (1996), M. Pougeoise (1996), A. Frontier (1997), N. Fournier (1998). 24
Voici quelques dfinitions o les notions daccompli et dachev sont considres comme quivalentes :
Lopposition fondamentale est celle du droulement inachev et du droulement achev du procs : aspect de linaccompli / aspect de laccompli. (P. Imbs, 1960, p. 16) On appellera aspect de l accompli, laspect du procs vu entirement en dtention, cest--dire dont il ne reste aucune partie accomplir () Laspect de laccompli signifie que le terme du procs est atteint. (R. Martin, 1971, p. 52-53) Ici, les termes mmes daccompli et de non accompli indiquent la spcificit de lopposition aspectuelle : Jai crit signifie que le procs est achev, Jcris le prsente dans son accomplissement. (M. Arriv et al., 1986, p. 79) () La grammaire permet dopposer le procs en cours (A B) au procs accompli (By) () Opposition du procs en cours et du procs achev () (R-L Wagner et J. Pinchon, 1991, p. 312-313) La forme simple montre le procs en cours et la forme compose le montre achev. () Dans le premier cas, on parle daspect non accompli, dans le deuxime daspect accompli. (D. Leeman-Bouix, 1994, p. 48-49) Laspect accompli envisage le procs au-del de son terme, comme tant ralis, achev : le repre T est situ au-del de la borne finale () Les formes composes prsentent un procs parvenu son terme final, totalement achev. (M. Riegel et al., 1994, Chapitre VII, p. 292) Laspect accompli (extensif, transcendant) indique que le procs est achev : jai parl. (M. Pougeoise, 1996)
Les notions daccompli, dachev, dinaccompli ou non accompli, utilises pour dfinir lopposition aspectuelle entre les formes composes et les formes simples en franais, sont probablement empruntes respectivement aux thmes perfectum et infectum du latin. Daprs M. Wilmet (1997, p. 356-357) et N. Fournier (1998, p. 395), le PASSE SIMPLE en franais vient du perfectum praesens, qui donne tt des signes de flottement. Le bas latin remplace ce tiroir dfaillant au moyen dune priphrase : habeo visum, constitue du prsent de lauxiliaire habere (avoir) et du participe pass de videre (voir), qui perturbe le systme (Tableau 2), jusqu ce que la gnralisation des formes composes le restructure en franais (Tableau 3). Le PASSE COMPOSE ai vu procde de habeo visum. Tableau 2 Praesens Praeteritum Futurum Tableau 3 Prsent Pass Futur Infectum video videbam videbo Infectum vois voyais vis verrai
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M. Wilmet (ibid.), qui reprsente lcole de G. Guillaume, critique vivement les appellations inaccompli / accompli et imparfait / parfait, car, selon lui, lune contredisant pass dans le vocabulaire commun, lautre spcialisant pass dans le vocabulaire technique . Ce linguiste propose de traduire infectum par immanent et perfectum par transcendant. Quant D. Denis et A. Sancier-Chateau (1994, p. 62-63) et A. Herschberg Pierrot (1993, p. 48), ltiquette non accompli ou inaccompli est source de confusion car elle peut laisser croire que laction est incomplte et que le procs est en cours, alors que le PASSE SIMPLE (forme simple) envisage le procs dans sa globalit (dbut-droulement-fin). Malgr ces critiques, les notions daccompli et de non accompli sont plus utilises que celles dextensif et de tensif ou de transcendant et dimmanent, qui sont prises pour quivalentes des deux premires dans la grammaire de M. Arriv et al. (1986, p. 79) et le dictionnaire didactique de M. Pougeoise (1996). Si la plupart des linguistes franais recourent indiffremment aux tiquettes accompli et achev pour dfinir les formes composes en gnral et le PASSE COMPOSE en particulier, J-P. Descls (1994, p. 77-78) et D. Maingueneau (1994, p. 68), quant eux, distinguent ces deux notions au niveau conceptuel.
- Un processus est achev lorsquil atteint un terme final qui est impliqu par la signification du prdicat verbal ou de la relation prdicative. Au-del de ce terme le processus ne peut plus se poursuivre. - Un processus est simplement accompli lorsquil atteint un terme (accomplissement du processus) qui nest pas ncessairement le terme final du processus. Sans ce terme le processus aurait pu ventuellement se poursuivre. Pierre a couru toute la matine. (Le processus est accompli) . Ce matin, Pierre a couru un cent mtres. (Le processus est achev). Ce matin, Pierre a peint un mur pendant une heure. (Le processus est accompli). Ce matin, Pierre a peint le mur de sa chambre en une heure. (Le processus est achev). (J-P. Descls, cit par C. Touratier, 1996, p. 145) Avec des verbes dactivit (au sens de Vendler) lemploi de laccompli nimplique pas ncessairement que le procs est achev : si dans Voil, il a crit sa page (accomplissement) le procs est termin, dans Il a pleur des heures, et il continue (activit), ce nest plus le cas ; ici, cest seulement le rsultat prsent qui est envisag, non le terme. (D. Maingueneau)
C. Touratier (1996, p. 145) explique dans lextrait ci-aprs que la distinction entre le terme ultime et le terme non dfinitif nest pas pertinente en franais. Par consquent, on peut faire appel aux notions daccompli et dachev pour caractriser lemploi du PASSE
COMPOSE.
Le PASSE COMPOSE franais exprime simplement quun procs est arriv son terme, que ce terme soit ou non le terme ultime qui dcoule ventuellement de sa propre signification. Il est donc fondamentalement un accompli . Mais dans la mesure o la distinction entre terme ultime et terme non dfinitif nest pas pertinente en franais, on pourra, comme dans lusage courant, employer indiffremment les synonymes d accompli ou d achev pour caractriser la signification du PASSE COMPOSE.
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Le signifi d accompli est susceptible de prsenter deux types diffrents de valeurs suivant quil est ou non appliqu au domaine temporel : appliqu au domaine temporel, il prend le sens particulier de accompli (au point de vue temporel) , et par consquent de pass ; et quand il nest pas appliqu au domaine temporel, il signifie simplement laccomplissement du procs sans que cet accomplissement ne soit spcifi comme pass, prsent ou futur. ().
Nous pensons que les deux types de valeurs du signifi accompli selon C. Touratier, correspondent respectivement lemploi temporel et lemploi aspectuel des FORMES
COMPOSES. En nous appuyant sur les exemples dj cits de J.-P. Descls et de D.
Maingueneau, nous constatons que lorsque les procs imperfectifs (non tliques) de type activit (courir, pleurer), compatibles avec pendant, sont au PASSE COMPOSE, la distinction entre les notions daccompli et dachev est possible. Pierre a couru toute la matine. (J-P. Descls) Ce matin, Pierre a peint un mur pendant une heure. (J-P. Descls) Il a pleur des heures. (D. Maingueneau) Lorsque les procs perfectifs (tliques) de type accomplissement et achvement sont au
PASSE COMPOSE, la distinction entre les notions daccompli et dachev nest pas
possible, comme dans les procs ci-aprs qui sont tous achevs. Ce matin, Pierre a peint le mur de sa chambre en une heure. (J-P. Descls) Ce matin, Pierre a couru un cent mtres. (J-P. Descls) Voil, il a crit sa page. (D. Maingueneau) Paul est arriv. Dans ces exemples, on recourt au PASSE COMPOSE (ou aux formes composes) pour indiquer que le terme, quil soit dfinitif ou non dfinitif, est atteint. Par consquent, sagissant dun procs de type activit ou accomplissement, on peut dire : Pierre a commenc parler ou Pierre a commenc dessiner un oiseau, lorsque le terme concide avec la phase initiale du procs (aspect inchoatif) ; et Pierre a fini de parler ou Pierre a fini de dessiner un oiseau, lorsque le terme concide avec la phase finale du procs (aspect terminatif). En revanche, dans le cas du procs de type achvement, il est impossible de dire Pierre a commenc arriver ou Pierre a fini darriver, tant donn que le procs arriver est momentan. 3.2. Laspect global et laspect scant La distinction entre laspect global et laspect scant permet dopposer deux manires denvisager le droulement du procs. Celui-ci peut tre peru de lextrieur, dans sa globalit, considr comme un tout indivisible. Cest laspect global, que reprsentent le PASS
SIMPLE et le FUTUR SIMPLE. Le procs peut tre envisag de lintrieur, depuis lune des
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tapes de son droulement, sans que soient prises en compte les limites extrmes ; autrement dit on ne voit ni le dbut ni la fin du procs. Cest laspect scant quexpriment le PRSENT et lIMPARFAIT. Daprs les grammaires de M. Arriv et al. (1986, p. 80), de M. Riegel et al. (op. cit. p. 294) et de M. Pougeoise (1996, p. 61), le couple aspectuel scant / non-scant (ou global) correspond aux couples non-limitatif / limitatif et duratif / ponctuel. Cependant, selon M. Riegel et al., les appellations scant / non-scant et non-limitatif / limitatif sont prfrables lopposition duratif / ponctuel car celle-ci repose sur la seule ide de dure (procs qui dure vs procs bref). Or dans le cas de lIMPARFAIT et du PASSE SIMPLE, il ne suffit pas de les opposer comme indiquant respectivement laspect duratif et laspect ponctuel, tant donn que le PASSE SIMPLE ne traduit pas forcment des procs brefs, comme dans les exemples Le Moyen-ge dura mille ans ou Il plut quarante jours et quarante nuits. En dautres termes, cest la perception de ces procs qui est ponctuelle. M. Riegel et al. expliquent que labsence de limite marque par laspect scant de lIMPARFAIT implique invitablement un sentiment de dure plus ou moins longue, tandis que, pour le PASSE
SIMPLE, la prise en compte des limites par laspect non scant fixe un terme final la
dure du procs, nettement circonscrit dans le temps. Voici la dfinition du couple scant / non scant emprunte la grammaire de M. Riegel et al. (ibid.) :
On distingue deux manires de percevoir le droulement dun procs. Avec laspect scant, lintervalle de rfrence du procs est envisag sans limites ; il est peru de lintrieur et dcoup en deux parties : une partie relle nette et une partie virtuelle floue, cause de leffacement de la limite finale. Le procs peru suivant laspect non-scant est au contraire saisi globalement, de lextrieur, et enferm dans des limites ; en particulier, une borne finale lui est assigne.
3.3. Laspect semelfactif et laspect itratif (a) (b) (c) (d) Dimanche dernier, je suis all au cinma. Tous les jours, je me lve 8 heures. Je lai rencontr souvent. Le tlphone a sonn 5 fois.
Le mot semelfactif, du latin semel, signifiant une fois , indique que le procs de (a) se produit une seule fois. 3.3.1. Laspect itratif au moyen de circonstanciels de temps, dadverbes de frquence, et dadverbes de rptition
Laspect itratif montre que le procs est ralis plusieurs fois, au moyen de complments circonstanciels dans (b), dadverbes de frquence dans (c), ou dadjectifs numraux
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cardinaux dans (d). Selon L. Gosselin (ibid., p. 235), les adverbes de frquence, qui expriment une valuation souvent subjective et relative une norme du nombre doccurrences du procs, se distribuent sur un continuum : toujours, presque toujours, gnralement, habituellement, trs souvent, souvent, parfois, rarement, trs rarement, exceptionnellement, presque jamais, jamais , et servent construire une srie de procs borne de faon extrinsque (cest--dire que le nombre doccurrences du procs reste indtermin). Les adverbes de rptition (cinq fois, trois reprises, etc.) indiquent le nombre doccurrences du procs, et servent construire une srie de procs borne de faon intrinsque. Daprs ce linguiste, les procs intrinsquement borns sont compatibles avec En + dure, mais incompatibles avec Pendant + dure. Quant aux procs extrinsquement borns, ils sont compatibles avec Pendant + dure, mais incompatibles avec En + dure. En dix ans, il a gagn la coupe quatre fois. ?* Pendant dix ans, il a gagn la coupe quatre fois. ?* En dix ans, il a souvent gagn la coupe. Pendant dix ans, il a souvent gagn la coupe. Le suffixe -ailler (criailler) et le prfixe re- (redire, refaire) peuvent traduire aussi laspect itratif. 3.3.2. Laspect itratif au moyen de Dj et Encore
L. Gosselin (ibid., p. 237) appelle Dj et Encore des adverbes prsuppositionnels, qui peuvent exprimer laspect itratif ou laspect duratif.
Les adverbes prsuppositionnels dj et encore donnent des informations sur ce qui nest pas directement montr du droulement du procs. Encore indique que le procs avait dj lieu avant la vue qui en est donne (prsupposition) et quil va vraisemblablement cesser ensuite (implication) ; Dj marque quil y a eu au moins un moment o le procs navait pas lieu, avant le dbut de la vue (prsupposition), et quil va vraisemblablement avoir encore lieu aprs la vue (implication) Il a encore dormi (itratif) / Il a dj dormi (itratif)
Son point de vue rejoint celui de J. Hoepelman et C. Rohrer (1980, p. 128-131), selon qui Dj traduit laspect itratif et duratif lorsquil sassocie respectivement avec un procs dynamique : Il a dj crit une chanson, et avec un procs non dynamique : A cinq heures, il tait dj la gare. 3.4. Priphrases daspect
Imminentiel
(1)
Inchoatif
(2)
Transitif
(3)
Terminatif
(4)
Egressif
(5)
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Selon le schma ci-dessus emprunt Coseriu dans R. Martin et J. David (1980, p. 22), le franais peut recourir des priphrases spcialises permettant de prciser les diffrents aspects qui correspondent aux cinq phases suivantes dun procs : 3.4.1. Laspect imminentiel
Cet aspect, reprsent par les priphrases tre sur le point de, se prparer + infinitif, indique un fait qui va avoir lieu juste aprs un point de rfrence choisi. 3.4.2. Laspect inchoatif
Le mot inchoatif, issu du mot latin inchoativus, de inchoare, signifiant qui est au commencement , exprime le dbut dune action. On recourt commencer , se mettre , se prendre + infinitif pour exprimer cet aspect. 3.4.3. Laspect transitif
Selon M. Wilmet dans Martin et David (op. cit., p. 66) cet aspect, qui englobe laspect continuatif et laspect progressif, est traduit par tre en train de, continuer , rester , sobstiner , + infinitif. 3.4.4. Laspect terminatif
A loppos de laspect inchoatif qui souligne la limite initiale du procs, laspect terminatif en souligne la limite finale au moyen des priphrases finir de, achever de, cesser de + infinitif. M. Arriv et al. (1986, p. 81) font remarquer que lopposition entre ces aspects est manifeste par celle des deux prpositions et de. 3.4.5. Laspect gressif
Cet aspect, reprsent par venir de + infinitif, traduit un fait qui vient de se produire par rapport un point de rfrence choisi. Nous venons de prsenter brivement les aspects de quelques langues indo-europennes et les aspects en franais. Le chapitre suivant traite dabord de quelques particularits du vietnamien et ensuite des aspects en vietnamien.
30
I.
QUELQUES PARTICULARITS DU VIETNAMIEN Daprs Le Bien(25) (1999, Chapitre II, p. 22), les mots de la langue vietnamienne
peuvent tre scinds en deux grands groupes : Les mots pleins et les mots vides. Selon Nguyen Ngoc San (1993, p. 136), la distinction entre les mots pleins et les mots vides, qui correspondent respectivement en vietnamien thc t (vrai / mot) et h t (faux / mot), existe galement en chinois depuis trs longtemps. Les termes mots pleins et mots vides sont emprunts L. Tesnire (1959, p. 53) qui crit : La distinction des mots pleins et des mots vides nest rigoureuse que dans certaines langues, en particulier en chinois . CLASSIFICATION DES MOTS DU VIETNAMIEN CONTEMPORAIN MOTS PLEINS MOTS VIDES ou MOTS OUTILS
NOMS
NOMS QUALIFICATIFS
VERBES Statifs
MOTS AUXILIAIRES
MOTS FONCTIONNELS
PARTICULES
Selon Le Bien (ibid.) les mots pleins, trs nombreux quantitativement, possdent un sens rel car ils reprsentent les tres, les objets, les phnomnes, les notions, etc. Ils sont composs des catgories principales suivantes : le Nom et le Verbe. Du point de vue syntaxique, ils peuvent occuper la place du sujet et du prdicat dune phrase, ce qui nest pas le cas des mots vides. Les Pronoms, daprs cet auteur, nappartiennent ni aux mots pleins ni aux mots vides, mais ils sont plus proches des mots pleins que des mots vides, car, comme les mots pleins, ils peuvent jouer le rle du sujet. 1.1. Les Noms Le vietnamien distingue le nom propre du nom commun. Selon la Grammaire vietnamienne (2000, Trung Tm KHXH et NVQG), ce dernier peut se subdiviser en sept parties : noms comptables, noms collectifs, noms dunit de mesure, noms abstraits, noms numraux cardinaux, noms locatifs et classificateurs.
(25)
Les auteurs sont cits ici sous la forme que lusage national a consacre, soit le prnom suivi du nom pour les auteurs francophones et le nom suivi du prnom pour les auteurs vietnamiens. 32
Les Noms comptables (Danh t n the) dsignent des lments discontinus comme nha (maison), ghe (chaise), trau (buffle), etc. Les Noms collectifs (Danh t tong the) dnotent lexicalement une pluralit interne comme un groupe, une collection dindividus ou dobjets de mme espce : nhan dan (peuple), quan oi (arme), am ong (foule), etc. Les Noms dunit de mesure (Danh t n v) : lt (litre), thc (mtre), tan (tonne), etc. Les Noms abstraits (Danh t tru tng) indiquent des qualits, des ides, des sentiments, etc. : sc manh (force), hoa bnh (paix), tnh ban (amiti), etc. Les Noms numraux cardinaux (Danh t so lng) expriment le nombre : mot (un), hai (deux), ba (trois), etc. Les Noms locatifs (Danh t v tr) traduisent le lieu : tren (sur), di (sous), trong (dedans), ngoai (dehors), etc Les Classificateurs (Danh t loai the) sont considrs, selon Trng Van Chnh (1970, Chapitre XXI) comme des substantifs auxiliaires servant classer les tres humains, les animaux et les choses concrtes ou abstaites. Ngi th (classificateur / ouvrier) : louvrier Con nga (classificateur / cheval) : le cheval Cai ban (classificateur / table) : la table
1.2. Les Noms qualificatifs Outre les noms prsents ci-dessus, il nous parat indispensable de souligner les caractristiques des Noms qualificatifs comme ep (beau / tre beau), t te (gentil / tre gentil),
can am (courageux / tre courageux), o (rouge / tre rouge), etc., pouvant tenir les deux
rles essentiels suivants : Qualifier les noms ou les verbes auxquels ils se rapportent. tre le prdicat dune phrase simple. Les Noms qualificatifs se rapportant aux noms et aux verbes
1.2.1.
Le premier rle des noms qualificatifs vietnamiens consiste qualifier les noms et les verbes auxquels il se rapportent. Du point de vue syntaxique, les noms qualificatifs peuvent quivaloir celui des adjectifs ou des adverbes en franais. Mot hoc sinh cham ch Mot li van lu loat Mot cau th hay Mot co gai ep (un / lve / appliqu) (un / style / coulant) (un / vers / joli) (un / Cl. / femme / beau) : : : : Un lve appliqu Un style coulant Un joli vers Une belle femme
Dans les syntagmes ci-dessus, cham ch (appliqu), lu loat (coulant), hay (joli) et ep (beau) servant qualifier les noms qui les prcdent : hoc sinh (lve), li van (style), cau
Paul hoc cham ch Jean noi nang lu loat Pierre hat hay Marie mua ep
(Paul / apprendre / appliqu) (Jean / sexprimer / coulant) (Pierre / chanter / intressant) (Marie / danser / beau)
: : : :
Paul apprend studieusement Jean sexprime avec aisance Pierre chante bien Marie danse magnifiquement
Dans les syntagmes ci-dessus les mmes mots cham ch (studieusement), lu loat (avec aisance), hay (bien) et ep (magnifiquement) servant qualifier les verbes qui les prcdent : hoc (apprendre), noi nang (sexprimer), hat (chanter) et mua (danser) peuvent correspondre aux adverbes en franais. Il convient de souligner que les noms qualificatifs vietnamiens sont toujours postposs aux noms et aux verbes auxquels ils se rapportent, sauf les noms qualificatifs dorigine sino-vietnamienne : bach ma (blanc / cheval : cheval blanc). 1.2.2. Les Noms qualificatifs valeur prdicative
Les noms qualificatifs vietnamiens peuvent avoir la valeur prdicative, comme dans les deux exemples suivants : (a) Ngoi nha ep nay la gia tai cua bo me toi.
Cl. maison beau ci tre hritage de parents je
Cette belle maison est lhritage de mes parents. (b) Ngoi nha nay (* la) ep.
Cl. maison ci tre beau
Cette maison est belle. Dans (a), ep (beau) situ avant le pronom dmonstratif nay (ci) est un nom qualificatif. Autrement dit, ep (beau) faisant partie du sujet sert qualifier le nom nha (maison). Quant (b), ep (tre beau) plac aprs le pronom nay (ci) devient le prdicat de lexemple correspondant ainsi au verbe dtat tre beau en franais. De ce fait, il est impossible dans (b) de recourir la (tre) en vietnamien, car ep est un nom qualificatif remplissant le rle prdicatif. En revanche, lemploi du verbe la (tre) dans (a) est obligatoire lorsque celui-ci est suivi dun groupe nominal gia tai cua bo me toi (lhritage de mes parents). Il est tout fait possible de dire en vietnamien : Phong canh nay that la
hung v (Ce paysage est grandiose) ou Paul rat la t te (Paul est trs gentil), o le mot la
suivi de that (vraiment) ou rat (trs) na pas le statut du verbe la (tre), mais celui dune particule insistante (tr t), qui est un mot outil (ou un mot vide) servant, selon la Grammaire vietnamienne (2000, Trung Tm KHXH et NVQG, p. 212), renforcer le sens des mots auxiliaires that et rat (trs). Si lon enlve ces mots des phrases ci-dessus, la particule
la ne peut plus tre utilise : Phong canh nay la hung v ; Paul la t te. Toutefois on peut
trs bien utiliser ces mots auxiliaires sans recourir la particule la tout en maintenant le
34
mme sens : Phong canh nay that hung v (Ce paysage est grandiose) ; Paul rat t te (Paul est trs gentil). Trng Van Chnh et Nguyen Hien Le (1963, p. 170) soulignent la diffrence fondamentale entre les adjectifs franais, qui nont pas la valeur prdicative, et les noms qualificatifs vietnamiens qui peuvent jouer la fois le rle prdicatif et le rle qualificatif. Daprs ces auteurs (op. cit., p. 19), on peut dire en vietnamien tri xanh (ciel / bleu), en chinois thanh thien (bleu / ciel), en franais ciel bleu et en anglais blue sky. Dans ce contexte, xanh (bleu) en vietnamien et thanh (bleu) en chinois sont des mots qualificatifs. En revanche, dans le contexte ci-aprs, xanh en vietnamien et thanh en chinois peuvent avoir la valeur prdicative : Tri xanh (ciel / tre bleu) ; Thien thanh (ciel / tre bleu). Par consquent, ces phrases peuvent tre traduites par Le ciel est bleu en franais et par The sky is blue en anglais. On note quen vietnamien lordre des mots est toujours le mme quel que soit le contexte. En chinois, lorsque le nom qualificatif est antpos au nom comme dans
thanh thien (bleu / ciel), on obtient un groupe nominal correspondant ciel bleu ; lorsque le
nom qualificatif est postpos au nom comme dans thien thanh (ciel / tre bleu) on a affaire une phrase quivalant Le ciel est bleu. Trng V. Chnh et Nguyen H. Le insistent sur le lien troit entre lAdjectif et le Verbe en franais, car selon L. Tesnire (1959) cit par ces auteurs, il suffit dajouter le verbe tre pour transformer un adjectif en un verbe dtat. En viet-namien, le Nom qualificatif runit la fois la valeur de lAdjectif et celle du Verbe dtat en franais. 1.3. Les Verbes Nguyen Th Quy (1995, Chapitre I, p. 35) et Cao Xuan Hao (1998 b, p. 12) expliquent clairement que la catgorie Tnh t, traduction littrale du mot adjectif (du latin adjectivus signifiant qui sajoute ), nexiste pas en vietnamien. Ces auteurs proposent deux appellations V t ong et V t tnh pour remplacer les appellations traditionnelles ong t (Verbe) et Tnh t (Adjectif) utilises depuis toujours dans les grammaires vietnamiennes. Le mot V dorigine sino-vietnamienne signifiant noi rpond bien lacception parole du mot Verbe, issu du mot latin verbum. Nous pensons que V t ong (verbe / dynamique) et V t tnh (verbe / statif) correspondent parfaitement aux Verbes dynamiques et aux Verbes statifs, termes emprunts C. Fuchs et al. (1991). 1.3.1. Les verbes statifs
Les verbes statifs (ou verbes dtat) peuvent tre forms de la faon suivante :
35
Le verbe la suivi dun groupe nominal : la sinh vien (tre tudiant), la ngi Viet Nam (tre vietnamien), la thu o cua Phap (tre la capitale de la France), etc. Les Noms qualificatifs (non prcds du verbe la) valeur prdicative : t te (tre gentil), can am (tre courageux), o (tre rouge), etc. Yeu (aimer), biet (savoir), (habiter), co (avoir), etc. Les verbes dynamiques
1.3.2.
Selon Nguyen Kim Than (1977, Chapitre II) et Tran Trong Kim et al. (1940, IX), ces verbes peuvent tre diviss en deux groupes : les verbes simples et les verbes composs. 1.3.2.1. Les verbes simples Ceux-ci comportent uniquement un morphme et peuvent se scinder en deux sous groupes : a. Les verbes simples une syllabe Ce sont des verbes une syllabe sens plein : noi (parler), an (manger), uong (boire),
hat (chanter), ci (rire), mua (acheter), ban (vendre), i (marcher), lam (travailler), etc.
b. Les verbes simples deux syllabes Ces verbes sont forms de deux syllabes dont chacune des deux, prise isolment, na aucune signification : an nan (se repentir), can nhan (grogner), phan nan (se plaindre),
lang vang (rder), ham hoe (chercher menacer), nan n (implorer), rao rao (produire
des bruits de battements successifs), vo vo (bourdonner), etc. Les quatre premiers verbes sont forms par rduplication de la rime (an, an, an), les deux suivants par rduplication de linitiale (h, n) et les deux derniers par rduplication intgrale (rao, vo). 1.3.2.2. Les verbes complexes Ces verbes comportent deux morphmes et peuvent se diviser en cinq groupes. a. Premier groupe Ces verbes sont forms de deux verbes dont les sens sont : identiques : am be (porter dans ses bras) ; ca hat (chanter) proches : bam bao (faire un rapport / informer : rendre compte un suprieur) opposs : buon ban (acheter en gros / vendre : faire du commerce) Le sens de ces verbes composs est plus tendu que celui de chaque verbe composant. b. Deuxime groupe Ces verbes sont forms de deux verbes dont le second complte le premier : ban rao (vendre / crier : vendre la crie) ; hoi tham (interroger / visiter : prendre des nouvelles de quelquun), lam quen (faire / connatre : faire connaissance avec quelquun), etc.
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c. Troisime groupe Ces verbes sont forms dun verbe et dun nom : Biet n (connatre / bienfait : tre reconnaissant) ; anh hi (frapper / haleine : flairer), etc. d. Quatrime groupe Ces verbes sont forms de deux morphmes : lun est un mot plein, lautre est un lment valeur grammaticale. Ils sont diviss en deux sous-groupes : d1. Les verbes construction factitive Les mots sens grammatical sont antposs aux mots sens plein. Prenons lexemple des verbes composs anh ri (laisser tomber) et lam khoc (faire pleurer), o anh et lam (mots sens grammatical) permettent de transformer lemploi intransitif des verbes ri (tomber) et khoc (pleurer) en emploi transitif. Sach ri
Livre tomber
(verbe intransitif)