Edith Stein - L'histoire en Secret
Edith Stein - L'histoire en Secret
Edith Stein - L'histoire en Secret
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725
Panorama
de crise
en Asie
La crise asiatique n'est pas une simple crise montaire. C'est la crise d'un modle conomique et la remise en cause d'un certain schma socio-politique. De quoi raviver les questions de sens face la croissance, la modernit et la mondialisation.
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Kosovo
la guerre
invitable?
DRENS JEAN-ARNAULT
Les vnements tragiques qui ensanglantent le Kosovo ont sign l'chec de la politique de rsistance non violente mene depuis 1992. Sans doute la phase finale de l'clatement de l'ex-Yougoslavie.Un moment dcisif de la guerre des Balkans.
751 751
L'obligation
de soins
Traumatise par les agressions sexuelles, la socit exige de la justice une prvention efficace, laquelle parait rpondre l'obligation de soins. Le mdecin se trouve alors en premire ligne, dans un rle qu'il ne peut endosser sans vigilance.
763
Le baccalaurat
au pluriel
DANIEL BLOCH
de jeunes au En 1985, J.-P. Chevnement proposait l'objectif de 80 niveau bac pour l'an 2000. Il s'agissait de tenter de sortir d'une socit duale, minorit privilgie et formation longue d'un ct, majorit et courte formation professionnelle de l'autre. O en est-on?
f p ) FIGURES j LIBRES i
775
Qu'est
68 devenu
Le Mais. Mai (H. MADELIN) aris-Prague (P. GRMION) mal court. Le P bien aussi (F. LECORRE) Un pre de 68 Marcuse (J.-L.Schlecei.) La non-gnration (B. GuicuE).
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Plaidoyer
pour
une
nouvelle
rhtorique
Philippebreton
Le dbat public est soumis toutes sortes de manipulations. Les protagonistes eux-mmes n'en sont pas toujours conscients, mais les dgts sont rels. D'o l'urgence de refondre les normes de la parole dans l'espace public et de faire mergerune nouvelle rhtorique.
JUIN
1998
iv RELIGIONS ET
803
Edith
Stein,
l'histoire
en secret
LNA MARGUERITE
SPIRITUALITES
Ne nous htons pas de poser sur Edith Stein une tiquette, ft-elle en forme d'aurole. Laissons-nous mener en ce lieu de la Croix, gond et pierre d'achoppement de l'histoire universelle comme de nos histoires singulires.
817 7
L'unification et le rle
Les Eglises n'ont pas dfinir les formes politiques de l'Europe de demain. Mais elles sont conscientes que la dtermination vivre en Europe d'une faon europenne fait partie de leur responsabilit, au nom de l'Evangile.
/l AR T S E T LITTERATURE la
827
Le GRM
ou l'invention
du son
Jean-Franois
pioud
A peine g de 50 ans, le Groupe de Recherches Musicales vient d'entrer dans l'histoire. Mais qu'est ce GRM, inventeur et conteur de l'aventure de musique concrte, devenue lectroacoustique puis acousmatique ?
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Carnet
de thtre
MAMBRINO JEAN
839
Laurent Wolf
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Cinma
849
Notes
de lecture
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Revue
des
livres
La grandeur de Schubert
TECHNOLOGIE RECHERCHE, ET INNOVATION l' .. DIPLOMATIE L'EUROPE INEXISTANTE, JACQUES itflk^ ANDRANI irw-ri--iiirii-iaiii;ifiifii-iiTin"ri-iT. minm,J,JI1|JIL jMIMMMMMMtiMHM i.i .n ,<* ni', . .
Larevue Passages estvendue en kiosque,dans certaineslibrairieset surabonnement.Prix au numro 35 F.Prixde l'abonnement 350 F pour 10numros.Pourtous renseignements, contacterla revue Passages au 17, rue Simone-Weil, 501 Paris.Tel 01 45 86 30 02. 7 Fax: 01 44 23 98 24. Internet http:www.pariserve.tm. fr./passages/
(F)
PERSPECTIVES SUR LE MONDE
Panorama 1
de crise en Asie
SOPHIE
BOISSEAU
DU
ROCHER
1. Banque mondiale, The East Asia Miracle Economic Growth and Public Poliy,Washington, 1993. Asia's Jon Woronoff, Miracle Economies,Sharpe, Armonk, 1992. Jean-Luc Domenach, LAsie en danger, Fayard, 1998.
Ces dernires annes, l'Asie orientale nous surprenait, nous merveillait, nous inquitait. Le monde assistait, en temps rel, la transformation de tout un continent; la fois admiratif et perplexe, l'observateur s'interrogeait sur les ressorts de cette croissance'. Il s'agissait de comprendre les multiples processus en cours, de les saisir dans leurs perspectives, mais aussi dans leurs contradictions. Dans cette effervescence,il tait difficile de distinguer ce qui relevait de la tendance lourde, du discours idologique ou de la manipulation politique. En outre, l'Asiebousculait les certitudes universalistes d'un Occident secou par la propre crise de ses valeurs et de son modle. L'Extrme-Orient deviendrait-il le nouveau centre du monde que prdisaient les plus audacieux au dbut du sicle? Quelles consquences ce dplacement de puissance pourrait-il avoir sur notre positionnement? Les premiers signes de la crise entre le printemps et le dbut de l't 1997 ont t perus comme un soulagement le modle n'tait pas si parfait, ni infaillible. Les
Etudes
75006
Paris Juin
1998
N" 3886
2. Odon Vallet La vicroire des dragons l'Asieva-t-elle dominer l'Europe? Armand Colin, 1997. Thierry de Montbrial, Les leons d'Asie , Revue des deux Mondes, fvrier 1995, p. 40. 3. L'Union europennne est, de loin, le premier crancier des pays d'Asie, avec 345 milliards de crdits bancaires (contre 250 pour le lapon et 45 pour les Etats-Unis).
approximations d'une analyse trop simpliste sur cet espace mergent sont apparues dans toutes leurs limites et les premires ractions, maladroites, des dirigeants du Sud-Est asiatique ont aliment ce sentiment. Sur le moment, les difficults asiatiques ont rassur ceux qui s'taient laisss comme si les enjeux et convaincre du dclin europen', voire politiques et socitaux, quilibres conomiques, taient somme nulle. Dans un second temps, la contagion gographique et dimensionnelle de la crise a alert, en 3. Le modle donnant la mesure des interdpendances europen avait finalement peut-tre de beaux jours devant lui, mais celui-ci allait tre troubl par les engagements pris en Asie. Aujourd'hui, la tentation est forte de faire rtrograder cette Asie il y a encore peu triomphante au rang qu'elle occupait il y a vingt ans. La crise asiatique n'est pas une simple crise montaire. C'est la crise d'un modle conomique et la remise en cause brutale mais peut-tre utile d'un certain schma socio-politique. L'exprience qu'ont vcue les socits asiatiques ces trente dernires annes est la fois remarquable, dcapante et sans prcdent dans l'histoire de l'humanit. en cours et leur Pour bien mesurer les transformations amplitude, on peut les comparer avec celles que notre pays a connues entre la rvolution de 1789 et la premire guerre mondiale, pour le meilleur certes, mais aussi pour le plus difficile, voire le moins supportable. Ce qui signifierait que la crise actuelle, qui devient une crise de sens ou tlologique, nous concerne aussi. Parce que, mme si les problmes se posent en des termes diffrents, ils aboutissent sur la croissance, la (post) au mme questionnement modernit et la place assigne l'homme dans ces enjeux de pouvoir l'chelle mondiale. Les multiples de la crise
aspects
Mme si certains signes avant-coureurs alertaient sur la prcarit des fondements de la croissance (le FMI avait sensibilis les autorits thaes depuis 1995), la crise a vraiment dbut en Thalande au printemps 1997, lorsque les premires atteintes contre le baht thalandais affaiblissent le systme financier et montaire. Au dpart, donc, la crise est financire. La libralisation de la fin des annes 1980 avait entran un flux de capitaux trangers, notamment japonais. Cette masse d'argent, peu contrle, a provoqu
4. Daniel Besson et Marc Lantri, ANSEA la dcennie prodigieuse. Essai sur le dveloppement en Asie du Sud-Est, La Documentation Franaise, 1994.
une forte pousse spculative et un creusement du dficit de la balance des paiements courants. La hausse du dollar, sur lequel tait index le baht thalandais, a surenchri le prix des exportations quand dj les marchs extrieurs devenaient plus frileux (notamment pour les produits lectroniques) et que les produits locaux subissaient la concurrence des voisins (entre 1990 et 1996, les exportations chinoises ont t multiplies par 2,8). Les premiers retraits massifs de capitaux ont commenc dbut juillet (le fameux fonds de pension de Georges Soros a effectivement ragi le premier), aussitt suivis par d'autres, qui ont provoqu le phnomne de panique que l'on sait. En dpit des initiatives, fort coteuses, du gouvernement du Premier ministre Chavalit pour soutenir la monnaie nationale, le baht a t dvalu de 30 pour le seul mois de juillet 1997. Dans le mme temps, les autres pays de la rgion sont touchs Malaisie, Philippines, Indonsie, mme Singapour (qui ne partage pourtant pas les faiblesses de ses voisins corruption, opacit des procdures, dtrioration des instances de rgulation et/ou endettement) connaissent une chute de leur monnaie. La roupie indonsienne perdra sur sept mois 70 de sa valeur et le dollar singapourien 20 Mais la crise prendra une autre ampleur quand elle atteindra la Core du Sud la fin du mois d'aot. La contagion du modle coren viendra dstabiliser plus profondment nos certitudes. Considre comme la onzime puissance conomique mondiale, la Core du Sud, dernier membre admis l'OCDE en 1994, affiche des dsquilibres inquitants, masqus jusqu'ici par la collusion entre milieux d'affaires et milieux politiques. La stratgie de mondialisation des chaebols(les grands groupes corens) a cot trs cher et conduit le pays un surendettement abyssal qui provoque un tat de banqueroute. A ce stade-l, la crise est vraiment perue comme une remise en cause des modles asiatiques de dveloppement. Qu'il s'agisse du modle coren ou du modle ASEAN', les experts sont prompts dnoncer les abus des grands conglomrats, la collusion des lites, l'absence de visibilit financire et la manipulation des comptes, la spculation ou encore l'insuffisante remonte de la gamme industrielle, due au manque d'investissements dans la recherche et l'ducation. Les scandales qui atteignent le Japon l'automne (le ministre des Finances est contraint la dmission) font craindre une dstabilisation du systme
5. Etats, politiques publiques et dveloppement en Asie , Cahier du CEMDEV, n' 23, novembre 1995.
financier international. La crise devient conomique et l'on redoute une dpression gnralise. Le thme est dbattu lors du Forum de Davos, en janvier 1998. Certains voquent une crise d'ajustement la mondialisation. Les potions amres prconises par le Fonds Montaire International la question de posent prcisment l'ajustement. Mais de quoi parle-t-on? De l'ajustement aux normes librales rclam grands cris par les Amricains, qui n'ont pas russi pntrer les marchs rgionaux comme ils l'auraient souhait. Ds lors, les initiatives du FMI pour assainir les systmes locaux sont perues comme des tentatives d'ingrence et la crise s'largit progressivement au domaine politique. Ce que dit le Fonds Montaire International, c'est que les problmes du dveloppement dans les pays mergents d'Asie ont t amplifis par une mauvaise gestion, due l'indigence des lites, au copinage et au npotisme. La course l'enrichissement et la perspective de profits rapides ont encourag la spculation, les prts bancaires douteux, les pratiques fallacieuses et les prbendes toutes les chelles de la socit, y compris en haut lieu. Ce qui pas signifie que les classes dirigeantes, qui ont profit de cette vague porteuse (la toujours trs discrtement fortune de la famille Suharto est estime 100 milliards de francs), sont directement mises en cause. Ce que rvle cette crise, c'est que les origines des difficults que traversent les pays d'Asie depuis prs de six mois ne sont pas seulement financires, conomiques, mais d'abord politiques, voire socio-politiques. Ce qui, jusque-l, tait peru comme une force, le partenariat entre les acteurs publics et privs 5, est dornavant interprt comme l'obstacle majeur la reprise. La contestation socitale
Le fait nouveau, qui mrite une analyse trs attentive, concerne l'attitude des populations qui, actuellement, supportent plus difficilement cette collusion. Aprs en avoir bnfici, aprs avoir accept les effets induits du systme, les socits asiatiques, du lapon l'Indonsie, en mesurent le cot et plaident activement pour des changements plus radicaux. On assiste une vritable crise de confiance l'gard des dirigeants, qui ont berc en quelque sorte les populations d'illusions tragiques en manipulant
les chiffres et les ralits. Le retard prendre les mesures ncessaires, la maladresse des propos de certains qui font chuter un peu plus les cours ou l'incertitude d'autorits discrdites et incomptentes, ont accentu le malaise. Quand on a personnellement plac son pargne la bourse, on devient plus exigeant sur la qualit de l'environnement politico-conomique et, surtout, on demande des comptes. Ds lors, les socits dtiennent un pouvoir de contestation rel; aujourd'hui, elles insistent sur une rforme du systme, puisque celui-ci n'est plus compatible avec la croissance et, secondairement, avec les exigences de la globalisation. On a donc l les indices d'une fracture entre la socit et le monde politique susceptible de paralyser un peu plus la reprise conomique. Pour que la crise trouve un terme, il faut entreprendre une rforme significative des institutions politiques vers plus de transparence, moins de corruption et une autonomie des grands acteurs financiers, comme les banques centrales. Cette attente vers une refonte structurelle de ce qu'on pourrait qualifier de capitalisme d'Etat se retrouve travers tout le continent et mme dans des pays jusqu'ici peu prs pargns, tels que le Vit-nam ou la Chine populaire. Si la demande n'est pas prise en compte, on risque des drapages violents dans des pays qui voient leur taux de chmage crotre de manire inquitante (dj prs de 18 de la population active en Indonsie); en outre, la baisse des salaires et le dclassement des travailleurs qualifis sont galement proccupants. Il y a l un terreau favorable toutes sortes d'idologies, que le succs et la prosprit avaient dilues et neutralises. D'ailleurs, les protestations sont instructives des risques possibles pogromes l'gard des communauts chinoises (en Malaisie et en Indonsie), revendications scessionnistes (aux Philippines et en Indonsie), radicalisation du discours islamiste (en Malaisie et en Indonsie), manifestations estudiantines pro-dmocratiques (en Core du Sud et en Thalande). Les incidents ont t contenus pour l'instant, mais les vraies difficults sont venir sans des rformes rapides, il y a fort parier que les scnes de mcontentement auxquelles on a assist ces derniers mois se rpteront, avec encore plus de violence. Toute la difficult va consister grer et rgler simultanment ces trois crises cumules, conomiques, politiques et socitales. D'o l'importance cruciale de dirigeants comptents et visionnaires.
boursire a jou le rle d'un dtonateur de questionnement latent qui ne concerne pas la seule Asie. La manire dont ce questionnement sera abord et dbattu devrait nous renseigner sur les vraies rserves de la rgion, c'est--dire ses rserves humaines.
La tourmente
Interrogations Ces trente dernires annes, l'Asie orientale a connu, on l'a dit, des changements vertigineux. Elle est entre dans l're du progrs et de la modernit; les socits ont jou le jeu (elles ont t, ce titre, les meilleurs partenaires des mais elle ont aussi t touches par le gouvernements), virus de la vanit. On s'interrogeait pour savoir comment le march thalandais tait devenu un des premiers marchs l'exportation de Mercedes; on plaisantait sur ces chauffeurs de taxi, Canton ou Shanghai, qui jouaient la bourse en racontant leurs bons coups, le temps de la course, et incitaient les imiter; on regardait les Tours Petronas, les plus hautes du monde (452 mtres), grimper dans le ciel de Kuala-Lumpur; on s'inquitait du dernier mot d'ordre des entreprises corennes, To go global, qui s'intressaient nos marchs traditionnels a (l'affaire Daewoo-Thomson suscit suffisamment d'agitation en France). Les projets les moins raisonnables se succdaient. Le pari tait de taille, mais particulirement stimulant pour la consolidation du consolider le dvenationalisme, voire du rgionalisme loppement avant que les failles n'apparaissent comme trop paralysantes. Sur le coup, la russite de cette ambition justifiait qu'on ferme les yeux sur les carts les plus visibles et qu'on s'en tienne aux seuls indicateurs conomiques. La dgradation de l'environnement constitue, ce titre, une atteinte irrmdiable la qualit de la vie. Bangkok, Djakarta, Manille, Soul accumulent des embouteillages et des taux de pollution urbaine alarmants; Taipei et Shanghai ne sont pas mieux places dans la course la dgradation du cadre de vie. La dforestation a des consquences dramatiques sur les quilibres cologiques d'Asie du Sud-Est. Les feux de l't dernier en Indonsie symbolisent cet aveuglement gnral; Borno, Sumatra, Singapour, en Malaisie et jusqu'au sud de la Thalande, on allumait ses phares de voiture en pleine journe et les enfants se rendaient l'cole avec un mouchoir devant la bouche. Entre juin et dcembre 1997, plus d'un million
d'hectares de forts, parmi les plus anciennes et les plus riches de la plante, se sont consums. Personne n'a cout ceux qui prvenaient, encore rcemment, des dangers de promouvoir une chelle industrielle des pratiques dj pas toujours supportables au niveau artisanal. Les compagnies ptrolires, les industries du bois, les fonctionnaires intresss ont eu raison des arguments cologiques au nom du dveloppement . L'ampleur des dgts, lis aux difficults conomiques, permet enfin tout un chacun de poser la question essentielle de quel dveloppement voulons-nous ? A quel horizon d'attente pouvons-nous prtendre ? Une spcificit asiatique?
Une premire bauche de rponse avait dj t apporte au dbut des annes 1990, quand, la suite des pressions occidentales pour la dmocratisation des scnes politiques intrieures et le respect des droits de l'Homme, certains dirigeants (les Premiers ministres de Singapour et de Malaisie, Lee Kuan Yewet Mohamad Mahathir) avaient mis le fameux discours sur les valeurs asiatiques Le discours revendiquait des qualits propres aux Asiatiques (respect des autres dans un esprit de tolrance, sens de la famille et de la communaut, ducation, travail), sur lesquelles les ordres politiques pouvaient fonctionner, afin de leur permettre de ne plus subir la tyrannie des valeurs de l'Occident, ses menaces continuelles (suspension de l'aide, boycottages commerciaux. ) et les humiliations qu'il inflige en s'accrochant ses dernires illusions de grandeur ou ses oripeaux de puissance (selon les termes de Mahathir). D'ailleurs, font remarquer les tenants de cette doctrine, c'est parce que l'Occident a nglig ces valeurs de base qu'on assiste aujourd'hui la dliquescence de son thique et l'individualisation des tissus socitaux. Quel intrt auraient les pays d'Asie suivre les conseils d'Etats sur le dclin? Ce n'est pas de ce dveloppement-l que nous voulons, puisqu'il aboutirait aux mmes maux que ceux observs dans les pays occidentaux. En critiquant les impasses du tout-conomique sur les socits, les valeurs asiatiques exeraient des effets intgrateurs sur des constructions stato-nationales fragiles. Lediscours avait, on le voit, des relents trop politiques pour tre tout fait authentique; toutefois, mme s'il n'y rpondait pas, il
posait dj les bonnes questions et nous imposait une rflexion sur l'universalit, pas toujours dsintresse, de nos principes. Le dbat n'est pas clos et il rebondit, alors que l'Asie est en position de faiblesse. A quel compromis et quelles recompositions assistons-nous ? L'Asie a-t-elle encore des rserves pour dfendre sa prtendue spcificit? Les recompositions en cours
politiques
L'Asie n'est pas un ensemble homogne, comme le rappellent les processus l'oeuvre. Les diffrences dans la gestion des crises illustrent quel point, d'ailleurs, il est aussi simpliste de parler d'une Asie que d'un Occident. Il est mme fort possible qu'aux clivages traditionnels (religieux, culturels, gographiques), on soit oblig de superposer de nouvelles lignes d'analyse qui prendraient en compte les tendances lourdes qu'on observe actuellement. Sur le plan politique, par exemple, on distingue clairement plusieurs orientations. On peut passer rapidement sur ceux qui n'ont pas t touchs par les rcentes turbulences parce qu'ils n'taient pas suffisamment exposs le Vitnam, le Laos et, videmment, la Core du Nord, trois Etats dont les directions communistes auront des comptes rendre, mais d'un autre ordre. Reste deux tendances avec, entre elles, des nuances. La premire, celle du changement vers une vraie ouverture politique, est illustre par la Core du Sud. Alors que le pays traversait l'preuve la plus grave depuis la guerre de Core (1951-1953) et subissait une humiliation nationale avec la rvlation des pratiques fallacieuses des chaebols, fleurons de l'conomie sud-corenne, les lecteurs n'ont pas cd la panique et au discours dmagogique; ils ont opt, le 18 dcembre 1997, pour un prsident symbolique, Kim Dae Jung. Ancien dissident qui a lutt pendant plus de vingt ans contre la dictature militaire, Kim est devenu une figure emblmatique de la scne politique nationale. Le fait que la population, en dpit de son dsarroi financier mais aussi moral ait choisi des suffrages) cet homme plutt qu'un tech(avec 40,3 nocrate ou un reprsentant de parti traditionnel, est significatif du processus de maturation politique en cours. D'une part, l'lectorat est convaincu que les mthodes employes jusqu'ici ne sont plus adaptes aux nouveaux enjeux (un retour en arrire ne ferait donc qu'amplifier les difficults); d'autre part, il ralise combien le systme a besoin d'tre
rnov en profondeur (la dynamique progressiste, bien que plus risque, est prfre au statu quo). On est vraiment ici au cur d'une transition dcisive, qui devrait conduire, terme, une autonomisation du champ politique par rapport la sphre conomique. Les hommes nouveaux qui accdent au pouvoir devraient avoir plus de courage politique et de lgitimit que leurs prdcesseurs pour engager les rformes, si ce n'est pour la seule raison qu'ils n'ont pas d'intrts personnels au maintien du systme. En Thalande aussi, on assiste des changements de fond dans les recompositions d'acteurs, passs inaperus. C'est en effet au cur de la crise que l'volution s'est produite. Elu en novembre 1996, au terme d'lections particulirement corrompues, le Premier ministre Chavalit, gnral de l'arme de terre, ralise la fragilit de son pouvoir, bas sur une coalition htroclite. Il entame donc, courant octobre, des ngociations avec l'arme pour dclarer la loi martiale, afin de remettre la Thalande sur des rails . Mais la pression populaire aura raison de cette option rtrograde. Chavalit sera contraint de dmissionner et Chuan Leek Pai est nomm son poste, le 9 novembre 1997 (il avait dj occup cette fonction entre 1992 et 1995, la suite de la tentative de coup d'Etat des militaires). Une nouvelle constitution est vote, qui garantit que les droits et les liberts des individus doivent tre protgs par les institutions . Dans le cas thalandais comme dans le cas coren, on assiste donc une redistribution des rles et un apprentissage de principes nouveaux, rvlateurs d'une volution profonde. Alors que, dans ces deux pays, l'arme a occup une fonction prpondrante ces trente dernires annes, elle n'apparat plus comme l'acteur politique capable de rsoudre les problmes auxquels sont confronts ces pays et de conduire les ajustements ncessaires; la mme constatation peut d'ailleurs tre formule l'gard des partis politiques traditionnels, qui ont assur le dveloppement politique et conomique. Aux Philippines encore, l'opinion publique a contraint le prsident Ramos ne pas briguer un second mandat, comme la constitution l'y oblige. S'il reste difficile d'valuer le degr de basculement des jeux politiques (complet ou transitoire?), on peut toutefois affirmer que les choix des socits civiles
voluent de manire irrversible et marquent l'acquisition d'une nouvelle conscience politique. La seconde tendance l'uvre semble beaucoup plus proccupante. Entre la Birmanie et l'Indonsie, voire le Cambodge, on assiste un raidissement des rgimes politiques archaques qui n'augure pas des jours meilleurs pour les socits concernes. Le prsident Suharto, rlu en mars 1998 pour un T mandat par une Chambre qu'il avait en partie nomme, a prsent son nouveau cabinet, qui impose sur le devant de la scne politique des figures trop connues (le vice-prsident Habibie est considr comme l'un des responsables de la mauvaise gestion gouvernementale ayant dirig des projets faramineux; sa fille, Tutuk, parat plus motive par le got du pouvoir que du bien commun) et peu enclines des changements structurels. En Birmanie, d'o la junte militaire observe attentivement l'volution indonsienne, les progrs sont ngligeables. Au nom de l'unit nationale, ces rgimes privent les citoyens de liberts fondamentales. L'opposition est musele, les moyens d'expression sous contrle, et l'on ne voit pas de quelle faon les situations vont se dbloquer. Entre des acteurs qui s'accrochent au pouvoir et au maintien de leurs privilges et des minorits plus structures et vindicatives, la marge de manuvre est troite. de la mondialisation
Enjeux
conomique
7. leffrey Sachs, IMF isn't what a! Orthodoxy Southeast Asia needs , Herald Tribune,4 novembre 1997.
A ces clivages politiques en cours de formation correspondent des clivages conomiques entre ceux qui acceptent, de gr ou de force, les mesures de restructuration et ceux qui les refusent. Le dbat est, au-del des arguments techniques pour ou contre le FMI (dbat qui se dveloppe jusqu'aux Etats-Unis) beaucoup plus sensible, puisqu'il porte sur l'ouverture la globalisation et la gestion nationale de celle-ci. Jusqu'ici c'est--dire jusqu' la crise on pourrait schmatiser en rappelant que l'Asie orientale profitait largement des circuits mondiaux (elle a accueilli 40 des investissements internationaux en 1996) ainsi que des marchs extrieurs, mais qu'elle n'a pas beaucoup fait profiter le monde de ses marchs par la mise en Il a place de toute une srie de barrires protectionnistes. donc t possible de se dvelopper grce aux circuits mondiaux, tout en se protgeant partiellement d'une pntration extrieure massive. L'enjeu des prochaines annes est
8. Masahiko Ishizuka, Crisis shaking Asia to its core values , Nikkei Weekly, 22 dcembre 19'J7.
de taille puisque, on en conviendra, la mondialisation pose des problmes identitaires que les entreprises amricaines refusent de considrer. Accepter les mesures du FMI, c'est changer les rgles du jeu (qui reposent parfois sur de fragiles quilibres ethniques pour prserver la stabilit nationale) c'est aussi se plier aux normes internationales, ouvrir la porte toutes sortes d'influences et prendre un vrai risque sur le sens des projets nationaux, trs sensibles en Extrme-Orient. Mme dans les pays les plus rceptifs, les critiques contre le FMI et les Etats-Unis se multiplient (les investisseurs et multinationales, particulirement attentifs aux entreprises qui vont devoir tre recapitalises, sont considrs par les populations locales comme des prdateurs), et les termes de dignit nationale, d'humiliation et d'honneur reviennent plus souvent. Il est trop facile, affirment les populations interroges, de blmer et d'accuser ce et avec quel enthousiasmes Mais qu'on a clbr s'opposer aux remdes prconiss comme le fait l'Indonsie, au nom d'un refus des ingrences et diktats extrieurs ou d'un hypothtique complot , c'est prendre le risque de s'isoler et d'accumuler du retard pour oprer ces mutations; c'est entrer dans des rapports de force d'une tout autre ampleur. Cette crise entranera donc aussi des recompositions sur la place du monde en Asie et de l'Asie dans le monde. Recompositions internationales
Sur ce terrain, l'alternative est apparemment simple, mais les divers jeux d'alliance pourraient dboucher sur des quilibres plus subtils. Force est d'abord de constater qu'un seul pays a t pargn par les turbulences actuelles la Chine, pour diffrentes raisons qui n'ont rien voir avec la comptence des autorits, mais plutt cause d'une insertion plus limite dans les circuits internationaux, la faiblesse de sa capitalisation boursire et l'absence de convertibilit de sa monnaie s'en sort plutt bien. Sollicite,la Chine accrot ses moyens d'influence sur la zone et agite le spectre d'une ventuelle dvaluation montaire que ses voisins redoutent (la dvaluation de 1994 avait dj exercde lourdes pressions concurrentielles sur les conomies rgionales). Pkin est aussi en position de force sur le terrain diplomatique, puisque les Etats-Unis, comme l'Union europenne, souhaitent renforcer les liens
9. Fred Bergsten, La crise montaire en Asie les solutions proposes , Politique Etrangre, hiver 1997-1998, p. 597.
10. Sophie Boisseau du Rocher, L'ASEAN et la construction rgionale en Asie du Sud-Est, L'Harmattan, coli, Logiques politiques, 1998.
11 Michael Richardson, Crisis prompts Asia's Leaders to bend , International Herald Tribune, 9 janvier 1998.
avec le nouveau Premier ministre, Zhu Rongji. Enfin, comme toujours, les ambitions scuritaires de la Chine marquent le rythme dans la rgion; au mieux peut-on tenter de dissuader les autorits chinoises de se lancer dans ce genre d'aventure. Le Japon, de son ct, est actuellement dans une passe difficile; certains lui reprochent de ne pas avoir entrepris les rformes qui s'imposaient, alors que ses responsabilits de locomotive rgionale devaient l'y obliger. En outre, le Japon n'a toujours pas trouv sa place entre un alli amricain de plus en plus inconfortable et la prfrence rgionale. Qu'il balance vers l'une ou l'autre option, et immdiatement des reproches lui sont adresss. Ainsi, au milieu de la tourmente montaire, Tokyo a propos la cration d'un Fonds Montaire Asiatique, pour soutenir la reprise et prvenir de futures perturbations. Les Amricains, d'une zone qui fonctionneinquiets de l'autonomisation rait sur des principes qu'ils n'auraient pas dicts, ont aussitt dnonc l'initiative, afin de ne pas dresser une barrire au milieu du Pacifique En revanche, ils ont propos que le FMA soit plac sous l'gide de l'APEC (dont ils sont membres actifs). Enfin, l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) subit le double contrecoup de la crise et de l'lar la Birmanie et au Laos, en juillet 1997. gissement Affaiblie par ces chances assimiler, l'ASEAN est beaucoup moins active et expose qu'elle ne l'tait ces cinq dernires annes. Alors qu'elle a t conue comme le faire-valoir des Etats d'Asie du Sud-Est et des rgimes qui les incarnaient 10,elle risque aussi d'tre atteinte par les divergences d'orientation politique voques plus haut. La question qui se pose prsent est de savoir sur quelles bases va se redployer le jeu rgional et si la pression exerce actuellement par les Etats-Unis pourrait servir d' antagonisme mobilisateur pour resserrer les rangs d'une rgion prouve. L'hypothse de la carte rgionale susceptible de permettre une meilleure rsistance aux pressions et subordinations extrieures n'est pas carter"; les pistes sont dj bien traces, tant dans le domaine conomique (East Asia Economic Caucus, zone de Libre-Echange, ASEAN), que politique (rencontres au sommet des dirigeants aprs le sommet annuel de l'ASEAN) ou scuritaire (ASEAN Regional Forum). Force est nanmoins d'admettre que, dans ce schma, la Chine dtient le rle central.
Rien n'est plus prilleux que d'entreprendre des rformes et des changements dans une atmosphre de crise et de perte de confiance, surtout quand ceux-ci sont fortement insuffls de l'extrieur entre les rgles du capitalisme international et les traditions asiatiques, le chemin est encore long. Il n'a d'ailleurs pas dbut avec la dernire crise, si l'on se souvient des affrontements militaires qui ont marqu les relations entre l'Asie et les puissances occisicle. dentales au xix* La crise peut avoir des vertus thrapeutiques en permettant aux hommes de ragir sur les drives d'une course la croissance, de rtablir le cap entre emprunt et tradition, de retrouver le sens d'un vivre ensemble . Elle pourrait donc permettre de sortir du malaise provoqu par une prosprit dbride en engageant une rflexion- de fond sur l'avenir collectif, national et rgional. Pragmatiques, les Asiatiques vont se fondre dans la constitution du nouvel homme mondial , tout en tant trs attentifs ne pas dissoudre leurs multiples identits d'Asiatiques; c'est peut-tre dans ce nouveau dfi, qui valorisera le jeu interactif entre les Etats et la rgion, que l'Extrme-Orient se (re)constituera. A moyen terme, si elle russit tenir les chances qui la placent dans l'inscurit immdiate, l'Asie orientale pourrait valoriser ses atouts dans l'espace mondial. SOPHIE OISSEAU B DUROCHER
(p)
Kosovo 1 la guerre invitable ?
JEAN-ARNAULT
Drens
Les massacresdu dbut du mois de mars ont brusquement braqu lesprojecteurs l'actualitsur le Kosovo. e quotide L dien de cette province mridionale de la Serbie est pourtant marqu par une rpressionininterrompue,qui a fait des centainesde mortsdepuisla suppression statut d'autonomieet la du miseen place d'un rgimed'exception,en 1989-1990.
LES ALBANAIS, sous l'impulsion d'Ibrahim Rugova, avaient rpondu la violence de l'Etat serbe par une stratgie de rsistance non violente , concrtise notamment par la proclamation symbolique d'une Rpublique de Kosov en 1992, mais les vnements tragiques qui ensanglantent le Kosovo soulignent aussi l'chec de cette stratgie, qui n'a pas permis de dboucher sur un rglement politique de la crise. Le dbut de la phase finale de l'clatement de l'ex-Fdration yougoslave et, plus largement, d'un nouvel acte dcisif de la guerre des Balkans est en train de se jouer.
Etudes
14.rue d'Assas
75006
Paris
Juin
1998
N 3886
Des positions
inconciliables
Depuis les massacres du dbut mars 1998, feignant d'obir aux injonctions de la communaut internationale, les autorits serbes et yougoslaves ont multipli les tentatives de discussion avec les dirigeants albanais, qui ont refus ces propositions. Lamanuvre tait habile, du point de vue serbe, afin de disqualifier l'intransigeance albanaise, mais les propositions faites n'taient que des leurres. Il est en effet impossible pour les Albanais d'entamer des pourparlers avec des reprsentants de la seule Rpublique de Serbie, pourparlers prenant comme prsuppos le maintien de l'appartenance du Kosovo la Serbie, position unanime de la classe politique serbe. LesAlbanais exigent des discussions avec des reprsentants de la Fdration yougoslave et de la communaut internationale. Ils sont en quelque sorte prisonniers de la proclamation unilatrale d'indpendance, en 1992, de la Rpublique de Kosov ; comment, aprs celle-ci, ngocier un simple statut d'autonomie? Les positions albanaises et serbes semblent donc parfaitement inconciliables. La seule porte de sortie pourrait se trouver dans la ngociation d'un statut spcial pour le Kosovo, non plus au sein de la Serbie, mais de la Fdration yougoslave. C'est la solution de compromis que suggrent aussi bien le Premier ministre albanais, Fatos Nano, que le prsident dmocrate du Montngro, Milo Djukanovic, et qui pourrait avoir l'aval de la communaut internationale, qui s'est toujours oppose l'option juge irraliste d'une indpendance du Kosovo, en craignant les consquences rgionales qu'aurait un nouvel clatement de ce qui reste de la Yougoslavie. Lenationalisme serbe contemporain a t ractiv partir de la question du Kosovo, depuis le Mmorandumde l'Acadmie des sciences et des arts de Serbie, en 1986, jusqu'au discours de Slobodan Milosevicdans la plaine de Kosovo Polje, le 28 juin 1989. L'Acadmie reprend les poncifs du nationalisme sur le thme du Kosovo berceau de la nation serbe et dnonce le nettoyage ethnique dont auraient t victimes les Serbes. Beaucoup de Serbes ont quitt le Kosovo depuis 1945, car il s'agit de la rgion la plus dshrite de la Fdration yougoslave, tandis que les Albanais bnficient d'une trs grande vitalit dmogra-
phique. Ainsi, l'quilibre entre les deux populations n'a cess de s'inflchir en faveur des Albanais, qui reprsentent aujourd'hui plus de 90 de la population totale de la province, malgr leur forte migration vers l'Allemagne ou la Suisse. C'est au Kosovo que Slobodan Milosevic va reprendre ces thmes son compte et raliser sa conversion du communisme au nationalisme. Ds cette priode, la rgion va tre en proie une rpression froce, qui aboutira la suppression de l'autonomie par un dcret du Parlement de Serbie, le 5 juillet 1990. Dans ce contexte d'extrme tension, les Albanais du Kosovo pouvaient estimer bon droit n'avoir pas t consults sur les conditions d'clatement de la Fdration socialiste de Yougoslavie.De mme, ils n'ont jamais t consults sur leur appartenance la nouvelle Fdration yougoslave, cre en 1992 seuls les Montngrins se sont prononcs ce sujet par rfrendum, en fvrier 1992. LesAlbanais estiment que le cadre de droit qui tait le leur a t bris sans consultation et qu'ils taient donc en droit de proclamer l'indpendance du Kosovo. Une histoire tragique
1. La Grce s'oppose a l'usage du nom Macdoine pour dsigner un tat slave, et a russi imposer que le pays * s'appelle Former Yugoslavia's Republicof Macedonia a (FYROM). La Macdoine est cependant bien pluss menace par la convoitisee bulgare, qui considre les Macdoniens comme des s Bulgares de l'Ouest . 2. Lire Michel Roux, Les Albanais en Yougoslavie. il Minorit nationale, territoire et dveloppement, Maison des Sciences de l'Homme, 1992.
Nous avons laiss chapper une occasion de rgler la question albanaise dans son ensemble en 1989-1991, lors de l'clatement de la Fdration yougoslave; nous devons saisir la nouvelle possibilit d'un rglement global qui se prsente aujourd'hui , explique Arbr Xhaferi, le prsident du Parti dmocratique albanais (PDSH) de Macdoine. Les Albanais reprsentent de 24 (chiffre officiel du recensement de 1994) 40 de la population de la Rpublique voisine de Macdoine (FYROM). Ce peuplement albanais est trs fortement concentr l'ouest de la Rpublique, le long des frontires avec le Kosovo et lAlbanie. Comment pourrait-on donc penser qu'une indpendance du Kosovo n'entranerait pas immdiatement des ractions en Macdoine, pouvant aller jusqu' l'clatement et la disparition de ce pays' ? Il faut surtout comprendre que l'on aurait d trouver des solutions globales au problme albanais en ex-Yougoslavie'. L'aire de peuplement albanais fut autrefois bien plus vaste qu'elle ne l'est actuellement. L'expansion serbe vers le sud, aprs le Congrs de Berlin (1878) et la premire guerre balkanique (1912), s'est faite en massacrant et en chassant un grand nombre d'Albanais, anciens protgs de l'Empire turc ottoman. Des
3. Lire Rexhep Qosja, La it question albanaise, traduit de l'albanais par Christian| r Gut Fayard, 1995; et, sur la politique du ministre serbe Ilija Garasanin, '] David MacKenzie, IHja Garasanin Balkan Bismarck, New York, Columbia University Press, 1985.
rgions du sud de la Serbie, comme la Toplica, taient albanaises au XIXe sicle, et la concentramajoritairement tion actuelle du peuplement albanais est le rsultat de ce premier nettoyage ethnique 3. Par contraste, l'expansion territoriale du Montngro sous le rgne du roi Nikola (1860-1921) ne s'est accompagne d'aucun massacre ni dplacement de population, ce qui explique que les Albanais puissent sans difficult se considrer comme citoyens du Montngro. Le peuple albanais a srement t la principale dupe du rglement des guerres balkaniques et des deux guerres mondiales. A partir de 1912, n'a t reconnu un tat albanais que sur une petite portion du territoire habit par des Albanais, et cette situation a t entrine par la cration du Royaume yougoslave , au sortir de la premire guerre mondiale. Cette premire Yougoslavie, grand-serbe et centralise, a tent une politique de colonisation du Kosovo, qui a entran l'exil de beaucoup d'Albanais. Durant la seconde guerre mondiale, l'intelligence politique de Tito fut de relier la lutte de libration antifasciste un projet de cration d'un tat fdral garantissant les droits de tous les peuples qui y vivaient. Ce projet dbordait des frontires de l'tat yougoslave d'avant-guerre, pour s'tendre l'chelle des Balkans entiers. Trs vite, les rivalits entre les trois chefs communistes, Tito, le bulgare Dimitrov et l'Albanais Enver Hoxha, le rendirent caduc, et la rupture TitoStaline de 1948 offrit une lgitimation de idologique l'abandon de ce rve balkanique. La coupure entre les Albanais de Yougoslavie et leurs frres de la mre-patrie tant entrine; il fallait dfinir leur statut dans le cadre du nouvel tat yougoslave.
Le narodnost
albanais
4. Par exemple, la Slovnie tait le foyer national du peuple slovne, la Bosnie-Herzgovine tait le foyer national des trois peuples constitutifs de la Fdration y f y vivant les Musulmans, les Serbes et les Croates, etc.
Le constitutionnalisme yougoslave distinguait les peuples constitutifs (narodi) des nationalits (narodnosti) et des minorits nationales (nacionalnosti ou nacionalne manjine) les peuples taient peuples constitutifs de la Fdration et disposaient de foyers nationaux , une ou plusieurs Rpubliques fdres et pour tre peuple constitutif , il fallait ne pas pouvoir avoir de d'tat extra-yougoslave de rfrence indpendamment leur nombre, les Italiens, les Hongrois et les Albanais ne
pouvaient pas prtendre ce statut de peuple constitutif , mais seulement celui de narodnost. La situation volua considrablement avec la Constitution confdraliste de 1974, puisque les deux rgions autonomes (autonomske pokrajine) de Vovodine et du Kosovo se virent reconnatre un statut quasi rpublicain. Lacote tait mal taille et suscitait insatisfactions de toute part les Albanais du Kosovo taient privs du prestige symbolique d'une Rpublique, mais le Kosovo tait une entit fdrale dputant directement au Parlement fdral et la prsidence collgiale de la Fdration aprs la mort de Josip Broz Tito en 1980, tout en continuant faire partie de la Rpublique de Serbie et en dlguant, ce titre, des dputs au Parlement de Serbie. Lesnationalistes serbes pouvaient, non sans quelques arguments logiques, dnoncer la situation la Serbie n'avait aucune prise sur la vie politique de la province, alors que celle-ci, par le biais de ses dputs, continuait de peser sur les destines de sa Rpublique de rattachement. Cette contradiction constitutionnelle allait se rvler source de tragiques malentendus, lors de l'clatement de la Fdration. La commission Badinter, charge, l'automne 1991, par l'Union europenne, de dfinir les conditions d'accs l'indpendance des Rpubliques issues de la Fdration, s'en tint ce qui devenait la jurisprudence internationale sur la succession des tats fdraux, en faisant des frontires des Rpubliques fdres, et d'elles seules, les frontires internationales d'tats appels l'indpendance. Rien ne pouvait tre envisag, dans ce cadre, ni pour le Kosovo ni, plus largement, pour le peuple albanais, prsent galement dans les Rpubliques du Montngro et de Macdoine. A l'inverse, les Albanais pouvaient avancer deux arguments qui n'ont pas t pris en compte le peuple albanais le narodnost albanais tait, numriquement parlant, avec trois millions de citoyens, le troisime peuple de la Fdration, aprs les Serbes et les Croates, et le Kosovotait, depuis 1974, une entit fdrale, quasiment au mme titre que les Rpubliques fdres. Le fait est que les Albanais ont t les grands oublis de l'clatement de la Fdration yougoslave alors qu'un terrible rgime d'apartheid se mettait en place leur encontre au Kosovo, ils perdaient en
Macdoine leur statut de narodnost, en devenant une simple minorit nationale , puisque la nouvelle Constitution de la Rpublique indpendante dfinit la Macdoine comme l'tat national des seuls Macdoniens.
Une
socit
parallle
La raction albanaise s'est traduite par l'exprience extraordinaire de la mise en place d'une socit parallle , prenant en charge tous les aspects de la vie sociale, depuis la scolarisation systmatique des enfants dans les coles clandestines en langue albanaise, jusqu' la mise en place d'un systme de sant et le dveloppement d'une conomie prive, rpondant au licenciement de tous les Albanais des emplois publics. Cette exprience, mene dans un contexte de rpression ininterrompue, n'a pourtant pas permis de dgager de rponses politiques la crise du Kosovo. Dix ans aprs le dbut des troubles au Kosovo, six ans aprs la proclamation de la Rpublique de Kosov , aucun espoir de rglement politique ngoci ne s'est jamais prsent. L'exprience amorce par Ibrahim de Kosov Rugova, prsident de la Ligue dmocratique (LDK) et de la Rpublique de Kosov , a permis la survie dans des conditions extrmement difficiles, mais n'a-t-elle pas, par un effet pervers, bloqu tout perspective de rglement politique? de 1974 Du moment que le cadre constitutionnel clatait, soit l'on choisissait, comme Ibrahim Rugova, de considrer les frontires de la rgion comme pouvant se transformer en frontires d'tat de la mme manire que celles des Rpubliques fdres, option rejete par la communaut internationale soit l'on devait apprhender le problme albanais dans sa globalit. La stratgie d'Ibrahim Rugova alliait rsistance non violente l'intrieur le problme, en et volont permanente d'internationaliser pensant qu'une solution ne pourrait venir que d'une intervention rsolue de la communaut internationale en Serbie. Le ralisme suppos d'Ibrahim Rugova consistait rclamer une solution pour le seul Kosovo, sans tenir compte de la situation des Albanais de Macdoine. L'intervention internationale s'est toujours fait attendre, la guerre de Bosnie ayant l'effet pervers d'esca-
6. Lire Adil Jakuzi, Two Albanian States and the National Unification, Prishtina, Institute of Economies, 1996.
moter le problme du Kosovo; et la question du Kosovo n'a connu qu'un long pourrissement depuis 1992. Les Accords de Dayton, en ouvrant la voie un rglement du conflit bosniaque, ont remis le Kosovo au premier plan, mais dans une situation politique notablement diffrente. Slobodan Milosevic a vu consacrer son rle de garant de la stabilit balkanique, en tant que cosignataire des accords de Dayton. Le chantage de M. Milosevic, sur le thme C'est moi ou le chaos , a parfaitement russi, mais la dtrioration de la situation l'intrieur mme de la province, o les Albanais semblent tre alls l'extrme de leur capacit de rsistance, oblige remettre en cause le statu quo. La mise en place d'une socit parallle ne peut pas tre une fin en soi, hormis, peut-tre, pour une poigne de prvaricateurs accrochs aux subsides de l'impt volontaire vers par les Albanais la Rpublique de Kosov. La scne politique albanaise connat de profonds bouleversements, malgr l'apparent unanimisme des lections clandestines du 22 mars 1998. La prsidente du Parti social-dmocrate du Kosovo, Luljeta Pula-Beqiri, dnonce la politique antinationale du prsident Rugova , et une nouvelle LDKvient de voir le jour, sous la prsidence de l'crivain Rexhep Qosja. Elle regroupe les minoritaires du parti d'Ibrahim Rugova, exclus des instances dirigeantes au dbut mars, regroups autour d'Hydajet Hyseni Plus largement, l'histoire vient aujourd'hui solder les comptes d'une question albanaise toujours irrsolue dans les Balkans. L'option d'une indpendance du Kosovon'a jamais t srieusement dfendue que comme tape vers l'unification nationale albanaise6, et l'impasse laquelle aboutit la stratgie non violente d'Ibrahim Rugova oblige repenser le problme. L'arme de libration La donne politique a t profondment bouleverse par l'apparition rcente de l'Arme de libration du Kosovo (UCK). Depuis plusieurs annes dj, des milliers d'Albanais ont t interpells par la police, emprisonns, torturs, voire officiellement condamns pour appartenance cette organisation terroriste. Cependant, rien n'tait moins sr que son existence, et il semble plutt que l'accusation d'appartenir l'UCK, comme celle de dtenir des armes, tait un moyen pour le rgime de maintenir la pression sur les Albanais. Ce n'est qu' la fin de novembre 1997 qu'un
7. Lire Marie-Franoise Allain, Visages multiples de l'Arme de l'ombre , Le Monde Diplomatique, avril 1998.
de l'UCK est apparu en plein jour, lors des obsques d'un enseignant assassin par la police'. Les 28 fvrier et 1" mars 1998, les units spciales de la police, appuyes par les groupes paramilitaires serbes, lanaient des assauts meurtriers contre les villages de Prekaz, Qirez et Likoshan, au cur de la petite rgion de la Drenica. Le bilan des massacres s'lve plus de cent morts, mais les forces serbes ont aussi essuy des pertes, dont l'importance est tenue secrte. Depuis, la Drenica est toujours en tat de sige, et si l'on compte prs de 20 000 dplacs, des villages comme Llaush continuent rsister militairement, six semaines aprs le dbut des oprations. En vrit, la Drenica tait soumise un blocage militaro-policier de plus en plus lourd depuis l't 1997 tait-elle donc un bastion de l'UCK? En juillet 1997, une dizaine d'Albanais de la Drenica ont t condamns de trs lourdes peines de prison pour appartenance l'UCK, dont Adem Jashari, prsent comme le chef de cette organisation. Tous appartiennent des clans puissants et allis entre eux. Les enquteurs serbes semblent avoir utilis les rseaux familiaux et claniques des Albanais pour essayer de reconstituer un possible organigramme de cette organisation. Les archives du Comit de dfense des droits de l'Homme de Pristina laissent apparatre une rpression centre sur quelques familles de la Drenica les Gashi, les Geci, les Morena, les Kadriu8. 8. Ilest possible que ces familles aient effectivement particip l'UCK, mais les Serbes n'ont pas choisi au hasard de dmanteler ces rseaux terroristes dans cette petite rgion. Situe au coeur du Kosovo, la Drenica est riche d'une longue tradition de rsistance l'ennemi serbe et durant la seconde guerre monyougoslave, notamment diale, et d'une forte charge symbolique, aussi bien aux yeux des Serbes qu' ceux des Albanais. Etrangement, hormis la condamnation d'Adem, qui continuait vivre cach prs de son village de Prekaz, les Jashari semblent ne pas avoir t touchs par le harclement policier, qui s'intensifie partir de l't 1997. La famille Jashari avait pourtant de quoi se faire remarquer. A la fin de la seconde guerre mondiale, elle fut l'une des dernires familles dposer les armes, aprs avoir combattu les Partisans et le rgime de Tito jusqu' la fin de 1946. Il
commando
8. Bulletin of Coundl for the Dfense of Human Rights and Freedomsin Prishtina, VII/4 (juillet 1997) etVII/5 (novembre 1997).
semble que le chef du clan, Shaban Murat, n'ait jamais cach non plus le peu de bien qu'il pensait de la stratgie non violente d'Ibrahim Rugova. A simple titre d'hypothse, on peut imaginer que la police, sachant les Jashari souds et dtermins, n'avait aucun espoir de les faire parler ni de les retourner . Bien mieux, elle a laiss Adem Jashari se volatiliser dans la nature aprs sa condamnation, afin de monter le pige qu'elle ourdissait dans la Drenica. La Drenica, foyer de rbellion
Lesstructures sociales traditionnelles ont t particulirement bien conserves dans le Kosovo, et plus encore en Drenica. La structure essentielle est constitue par le clan familial, que l'on dsigne du mot d'origine turque, mahala, et que l'on traduit bien abusivement par famille , alors qu'il dsigne d'abord un territoire clanique. Chaque mahala est subdivis en branches se raccrochant un mme chef; par exemple, Prekaz, on trouvait, entre autres, des Islami Jashari ou des Murati Jashari le vieux Shaban Murat Jashari et ses fils, Adem et Hamz, appartenaient cette dernire branche. Une mme branche vit communment dans une mme maison , plutt une forteresse familiale, renfermant derrire ses murs plusieurs maisons d'habitation et pouvant compter au total une centaine d'habitants. De plus, le village , qui compte plusieurs milliers d'habitants sur un territoire parfaitement et trs anciennement dlimit, est constitu de l'union d'un petit nombre de mahale, toujours moins d'une dizaine, Prekaz trois seulement les lashari, les Lushtaku et les Kadriu. Les rgles trs strictes d'exogamie empchent de se marier entre descendants des diffrentes mahaled'un mme village, car toutes les mahale du village estiment descendre d'un anctre commun. On doit donc passer alliance avec une mahala d'un autre village. Il est, par exemple, intressant de noter que les Jashari de Prekaz passaient frquemment alliance avec les Geci de Llaush voil unies deux des familles supposes constituer le noyau dur de l'UCK. Une organisation clanique
L'UCK a t cre en Allemagne , affirment des Albanais qui s'en disent membres; et de jeunes migrs conomiques de la Drenica ont particip cette cration. Il
s'agit donc probablement d'une organisation encore modeste, qui a choisi d'utiliser les structures traditionnelles de la socit et l'engagement de quelques clans pour allumer un focoguvariste dans la Drenica, La police serbe a laiss faire dans un premier temps, pour mieux circonscrire l'incendie, avant de tenter d'craser d'un coup cette rbellion par les massacres du dbut de mars. La police a aussi jou des structures claniques. Lorsque la rpression s'abat systmatiquement sur la famille Jashari de Prekaz et les clans allis d'autres villages, mais qu'elle pargne l'autre grande famille de Prekaz, les Lushtaku, le pouvoir essaie nettement de crer un antagonisme entre ces deux clans, peut-tre d'utiliser une rivalit prexistante. LesAlbanais ne sont pas dupes de cette stratgie Les lashari ou les Ahmeti de Likoshan taient riches et puissants; en s'attaquant eux, la police essaie de nous diviser , note lucidement un combattant. La socit albanaise du Kosovo est toujours rgie par la bessa,la parole donne selon les rgles trs anciennes du kanun, dont la trahison ouvre le mcanisme de la vendetta. L'expriencede la rsistance non violente des annes 90 a t rendue possible par une campagne gnrale de pardon et de rconciliation, initie par un intellectuel catholique albanais, Anton Ceta, mais beaucoup d'indices laissent croire que la vendetta commence reprendre ses droits. Un pige mortel Au bout du compte, la Drenica prend de plus en plus l'aspect d'un pige aux multiples victimes. Pige mortel et tragique, bien sr, pour la centaine d'Albanais assassins depuis le dbut des oprations et pour les 20000 dplacs; pige pour l'UCK, qui a perdu quelques-uns de ses militants, tel Adem Jashari; pige encore pour les quelques centaines ou milliers d'hommes qui continuent de rsister et de dfendre leur village; mais pige aussi pour Slobodan Milosevic et Ibrahim Rugova. La situation en Drenica est une situation de guerre qui, en tant que telle, ne peut connatre d'issue que militaire. Si le pouvoir serbe obissait aux timides injonctions du Groupe de contact sur l'ex-Yougoslavie de retirer les forces spciales , un tel retrait serait peru par l'opinion albanaise comme une victoire sur les forces serbes, avec les consquences que l'on peut imaginer. A titre d'hypothse, il n'est pas certain que
l'option non violente d'Ibrahim Rugova rsisterait un tel scnario. Si, au contraire, le pouvoir se dcidait rduire rellement la rgion, il devrait dployer des moyens militaires de bien plus grande ampleur encore; il devrait aussi accepter d'encaisser de lourdes pertes; et la fin hroque des combattants de la Drenica risquerait plutt de galvaniser l'ardeur des Albanais. Les Jashari sont dj devenus des hros nationaux et, de rgion martyre, la Drenica est de plus en plus perue dans l'imaginaire albanais comme une rgion rsistante et combattante.
Le plus probable est d'envisager un sige de longue dure de la rgion, ce qui ne serait certes pas pour effrayer Slobodan Milosevic; mais chaque jour qui passe est peru par les Albanais comme un jour de rsistance, et le temps joue l'encontre de toute solution ngocie. Les combats du mois d'avril, prs de la frontire albanaise, sur le territoire des communes de Decan et Djakouica, montrent, hlas, que la situation de la Drenica est en train de gagner tout le Kosovo. L'UCKest de plus en train de reprendre des forces et de se restructurer. De jeunes Kosovars issus de la diaspora se forment dj dans des camps d'entranement au nord de l'Albanie. Aprs la Drenica, l'UCK va-t-elle choisir de porter la guerre dans une autre rgion du Kosovo, d'allumer un second foco de gurilla? Pour Arbr Xhaferi Les Bosniaques n'avaient pas choisi la guerre et n'y taient pas prpars, les Albanais non plus ne l'ont pas voulue, mais s'il n'y a pas d'autre issue, autant s'y prparer. Cette guerre sera bien diffrente de celle de Bosnie, non pas un massacre de civils suivi d'une longue guerre de positions sur des fronts statiques, mais une guerre mouvante de gurilla, une guerre qui durera longtemps et qui ne pourra pas tre circonscrite aux frontires troites du Kosovo. Jean-Arnault DRENS
Agrg d'Histoire
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t Prier
Sur la base d'une enqute sur la prire et des 1 150 rponses reues, la revue Christus propose une slection de 20 articles publis dans ses numros se disposer l'Esprit Saint, couter la Parole, prier avec toute sa vie, garder l'union Dieu. Des pistes pour persvrer ou recommencer. J.-P.DE J.-P.BARDE, BERNARD, saint J. Buhaqiar,J. BuISSON, CAUSSADE, D. J-C.DHTEL, J. DOR, Emonet, P. P.DE Clormre,A. Demousver, DESOOCHES, C.FuPO, Giuuani, Gorki, . Guillet,G.HERBERT, LA M. M. J L.DE Puente,L.Leloir, X.Lon-Dufour, MAR7Y,MeKEON, PtGuY, Pttaud, .Rondet, F. R. C. B. M J A. VANHOYE, C. VIARD. J.-B.Saint-Jure, . THOMAS,
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SOCIT
L'obligation de soins
Quelle lgitimit pour la prvention des actes de pdophilie ?
MARIE-CLAUDE
HUDON
ET
COLLABORATEURS
1. Projet de loi renforant la prvention et la rpression des atteintes sexuelles commises sur les mineurs et des infractions portant atteinte la dignit de la personne, 29 janvier 1997. 2. Projet de loi relatif la prvention et la rpression des infractions sexuelles ainsi qu' la protection des mineurs, aot 1997, dpos le 03.09.97. 3. Cet article est inspir d'un mmoire portant sur le projet de loi de janvier 1997 et produit dans le cadre d'un diplme d'tudes avances (DEA) d'thique mdicale et bioMarie-Claude logique Hudon, thique et peine de suivi mdico-social. Perception thique, par des psychiatres pratiquant et ne pratiquant pas auprs d'agresseurs sexuels,du Projet de loi renforant la pr-
LA PDOPHILIEst un sujet d'actuae lit dans tous les pays occidentaux. Les parents et la socit dans son ensemble craignent pour leurs enfants. On assiste une forte mobilisation, que ce soit des pouvoirs publics ou d'associations de toutes sortes. La France est particulirement active dans la lutte contre ce que plusieurs considrent comme un nouveau flau. C'est ainsi que le ministre de la Justice, Jacques Toubon, avait dpos en janvier 1997 sur les atteintes un projet de loi portant, notamment, sexuelles commises sur mineurs'. Ce projet de loi a t modifications, repris, avec quelques par le nouveau ministre de la Justice, Elisabeth Guigou2. Ces projets instaurent tous deux un mcanisme de suivi visant prvenir la rcidive des agresseurs sexuels de mineurs'. Le premier prvoyait une obligation de soins, sous forme d'une peine thrapeutique. Il a soulev de vives controverses d'ordre thique et pistmologique au sein du milieu mdical. Cette obligation demeure, sans tre gnra-
Etudes
75006
Paris
Juin
1998
N" 3886
vention et la rpression des atteintes sexuellescommises sur les mineurset des infraclions portant atteinte la dignit de la personne, Laboratoire d'thique mdicale et de sant publique, Universit RenDescartes (Paris-V), 1997, 146 pages.
lise, dans le second projet. Nous prsenterons deux des problmes poss, avant d'tudier, d'aprs les rsultats d'une enqute, la perception qu'en ont certains psychiatres exerant auprs d'agresseurs sexuels. Nous verrons en terminant que cette perception peut tre reprsentative de celle de la socit et comporte certains dangers. Le projet de loi de janvier 1997
4. Op. cit., p. 4.
Ce projet de loi prvoyait, par un mcanisme nomm peine de suivi mdico-social , une obligation de soins applicable aux auteurs de crimes ou de dlits de nature sexuelle. Cette peine vise essentiellement prvenir la rcidive'. La dfinition la suivante de la peine de suivi mdico-social est
5. Ibid., p. 5.
[.] l'obligation pour le condamn de se soumettre, sous le contrledu juge de l'applicationdes peines et des comitsde probation, pendant une dure fixe par la juridiction de jugement, des mesures de surveillanceet d'assistance comportant, notamment, une injonction de soins.En cas d'inobservationde cette injonctionde soins ainsi que des autres obligationsrsultant de la peine de suivi mdico-social le condamn devra subir un emprisonnement dont la dure maximum aura galement t fixe, ds le prononcde la peine,par la juridiction de jugements. Comme l'indique la dfinition, la dure maximale du traitement est prvue. Elle est de cinq ans dans le cas d'un dlit, de dix ans dans le cas d'un crime. La dure maximale de l'emprisonnement sanctionnant le nonrespect des obligations est de deux ans pour un dlit, de cinq ans pour un crime. La peine de suivi mdico-social est encourue pour l'ensemble des agressions sexuelles et entre en vigueur lors de la libration du condamn. Le mdecin traitant est habilit, sans que puissent lui tre opposes les dispositions relatives au secret mdical, informer sans dlai le juge d'application des peines ou l'agent de probation de la cessation du traitement ou des difficults survenues dans son excution. Mentionnons qu'il ne s'agit pas d'une obligation, mais d'une possibilit laisse la conscience du mdecin traitant6. Il est possible pour ce dernier, s'il dcide de briser le secret mdical, de
6. Ibid., p. 11.
s'adresser au mdecin coordonnateur, antrieurement dsign, plutt qu'au juge. C'est alors ce mdecin qui prvient le juge de l'application des peines. Le mdecin traitant peut s'adjoindre d'autres mdecins psychiatres ou psychologues et solliciter les conseils ou l'intervention du mdecin coordonnateur'. En dernier lieu, il est indiqu dans l'expos des motifs (ce paragraphe n'tant pas repris dans le projet de loi) que le mdecin traitant peut administrer des produits anti-andrognes certaines conditions. Ainsi traitantd'une th[.] en casde prescriptionar le mdecin p l d cedernier rapieassociant'administratione produits nti-andrognes, a a le devra,en liaison,le caschant, vec mdecin claicoordonnateur, rerlecondamnurlesconsquences s dutraitement. Dansla mesure du un entrele moment u d possible, dlaidevratre laissau condamn a a et e premier ntretien, u coursduquell'informationura t dlivre, le dbutventuel e l'administrationu produit,dlaipendantlequelle d d condamn d pourratrereupar lejugede l'applicationespeines'. Trois critiques principales ont t souleves. L'ide d'une peine thrapeutique est-elle acceptable? Le corps mdical peut-il accepter l'ide d'un traitement comme sanction ? 11 s'agit l d'un nouveau concept juridique, mdical et social. Il n'est pas sans consquence sur la comprhension, par le corps social et politique, du rle de la mdecine. La deuxime critique est d'ordre pistmologique et scientifique. Elle porte sur la validation relle de l'efficacit des traitements mdicamenteux pour prvenir la rcidive de la criminalit sexuelle. En l'tat actuel, l'efficacit des traitements mdicamenteux, couramment appels castration chimique , n'a pas t vritablement dmontre. A ce titre, l'emploi de ces mdicaments relve de la recherche biomdicale. Que signifie, ds lors, l'institutionnalisation de cette possibilit encore l'tat de recherche? La dernire critique, enfin, porte sur la difficult d'une expertise permettant de s'assurer d'un usage adapt et justifi de ces traitements. Le projet d'aot 1997
7. Ibid., p. 11.
8. Ibid., p. 12.
Ce projet de loi s'applique, lui aussi, aux auteurs de crimes ou de dlits de nature sexuelle et vise la prvention de la rcidive. Il prvoit
9. Op. cit., p. 2.
[.] l'obligation pour le condamn de se soumettre, sous le contrledu juge de l'applicationdes peines et des comitsde probation, pendant une dure fixe par la juridiction de jugement, des mesures de surveillanceet d'assistance destines prvenir la rcidive.En cas d'inobservation de ses obligations, le condamn sera passible d'un emprisonnementdont la dure maximumaura galementt fixe,ds le prononcde la peine, par la juridiction de jugement'. S'il reprend, dans ses grandes lignes, le prcdent projet, il tient compte de diffrentes critiques formules son propos. La notion de peine thrapeutique a t supprime et remplace par celle de suivi socio-judiciaire . La mdecine n'apparat plus comme la solution idale et miraculeuse, mais comme un partenaire possible au sein d'un ensemble de mesures de prvention. Il est dit, l'article 131-36-2, que le suivi socio-judiciaire peut comprendre une injonction de soins . de soins par voie mdicamenteuse L'injonction apparat donc comme une possibilit, parmi d'autres, du suivi socio-judiciaire, soumise une valuation (expertise) pralable. Le nouveau texte vite ainsi la systmatisation et la gnralisation des traitements mdicamenteux. Cette diffrence importante, signe d'une relle prise en compte des doutes et remarques de nombreux mdecins, tend viter de transformer systmatiquement la criminalit sexuelle en maladie et carte la tentation d'une mdicalisation de toutes les dviances sexuelles. Plus prudent, ce nouveau texte ne s'inscrit pas d'emble dans une logique de mdicalisation, sans totalement y renoncer, mais dans une logique de prvention sociale par des mesures d'assistance, de surveillance et donc de responsabilisation. Le condamn devra s'abstenir de paratre en tout lieu ou toute catgorie de lieux spcialement dsigne, notamment des lieux accueillant habituellement des mineurs; s'abstenir de frquenter ou d'entrer en relation avec certaines personnes ou certaines catgories de perdes mineurs, l'exception, le cas sonnes, notamment chant, de ceux dsigns par la juridiction; ne pas exercer une activit professionnelle ou bnvole impliquant un contact habituel avec des mineurs (art. 763-2). Ces mesures, galement prvues dans le prcdent projet, apparaissent nanmoins comme la solution privilgie pour la
majorit des cas. Ce projet semble plus orient vers une prise en charge par l'ensemble du corps social du problme de la criminalit sexuelle sur des mineurs, que vers l'ide d'une prise en charge mdicale des dviances sexuelles. Cependant, le premier projet de loi a spcialement retenu notre attention, l'obligation de soins qu'il instaurait (et qui a t partiellement maintenue dans le second projet) posant de nombreux problmes d'ordre thique. Peut-on valider l'obligation de soins par l'exprience praticienne mdicale et par une discussion d'ordre thique ? Les quesau niveau du tions peuvent tre poses deux niveaux pourquoi d'une telle mesure, donc de sa lgitimit; au niveau du comment , donc de son application. Seules les questions touchant la lgitimit de l'obligation de soins seront tudies ici.
Questions
d'thique
L'agression sexuelle, attentat l'intgrit du corps lment fort du code civil, soulign par une des lois de est un acte qui nie la perbiothique de juillet 1994 sonne dans toutes ses dimensions, y compris psychique et spirituelle. C'est un geste qui porte atteinte aux principales valeurs humaines et bafoue la dignit intrinsque de l'tre humain. Il apparat cependant que les mesures mises en place afin de tenter de lutter contre de tels actes posent, elles aussi, des problmes thiques. Sans doute dcoulent-elles d'objectifs louables, nul ne saurait prtendre le contraire. Elles s'appliquent des tres humains qui, cependant des malgr les actes qu'ils ont commis, demeurent personnes et doivent tre considres comme telles. Leur de dignit ne saurait tre dnie sur fond inconscient majeur vengeance et d'agressivit; c'est un enseignement de notre culture. Les mesures proposes doivent donc tre exemptes, dans les limites du possible, d'accrocs aux grandes rgles thiques. Ce n'est pas simple. Le projet de loi que nous avons tudi en comporte plusieurs. Nous n'en avons retenu ici que quelques-uns. La premire de ces questions repose sur le fait que le statut de la dlinquance sexuelle est loin d'tre dfini.
10. Projet de loi de janvier 1997, p. 3. 11.Ministre du Travail et t des Affaires sociales et t Ministre de la Justice, groupe de travail, Traitement et suivi mdical des auteurs de dlits et crimes sexuels, 1995, p. 18. 12. Alain Letuve, Une loi d'exception. fort symptomatique. Les psysontt en chologues exclus Dieu merci , et Psychologues psychologies. Le Bulletin du Syndicat national des psychologues, a' 135, 1997, p. 33. 13. Comit consultatif national d'thique pourr les sciences de la vie et de la sant recommandations sur un projet de loi renforant la prvention et la rpression des atteintes sexuelles contre les mineurs , n 51, 20 dcembre 1996, p. 5.
La dlinquance sexuelle relve pour partie, de l'avis de plusieurs, de l'ordre social, et non pas uniquement de l'ordre mdical. Si l'on affirme que les agresseurs sexuels doivent tre traits, c'est qu'ils sont malades. Or, il est loin d'tre tabli avec certitude que les dlinquants sexuels sont atteints de maladie mentale. Au mieux, on allgue, comme dans le projet de loi, qu'ils souffrent de troubles psyantrieur arguchiques10. Un rapport gouvernemental mente, pour sa part, qu'il faut bien qu'ils aient un trouble quelque part pour rechercher ce plaisir qui se situe en dehors des normes Un psychologue oppos au projet de loi rapporte les paroles d'un psychiatre et crit [Ce texte] russit faire en sorte que la catgoriedes agresseurs sexuels[htrogne s'il en est] puisse tre assimile des malades par le seulfait que la cause de leursactes est le rsultat d'une contrainte chappant leur volont [.]11.
Le Comit consultatif national d'thique pour les sciences de la vie et de la sant (ci-aprs CCNE) adopte, de son ct, une solution qui parat facile Pas question non plus de trancher par une affirmation simplificatrice le dbat de savoir si les dlinquants sexuels sont malades ou non, car, en ralit, tout existe ". Du mal la maladie
N'est-il pas contestable de ne pas trancher et d'affirmer en mme temps qu'il faut soumettre les agresseurs sexuels un traitement mdical ? Comme l'crit Isidore Pelc, psychiatre [.] une thrapeutique ne peut tre envisageque lorsque le comportementpose problme l'individu lui-mme et engendre une souffrance personnelle; il faut que les problmess'inscrivent dans le cadre de troublespathologiquesconnus [.] L'inadaptationaux valeurs morales,sociales,religieuses, olitiquesou autres, ne peutjamais tre en p soi considre comme une maladie mentale et conduire un quelconque traitement". L'ide d'appeler la mdecine la rescousse lorsqu'ilil est tabli que le systme judiciaire a failli l'une de ses tches, soit la prvention de la rcidive, est inquitante. On utilise alors la mdecine comme va-tout , en dsespoir de cause. Nous assistons une mdicalisation grandissante
14. Isidore Pelc, Contrle comportemental , dans Gilbert Hottois et Marie-Hlne Parizeau, dir., Les mots de la biothique. Un vocabulaire encyclopdique, Bruxelles, De Boeck-Wesmal, 1993, p. 99-100.
de plusieurs des aspects de la socit qui drangent, qui n'entrent pas dans les normes. Comme l'crit un groupe d'auteurs Cet enthousiasme dbordant, confus et non critique, voit dans le thrapeutiquela possibilitde gurir une socitmalade. La mdecine mais s'agit-il encored'une mdecine? deviendrait l'organe d'un contrlecomportementaltotal ou partiel sur l'individu dviant".
15. Marc Grassin et al., Pour une rflexion thique multidisciplinaire dans les propositions mdicales renforant la prvention et la rpression des atteintes sexuelles contre les mineurs , 1 997, L'Ethique en mouvement, C. Herv Ed., L'Harmattan, Cahier n 2, p. 67-73.
associ la maladie.
Cela
16. Association Pratiques de la Folie, Ptition rejetantt l'obligation de soins parr mesure judiciaire, 12 mars 1997, p. 1.
H est insupportablede penser qu'un homme puisse en arriver l [.] Alorsvient le qualificatif de maladie il faut que ces tres soient malades pour faire de telles choses [.] On peut comprendre qu'une telle hypothseait quelque chosede rassurant, puisqu'ellesemblelaisser intacte l'essencede l'humanit, saine. Mais, surtout, elle laisse esprer que de telles aberrations puissent tre vaincues avec les progrs de la science,et lesrcidivesprvenues16.
17. 7.Valrie Marange, Btes de promesses, btes de mensonges? Punition et prvention , La RevueAgora. thique, Mdecine, Socit,n 30, printemps 1994, p. 57.
On retrouve dans cette situation le vieux problme du normal et du pathologique. On considre que les actes des agresseurs sexuels sont si terribles que ceux qui les posent ne peuvent qu'tre malades. Il faut donc, pour viter qu'ils ne posent nouveau des gestes semblables, les gurir, les rendre normaux . On impose un soin, qu'on nomme peine . Comme le dit Valrie Marange Emerge un nouvel art de punir qui ne prescrira plus seulement des sensations insupportables, mais un traitement pour une normalisation possible [.]. Rendre bon le mchant est l'objectif17. Le mdecin auxiliaire de justice
Un autre problme, souvent soulev par les mdecins, est intimement li celui-ci. Il dcoule du fait d'associer le traitement une peine, ce qui donne au mdecin un rle d' auxiliaire de justice . La mission de la mdecine et de celui qui la pratique est de soulager une personne souffrante et non pas d'tre rpressive. Or, comme nous l'avons vu, il n'est pas tabli que les agresseurs sexuels ressentent une quelconque souffrance de ce qui est communou de la ment appel leurs troubles de comportement personnalit . La mdecine a ici comme rle de modifier le
18. F. Petitjean et Bernard Cordier, Dontologie et psychiatrie , Encyclopdie mdicale et chirurgicale, Paris, Psychiatrie, 37061 A-10, 1991, p. 3. 19. Comit consultatif national d'thique, op. cit., p. 8.
comportement de quelqu'un non pas dans le but de l'aider, mais de protger des tiers qui sont potentiellement en danger, forant ainsi le mdecin contrevenir l'une de ses [.] le mdecin doit ne dsirer gurir obligations le patient que pour ce patient, pour le compte de ce patient ". Il n'est question nulle part, dans le projet de loi bien que le CCNE ait sembl lire cet objectif de soigner les agresseurs sexuels pour leur bnfice personnel. Le CCNE va mme jusqu' dire qu'on ne saurait se contenter de l'effet ventuel de soulagement de la souffrance que les Le soupsychothrapies peuvent apporter au dlinquant lagement de la souffrance du dlinquant ne reprsente donc pas, pour le CCNE, un objectif suffisant. D'autres effets, aux bnfices possibles de tiers, sont attendus des traitements. L'association Pratiques de la Folie rsume plusieurs de ces aspects Quand bien mmeil serait avr que cesactessoientdtermins par une maladie, quand bien mme des thrapeutiques efficaces seraient disponibles prviendraient coupsr toute rcidive,l'impoqui sition d'un soin au nom d'une peine est un pasfranchi dont la gravit estextrme.A l'inhumanit des actescriminelsviendraitainsi rpondre une contrainte qui met l'humain en pril. [.] On ne saurait faire argument de la monstruositdesactes pour lgitimerdescontrainteshors du droit commun. [.] Pour la mdecine,l'impratif est de soigner,non de punir ou de maintenir l'ordre. Si le mdecindevenait ainsi excutant d'une dcisionde justice, il faudrait craindre le pire. Si le mdecin,face une personnequi refuse les soins, tait en droit de passer outre, au nom d'un bien social, et pouvait le soumettre toute mesure que la science met sa disposition, alors nous nous dirigerions vers le meilleurdes mondes. Un mondeo la questionde ce qui est humain, refusant de s'instruire de l'existencedes actes monstrueux,qu'ils soient l'affaire d'une nation, d'un groupeou d'un individu, serait rabattue sur la constructionimaginaire d'une personneparfaite. [. Unesocitqui construit ses idaux coup d'tres parfaits ne peut qu'tre une socit menacede devenir elle-mmemonstrueuseen ouvrant plus ou moins insidieusement les portes du tri et de l'limination d'une partie des siens". On voit donc, en rsum, que le rle des mdecins passe du soulagement du patient au soulagement de la socit21. Mme en admettant que nous acceptions le principe de soins appliqus un individu mais destins la collectivit, peut-on demander aux mdecins de jouer ce rle de protecteurs du citoyen ?
21. Hans Jonas, Le Principe responsabilit. Une thique pour la civilisation technologique, Cerf, 1993, p. 41.
La perception
des psychiatres
Nous avons voulu connatre, sur ces questions concernant l'obligation de soins, l'opinion de psychiatres exerant auprs d'agresseurs sexuels (en prison, dans le cadre d'une libration conditionnelle, ou en soins ambulatoires volontaires). Certains d'entre eux ont d'ailleurs partidu projet de loi de cip aux discussions prparatoires janvier 1997. Cette opinion a t recueillie par une enqute sur le terrain. La mthode de l'entretien semi-dirig a t retenue. L'entretien portait sur tous les problmes thiques soulevs par le premier projet de loi. Ces psychiatres ont t choisis au hasard, sur une liste prcdemment tablie, et contacts par tlphone. Les huit premiers ont accept une rencontre. Sept ont finalement t rencontrs. Deux sont des femmes, trois pratiquent en milieu carcral, et la moyenne du nombre d'annes d'exprience est de dix-sept ans. Tous consacrent la majeure partie de leur temps de travail des agresseurs sexuels. Les entretiens ont dur en moyenne trente-quatre minutes. Les mmes questions ont t lues, dans le mme ordre, tous les praticiens. Il apparat que les psychiatres rencontrs approuvent ou du moins ne rejettent pas le projet de loi et la peine de suivi mdico-social qu'il institue. La plupart laissent entrevoir, au fil de leurs rponses, courtes sur ce sujet, qu'ils peroivent les problmes thiques comme thoCes psyriques . Trs peu sont mentionns spontanment. chiatres sont anims par un grand dsir d'agir et ils croient fortement au bien-fond de leurs actions. Le premier problme d'ordre thique identifi prcdemment porte sur le fait que le statut de la dlinquance sexuelle n'est pas dfini. Le dbat visant tablir si ce problme est d'ordre social ou mdical est loin d'tre clos. Les rponses des psychiatres interviews sont cependant claires et quasi unanimes. Il semble, selon eux, que les dlinquants sexuels ne soient pas des malades mentaux, au sens de la loi, les exonrant de leur responsabilit pnale.
Ils souffrent cependant de quelque chose de pas normal , de troubles de comportement ou de la personnalit. En fait, il semble que les agresseurs sexuels soient atteints d'un tat pathologique qui, bien que difficile dfinir, ncessite des soins. L'analyse globale des rponses et des attitudes des psychiatres rencontrs rvle qu'ils ne remettent aucunement en question la pertinence et la ncessit des soins prodigus aux agresseurs sexuels. Tous semblent considrer que la prise en charge mdicale de ces derniers est souhaitable. La question de la mdicalisation grandissante de toutes les sphres de la socit n'est souleve que par une seule personne, qui s'inquite de ce que le psychiatre soit appel au lit de la socit . Les craintes souleves par l'association Pratiques de la Folie, en ce qui a trait la mdicalisation de tous les aspects de la socit et aux dangers de glissement vers la recherche d'une socit compose d'tres parfaits, ne proccupent donc pas, du moins pas la trs grande majorit des psychiatres spontanment, rencontrs.
La mdecine
et le corps
social
Ils estiment, par ailleurs, que l'obligation de soins n'est pas nouvelle et qu'elle ne place pas le mdecin dans une logique de sanction. L'obligation de soins leur parat acceptable. Ils indiquent qu'ils ne vivent pas, dans leur pratique, la situation d'obligation de soins comme une sanction. De toute faon, leur avis, un traitement n'est pas une sanction. Un des psychiatres dclare qu'il est possible d'tre la fois dans une logique de sanction sociale et de traitement. On peut affirmer que ce rle n'inquite pas les psychiatres rencontrs. Ils tiennent pour acquis que leur rle est de prendre soin de ceux dont personne ne veut. La prise en charge des agresseurs sexuels par les mdecins leur parat mme souhaitable. Ces psychiatres traitent dj quotidiennement ces gens que tous rejettent et que la socit regarde avec horreur. Le projet de loi ne leur impose rien de nouveau. Ils ont, en effet, dj accept cette clientle , de mme que ce travail et l'idologie qui lui est associe. Il apparat que ces psychiatres sont favorables l'injonction de soins. Ils acceptent et jugent lgitime le rle
de gardiens de l'ordre public que leur donne la socit. Une telle conclusion porte rflchir, et ce d'autant plus que la perception de ces mdecins, que nous n'avons aucunement l'intention de juger, semble reprsenter celle de la population. Cette dernire, soudainement consciente de l'urgence d'agir, afin de contrer ces gestes inadmissibles, semble dsireuse d'appeler la Science comme alternative une anomie et la mdecine comme garde-fou final tous les dbordements 22. Une solution rassurante ?
La mdecine doit-elle rpondre l'attente du public, ou bien se doit-elle, au nom de sa responsabilit, de rester vigilante sur les rles que le corps social lui confre ? La mdecine peut-elle accepter de prendre en charge les esprances d'une socit droute devant l'horreur sans la tromper? Devant la souffrance, la violence et la peur, la socit impuissante cherche des solutions. La mdecine apparat assez facilement comme la solution rassurante, parce que suppose efficace. Les progrs et les succs auxquels elle nous a habitus ont instaur une confiance forte, mais peut-tre aveugle dans son pouvoir. Cependant, cette extension de son activit des domaines autres que la maladie proprement dite ne prsente-t-elle pas des risques pour le corps social? D'une part, celui du constat amer qu'elle ne permettra jamais, en vrit, la suppression de la violence; d'autre part, celui de la mdicalisation force de problmes dont les causes ne relvent pas directement de la maladie. Sommes-nous vraiment prts, en tant que citoyens, donner ce nouveau rle la mdecine? En fait, est-il lgitime comme le demandait Paul Ricur lors d'une confrence, en fvrier 1997, au Laboratoire d'thique mdicale de Necker, dans le cadre de la formation doctorale que dirige Christian Herv de traiter la maladie (nous pourrions dire le mal) non plus pour la souffrance qu'elle engendre, mais pour le risque qu'elle reprsente ? Concluons en disant que les actions des pouvoirs publics visant la prvention des agressions sexuelles et de la rcidive doivent tre scrupuleusement examines. Elles dcoulent, bien sr, d'objectifs imprieux. Les mesures adoptes ne sauraient cependant n'tre qu'une rponse la demande angoisse du public. Il est ainsi ncessaire de
prendre garde au dsir grandissant de ce dernier d'agir aprs les faits en exigeant la gurison des agresseurs
sexuels. La prise en charge de ceux-ci par la mdecine est
devrait sous aucun prtexte supporter l'entire charge de l'radication, bien utopique d'ailleurs, de la violence et du
mal.
M. C. Hudon*
G. DURAND*, M. GRASSIN,
C. Herv", F. POCHARD0
DESS de Biothique, Universit de Montral, Qubec. Laboratoire d'thique mdicale et de sant publique de la Facult Necker-EnfantsMalades. Universit Paris/Ren-Descanes, 156, rue de Vaugirard 75730 Paris Cedex 15.
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&
Le baccalaurat au pluriel 1
Daniel
BLOCH H
LA QUESTIONpose aujourd'hui de savoir se si, vritablement, l'allongement de la dure de la scolarisation, amenant la majorit des jeunes au baccalaurat, a bien conduit une plus grande fluidit sociale (1)*, et pourquoi la monte en puissance du baccalaurat semble, depuis trois ans, s'tre enraye (2), en dpit des itinraires de plus en plus diversifis qui ont t conus pour l'acqurir. Il est vrai que l'ducation secondaire ne peut plus donner des clarts sur tout . Face aux progrs des connaissances, l'apparition de sciences nouvelles, la ncessit d'introduire des notions pratiques et un commencement de formation professionnelle, il a fallu choisir et varier les degrs d'approfondissement (3). C'est ainsi qu'ont t distingus, depuis la fin du sicle dernier, des parcours scolaires conduisant aux baccalaurats classique et moderne, puis aux baccalaurats de philosophie, de mathmatiques lmentaires et de sciences exprimentales; plus tard, aux diverses sries du baccalaurat gnral; enfin, au baccalaurat technologique et au baccalaurat professionnel.
Etudes
14.rue d'Assas
75006
Paris
Juin
1998
N 3886
Un jeune sur cent peine russit devenir bachelier en 1900, un sur vingt en 1950. Puis le rythme de croissance s'acclre. En 1985, trois jeunes sur dix sortent du lyce munis du baccalaurat; ils sont aujourd'hui environ 470000, soit plus de trois sur cinq. Le nombre de diplmes dlivrs chaque anne s'est ainsi autant accru de 1985 1995 que de 1900 1985. Cette volution marque, la fois, par la diversification des matires s'est principales et une progression du nombre de bacheliers heurte au sentiment qu'elle masquait une rsignation la baisse du niveau de l'examen. Il est vrai que la conception originelle de notre ducation secondaire remonte une poque o la fortune tait rare et se faisait par la cour et les salons, et o la chance de s'lever et de prendre rang reposait sur la noblesse d'une rudition fonde sur les textes grecs et latins. L'ducation laissait peu de place aux langues et littratures modernes ou aux savoirs et comptences scientifiques ou techniques . Et la socit accordait de considrables privilges ceux qui, en petit nombre, avaient le baccalaurat (3). L'augmentation du nombre de bacheliers a rsult, pour une part, du sentiment que le baccalaurat devenait une condition ncessaire pour l'accs la plupart des emplois (4). De fait, celui qui possde le baccalaurat trouve plus facilement du travail que le titulaire d'un Certificat d'Aptitude Professionnelle (CAP) ou d'un Brevet d'Etudes Professionnelles (BEP), dont la prparation ncessite des tudes moins longues, mme si les titulaires d'un CAP ou d'un BEP sont privilgis par rapport ceux qui ne possdent aucun diplme. Actuellement, le diplme ne garantit pas l'accs l'emploi, mais l'absence de diplme le rend presque inaccessible. Il s'est agi aussi, en mettant en avant l'objectif de 80 de jeunes au niveau du baccalaurat l'an 2000 (4) (ce qu'a fait en 1985), de tenter de sortir d'une Jean-Pierre Chevnement socit duale comportant, d'un ct une minorit privilgie ayant accs une formation longue, de l'autre une majorit ne pouvant bnficier que d'une courte formation professionnelle. Moins de redoublements et moins d'checs
le ministre de l'Education Nationale Traditionnellement, mesure les connaissances acquises par la classe atteinte dans la scolarit, plutt que par le fait de russir ou non un examen. Le nombre des lves considrs comme atteignant le niveau du baccalaurat est, de ce fait, suprieur celui de ceux qui l'obtiennent effectivement. L'objectif affich pour l'an 2000 de 80 d'une
classe d'ge au niveau du baccalaurat se traduisait, en 1985 compte tenu des taux de russite au baccalaurat observs cette en 66 de la classe d'ge avec le baccalaurat .Si la poque proportion de jeunes obtenant le baccalaurat est actuellement trs voisine de celle qui correspondait l'objectif dsign en 1985, la proportion de jeunes considrs comme atteignant le niveau du baccalaurat est infrieure celle qui tait envisage. Elle n'est, en effet, que de 70 et non de 80 C'est que le taux de russite aux preuves du baccalaurat s'est nettement accru, permettant d'avoir autant de bacheliers que prvu, en dpit de ce que le nombre de candidats n'a pas augment autant qu'il tait imagin. Le taux de russite au baccalaurat gnral, par exemple, tait de 20 la fin du sicle dernier (3). Ce pourcentage est pass 65 au dbut des annes 80. Il dpasse actuellement 75 Lorsque le taux de russite au baccalaurat est, comme cela ne signifie pas que 25 des aujourd'hui, proche de 75 candidats sortent du lyce sans le baccalaurat. En effet, la plupart de ceux qui chouent au baccalaurat redoublent la classe de terminale pour se reprsenter l'examen l'anne suivante. Ce sont finalement prs de 95 des candidats qui l'obtiennent en une ou deux annes. La diffrence entre le nombre de lycens qui atteignent le niveau du baccalaurat et le nombre de ceux qui l' obtiennent est fort rduite. L'organisation du baccalaurat est trs coteuse en temps et en nergie. L'importance du nombre de candidats comme le taux de russite plaident en faveur d'une simplification des preuves de l'examen, voire de sa transformation plus complte, en prenant en compte plus largement, par exemple, les rsultats obtenus en cours d'anne. Des volutions importantes sont peu probables dans un proche avenir, tant le concept de diplme national est ancr dans notre culture, et parce que le baccalaurat constitue un lment essentiel pour la rgulation des contenus et du niveau des tudes au lyce. De fait, les bacheliers sont, en moyenne, de plus en plus jeunes , en raison de la diminution des redoublements sur toute la dure de la scolarit. Il y a dix ans, en ce qui concerne le baccalaurat gnral, 50 des lves taient l'heure , c'est-dire se retrouvaient en terminale 17 ans, l'ge thorique correspondant une scolarit globale, sans redoublement. Ils sont dsormais 60 dans ce cas.
Le baccalaurat
professionnel
En proposant J.-P. Chevnement, en janvier 1985, la cration d'un baccalaurat professionnel prpar en deux annes d'tudes au-del du BEP, avec, en alternance, des priodes en entreprise et des priodes en lyce professionnel (4), j'avais le dessein de mettre en avant un diplme utile pour les entreprises et ceux qui le dtiendraient, mais aussi de rhabiliter et de consolider l'enseignement professionnel, trop souvent considr comme la voie des jeunes en chec scolaire. Il est vrai que ce baccalaurat ncessite quatre annes d'tudes l'issue du collge, avec, mi-chemin, le passage du BEP, alors qu'il en suffit de trois et gnraux. Par ailleurs, pour les baccalaurats technologiques les jeunes qui le prparent sont souvent en retard . Le nombre de lycens professionnels l'heure , savoir 12 est bien infrieur celui des lycens des classes de terminales gnrales. Les collgiens qui, aprs la classe de troisime, s'orientent ou sont orients vers la filire professionnelle , ont connu plus souvent des scolarits difficiles. Il faut dire aussi que le baccalaurat est professionnel d'abord le baccalaurat des enfants des familles socialement les moins favorises. Si 4 seulement des enfants des familles relevant des classes sociales les plus favorises sont en terminale prode leurs enfants sont en terminale fessionnelle (alors que 80 gnrale et que, pratiquement, tous arrivent en classe terminale), il n'en est pas de mme pour les enfants dont les parents relvent des catgories les moins favorises une faible proportion accde en classe de terminale des lyces et, parmi eux, une minorit seulement en terminale gnrale. Dans le jeu des ingalits
Ds l'cole lmentaire, les jeux sont ingaux, avec des diffrences de niveaux scolaires moyens, au cours lmentaire et l'entre en sixime, de deux trois points sur vingt, aussi bien en de la classe d'ge au franais qu'en mathmatiques. Amener 80 niveau du baccalaurat ne pouvait tre envisag qu'en prenant fermement appui sur ce nouveau baccalaurat. Le baccalaurat des jeunes. professionnel est dsormais obtenu par prs de 10 En dpit de son poids encore limit, il a, lui seul, contribu pour plus de la moiti la croissance du nombre de bacheliers au cours de cette dcennie.
La prparation du BEP au sein des Centres de Formation d'Apprentis se dveloppe rapidement, en concurrence avecles Lycesprofessionnels. Le taux de poursuite d'tudes au-del du BEPvers le baccalaurat tant infrieur en Centre de Formation d'Apprentis ce qu'il est en Lyce professionnel, il en rsulte (peut-tre pour un temps seulement) une moindre croissance du nombre des bacheliers technologiques et surtout professionnels, et une stagnation, voire une lgre rgression, depuis 1995, du nombre total des bacheliers. Dans un contexte difficile, le comportement des bacheliers professionnels l'entre sur le march du travail demeure honorable, quivalent celui des titulaires d'un brevet de technicien suprieur, et en tout cas plus satisfaisant que celui des diplms d'un CAP ou d'un BEP.Le baccalaurat professionnel autorise l'accs aux enseignements suprieurs, puisqu'il s'agit d'un baccalaurat, faute de quoi il pourrait voir tarir rapidement ses sources de recrutement. Le taux de poursuite d'tudes temps plein des bacheliers professionnels est cependant limit, voisin de 15 depuis 1990. Ces tudes s'effectuent majoritairement au sein des sections de techniciens suprieurs de lyce (STS)dans le cadre de la prparation d'un brevet de technicien suprieur (BTS). Le baccalaurat technologique
Le baccalaurat technologique est choisi par prs de 20 des jeunes. Il est situ, en ce qui concerne les catgories socio-professionnelles de leurs parents, en position intermdiaire entre le baccalaurat gnral et le baccalaurat professionnel. C'est ainsi qu'il concerne 17 seulement des enfants relevant, par la situation du chef de famille, des catgories socio-professionnelles les des enfants des familles les moins plus favorises, mais 35 favorises. Il constitue un baccalaurat intermdiaire aussi en termes de russite dans le parcours scolaire qui y conduit. Il n'y a d'lves l'heure en terminale. La trs cependant que 20 grande majorit (85 %) des bacheliers technologiques poursuivent leurs tudes (2) essentiellement en section de Techniciens suprieurs dans un Lyceou en Institut Universitaire de Technologie l'Universit. Ce sont les sections de Techniciens suprieurs (STS) qui intressent d'abord les bacheliers technologiques. Plus prcisment, 60 d'entre eux souhaitent entreprendre des tudes en STSet 45 voient leur voeu satisfait. Avec 15 de voeux, les Instituts Universitaires de Technologie (IUT) paraissent moins attractifs 10 des bacheliers technologiques entrent en IUT, avec un
taux de satisfaction analogue celui observ pour les bacheliers des sries gnrales. Si les bacheliers des sries gnrales sont deux fois plus nombreux en IUT que ceux des sries technologiques, c'est simplement parce qu'ils sont deux fois plus nombreux tre candidats. Les IUT ne prfrent pas les bacheliers des sries gnrales ceux des sries technologiques (5). S'inscrire en premier cycle l'Universit constitue le premier voeu de 10 seulement des bacheliers technologiques (5). Ils sont nanmoins environ 20 s'y retrouver, faute de suite favorable leur demande d'inscription en STS ou en IUT. Mais les bacheliers des bachetechnologiques ne constituent qu' peine plus de 10 liers entrant dans un premier cycle universitaire. Etant pour la plutertiaires, ils part des bacheliers des sries technologiques choisissent d'abord les premiers cycles de sciences humaines ou du secteur de l'administration conomique ou sociale. L'cart entre le type de connaissances acquises par les bacheliers des sries technologiques et la base conceptuelle exige pour tirer profit des enseignements des premiers cycles universitaires conduit ce que la trs grande majorit d'entre eux n'obtient pas le diplme. Le baccalaurat
gnral
C'est le baccalaurat du tiers des jeunes en ge de le passer. Il est d'abord le baccalaurat des enfants des familles les plus celui des favorises, mais aussi, dsormais, majoritairement, enfants des catgories intermdiaires. Selon les donnes recueillies dans la Rgion Rhne-Alpes, un tiers des lves des terminales gnrales souhaitent entreprendre des tudes suprieures courtes, notamment technologiques ou paramdicales, et les deux tiers envisagent de se diriger vers des tudes suprieures longues (5). La majorit des voeux d'orientation vers l'enseignement des lves des sries gnsuprieur court est satisfaite. Si 10 rales souhaitent tre admis en STS, 7 des bacheliers y sont effectivement accueillis. De mme, si 15 des lves des classes terminales gnrales aspirent entrer en IUT, 10 des bacheliers y sont admis, mais avec un taux de slectivit variant considrablement selon les spcialits considres. L'analyse des notes obtenues en contrle continu dans les classes terminales des sur l'exemple des premiers lyces ou au baccalaurat tablit cycles scientifiques et des formations en FUT du secteur industriel de Grenoble que les tudiants inscrits en IUT ont, dans ce secteur, des notes infrieures en moyenne celles des bacheliers inscrits en premier cycle l'Universit (6), y compris lorsque l'on exclut de ce dcompte les tudiants du premier cycle scientifique
simultanment inscrits en classe prparatoire aux grandes coles scientifiques. La plupart des bacheliers inscrits en DEUG auraient t admis en IUT, compte tenu de leur niveau scolaire, s'ils l'avaient souhait. Nous sommes loin de l'image de l'Universit qui accueillerait en gmissant dans des DEUG-fondrires les bacheliers rejets par les IUT. Il n'en demeure pas moins que sont inscrits en premier cycleuniversitaire un petit nombre de bacheliers refuss ['entre dans une formation suprieure courte et qui, pour la plupart, n'ont pas le niveau suffisant pour russir en premier cycle universitaire. Les expriences conduites Grenoble montrent que les deux tiers d'entre eux sont susceptibles d'obtenir le diplme de l'IUT (6). La majorit des meilleurs bacheliers est accueillie dans les classes prparatoires, qu'il s'agisse des classes prparatoires aux grandes coles ou des classes prparant aux concours d'entre aux formations de la sant. Les classes prparatoires sont choisies selon une logique scolaire, pour acqurir dans de bonnes conditions de nouvelles connaissances, pour approfondir diverses matires, avec la perspective de dbouchs de qualit, mme si ces bacheliers redoutent, avec raison, que ces tudes ne leur laissent pas le temps de faire autre chose (5). S'il n'y a pas de numerus clausus pour l'entre dans les classes prparatoires l'enseignement mdical l'Universit, il en existe un pour les classes prparatoires aux grandes coles (CPGE). Alors que 15 des lves de terminale souhaitent s'inscrire en CPGEou en coles classes prparatoires intgres, 10 des bacheliers s'y retrouvent rellement (5). Le taux de slectivit est ainsi relativement modeste et le niveau d'exigence pour l'entre dans les classes prparatoires des lyces les moins prestigieux est dsormais limit. Le DEUG, quant lui, apparat aux bacheliers des sries gnrales comme la filire du dveloppement personnel, de l'apprentissage de l'autonomie, mais son image est ternie par les classes surpeuples et des perspectives professionnelles insuffisamment claires (5). Nanmoins, plus des deux tiers des bacheliers gnraux inscrits en premier cycle l'Universit le sont parce qu'il s'agit l de leur premier choix. Ils ne sont donc pas malgr eux l'Universit. L'ingalit entre les filles et les garons
Depuis le dbut de ce sicle, les jeunes filles sont gagnantes dans l'accs au lyce puis, au-del, aux enseignements suprieurs. En 1996, 67 des filles contre 55 des garons de la gnration
en ge de passer le baccalaurat ont obtenu ce diplme. Mais elles sont minoritaires en srie scientifique du baccalaurat gnral (45 %), comme dans les sries industrielles des baccalaurats technologiques (12 %) et professionnels (10 %). Elles ne constituent que le quart des lves des classes prparatoires aux grandes coles scientifiques, 40 de ceux des premiers cycles scientifiques, avec, en consquence, des modes et des secteurs de poursuite d'tudes diffrencis et des perspectives professionnelles distinctes. Si l'on examine le niveau des connaissances atteint par les lvesen cours lmentaire et l'entre en sixime, on constate que si les filles sont meilleures que les garons en franais, elles sont galit en mathmatiques. Rien donc ne justifie qu'elles soient cartes des filires scientifiques ou industrielles, ni qu'elles restent deux fois plus longtemps que les garons la recherche de leur premier emploi. Ellessont aussi deux fois plus nombreuses que les jeunes gens connatre un chmage de longue dure et trouvent plus rarement des emplois correspondant leur formation. Une dmocratisation pas compts
Ainsi, les parcours scolaires et universitaires des jeunes diffrent selon qu'il s'agit de filles ou de garons et selon les catgories socio-professionnelles auxquelles appartient le chef de famille. La proportion d'enfants des catgories les plus favorises est respectivement de 50 en classe prparatoire, 46 en troisime cycle, 32 en premier cycle, 26 en IUT 14 en Section Techniciens Suprieurs (STS), alors que la proportion d'enfants provenant des catgories les moins favorises (les plus nombreuses) suit une progression strictement oppose, avec 24 en classe prparatoire et en troisime cycle, 35 en premier cycle, 37 en IUTet 56 en STS. Lahausse considrable du niveau de formation avecdes enfants davantage diplms que leurs parents, une ouverture de l'enseignement suprieur une plus grande proportion de jeunes issus des milieux les plus dfavorisset une forte monte en puissance des jeunes issus des catgories intermdiaires laisse donc encore place beaucoup d'ingalits. Il serait cependant gravement inexact d'en dduire que l'largissement de la scolarisation et l'accsd'un plus grand nombre au baccalaurat ont laiss telles quelles les ingalits sociales. Certes, les enfants d'ouvriers ou d'employs ont, aujourd'hui comme hier, plus de chances de se retrouver ouvriers ou employs l'issue de leur scolarit que les enfants de cadres suprieurs. Certes, les enfants des parents les
plus diplms ont plus de chances d'tre davantage diplms que les enfants de parents moins diplms. Mais la croissance de la formation a permis de modifier considrablement la composition socio-professionnelle de la nation, avec une proportion d'ouvriers et d'employs en forte baisse et une proportion de cadres intermdiaires et suprieurs en forte hausse, qui traduit, l encore, les indniables progrs induits par l'ducation. Si l'ge de fin des tudes suprieures n'a que trs peu chang, par contre, la dure de la scolarit obligatoire s'est accrue, et mme si l'ge de la scolarit obligatoire n'est que de 16 ans, de fait 85 des jeunes sont encore scolariss 18 ans et 60 20 ans, ce qui conduit une considrable pousse du niveau de formation et de qualification. Ainsi, anne aprs anne, le niveau des conscrits est en hausse. Il n'en demeure pas moins que beaucoup d'indicateurs qui taient au vert sont depuis deux ans l'orange. Comme nous l'avons dj signal, la proportion de bacheliers n'augmente plus et affiche mme une lgre tendance la baisse, cependant que le dveloppement de l'apprentissage conduit des sorties plus prcoces de la formation professionnelle, avec des diplmes moins performants sur le march du travail que le baccalaurat professionnel. Et l'orientation des jeunes filles vers l'enseignement scientifique ou technologique et professionnel du secteur industriel ne progresse pas. Un second souffle?
A quelles conditions le systme ducatif pourrait-il trouver un second souffle? Tout se joue, ou presque, dans l'enseignement primaire ds le cours lmentaire, les diffrences d'origine familiale, gographique, sociale, culturelle, marquent de leur empreinte les rsultats scolaires. Mme si l'cole ne peut effacer les diffrences, elle a la possibilit de les rduire, en consacrant davantage d'efforts ceux qui sont le plus en difficult. Il y a ensuite les collges qui, trop souvent, prennent acte des diffrences de niveau des lves, en mettant en place des choix d'options ou de langues vivantes dont la signification n'est vidente que pour les initis. Ici aussi, il faut dvelopper les soutiens spcifiques et mieux informer, en transformant la rsignation de certaines familles en plus d'ambition pour leurs enfants. Le lyce doit galement poursuivre sur la voie d'une gale dignit entre les sries gnrales, technologiques et profession-
nelles du baccalaurat; tout en prservant leur spcificit, il doit davantage mtisser les cultures des divers ordres d'enseignement. Il faut pouvoir prparer plus souvent, au sein d'un mme lyce(et pas seulement dans les banlieues), les baccalaurats gnral et technologique; et disposer dans un mme lieu des prparations aux baccalaurats technologique et professionnel, quelquefois avec les mmes enseignants, ce qui contribuerait sortir l'enseignement professionnel de son isolement (4). La technologie n'est plus synonyme de cambouis et d'efforts physiques. La politique d'information et de communication, lance avec force la fin des annes 80, afin d'orienter davantage de filles vers les filires scientifiques et technologiques, qui avait commenc porter ses fruits, a t abandonne. Il faut lui redonner vie. Il est profondment anormal que des bacheliers qui souhaitent entreprendre des tudes suprieures technologiques courtes ne puissent le faire et soient conduits s'inscrire, contre leur souhait et avec une chance rduite de succs, dans un cycle des bacheliers entrant en plus long et plus difficile. Ainsi, 30 premier cycleen sciences humaines et 20 des tudiants entrant en premier cycle en lettres ou en sciences auraient prfr s'inscrire en STSou en IUT (5). Cependant, le taux de slectivit des formations technologiques courtes, STS dans les lyces et IUT l'Universit, a fortement dcru, en raison de la baisse d'attractivit de ces formations et de l'augmentation des capacits d'accueil. Une croissance nouvelle mais mesure de cette capacit d'accueil en STS et en IUT, en favorisant les filires les plus ouvertes sur l'emploi, devrait permettre aux bacheliers des sries gnrale et technologique qui le souhaitent de s'inscrire dans une formation suprieure courte. Quant aux premiers cycles des universits, ils fonctionnent mieux qu'on ne le dit. Il n'en demeure pas moins qu'un effort significatif reste accomplir, afin d'obtenir de plus petits groupes en premire anne des enseignements exprimentaux davantage dvelopps et des conditions de travail amliores pour les tudiants et les professeurs. Une organisation pdagogique nouvelle devrait permettre non seulement de participer l'laboration d'un projet professionnel pour ceux qui n'en auraient pas encore, mais, au-del, elle devrait les rendre davantage aptes proposer ds le premier cycle,pour ceux qui ont dj un projet, des formations leur permettant de le raliser plus rapidement. Tout cela
un tudiant en premier moyens financiers cote deux fois moins l'Etat qu'un tudiant courtes ou relevant des formations suprieures technologiques des classes prparatoires aux grandes coles. Il nous faut aussi une implique quelques cycle l'Universit attentive aux bacheliers et plus confiante en davantage une action inscrite dans la ailleurs, elle-mme; et, ici comme le temps se mesure non en dure, car, en matire de formation, mois ou en annes, mais l'chelle de gnrations. Universit DANIELBLOCH Recteur de l'Acadmie de Nantes Chancelier des Universits
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Les historiensn'ont pas fini de dbattre pour savoir quelles sont les causes qui permettent de fournir quelques explications au soudain embrasement de la France en mai ~96S. On invoque tour tour une crise dans une universitpeu apte faire face la massification de ses effectifs;une dclrationdela croissance lie un plan d'austrit impos la nation; l'usure de la figure charismatique du Gnral de Gaulle. Celui-ci continuait d'tre le pre, mais il avait cess d'tre le hros des annes de Londres, des dbuts de la V' Rpublique, de la guerre d~~ene. Les trente glorieuses battaient leur plein et correcl'ascenseursocial fonctionnait tement. Les enfants des nantis se
rebellaient-ils contre ce que la consommation de masse qui se rpandait imposed'uniformit et de conformisme Maurice Clavel a ? parl ce sujet du retour du refoul, d'un refusjuvnile de se coulerdans la mdiocrit paisse du conformisme. Il a mme salu Mai ]968 comme une insurrection de l'Esprit . En cho, il rpondaitaux propostonnants d'un journaliste du Monde, Pierre Viansson-Pont. Celui-ci, quelques semaines avant l'vnement, n'avait-il pas port un diagnostic svre La France ~~nnute x Plus sceptique,mais avec une grande ampleur de perception, Raymond Aron a vu en Mai J96~ un psychodrame collectifqui ressemblerait celui de la rvolutionde
Etudes
M, rued'Assas
75006
Paris
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1848 que Tocquevilleavait vu se jouer sousses yeux. Bref, il n'est pas de cl unique pour expliquerle pourquoi de cette soudaineacclration mouvement du browniendans une nation. Ce qui est sr, en tout cas, c'est que c'est la de dernire fois que la jeunesse notre pays, numriquement encore forte, Car pouvaitcriersa diffrence. ce fut une agitation d'abord estudiantine qui, en entranant dans sa fusion une partie de la jeunesse, tel un incendiede pinde, a mis peu peu le feu aux poudres dans la nation. Car la panne socialeet la grvegnrale sont postrieures une efferves cence tudiante. Les syndicats se mettent suivre, faute de pouvoir contrler le mouvement.Cohn Bendit, en tte d'un cortgemonstre, e l 13 mai, dclarele soir mme Ce qui m'a plu aujourd'hui,c'est que les crapulesstaliniennestaientderrire nousdansle cortge. La CGTdfilant derrire une foule tudiante, c'est en effet une premire depuis qu'existentune CGTet un PC. C'est leXX'siclequi revendique l'envers sousnos yeux!~usquaMX accordsde Grenelle,e flou est manifestegalel ment dans les dlibrations et les dcisionsdu pouvoir;l'opposition ne parvientpas, de son ct, rcuprer un mouvementqu'elle ne russitpas bien saisir dans ses composantes et sesintentions.Avantque ne s'engage la ngociation sociale globale du 25 mai, les acteurs officielsde tous bords (partis, syndicats,hauts fonctionnaires), habitus jusque-l rgler les figures du ballet officiel, rituelles, se par del les oppositions trouvent dsempars.D'autant que
l'informationtlvisuelle, voixde la France va peu peu s'teindre et cesserde parler cause d'une grve qui commenceds le 15 mai. La jeunessene se contentepas de parler et de provoquerdans ce mouvementindit; ellefait surtoutentrer le dbat international dans le jeu national. C'est l'poquede la guerre du Vit-nam, petit pays qui montre ses capacits de rsistancecontre la force brutaleet malhabiledesAmricains. David contre Goliath la puret rvolutionnairecontreles nantis! C'est d'ailleurs pour cette raison que les campus du monde entier s'agitent. AvantNanterre et la et Sorbonne,il y eut Berkeley Tokyo. Le prestigede Che Guevaraest alors sonznith. A sa suite, desactivistes rvent de construirepartout dans les zones fragiles de la plante des foyers de rbellion, mille petits Vit-nam , afin de dbusquer les d injusticeset lesviolences es pouvoirs coloniauxen place,jugs tous tyranniques. Derrirele dcorde la scne parisienne, se profile l'ombre de la Chine supposervolutionnaire,qui lutte contre les deux superpuissances qu'elle met peu prs dans le mme sac. Les Etats-Unis et l'URSSsont vilipends,les premiers cause de leur imprialismeconode mique et de l'unidimensionnalit leurs vises,la secondeparcequ'elle a trahi le socialismequ'elle prtend incarneret que l'utopiequ'elleportait a dgnr en systme bureaucra tique un bloc militaro-industriel install Washingtonet la dgnrescenceen marche Moscou,frappe par la maladie infantile du communisme.
La Chine, au nom de thories rvolutionnairesqu'elle est cense avoir pratiques chez elle, thorise une nouvellemanirede conqurirle pouvoir.Ne plus attaquer les centres, mais occuperles priphries.Devant le nombreet la dispersiondes masses proltaires dans les immensescampagnes de la plante, les pays riches sont comme des villes concentres, desforteressesragiles.Quand le tiers f monde sera conscient de sa force, sousla houlettechinoise,alors il permettra l'effondrement des mtropoles, riches mais coupes de leurs sources d'approvisionnement.Viendra la saison des fruits longtemps mrisau sein de rbellionsencadres par une internationaleau cur enfin rouge. L'URSS, elle, est dnonce pour son hypocrisie elle s'oppose verbalement aux Etats-Unis, mais, dans lesfaits, pratique la coexistence pacifique; le tlphonerouge sert prvenirles menaceset enrayer les fivres naissantes. La France et la Grande-Bretagne n'ont-elles pas subi, douze ans auparavant, une humiliation terrible en voulant lancer l'expdition de Suez? Dans les faits, ce fut le dernier reflet de leur gloire d'antan. Car les deux superpuissancesse sont alors allies pour stopper net ces vellitsbelliqueuses contrel'Egypteet le mondearabe. Le triangle Etats-Unis/URSS/ Chine est aujourd'hui tout autre. Les Etats-Unisconserventleurr!e imprial, l'URSSs'est effondreet se veut dmocratique,la Chine rved'entrer dans le groupedes trsgrands, mme si c'estau dtriment du tiers monde. Mais le triangle, l'poque,projette son ombre sur la France de J968.
Les gaullistes~ut dominent Pans ont partie lie avecle monde libral qu'incarne Washington.Lecentrede rfrencedes communistesest Moscou.Biendesgauchistesqui s'agitent ont pour Pkin les yeuxde Chimne. Le spectresocio-politique form des gaullistes, des communistes et des gauchistes est la traduction hexagonale d'un monde trois dimensions Onle voit Etat~-UnM/URSS/Chtne. bien avec la trouvaille gniale de GeorgesPompidou, thtralise par le Gnralde Gaulle.Elle a consist ramenerchacunsur le terrainde la lgalitpar l'annonce d'une dissolue tion de l'Assemblef convocation des lectionslgislatives. gauLes chistes ne peuvent que dnoncer dans ce recours aux lecteurs une trahison ; ils feront les frais de l'opration.Lescommunistes, royant c tirer les marrons du feu, acceptent d'emble le recours aux urnes. En franchissant ainsi le Rubicon, ils dvoilentce qu'ils sont devenus, un parti soucieuxde lgitimation,lgaliste finalement; dans son souci de comptabiliserses voix, il a cessde croire en ce grand soir, qui signifierait la prise du pouvoirpar l'insurrection des masses.Il est vrai que Georges Pompidou russit faire croire de bons contingents d'lecteurs apeurs que les communistes sont de dangereux rvolutionnaires, semblablesen tous points ces gauchistes~ut ~fnentla zizanie partout, brlent des voitures qui mieux mieux et sont d'incorrigiblesrouges ~ut ne pensent qu' la subversion gnralise. Aux lections de juin 1968, la droiteva remporterune victoirecla-
tante, comme elle n'en a jamais connue depuis le dbut de la V Rpublique. Mais le Gnral de Gaulle abandonne le pouvoir un an plus tard, les rformes deviennent difficiles, une droite extrme se rveille et veut en dcoudre. Les fruits amers de 1981, 1997 et 1998 ont t ensemencs cette poque. Le communisme, lui aussi, entame une phase de dclin, que la rgnrescence du Parti socialiste et l'alternance russie de 1981 ne vont faire qu'acclrer. Quant aux gauchistes, ils rentrent dans l'ombre. Mais ils ont accompli une mission essentielle, qui tait de pousser sur leur droite un PC qui prtendait avec succs au monopole rvolutionnaire depuis 1920. Par leur action, ils ont ouvert, en raction, de nouveaux espaces pour un socialisme rformiste; ils ont oblig les communistes mettre leurs actes en conformit avec leurs pra-
tiques, finalement peu subversives. On le voit mieux quand on regarde le paysage politique d'aujourd'hui. Une agitationtropfbrilea engendr de la peur dans une Francevieillissante. Mais cela a finalement favoris une gaucheplussocial-dmocrate que socialiste.Les gaullisteset leurs allis tardent trouver de nouvelles parades. Mais cette gauche et cette droite, parce qu'elles veulent rformer, sont confronteschacune la et concurrence d'une extrme-gauche d'une extrme-droite, signe d'un mal-tre persistant du corps polide tique. Quant aux contemporains Mai ~6S qui ont plong avec ardeur dans le feudela contestation, ils se sentent un peu comme cette gnration perverse dont parle l'Evangile.A moins qu'ils n'aient le couragede s'interrogerrtrospectivement, comme Guy Coq Que m'est-ildoncamt~e?
Paris-Prague
PIERRE
GRMION
Deux villes, deux moments de l'anne J 965 Mai 68, Printemps de Prague. Associations,formules, clichs se bousculent en rafales. Cependant, trente ans plus tard, le Printemps de Prague appartient !'HMtofre, tandis que Mai 68 n'est toujours pas sorti
du registre de la commmoration. Ainsi le regard crois jet sur ces deux moments de l'anne J968 dpend-il de la relation tablie entre Histoire et commmoration. Le Printemps de Prague bascule du ct de <'HMtOtre avec ce premier
semestreinoubliablede l'anne 1990 et la libert retrouveen Tchcoslovaquie.Quoique loinde nous aujourd'hui, ces quelques mois de grce ponctuspar les Mditations d't du prsident Havel ont le got des C'estalors que l'on accomplissements. peut se retournerversle pass, l'analyser,le comprendreet l'intgrer. Tout autre est le rituel dcennal de la commmoration des mois de mai et juin 968 l'enseigne de Mai 68 Paris. Chacune de ces ? commmorations ressemble un jeu la pioche. de cartes enfantin Chaquejoueur va au tas cherchersa carte. Curieusement,ce sont toujours les bonnes cartes qui sortent et jamais les mauvaises les slogans indignes ~ Grappin = nazi = SS) ou stupides ~ CRS-SS , Il est interdit d'interdire ); les naufrages et les innombrables paves laisses sur le carreau; lesectarismepolitique forcen,mu en fanatisme anti-institutionnel nihiliste. Le jeu n'est pas seulementenfantin, il est truqu. Du mouvementsocial de grande ampleur que la France connat en mai-juin J968, les commmorations de Mai 68 ne retiennent rien, car Mai 68 est prcismentconstruit pour l'vacuer. Analyser en profondeur ce mcanismepermettrait sans doute d'clairer le rapport trange que la gnration 68 (aux commandes aujourd'hui dans l'dition, la politique, les mdias) entretient avec la socitfranaise. La socit franaise ne l'a pas suivie dans la rvolution. La socit franaise l'a due. Plus tard, la gnration 68 portera le deuil de la rvolution(on le sait et elle l'a fait savoir) en dve-
loppant des rapports perversavecla socit (on le sait moins et elle l'a moinsait savoir). f En J96~ Prague,la rvolution n'est pas l'ordre du jour ni drapeaux rouges, ni drapeaux noirs. La Tchcoslovaquieest alors le sige d'un nouveau processus un mouvement de rforme renvoyant aux orientations rvisionnistes qui travaillentle parti communistetchcoslovaque et un mouvement de renouveau qui dpasse de beaucoup le cadre d'un communismeassoupli pour exprimerla renaissance culturelle et civique de la Nation. Mais ces deux processusse dploientsous contrainte l'pe de Damocls que reprsente l'Union Sovitique.C'est pourquoi ils ne peuvent converger que partiellement, travers un langage cod. Le Printemps de Prague tendait versla ralisationd'un pluralisme imparfait, mais mme ce pluralisme imparfait tait intolrable pour l'URSS. L'intervention des forcesarmes comportaitune leon le communismetait irrformableet le rvisionnismeune impasse. Mais le renouveau, lui, ne fut ni vain ni devaitretrouverune articuoubli. 11 lation nationale et internationale avec la Charte 77. C'est l'arrive des chars qui nimbe a posteriori le Printemps de Prague du halo de l'utopieassassine et qui soude le boulevard SaintMichel la place Winceslas.Mais la vrit historique est tout autre. Les jeunes rvolutionnaires parisiens tiennent en pitre estime tous ces Tchques ne sont que des technoqui crates cherchant rejoindre au plus vite le capitalisme. A l'automne
J967, Franois Mitterrand a rencontr non pas Dubcek mais Novotny pendant un quart de sicle, il ne cessera de jouer contre-emploi face aux volutions de l'Est europen. Non seulement les communistes franais ne veulent rien entendre du renouveau, mais ils se mfient du rvisionnisme et des rvisionnistes, mme la qu'ils abandonnent rpression. En ~968, les rapports entre Prague et Paris sont placer non sous le signe de la convergence, mais sous celui des malentendus. Paris rinvente les soviets et reproche Prague de faire le lit de la socit de consommation. Prague cherche pniblement se rapproprier un hritage constitutionnaliste, Paris fantasme sur l'autogestion intgrale. Prague veut rintgrer l'Europe et sa culture, tandis que Paris ignore l'Europe et reporte ses espoirs sur les rvolutions paysannes du tiers monde.
La rvolution politique avorte Paris dbouche sur un rvolutionnement culturel gnral. Il faudra traverser cela avec plus ou moins de bonheur, plus ou moins de casse, plus ou moins d'lgance. C'est la vie. Rapport J'HMtOtrg,Mai 68 dstabilise et disqualifie les acteurs et les mcanismes institutionnels du redressement ~rancaH forg partir de la dfaite. C'est tout un mode d'action collectif qui s'effondre et peut-tre, plus secrtement, une relation l'action collective qui s'efface. On retiendra encore le vritable dsastre ducatif engendr par le rvolutionnement culturel, produit de la rvolution avorte. Vichy , les trente glorieuses , Mai 68 , c'est aujourd'hui le fonds de commerce du dcrochez-moi-a ~ranc~M on peut s'y fournir en solde pas cher. Qu'il nous soit au moins permis d'aller faire notre march ailleurs.
FRANOISE
LE
CORRE
De mai juin, un mois peine. Une brche.Mais au centre, il y eut la parole, priseet r~pn~?. A elle seule, une telle affirmation tendrait cartertoute possibilit ne de voir dans ce printemps subversif qu'un accident oubliou une fivre
vite gurie. De ce qu'il fasse figure dsormais d'piphnomne drisoire, qu'il soit permis de dire ici quelque inconsolable. Entre la violence et le chant , devait dire, chaud, Michel de Certeau. Contre l'ordre tabli, les
institutions,les pouvoirsen place, les savoirs avrs. Reprsentations contestesparce que non reprsentatives.Rien d'tonnantjusque-l, c'est le propre des crises. A cela prs qu'aucun projet de substitution ne paraissait chercher prendre corps, et qu'on pouvait n'en voir que la radicalitdestructrice.Beaucoup s'en tinrent l, vacuant du mme coup ce que le symptme rvlait, tout autant que les valeurs qu'il mettait en vidence. Ce qui se soulevait subitement jouait le mouvementcontre l'immobilit, la libert contre l'empchement, le spontan contre le rpressif. Une fois casseslesstructures sdimentation, fossilisation, glacis la vie, la vraie, celle qui paraissait touffe,surgirait, dlivre. Sous les pavs,la plage l'image tait doublement symboliquepuisqu'elle certifiaitaussicette potiqueneuveet partage que d'aucuns nonaient. Mais les langages articuls sauraient-ilssurgir des tablesrases? Plusieursgroupespuisrentdans le fonds de cultures d'importation, de la Chine Cuba, des langages et images rvolutionnaires qui n'y gagnaient gure en force de conviction et y perdaient beaucoupen credibilit. Sous-jacent, !'ar<!nca)'tun vitalisme sans le nom qui, ple-mle, rhabilitait le plaisir et les bergeries, condamnaitles choses ~Ah Percer et la consommation, et rendait chaque groupe comme chaque individu l'horizon large ouvert pour sa propre parole. Fini le principe d'autorit, qui ne pouvaittre que de confiscation. Se trouvait ainsi ren-
voy dans l'ombre tout ce que des siclesavaient pu ajouter la somptueusenature. Uneforme de soupon radical minerait dsormais et pour des lustrestout ce qui, de prs ou de loin, s'apparente la culture.Dsencombre, la posie retrouverait ses sourcesdans un monde o il deviendrait enfin possiblede faire l'amour et pas la guerre , commeon devait le dire un peu plus tard. Une rconciliationrvede l'innocenceet de la vie. La lgitimit de la paroie Lie au seul fait d'exister. Consquence inluctable toute parole quivaut toute autre, a pareillementle droit de s'inscrire, de trouverses espaces,ses murs et le lieu de son cri. loutes les communauts et tous les ges. Le culte et l'inculte, galement dignes. L'enseignementen fut durablement marqu, qui parfoisse mit consciencieusement l'cole de l'enfant, rvolutioncoperniciennes'il en ft on mit quelque trente ans rviser certains de ces excs, comme s'apercevoir, estourbi, malgr les avertissements prmonitoires d'un Marcuse, qu'on pouvait parler de la tyrannie du plaisir . Ce grand bain de lgitimitrcupre sur les matres, les doctes, les hirarchies et les conventions, pouvait-il chapper aux contradictions, ds lors qu'il se trouvait coupl cette idologiede l'existentiel,de la nature, de l'innocence? Comme devait le dire lankelvitch dans Le pur et l'impur, innocence et consciencene peuvent tre rparties sur la mme tte. Et si l'on est fort de ses droits, on l'est aussi assez pour savoir que, de toute parole commise,
on peut n'tre que le locuteur sans tre forcmentl'auteur. L se fait le partage. La parole signifiante, en effet, se paie, et parfois cher, dans une laboration possiblementdifficile. C'est affaire de libert, de travail et de vrit sur l'ensemble de l'existence. Une tche laquelle l'autre est tneMfabtement intrieuet rement associ,destinataire et honzon de la parole conquise. Une conqute sur sot-Mme avant de l'tre sur les autres. Sans compter que, quoi qu'on fasse, trouver les mots pour le dire est un acte minemmentculturel,quand bien mme il est personnel. Aurait-onretroufel l'exprience de la vritablematriseet une apprhension restaure de l'autorit (en sonsensoriginelque lui vaut la racine auctor quifait grandir), qu'on aurait sans doute accompliune vritable et fconde rvolution. On se prend rver de ce qu'aurait pu devenir le discours politique ainsi refond dans une socit convertie . Mais, ni du ct de ceux qui prirent la parole,ni du ct de ceux qui la reprirent, le prix ne fut pay. Lesrvolutions cet ordresont obsde cures, elles touchent l'intime en mme tempsqu'au public, au priv commeau collectif. Ellesfont appel un courage dcisif, certainement moins attractif que les miroitements du plaisir ou la proximit des pouvoirs. L'Histoire retiendra-t-elle jamais quelquechosede cescombats qu'elledsignecommedes lieux possibles,trop rarementoccupes Il y eut une apparente sortie de crise, comme une plaie referme avant d'tre saine. Depuistrente ans,
pour les uns commepour les autres, faute d'avoirlu ce qui s'annonait et d'en avoirtir les consquences, le mal court sousles colmatages,les maquillagesou les refondationsfictives.Il y eut, surle long terme, des amnagements, des imprgnations, une digestionlente et une rsorption d'intuitionsqui eussentpu tre salutaires. Mais les soixante-huitards, commeleursadversaires,trs occups se fournir de leurs positions des figures historiques satisfaisantes, s'enfermrent dans leurs justifications (parfois savamment dguises en contritions), leurs ressassements et la peur dela diffrence. Une tape supplmentaire, peut-tre, dans le processus de longue maladie que Nietzsche dcelait dans la socit moderne,avecson syndromed'puisement. GeorgesMorel le rappelait dans un article d'Etudes, intitul Nietzsche et la crise (octobre 1968). En quels autres temps que nos annes 97-98 vit-on paratre autant d'ouvrages, comprisphilosoy phiques,sur la fatigue? Une trs grande fatigue et un dsintrt gnral les structures politiquesde reprsentations'avrent v tragiquement ides,et ce n'est pas un hasard si un fascisme naturalis a pu faire une perceau sein mme d'instances dmocratiquesqui n'ont que peut-treplus de reprsentatives le nom et la forme. Ce qui est craindre, c'est que la secousse de mai 1998 ne soit vite enfouie sous l'obscnebonne consciencede rsistants bon comptequi, forts de leur seule indignation, refuseraient de prendreen charge la question pose. Ou, pire, que cette raction, en son
fond indispensable et salutaire, ne soit une excitation momentanment bienvenuedans un ocan d'impuissance. Pour sa part, l'Universit, clate, continue de fasciner. Les tudiants s'y bousculent l'entre, situation paradoxalepuisque,dansle mme temps, on dcouvre que plus gure ne croient l'enseignement dispens. La question est moins dsormais de savoir ce qu'on va y faire que d' intgrer , tandis que l'autorit des petits matresse rfugie dans des secteurs de plus en plus troits comme en autant de zones Les inexpugnables. institutionsecclsialestiennent encore,dsertessouvent, sans plus tre attaques. Les voix y rsonnent, mais ne portent gure. De ces lieux forte charge touteune socitse retire symbolique,
sur la pointe des pieds. Les grandes aventures humaines,la foi, le savoir, la politique, trouveront-elles leurs lieux, leurs chos, et l'espace du < dsir? ' On veut le croire le mal court, le bien aussi, comme toujours. Certains paientle prixfort. Hors publicit. Depuis trente ans, convaincue de ce droit pour tous la parole, une arme des ombres se porte aux lieux que notre socit ignore moins qu'elle n'en parle trop ou mal une arme d'enseignants,travailleurssociaux, ducateurs spcialiss,entre autres. Pour lesoublis. Il arrive que les muets parlent et que les sourds entendent. Face la parolepubliquesinistre,ce n'est pas une consolation,maisc'est une esprance. La parole vritablene se tient jamais qu'entre miracleet dsastre.
Un pre de 68
Marcuse
JEAN-LoUIS
SCHLEGEL
On ne le lit plus gure, ou si peu. A-t-il jamais t vraiment lu ? Dans les annes 60, il a pourtant eu ses incontestablesheuresde gloire et d'adulation. Une gnration qui s'tait fait une spcialitdu rejet violent des presen a fait Mnpre de sa
rvolution,et il a alorsjou le jeu de cette sduction et de cet hommage ambigus. Ds J965, quand il lui rend un anti-hommage pour son soixante-diximenniversaire, rgen a J Habermas, continuateur austre et rigoureux de l'Ecole de Francfort
dont Marcuse avait t membre, crit je nereconnais lusenelle p ~'tmage qu'il donne de lui comme idole de la jeune gauche] l'homme sincreet courageuxdont j'admirais l'immunit l'gard du faux succs. Habermas, comme Horkheimer et Adorno,es fondateurs de l'Ecole l de Francfort, lui reprochent d'approuversans rserveles rvoltes tudiantes,de justifier le refus pour le refusoule grand refus, qui ne s'embarrasseplus d'analysesprcises et de raisonsargumentes. va-t-il Ne pasjusqu'justifier la violence?Une phrasede lui fait florsen 1967-68 Si elles (les minoritsopprimes et crases]usent de violence,ce n'est pas pour inaugurer une nouvelle chane de violence,mais pour briser celle qui existe.Commeon veut les abattre, elles savent ce qu'elles risquent, et ~)ellessont dcides assumer ce risque, nulle tierce personne, et moins que toute autre l'ducateur ou l'intellectuel,n'a le droit de leur prcher l'abstention. Bourdieune dit pas autre chose aujourd'hui, la gauche de la gauche l'applaudit, et l'ambigutdemeure. Tout est dans le mot oppression . Quand l'injustice n'est pas manifeste (sous-entendu, pour Habermas,en 1968 ellen'a pas, en tout cas, l'vidence lui prtent les que tudiants occidentaux qui profitent des trente glorieuses), comment justifier l'action violente? Et comment arrter chat ne de la violence? Comment viter que la rvolteet la rvolutionne se retournent et produisent, comme si souvent, sinon toujours, le pire ou pire
qu'avant? La vulgarit et la grossiret des rvolts, qui frapprent Horkheimer et prcipitrent, dit-on, la mort d~dorno, ne sont pas rassurantes cet gard. En oubliant ces questions essentielles, pourtant remues par lui-mme depuis des annes, Marcuse aurait, en croire Habermas, dni et trahi son pass, l'effort de la Thorie Critique, pour penser avec la Raison les rapports de domination et tout le passif des rapports sociaux. Marcuse lui aurait dclar, un jour, en montrant du doigt l'tendue suggestive de l'ocan tranquille CrOc~n Pacifique vu depuis la cte Ouest) Comment peut-il y avoir encore des gens qui nient l'existence des td~ ? Ne se mettait-il pas nier, justement, l'existence des ides au profit d'un activisme rvolutionnaire qui se faisait gloire d'une ngation indtermine et dangereuse, celle du grand refus ? Dans Raison et rvolution (traduit en J96N mais crit en 1941), il crivait encore, d'une phrase lapidaire, cette vritable charte de l'Ecole de Francfort La Thorie doit prserver la vrit, mme ~f la pratique rvolutionnaire dvie de son droit chemin. La pratique doit suivre la vrit, non l'inverse. Mais le lisait-on, l'a-t-on lu ? At-il crit ce qu'on lui a fait dire? En 68, la pratique et la mise en Utvg de l'utopie ont prcd les analyses et les synthses de la vrit. C'tait leur faiblesse, on l'a vu trs vite, mais c'tait aussi leur vrit, finalement, car sans l'impatience de ce passage l'acte impens et parfois insens, il n'y aurait jamais de rupture dans le
mur opaque de l'espaceet du temps social, verrouillscommeils l'taient et le sont toujours par l'Etat moderne et le poids de toutes les contraintes imaginables. Plus critiquables et dangereusessont les idologiesde la rupture et les thories(ou les thologies)de la rvolutionchafaudes aprs coup. Mais comment viterde sejustifier, d'intellectualiser et de rationaliser le dsir d'utopie? /'emp!o!'e dessein cette expression, o se rejoignent inextricablementle malaise personnel et la volont de ralisation collective. Car c'est cette croisedu dsir individuelet du devenirsocialqu'on trouve Marcuse.Il posait, au fond, une bonne question que devient Eros le bonheur amoureux et se~ue! dans la civilisation qui avance et dans une socit o les autres besoins seraient progressivement combls, une socit, par exemple, qui rpondrait de plus en de plus aux MBux Marx? Ce dernier n'a pas poscette question.Implicitement, pour lui, le bonheurdans une socitdes hommesrconcilisentre eux et avec la nature serait aussi celui du dsir sexuel et amoureux combl.C'en serait fini de la domination et de l'exploitationsexuelles, lesrelationsentre femmes hommes et seraient devenues harmonieuses. Marx tait loignde tout modlede libert ou permissivit sexuelles, comme de ceux prns par certains communismesutopiquesou de celui des les Trobriands, cette socit matriarcale paradisiaquedcriteplus tard par l'ethnologue Malinowski (une description d'ailleurs conteste). Marx aurait probablement
approuvLnine rfutant l'ide que, dans la socitcommuniste,s'aimer est aussi facile que de boireun verre d'eau. Pour Lnine, l'amour requiert deux personneset peut avoir pour rsultat une troisimevie.Cela entrane un intrt social, un devoir enversla socit, et doncdes bornes au librejeu des pulsionsamoureuses. Pourtant, le dpassementrelatif de la pnurie matrielle dans les socits de consommation pose la questionde la rpressiond'Eros. Les socitsmodernesproductivistes sont certessoumisesau principe de rendement , mais, l'ge de l'automation, la productivit a atteint des niveaux tels, que les individus ne supportent plus d'tre brids dans leurs pulsionssexuelles.Ils veulentle bonheur-libert en tous domaines. Marcuse s'inscrit dans ce rve ou cette utopie. En cela, il est /!k de Freud. Pourtant, ~t l'on se tourne versFreud, le comptene semblepas y tre, bien au contraire.Car celui qui tait pourtant honni par les tenants de la vieillemorale pour son pansexualisme, est jugsvrement ar p les partisansde la libertsexuelleillimite. Sa faute majeure? U a partag les prjugsde la vieilleculture de bourgeoise son temps. Pire il en fait la thoriepour les transformeren un fait de nature, universel, par consquent. Pour que la civilisation progresse, efaut-il pas, l'en croire, n briderles pulsionssexuelles,y renoncer temporairement, driver leur nergieversdes activitssocialement utiles conomiques, ociales,intels lectuelles, artistiques? N'a-t-il pas invent l'ide, trs rassurante, d'une sublimation des instincts? N'a-t-il
pas, en outre,mu l'ided'une pulsion de mort, conjointeet oppose la pulsionsexuelle, ui tend renouq velerla vie ? Eros et civilisation, paru en. mai 68, dveloppe prcismentcette critique du matre de Vienne, une critique extrmement nuance, cependant.Marcusene rcuseaucunement l'instinctde mort, maisestime que Thanatos, commeEros, est conditionnpar la surrpressionqui a rgnjusqu' prsent dans une civilisation moins rpressive, les forces de la vie l'emporteraient. Eros, libr de la surrpression, serait renforc et, ainsi renforc, absorberaiten quelquesorte l'objectif de l'instinct de mort. La valeur instinctuellede la mort serait modifie. Les revendications utopiques de rtma~tnatton ~ont capables d'imprimer un nouveau cours, de rconcilier principe de plaisir et principe de ralit . Nietzsche est voquplus d'unefois dans ce livre. Mais pour Nietzsche,ne serait-cepas vivre intensment, dpenser la vie jusqu' en mourir? Les lecteursdes annes 68 n'ont pas toujours bien lu Marcuse. Ils avaient besoind'un matre (Lacan Comme rvolutionnaires, vous aspirez un matre. Vousl'aurez x~ ou d'une caution intellectuellepour affirmerque touteentrave la jouissance n'est que prjugbourgeoiset rpressioncapitaliste.Ils ont parfois fait de lui le chantre de la libration c sexuelle, e que sescrits nejustifient gure.Il reste foncirementfidle Freud, y compris sa pulsion de mort , mais, contrairement lui, contrairement ussi ses collgues a de
l'Ecolede Francfort, il dploie une utopie optimiste de la civilisation, avec une criture militante. Il assumele risque li la formulation directe d'une intention , dit Habermasdans son langage~t particulier.D'o sonsuccs. Mais d'o aussi le succspresque quivalentde WilhelmReich,le vritable hraut du jouir sans entraves , avec qui Marcuse a t trop souventet injustement associ. Reich, adversaire irrductible de Freud, ~ut il reprochede plonger sa sonde dansle langage, dfend l'expressiondu corpsqui n'a pas besoinde paroles. Une telledsymbolisationde la sexualit n'a rien voir avec les thories de Marcuse. Pourtant, dans les socits permissives postmodernes,c'est elle qui a largementtriomph.Marcuseaurait x parl de dsublimationrpressive pourdsignercettelibrationsexuelle qui ne sublime plus rien et accepte finalement, sans broncher,la surrpression du principe de rendement dans la vie sociale et conomique. Il a privilgile principe de plaisir par rapportau principede ralit, qui ne relve pas, selon lui, de la nature, mais de l'histoire et de la culture; il dpenddoncde nousde le changer. Mais, tout en critiquant Freud, il n'a ni ni la ncessitd'un certainrenoncement ux pulsions,ni a la symbolisation, proprement humaine, de la sexualit. On peut encorele lire avecprofitaujourd'hui, car ce qu'il dit, loin des trivialitsde Reich, donne vraiment penser sur les liens entre sexualitet socitet sur l'utopied'une socitmeilleure.
La non-gnration
BRUNO
GUIGUE
ils eurent vingt ans en 68. Nous avons ft notre vingtime anniversaire en 81. Issusdes nocesextravagantes de Marx et Freud, ils faisaient clater leur surmoi en grimpant sur les barricadesd'une rvolutionimaginaire. Nous voulions,nous, changer la vie par la voie des urnes. Ils voulaient incendier le monde avec des mots de pote. Nous esprions le transformer avec des rformes de structure. Ils rclamaientle droit de jouir sans entraves. Nous revendiquions du travail pour tous. Ils proclamaient l'interdiction d'interdire. Nous rclamionsla suppressiondu laisser-fairecher aux ultra-libraux. Ils faisaient l'apologie d'un individualisme rig en art de vivre.Nous reprochions la socitlibraleavance son culte de l'individu. Leur modle,c'tait le spontanismervolutionnaire, qu'ils interprtaient sur le mode parodique dansles amphithtres de la Sorbonne. Notre emblme nous, c'tait la forcetranquille d'un slogan publicitaire. Ils s'adonnrent l'ivresse mtaphysique d'un Grand Soir estudiantin qui fut commeune adolescence prolonge.Nous fmes, nous, sevrsde nos illusions avant mme d'avoir atteint l'ge adulte. Notre CohnBendit nous, c'tait un politicien
madr de la 7V Rpubliqueconverti au socialisme un ge o d'autres prennent leur retraite. Nos barricades, c'taient des bureauxde vote. Notre part!, la vieilleSFIO rafistole pour les besoinsde la cause. Enfants gts du baby boom, ils formaient la casteinsouciantedes privilgis de la croissance.Rejetons des trente glorieuses , ils bnficiaient d'une richessepour laquelle ils affectaient le plus profond mpris, faute sans doute d'en voir le caractre unique dans l'Histoire. Ces nantis de la prosprit occidentale taient les hritiers d'une gnration meurtrie, cellede la SecondeGuerremondiale. En avaient-ilsseulementconscience? Nul ne le sait. Mais ils agissaient commesi la chance accorde leur gnration leur confrait le droit inalinablede vomir leurs ans. La socit qui les accueillait en leur sein, ils la maudissaient commeun adolescentboudeur rejette l'affection d'une mre envahissante. Mais, au mme moment,la scuritdu lendemain leur permettait de donner libre courstous les excs.Ds lors qu'ils demeuraient verbaux, qui se serait soucid'une telle effervescence juvnile? Aprs tout, on leur pardonnerait aisment leur effronterie, puisqu'ellene portait consquence
ni pour eu~-mmes, ni pour les autres. Nous n'emes pas l'occasion, quant nous, de goter ce privilge. Non que le sort qui nous tait imparti en cesannes 80 eut t impitoyable. Mais si nos ambitions n'taient pas moins pures, elles taient forcment plus prosaques. Nous n'tions pas assez naifs pour confondre Franois Mitterrand et Lon T)'oM~.Nous aspirionsgalement des changementsradicaux, tout en sachant qu'ils taient impossibles.Notre rvolte Entre le prin? cipe de plaisir et le principe de ralit, elle dut trs vite choisirson camp. L'emphaserhtoriquene nous tait pas inconnue, et nous n'avons pas rpugn, nous non plus, nous soler d'idologie.Le caliceenivrant des lendemains qui chantent, nous l'avonsbu jusqu' la lie. On se souvient encore de ceux qui voulaient rompre avec le capitalisme en trois semaines et faire tomber les ttes rcalcitrantes.Mais avons-nouscru un seul instant ces billeveses ? L'eussions-nous que la ralit se fait ft charge de nous dniaiser. Si nousavonsfeint de croire la fable, c'est en raison des vertus mobilisatricesque nous lui prtionsgnreusement. Ce fut au demeurant notre principaleerreur avoir transposen ces temps de crise profonde le langage qui convenait aux prosprits aux insatisfaites. veugles mutations A en cours, nous n'avons pas peru immdiatement l'inadquation de nos schma.!de pense. Mais l'histoire ne nous a pas autoris bien longtemps perptuercette mprise, et la dsillusion fut d'autant plus
brutale. Certes, la France a connu des momentsplusdramatiques.Mais la crisedesannes80 a cecide particulier qu'elle constituedepuislorsun La horizon indpassable. vrit,c'est donc que notre gnration a t promptement rattrape par le rel. Ce n'est pas la rvolution estper~ut manente, c'est la crise. Et notre avenirs'est inscrit, d'emble,dans le trou noir de nos esprances dfaites. Lessoixante-huitards Ceuxque ? nousconnaissons ont devenuspublis Ils citaires,journalistesou politiciens. ne sont pas moins conformistes ue q les autres, mais ils ne sont pas plus cyniques. La communication est devenue leur mtier parce qu'elle tait leur vocation.Et s'ilsont russi, c'est qu'ils ont ttfait l'apprentissage du verbe, bnficiant d'une libration de la parole qui demeure l'acquis essentielde la priode. Les orateurs prolixes des Assembles gnrales estudiantines ont excell dans le domainede prdilectionqui tait le leur le monde des formes. Faut-il leur en faire grief? A dfaut d'un mondenouveau,toutecetteagitation aura du moinsaccouchd'un style.A dfaut d'une politique,d'une esthtique. Et faute de raliser une grande ambition collective,Mai 68 aura t le creusetd'ambitionsindividuelles n'en sont pas illgitimes qui pour autant. Je dirai mme grand bien leur fasse. Mais nous avons, nous, le droit de ne pas nous sentir concerns. Car le rcit de la geste tudiantede nos ans nousconvie une nostalgiepar procurationinapte nousfaire vibrer.Quels que soient les effortsque nous consentions pour en humer l'atmosphre,il exhaleun
parfum d'trangetquifait son charme, mais ne lui confreaucun prestige. Enigmatiqueet lointain, 68 est pour ma gnration un non-vnement par excellence nous n'y tions pas, et n'en prouvonsaucun regret. Entre lui et nous, il n'est pas defiliation qui tienne, ni de reconnaissance de dette possible nous sommes la non-gnration. L'extravagance de cette rvolutionpour rire nous laisse
rtrospectivement froids. Convenonsen la clbrationde ce trentenaire ne suscite chez nom qu'une indiffrence lgrement teinte d'ironie. Mais ce n'est pas seulement parce que l'vnement s'est droul sans nom et n'a aucune rsonanceaffective.C'estsurtout parcequ'il nousest inappropriable, et parce que notre poque appelle des rvoltes plus matures.
Centre Georges-Pompidou
Table
ronde:
A quoi
servent
les revues,
aujourd'hui
La Revue des Revues Organis avec l'Association Ent'ra~ et la collaboration de J7MEC. avec: Lothar BAIER,Olivier CoRpET,Antonin LiEHM,le Pre Henri MADEUN, Michel SuRY~
Les revues vivent, nul ne l'ignore, une existence toujours prcaire et menace. En France, par exempte, les revues sont loin de bnficier des tirages et de l'audience qui taient les leurs au lendemain de la Libration quand les grands mdias se faisaient naturellement de leurs audaces ou de leurs querelles. l'cho
Pourtant, malgr les difficults, le monde des revues demeure le lieu d'lection des forces vives de la culture, l'instrument de prdilection de la cration littraire et de la diffusion des ides.
Entre libredans lamesure places isponibles des d Pour toutes informations au Centre Georges-Pompidou 01 44 78 42 40 Ent'revues 01 47 03 40 03
ESS 1
Plaidoyer pour une nouvelle rhtorique Lesnormesdu convaincre
dans l'espace public
PHILIPPE
BRETON
Cet article pose la question de la pertinence de l'existencede normes du dbat dans l'espacepublic, dans un contexteo les manipulations de la parole sont nombreuses,en tousdomaines. Il est l'occasion de rappeler que la disparition de la rhtorique comme disciplinea priv notre culture d'un creuset,justement, de telles normes, c'est--dire d'un lieu o i'ethtque et les techniques,dans le champ de la parole et de la communication, pouvaient tre confrontes.
PRCISONS tout d'abord ce que l'on entend ici par dbat dans l'espace public. Nos socits dmocratiques occidentales organisent en leur centre, dans la reproduction de la geste grecque, un espace public permanent o se rencontrent les ides et les hommes, en dehors de leurs structures de vie habituelles, notamment prives et familiales. Toutes sortes de questions et de propositions y sont discutes, d'ordre politique, social, commercial. On cherche se convaincre mutuellement aussi bien de partager des valeurs que d'adopter des comporte-
Etudes
M. rue d'Assis
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Pari!
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ments. C'est le monde de la politique, des dbats de socit, de la publicit et de la communication. Lesdbats y sont mens essentiellement sur deux registres discursifs, l'un consacr l'information, l'autre au convaincre. Les mdias ont pris une place progressivement importante, voire dominante, dans ce vaste forum permanent. Ils tendent acqurir le monopole de la circulation des noncs visant informer et convaincre. Les lments de ce dcor, bien connu par ailleurs, tant poss, nous pouvons revenir notre question principale, celle des normes. L'obstacle toute rflexion sur ce point concerne la pertinence mme de cette question. Elle est dnie par ceux qui considrent que toute norme dans ce domaine constitue une limitation intolrable par rapport un idal de l'espace public o la parole circulerait sans aucun frein. Pouvoir tout dire ?
Un espace public dmocratique serait un lieu o, par dfinition, on pourrait et devrait pouvoir tout dire et de n'importe quelle faon. La libert d'expression la plus absolue serait la norme ou, plutt, elle serait l'antinorme par excellence. La dontologie mdiatique s'arc-boute sur cette exigence d'une libert d'expression absolue, dont la moindre exception menacerait l'ensemble du systme. L'alternative est la suivante ou l'on est en faveur de la libert d'expression (donc sans limite), ou l'on est du ct de ceux qui veulent la limiter, l'asservir,bref, du ct des dictatures et des rgimes non dmocratiques. Le tout s'appuie sur une valeur-cl du monde moderne la transparence. Au nom de cette valeur, tout doit pouvoir tre su et dit. La primaut de cette valeur s'accompagne d'une extension de la sphre publique qui gagne sur le domaine priv, dont des pans entiers doivent dsormais tre accessibles au regard public, au nom du droit l'information conu comme sans limite. Dans l'esprit de ceux qui en sont les promoteurs les plus ardents, la libert d'expression serait menace l'intrieur mme des dmocraties au moins dans trois domaines la rgulation du langage par l'implicite du politiquementcorrect; l'existence de groupes sociaux comme les sectes; la volont toujours aux aguets des Etats de s'ingrer dans le travail des mdias.
Le politiquement correct, ralit nord-amricaine par ailleurs assez insaisissable, constituerait une sorte de police du langage et surtout du lexique, contraignant normativement renoncer certains termes et en utiliser d'autres (ainsi, on ne parlerait plus des hommes mais des hommes et des femmes, pour que le mot ne soit plus le vecteur d'un sexisme ingalitaire). Les sectes constitueraient autant de lieux publics o l'individu serait priv de libert d'expression, conditionn psychologiquement dans sa libert de pense et contraint de voir le monde autrement qu'il n'est. Enfin, les gouvernements et les Etats seraient en permanence tents d'utiliser leur pouvoir rgalien pour imposer une limitation de la totale libert d'expression que garantissent les mdias. L'ingrence constituerait ici une menace permanente, qui n'attend que l'occasion pour s'actualiser. L'irruption des nouvelles technologies de communication et de rseaux a prolong les dbats sur ces questions. Certaines facilits techniques, comme la circulation transfrontires des informations via Internet, ont t utilises pour renforcer le point de vue qui valorise une totale libert d'expression par del les frontires et les lgislations des Etats. Lediscours d'accompagnement et de valorisation des nouvelles technologies de communication est l'un des principaux vecteurs qui privilgient le libralisme le plus total dans la circulation de la parole. En rsum, la doxa en matire de parole dans l'espace public est que celle-ci doit tre totalement libre, au risque ne pas l'tre du tout. Dans ce domaine, comme dans d'autres, il est donc interdit d'interdire. Aucune norme ne y compris la rgulerait la parole, et la situation actuelle volont de supprimer les trois exceptions notes plus haut (le langage politiquement correct, les pratiques des sectes et la menace de la censure tatique) devrait tre maintenue en l'tat. Le propos de cet article est de montrer, d'une part, que ce point de vue est tonnamment abstrait, car, dans la ralit, la parole, comme sa circulation dans l'espace public, est rgle par un jeu de normes implicites et de contraintes fortes, et, d'autre part, qu'un tel point de vue celui qui privilgie la libert d'expression, au dtriment d'autres liberts tout aussi fondamentales porte peuttre, paradoxalement, une menace sur la libert de parole qui est au fondement de nos dmocraties.
Les normes
de la libert
d'expression
Il est difficile de soutenir qu'il n'y a pas de normes dans l'espace public du point de vue de la parole. La plupart des lgislations dans les pays occidentaux limitent la libert d'expression dans un certain nombre de cas, qui, tout en tant bien prcis, n'en rejaillissent pas moins sur l'ensemble des dbats. En France, la loi dite loi Gayssot, du nom du dput communiste, maintenant ministre, qui l'a rdige et propose, rprime, entre autres, tout propos dit rvisionniste. Dire dans l'espace public que les camps d'extermination n'ont pas exist pendant la dernire guerre, que ces camps taient, par exemple, de simples camps de dtention ou de travail, ou que les chambres gaz n'ont jamais exist, est une parole qui rend son auteur passible d'une inculpation et d'une condamnation. De mme pour les propos ouvertement racistes et xnophobes. Rappelons que l'adoption de cette loi n'a pas t simple et a suscit de nombreuses rsistances au nom de la libert d'expression. Certains sites sur Internet, appartenant pourtant des personnes peu suspectes de sympathie avec de telles ides, abritent volontairement des messages rvisionnistes, afin que cette libert soit garantie d'un contexte de censure. Ces bornes de la parole ne sont pas ngligeables, car on peut supposer que, si elles n'existaient pas, un certain nombre de dbats politiques seraient de nature diffrente. Elles obligent ceux qui souhaitent les franchir des contorsions linguistiques peu pratiques, comme, par exemple, l'affirmation que les camps, et tout ce qui s'y passait, taient un point de dtail dans l'ensemble du conflit, ce qui conduit nier qu'il s'y soit droul quelque chose d'important. Encore peut-on considrer, dans ce cas, que ce propos, par extension, peut tomber sous le coup de la loi Gayssot. Impossible, galement, de diffamer autrui sans que la justice risque de s'en prendre ceux qui se livrent un tel exercice. Ainsi, croyant, au nom de la libert d'expression, pouvoir faire d'une simple hypothse une affirmation, les deux journalistes ayant soutenu que deux anciens ministres avaient commandit l'assassinat du dput Yann Piat, se sont retrouvs face la justice et leur livre fut empch de diffusion. Cette norme juridique, qui frappe de plein fouet l'exercice de la parole, oblige rfrer tout propos sur autrui un minimum de preuves.
De mme pour la publicit, dont les messages sont encadrs par l'impossibilit du mensonge flagrant ou de toute posture qui nuirait autrui. Ainsi, la campagne publicitaire de l'Italien Benetton, qui montrait (en automne 1993) des parties nues de corps humains marques du tampon HIV positive , a t condamne par la justice franaise, au motif suivant En prenant le risque de lancer, dans un domaine sans lien aucun avec leurs activits commerciales, une campagne publicitaire ambigu, qui laisse la place des associations d'ides nuisibles aux personnes dont la souffrance se rvle exploite d'une faon provocante, les socits dfenderesses ont commis une faute ouvrant droit rparation, au profit de ceux qui en ont souffert (dcision d'une Cour d'Appel franaise, le 28 mai 1996). La rgulation implicite
Les normes juridiques ne sont pas les seules encadrer la libert d'expression. Un certain nombre de normes sociales, implicites rgulent les dbats. Dans les affrontements verbaux auxquels se livrent rgulirement, dans les mdias, les hommes politiques, la courtoisie, sans tre une pratique constante, n'en est pas moins une valeur normative de rfrence. Celle-ci est d'ailleurs en dcalage avec les pratiques verbales, volontiers insultantes ou brutales, qui caractrisent les dbats hors camra ou hors micro, l'Assemble Nationale, par exemple. De mme, le renoncement l'emploi systmatique et grossier de la manipulation, dans le but de l'emporter tout prix sur son adversaire, semble tre la norme d'une partie de la classe politique. D'une faon gnrale, tout ce qui donne l'apparence d'une vritable discussion un dbat mdiatis est la norme, mme lorsque celle-ciest une rhtorique superficielle visant surtout affirmer que, soimme, on l'observe, contrairement son interlocuteur, comme l'illustre le Je ne vous ai pas interrompu , dsormais lieu commun. Le recours ces normes du discours n'est pas seulement une limitation, au sens o un certain nombre de paroles ne peuvent pas tre dites (mme si on les pense et qu'on les exprime dans l'espace priv). Il rend possible (ce point est rarement soulign) un certain nombre de dbats qui, autrement, auraient tourn court. L'insulte, par
exemple, est souvent un raccourci qui, s'il ne peut pas tre On emprunt, contraint un minimum d'explication. remarquera galement que ces normes, notamment lorsqu'elles sont juridiques, font rfrence un double niveau, celui d'une violence inflige autrui (la Loi, on le sait, dpossde les particuliers de l'exercice de la violence, y compris verbale) et celui du recours la vrit comme rfrent. C'est la fois parce que les camps d'extermination sont une ralit atteste par les tmoins et les historiens et parce que la ngation de leur existence porte atteinte aux victimes directes ou indirectes, qu'une parole ngationniste est lgalement condamnable. De mme, ici (bien que les deux exemples ne soient pas dans leur contenu comparable), pour la publicit de car il n'y a Benetton, qui est injustifie dans son contenu et pas de rapport entre le message et le produit vendu qui porte atteinte une catgorie particulire de la population, les personnes sropositives. Mme dans le registre des normes du langage non juridiques, ce double recours est prsent. Sont thoriquement bannis de tout dbat public la fois le mensonge et la violence verbale. On remarquera que les normes juridiques, dans le domaine de la parole, s'intressent gnralement trs peu aux mthodes du discours, pour privilgier plutt leur contenu. On peut condamner une parole pour ce qu'elle exprime (un propos raciste, par exemple), pour la blessure psychologique et morale qu'elle peut provoquer, ou pour un rapport trop contradictoire avec les faits (dans le cas de la publicit mensongre), ou avec la vrit historique (dans le cas du ngationnisme). Mais jamais on ne juge sur un plan juridique les procds manipulatoires en tant que tels. Utiliser dans un dbat public un amalgame, aussi manipumme s'il latoire soit-il, ou un nonc dsinformateur, viole des normes implicites, ne rentre dans aucune catgorie juridique connue. La manipulation de la parole
Or, malgr l'existence de ces normes qui rgulent actuellement l'usage de la libert d'expression, les abus dans ce domaine sont nombreux et varis. Trop souvent, la libert d'expression est utilise pour manipuler autrui. Cette manipulation est la fois une violence dissimule comme telle et une inflexion trompeuse des faits. De nom-
1. Par exemple, Serge Tchakhotin~L~Vto~~ foules par la propagande politique, Gallimard, 1952; et Vance Packard, La Persuasion clandestine, Calmann-Lvy, 1963.
breux textes 1 ont dcrit avec prcision les techniques de manipulation et leurs nombreux usages en politique, dans la publicit et la communication, dans le monde du travail o fleurissent depuis peu de curieuses techniques de communication interne et de gestion des ressources humaines. Le recours massif et permanent aux manipulations cognitives ou affectivesdans le domaine du convaincre, s'est poursuivi bien aprs la fin de la guerre froide. L'hypermdiatisation des dbats a inflchi la parole politique laquelle on a commenc, ds la fin des annes cinquante, appliquer les rgles du marketing et de la publicit classique. Comme le remarquait l'poque Vance Packard, un des tmoins privilgis de cette transformation En quelques brves annes, dont l'apoge fut la campagne prsidentielle de 1956, les conseillers en communication politique effecturent des changements spectaculaires dans les caractristiques traditionnelles de la vie politique amricaine. Ils y russirent en s'inspirant des ides de Pavlov et de ses rflexes conditionns, de Freud et de ses images du pre, de Riesman et de son ide de concevoir les lecteurs amricains modernes comme des spectateurs-consommateurs de la politique, de Batten, Barton, Durstine, Orbon et de leur science publicitaire 1. La remonte, dans la plupart des pays occidentaux, des courants d'extrme-droite a, elle aussi, inflchi la nature des dbats politiques. On y a vu refleurir un certain nombre de techniques manipulatoires, notamment l'amalgame, utilis pour dfendre les thses xnophobes. L'influence croissante des partis d'extrme-droite a entran dans son sillage le recours de telles techniques par des hommes politiques n'appartenant pas cette mouvance, mais qui utilisent ces mthodes pour se concilier un lectorat infidle. Sous la conjonction de ces deux facteurs (hypermdiatisation du dbat politique et prsence active de l'extrme-droite), les normes implicites qui limitaient le recours la manipulation dans l'espace public servent de moins en moins de rfrence en politique. Une partie non ngligeable des messages publicitaires, ou mme de la communication institutionnelle, utilise, quand on y regarde de prs, de vritables mthodes manipulatoires de l'opinion. Pour ne prendre que cet exemple, la publicit, directe ou indirecte, pour le tabac,
4. Yves Winkin, Elments pour un procs de la PNL, MdiAnalyses, n 7, septembre 1990, p. 43 50.
depuis les annes cinquante, relve presque entirement de la manipulation mise en oeuvre consciemment, et de faon organise, par les publicitaires et certains universitaires qui leur ont prt main forte. Dans ce domaine, il n'y a pas de norme qui vaille, l'important tant, d'une part de contrecarrer toute incitation contraire l'acte de fumer, mme lorsque celle-ci est d'ordre mdical, d'autre part de stimuler la consommation la plus large possible, y compris en direction de populations de plus en plus jeunes. En communication aussi, certaines normes ont t laisses de ct. Le vaste secteur de la fabrication des rputations, celui qui consiste, par exemple, fabriquer l'image d'une entreprise ou d'une rgion, ne ddaigne pas de recourir des techniques de dformation et de recadrage qui relvent plus de la manipulation que de l'argumentation. Dans ces deux domaines, publicit et communicavari depuis tion, les pratiques n'ont pas normment l'aprs-guerre, et les normes n'y ont jamais t trs fortes. Le changement vient de ce que la publicit, dans son ensemble, assez largement critique et analyse dans ses pendant longtemps, est actuelleaspects manipulatoires ment plutt valorise. Certains sociologues y voient dsormais un pouvoir sans consquence (Gilles Lipovetsky). Ses techniques sont pourtant les mmes et son impact est globalement croissant. Si la publicit rencontre certains freins son influence, ils sont souvent lis la rarfaction des ressources affectes par les mnages la consommation, du fait de la crise sociale et conomique. Le domaine des relations de travail est, lui aussi, largement irrigu par de multiples techniques inspires de mthodes comportementales assez largement manipulatrices' (comme, par exemple, la PNL Programmation neuro-linguistique). La libert de rception
5. Voir la revue bibliographique faite par RobertVincent et toute Jean Lon Beauvois, Petit Trait de manipulation d l'usage des honnte gens, Presses Universitaires de Grenoble, ]987.
La caractristique majeure des techniques de manipulation de l'opinion est, comme l'ont remarqu tous les spcialistes de ces questions', qu'elles limitent la libert de l'auditoire. Elles sont conues l'inverse des techniques afin de priver cet auditoire du choix d'argumentation, d'adhrer ou non ce qu'on lui propose. Nous sommes donc dans un cas de figure trs particulier, o, une intense libert d'expression, correspond une trs faible libert de rception . Lorsqu'elle n'obit que trs peu
des normes, la libert d'expression se rduit tre un instrument de pouvoir au servicedes puissants, de ceux, en tout cas, qui ont les moyens institutionnels ou financiers d'influencer sans limite l'opinion. Les spcialistes de ces techniques ne sont pas les derniers, on s'en doute, faire l'apologie d'une libert d'expression sans retenue, la plus totale possible. On soutiendra que, dans un certain nombre de cas, les publics tant adultes, les tentatives de manipulation n'aboutissent pas. Elles seraient sans consquence. A cela on peut rpondre deux niveaux. D'abord, on comprendrait mal que, mme si l'on ne sait pas avec exactitude comment cela marche, tant d'investissements soient faits sans espoir de retour la publicit, la communication politique obtiennent des rsultats non ngligeables. Ensuite, n'est-il pas inquitant de constater que, effectivement, une partie de l'opinion se protge et se dtache de toutes les entreprises de conviction qui s'adressent elle dans l'espace public? N'y a-t-il pas l les germes d'un repli sur soi particulirement nocif au lien social, qui aurait pour origine l'absence croissante de recours des normes qui garantiraient non seulement la libert d'expression, mais aussi la libert de rception? La fragilit des normes de la parole
Aprs avoir constat la prsence, dans l'espace public, de normes soit juridiques, soit tacites (normes sociales) qui rgulent la libert de parole, nous avons soulign l'importance, malgr l'existence de ces normes, du recours aux techniques de manipulation de la parole. Le paradoxe est ici que l'excroissancede la libert d'expression sans contrepartie que constituerait la garantie d'une vritable libert de rception vient limiter gravement la libert de parole. Cette notion est ainsi conue comme une valeur plus vaste et plus essentielle, qui inclut l'ensemble des partenaires dans un schma de communication o chacun est appel jouer un rle actif et responsable; il faut y ajouter ici, bien que cela n'ait pas encore t mentionn, la question de la libert de mdiation, qui ne se confond pas avec la libert d'expression, tout en pouvant contribuer la garantir. 799
D'o vient que les normes de la parole dans l'espace public soient finalement si fragiles et ne constituent pas, en tout cas, un rempart suffisant face aux tentations et aux On trouvera sans doute des pratiques de la manipulation? lments de rponse dans l'exaltation contemporaine d'une valeur devenue de plus en plus centrale tout au long du xx' sicle, l'efficacit et son corollaire, le pragmatisme. Transpos dans le domaine de la parole pour convaincre, le souci d'efficacit fait prfrer le recours des techniques de raccourci, d'vitement du dtour argumentatif, de la mobilisation de tout ce qui permet d'obtenir un rsultat immdiat, sans le risque que l'auditoire puisse tre tent par un choix alternatif. Il est souvent plus efficace, au moins court terme (mais ne sommes-nous pas dans une civilisation de la vitesse et du court terme?), de manipuler que d'argumenter. Une autre cause de cette fragilit des normes est l'intense division du travail qui caractrise le domaine du convaincre (avec, notamment, l'mergence de multiples professions dans la communication), qui a pour effet de dresponsabiliser les diffrents intervenants d'une chaine de plus en plus longue celui qui rdige le message n'est que rarement celui qui devra l'assumer, encore moins celui qui sera charg de le transmettre. La ncessit d'une nouvelle
rhtorique
des normes de la parole nous renvoie, peut-tre plus fondamentalement, l'absence dans notre culture d'une discipline qui articulerait entre eux le niveau des techniques de la parole et de la communication et le niveau thique des conditions de leur emploi. Il nous faut renoncer, en effet, l'ide d'un monde menteur et intentionnellement qui serait globalement manipulateur. Constater la prsence de nombreuses techdans l'espace public renvoie le niques de manipulation plus souvent une incomptence et une mconnaissance, plutt qu' une volont dlibre (qui existe pourtant, dans un certain nombre de cas). La faiblesse des normes tient plutt, dans ce domaine, au manque vident d'articulation entre technique et thique. Il suffit, pour s'en convaincre, d'observer le com-
portement des nombreux jeunes, frachement sortis d'coles de commerce ou de communication, mettre en oeuvre parfois sans limite une culture du convaincre fortement teinte de pratiques manipulatoires, qu'ils n'ont, le plus souvent, pas mme conscience d'utiliser. On n'insistera pas assez, dans cette perspective, sur les dgts majeurs commis dans notre culture et nos pratiques du dbat public, qui sont associs la disparition de la rhtorique de nos programmes d'enseignement et, d'une faon plus gnrale, de notre horizon intellectuel. Bien sr, la rhtorique classique, celle qui a disparu du lyce et de l'universit en 1902, s'tait largement dgrade. Elle n'tait plus, pour l'essentiel, qu'un art oratoire vain, articul sur des figures de style plutt que sur l'apprentissage de raisonnements pour convaincre. La leon aristotlicienne avait t en partie oublie. Mais la rhtorique n'en constituait pas moins le cadre idal de son propre renouvellement, qu'appelait le dveloppement tous azimuts, des pratiques du convaincre au xx*sicle. La rhtorique constituait surtout le cadre unique o peuvent s'articuler, comme Aristote et les grands professeurs de rhtorique de l'Antiquit l'avaient fait, une thique et une pratique de la parole. Sans cette articulation, le rgne de la sophistique est sans limite, ce que, hlas, nous constatons aujourd'hui. Tout appelle donc l'mergence d'une nouvelle rhtorique, dont certains auteurs ont dj jet les bases 6, seul creuset possible pour refondre les normes de la parole dans l'espace public, de telle faon que la libert de chacun puisse tre garantie. PHtUPPE RETON* B
6. Voir, par exemple, Ch. Perelman, L. Olbrechtsiyteca,~ttedfi'~Mla nouvelle mentation, r~tcnquc.Ed.det'Universit de Bruxelles, 1970.
Chercheur au CNRS; auteur, notamment, de L'-Ar~umcn~tttondans communtcatton. La Dcouverte, t996, et L~ Parole manipule, La Dcouverte, 1997.
RELIGIONS
ET SPtRtTUAUTS
MARCUERfTE
LENA
.LjDrm STEtNa t une me de silence. Elle n'aimait pas parler d'elle-mme et savait fort bien faire la diffrence entre ce qui relve de l'ordre du discours et ce que doit proqui tger le silence. A son amie Iledwige Conrad-Martiu's Mein Geheimnis sur sa conversion, elle rpondit l'interrogeait gehort mir, mon secret est moi . Pudeur? Pas seulement, si l'on en croit les dveloppements ultrieurs qu'elle fait, dans La Science de la Croix, sur le sanctuaire ferm de l'me, qui est en mme temps le lieu de sa libert et auquel nul ne saurait avoir accs par voie de connaissance thorique. Car en ce for intime Dieu lui-mme a lu domicile et nous devons admettre que les anges gardent avec un saint respect le sanctuaire ferm . De quel droit, ds lors, l'ouvrir? Or, ce qu'Edith Stein crit ainsi de l'intriorit spirituelle o se joue l'histoire en secret de chaque homme, o s'est joue la
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sienne lorsque, aprs une longue et douloureuse maturation intrieure, elle se tourna vers le Christ, vaut galement de l'histoire universelle. Elle aussi a un point aveugle, rebelle aux investigations positives comme aux systmatisations spculatives, o se dcide le destin collectif de nos liberts. C'est mme peut-tre un des traits saillants de notre sicle que d'avoir, face ce point aveugle, rduit au silence les philosophies triomphales de l'Histoire. Peut-on dire, pour autant, qu'en cet abme creus par la libert des hommes dans la trame sense de l'histoire, Dieu luimme a lu domicile ? Peut-on soutenir le poids de cette affirmation lorsque l'abme s'appelle Auschwitz? A ce silence d'Auschwitz, la mort d'Edith Stein fut livre. Le 9 aot 1942, elle y disparaissait, une parmi un million six-cent mille victimes, de la mort absurde, industrielle et anonyme de tout un peuple. De l'vnement ultime de sa mort, pas plus que de celui de sa conversion, nous ne saurons rien. Une trace abolie sur le sable de l'Histoire. Ce silence pose d'emble un interdit sur toute tentative de ou de rejet de la figure d'Edith Stein, en de rcupration du lieu o elle se tient et o elle nous entrane. Sa canonisation, annonce pour juin dernier, fut diffre par respect pour la conscience juive, qui risque de percevoir cette reconnaissance solennelle de l'Eglise, et le titre officiel de martyre confr Edith Stein, comme une mise part arbitraire de cette femme par rapport aux millions de victimes anonymes, et qui redoute juste titre les abus d'une thologie de l'expiation ou de la substitution. Cette canonisation a t finalement dcide pour octobre 1998. Rjouissons-nous en, mais ne nous htons pas de poser sur Edith Stein une tiquette, ft-elle en forme d'aurole. Laissons-nous mener en ce lieu de la Croix, gond et pierre d'achoppement de l'histoire universelle comme de nos histoires singulires. C'est le lieu du scandale, de l'homme dfigur, du Verbe fait cri et silence, de la division et de la dispersion. Mais quiconque est men l'ombre de la croix, comme il en fut pour Edith Stein, et laisse symboliser toutes ces choses en son coeur, comme le fit Marie, voit se lever, sur les deux peuples convoqus l, une unique et indivisible lumire; Le traducteur est comme une vitre qui laisse passer toute la lumire, mais qu'on ne voit pas elle-mme , crivait Edith Stein encore adolescente. Sa vie et sa mort, si directement et douloureusement affrontes au texte le plus obscur de notre sicle, ont peut-tre reu mission de le traduire, non en mots mais en lumire.
LE TRAVAIL LAVRITETLASCIENCEDE LACROIX DE Peut-on encore penser aprs Auschwitz? Mais comment ne pas penser aprs Auschwitz, comment ne pas penser Auschwitz sans donner raison ceux qui, l-bas, ont voulu rduire l'homme, teindre l'esprit? Pour clbre et autorise qu'elle soit, la question d'Adorno n'est donc peut-tre pas la plus pertinente. J'y prfre l'avertissement modeste d'Emmanuel Levinas la tche et la responsabilit les plus hautes de la pense consistent prvenir l'instant de l'inhumanit . De cette vigilance, l'intelligence cultive de l'Europe des annes trente n'a pas t capable, sauf admirables exceptions. Aussi ne faudrait-il pas que la mort d'Edith Stein vienne occulter son itinraire proprement philosophique. Nous perdrions ainsi la cohrence intime de sa propre histoire sans ce travail de la pense qui la prcde, sa mort ellemme est mutile d'une part essentielle de son sens. Mais, surtout, nous nous priverions d'un de ces rares tmoins qui ont su, au foyer mme de leur pense, avec une pntration rare, prvenir l'instant de l'inhumanit . Evoquons donc quelques moments de son itinraire intellectuel, dans le seul souci d'y reprer les indices qui permettent de configurer sa mort selon la cohrence de sa propre pense, et qui appellent, aujourd'hui encore, la rflexion. Aimer la vrit On l'a souvent soulign une constante de la vie intellectuelle d'Edith Stein fut son amour de la vrit. Depuis la brillante lycenne de Breslau jusqu' la jeune infirmire volontaire qui part au front, en 1914, avec en poche les Ideen de Husserl et L'Odysse d'Homre, depuis le professeur du lyce dominicain de Spire jusqu' la carmlite consacrant les dernires heures avant son arrestation rdiger La Sciencede la Croix, il y a l une trame unique, le travail d'un unique dsir. Ma qute de la vrit tait mon unique prire , crit-elle de ses annes d'adolescente, alors qu'elle avait cess toute pratique religieuse juive. Voil la vrit , s'exclame-t-elle en refermant, au terme d'une nuit de lecture ardente, la Vie par elle-mme de Thrse d'Avila. Et Hussserl, son vieux matre, apprenant sans vraiment la comprendre son entre au Carmel, en 1933, dira simplement En elle, tout est absolument vrai . C'est donc cette notion la fois si simple et surdtermine de vrit qu'il faut d'abord recourir pour penser l'itinraire intellectuel d'Edith Stein et en situer la force prophtique. Car un rgime totalitaire est toujours et avant tout une vio-
lence et une offense faites la vrit une erreur et un mensonge. Dans l'Allemagne humilie des annes 20, mme dans le cercle brillant des jeunes philosophes runis autour de Husserl, mme dans les Eglises, le discernement politique exigeait sans doute, avant toute chose, cet humble et tenace amour de la vrit qui tait en Edith une disposition native de l'me, avant de devenir le lieu d'un intense travail intrieur.
La dmarche
phnomnologique
Travail men au coeur de l'exprience intellectuelle de la modernit. Car Edith Stein appartient, par sa formation, au mme horizon philosophique que Heidegger ou Sartre, Merleau-Ponty ou Levinas. La dcouverte de la phnomnologie, vingt-et-un ans, fut sa premire rencontre dcisive avec l'exprience de la vrit et le terreau de tous ses travaux ultrieurs, commencer par sa thse (1916), jusqu' ceux qu'elle consacra Denys l'Aropagite, Saint Thomas et Saint Jean de la Croix. Elle exprimente alors la double libration que Husserl apportait l'Universit allemande, parallle celle que, peu de temps auparavant, Bergson avait apporte l'Universit franaise libration par rapport l'interdit kantien barrant l'accs aux choses mmes ; libration par rapport au positivisme rduisant le vcu intentionnel de la conscience un donn factuel justiciable du mme type d'enqute que les phnomnes externes. Au contact de Husserl, Edith dcouvre la philosophie comme science rigoureuse , en un sens totalement renouvel du mot science , qui fait droit l'exigence de fondation dont les sciences positives lui paraissaient dpourvues. Elle dveloppe et aiguise en elle les exigences de la raison, antidote prcieux du culte de l'obscur et des drives motionnelles entretenus par le nazisme. Mais cette ratio phnomnologique, et cette fois contre le positivisme, est polyphonique, et ne saurait s'puiser dans la seule constitution du savoir scientifique, ni oublier le sujet dans l'objet. Raison rebelle toute rduction instrumentale, dresse comme une sorte de veto anticip l'gard de toute soumission aux fins de la puissance, toute totalisation systmatique comme toute rification du sujet. Significativement, lorsque, en 1935, Husserl, interdit de parole en Allemagne, fait Vienne une confrence sur La crise de l'humanit europenne et la phnomnologie , sobre manifeste de la rsistance spirituelle au nazisme, ce sont prcisment ces thmes qu'il dveloppe. D'autre part, Edith Stein exprimente, dans la navet seconde de la dmarche phnomnologique, cette chastet des
choses qui libre le regard pour un accueil sans prjug de l'tre donn. A l'cole de Max Scheler, elle dcouvre les modalits multiformes de ce don, le jeu pluriel des vises et des horizons de la ici encore comme une sorte de dfi anticip conscience, l' homme unidimensionnel dont Auschwitz sera la traduction barbare. Ds lors, la pense peut s'avancer, sans renoncer son exigence de fondation radicale, mais au nom mme de cette exigence, dans des champs inexplors, comme ceux de la philosophie de la religion et de la mystique. Ce fut, crit-elle, mon premier contact avec un monde qui jusque-l m'tait profondment inconnu. Il ne me conduisit pas encore la foi. Mais il m'ouvrit un domaine de "phnomnes" prs duquel je ne pouvais plus maintenant passer en aveugle. Le phnomne de l'exprience
mystique
Pendant l't 1921, Edith lit chez son amie Hedwige Conrad Martius l'autobiographie de Thrse d'Avila. Depuis longtemps, sa recherche spirituelle portait sur la foi chrtienne, mais il faut respecter le caractre d'irruption soudaine et de mutation radicale de l'vnement qu'elle relate Je pris un livre au hasard dans la bibliothque; il portait ce titre Vie de Sainte Thrse par elle-mme. Je commenai le lire, aussitt je fus captive et ne pus m'arrter avant de l'avoir achev. Quand je fermai le livre, je me dis C'est la vrit. En Thrse d'Avila, Edith Stein a rencontr un phnomne x irrductible, celui de l'exprience mystique singulire d'une me, et elle en dgage, en bonne phnomnologue, le sens c'est la vrit . Le jour mme, elle achte, de manire significative, un catchisme et un missel vrit thorique et vrit pratique, ou encore vrit connue et vrit prie, seront dsormais pour elle indissociables. Mais cet accomplissement est aussi un bouleversement de fond en comble de son univers intellectuel, qu'elle thmatisera la beaucoup plus tard, de manire indirecte, en comparant dmarche thomiste et celle de la phnomnologie. Il ne s'agit de rien moins que d'un changement radical de point d'appui Le point de dpart absolu, Husserl le cherche dans l'immanence de la conscience.Pour Saint Thomas, c'est la foi. Le point de vue unifiant partir duquel se dploie toute la problmatiquephilosophiqueet laquelle elle renvoie toujoursest pour Husserlla consciencetranscendantale et pour ThomasDieu et sa relation aux cratures.
Nous touchons ici le noyau irrductible de la conversion d'Edith Stein, qui ne fut pas, comme on le dit parfois trop vite, une conversion du judasme qu'elle avait alors abandonn au christianisme, mais bien une conversion des horizons intellectuels de la modernit, anthropocentrs, au mystre thocentrique de la personne, tel que la rvlation biblique, juive et chrtienne, l'atteste. Le systme de l'homme radicalement seul, sous l'horizon de la Geworfenheit, tout comme la prtention de la conscience constituer souverainement le sens, sont mis en cause par l'exprience, vcue comme phnomnologiquement irrductible, d'une intriorit visite par le Dieu vivant et appele devenir sa demeure. Comme l'a bien vu Etty Hillesum, une juive qui ne devint pas chrtienne, cette demeure prserve de Dieu jusque dans l'horreur des camps est le dmenti le plus vigoureux apport leur entreprise. Car ce qui crut triompher Auschwitz, ce fut le systme de la finitude, de l'homme rduit son tre-l naturel, d'o l'absolue ngation de l'identit juive, surnaturelle dans sa naturalit mme. Et ce qui peut triompher d'Auschwitz, c'est seulement une pense de l'homme plus grand que l'homme, de la personne singulire non totalisable, non dterminable, nomme par Dieu. Traductions Ds lors, tout le travail philosophique d'Edith Stein, poursuivi jusqu' l'intrieur du Carmel, va consister en une tche de traduction, dans laquelle elle met en uvre l'intuition de ses annes d'adolescence quant la prcision, la transparence et l'oubli de soi qu'exige pareille tche.Traduction au sens littral du terme, de textes de Saint Thomas et de Newman; mais traduction en un sens plus large et plus dcisif, lorsqu'il s'agit de faire communiquer des univers intellectuels procdant de points de dpart diffrents et mettant en oeuvre des outillages conceptuels htrognes. Edith Stein a cru la capacit de la pense chrtienne la plus traditionnelle de se laisser affecter par la modernit philosophique et de l'affecter en retour. Elle a entrepris ce dialogue partir de la formation qui tait la sienne et de la forme de tradition philosophique catholique qui lui tait propose, un moment o l'Allemagne connaissait un brillant renouveau des tudes thomistes. Elle a compris d'emble que le drame de la pense europenne rsidait dans la scission entre une foi chrtienne souvent reste en marge des dfis et des acquis de la pense contemporaine, et une pense sculire prive de l'instance critique que reprsente cette foi.
Il fallait donc traduire nouveaux frais l'homme dans la langue de la foi et traduire le don de Dieu dans la langue de en se donnant rsolument et humblement cette l'homme; double tche et en centrant toute sa pense philosophique sur la catgorie de la personne, Edith Stein allait au coeur du dfi. Car Auschwitz fut le monstrueux produit de dcomposition d'une rationalit mutile et aveugle mutile de sa longue mmoire d'alliance avec la foi chrtienne et devenue insensible l'altrit d'autrui comme celle du Tout Autre; aveugle ses propres fins dans l'ivresse de la matrise technique des moyens. Aux heures graves du nazisme, prvenir l'instant de l'inhumanit , c'tait refuser la dmission de la raison autant que son dni passionnel. C'tait, en rigueur de termes, raison garder. Mais il vient toujours une heure o la connaissance d'entendement et o la raison elle-mme, fussent-elles travailles du dedans par la foi, dfaillent. Aucune synthse thologique n'est capable, pas plus qu'une synthse philosophique, d'englober Auschwitz sous ses concepts. Ici cesse le chemin. Bien avant d'en mourir, Edith Stein a su ces choses et en a vcu. Dans l'introduction de son livre, La Science de la Croix, elle s'explique sur le sens qu'elle confre ici au terme de science On ne parle pas ici de science au sens courant, on ne pense pas une pure thorie [.] On pense certes une vrit connue, mais cette vrit est vivante, existentielle,fconde elle ressemble une semencejete dans l'me. Elle y prend racine, y crot, y met son empreinte, en imprgnel'agir et le faire, tel point qu'elle rayonne traverstout et se fait reconnatre. Le logos de la Croix
N'oublions pas que la science ici dcrite a pour objet la Croix; il faut donc en reprendre tous les termes en les appliquant cet objet la Croix a t, dans la pense et dans la vie d'Edith Stein, cette semence jete dans l'me qui a peu peu tout envahi. Semence jete alors qu'Edith, encore tudiante, s'tonne de la srnit surnaturelle avec laquelle son amie Anna Reinach accueille la mort de son mari, tu au front Ce fut, crit-elle, ma premire rencontre avec la Croix, avec la force divine qu'elle confre ceux qui la portent. Pour la premire fois, l'Eglise, ne de la Passion du Christ et victorieuse de la mort, m'apparut visiblement. Semence qui met si bien son empreinte sur l'me que, lorsqu'Edith entre au Carmel, elle choisit le nom de Teresa Benedicta a Cruce bnie par la Croix. Elle sait depuis longtemps que l'effort
au service de la vrit, si ncessaire soit-il, ne d'argumentation la peut lui seul emporter la conviction et produire la lumire participation existentielle au mystre de la Croix est un moment oblig du travail de la vrit, en soi-mme et dans l'interlocuteur. C'est ce dont tmoigne La Science de la Croix. Ces pages techniques semblent bien loignes du drame qui, au mme moment, dferle sur l'Europe et pntre l'intrieur mme du Carmel. Pourtant, elles le touchent au cur. Car Auschwitz fut un affleurement du mal radical, qui droute la fois nos catgories politiques, juridiques, thiques, et exige en quelque sorte que la pense s'aventure jusqu'au lieu, frquent par les seuls mystiques, o se joue le radicalisme du combat spirituel dans l'histoire humaine. Face ce radicalisme, il faut mettre en oeuvre toutes les ressources de la rflexion la pense nietzschenne du dernier homme et du nihilisme, l'analyse que fit Hannah Arendt de la banalit du mal et du systme totalitaire, l'laboration, dans le cadre des procs de Nremberg, du concept indit de crime contre l'humanit , autant de tentatives ncessaires et fcondes pour approcher par la pense ce qui demeure un impensable. Edith Stein ne nous dispense pas de ce travail de la pense, mais elle s'est avance, intelligence nue, jusqu' ce lieu mystique o se dploie le logos de la Croix . De la Croix de son peuple, comme de celle du Christ, elle sait bien qu'il n'est de science que vcue, car on touche le double abme d'une souffrance qui ne supporte aucune explication, ne se prte aucune sublimation, et d'une violence qu'aucune lgitimation historique ne peut relativiser. Au camp de Westerbrok, un tmoin a qualifi l'attitude d'Edith Stein de Pieta sans Christ . C'est que le logos de la Croix ne se comprend ni ne se contemple du dehors. Il n'est pas une rponse extrieure Auschwitz, extrieure au peuple victime d'Auschwitz. Il est une knose de Dieu en Auschwitz, au milieu de son peuple. Seule une raison mystique, c'est--dire exprimentalement configure cette knose, peut pntrer en ce lieu.
LE TRAVAILDE L'AMOUR ET LE SCEAU DE LA CROIX Mais il faut y pntrer genoux. Et nous question encore plus redoutable que la question ment prier Auschwitz? Comment s'adresser louange et l'intercession, partir d'Auschwitz? touchons ici une d'Adorno. Com Dieu, dans la Il ne s'agit peut-
tre pas tant ici du redoublement de la question classique des thodices en face du mystre du mal, que du dmenti historique brlant apport l'incorporation de la rvlation judochrtienne dans la conscience europenne. Comment, en effet, nous rapporter en vrit Dieu partir de ce mal radical, notre mal? Comment notre prire peut-elle tre authentique, tant que nous ne sommes pas rconcilis avec ce frre, victime de notre histoire? Comment porter en vrit notre offrande l'autel, tant que notre frre a Auschwitz contre nous ? L'itinraire spirituel d'Edith Stein, s'avanant foi nue vers ce mystre d'iniquit, peut ici encore nous aider. Car il a t pri Auschwitz; et comment ne pas prier aprs Auschwitz sans manquer la mmoire et la foi de ceux qui ont pri l-bas, sans donner encore une fois raison ceux qui ont voulu y supprimer le Nom de Dieu et le peuple qui en gardait le Nom? Il faut d'abord noter, comme une donne peut-tre trop rarement releve, que c'est du milieu de sa prire qu'Edith Stein a peru, avec une acuit brlante, ce que prparait en Allemagne la monte du nazisme. Walter Benjamin parle des avertisseurs d'incendie propos des quelques rares intellectuels, pour la plupart juifs allemands exils aux Etats-Unis, qui furent tt conscients du drame. Edith Stein peut tre compte parmi eux. Professeur Spire de 1922 1931, elle s'efforce dj de rendre ses lves conscientes des dangers qui montent; confrencire dans les milieux fminins de l'enseignement, elle souligne la responsabilit des femmes dans la prvention et la dnonciation de ces dangers. Mais cette lucidit politique prend trs tt la forme d'une intuition intrieure du destin qui attend le peuple juif. Pendant le Carme 1933, quelques journaux amricains font mention des premires mesures contre lui Il m'apparut soudain clairement que la main du Seigneur s'abattait sur mon peuple et que la destine de ce peuple devenait mon partage. Nous ne sommes pas l en face d'une explication thologique de la Shoa, entreprise insupportable, mais en face d'un constat existentiel quelque chose va se jouer, qui touche directement sa propre vie en mme temps que celle de son peuple, et qui les touche l'une et l'autre en ce point secret o leur identit est rfre Dieu, concerne Dieu. Entrer dans l'incendie Ds lors, elle va tenter de dchiffrer avec sa propre vie cette solidarit prouve dans le pressentiment spirituel de l'horreur. Autour de Pques 1933, elle crit au pape Pie XI pour lui
demander une encyclique contre la perscution hitlrienne. Elle met courageusement en oeuvre sa responsabilit ecclsiale sans et pourtant elle sent que l'essengrand succs visible, d'ailleurs tiel est d'un autre ordre. Elle ne sera pas seulement un avertisseur d'incendie , elle doit entrer elle-mme dans l'incendie. C'est encore en avril 33, au Carmel de Cologne o elle est de passage, qu'elle s'offre consciemment cette incorporation dans le drame de son peuple Je m'adressai intrieurementau Seigneur,lui disant queje savais que c'tait sa Croix lui qui tait impose notre peuple. La plupart des juifs ne reconnat pas le Sauveur, mais n'incombait-il pas ceux qui comprenaient de porter cette Croix? C'estce queje dsiraisfaire [.] Je reus la certitude intime que j'tais exauce.Mais en quoi cela consisteraitde porter cette croix,cela, je ne le sus pas encore. Ici, nouveau, un raccourci saisissant, et premire vue tout aussi problmatique, associe la Shoa et la Croix du Christ. Mais, prcisment, la main du Seigneur de la formule antrieure est devenue la Croix du Seigneur ?; et la conscience La destine de ce peuple aigu d'une implication invitable devenait mon partage se substitue, dans le dialogue intime de la prire, la libre offrande de soi. Vient alors, dans une totale indtermination du quand et du comment, la certitude que cette offrande est reue. Tout se passe comme si, loin de projeter de l'extrieur une thologie plus ou moins indiscrte, et en tout cas seconde, de la Croix sur la Shoa, Edith avait peru dans une mme intuition spirituelle sa propre destine et celle de son peuple l'intrieur de ce mystre. Son appartenance au peuple juif et son offrande personnelle sont l'objet d'une seule et mme prise de conscience, qui s'opre devant, ou plus exactement dans le mystre de la Croix. C'est, paradoxalement, dans la participation existentielle cette Croix qu'Edith va s'exprimenter comme juive; l'inverse, en elle, la Croix du Seigneur est vcue comme la Croix de son peuple. Sa judit de naissance fut retrouve et prouve par elle l'intrieur de son identit chrtienne, comme une proximit accentue avec Jsus de Nazareth Vous ne pouvez savoir, critelle peu de temps avant sa mort, ce que signifie pour moi d'tre une fille du peuple lu et d'appartenir au Christ non seulement spirituellement, mais par le sang qui coule dans mes veines. Et, de fait, les dates dcisives de sa vie sont insparablement en rapport avec le mystre d'Isral et avec le mystre de la Croix elle est
ne le jour de Kippour, et continuait au Carmel clbrer son anniversaire ce jour-l, dans la conscience d'un lien trs fort entre le rituel de l'Expiation et le geste sacerdotal du Christ en sa Passion; elle choisit pour son baptme le jour de la Circoncision; elle reut la confirmation le jour de la Prsentation de Jsus au Temple. Lors de ses visites Breslau, aprs sa conversion, elle accompagne sa mre la synagogue et suit, dans son brviaire latin, les psaumes chants pendant l'office synagogal; il y a l les mmes paroles, comme une parabole de sa voie spirituelle nes de la foi d'Isral, pries avec Isral, reues dans le cur de l'Eglise. Pour notre
peuple
Son entre au Carmel, en octobre 1933, est directement de relie son acte d'offrande, mme si l'appel est contemporain sa conversion. A la religieuse qui l'accueille, elle dctare Ce ne sont pas les achvements humains qui nous viendront en aide, mais la Passion du Christ; mon dsir est d'y prendre part. Elle sait que, loin de la mettre l'abri, le Carmel la configure plus concrtement l'offrande du Christ; en mme temps, elle fait ce qui dpend d'elle et le fera jusqu'au bout, pour ne pas exposer ses soeurs ni s'exposer elle-mme la mort. Mais, ici encore, c'est dans la prire que tout se joue. Le dimanche de la Passion 1939, elle met un mot sa prieure Que votre rfrence veuille bien me permettre de m'offrir au cur de Jsus, en holocauste pour la paix du monde. Que le rgne de l'Antchrist s'effondre, si possiblesans une guerre mondiale, et qu'un ordre nouveau soit tabli. Je voudraism'offrir ce soir encore,car c'est la douzimeheure. Je sais que je ne suis rien, mais Jsus le veut. Nul doute qu'il n'adresse cet appel beaucoup d'autres mes en cesjours.
Ici vient le terme d'holocauste, terme sacrificiel au sens liturgique prcis Edith ne l'emploie pas propos de la passion de son peuple, mais seulement propos de sa propre offrande. Elle ne l'emploie ni pour dsigner l'horreur d'un destin impos, ni pour qualifier une libre initiative personnelle. L'holocauste est un acte de prire, la rponse un appel singulier reu au plus intime de l'tre, mais dont elle pressent que la rsonance est immense il en va du destin spirituel du monde. Nulle thorie ou de traverser donc, nul souci d'interprter spculativement la situation. Quelque chose d'aussi simple, d'aussi hroquement irrsistible qu'une motion de l'me sous faction de l'Esprit Saint.
Et pour en rendre compte, la figure qui s'impose Edith est une haute figure de la tradition juive, celle de la reine Esther, consciente jusqu' l'angoisse de son impuissance, de sa solidarit avec son peuple, et se reposant entirement sur Dieu J'ai confiance [.] que le Seigneur a accept ma vie pour tous. Je dois toujourspenser la reine Esther qui fut prise de son peuple prcismentpour cela. /e suis une pauvre petite Esther impuissante, mais le Roi qui m'a choisie est infinimentgrand et misricordieux. 'est une grande consolation. C C'est la lumire de ce cheminement qu'on peut tenter d'interprter la parole d'Edith sa sur Rosa, lors de leur arrestation au Carmel d'Echt o elles avaient trouv refuge Viens, nous allons pour notre peuple. Dans leur sobrit, ces mots nous livrent une cl. Encore faut-il la bien utiliser. Le pour ne saurait ici avoir un sens de substitution Edith et Rosa vont mourir avec leur peuple, et leur mort ne fait que s'ajouter la liste interminable des victimes, sans que, la manire d'un Maximilien Kolbe, par exemple, elle en pargne d'autres. Le pour n'a pas non plus le sens d'une finalit externe, car Edith et Rosa sont de ce peuple et c'est au nom de cette appartenance qu'elles vont tre excutes. Ce pour appartient la seule logique de l'amour, logique d'identification dans l'altrit maintenue, de diffrenciation dans la communion pleinement ralise. Le double
accomplissement
Il faut rappeler ici qu'Edith et Rosa furent arrtes avec d'autres chrtiens d'origine juive, par mesure de reprsailles des autorits d'occupation la suite du courageux mandement des vques hollandais contre les dportations massives de juifs des Pays-Bas leur mort est insparable d'une initiative de justice et d'amour des Eglises chrtiennes. C'est donc indissociablement comme juives et comme chrtiennes qu'elles vont tre arrtes, et ceci est lourd de sens. Edith voit sa prire d'offrande prendre corps, et ce corps est celui de son peuple. Elle accomplit ainsi pleinement son identit juive, jadis laisse dans l'oubli son appartenance naturelle au peuple de l'alliance est ici totalement assume l'intrieur d'une lection et d'une mission d'ordre surnaturel et de porte universelle. Mais, du mme mouvement, elle accomplit son identit chrtienne, accueillant et reproduisant en sa propre chair le mystre du Christ livr la mort pour nous les hommes et pour notre salut . Ces deux accomplissements sont indissocis c'est comme juif, et en raison de sa prtention mes-
sianique, que Jsus fut livr la Croix, et de son ct ouvert naquit l'Eglise; c'est en celle-ci qu'Edith reut sa propre mission, qu'elle remplit en tant que juive, dans la mort commune des millions de membres de son peuple, mais dans un acte de communion consciente la Passion du Christ. Peut-tre faut-il mme se risquer plus avant. Edith fut arrte en Hollande, par les autorits d'occupation, c'est--dire par son propre peuple, entendu cette fois comme le peuple allemand dont elle s'est toujours sentie, naturellement et spirituellement, partie prenante. Viens, nous allons pour notre peuple ? doit sans doute tre entendu en tenant compte aussi de cette autre solidarit, cette fois avec l'occupant, avec la part d'Allemagne complice ou silencieuse devant le nazisme, et dont elle tait, au mme moment, la victime; la dchirure passait l'intrieur d'elle-mme, juive allemande, et l'offrande de sa vie faisait de cette solidarit avec les bourreaux une source de rdemption. En sa propre chair la violence paenne du nazisme et la souffrance juive taient, l'une et l'autre, exposes la Croix. C'est pourquoi il faut quitter ici les philosophies sculires de l'Histoire, pour revenir aux catgories pauliniennes mises en oeuvre dans l'Eptre aux Romains et reprises par le P. Gaston Fessard, pour clairer les vnements de notre sicle Paen et Juif sont les catgories ultimes de l'histoire humaine, pense thologiquement dans son rapport au Christ. Elles dessinent un espace spirituel dans lequel nos liberts personnelles et collectives ont se situer encore et toujours, parce que c'est le lieu du combat spirituel radical. Edith Stein n'a fait, de ces catgories, aucun usage spculatif. Mais elle a vcu l'affrontement historique dcisif de notre sicle entre le paganisme nazi et la vocation d'Isral l'intrieur du mystre de la Croix du Christ, c'est--dire au point o il est tout la fois dramatis l'extrme et dpass Car c'est Lui qui est notre paix, lui qui des deux n'a fait qu'un peuple, dtruisant la barrire qui les sparait, supprimant en sa chair la haine [.) pour les rconcilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps (Ep2, 14-16). Qu'il y ait l, pour la conscience juive comme pour la conscience chrtienne si elle n'est pas distraite, une pierre d'achoppement et mme de scandale, c'est vident nous n'avons pas d'accs empirique ce dpassement, et c'est seulement dans une perspective eschatologique, dans la lumire pascale, que la formule paulinienne prend sens et que la pierre d'achoppement peut devenir la pierre d'angle. Simplement, la vie et la mort
d'Edith Stein nous indiquent, en nigme et comme travers un miroir, que cette unit travaille notre histoire, en forme la trame la la seule qui demeure quand tout le reste plus indchirable, s'croule dans le non-sens.
On peut penser que les carmlites polonaises qui ont souhait s'tablir sur le site d'Auschwitz taient animes par le mme de l'accomplissement pressentiment pascal de l'Histoire. Mais elles faisaient une double erreur d'abord, elles venaient d'ellesmmes en ce lieu, qui ne nous appartient pas; et Edith Stein nous rappelle, aprs l'Evangile, que nul ne peut, ni ne doit, boire de son propre chef cette coupe. Puis elles venaient trop tard. Elles voulaient emplir Auschwitz de la prire du Carmel, alors que cela tait dj fait, par Dieu lui-mme, du sein de son propre peuple, dans l'offrande jusqu' l'extrme d'Edith Stein. H faut laisser sans discours et sans conduites de substitution le silence que fait sa mort. Peut-tre ce silence est-il une anticipation, dans le bruit de ce temps, du grand silence qui prcde, dans l'Apocalypse de Jean, le descellement ultime de l'Histoire. Seul l'Agneau immol ouvrira le Livre de Vie.
Europe 1
le rle de l'Eglise*
PETER
HANS
KOLVENBACH
L'EUROPE voque bien des problmes. Certains sont primordiaux. S'agit-il de redcouvrir l'unit de ce continent ou de la crer de toutes pices? Dans la seconde hypothse, l'Europe n'aurait jamais exist; dans la premire, il s'agit de dcouvrir ce que nous avons toujours t des Europens. L'idal europen se prsente tout autrement si nous pouvons nous inspirer d'une histoire et d'une culture communes. Sinon, nous prenons comme point de dpart la conviction qu'une Europe unifie contre-gr est capable de se dfendre contre les puissances conomiques qui partout dans le monde se liguent contre elle. De fait, chacun de nous a appris l'histoire de nos contres comme un enchanement ininterrompu de guerres et de conflits, d'invasions et d'occupations. La crise des Balkans n'est pas termine. L'Europe en tant que telle n'a pas pu y jouer un rle. La solution provisoire a t impose par les Etats-Unis. Malgr la pacification, l'Europe rencontre nombre de foyers de discorde le Kosovo, les minorits hongroises, la Moldavie, la Bessarabie et la moiti turque de Chypre. La confdration des Etats russes Confrence donne uxPays-Bas 1997;raduite u nerlandais lessoinsdu a en t d par P.R. ostie H s.j.
Etudes
M. rue d'Assas
75006
Paris
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(l'Armnie et la Bessarabie) est menace. Le Pays basque espagnol a affaire avec le terrorisme. Des minorits refusent de faire partie la Catalogne en Espagne, la Corse en d'un ensemble national France, la Padanie lombarde en Italie. Et ce ne sont que quelques exemples. Il y a plus. En lisant les journaux ou en regardant la tlvision, on constate que chaque pas vers un renforcement de l'Europe se heurte des contre-courants. Par del les divisions
La non-unit de l'Europe se reflte dans les rapports entre les Eglises. Bien sr, les responsables religieux se rencontrent dans de nombreuses organisations ecclsiales europennes. Les autorits politiques font de mme. Mais dans la ralit quotidienne, un nouveau Yalta n'est aucunement exclu. Le rideau de fer idologique entre l'Ouest et l'Est risque d'tre remplac par une frontire religieuse. Elle spare l'Orthodoxie, qui considre l'Europe de l'Est comme son territoire inalinable, de la chrtient, plus ou moins brche, enracine l'Ouest. Le dialogue entre les Eglises de la Rforme s'oriente vers une reconnaissance mutuelle de la diversit dans la foi plus que vers une unit dans le Christ. Le concile Vatican II a dcouvert l'oecumnisme comme un vu du Christ; aussi des rapprochements se sont-ils oprs. Pouvons-nous dire, pour autant, que, aprs mille ans de sparation et de mfiance, nous abordons l'an 2000 avec plus d'unit, au sens fort du terme? Les dsunions qui se manifestent l'intrieur des Eglises semblent l'emporter. De plus, en Europe, les chrtiens ne sont plus seuls. Dans de nombreux pays, l'islam est devenu la seconde religion il y compte des millions de sujets. Ce que l'Europe a tolr et organis Auschwitz reste une plaie douloureuse pour la Synagogue, aux effectifs rduits. Chaque dcision de l'Europe concernant le Proche-Orient la ravive. L'islam de l'Afrique du Nord et des pays du Levant ne fait pas partie de l'Europe. Mais ce qui se passe Jrusalem ou en Algrie affecte invitablement l'Europe. Les religions peuvent tre perues comme fautrices de troubles et de guerres, comme en tmoignent les Balkans. La politique, pas plus que la religion, n'est un appui automatique pour l'unit de l'Europe. Cette esquisse ngative et sombre dmontre que l'unit de l'Europe ne peut se construire sur la base d'une communaut naturelle. Le chemin vers l'unit et vers la runification exige la rconciliation et la collaboration dlibre. Sinon, l'Europe se ruinera dans ses contradictions internes.
Nous ne nions pas ces lments de fait ils sont ngatifs. Mais l'image retrace jusqu'ici resterait partiale si nous omettions ce qui unifie indiscutablement l'Europe. Appendice relativement restreint du continent asiatique, elle est nettement dlimite par trois plans d'eau et par l'Oural. La plupart des langues appartiennent aux groupes indo-europens. Les spcialistes sont mme d'y dcouvrir les paroles et les penses des habitants de l'Europe. Le tout est devenu une communaut culturelle elle est marque par le droit romain et par la pense grecque; elle a t baptise avec l'annonce de l'Evangile; elle a t porte vers toutes les parties du monde grce l'aventure dans le Nouveau Monde. A quoi il convient d'ajouter les idaux de la Rvolution franaise, la Dclaration des droits de l'Homme, et mme les deux guerres mondiales, dclenches en Europe et pour elle Le mur de Berlin a fait prendre conscience qu'une Europe divise est contre nature. Sans une conomie de march tablie d'un commun accord, l'Europe est dans l'impossibilit de se maintenir face aux pressions conomiques qui se dveloppent dans le monde entier. Le rsum succinct d'une histoire millnaire met en vidence le ct positif les Europens ont plus en commun que ce qu'ils veulent bien croire. Quoi qu'il en soit, ils sont acculs la collaboration, en ces temps o tous les pays et tous les peuples sont interdpendants. Le rle historique des Eglises
Le rle des Eglisesdans cette volution est indniable. C'est l'Eglise catholique qui a enseign aux peuples d'Europe ce que l'homme et l'humanit peuvent et doivent tre dans les perspectives rvles par le Crateur et le Sauveur. Peu peu, l'Europe a pris conscience des valeurs qui s'articulent la justice et la paix, la libert et la charit. L'homme europen se tient distance d'une Eglise qui se veut Mater et Magistra, pour reprendre ces valeurs son propre compte. Mais il se laisse encore duquer et inspirer par l'Evangile. Il vit la libert, l'galit et la fraternit comme des acquisitions personnelles. L'empire romain, inform par l'Eglise catholique, devient culture chrtienne. Actuellement, l'Europe est tente de cultiver les valeurs humaines indpendamment de l'Evangile et hors des Eglises, en ne s'appuyant que sur ses propres forces. Ce processus est dsign par le terme scularisation . Aprs l'effondrement du nazisme et du matrialisme historique, deux systmes totalitaires et athes, l'Europe se reconnat comme un seul ensemble. Pour le dire en termes bibliques est-il possible de btir la cit de l'Europe sans
faire appel Dieu? Ne risquons-nous pas de construire en vain, si nous refusons de prendre appui sur l'inspiration vanglique pour ressourcer nos forces? La question s'impose la gestation de l'Europe n'est-elle pas la consquence de l'affaiblissement de la chrtient europenne? Quoi qu'il en soit des aspects ngatifs et positifs de l'Europe, il est vident que son avenir dpend de la volont dlibre des Europens. Personne ne peut contraindre l'Europe s'unifier, mme si l'chec signifie sa perte. Le rle des Eglises n'est pas de dfinir les formes politiques de l'Europe de demain. Mais les Eglises sont conscientes que la dtermination vivre en Europe d'une faon europenne fait partie de leur responsabilit, au nom de l'Evangile. Agap
Une premire contribution la recherche de la motivation est t'agap. Cet apport, radicalement nouveau, situe l'amour du prochain un niveau tel, que seul un mot nouveau parvenait le circonscrire. Au Proche-Orient, les trois religions qui appartiennent la famille du Livre essaient de vivre ensemble. Aujourd'hui encore, le judasme est admir pour la patience et l'esprance de l'attente du Messie. L'islam y est respect pour le caractre radical de sa foi, quotidiennement vcue en public. Les chrtiens y sont l'honneur cause de leur pratique de la chant. Leurs initiatives sociales et leurs uvres de charit n'ont de sens que portes par une propension au pardon, une recherche faire le premier pas vers la rconciliation, jusqu' l'offrande personnelle de sa vie pour que le prochain en dtresse puisse vivre. Cette agap, typiquement chrtienne, comporte une responsabilit qui dpasse les considrations familiales et affairistes, de mme que les prjugs nationaux et sociaux. Elle considre l'homme et la communaut humaine travers les yeux du Christ. Le Samaritain de l'Evangile nous est bien connu. L'homme qui se meurt au bord de la route est avant tout un homme qui a besoin de l'aide d'un autre c'est ainsi qu'il devient son prochain. Qu'il soit juif ou romain, palestinien nanti ou tranger dmuni, malfaiteur ou juste, est secondaire. Toute douleur humaine invite l'agap dans la personne du Christ. Car c'est Lui qui est servi quand le prisonnier, le malade ou l'immigr sont accueillis. L'histoire de l'humanit a toujours t marque par le dsir d'accomplir la charit. La stle d'Hammourabi (1750 ans avant notre re) en tmoigne. Le Christ fait de la charit un prcepte nouveau donnez votre vie sans discrimination, sans contrepartie, sans attendre l'initiative de l'autre. Dans le continent europen,
les occasions de pardon et de rconciliation abondent, de mme que les raisons pour remdier aux besoins proprement nationaux. Cependant, tant d'lments trangers demandent tre intgrs Humainement parlant, l'unification ne pourra se faire qu' partir d'une adhsion ferme l'agap du Christ. Ce n'est pas un hasard si des chrtiens convaincus, comme De Gasperi et Schuman, Adenauer et de Gaulle, ont t aux origines de l'Union europenne. Un problme
spirituel
Une seconde conviction, inhrente la foi, peut promouvoir l'unit europenne. Elle est encore plus difficile accepter, car elle comporte un regard critique sur les progrs techniques et dont notre monde moderne s'enorgueillit. Nous scientifiques vivons une priode de macro- et micro-dcouvertes sensationnelles. Celles-ci se refltent dans la vie quotidienne. Elles ont transform les soins de sant, la rpartition du bien-tre et les Ce progrs n'a pas atteint son point moyens de communication. culminant. D'autre part, la technique en tant que telle appelle un contrle. L'volution technologique risque d'aliner l'homme et de dtruire son environnement. Nous connaissons tous la menace nuclaire l'homme doit matriser la technique. Mais l'orientation qu'il lui imprimera dpend de sa vision du monde, de sa conception de la communaut et de l'image qu'il se fait de l'homme. Tout cela s'applique aussi l'conomie. Actuellement, c'est elle qui faonne l'image de l'Europe. Deux questions mettent en vidence le problme. Les pays europens prfrent-ils laisser la bride sur le cou au march conomique, ou acceptent-ils de l'orienter de telle sorte que le chmage ne soit plus considr comme une fatalit conomique et que la jeunesse puisse se librer de l'angoisse de l'avenir? Par sont-ils prts sacrifier ailleurs, les pays de la Communaut quelques aspects du bien-tre social, afin de procurer aux pays de l'Europe de l'Est les moyens conomiques permettant le dveloppement de leurs capacits conomiques? Ces pays veulent-ils articuler une distribution adquate la Cette distribution ne visera plus seuleproduction conomique? ment un petit nombre de favoriss; tous en profiteront, afin que les riches ne deviennent pas plus riches encore et que les pauvres ne s'appauvrissent pas davantage. Dornavant, l'humanit peut intensifier sa production la faim et la pauvret peuvent tre bannies. Mais la distribution des biens indique clairement qu'on ne cherche pas un partage quitable. Il faut sans cesse souligner qu'on ne peut abandonner l'co-
nomie elle-mme ou la laisser driver vers le consumrisme. II non pas telle ou s'agit de l'orienter vers l'homme et l'humanit telle personne, mais tous les hommes, en particulier ceux qui sont dans la misre. Il faut donc reconnatre quelle conviction est la ni base des dcisions conomiques. Bien sr, il n'incombe l'Evangile ni aux Eglises d'imposer des programmes techniques ou des structures de bien-tre ce sont l des initiatives que les hommes ont en main. Mais les mains peuvent distribuer. Une telle option dpend de la foi et d'une orientation spirituelle. Il se pourrait donc que l'unification de l'Europe soit, en dernire instance, un problme spirituel. Le rle des Eglises est de nous le rappeler, au nom de Celui qui vise notre bien suprme, individuel et communautaire.
La tche
des
Eglises
Nous avons analys deux convictions de base. Ds lors, que signifient les Eglises pour l'Europe? Par rfrence au mystre pascal, les Eglises et les croyants sont convaincus que le monde n'est pas vou la dispersion. L'Europe, elle aussi, est capable de raliser son unification. Pour le la rconciliation et croyant, l'avenir comporte le rapprochement, l'union. L'homme de foi n'est pas port par sa certitude personnelle ou par une navet, encore moins par le refus de voir la ralit en face. Il est intimement convaincu que l'histoire de l'union avec le Seigneur de humaine peut tre crite en collaboration l'Histoire. L'chec de la Tour de Babel n'est pas fatal. Le monde se meut vers un nouveau phnomne pentecostal o chacun, avec ses particularits, se fait communion dans l'Esprit. H s'agit de ne pas se laisser abattre par le poids du pass et de soupeser avec lucidit les obstacles actuels. !I s'agit d'accepter les imprcisions de l'avenir. Voil des tches mener bien. Les Eglises, qui tirent leur origine du Dieu, un et trine, doivent s'y employer. Une seconde tche est lie aux convictions. La Communaut europenne est ne du charbon et de l'acier. Elle s'est tendue au fromage et au poisson, au lait et au vin. Elle s'oriente les frontires douavers une monnaie unique, en supprimant nires. Les partisans de l'Europe jugeront qu'une telle description frise la caricature. Mais ils ne peuvent nier que les aspects politiques, sociaux et culturels se heurtent un mur d'indiffrence, voire d'opposition. Les contacts sporadiques entre Bruxelles et les Eglises mettent cette lacune rgulirement en vidence. Dernirement encore, le Vatican s'est adress une Confrence europenne, en rptant que la cration de l'Europe ne se limite pas
la suppression de frontires ou l'ouverture de marchs. Il prne la cration d'un espace commun de libert et de solidarit, de jus L'organisation de tice et de paix. La lettre dit explicitement l'Europe du troisime millnaire sera la fois thique et politique . Les spcialistes de l'Europe s'opposent de telles vues. Leur argumentation s'appuie sur l'introduction du systme montaire unique. L'euro apportera de soi une politique unifie et provoque dj des changements sociaux dans les pays europens. De plus, l'conomie est en danger. Elle doit s'opposer aux politiques libre-changistes des Etats-Unis, du Japon, des tigres de l'Asie du Sud-Est et de nombreux pays d'Amrique latine et de l'Asie, qui se posent en concurrents dans le march mondial. Si l'Europe dispales consquences en raissait de la comptition conomique, seraient dsastreuses au niveau social et entraneraient une marginalisation politique. L'exprience dmontre que la force conomique permet de jouer un rle substantiel dans les processus de paix dans les Balkans, au Proche-Orient ou dans les contres africaines des Grands Lacs. Enfin, chacun tend promouvoir les valeurs humaines. Or ces valeurs comportent la spiritualit et la religiosit, mme aux yeux d'une Europe scularise. De fait, le spirituel suscite de l'intrt. On croit quelque chose qui transcende le pain quotidien et un mystre divin, bien qu'on se dtourne des formes institutionnalises des religions. Un tel besoin du spirituel risque de se limiter au niveau d'une conscience largie, d'un enrichissement de l'exprience globale et d'une ouverture ce qui dpasse l'homme. Un tel enrichissement peut se limiter au plan individuel et celui-ci une proccupation narcissique. Dans la Comse fait jour de crer une union ouestmunaut, la tentation europenne visant son propre bonheur. L'humanit ne vit pas seulement de son pain quotidien. Elle vit de la parole du Christ qui se soucie de l'autre. En fin de compte, l'humanit ne connatra pas le repos tant qu'elle n'aura pas redcouvert son sens ultime donner le pain de la vie aux autres. sinon, la CommuL'appel des Eglises est indispensable; naut europenne risque de se replier sur elle-mme et de se couper des autres peuples. La pense chrtienne ne peut se limiter quinze pays elle englobe tous les pays, de l'Atlantique l'Oural. Nous connaissons tous la parole d'un minent politicien russe l'Europe est une maison commune. Elle offre plutt l'image d'un gratte-ciel. Certains tages connaissent la prosprit, d'autres sont ravags par l'incendie. Et les ascenseurs ne fonctionnent plus ou se bloquent, quand il s'agit de s'entraider. En s'organisant comme
communaut, l'Union europenne risque l'introversion. La conviction chrtienne a t imprgne du sens de sa responsabilit dcouvrir partout dans le monde l'humanit; offrir tout homme l'Evangile; contribuer l'expansion des autres continents par des initiatives charitables et conomiques. L'aide au dveloppement des pays du tiers monde et la contribution personnelle de volontaires sans nombre restent impressionnantes. Par contre, l'intgration en son sein de non-Europens s'avre difficile. Les Eglises aussi se sentent dmunies et, en tout cas, frustres. Au nom du Seigneur, elles souhaitent la bienvenue aux trangers et accueillent les immigrants. Mais l'Europe ne russit pas s'ouvrir aux non-Europens qui veulent avoir part son bien-tre. Les partis politiques qui s'opposent l'immigration obtiennent des scores ]ectoraux imposants. Les Eglises sont accules une tche ingrate. Elles dfendent les principes et talonnent la conscience de l'Europe. Il ne leur appartient pas d'imposer des solutions concrtes qui tiennent compte de tous les lments d'une situation complexe. Unification de l'Europe Abordons et cumnisme
maintenant une dernire question. Les Eglises disposent-elles des forces vives permettant de pousser les Europens l'Union? En effet, la pratique religieuse s'effrite dans bien des pays europens. Mais il y a plus. Ces Eglises sont-elles crdibles en annonant l'Evangile, mme en s'abstenant de faire la leon aux autres ? Ne demandent-elles pas l'Europe ce qu'elles ne parviennent pas raliser entre elles? La situation devient inconfortable quand elles prchent l'union sans tre mme d'y aboutir elles-mmes. Les Eglises d'Europe disposent d'un organisme de coordination la Confrence des Eglises europennes. Les voques catholiques se rencontrent au niveau europen. N'empche que la la recherche de l'union est-elle suffisamment question s'impose intense et dlibre pour tre un exemple de rapprochement, de conciliation et d'unification? Si ce n'est pas le cas, l'Eglise est-elle en droit de parler? Le dialogue dpend largement des relations entre l'Orthodoxie, qui domine l'Europe de l'Est, et l'Eglise catholique, qui aujourd'hui encore prdomine en Europe centrale et occidentale. Les Eglises ont compris que si elles acceptent dsunion et discorde, elles font scandale et perdent tout crdit dans un monde qui, malgr tout, avance vers l'unit. Bien souvent, les Eglises considrent l'oecumnisme comme un mal invitable de notre temps, mme si leurs aspirations restent vivaces. Bien sr, personne ne peut prdire o, quand et comment l'union des Eglises se ralisera dans le Christ. Parfois, la honte s'empare
d'elles. Elles constatent comment la diplomatie mondiale parvient raliser une paix, provisoire ou durable, dans des situations inextricables. Elles se rappellent en mme temps que ceux qui prchent l'Evangile de la charit ne parviennent pas se rconcilier l'oecumnisme aprs 2 000 ans de discorde. Nous en convenons suppose un engagement plus radical que l'unification de l'Europe. Les pays d'Europe ignorent, eux aussi, quel visage aura l'Europe de demain. Ils ne savent pas quel modle d'unification une fdration, une intgration ou une alliance l'emportera. Leur itinraire peut aboutir des rsultats communs en passant par d'innombrables arrangements et compromis. Ils peuvent se permettre un relativisme pouss l'extrme. Mme si peu de membres croient fermement l'union, il suffit d'tre conscient de son intrt propre pour prendre des mesures communes. Des sont capables de provoquer des dispositions bureaucratiques sans exiger une adhsion fondamentale. A l'arocomportements europort, on peut prendre la sortie destine la Communaut penne sans tre oblig de porter celle-ci dans son coeur. Les Eglises ne peuvent jamais se satisfaire d'une telle procdure. Mais se faire sans la volont dlibre, sinon l'Europe pourra-t-elle mme l'enthousiasme, des Europens ? Ne serait-ce pas un contresens que de s'engager dans une Europe unie qui se contente de savourer du fromage hollandais, du vin italien, du parfum franais, du pain allemand, dans un pub anglais, aux sons de rythmes espagnols? Une Europe sans engagement est une chimre au vu de la longue tradition dont les Eglises sont les tmoins et les hritires. Le pape Jean-Paul II a propos que les Eglises demandent pardon pour les aspects ngatifs du pass. Ses paroles ont t accueillies avec rticence, mme par certains de ses collaborateurs. L'Europe a connu des guerres de religion. Le patriarche oecumnique Bartolome s'exprime Le nationalisme est la force la plus destructrice de l'Histoire. Des conflitsnationalistes ne peuvent en aucun cas tre lgitimspar la foi. Hlas, un tel abus s'est frquemment prsent au cours de l'Histoire. Quant la Yougoslavie, nous pouvons tre bref tout mfait qui se rclame de la religion est un mfait contre la religion. Le Patriarche, comme le Pape, reconnat que les Eglises en Europe de l'Est sont coupables de s'tre laisses prendre par leurs intrts et par des critres qui n'ont rien d'vanglique. En recon-
naissant les aspects ngatifs d'un pass parfois sombre, les Eglises ouvrent la voie aux tmoignages positifs. Lors d'une rencontre avec la Commission europenne, en 1994, le Patriarche a prcis les objectifs L'Orthodoxie peut, doit et veut contribuer la ralisation du but gnreux et vital, une vision spirituelle qui oriente l'Europe. Le rapport du Synode gnral de l'Eglise Rforme des Pays-Bas formule les mmes aspirations, sa faon Les motivations originelles de la recherche de l'unification, qui s'est concrtise dans l'Union europenne la rconciliation, la paix et la restent d'actualit. Les Eglises se doivent de les favoriser justice de tout coeur. Il exprime son souci que l'homme europen maintienne son authenticit. Ensuite, il conclut que l'apport de l'Eglise l'unification europenne ne vise aucunement le rtablissement d'une Europe chrtienne . Cette unification se rfre la signification de t'Evangite et de son poids dans les problmes de fond que l'Europe aborde. L'oecumnisme sera signe de rconciliation en Europe. Les Eglises n'offrent pas de solutions toutes faites. Elles proposent un tmoignage, se rfrant la personne du Christ et s'inspirant des choix qu'il a vcus jusque dans sa propre chair. Elles seront le levain pour l'laboration progressive de l'avenir que l'Europe se donnera. Aux yeux de l'Union europenne, l'Eglise se range techniquement et lgalement dans la catgorie de la culture, qui est laisse la discrtion des quinze Etats membres. 11serait malencontreux de faire reconnatre les Eglises par l'Europe comme cela se fait pour les syndicats et les partis politiques. En fin de compte, l'unification et la rconciliation du monde, mme sous sa forme europenne, sont des dons de Dieu ils demandent prire, souffrance et coopration. Les Eglises n'ont rien imposer. Mais elles tant qu'elles respectent les peuvent tre mises contribution, caractristiques propres de l'Europe et qu'elles considrent le dialogue comme un facteur de croissance indispensable. Jean-Paul II elle n'est pas croiprne sans cesse la nouvelle vangtisation sade, mais vanglisation qualitativement nouvelle. Laissons-lui le dernier mot Notre socit pluraliste met rgulirement ceux qui croient au Christ en face de dfis. Elle nous incite chercher rsolument de nouveaux chemins pour cette vanglisation. Elle nous stimule prendre des directions nouvelles qui rpondent aux changements socio-culturels. PETER HANSKOLVENBACH S.j. SuprieurGnra)de la Compagniede Jsus
A~
ARTS ET HTTRATURE
A PEINE g de 50 ans, la fois le plus ancien et le plus important studio de musique lectroacoustique, le Groupe de Recherches Musicales (GRM) vient d'entrer dans l'histoire. Depuis le 18 janvier 1997, la table d'invention (sorte de console de mixage dote d'un ensemble d'oscillateurs modulaires), ainsi nomme par l'ancien animateur du GRM', Franois Bayle, est installe au Muse de la Musique, Cit de la Musique, Paris. Une centaine de compositeurs a us ses doigts et paumes de mains sur cette table pour crer prs de sept cents uvres. Mais qu'est ce GRM, inventeur et conteur de l'aventure de la musique concrte devenue lectroacoustique puis acousmatique? t L'acte fondateur La musique concrte est fille de l'art radiophonique. Lorsque la radio commena mettre en scne sonore x de grands textes, il fallut inventer des paysages et des dcors. Bruits et
L'auteur remercie tout particulirement Franois Bayle pour les entretiens qui ont permis d'apporter ce texte les prcisions utiles, et de lui avoir propos cet intitul, l'invention du son , signal gnral qui rassemblera toutes les manifestations publiques du GRM l'occasion de son cinquantenaire en 1998. 1. Depuis mi-97, c'est Daniel Teruggi qui anime le CRM.
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ambiances accompagnaient les dramatiques radiophoniques. Ceux-ci se rvlrent de puissants moyens d'expression. Les trouvailles de 48 me surprennent seul. Venu au studio pour "faire parler les bruits", je dbouche sur la musique.)), note Pierre Schaeffer dans son ouvrage sur La Musique concrte (PUF, coll. Que sais-je?, 1967). Cet ingnieur des tlcommunications, qui travaillera au Studio d'Essai de la Radio Franaise, comprit trs vite que ces sons, en acqurant leur autonomie et en les organisant, pourraient former un art nouveau, la musique concrte. Schaeffer chercha faire progresser les expriences sur les bruits et cra un foyer dans lequel elles pourraient se dvelopper. Ainsi est n, en 1951, le Groupe de Musique Concrte (GMC) au sein de la Radio. L'ambition musicale de Schaeffer tait claire les dcors sonores rcuprs devaient tre dtourns; il fallait passer du sonore concret (le bruit) au musical. Collectionner les ensemble objets sonores est une chose, mais les faire dialoguer en est une autre. Ce qui pouvait donner un bon rsultat la radio n'tait pas ncessairement gage de russite musicale. La narrativit, la comprhension ne sont pas analogues. . j'ai commenc collectionner les objets. J'ai en vue une Symphonie de bruits; il y a bien eu une Symphonie de Psaumes (/ot(rntd, in Pierre Schaeffer, L'uM-e musicale, cod. INAGRM/Librairie Sguier, 1990). Schaeffer, esprit logique, chercha alors un collaborateur-instrumentiste pour crer la matire sonore en vue de sa future Symphonie pour un homme seul. Pierre Henry, et esprit cratif, apportera bien plus Schaeffer, inspiration lyrisme la musique concrte se trouvait par eux deux invente. Une dcennie extrmement fconde s'ouvre alors (1948/1958) et les apportera la musique concrte une srie de chefs-d'oeuvre Cinq tudes de bruits (1948) (Etude aux chemins de fer; aux tourniquets violette; noire; pathtique), la Suite pour 14 instruments (1949), L'Oiseau RAI (1950), de Schaeffer, et les uvres composes en collaboration avec Pierre 1Ienry (Symphonie pour un homme seul (1950), Bidule en ut (1950), Orphe 51. Quelques compositeurs d'criture viennent aussi s'initier cette nouvelle techMessiaen, Varse, mais aussi nique (Boulez, Stockhausen, Philippot, Milhaud, Sauguet), quitte la rejeter rapidement. De 1953 1957, P. Schaeffer doit prendre ses distances avec le Groupe il est alors appel diriger le Service de Radiodiffusion de la France d'Outre-Mer. C'est Philippe Arthuys qui prendra la responsabilit du Groupe et Pierre Henry en sera en quelque sorte le directeur artistique . Mais celui-ci a besoin
d'autonomie et de reconnaissance, ranon du succs oblige. Aprs sa rencontre dcisive avec Maurice Bjart, la rupture avec Schaeffer sera consomme en 1958. Schaeffer retrouvera le Groupe aprs sa traverse du dsert et le restructurera autour de Luc Ferrari et Franois-Bernard Mche. Le GMC deviendra le Groupe de Recherches Musicales, cellule au sein d'un Servicede la Recherche de la RTF,instaurant, ses cts, un GRI (image), un GRT (technologie) et un GEC (Groupe d'Etudes Critiques). Ce Servicen'est pas une institution spcialise, mais le spcimen d'un chantier trs large. En effet, il travaillera aussi bien sur les images, la technologie, les tudes, l'enseignement, la recherche, la production tlvise (c'est l'poque des clbres Shadoks, avec une musique lectroacoustique de Cohen Solal). De nouveaux compositeurs intgrent le GRM Bernard Parmegiani, Ivo Malec, Franois Bayle, notamment. Toute l'esthtique du GRM, jusqu' la parution de l'oudes vrage testamentaire de Schaeffer (Th~tte objetsmusicaux,d. du Seuil, 1966), est tendue par cette dialectique d'un solfge exprimental. L'ouvrage rvle une position interdisciplinaire mal accueillie par le milieu musical traditionnel. Schaeffer pose trop de questions, lui-mme n'tant pas exclusivement musicien (mme s'il pratiquait correctement le violoncelle). Les pices composes par le responsable du Service portent alors les titres d'Etudes (aux allures; aux sons anims; aux objets; 1958). Alain Savouret, Jean Schwarz, Michel Chion rejoignent le Groupe. A l'clatement de l'ORTF (31 dcembre 1974), le lgislateur avait nglig une partie importante de l'activit de l'Office les archives, la formation, la recherche. L'Institut National de l'Audiovisuel (INA) regroupera ces activits et le GRM intgrera naturellement cette nouvelle institution. Mais P. Schaeffer devra prendre une retraite volontaire x en 1975, aprs avoir tabli les bases de cet Institut et espr en tre le premier prsident. Franois Bayle gardera la responsabilit et l'animation du GRM qu'il avait prises en 1966. A son invitation, Schaefferralisera une dernire oeuvre en 1975 (lectronique cette fois, matriau qu'il s'tait interdit jusqu'alors) Le Tridreertile. f D'une technique l'autre
Trs rapidement, ds 1950, la musique concrte du GMC a t oppose la musique lectronique inaugure dans d'autres studios de radio (WDR Cologne, par exemple). Plus proche de la technologie, la musique lectronique dveloppe une autre dmarche il faut et il suffit de dfinir les partiels d'un com-
plexe sonore pour obtenir une configuration inoue . Cela a intress trs vite les compositeurs sriels, c'est--dire les musiciens d'criture qui voyaient l le moyen d'obtenir avec la prcision la plus extrme les timbres et les dures qu'ils ne pouvaient obtenir d'une manire habituelle. Avec la musique lectronique, le compositeur retrouve l'attitude prdictive. Chef de projet, il doit s'entourer d'ingnieurs et de techniciens pour trouver les solutions de mise en oeuvre. La musique concrte procde d'une entreprise plus artisanale. Le son travaille enregistr, fix, a ses propres lois le compositeur l'oreille, avec son corps et sa perception. C'est un acte physique qui porte sur les objets sonores. Le geste qui effectue la prise de son est dj un geste engag, tout comme ceux qui manipulent ensuite les potentiomtres de la table de mixage. Le compositeur concret x se comporte comme le peintre devant sa toile et ses tubes de couleurs il travaille aussi avec le hasard, l'inconscient, la solitude. Mais l'volution constante des deux musiques a fini par attnuer leurs diffrences. La fusion tait inluctable, supporte par leurs moyens de production. Le trait d'union s'est ralis avec le chef-d'uvre de Karlheinz Stockhausen Gesang der Jnglinge (1956). La musique est devenue lectroacoustique, appellation dsormais gnrique. C'est une interface extrmement riche entre les capacits de la technologie lectronique et celles de la perception naturelle. L'volution technique est passe de l'lectromcanique Au cours des annes 70, le synthtiseur s'est l'audionumrique. travaillaient alors sur les flux gnralis et les compositeurs sonores. C'est au cours de cette mme dcennie que le GRM commena dvelopper ses propres outils techniques et entama une diversification de ses activits publications crites et sonores, concerts, missions de radio, pdagogie. le CRM devait se convertir l'ordiInvitablement, nateur (le Groupe a mis au point ses propres applications inforSYTER GRM Tools, par exemple). Grce matiques l'informatique musicale, les compositeurs ont gagn en prcision ce qui fut perdu en rapidit et facilit. Plus rcemment, l'ordinateur a dvelopp davantage le travail en temps rel telle action sonore dclenche telle autre action sonore immdiatement enten-
2.Acronyme en delaclbre X 4 pour systmeaudionumrique)tempsrel Concurrente ( de HRCAM, cettestationa propos ergonomie une fconde. Ellefoncexceptionnellement tionneencore GRM, CNSM Paris. au au de
due et contrlable. Actuellement, la lgret et l'intgration du matriel invite les compositeurs travailler de plus en plus individuellement. II est possible d'installer chez soi, pour le prix d'un instrument traditionnel, un studio complet (home studio). Aventures de sons
Olivier Messiaen a dclar que l'arrive de la musique lectroacoustique a constitu la principale invention du xx' sicle, la plus marquante dansla grande aventure de la musique (Timbresil ne se considDuresest sa seule tentative dans ce domaine rait pas dou pour cette musique). La musique lectroacoustique dveloppe une nouvelle dialectique, une nouvelle manire de penser. C'est une approche d'ensemble, une heuristique qui se construit par incrment, une autre intelligence. Le monde des reprsentations est boulevers, qui n'est pas sans rapport avec d'autres formes de culture (le cinma). Cette musique n'est plus soumise aux seules lois de l'harmonie et du contrepoint, la logique et la culture auditives sont plus gnrales. Si le compositeur lectroacoustique ne peut tre dmuni d'oreille, de mmoire, de capacit d'analyser et de conceptualiser, d'intuition, il doit aussi possder le sens de la narrativit, de la dduction, car la musique est gymnastique du souvenir et de l'entendre. La musique concrte manipule des traces de sons rels, de bruits. Ceux-ci, dlis (librs) des causes qui les produisent, prennent leur autonomie et font pntrer l'auditeur dans une nouvelle nature musicale 19 avril (1948). En faisant frapper sur une des cloches, j'ai pris le son aprs l'attaque. Prive de sa percussion, la cloche devient un son de hautbois. Je dresse l'oreille (Schaeffer, Joumal, op. cit.). Il n'y a pas de diffrence fondamentale entre un bruit et un son a musical (instrumental), il y a seulement une diffrence de complexit. Notre musique occidentale a trs peu us de sons non musicaux (bruits). En lectroacoustique, le son est cout (saisi) dans sa forme mme. La musique concrte raconte des histoires de sons. La responsabilit du compositeur est en amont, car il doit arranger, amnager la narration des sons, les installer dans le dveloppement de leurs nergies matrielles. R Bayle parle de morphodynamique . Ce sont vritablement de nouvelles aventures d'coute on n'coute plus des causalits sonores (sauf des causalits rsiduelles sciemment voulues); il n'y a plus le son du violoncelle, le son de la trompette, etc., mais le son. Cette musique ouvre sur une nouvelle abstraction, celle du ret te plus vaste.
Tout crateur est tributaire des lois des instruments disponibles son poque. La musique lectroacoustique, bien moins que d'autres, ne peut chapper cette rgle et reste troitement lie la technologie et ses outils (du Tellharmonium de 1900 aux chantillonneurs, en passant par les Ondes Martenot en 1928 et les Phonognes du CRMde 1950). La musique volue conjointement aux outils et aux ides, chaque vecteur influenant l'autre. Lexx*sicle n'a pas invent de nouveaux instruments acoustiques, mais des instruments lectroacoustiques (guitares lectriques,synthtiseurs, par exemple). Les premiers outils de la musique concrte furent le microphone et le magntophone bande. Le microphone peut se rvler un formidable instrument il peut capter tout corps qui produit du son, du plus fort au plus inaudible. Comme un objectif photographique, il globalise ou il dtaille au plus fin. Mais l'oprateur, en positionnant, en dplaant plus ou moins rapidement le micro, introduit de nouveaux paramtres, y compris lectroniques l'effet Larsen en est un bon exemple. Ici, le son se nourrit de lui-mme, la main qui dirige le micro attrape ses propres harmoniques. P. Henry l'a exploit de manire systmatique dans sa Deuxime symphonie (1972). Les manipulations de bande magntique (montage et mlange) compltent les transformations techniques du son acclration, ralenti, mise en boucle (donc effet de cadence), etc. coupes, rverbrations, filtrages, re-recording, Comme dans les arts plastiques, crateur et excutant ne font qu'un. Lestraces ne sont plus objectivables. L'auditeur apprhende le son dans sa qualit et sa signification mmes. L'imaginaireenvahit puis dborde le monde rel c'est la magie de cette nouvelle musique. L'acousmatique Pour qualifier cette musique conue partir du son (capt, fix, calcul.), l'crivain et pote Jrme Peignot avait propos ds 1953 le terme d'acousmatique. P. Schaeffer s'tait mfi du mot, qui dstabilisait celui de concret. Dans son Thttt~,dj cit, il avait suggr une acoulogie qui aurait pour objet l'tude des mcanismes de l'coute, des proprits des objets sonores et de leurs potentialits . Mais il appartient Franois Bayle d'avoir donn toute son importance ce terme, ainsi qu'au concept luimme. L'acousmatique est une catgorie esthtique, au mme titre que la musique srielle, spectrale, stochastique, rptitive, etc. Une internationale de compositeurs (au Canada, en Argentine, en Suisse.) travaille dans ce sens, mais le GRM en est l'impulsion. L'acousmatique (du grec akousma, perception auditive)
propose une attitude d'coute active. Il est rapport que Pythagore avait imagin un dispositif original pour enseigner en se plaant derrire une tenture, ses disciples devaient ainsi se concentrer sur le sens de la parole, rentrer totalement dans le contenu du discours. L'auditeur est contraint la plus extrme attention, sa perception est aiguise. Dj Wagner, en dissimulant l'orchestre, en plongeant la salle dans le noir, cherchait faire de son thtre du Festivalde Bayreuth un lieu o le spectateur concentrerait son attention sur les paroles et gestes des chanteurs, o l'illusion du tableau dramatique serait renforce. De plus, l'installation originale de l'orchestre favorise un son mieux mlang, net et quilibr, dbarrass de parasites. L'coute d'un disque ou de la radio chez soi est dj une attitude acousmatique on imagine les instruments, leur disposition, on reconstitue l'image du dispositif orchestral. L'acousmatique renvoie, selon F. Bayle,au concept d'image Le son qui sort du haut-parleur n'est pas un son comme les autres ?, soutient-il. Sa cause n'est pas forcment identifiable. Le haut-parleur a son propre rayonnement physique, qui fonde quelque chose de neuf. Par son angle, son espace, son positionnement intentionn, il projette une image sonore. L'acousmonium, ensemble de hautparleurs disposs dans la salle de concert, fonctionne comme un orchestre de projecteurs sonores . Cette nouvelle manire d'envisager la diffusion de la musique sous-tend une problmatique. Quelles articulations, quelles variabilits, quelles cohrences, quelles rhtoriques ces images sonores vont-elles produire? Quels en seront les signes lisibles ? Tel est l'enjeu de l'acousmatique. Voici bientt vingt ans que le cycle des Concerts acousmatiques du GRMvalide un vaste chantier critique qui installe et construit, au-del d'une rupture, le rpertoire nouveau de la musique lectroacoustique au sein d'une Musique agrandie. Vingt ans de confiance avec le public
Le concert objective la cration musicale. Si la rverie est la base de la posie, le travail est la base de la science, deux aspects non contradictoires d'une mme dmarche. L'acousmatique revendique une part de l'hritage bachelardien. Comme un tableau vit, la musique fixe se rcoute, se reconfigure. De la mme faon que le texte du livre est fixe, mais n'interdit pas les lectures successives, qui n'en puisent pas le sens, la musique
de ses couches le travail de se lit au prisme acousmatique l'oreille appelle l'imaginaire, introduit mystre et relief, magie de L'auditeur spcule sur les sons inous, qui se drol'inexplicable. bent sans cesse, les sons-miroirs. Que sont-ils ? Que montrent-ils d'autre que nous-mmes ? PIOUD fEAN-FRANOtS
DISCOGRAPHIE Le GRM possde un catalogue discographique d'une cinquantaine de titres. La collection de CD regroupe les noms de Amy, Ascione, Bayle, Chion, Dhomont, Dufour, Ferrari, Lejeune, Malec, Parmegiani, Redolfi, Reibel, Risset, Schwarz, Teruggi, Vinao, Zansi et bien d'autres. On pourra, pour une premire approche, prendre plaisir l'coute du Concertimaginaire, en forme de rcital collectif (INA-GRM244532). Mais nous ne saurions trop conseiller le coffret Pierre Schaeffer, l'intgrale de l'uvre musicale, et Schaeffer-Henry, les uvres communes , vaste ensemble documentaire o les premires uvres sont prsentes dans leur suc d'origine. Des textes importants, rassembls par F. Bayle (130 pages), accompagnent les 4 disques (INACRM/Librairie Sguier, 1990). Enfin, sous l'tiquette indpendante Magison, l'uvre complet de F. Bayle est peu peu disponible (8 volumes dits ce jour). BIBLIOGRAPHIE Outre les deux livres de P. Schaeffer cits dans le corps du texte, nous renvoyons le lecteur acousmophile vers f.'Art des sons fixs, de Michel Chion, Mtamkin, 1992; et l'ouvrage de Franois Bayle, Musique acousmatique. Propositions.positions, INA-GRMfBuchet-Chastel. Cf. galement Franois Bayle, Musique pour l'an 2000 , Etudes, juillet 1971, p. 71-82. EMISSIONS DE RADIO, CONCERTS France-Musique relaie rgulirement des missions du GRM. Chaque saison, le cycleacousmatique propose une quinzaine de rendez-vous dans le cadre de Son-Mu . Pour tous renseignements !NA-GRM, pice 3521 Maison de 75016 Paris T). Radio-France 116, avenue du Prsident-Kennedy 0142302988.
Rodogune
de CORNEILLE la Comdie-Franaise
I. R~SEMAM Rodogune,Corneille s'est dmasqu On m'a souvent fait une question la cour quel tait celui de mes pomes que j'estimais le plus; et j'ai trouv tous ceux qui me l'ont fait si prvenus en faveur de Cinna ou du Cid, que je n'ai jamais os dclarer toute la tendresse que j'ai toujours eue pour celui-ci, qui j'aurais volontiers donn mon suffrage. Deux sicles plus tard, Stendhal allait jusqu' dire Rodogune?Shakespeare n'a rien crit de plus beau. Il y a trente-trois ans que la pice n'a pas t joue au Franais Il n'est que temps de ressortir les trsors enfouis. Rodogune, prisonnire de Oeoptre (ce n'est pas la fameuse reine d'Egypte, mais une reine de Syrie), doit pouser l'un des fils jumeaux de cette dernire, celui qui sera dclar l'an et donc rgnera. Or les deux frres sont amoureux de Rodogune, plus que du trne, et sont prts sacrifier celui-ci devant l'amour. Cloptre, qui hait Rodogune autant qu'elle idoltre le Pouvoir, promet hypocritement la couronne celui de ses deux fils qui tuera Rodogune, laquelle s'offre celui qui supprimera la reine. La pice est compltement folle, montant d'acte en acte jusqu'aux passions les plus extrmes, jusqu'au cri final de Ctoptre Sors de mon cur, nature qui ne ressemble gure aux leons des professeurs, tous les lieux communs dbits sur Comeille depuis des sicles. Rodogune pousse les fils tuer leur mre, alors que celle-ci combine la mort du fils qui va lui succder sur le trne. Mais les deux frres (invention admirable) sont vraiment jumeaux en noblesse et en amiti, s'admirant l'un l'autre, chacun attach son double au point de lui sacrifier non seulement le pouvoir mais l'amour. Il y a l, au milieu des abmes du mal humain (haine, vengeance, vertige du pouvoir), un admirable pome de l'amour fraternel, qui rsonne de faon diffrente selon l'un et l'autre princes, avec des surprises, des faiblesses, des violences, des dpassements dont ni Cloptre ni Rodogune ne peuvent venir bout.
Etudes
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Marc Fumaroli, dans une page profonde, montre que Cloptre choue parce que sa parole est totalement biaise, enferme dans le mensonge. Elle ne dit pas un mot qui ne soit orient pour tromper sa prisonnire Rodogune ou l'un et l'autre de ses fils. Son projet choue cause de la solidarit de ses deux fils, qui se jurent l'un et l'autre une loyaut absolue, et crent ainsi une parole infrangible, sur laquelle tout l'difice de la parole de mensonge vient se heurter comme sur un cueil. La pice montre comment cette solidarit des deux frres troitement lie l'amour qu'ils portent Rodogune comment cette trinit de l'amour et de l'amiti, en crant une loyaut de la parole, peut faire chec tout un difice de mensonge. Et ici l'on voit bien qu'il ne faut pas mettre sur le mme plan Rodogune et Cloptre. Cette dernire reprsente le mal absolu, la tyrannie sans frein qui s'est mise hors de la nature , en programmant la mort du fils qu'elle a tromp. Rodogune, elle, appartient cette trinit de complices, cette petite socit secrte (comme dit encore Fumaroli) qui, dans le royaume de Syrie, s'est jure d'chapper l'esclavage du mensonge pour se donner un espace de libert fond sur la seule parole qui permette aux hommes de vivreensemble. Et c'est le fond mme de l'inspiration de Corneille, base (Pguy l'avait bien vu) sur la loyaut. On comprend qu'il ait chri cette oeuvre, qui est le rsum de son art en ce qu'il a de plus grand et de plus original. Sa posie de thtre est une cole de la libert intrieure. Les ombres elles-mmes n'y existent que pour dvoiler le soleil'.
Le Rgisseur de la Chrtient
de StMSTMN BARRY Traduitde l'anglais (Irlande) par Jean-PierreRichard au ThtredesAbbesses. ise en scne de Stuart Seide M On est toujours partag entre la stupeur et l'merveillement lorsque surgit, comme par surprise, hors du quotidien, un grand pote de thtre, tranger toutes les modes, et qui part de l'Histoire pour atteindre l'universel. Il s'agit d'un jeune auteur irlandais, d'une quarantaine d'annes, qui a crit cinq pices d'une originalit clatante, dont voici la dernire. Ses personnages sont tous un peu des desperados,du
1.Jacques a la Rosner prisle partide mettre nscne e sansmoderniser pice, c'est-Rodogune direde reproduire scne que j'imagine Comeille tels m instant, chaque ot,chaque chaque lesreprsentait C'est negageure, sr,maisgrandiose; u bien comme ledcor de magnifique de Roberto )ate, L n'enresP d'unarchasme solennel rv. asplendeur la langue omuenne et c sortquedavantage transformeresque n opracette et e derp tragdierofondment p politique, rirelaquelle onentrevoita luttesansmerci ngage arAnne l d'Autriche Mazarin et e p pour l absolu encrasant touslescomplots. gardereurpouvoir
moins des marginaux, des laisss-pour-compte de l'Histoire, mais en mme temps marqus par une grce rdemptrice comme t'crit le critique Fintan OToole dans son introduction l'anthologie de ses uvres qu'il convient de citer un peu longuement Ils sont, dans le sens social du mot grce, dots chacun leur manire d'une extraordinaire lgance motionnette, exprime dans un langage la fois baroque et mticuleux~. Au prix d'un effort infini, ils se constituent au fil des mots qu'ils disent, nous laissant entendre derrire ces mots la rigoureuse syntaxe de leur vie intrieure. Et ils sont aussi, au sens religieux du terme, traverss d'une tendresse inexplicable, qui les sauve de l'oubli et, en quelque trange et indniable sorte, les sacratise. Sebastian Barry a rinvent ici la figure enfouie de son grand-pre, ancien officier de police de la Couronne britannique, qui, lors d'un meeting ouvrier, en 1922, Dublin, fut responsable de la mort de quatre manifestants irlandais. On devine quelle profondeur noire tait enfouie sa mmoire dans la famille de son petit-fils. Il ayait d'ailleurs prdit que ses descendants seraient froces avec lui. Admirable est la manire dont Sebastian Barry est parti sur les traces de son anctre maudit, et d'abord sur celles de l'enfance du vieux policier, dans le district recul de Kelshea et Kiltegan, o Sebastian lui-mme, cent ans plus tard, a vcu enfant. Il s'est servi encore de plusieurs figures fminines qui avaient entour ses premires annes, les mlant, les confondant avec la personnalit de ce Thomas Dunne; et, sa grande surprise (confie-t-il), je me mettais lentement aimer cet homme diminu . Il l'a enferm dans une sorte d'hospice horrible, o une vieille cousine du policier avait fini autrefois ses jours, aveugle et folle. En plaant, par l'imagination, son malheureux grand-pre dans cette chambre de terreur, ce lieu de repentir et de pardon , toutes les rpliques de la pice sont venues l'une aprs l'autre, recrant de faon mystrieuse la personnalit de cet anctre inconnu, lui infusant une lumire venue d'ailleurs, une dignit dchirante. Et, dans cette mtamorphose, Sebastian Barry s'est comme identifi celui dont il a sauv la mmoire en prenant sur lui sa maldiction. Et, du coup, en dpit de tout, cause de tout, pour le meilleur ou pour le pire, je pourrais me prsenter aux grilles de Saint-Pierre et affirmer clairement ma parent avec cet homme disgracieux, disgraci. La scne se passe en 1932, l'hospice de Baltinglass, dans le comt de Wicklow. Thomas Dunne a un peu plus de soixante-dix ans au moment de l'action. Smith, un infirmier quelque peu tortionnaire, et Mme O'Dea, infirmire presque maternelle, entourent le vieux gant qui s'est enferm dans la folie pour chapper ses remords. Mais le pass et le prsent s'entremlent ses filles viennent le visiter, Annie qui a trente
2. Etchosehautement et e sicle d'unegrande extravaganteinattendue n cettefinduxx* f.. Fintan beaut formelle ,souligne Oroole.
ans, Maud trente-cinq, Dolly vingt-sept. Elle est maintenant marie son ancien soupirant, Matt. Les visiteuses apparaissent de loin en loin leur pre, dans sa mmoire illumine, telles qu'elles taient dix ans plus tt, en pleine jeunesse, lors du terrible drame de l'meute, aussi naturelles dans le pass que dans le prsent; mais lui leur parle autrefois avec son me d'aujourd'hui (ou est-ce l'inverse?). Les souvenirs sont des pressentiments, les pressentiments des souvenirs, avec leur poids de souffrance, de remords, de larmes, de rvolte, de dsespoir, emportant le vieil homme au bout de lui-mme, sur un chemin de purification qu'il ne connat pas et pourtant reconnat. Et le plus bouleversant survient lors des apparitions de son jeune fils Willie, mort la guerre de 14-18, et qui se montre en uniforme mais l'ge de 13 ans, avant que sa voix ait mu. Les dialogues entre l'enfant et son pre, d'une tendresse dchirante, se rduisent quelques mots de la part de l'enfant; mais ces mots rayonnent une compassion, une douceur si profondes, qu'elles pntrent l'me de Thomas jusque dans ses abmes, et lui apportent, lors du long monogue final, une paix qui n'est plus de ce monde. Car la simple prsence de l'enfant ramne la lumire une scne de l'enfance de Harry, qui fut lui-mme pardonn, un jour, par son propre pre, avec un amour ineffable. Et je parlerai de la misricorde des pres, quand l'amour qui gt en eux aussi profondment que la face scintillante d'un puits est trahi par l'imprvu, et l'enfant voit enfin qu'on l'aime, et qu'on a besoin de lui, et qu'on ne saurait vivre sans lui, immensment. De cet hospice misrable, o meurt un homme cras par sa mmoire, s'lve un murmure sacr, transformant la faute en bndiction. Et le cur qui se condamne est ainsi dlivr par une main enfantine plus puissante que le chaos. On se souvient de Bernanos, voquant la fin de son existence le petit garon qu'il fut L'heure venue, c'est lui qui reprendra sa place la tte de ma vie, rassemblera mes pauvres annes jusqu' la dernire, et comme un jeune chef ses vtrans, ralliant la troupe en dsordre, entrera le premier dans la Maison du Pre. S'il y a, hlas! une chane de meurtres fratricides, il y a aussi (on l'entrevoit par clairs une chane secrte de pardons'. MAMBRINO )EAN
3.Letravail eStuart eide d S manifeste, encore, ici soncoute intrieureespices u'ilmeten d q et la prcision rdente sa direction scne a de d'acteurs. Michel aumannstla cariatide u B e d spectacle.
EXPOSITIONS
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1
Eugne Delacroix*
LAURENT WOLF
i. OliRQDOl Eugne Delacroix, artiste admirable et unanimement admir, ne parvient-il pas emporter l'adhsion totale du visiteur, la diffrence de peintres moins grands que lui, mais plus proches de la langue visuelle d'aujourd'hui ? L'exposition Delacroix, les dernires annes apporte le dbut d'une rponse. La Runion des Muses Nationaux, qui a le sens du paradoxe, clbre au Grand-Palais le 200' anniversaire de la naissance de l'artiste. avec un ensemble d'oeuvres entirement tournes vers la mort et le regard rtrospectif. C'est la premire grande exposition Delacroix en France depuis 1963. Elle est accompagne de plusieurs autres manifestations, la Bibliothque Nationale et au Muse Delacroix de Paris, Rouen, Chantilly et, plus tard, Tours, Bayonne et Versailles. Dans un dcor gris et un clairage ponctuel, qui illumine chacune des quelque 130 peintures et dessins excuts de 1850 1863, le visiteur dambule dans la pnombre. Ce dispositif accentue la distance qui le spare des tableaux. L'emportement du trait de Delacroix, sa touche violente et allusive provoquent immdiatement l'merveillement devant l'habilet et l'invention picturale. Cependant, les uvres, et singulirement les uvres de la maturit, parlent notre intelligence plutt qu' notre motion. annes(1850-1863). Galeries ationalesu Grand-Palais. N d O Eugne ehtmm lesdernires Entre R 75008Paris. servations tl.49875454.Ouvertouslesjours,sauf t Clemenceau, par 20 lemardi, e 10h 20h; lemercredi, 10 22 h. Jusqu'au juillet. d de d letraitnmMnt~ue Nationalee France. Galerie ansart M etMazariDelacroix, Bibliothque 75002 Paris. l.47038] 10.Ouvertouslesjours,sauflelundi,de10 T t ne,58ruede Richelieu, h 19h. Jusqu'au juillet. 12
d'un nouveau romantisme. Delacroix, la naissance 76000 Rouen. Tl. 35 71 2840. Ouvert tous les jours, juillet. Muse des sauf mardi, Beaux Ans, Square Verdrel, de 10 h 18 h. Jusqu'au 15
Delacroixt Frdric illot, e roman e l d'uneamiti,et Aquarelles ~uts. Muse et V Eugne 6 7S006 Paris. t.444186 Ouvertousles T National ugne 50. t E Delacroix, place Frstenberg, s 31 jours, aufmardi, de 9h 30 18h. Jusqu'au juillet.
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M, rue
d'A~MS
75006
Paris
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C'est que les sujets et les proccupations du peintre sont loigns de nous ( l'exception des paysages et des animaux), parce qu'ils ont tous une source mythologique, religieuse ou strictement littraire (Delacroix tait un passionn de littrature anglaise, notamment de Shakespeare et Byron). Les cartels explicatifs ne sont pas d'un grand secours, car, pour Delacroix, la peinture n'est pas l'illustration d'un rdt, elle est le vrai modle du tableau. Il peint d'aprs littrature , comme on dit peindre d'aprs nature . H ne suit pas la narration, mais sa propre lecture. Et quand il reprsente des scnes relles, sa vision rencontre son imagination littraire (c'est particulirement vident pour toutes les uvres inspires du voyage au Maroc). Les peintures excutes aprs 1850 rappellent ses tableaux dramatiques et spectaculaires les plus clbres, comme Scnes des Massacres de Scio (1824), La Mort de Sardanapale (1827-1828) ou La Ltbcrtf guidant le peuple (1830). On y retrouve la relation tendue entre la violence et le plaisir; on y retrouve le mouvement, la couleur pour autant qu'il soit possible de parler des couleurs de Delacroix, tant son mpris des contingences techniques a entran la dgradation des pigments. A partir de 1850, Delacroix revient sur les thmes de ses uvres antrieures animaux, chasse, nature, scnes d'inspiration littraire, paysages orientaux, sujets mythologiques et religieux; le parcours de l'exposition est organis selon ce dcoupage thmatique. L'artiste revoit et repeint sa propre oeuvre; il s'impose une rflexion picturale. Il semble remettre en question l'exploitation systmatique qu'il faisait auparavant de la tension rotique entre la reprsentation de la mort et celle de la jouissance. Comme c'est souvent le cas des vieux artistes, il va droit au but et joue moins de la sduction. En 1850, Eugne Delacroix a 52 ans. Il meurt treize ans plus tard. Au dbut du x<x' sicle, la cinquantaine est dj le dbut de la vieillesse. Delacroix a une sant fragile et une maladie respiratoire chronique; ce n'est pas l'athlte de la vie que laissent imaginer ses tableaux. C'est un artiste qui a russi il a obtenu de nombreuses commandes publiques; mais il n'est pas reconnu la hauteur de ses esprances. 11 aurait voulu influencer l'enseignement des beaux-arts; il lui faudra attendre 1857 pour entrer l'Institut, aprs huit tentatives. Tard, trop tard pour compenser l'amertume de cet homme insatisfait, qui se trouve aussi confront l'arrive de nouvelles gnrations d'artistes, dont beaucoup l'admirent comme un prcurseur et, de ce fait, le rejettent dans le pass. Le parcours de l'exposition commence par l'Autoportrait au gilet vert (1847). Le feu qui couve dans le regard, mais aussi la duret, la fermeture, voil ce que montre l'artiste de lui-mme. Un autoportrait est toujours une dclaration je me vois et je dsire tre vu ainsi. On dcouvre dans ce tableau la posture hautaine, distante, ironique, lgrement mprisante affiche par Delacroix. Cette posture est prsente dans les uvres de 1850 1863 exposes au Grand-Palais. L'artiste y regarde plus en direction de sa propre uvre qu'en direction du spectateur.
Cela renforce la distance qui nous en spare, mais cela renforce aussi notre admiration. Admiration devant une pense en mouvement, comme dans les six versions du Christ sur le lac de Gnsareth, o la force symbolique crot, pendant que le geste pictural devient plus direct. Admiration devant La Lamentation sur le Christ mort, o la gomtrie des couleurs porte la signification du tableau le corps horizontal presque blanc sur toute la largeur de la toile, le renvoi d'une tunique rouge au premier plan, d'un petit personnage habill de rouge dans le fond, et le cercle des visages prostrs. Admiration devant l'intuition de quelques paysages, des sous-bois, des bords de mer, et la richesse des bouquets de fleurs. Cette admiration se convertit rarement en adhsion la vision de Delacroix, parce que ses reprsentations sont toujours mdiatises par un rcit ou par des mots. La peinture de Delacroix, malgr sa rputation physique, est plus conceptuelle que bien des uvres non figuratives. Le grand uvre de la vieillesse de Delacroix n'est pas expos au Grand-Palais. Il s'agit d'un ensemble de peintures murales ralis dans la Chapelle des Saints-Anges de l'Eglise Saint-Sulpice sur la vote, Saint Michel terrassant le dragon (1856-1861), sur les parois, La Lutte de Jacob avec ;~e (1855-1861) et Hliodorechass du Temple(1861). Cet ensemble est considr comme le testament artistique du peintre. Il lui a d'ailleurs consacr des annes, puisque les premiers contacts prcdant la commande eurent lieu en 1847. Delacroix y consacra donc plus de dix ans, de travail et de souffrance, puisqu'il tait dj affaibli par la maladie. La Chapelle des Saints-Anges dmontre la grandeur de l'artiste bien plus que tous les tableaux spectaculaires qui l'ont rendu clbre. Il semble s'y tre donn pour but de parcourir la totalit de son rpertoire pictural tonalits, valeurs, construction, mouvement. La Lutte avec !~n~, avec ses deux figures qui s'affrontent sous une immense frondaison, pendant que passent l'cart des bergers indiffrents, s'oppose la profusion des personnages disposs dans l'architecture monumentale d'Hliodore chass du Temple. Dans cette peinture, Delacroix dispose ses personnages en une spirale vertigineuse qui tournoie autour d'une grande colonne. Cet artifice de construction la spirale est une des constantes de ses peintures monumentales. L'accueil fait la Chapelle des Saints-Anges fut l'une des dernires dceptions de Delacroix. Son inauguration n'attira pas la foule espre; et les critiques ne furent pas toutes louangeuses, pas suffisamment, du moins, pour le vieil artiste qui sentait arriver la fin. LAURENT WOLF
LES
FONTAINES Centreculturel
du jeudi ~0 <M~ 7~S ~fO~fMr~ MMM~t ~M~ ~9~ ~72 &30~ LE ROMAN AU XX' SICLE Comment narratift ilvolu, legenre a duw ? ibrmeUement, tedbut sicle depuis Comment, t'fe dconstruction, parler retourcertaines aprs deh peut-on d'un ouencore <ge 'or uroman un d d ? formes, autour gnrtes auteurs, W Problmatiques etarticulations dequelques dont illiam Claude etGabriel Marquez Garcia Faulkner, Simon applications pdagogiques. AndrDAvm CeM<~ ~t~! ~Mies, s.j., FrancisCOULET, <<e docfeMf ~c~pMee eM der~MMtt'on, ~tCe ~Mr~, ~n~ Docteur/emne, s /t!r& P Vronique mmN, et une quipeduniversitaires ~MtHM~ CO~ 7j~9c~70 &CMtVJ~ ~ CMMM~~ 29 <K~t 799~ ~2 &3<~ LA PENSE PHILOSOPHIQUE DANS LE DEBAT BIOTHIQUE sont questions et Multiples les thiquesphilosophiques parles poses innovations biomdicales. dsormais lafonction mdecin, Comment du l'actemdical, penser lerle philosophe lesdbats du dans concernant labiomdecine, luil'homme s'ilest ?. session anime des sera mme, gouvern ses par gnes La par mdecins, des etdes alliant philosophes personnalits cesdeux comptences. HenriArLAN.~ro/~MM~ deM<!p<Me, efd'~M~Me de~M&Mop~te de~a ~<9te/ZMeM,\tfad<MM~ biologie. t~t/Mt-~ ~fo~&erMMZc~: BrunoCADOR.~iq~cMrd'eaM~Me {~MM'rM~ d?~Ne Medtc~. cof~o~Me Gilbert orrotS, de D~~c~MrC~ttw de~c~erebe~ H fm/~eMr ~MtMoptMf, dM e~Moe~M~Me, /<&~ <nfen~<K~p~M!/fe~ t/ntt~rHYe deBrMxeNe~ Patrick ~n6c<eMr VntsmaN, dM Mo~~dteo~e, d~M~etnent d'<MM~Mc Centre ~h~ ~et~?~ Les Fontaines Rt02t9 60631 B CHANTILLY cedex Tl.0344671200 Fax 0344671291
OMtMA
Sitcom de FtMNOM OZON Ne me demandez pas si j'ai aim ce film. Non, et pourtant je lui trouve de l'intrt, il me semble mme qu'il s'agit d'une uvre d'art. Alors, comment expliquer?. Sitcom, au moins ce titre lourdement ironique met cartes sur table. Dans le cadre traditionnel des sries tlvises un intrieur o parents et jeunes font des histoires Franois Ozon va mettre un tigre dans le moteur et faire clater le cadre. Le tigre, ce ne sera rien qu'un joli petit rat tout blanc, et le cadre, celui d'un pavillon cossu dans quelque quartier rsidentiel. L vivent le pre, la mre, avec Sophie et Nicolas, leurs enfants, qui ont pass l'ge des jeux innocents. Aux jeux de cette famille, nous allons tre pris. On dit fait comme un rat. Cela pourrait signifier aussi que Franois Ozon, pour son second film, n'a pas oubli le spectateur. Bravo, il joue avec nous. Rien voir avec ces jeunes films o quelque prtendu auteur fait son cinma comme si nous n'tions pas l, tout seul dans son coin, et se dsole aprs coup, parce que nous n'avons pas pris part ses jeux hermtiques. L, tout est clair, lumineux comme le poil immacul du rat la maman embauche une femme de mnage espagnole, Maria. Comme tout le monde ici a les ides larges, Maria appelle la mre de famille par son prnom, Hlne. Toujours en vertu des ides larges, Hlne et Jean (le pre) invitent dner la femme de mnage espagnole et son petit ami, Abdu, un beau noir, col blanc et noeud papillon, qui se trouve tre le professeur de gymnastique de Nicolas, leur fils. Et puisque, dcidment, on a les ides larges, Nicolas profite de ce dner pour annoncer qu'il est homosexuel, avant de se retirer dignement dans sa chambre. Et puisque, etc. Abdu, encore plus digne, monte dans la chambre parler Nicolas. En bon professeur de gymnastique, it va naturellement le convaincre de passer l'acte sur le champ. Premier acte, donc.
Etude:
)4, rue
d'Asas
7S006
Paris
'Juin
t998
N* 3886
On devine la suite qui couchera avec qui? Jusqu'o ira-t-on avant d'puiser toutes les combinaisons possibles? Plus malin que nous, l'auteur nous rserve une premire surprise (il y en aura d'autres) Sophie, la sur de Nicolas, dpressive, se jette par la fentre, et se retrouvera paralyse dans une petite voiture. Ce qui ne l'empchera pas, bien au contraire, de rpondre aux deux questions Sophie et son frre runissent dans leurs chambres une faune que n'aurait pas dsavoue le marquis de Sade. Dans ce film froid comme un thorme j'avais oubli, le pre est ingnieur rgne une logique infernale. On croit avoir compris, on croit avancer, mais on recule, on rgresse. Logique du labyrinthe. Il est l pour cela, le rat. Un joker, un pion blanc, hors jeu, en trop ? Erreur, nous nous croyions plus malins que le rat, nous sommes perdus comme lui. Btes comme lui. Faits comme lui. Aucune diffrence, si l'on admet, comme l'anthropologie l'assure, que l'interdit de l'inceste fonde le passage de l'animal l'humain. Insensiblement, le film en vient l. Un jour, la mre couche avec son fils. Deuxime acte. Le troisime, logiquement attendu, l'inceste du pre et de la fille, n'aura pas lieu. Et c'est ici que le film prend de l'intrt, mes yeux. Estce par un dernier scrupule, bien tardif, par quelque rsurgence de la loi du pre, d'un ultime tabou, que le scnario vite cet inceste-l? Pour rassurer le spectateur, en somme? Non, rien de rassurant dans ce Sitcom,o la violence et la haine constituent, de la premire la dernire image, le seul lien entre les personnes. Certes, on dit qu'on s'aime; il y a parfois l'ombre, l'ombre seulement, d'un sentiment qui traverse la fresque aveuglante, ces tableaux de famille clairs d'une lumire trop crue, dsesprment cruelle. Impossible, cependant, d'voquer ici la loi du pre. Celui-ci, admirablement incarn par Franois Marthouret, prne la tolrance confondue avec le tout est gal toutes les cultures se valent. L'homosexualit et l'htrosexualit, c'est pareil. Les rles de pre, fils, mre, fille sont interchangeables, comme les rles de domestique et de maitre, de professeur ou d'ami. Nous sommes bien aux racines de la perversion. La perversion, c'est quand un tre humain peut permuter avec n'importe quel autre humain et pourquoi pas, alors, avec l'animal? Le rat blanc, comme le joker, peut prendre toutes les valeurs parce qu'il n'en a aucune. Etre tout et rien la fois, voici bien l'ultime rfrent, l'absolu du blanc ou du nant, le dieu monstrueux de ce petit monde sans foi ni loi. Pour que les membres debndM (dans tous les sens du terme dlis) de cette famille subsistent, pour que cela dure et tienne, au moins le temps d'une histoire, il faut aller au bout de la violence, de ce mlange indiffrencidu plaisir et de la douleur, du sexe et de la mort, de l'imaginaire et du rel. Mais o est le terme de cette escalade? Y a-t-il un au-del de la violence? O est l'ailleurs de ce cercle infemal ? Certes, il y a le thrapeute, l'autre pre (incam par Jean Douchet, maitre penser de quelques gnrations de cinphiles). La mre consulte le thrapeute, et tout le monde quitte la maison pour une
thrapie familiale. Tous, sauf le pre et. le rat. Allons-nous suivre le groupe, ou rester dans la belle demeure, ou passer de l'un l'autre? Choix dcisif. On reste avec le pre, et le rat. Le pre mange la bestiole, aprs l'avoir fait cuire dans le four micro-ondes. Etrange repas solitaire. Sinistre communion qui annonce le dnouement. Au retour de leur thrapie, les autres dcouvrent que le pre est devenu un norme rat! Il n'est pas blanc, celui-l, pas mignon du tout. Cris, sale, rpugnant. Ni homme, ni bte, un monstre offert au lynchage sacrificiel dans un consensus sans faille. On savait depuis longtemps que le pre rvait de tuer toute la famille. Il en rvait seulement. Les autres sont passs l'acte. Dernier acte. se retrouvent tous Alors, au cimetire pilogue sur sa tombe les membres de la nouvelle tribu, autour du nouveau pre o le professeur de gymnastique noir, homo-htrosexuel, amant du fils et de la bonne espagnole. La fable pourrait aussi bien s'intituler le rat blanc, le pre gris, l'amant noir. Aprs la disparition des deux premiers, quand la mise mort de ce dernier, ou de tous les autres par celui-ci? Pas d'issue au cycle infernal. On ne dnoue pas un tel noeud de vipres. Il est frappant que ce film sorte en un printemps qui commmore mai 68 . Trente ans aprs. L'espace d'une longue gnration. Qu'est-ce donc que la paternit pour ceux qui ont cri vingt ans Il est interdit d'interdire et Jouissez sans entraves ? Qu'est-ce donc qu'tre enfants de pres sans loi? Au miroir monstrueux du film, comme tout cela s'claire Cette famille scandaleuse l'cran fait rire dans la salle. Rire ambigu, certes. Car Sitcom est un film terrible, terrifiant (d'une autre terreur que Titanic; mais tous les rves d'aujourd'hui ont got de cauchemar). )e n'aime pas ce film et pourtant je l'estime, car il est vrai. Chacun pourra y reconnatre le laxisme bien rel de notre environnement idologique. La tolrance confondue avec la perte des valeurs. Pour peindre cet univers hors-la-loi, il a fallu que Franois Ozon, lui, se donne un cadre, rencontre les lois du cinma et s'y soumette. Alors, Sitcom est devenu une uvre. En effet, on peut parler de cration, d'oeuvre d'art, lorsqu'un auteur est pris par son sujet et, plus encore que par son sujet, par l'objet qui se construit entre ses mains prisonnier donc de l'oeuvre qui impose, avec sa logique propre, une adhsion au rel. Ce lien prcieux, vital, entre l'imaginaire et le rel, c'est la porte troite du vrai. L'oeuvre existe donc, quand elle rsiste. Ainsi elle est preuve de vrit, dur chemin vers la vrit. Voil ce qui me trouble, au-del du spectacle navrant. Le film, parti de la perversion, d'un discours plus ou moins provocateur et complaisant, noy dans la perversion, s'arrache peu peu sa pente naturelle. Il dcolle, prend de la hauteur, s'ouvre une rflexion sur la perversion. Le cinma fait loi, cela s'appelle le style ici, c'est la qualit de )'interprtation, la prcision du jeu des acteurs. C'est l'abstraction de cette fable, dnue de toute sensibilit (rien de moins rotique que cette hnaurme partouze!). Ce qui aurait d devenir obscne est sublim par la nettet, la fermet du trait. Le scnario abstrait conduit l'hyperralisme
des personnages. La prsence physique, la justesse des situations et des dialogues, donnent vie ce qui aurait pu n'tre qu'une laborieuse dmonstration. Par la force de sa cohrence, i'uvre dissout les impurets du message. Mieux, elle efface tout message, elle subvertit la perversion Pave de bonnes ou de mauvaises intentions, l'oeuvre met au jour, sous les pavs, la plage la vrit nue, offerte au regard, aveuglante et inhumaine. L'art est grand lorsqu'il se hausse au-del de l'humain, ou en de aux sources du sacr sauvage, barbare. Ah que nous voici loin des petites histoires salaces et confortables du cinma de Blier! Loin mme du regard fascin, plus ou moins complice, de Pasolini. Oui, cruel, implacable est ce film. Tout ce qu'on croyait savoir, sur le meurtre du pre, la mort de la famille, le mutticutturatisme, ia crise des valeurs. est ici dpasse*. Sitcommontre avec effroi comment les civilisations parfois prennent got se perdre et se dtruire. Cou.rrr JEAN
La crdibilit du Prsident des tats-Unis bat srieusement de l'aile depuis que le monde entier a appris qu'il s'tait livr d'inavouables roucoulades dans les trs courts jupons d'une majorette pas franchement tombe du nid. Le Prsident, qui est du genre se regarder le nombril chaque matin dans le miroir des instituts de sondage, se dit alors, l'instar du Prince de Machiavel, qu'il est grand temps de feindre , de colorier autrement dit de divertir l'opinion amricaine en agitant l'pouvantail de la menace extrieure pour mieux faire oublier ses foltres prgrinations intrieures. Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous raconte cela, pourquoi je vous mchonne cette actualit, trop mdiatique depuis quelques mois pour ne pas tre connue. La rponse est simple malgr les apparences, je ne dcrivais pas, plus haut, les dboires du Prsident Clinton avec Monika Lewinsky et sa fuite en Irak, suite aux refus de Saddam Hussein de voir des reprsentants de t'ONU pntrer certains de
!)suffit videmment, reconnatre film,de regarder ce autourdesoicequ'ilenestdes pour de de de de de institutions, l'cole, l'enfance, l'entreprise, la rue,de la cite,du politique, la famille.
ses sites prsidentiels, mais je m'efforais simplement de raconter le scnario de David Mamet, qui est le seul intrt du film de Barry Levinson. Prcisons juste un peu l'intrigue, afin de souligner que rarement une fiction aussi saugrenue aura t si proche de notre atterrante ralit de fin de sicle. Charge de dtourner l'attention de l'opinion amricaine afin d'assurer la rlection d'un Prsident (toujours hors-champ), une petite quipe improvise pour l'occasion est donc mene par Robert de Niro (un impassible bon--tout-faire, un peu Sherlock Holmes dans la dmarche, trs Mac Gyver dans sa manire professionnelle de transformer une boite d'allumettes en centrale nuclaire), Dustin Hoffman (un producteur de cinma rid par l'autobronzant et les ultraviolets) et une collaboratrice du Prsident (une pimbche blondasse aux dents qui rayent le parquet et dont l'oreille semble colle, depuis son enfance, un tlphone portable). Ce trio, aprs mre rflexion, imagine alors de toute un danger forcment pice, la frontire amricano-canadienne, nuclaire commandit par des terroristes albanais (ce qui est loquent au moment o la Serbie refuse de reconnatre l'indpendance du Kossovo, province trs forte majorit albanaise). Les prparatifs de cette machinerie politico-mdiatique s'emboitent alors comme des lgos dans un studio de tlvision, par exemple, notre trio de choc grime une jeune Amricaine en une Albanaise effarouche il lui colle un paquet de chips dans les bras et lui demande de courir comme si elle tait vote par la peur des balles qui lui sifflent dans les oreilles. Derrire les manettes, notre petite quipe se rgale des prouesses de l'informatique et du virtuel par la simple pression d'une touche, on remplace les chips par un chat corch, on fait franchir la jeune fille un petit pont de bois en feu, et une grange dtruite, toute fumante encore, apparat, comme par miracle, en arrire-plan. Cette image, construite sous nos yeux, sera diffuse quelques heures plus tard sur la chaine de tlvision NN. Aucun dtail, donc, ne manque cette supercherie d'abord, une chanson, dont le but est d'atteindre le hit-parade x du mivre, est commande une espce de vieux barbu tomb dans la musique folk quand il tait petit, et qui a l'air aussi intelligent qu'un troupeau de vaches texanes. Ensuite, un discours pour le Prsident est rdig avec de grosses ficelles larmoyantes, de sorte que les secrtaires de la Maison Blanche (qui sont aussi des mnagres de plus de cinquante ans, sur qui l'on teste l'efficacit du discours) en viennent sortir en sanglots. Enfin, notre belle quipe retire un G.I. de l'asile psychiatrique pour en faire un hros de guerre, rescap d'Albanie. On rcrit forcment une chanson en faisant croire tous qu'on la ressort des annes cinquante, autrement dit d'un pass collectif oubli; et l'Amrique entire en vient aduler ce hros imaginaire dans une furieuse hystrie collective. Ainsi, la psychologie des personnages proche, par moments, du degr zro de l'criture les interminables longueurs du film, dues aux traits grossiers des protagonistes (un trajet en avion, notamment, qui aurait pu se faire en fuse), l'autosatisfaction et la volont ostensiblement provocatrice et commerciale du ralisateur, font retomber ce film
prcisment dans ce qu'il cherchait dnoncer les sentiers battus du politiquement correct . Il en vient alors ressembler un serpent qui se mord la queue. On retiendra, nanmoins, un film relativement os pour Barry Levinson il a le mrite, en effet, de rester (du moins pendant un moment) du ct de la pure description, de l'enchanement des subterfuges, sans tomber dans l'cueil d'un commentaire moralisateur. Barry Levinson, au dbut en tout cas, ne prend pas de recul par rapport son sujet, et c'est tant mieux. La seule distance qu'il s'autorise est le ton de la comdie, toujours bienvenu quand le sujet est d'une actualit grinante on songe ici l'une des dernires squences o le Prsident est rlu aprs te succs de la supercherie. Le producteur, qui a particip l'aventure, regarde la tlvision des journalistes politiques commenter la russite du Prsident sortant; il s'indigne des arguments avancs, ne supporte pas que l'on taise ses mrites et veut de la reconnaissance. A ses cts, son compagnon d'pope (Robert de Niro) fait alors un signe de la tte un molosse en uniforme. On apprend, quelques instants plus tard, que le producteur est mort dans un accident.
XAVIER LARDOUX
p~SB 'dMrTS
Kerouac en passant.
Nomade et sdentaire la fois, lack Kerouac a regard le monde comme ce qui s'en va et qu'il faut tout prix fixer avant disparition. Tout voir, tout mmoriser, tout consigner dans un unique rcit qui contienne sa vie, la pressure, l'puis, pour tromper le temps ou le perdre dfinitivement. A cette oeuvre-fleuveviennent de s'ajouter plusieurs textes indits pour le lecteur franais, ainsi qu'une copieuse biographie, occasion d'une clbration bien mrite, plus que de rvlations d'aspects mconnus de la vie ou de l'oeuvre. De la somme exceptionnelle d'informations rassembles par Grald Nicosia sur l'crivain, n'ont souvent t retenues que la figure matriarcale oppressante et les nvroses d'un fils bien loign de la statue du hros rige depuis la publication de Sur la route (1957). Ds l'origine, pourtant, les textes n'avaient rien dissimul brutale parfois, toujours franche, la prose de Kerouac tait sans plis ni double fond. Le malentendu s'tait install son corps dfendant et malgr ses crits, dont les publications diffres achevrent de brouiller les cartes. L'intrt majeur de Memory Baberside finalement moins dans une dmythification depuis longtemps effectue par de prcdents travaux biographiques, que dans l'attention porte une criture dont la syntaxe si novatrice est brillamment tudie. Kerouac confessait ne pas tre un homme de courage, seulement un crivain; il est donc plus que jamais urgent de se pencher sur ses crits encore si mal connus.
Vraie b et 110 et 1998,240pages, F;Vieil deminuit Jack KEROUAC, londe autres, Gallimard, ange G 1 Denol,1998,522 pages, autres, allimard, 998.144pages,78 F; Anges e h dsolation. d d 165F.Grald f)[(X)HA, Babe, critiqueeM: Kerouac, Verticales, 1998, Memory unebiographie 1000pages, 70F. 1
Etude!
75006
Paris -Ju~n
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Les deux recueils proposs, rassemblant articles et essais divers rdigs sur plus de dix ans par l'crivain beat, constituent une bonne introduction aux vies multiples d'un vagabond de la littrature. Dans les premiers textes de Vraieblonde et autres, il est question d'criture et, en particulier, de prose spontane. Cette spontanit trouve son illustration extrme, et peut-tre trompeuse, dans le texte principal du second recueil, plus anecdotique, Vieilange de minuit et autres. LeVieil ange de minuit est l'crivain ou son double qui coute travers sa fentre les bruits du monde. Ni dehors ni dedans, l'oreille de l'ange est partout et capte le bourdonnement de l'univers que la main retranscrit en images anarchiques. Le bruit de fond vient croiser les souvenirs, les rves de l'crivain, et susciter des visions indites. Ces visions, crit Kerouac, je peux les crire mais je ne peux les ponctuer , si bien que les virgules dsertent bien souvent le texte affol. Mais l'criture spontane chez Kerouac ne se rduit pas, loin de l, cette tentative qui l'avait laiss insatisfait, et dont le caractre exprimental rebutera plus d'un lecteur. Il faut relire ce sujet les essais et chroniques littraires de Vraieblondeet autres. Trop charnels et trop spirituels la fois pour se livrer des exercices d'criture formels, les crivains beat taient modernes l o on ne les attendait pas, l'intrieur mme d'une conception classique de leur art. Lesaudaces littraires de Kerouac s'inscrivent dans la filiation de Melville ou de Wolfe, tout en portant cette tradition vers une plus grande libert d'criture et une plus grande surface de contact avec le rel. Totalement ouvert au monde, l'crivain insuffle aux mots une exprience intuitive qui les prcde et qu'ils expriment par leur musique plus que par leur capacit reprsenter le son avant le mot, le flux sans le reflux, la vision totale plutt que l'clatement. Ces principes d'criture doivent tre lus en lien troit avec l'esprit d'une gnration dont Kerouac plante ici le dcor, redonnant au passage ce terme si galvaud de beat sa signification profondment spirituelle. Les quatre brefs rcits de voyage de Vraieblondeet autres illustrent merveille cet art qui fait surgir du dfait ta totalit. Dans ces anecdotes d'o tout extraordinaire semble exclu, d'autres rcits tout aussi insignifiants viennent s'imbriquer rcits entendus sur la route, dans les bars ou les restaurants de routiers, rcits articuls par des voix qui ne dclinent pas leur identit, ou lus sur des visages que Kerouac croque en traits rapides, prcis, toujours aimants. Peu peu, travers l'insignifiance mme de ce qui est racont, c'est toute une Amrique passe, prsente et venir qui se dessine, une Amrique crite par les gens sans nom qui la font. Deux autres textes admirables, en fin de recueil, reproduisent ces impressions obtenues par l'attention minutieuse aux nervures des choses et des tres Nol la maison, souvenir d'une odysse dans la neige du petit garon de Lowell, o le mystre de l'existence devient presque palpable, et les fines Esquissesde Manhattan, dont aucune note ne vient signaler qu'il s'agit l de fragments des Visions de Cody, autre grande uvre mconnue rdige en contrepoint Sur la route. L'invitation est alors vidente retourner la lecture d'un long rcit de voyage. La publication de Anges de la dsolation,traduction neuve
et intgrale d'un roman l'poque trop sagement traduit en franais et amput de sa premire partie, vient point nomm. Vigie sur les flancs d'une montagne au dbut de son histoire, Kerouac collectionne minutieusement les messages en provenance de la nature et du vide. Les mots abondent, se dversent dans t'numeration rythme de tout ce qui est, o le plus mystique se mle au plus ordinaire, et la plus sereine contemplation au plus terrible de profundis intrieur. Lorsqu'il lui faut redescendre vers les hommes et leur folie, Kerouac retourne, San Francisco, retrouver quelques grandes figures pittoresques avec lesquelles on peuplerait bien une nouvelle fable mystique. Tout semble soudain aller plus vite les orchestres de jazz, les courses de chevaux, la qute de l'extase, tandis que rien ne se passe et que le vide est chaque coin de rue. Les soires de beuverie se suivent et se rptent, mais traverses de lueurs soudaines et mystrieuses l'toile filante de la misricorde devait avoir un visage sombre qui le poursuivront jusqu'au Mexique, puis jusqu' Tanger et Paris. Anges de la dsolation est un document essentiel sur une gnration, saisissant portrait d'un groupe d'errants qui a perdu la Loi mais n'a pas oubli la compassion. PHILIPPE CHEVALLIER
Littrature
forge SEMPRUN Adieu, vive clart. Gallimard, 1998, 250 pages, 120 F. Aprs L'Ecriture et la vie, sobres et tragiques mmoires d'outre-dportation, c'tait pour Jorge Semprun la fois une ncessit et une gageure de passer encore plus outre et de revenir sa vie antrieure pour un semblable travail de mmoire et d'criture. Pari gagn royalement, car, grce Juan Carlos, il est possible d'employer ce terme pour un Espagnol rouge rvant d'tre enseveli dans les plis du drapeau de sa rpublique. Peu avant la fin de la guerre d'Espagne, Jorge Semprun arrive Paris quinze ans, interne au lyce Henri-IV.Autour de quelques scnes, rencontres et lectures qu'il distingue comme dcisives, il reconstruit les dcouvertes de son adolescence, en particulier la rvlation de la langue et de la littrature franaises. tt raconte ses origines familiales, son pre, intellectuel catholique et rpublicain dans la mouvance d'Esprit, ses six frres et soeurs, sa mre surtout, fille d'un Premier ministre conservateur sous la monarchie, morte quand il tait enfant, qu'il voque avec une tendresse mouvante. Aveceux, il convoque de nombreux personnages, amis, camarades de lyce, brves rencontres d'hommes et de femmes
qui ont pris place dans sa vie et parfois aussi dans l'Histoire. Ce rcit foisonnant se dploie tantt vers le pass, tantt vers l'avenir, mont habilement et harmonieusement selon une logique interne. Semprun refuse qu'on y voie un procd et il l'appelle anamnse , terme liturgique avant son utilisation mdicale, o l'vocation-invocation du pass lui confre une prsence nouvelle. La vive clart du titre n'est cependant pas cette lumire attendrie, apaise, parfois amuse, jamais amre, que Semprun projette sur les affections, les amitis et les premires amours de sa jeunesse. C'est surtout celle qui l'a bloui, illuminant son chagrin et son exil, la dcouverte de la langue et de la littrature franaises. Il nous ouvre son florilge, ou plutt son panthon , puisque le monument de ce nom est devenu le centre du monde pour le lycen de Henri-IV qui vit son ombre. Raudelaire y est parmi les plus aims; la littrature du sicle des Lumires en est absente, alors que sobrit et clart sont des qualits que Semprun aime tant dans la langue devenue sienne et que l'on retrouve dans le style de son livre, en des phrases lapidaires et des pages la fois fortes et harmonieuses. Le rappel de ces vives clarts ne devient pas un message. Semprun se contente de constater avec simplicit son indiffrence religieuse, de donner de brefs aperus sur les fondements et les inflexions de son itinraire politique, et d'indiquer au passage comment il donne lui-mme un sens sa vie et quelles valeurs il lui estime suprieures. Dans cet adieu aux illuminations d'une jeunesse
qui ne fut pas qu' un tnbreux orage avant les froides tnbres de la dportation, le lecteur contemporain de Semprun ne peut s'empcher de voir aussi un adieu aux lumires de la vie, avant que ne s'assombrissent le soleil et la lumire et la lune et les toiles , comme le dit le baudelairien Qohleth. Semprun signale que sont morts dans ses livres prcdents tous ceux qui il avait donn de sa vie par procuration sous un pseudonyme. Mais son criture montre qu'il n'a pas lui-mme touch l'automne des ides , et il a encore beaucoup dire. Le lecteur attend encore de lui de nouvelles clarts. PierreSemp
RtVUEDt!t.!V!tt!
d'o il vient, je ne veux pas le provoquer. Inexplicable et ininfluenable, il doit rester un pur miracle ).], une suprme mtamorphose. Et par l il frle, il atteint l'ineffable. Il me semble que Simone Weil t'et compris et aim. Dieu cherche un homme qui n'ait jamais entendu prononcer son nom et s'incline avec gratitude devant un mendiant sourd-muet. Lereste est silence. )ean Mambrino
Elias CAMprn Notes de Hampstead (1954-1971) Traduit de l'allemand par Walter Weideli. Albin Michel, 1998, 252 pages, 130 F. Il ne connat pas sa propre odeur et la dteste chez les autres. On retrouve dans ces ultimes aphorismes de Canetti sa lucidit foudroyante, avec une ombre de dsenchantement et d'amertume qui peut le porter jusqu' la cruaut. Quelqu'un qui puise son venin dans des livres, puis l'administre, soigneusement dos, son entourage . Mais qui ne reconnatrait, par clairs, notre monde? A chaque crime, on inculpe soigneusement un innocent. Le coupable, lui, est relch par principe et le plus vite possible (notez, cinquante pages de distance, le mme adverbe!).). Cela dit, sa hauteur et son refus des modes littraires ont quelque chose de revigorant Franois Villon en censeur de pomes modernes, et la manire dont il les corrige . Et toujours, malgr tout, se dploie en lui le vaste souffle de l'esprit , avec le got de l'admiration, une profonde gnrosit du coeur Tu veux pouvoir dire quelqu'un du neuf sur tous ceux que tu aimes, tu veux proclamer leur gloire (ici, sur Stendhal et Joubert). Glorifier est chose merveilleuse, irrsistible. Heureux le pote des psaumes! Est-cede cette ouverture que l'athe rsolu, divis, tire sa foi dans le miracle, l'inverse du religieusement correct? Je suis incapable de dsespoir; dans les pires malheurs, j'attends, moi l'incroyant, un miracle [.] Mais je ne veux pas savoir Emily DtOQNSON Le Paradis est au choix Pomes.Traduit et prsent par Patrick Reumaux. Librairie Elisabeth Brunet, Rouen, 1998, 558 pages, 170 F. Et revoici la grande Emily Dickinson, dans un beau choix, longuement mri, de son traducteur mrite. La concision fulgurante et mystrieuse d'Emily clate ici partout. La musique atonale de ses pomes a la couleur mme de son me aspire par l'absolu et si tendrement attache toutes les choses de la terre, t'en ai parl souvent (cf., dans Etudes, la dernire fois, janv. 91). La Beaut infinie dont vous parlez est si proche qu'on ne la cherche pas. La plus infime crature est sa sceur, son amie. Angoisse et paisible, elle demeure tranquille dans un terrible incendie menaant sa maison, alors que sautent les barils de ptrote, et discerne (c'est la nuit) une chenille au fond du jardin. Elle interroge sans cesse le silence. A chaque instant elle s'arrte cette Fourche trange sur la Route de l'Etre , Lteu-At-L 'Eternit. Jean Mambrino
Abdul Kader El JANABI Horizon vertical Rcit traduit de l'arabe (Irak) par l'auteur, Charles Ilouz et Mona Huerta. Sinbad/Actes Sud, 1998, 114 pages, 95 F.
Un titre nigmatique pour un petit livre, vif, droutant. Que tous ceux qui imagineraient la pense ou la parole arabe impermable la subversion et asservie tous les despotismes le lisent la surprise est de taille. L'auteur, n Bagdad en 1944, quand la ville ressemblait encore un rve veill sur l'Euphrate, brlante, secrte, aux habitants d'une ironie millnaire, dcouvre, comme tant d'autres dans le monde, le cinma amricain; celui-ci avait dchain une sorte d'insatiable ivresse politique et pratique; les mots d'ordre taient l'amour et la subversion, avec beaucoup de lucidit et trs peu de sens pratique. Le surralisme sur son dclin allait tre le port dernier de cet itinraire et la chance laisse par lui la critique et la posie (Adomo, Celan). Mais ici il ne s'agit pas seulement d'une confession individuelle, il s'agit aussi du monde arabe, de ses minorits intellectuelles, de la trahison de ses dercs, des ressources de sa langue et de sa tradition, contre les sclroses et tous les grgarismes. Au terme de ce texte enlev et internationaliste, deux vidences ou deux recours, le temps passant l'exigence de l'criture inquite et inquitante , et la prsence de Mona, la femme qui vous trouve et vous ramasse dans l'errance et la drtiction (p. 104). Une fois de plus Actes Sud trouve. Le jeu en vaut la chandelle, largement. Guy Petitdemange
qui est cri silencieusement bouche ferme, et que l'on retrouve, dguis, dans les beaux livres de Raphale, si dsinvoltes, si pudiques et si tendres. Je n'ai pas cess de vous en parler depuis vingt ans. Comme des pices de son pre, magicien du thtre, clown au coeur lourd, aux pieds lgers, qui a bondi dans ['au-del, chuchotant l'instant de partir La mort n'est pas grave. Je me dbrouillerai. Va ton chemin. Va ton chemin. Raphale sait qu'il est prs d'elle, toujours vivant. Jean Mambrino
Raphale B[LLETDOUX Chre Madame, ma fille cadette Grasset, 1997, 230 pages, 105 F.
En quatre-vingt douze pages, ce premier roman impose l'pure et la concision d'une terrible parabole. Alors que des milices quadrillent avec rgularit la ville et que des sections spciales excutent imperturbablement les noms indiqus sur leurs listes, Ode! et sa soeur Hamjha se font passer pour morts au milieu des cadavres en dcomposition de leurs parents. Ce huis-dos entre les deux adolescents condense toutes les effluves de la guerre peur, folie, indiffrence impuissante, couardise avilissante. Le lecteur reste saisi par cet univers qui l'a soudain happ. Une fois de plus les mots ont fait leur ravage, plus suggestifs dans leur brivet que le dfil des images de nos reportages. Pascal Sevez
Les lettres que le pre dposait en secret dans la chambre de sa fille sortant de l'enfance (si dsinvoltes, si pudiques et si tendres) trouvent aujourd'hui leur rponse, par del la mort, dans ce livre en forme de missive brise, hache, brlante, passionne. Tout y passe du pass, les souvenirs en miettes, les billets doux d'autrefois, les notes, les traces, les larmes, les merveillements secrets, les angoisses refoules, le drame terrible de la mort du pre de son pre (assassinat, suicide?), les frustrations, les appels, les fuites, tant de douleur et tant d'amour. On entend sous les mots tout ce qui n'est pas dit, tout ce
Mervyn PEAKE T'!t!M d'Enfer Roman traduit de l'anglais par Patrick Reumaux. Prface par Andr Dhtel. Phbus, 1998, 510 pages, 149 F. le signale exceptionnellement cette rdition, car il s'agit d'un des plus grands, des plus beaux romans de ce demi-sicle, le premier volume d'une trilogie (il faut esprer que les deux autres ne vont pas tarder suivre) dont l'originalit la mettra toujours part dans la littrature romanesque de tous les temps, dans tous ses
dtails, un monde nouveau, inconnu, proprement fabuleux et capable de susciter en nous une rverie sans fin (cf. Etudes, nov. 74, oct. 77, juin 80). Graham Greene, sa parution, s'merveillait. On a voqu son sujet Rabelais, Swift, Rimbaud. C'est tout autre chose, un conteur infini, un visionnaire l'tat pur, qui rvle tous nos secrets La traduction est superbe. Jean Mambrino
REVUE RBUVRES
Sciences sociales
Jean-Pierre LECoFF Mai 9M. L'hritage impossible La Dcouverte, 1998, 476 pages, 160 F. Livre magistral. Il inscrit Mai 1968 dans la ligne de 1936 et de la Rsistance, malgr des diffrences radicales. Au lieu de l'ouvrier lgendaire et du combattant clandestin, c'est l'tudiant qui est figure de proue, bientt rejoint par les syndicats entrs par la cale. Mai 1968 symbolise un sursaut de l'exaspration, un frmissement qui tourne l'bullition. Femme, enfant, cologie, temps du travail, qualit de la vie, nouveaux modes de vie familiaux, diffrences culturelles, autonomie thique, etc. ces thmes qui se croient neufs ont tous t conus en Mai. Les modes de vie ont plus t touchs que le politique ou l'institutionnel ce que traduit bien le juridique ou la jurisprudence. Le livre est d'abord historique. 11 s'interroge sur les conditions historiques de la divine surprise et sur ses prognitures abondantes et turbulentes (gauchismes, MLF,mouvements)ycens,sous-cu)tures.). L'tape suivante voit la transformation du gauchisme en ces mdecines sociales douces qu'ont t, que sont encore pour quelques-uns, l'cologie, les nouveaux philosophes , la deuxime gauche . Puis c'est l'instauration de la contreculture, qui, de l'underground initial, prend pignon sur rue par l'dition, les mdias, le cinma ou la politique (voir le parcours de Henri Weber, des sabots du trotskisme aux pantoufles du Snat.). Que de
matres, alors Althusser, Derrida, Foucault, Deleuze, Guattari, Lefevre, et tant d'autres! Quant l'hritage impossible , il consiste en ceci que l'individualisme exacerb de 68 n'a pu trouver toute sa place dans le social. Il s'est donc retir dans la sphre prive et, au lieu de rester don de soi, a vir l'gosme cynique. Pourtant, conclut l'auteur, Mai 1968 a enfant une question politique qui interroge toujours, et radicalement, la lgitimit de la reprsentation politique et qui se porte maintenant au cur de la question europenne. Tandis que le politique dpose servilement les armes aux pieds de l'conomique, il n'est pas impossible qu'une part de l'hritage de Mai 1968 rappelle l'importance du contrat politique et du dialogue social dans l'Europe des passions dmocratiques . Pierre Mayol
Luis MARTINEZ La Guerre civile en Algrie CERI/Khartala, 1998, 430 pages, 160 F.
Les tudes objectives et rflchies sur la guerre d'Algrie sont multiples, mais rarement de valeur. En voici une o se recoupent les expressions des tapes d'une histoire tragique et la rflexion rigoureuse sur les composantes de ces tapes. Aprs avoir t phare du tiers monde et recherche de transition dmocratique, l'Algrie est passe la guerre civile aprs l'annulation des lections lgislatives de 1991. La cause en semble sans hsitation l'avnement souhait de l'islamisme. Mais cette violence a t vcue progressivement comme dveloppement d'un imaginaire social et historique de la guerre. Une expansion du FIS sembla, ds le dbut, avoir favoris une arme autour d'un petit noyau. L'chec apparent de l'tat, probable ds les origines, a alors cd la place l'importance des petits commerants qui, sans se rfrer l'islam, ont ouvert les
boutiques au trafic profitable au quartier . Les gens venus de la Casbah l' Eucalyptus (quartier de boutiques en banlieue) s'orientent vers un tat minimum . Lecostume du FISs'efface; l'islam verse dans le Djihd. partir de 1993, c'est l'hsitation devant la guerre civile, contre un GIA en crise financire. Les bandes apparaissent, puis cdent devant le rle de la grande exploitation et celui des spculateurs les petits satisfont aux besoins immdiats et laissent le crime (Bab El Oued) agir dans le dsordre. Les moudjahidin humilis tentent de ragir contre les critiques des islamistes. Les milices ragissent contre les uns et les autres, jusqu' la formation des gardes communales . La guerre se consolide pour le long terme, appuye par la victoire de l'tat, de plus en plus riche (apport financier international), contre les islamisants, toujours actifs. On assiste ainsi la lutte entre les privilgis et les victimes force des notables, Walis, maquisards qui volue vers le combat du bandit politique Cet affrontement prend diffrentes formes, selon son origine. Les fidles du FIS agissent par appel d'un triple registre politique, religieux, footballistique . Le GIA tente de se renforcer face au pouvoir des mirs. On s'oriente vers la priorit donne aux noyaux durs du ngoce. Le pouvoir rappelle l'poque ottomane. La guerre entre ces acteurs est l pour longtemps. Jacques Sommet
Michel NiAUSSAT
LesPrisonsde la honte
Desde De Brouwer, 1998, 140 pages, 98 F.
Cette dnonciation du systme carcral franais, qui s'ajoute opportunment tant d'autres restes sans cho, ne concerne directement que les maisons d'arrt, c'est-dire les tablissements pnitentiaires dans lesquels croupissent plus de la moiti des personnes incarcres en France, qui, bien que prsumes innocentes au regard de la loi, sont dtenues provisoirement <et prventivement , dans l'attente (parfois pendant plusieurs annes!) d'un jugement qui pourra les condamner ou les acquitter. L'auteur, aumnier de la maison
d'arrt du Mans pendant vingt ans, livre l, au moment o il vient de donner sa dmission d'une fonction qu'il avait d'abord assume titre provisoire, un tmoignage sans complaisance sur les conditions dans lesquelles vivent encore, notre poque et dans l'indiffrence gnrale, les tres humains que la patrie des droits de l'homme estime devoir emprisonner. Le livre se termine par le rcit de la rencontre de l'aumnier avec l'actuelle ministre de la Justice, aprs la publication d'une lettre ouverte dans le journal OuestFrance. Madame Guigou saura-t-elle faire preuve de plus d'efficacit que ses prdcesseurs? la question est poseAndr Legouy
En France et en Allemagne, les modles nationaux, dont on souligne le plus souvent les diffrences, se trouvent mis en question par l'arrive des immigrs. Ce livre s'applique montrer ce qu'il advient concrtement des identits, celle de la nation et celles des immigrs, dans les deux pays. Une comparaison avec les Etats-Unis aide faire ressortir les singularits et les traits communs. Au-del des mots, des reprsentations et des traditions imagines, des tensions, des violences et des peurs bien relles apparaissent. L'on assiste, en Allemagne comme en France, une politisation des identits qui risque de conduire l'impasse. L'auteur estime que la ngociation des identits est la seule voie dont dispose un Etat dmocratique pour faire face la situation et tablir un nouveau compromis historique. Jean Weydert
Dans son avant-propos, celui qui l'on doit l'abolition de la peine de mort en France nous fait comprendre pourquoi il a jug utile de rditer ce livre, crit aprs l'excution, en novembre 1972, de Claude Buffet et de Roger Bontems, condamns mort par la Cour d'assises de Troyes, aprs un double meurtre perptr au cours d'une prise d'otages dramatique la prison centrale de Clairvaux dans bien des Etats, prtendument civiliss, le meurtre lgal continue svir, et dans certains autres, o il a t aboli depuis plus ou moins longtemps, resurgit priodiquement, notamment en France, la vellit passionnelle d'un retour en arrire. Cet mouvant rcit, qui se lit d'une traite, o l'avocat de la dfense nous fait revivre pas pas l'exprience dchirante qu'il a t conduit vivre, invite une rflexion salutaire sur les invitables faiblesses de la justice et sur la monstruosit archaque de la peine capitale. Andr Legouy
Philosophie
Albert MEMMI Le Buveur et l'amoureux
Lepnxd~~dfpend<!ncf.Ar)a,1998,254 pages, 120 F. Jean-Michel REY La Part de l'autre PUF, Bibt. du Collge International de Philosophie, 1998, 258 pages, 118 F. Le livre d'Albert Memmi a mille facettes, malgr l'unicit du sujet. Tout tourne autour de la dpendance l'homme est un tre dpendant, la dpendance appelle pourvoyance. Duos multiples, caractristiques de l'existence humaine. La morale, la fin du livre, trouverait son fondement dans la dpendance-pourvoyance mutuelle sagement amnage. Les
Riva KASTORYANO
hommes ont besoin les uns des autres. Cette morale est toute sociale. Morale de survie peut-on ajouter selon plus d'une allusion. Ou encore, morale de substitution de substituts (des mthadones *] aux dpendances trop fortes, destructives. Memmi a justement analys de manire remarquable, au centre du livre, un certain nombre de dpendances, non tant amoureuses que sexuelles (pourquoi l'amoureux dans le titre?), violemment destructrices, d'aprs quelques grands films, Scnes de la vie conjugale de Bergman, Pcmer de nuit de Cavani, Empire des sens de Oshima. On peut certes lui demander mais qu'est-ce qui dicte la substitution ? Qu'est-ce qui dicte la ngociation modratrice capable faire chapper de la destruction ? La survie, pas la libert, dit-il. Mais pourquoi survivre, si ce n'est pas par quelque lvation de soi-mme au-del de soi-mme ? Sinon, s'enfoncer n'est-il pas plus sens? Simples questions, qui signifient, la fois, que la dmarche de l'auteur conduit loin, en cela il sduit, mais laisse pourtant insatisfait. Je me permets de rapprocher ( tort?) le livre de Memmi de celui de Jean-Michel Rey, subtil, pntrant, attach lui aussi une analyse de la dpendance. Dans le crdit illimit accord aveuglment au texte d'un autre pris comme modle (Erasme), dans la confiance donne telle forme de discours suppos faire autorit (Valry), dans l'trange dsir d'asservissement qui conforte le pouvoir tyrannique (La Botie), dans ces trois figures dissemblables que je rapproche, je retrouve, dit-il, autre chose en partage l'incessant dialogue du donner et du recevoir.Plus prcisment, les trois auteurs mettent l'accent sur les diffrents drglementsdu mcanisme qui combine ces deux verbes. Il y a un rapport, assurment, entre cette thorie du crdit et celle de la dpendance et de ses excs dments. Et encore Ds que quelque chose s'lve, prend de la hauteur en tentant de faire autorit ou d'instaurer un pouvoir, apparat en mme temps le danger d'une retombe, d'un effondrement. Mais les difices qui se dfont si facilement, poursuit Jean-Michel Rey, ne sommes-nous pas invits examiner comment ils ont t construits? Il faut reconstruire les crdits , dit par ailleurs Valry.Leons de sagesse. Jean-YvesCalvez
Cianni VAnMO Esprer croire Trad. de l'italien par Jacques Rolland. Le Seuil, 1998, 112 pages, 85 F. La tradition, le pass, l'hritage se vivent tout autrement selon les cultures Par sa simplicit mme et par son vidence, ce livre court d'un philosophe chevronn, aux avant-postes de la pense moderne, ne pouvait venir que d'un Italien. Comme les tagements millnaires de Rome, qui enchantaient Freud, comme tout le pass intangible qui en Italie envahit la campagne et la ville, bien indiffrents aux dsenchantements des dandys franais (faut-il, ne faut-il pas aimer Venise?), le catholicisme charrierait lui aussi quelque chose; cet irrductible aux dogmes, ce n'est ni une morale, ni une discipline, ce n'est pas une pit; le temps l'prouve sans l'abolir. Demeure donc pour Vattimo, par del les autoritarismes, par del la lutte des clans et des idologies, une sorte de mmoire ou de style, un singulier irremplaable dans la scularisation mme Je ne vous appellerai plus serviteurs, mais amis Survivance infantile? Reste d'un sentiment de dette envers la mre? Besoin de se raccrocher aprs des rvoltes successives? L'essentiel n'est pas l chez Vattimo C'est trs en de de pareil intellectualisme. La tradition est comme une sdimentation reconnue librement, sans ressentiment, sans servilit. Une faon d'tre attentif quelque chose qui n'existait pas avant sa marque et qui dborde toute matrise et toute autorit. Son lieu est le corps-sentinelle. Un beau livre, plein de retenue, sur un sujet srieux et qui ne prtend pas au srieux la griffe italienne, fart de la mmoire et de la distance, nostalgique de rien, se souvenant de tout. Guy Petitdemange
Kierkegaard aujourd'hui Actes du colloque de la Sorbonne, dits et rdigs par Jacques Caron. Odense University Press, 1998, 180 pages. Les travaux mens depuis ces vingt-cinq dernires annes ont profondment modifi notre lecture de Kierkegaard. Ce colloque tenu Paris en octobre 1996 fait le
point sur la recherche en France et au Danemark, avec la participation d'intervenants des deux pays, dont les interventions ont t judicieusement couples pour se rpondre. De la ncessit, rappele par Rgis Boyer,de bien situer Kierkegaard dans son monde, dcoule un certain nombre de questions dlicates sur les rapports entre la vie et l'oeuvre Ces questions sont ici redoubles par le lien singulier que Kierkegaard entretenait avec ses crits. Pour le lecteur franais, le passage d'un univers culturel un autre n'est pas facilit par les multiples filtres travers lesquels t'uvre a t progressivement reue en France. L'expos dtaill de Franois Bousquet sur la rception du penseur danois dans la thologie franaise est clairante ce sujet. Un champ de recherche important apparat au terme de ce colloque, celui du langage et de ce qui le constitue intimement chez Kierkegaard le silence et le don. Silence et don seraient deux belles mtaphores pour voquer le regrett P. H. Tisseau et son patient travail de traduction. Un entretien avec sa fille, qui a poursuivi son uvre, referme avec bonheur les actes de ce colloque. Philippe Chevallier
Robert DAMIEN (sous la dir. de) Franois Dagognet m Epistmologue, decin, philosophe.Une philosophie t'utre. Synthlabo, coll. Les Empcheurs de penser en rond, 1998, 304 pages, 149 E Franois DAGOGM~r Savoir et pouvoir en mdecine Synthtabo, coll. Les Empcheurs de penser en rond. 1998, 288 pages, 149 F. Franois DACOCNET Des dtritus, des dchets, de l'abject. Une philosophie cologique Synthlabo, coll. Les Empcheurs de penser en rond, 1997, 94 F. Dans la ligne de Bachelard et de Canguilhem, Franois Dagognet a renouvel l'pistmologie et l'histoire des sciences. La mdecine et son histoire, ses mthodes
et son thique mdecin et philosophe, Dagognet a ouvert une voie o peu se risquent. Un ouvrage (issu d'un colloque tenu Besanon en 1996) rassemble des communications varies, l'image du penseur qui est leur sujet. Il fait dcouvrir les facettes d'un philosophe auquel l'humour ne manque pas (on lira, en particu La lier, l'apport de Rgis Debray diagonale du sage ). Dagognet rflchit sur la dontologie mdicale. On retiendra qu'elle a besoin d'un regard philosophique sur les mthodes et l'envers de la thrapeutique. On se rjouit de pouvoir disposer d'un recueil de ses meilleurs articles sur le pouvoir et le savoir en mdecine . Dagognet est foisonnant sans jamais tre vide, prolixe sans tre verbeux. Une belle langue le rend ais lire. Depuis longtemps, le thme de la matrialit le retient. Convaincu de la vanit des dualismes, Dagognet va jusqu'au bout du raisonnement l'enqute sur l'abject, le rsidu de nos poubelles, ce qui nous dgote et provoque notre rpulsion, mais qui est ntre. Miroir de la culture, le dchet est le rcit, la trace de ce que nous vivons. On pourrait croire une plaisanterie, un bon tour. C'est une hyltique de la matire , une relle mtaphysique, que nous sommes convoqus. Elle nous capte, au point d'en dvorer d'un trait les attendus sous la plume brillante de Dagognet. L'abjectologie est ne, et l'auteur inaugure pour elle de beaux jours. Pourquoi ne pas parler d'une intuition philoCe que nous sophique majeure? mprisons (nos rebuts et ceux qui s'en chargent) avoue la sgrgation qui habite la socit. Les moins-tres racontent nos manques tre. Par une brillante grammaire du presque rien , du plus valoris (les fragments) au plus rejet (l'excrmentiel), nous sommes amens une rflexion limpide sur la culture ambiante et son catharisme forcen. Le gras et les cailloux ne sont pas ce que l'on croit. Amateur d'art contemporain, Dagognet s'appuie, avec la science, sur l'esthtisation du dchet, afin de rhabiliter une matire qui n'est fte que dans ses exploits . Contempler la vrit dans le
juive l'une et l'autre tenues par leur histoire ? Les voyages de l'une, les patientes de l'autre, la maternit des deux, sont l'occasion de dtours qui ne manquent ni d'intrt ni de sduction. On suit le parcours propos travers la transe, le corps, la terre et Dieu, l'humilit et l'indicible, le sacrificiel, l'interdit, l'imaginaire, l'ignoble ou le noble; de Dostoevski ce bon Winnicott de l'impatience agressive de l'une la rflexion rserve de l'autre. Aux dernires pages de cette correspondance, Julia Kristeva dit garder de ces esquisses l'impression d'un mouvement brownien Nous aussi. Franoise Le Corre
Jean-YvesCALVEZ Socialismes et marxismes Inventaire pour demain. Seuil, 1998, 228 pages.
minuscule, voire le repoussant on aura devin que le projet de Dagognet est hauteur de morale. Un grand livre. Luc Pareydt
Catherine CLMENT JuliaKMSTEVA Le Fminin et le sacr Stock, 1998, 300 pages. 120 F. C'est la mode faut-il s'y faire? d'crire deux voix, mdiatiquement clbres et connues pour de plus ambitieux travaux. Le ton est ici celui, dguis, de la correspondance, avec ses alas calculs et des complaisances dont on est en droit de dire qu'elles agacent. Le but est-il de faire croire que le srieux affleure tout natureHement par la grce de deux intellectuelles d'exception, en mesure de dialoguer, bien que d'opinions divergentes, toi athe chrtienne, moi athe
Indiffrent aux modes du pret-penser Jean-YvesCalvez esquisse ici un bi)an,)a fois critique et positif, de l'apport des ides socialistes et marxistes. Son point de vue n'est pas inspir par l'air du temps, mais par une haute exigence morale et sociale. Son point de dpart est une constatation importante le fondement ultime du socialisme sous toutes ses formes. Ce qui le distingue du libralisme, c'est une rflexion anthropologique les tres humains font a la socit et peuvent donc la transformer. Evidemment, les diffrentes familles socialistes n'ont pas la mme approche de ce processus de transformation sociale pour Marx, c'est la rvolution qui est la forme mme du changement historique; pour Eduard Bemstein et Lon Blum, les changements profonds peuvent tre paisibles et lgaux. En tout cas, ajoute J.-Y.Calvez, il faut se mfier d'exclure le tragique et l'enthousiasme du devenir social Pour le libralisme (Hayek), le march, processus impersonnel, ne peut pas se conformer des prceptes moraux. Or, observe l'auteur, maintes situations impersonnelles sont insupportables ou contraires la dignit de l'homme. C'est l'objectif du socialisme de porter remde ces situations sans justice sociale, pas de vrai respect mutuel, pas de dignit partage, ni de libert pour tous . Malgr leurs diff-
rences videntes sur les voies du changement rvolution et expropriation pour ['un, mutualisme et coopratives pour l'autre Marx et Proudhon partagent la critique de la domination du capital priv sur le travail et la vision du socialisme comme un humanisme du travail. L'aspect doctrinaire de la pense socialiste en gnral, et de Marx en particulier, est, selon J.-Y.Calvez, la croyance dans un sens de l'Histoire dj historiquement prdtermin l'avnement ncessaire du socialisme. Cette vision progressiste est inspire par la confiance aveugle dans un vent de l'Histoire conduisant les vaisseaux, finalement, inluctablement, au port entrevu . On court ainsi un danger de perte de substance thique ou d'affaiblissement, la radicalit de l'appel moral du socialisme. Il faudrait donc concevoir l'avenir comme demeurant ouvert, puisque les tres humains ont la possibilit de se faire euxmmes, selon l'essence de leur libert. Conclusion de l'auteur le socialisme doit dpasser son recours excessif l'Etat et son enfermement dans une doctrine du sens de l'Histoire; mais il demeure riche de l'ide de justice sociale, de sa critique de la proprit prive et du capitalisme, et de sa valorisation du social et du travail. Michael Lwy
REVUE DtSUVRES
liques sont traites avec un regard critique, sans fausse idoltrie, mais avec attention et respect, dans la conscience nette de l'clairage apport par la foi. Plus d'une fois, travers l'objectivit de l'historien et la lucidit du critique littraire, percent la rflexion ou l'observation personnelle. Ainsi lorsque, dcrivant les lieux habituels de l'action de Jsus, il observe qu'ils se trouvent frquemment dans les zones frontires, en territoire juif, mais tout proches de l'tranger. Un chapitre trs important est consacr la Passion et aux problmes poss par les rcits, la fois parallles et souvent trs diffrents d'un vangile l'autre. Peu port admettre l'existence de deux vritables procs, sensible la tendance des chrtiens dans l'Empire attnuer les responsabilits romaines, Charles Perrot ne minimise pas pour autant le poids et la dtermination des ennemis juifs de Jsus, tout en notant que les grands responsables de la mort sont les prtres et les notables du Temple, non le peuple comme tel. Un beau livre, dense, riche, sobre, parfaitement juste. Jacques Guillet
AUGUSTIN
Questions religieuses
Charles PERROT Jsus Puf, coll. Que sais-je?, 1998, 128 pages. En 128 pages et pour le prix d'un livre de poche, Charles Perrot, avec son exprience, sa pntration et sa modestie, fait le point de nos connaissances actuelles sur Jsus et le regard qu'on peut porter sur sa personne et son oeuvre. Prsentation du travail de l'exgse, description des courants juifs de l'poque, du mouvement baptiste en particulier, des conditions politiques et sociales les donnes historiques et littraires sont exposes avec sobrit et efficacit. Les donnes vang-
La Doctnne chrtienne (De doctrina christiana) Introduction et traduction par Madeleine Moreau. Notes complmentaires d'Isabelle Bochet et Goulven Madec. Bibliothque augustinienne 11/2, 1997, 626 pages. Le De doctrina christiana, d'abord destin de futurs prdicateurs, reprsente l'une des contributions majeures de la littrature patristique l'hermneutique de la Bible. On trouvera ici une nouvelle traduction de cette uvre, mais aussi une introduction substantielle et, surtout, quelque cent-cinquante pages de notes comptmentaires qui permettent d'dairer des thmes fondamentaux de la pense d'Augustin. La plupart de ces notes sont consacres l'exgse de la Bible signalons, en particulier, la note 2, sur
l'hermneutique augustinienne (ellemme confronte aux approches contemporaines de H.C. Cadamer ou de P. Ricur), et la note 7, sur le statut de l'Ecriture sainte (comprise par l'vque d'Hippone comme une < mdiation ncessaire, mais provisoire '). D'autres notes proposent d'excellentes mises au point sur le thme de la grce, sur le juste usage de la culture, sur les tapes de l'itinraire spirituel autant de questions souleves par le De doctrina christiana, mais qui, au-del de ce trait, occupent une place centrale dans l'ensemble de la pense augustinienne. Michel Fdou
FadieyLovsKY Robert MASSON La Fidlit de Dieu Ed. Saint Augustin/Cerf, 1998, 304 pages. Cette srie d'entretiens avec Robert Masson donne la biographie spirituelle de Fadiey Lovsky.Membre de l'Eglise Rforme de France, F. Lovsky est l'auteur de plusieurs livres consacrs aux liens spirituels entre chrtiens et juifs. H livre ici ce qui inspire toute sa vie, la conviction que la fidlit de Dieu envers Isral ne s'est pas dmentie. L'ignorance, le mpris, la duret de cur sont des facteurs de divisions; il y a pour F. Lovskyune parent troite entre la thologie de la substitution, qui prtend que Dieu a rompu l'Alliance avec Isral, et toutes les divisions qu'a connues le christianisme. F. Lovsky appartient la premire gnration de la grce oecumnique , il a la passion de l'unit de l'Eglise. Il invite les chrtiens ne pas absolutiser leurs diffrences, mais les considrer avec intelligence et amour, en sachant en dceler la cause, quand c'est possible, dans les troitesses d'esprit et de coeur. H invite une dmarche analogue envers le peuple juif. H condamne catgoriquement l'antismitisme, sans le confondre pour autant avec la rupture entre juifs et chrtiens au 1" sicle; en effet, mme dans les rencontres vraies, sans antismitisme ni prjugs, entre juifs et chrtiens, demeure la difficult initiale, celle de l'identit de tsus. Un beau livre spirituel. Genevive Comeau
Xavierde MoNTCLOS Rformer l'Eglise Histoiredu rformismecatholiqueen France de la Rvolution jusqu' nos jours. Cerf, 1998, 208 pages, 140 F. Trois ensembles principaux donnent l'ossature du livre, en trois chapitres les prtres constitutionnels gallicans modrs, autour de l'abb Grgoire; les vques qui se sont opposs, entre 1848 et 1870, aux fureurs ultramontaines entretenues par Pie IX; les thologiens, comme Yves Congar, qui ont anim en France, des annes 30 Vatican Il, une recherche critique responsable. Les deux premiers chapitres seront particulirement utiles, me semble-t-il, qui donnent une image claire des positions et questions en jeu, selon les interprtations actuellement les mieux tablies. Quant au rapprochement de ces trois ensembles, i) n'est pas comprendre selon la continuit d'un mouvement se reproduisant lui-mme. ou d'un courant de pense homogne. Les analogies cependant sont relles, selon l'auteur; d'un point de vue institutionnel, le souci existe, dans chacune de ces constellations historiques, de donner consistance des responsabilits exerces collgialement pour la vitalit de l'Eglise. En mme temps, X. de Montctos fait volontiers cho certains de ces rformateurs quand ils appellent les chrtiens ne pas se replier sur les questions d'organisation, au dtriment d'une parole missionnaire de proposition de la foi. PierreVallin
YvesCHIRON Enqute sur les canonisations Perrin, 1998, 312 pages, 139 F.
Un intrt soutenu est entretenu par les historiens t'gard des formes historiques de la saintet La saintet , comme mise part de certains dfunts, selon des rgles reconnues, canoniques , vient consacrer ces dfunts en exemples et secours pour le groupe chrtien entier (du moins dans les traditions catholiques d'Orient et d'Occident). Ces rites et ces dcisions rvlent de faon minente la
vie historique des idaux cultivs dans le groupe chrtien, les modalits de sa pratique dans le discernement du juste et du vrai, les attentes, enfin, qui sont cultives par lui vis--vis du divin en ce monde et dans l'autre. L'ouvrage d'Yves Chiron est une synthse fortement documente et rdige avec talent des travaux concernant cette histoire. L'expos est color par l'intrt de l'auteur pour les traditions de la droite monarchique et pour les luttes de Rome contre le libralisme. Des bilans sont tracs clairement ainsi sur la multiplication des dcisions sous Jean-Paul Il, dont les motivations sont suggres; certes, ce phnomne rcent incite relativiser la porte attribue autrefois de telles dcisions. Yves Chiron fait aussi le bilan des causes introduites dans le cas personnel des derniers papes, de Pie XII Paul VI. )e signale que l'excellente revue italienne CrMttan~inK'nella Storia vient de consacrer un numro spcial (octobre 1997) aux saints en Italie depuis la fin du xvm*sicle; un article traite plus amplement, sur des documents nouveaux, de la proposition qui avait t faite, aprs la mort de Jean XXIII, de canoniser celui-ci dans le cadre conciliaire de Vatican Il. PierreVallin
RtVUEDtSUVKES
leur animateur est Frdric Ozanam luimme, revenu provisoirement de Paris. Il envoie la direction parisienne des rapports dtaills fort clairants. Bon nombre d'autres lettres ont, au contraire, pour occasion les diverses activits professionnelles exerces successivement par l'auteur, des lettres d'affaires en quelque sorte. D'autres lettres ou billets, la famille de sa femme en particulier ou des amis, montrent plus directement en son intimit l'universitaire que l'Eglise romaine honore dsormais au rang liturgique des bienheureux. Pierre Vallin
Bertrand de MARCEfuB L'Abandon Dieu Histoire doctrinale. Tqui, 1997, 300 pages, 133F. F. Je me suis attach ce que Bertrand de Margerie dit de la spiritualit ignatienne. Citant beaucoup les Constitutions de la Compagnie de lsus, il souligne la connexion de l'abandon Dieu, chez Ignace, l'obissance hirarchique. Peuttre ne donne-t-il pas alors assez de poids un thme comme celui de la prire des Exercices Prends et reois, Seigneur, toute ma libert. tout ce que j'ai et tout ce que je possde. Donne-moi de t'aimer, donne-moi cette grce (ou donne-moi ta grce), celle-ci me suffit *? 11est vrai que c'est une remise Dieu du pass, du prsent, de l'avenir de l'homme, totale, mystique aussi, que B. de Margerie repre et dcrit dans les grandes spiritualits du monde, tant chrtienne que juive, islamique que bouddhiste. Et c'est en dfinitive d'une dimension fondamentale de l'existence qu'il est question, perspective fort prcieuse dans la rencontre contemporaine entre les religions et mme entre les expriences non religieuses et religieuses. Jean-YvesCalvez
Frdric OzANAM Lettres Edition critique sous la direction de Didier Ozanam. Vol. 5 Supplment f( Tables.Klincksieck, 1997, 250 pages. Commence en 1961, l'dition critique des Lettres de Frdric Ozanam s'achve avec ce volume, qui offre, pour l'ensemble de la publication, une Table des correspondants (avec une brve notice biographique pour chacun) et un Index gnral (tous les noms de personnes et de lieux, plus des mots-clefs correspondant des priodiques ou des institutions). La premire partie du volume (p. 1 154) dite des lettres retrouves aprs la publication des volumes prcdents ou, dans quelques cas, une version meilleure que celle qui avait t retenue auparavant. Plusieurs de ces lettres clairent l'histoire des Confrences de Saint-Vincent-de-Paul, celles de Lyon en particulier, durant la priode o
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5 et Photocomposition PAO AssasEditions Flashage Repflash Impression Imp.Saint-Paul, 5000Bar-le-Duc CPPAP 65513 ISSN 0014-1941 Dptlgal parution Lesnomset adressesde nos abonnssont communiqus nos services de internes, d'autresorganismes presseet socitsde commercelis contractuellement AssasEditions.Encas d'opposi3886 s tion, la communicationera limiteau servicede l'abonnement. ? 5-98-0947
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Quartiers, pays , coopration intercommunale, rle des rgions, espaces nouveaux de communication. Les territoires se transforment, plus poreux, plus divers. Entre amnagement rationnel (le territoire comme march pertinent) et capacit de mobilisation (le territoire comme lieu de solidarit et d'interdpendance), quelles cartes se dessinent ? L'organisation politique n'est-elle pas dcale face cette diversit ? Les territoires des hommes A. Frmont, gographe La multicarte des territoires L. -A. Grard- Varet et 7~Paul, Greqam Espaces d'autorit ou de solidarit L. Laurent, E N S A I Territoire de Phpita) ou territoires de la sant ? B. Marrot, Agence Rgionale de l'Hospitalisation du Centre Fabriquons du pays, i) en restera toujours quelque chose Giraut et R. Lajarge, gographes La gense d'un pays P Houe, Association Centre Bretagne Dveloppement Le politique impertinent ? 7. Worms, Centre de sociologie des organisations Produire des territoires cohrents J.-L. Guigou, Datar Hors dossier Eiiii-elieit vecEmma Bonino, coipi,~iiss(iii-C a h ciii-ol)ellile 1'tii(le ili)l(lllit(lile poiliEn ventedanslesgrandeslibrairies voscoordonnes votrerglement et Pourrecevoir e numro, nvoyez c e PROJET -14,rue d'Assas 75006 PARIS Tl. bl 44 39 48 48 Minitel 36 15 SJ* PROJET http:perso.wanadoo.fr/assas-editions
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Panorama de crise en Asie SOPHIE BOISSEAU[ DU ROCHER Koso\o la guerre invitable ? JEAN-ARNAULT DERENS Crimes sexuels l'obligation de soins 1 HUDON Le baccalaurat au pluriel DANIEI. BLOCH Plaidoyer pour une nouvelle rhtorique PHI LIPPE BRETON Edith Strin, l'histoire en secret MARGUERITE LENA L'unification de l'Europe et le rle de l'Eglise PETER HANS KOLVENBACH Le GRl\I ou l'invention du son PIOUD .JEAN-FRANOIS
Figures Carnet Notes libres: de thtre, de lecture, Qu'est 68 devenu ?
Expositions livres
98 de Naiites
PERSPECTIVES SUR LE MONDE Panorama de crise en Asie SOPHIE BOISSEAU DU ROCHER La crise asiatique n'est pas une simple crise montaire. C'est la crise d'un modle conomique et la remise en cause d'un certain schma socio-politique. De quoi raviver les questions de sens face la croissance, la modernit et la mondialisation. Kosovo: la guerre invitable? JEAN-ARNAULT DERENS Les vnements tragiques qui ensanglantent le Kosovo ont sign l'chec de la politique de rsistance non violente mene depuis 1992. Sans doute la phase finale de l'clatement de l'ex-Yougoslavie. Un moment dcisif de la guerre des Balkans. SOCIETE L'obligation de soins MARIE-CLAUDE HUDON Traumatise par les agressions sexuelles, la socit exige de la justice une prvention efficace, laquelle parat rpondre l'obligation de soins. Le mdecin se trouve alors en premire ligne, dans un rle qu'il ne peut endosser sans vigilance. Le baccalaurat au pluriel DANIEL BLOCH En 1985, J.-P. Chevnement proposait l'objectif de 80 % de jeunes au niveau bac pour l'an 2000. Il s'agissait de tenter de sortir d'une socit duale, minorit privilgie et formation longue d'un ct, majorit et courte formation professionnelle de l'autre. O en est-on? FIGURES LIBRES Qu'est 68 devenu? Mais... Mai (H. MADELIN) - Paris-Prague (P. GREMION) - Le mal court. Le bien aussi (F. LE CORRE) - Un pre de 68: Marcuse (J.-L. SCHLEGEL) - La nongnration (B. GUIGUE). ESSAI Plaidoyer pour une nouvelle rhtorique PHILIPPE BRETON Le dbat public est soumis toutes sortes de manipulations. Les protagonistes eux-mmes n'en sont pas toujours conscients, mais les dgts sont rels. D'o l'urgence de refondre les normes de la parole dans l'espace public et de faire merger une nouvelle rhtorique. RELIGIONS ET SPIRITUALITES Edith Stein, l'histoire en secret MARGUERITE LENA "Ne nous htons pas de poser sur Edith Stein une tiquette, ft-elle en forme d'aurole. Laissons-nous mener en ce lieu de la Croix, gond et pierre d'achoppement de l'histoire universelle comme de nos histoires singulires..." L'unification de l'Europe et le rle de l'Eglise HANS PETER KOLVENBACH Les Eglises n'ont pas dfinir les formes politiques de l'Europe de demain. Mais elles sont conscientes que la dtermination vivre en Europe d'une faon europenne fait partie de leur responsabilit, au nom de l'Evangile. ARTS ET LITTERATURE Le GRM ou l'invention du son JEAN-FRANCOIS PIOUD A peine g de 50 ans, le Groupe de Recherches Musicales vient d'entrer dans l'histoire. Mais qu'est ce GRM, inventeur et conteur de l'aventure de la musique concrte, devenue lectroacoustique puis acousmatique? Carnet de thtre JEAN MAMBRINO de CORNEILLE - de Sebastian BARRY. Expositions LAURENT WOLF
Cinma JEAN COLLET, XAVIER LARDOUX de Franois OZON - de Barry LEVINSON. Notes de lecture PHILIPPE CHEVALLIER: Revue des livres