Medievales - Num 25 - Automne 1993

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N 25 -AUTOMNE
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Revuepublie
avecleconcours
duCentre
National
desLettres
etduC.N.R.S.

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MDIVALES
Langue Textes Histoire
NUMROS PARUS

1
2
3
4
5
6
7
8
9
10

Mass-mediaet Moyen Age. (1982). puis


Gautierde Coinci : le textedu Miracle. (1982). puis
Trajectoiredu sens. (1983)
Ordreset dsordres.tudesddies JacquesLe Goff.(1983).puis
Nourritures.(1983). puis^
Au pays d'Arthur.(1984). puis
Moyen Age, mode d'emploi. (1984). puis
Le souci du corps. (1985). puis
Langues. (1985). puis
Moyen Age et histoirepolitique. Mots, modes, symboles,strucde GeorgesDuby. (1986). puis
tures.Avant-propos
11
A l'cole de la lettre.(1986)
12
Tous les chemins mnent Byzance. tudes ddies Michel
Mollat.(1987)
13
Apprendrele Moyen Age aujourd'hui. puis
14
La culturesur le march.(1988)
15
Le premierMoyen Age. (1988)
16/17Plantes,metset mots : dialoguesavec A.-G. Haudricourt.(1989)
18
Espaces du Moyen Age. (1990)
19
Liens de famille.Vivreet choisirsa parent.(1990)
20
Sagas et chroniquesdu Nord. (1991)
21
L'an mil : rythmeset acteursd'une croissance.(1991)
22/23Pour l'image. (1992)
24
La renomme.(1993)

paratre:
26
Savoirs d'Anciens,(printemps
1994)

, PUV, Saint-Denis, 1993


Couverture : dessin de Michel Pastoureau

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MDIVALES
Revue semestriellepublie par les Presses Universitaires
de Vincennes-ParisVIII avec le concours
du Centre National des Lettres et du C.N.R.S.

ChristineLAPOSTOLLE
Michel PASTOUREAU
Danielle REGNIER-BOHLER
Bernard ROSENBERGER

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Laurence MOULINIER

Lad? HORD YNSKY-CAILLAT

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Les manuscrits,dactylographisaux normeshabituelles,ainsi que tes


ouvrages pour comptes rendus, doivent tre envoys :
MDIVALES
Presses Universitaires de Vincennes
Universit Paris VIII
2, rue de la Libert, 93526 Saint-Denis Cedex 02

15:05:58 PM

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SOMMAIRE

N 25 AUTOMNE

ET

1993

LA VOIX
L'CRITURE

La voix et l'criture: mergencesmdivales


Michel BANNIARD

Sulpice Svre tmoinde la communicationorale en latin la


fin du IVesicle gallo-romain
,
Jacques FONTAINE

17

Potique latine et potique vieil-anglaise:


pomes mlant les deux langues
Andr CRPIN

33

Les deux vies de saint Riquier :


du latin mdiatique au latin hiratique
Michel BANNIARD

45

Les langages en pays celtiques


Michael RICHTER

53

Sociolinguistiquehispanique (vine-xiesicle)
Roger WRIGHT

61

ESSAIS ET RECHERCHES
L'ide de la folie en texte et en image :
Sebastian Brandt et Yinsipiens
Angelika GROSS

71

Le sourire aux anges :


enfance et spiritualitau Moyen Age (XIIe au XVesicle)
ric BERTHON

93

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SOMMAIRE

Le pouvoir de la parole :
Adam et les animaux dans la tapisseriede Grone
Hilario FRANCO Jr

113

Abstracts

129

Notes de lecture
133
Pierre Le Vnrable, Les Merveillesde Dieu , prs,
et Denise Bouthillier
par Jean-Pierre Torrell
(D. Lett) ; Carmlia Opsomer, L'art de vivre en
sant. Images et recettesdu Moyen Age : le "Tacuinum Sanitatis" (manuscrit1041) de la Bibliothque
de l'Universit de Lige (B. Laurioux) ; MarieHenrietteJullien De Pommerol et Jacques Monfrin, La bibliothque pontificale Avignon et
Pehiscola pendant le Grand schisme d'Occident et sa
dispersion: inventaireset concordances(M. Aurell) ;
Anita Guerreau-Jalabert, Index des motifsnarratifs
dans les romans arthuriens franais en vers
(xw-xiw sicles) (M. A. Polo de Beaulieu) ; Catherine Velay-Vallantin, L'histoire des contes (M. A.
Polo de Beaulieu) ; Klaus Schatz, La primautdu
Pape. Son histoire, des origines nos jours
(G. Bhrer-Thierry) ; Aviad M. Kleinberg, Prophets in their own Country. Living Saints and the
Making of Sainthood in the Later Middle Ages (A.
Boureau) ; Jean Delumeau, La religionde ma mre.
Le rle des femmes dans la transmissionde la foi
(G. Bhrer-Thierry) ; Gene Brucker, Giovanni et
Lusanna. Amour et mariage Florence pendant la
Renaissance (L. Hordynsky-Caillat) ; C. Gauvard,
De grace especial . Crime,tat et Socit en France
la fin du Moyen Age (D. Lett).
154

Livres reus

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Mdivales
25, automne
1993,pp.5-16
Michel BANNIARD

LA VOIX ET L'CRITURE : MERGENCES

I -

MDIVALES

Du nouveau pour le haut Moyen Age ?

1) La priode considre dans ces tudes mrite pleinement


l'appellation de transitoire,dans la mesure o en amont de celle-ci,
l'historiense trouveconfront la fin (aux fins?) du monde antique
tardif,et en aval au dbut du Moyen Age classique . Vrai en gnral, ce caractreprend son plein reliefdans le domaine spcifiquede
l'histoireculturelleet, intrieure celle-ci,de l'histoirelangagire.Au
Vesicle, le monde occidental est encore assez clairementdivis en
deux ensemblesfonctionnantpar exclusion rciproque. l'intrieur
du limes imprialvit la Latinit, dfiniepar trois caractresprincipaux : 1) l'ensemblede ses locuteursest latinophone; 2) leur langue parle correspondune langue crited'usage trs gnral; 3) en
cettedernireest rdigeune littrature
plurisculaire.Aux margesde
ce limesvit l'tranger(la barbarie)qui rpondaux troiscritresopposs : 1) non seulementses locuteursparlentdes langues non latines,
mais aussi distinctesentreelles, et en outre fortementdialectalises;
2) sauf exceptions limiteselles sont dpourvues de forme crite;
3) en consquence,il n'existedans cet outland langagierpas de littrature autre qu'orale.
Au IXesicle, cette opposition, sans avoir totalementdisparu, a
profondmentvolu. l'intrieurde l'ancien limes, 1) la latinita
disparu pour laisser place la romanit,ou plutt aux romanits;
2) les nouvelles langues (romanes) sont dpourvuesde support crit
rgulier; 3) les nouvellesculturesqui percentsont ipso facto encore
vierges de littrature.Ainsi la pluralit langagire barbare est-elle
rejointepar la pluralitlangagireromane. Mais l s'arrteprovisoirementla convergenceentre romanitet barbarie. En effet,ds le
viic sicle, 1) les langues barbares commencent disposer d'une
orale se transforme
alors en littrature
tout
scripta; 2) leur littrature
court.
Ce renversement
des rapportsculturelss'effectuepar le biais d'un
mdiateurcommun, le christianisme.En effet,en tant que religion

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MICHELBANNIARD

du livre, de la loi, de la tradition,le christianismea t le facteur


principald'assimilationculturelleentreles peuples dits barbares,qu'ils
se soient installs- de gr (comme fderati) ou de force (cas de
de terresanciennement
la Bretagne)- l'intrieur
romaines,ou qu'ils
se soient peu peu ouverts,dans les espaces extrieurs, l'assimilation religieuse,l aussi pacifique (missions grgoriennes)ou brutale
a
(Drang nach Osten des premiersCarolingiens). La christianisation
en offrant
jou un rle assimilateur troisniveaux: 1) naturellement,
une religionunique communeaux diffrentes
ethnies; 2) en insrant
un fortcoefficient
en vertude ses propresstructures
de littrarit
dans
l'espace mentaldes nouveaux convertis; 3) en provoquant par effet
le passage de culturesethniquesendognesde l'oralitquasi
rtroactif
pure la littrarit.
Ds lors, l'ancien moule culturelcommun,cr du IIIe au Vesicle par la fusionentrel'hritagede la missionchrtienneet la tradiet juridique romaine,est devenuopratoire
tion scolaire,intellectuelle
dans l'mergencedes langues et des culturesdu haut Moyen Age.
L'orthographelatinesertde prototypeaux scriptaebarbares; la gram traverslesquelsles locumairescolaireproduitles filtreslinguistiques
teursgermanophones,celtophones,etc., analysentleur propreunivers
de parole ; la littraturelatine tardive (surtoutchrtienne)incite les
ces derniersen
dtenteursde savoirs littrairesoraux transformer
monuments la fois moins prissableset plus prestigieuxpar l'invention d'une littrature,cette fois au sens strict.
2) Cet enchanementautorise parler de transitionslatines.
La trilogiechristianisme,
latinit,romanit(au sens de cultureromaine)
a assum une fonctiondouble face aux langues et aux culturesdes
peuples extrieurs l'Empire : la fois de rpressionet d'effacement,
mais aussi de rvlationet d'affirmation.Du creuseto se renconles imaginaires,les lgendeset les voix
et interfrent
trent,s'affrontent
et le monde intellectuelet mental
scandinaves
celtiques,germaniques,
romain, latin et chrtien,naissentles littraturesmdivales,romanes ou non, une fois prcisment
que s'est acheve la transitionlatine.
l'intCette dernirea-t-elleopr selon des modes diffrents
rieurde l'ancienne Romania ? Le parallle parat s'imposer,avec les
mmesquestions la clef. En effet,parmiles changementsqui caractrisentces sicles entreAntiquitet Moyen Age figurela mtamorphose tonnanteau termede laquelle l'unit pluriellelatineavait cd
la place une diversitunitaireromane. Or, ce procs fit passer le
latin du statutde langue vivante celui de langue morte. la diffrence des domaines langagiers barbares, les historiensdisposent
des deux bouts de la chane diachroniqueavec un bout le latin des
chrtiens,et l'autre les premierstextesrdigsen scripta romane.
Mais l'abondance de documents, suprieure apparemment en ce
domaine romain, n'a pas permisde faire l'conomie d'une problmatique complexe.
En effet,c'est une questionancienneque de dterminer
quels rap-

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LA VOIX ET L'CRITURE

ports ont entretenusle latin parl tardif (LPT) (improprementdit


vulgaire) et le latin crit(LE), ainsi que le rapportexistantentre
le LE et le latin crit littraire(LEL), et par transition,entre LPT
et LEL. A partirdu momento Ton constate que la voix du LP a
une autre voie que celle du LE, autrementdit
choisi dfinitivement
ne donne
o, par une double divergence,la langue critetraditionnelle
plus qu'une image trs infidlede la langue parle spontane,et o,
paralllement,cettedernirene laisse plus gurereconnatreles caracil convientde se demantresvitauxde la langue critetraditionnelle,
der quelle est la chronologiedes phnomnesau termedesquels un
tel clivage a t install.
C'est entrele Ve et le IXesicle que le LPT s'est mtamorphos
en une nouvelle entitlangagire,que l'on dnommerapar symtrie
logique le roman parl archaque (RPA, ou protoroman,PR). Depuis
les annes 70, la sociolinguistiquertrospective
, labore peu peu
jusqu' devenirune sorte de science auxiliairetant de l'histoireculturelleque de la linguistiquediachronique, s'est efforcede consacrer cette mtamorphosel'attentionqu'elle requiert,de crer les
outils indispensables son tude, et de mettreen place une mthode
de recherche.Ces travaux ont abouti une redfinitiondes thmes
d'enqute caractrisspar la prise en considration: 1) des critres
d'mission des messages (critset oraux) ; 2) des conditionsde leur
rceptionselon les niveauxculturels; 3) de la gographielinguistique
de ces phnomnesaussi bien en diachronie qu'en synchronie.
Dans les annes 90, il est possible d'affirmerque la sociolinguisest parvenueaux conclusionssuivantes: 1) le latin
tique rtrospective
est demeurlangue de communicationgnrale en Occident jusqu'
une priodenettement
plus tardivequ'on ne l'admettaitjusqu'au tournant pistmologiquedes annes soixante; 2) la langue parle populaire s'est, corrlativement,
moins vite dtachede la langue mreque
ne l'enseignela philologieromane traditionnelle
; 3) l'usage de l'crit
est restassez gnral,mmeen Gaule mrovingienne
; 4) l'accs semidirectau latin est demeurpossible pour l'lite des lacs mme tard
dans le haut Moyen Age. Ces thses rassemblentactuellementdans
un certain consensus divers chercheurs europens: H. Astma ;
M. Banniard; J. Fontaine; M. Heinzelmann; J. Herman; R. Me Kitterick; M. Richter; M. Van Uytfanghe; R. Wright(cf. les repres
bibliographiquesjoints en III, B).
Les schmasdonns en II donnentle point actuel des recherches
en ce domaine. On aimeraitsaisir cette occasion pour attirerl'attention sur diverssujets pineux,qui nous paraissentautant d'occasions
de faire renatreun certain nombre de vieux mythes.1) La scripta
romane (en voie d'apparition partirdu IXesicle) n'est pas l'expression de la voix du peuple. C'est dans les hauts lieux de la culture
clricale et monacale qu'elle s'est labore ; 2) l'orthographelatine
mrovingienne
(vic-viiics.) tientmoins le rle d'un effaceur de la
voix vivanteque d'un mdiateurprovisoirede celle-ci; 3) consquem-

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MICHELBANNIARD

ment, rien ne prouve que la lecture haute voix sans effortorthopique de telle Vie comme la Vita Richariiprima (fin vnesicle),n'ait
pas t plus populaire que le chant lgant de la Cantilnede sainte
Eulalie (fin IXe) ; 4) rien ne prouve non plus que la mtamorphose
du LPT en PR soit le rsultatd'une (r)volutionrserveau seul latin
parl par les illettrs.Il faudra sans doute abandonnercettedichotomie manichenneau profitd'analyses interactivesplus complexes: la
langue parle par les lites,mme urbaineset mmesmonacales, participait,elle aussi, l'innovationet l'invention; quant la langue
parle par les illettrs,elle tait capable de conservatismeprotecteur
et d'inertieimitatrice.
3) Ces derniresmises au point impliquent,dans les faits, un
repositionnementplus profond qu'il n'y parat la fois dans la
manirede considrerla priode en gnral, et dans celle de traiter
du changementlinguistiqueen particulier.On n'insisterapas ici sur
des points de vue en ce qui concerneles transforle renouvellement
de la religion,etc. une persmationsde la socit,des institutions,
une
a
succd
analyse constructive.Il devrait
pective catastrophiste
en aller logiquementde mmeen histoireculturelleet langagire.Bien
pluttque de considrerles langues romanescomme une formeissue
d'une sorte de dgnresccenceincontrlabledu latin, il serait plus
exact de dcrireleur laborationcomme une longue genseo l'invention et la crationont jou une large part : il ne suffisaitpas, contrairement un axiome implicite,de mal parler latin pour inventer
l'ancien franais(ou toute autre langue romane). Ce recalage idologique vaut pour l'mergenceau niveau de l'crituredes langues non
tudes publies ici confirmentces points de
romanes. Les diffrentes
vue.
J. Fontaine,par une fineanalyse des indicationsde la VitaMarde la communicationlatine pendant
tini, dcrit le fonctionnement
des
campagnes de la Gaule la fin du IVesicle. La
l'vanglisation
complexe tude de R. Wright,engageantl'enqute dans le territoire
hispanique o sont confrontes partir du VIIIesicle des langues
d'originelatineet des languesd'originesmitique(hbreu/arabe),desde la langue parle et de la lansine les rapportsmultidirectionnels
gue crite,de la langue de prestigeet de la langue acculture,au prix
de descriptionsaussi intriquesque la situationsociolinguistiqueconsidre.A. Crpin analyse les dlicatschangesentrele latin et le trs
vieil anglais dans l'Angleterredes ixe-xesicles. M. Richtertraque
l'mergencedes premiresscriptaeet des premiresuvres celtiques
insulaires.
Ces quelques tudes,malgrleur austrit,montrentque, par les
outils de l'analyse philologique et littrairetraditionnelle,complts
par ceux que met en place la sociolinguistique,sinon la pragmatique,
renouvelsaussi par des changesrciproquesplus intenrtrospective,
ses avec les problmatiqueshistoriographiquespropres ces sicles
de transition,la voie est ouverte pour mieux comprendrecomment

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LA VOIX ET L'CRITURE

les voix latineset les voix barbaresse sont mtamorphosesdans leur


rencontreavec la voie culturelle,grammaticaleet orthographique
romaine.
II que)
**
**
**
**
**
( **

Synthseen forme de schmas


1) Fin de la communicationverticalelatine (Schma chronologiFrance d'ol :
France d'oc :
Espagne mozarabe :
Italie du Nord et du Centre:
Italie du Sud :
Afrique:

750
800
850
900
?
750

800.
850.
900.
950.

- 800 ?)

2) Abrg chronologiquedu changementlinguistiqueen Occident


latin
0 - Avant 450 : le latin est la langue commune.
PRIODE I

1 - 450 - 650 : apparition et multiplicationdes


tournuresnouvelles de substitutionaux tournures
classiques.
2 - 650 : seuil critiqued'quilibreentretraitslatins
et traitsromans. (Italie 750 ?)

PRIODE II

3 - 650 - 750 : polymorphismegnralis. (Italie


850 ?)
4 - 750 - 800 : abandon de la comptenceactive
des traitsclassiques. (Italie 900 ?)

PRIODE III

5 - 800 sqq. : abandon de la comptencepassive.


(Italie 950 ?)

3) Analyse en gros plan du viIIe sicle en Francia protoromane


A) lettrs
B) semi-lettrs C) illettrs
+ + +
+ + + - Comp. act.
+
+
+
+
+
+
+ + Comp. pass.
Les schmas 1 et 2 sont reprisde Viva voce, p. 492 et 534. La
communicationverticale dsignedans ce cas la transmissiond'un
message (religieux)en latin d'un style simple prononc sans apprt

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10

MICHELBANNIARD

) Pintentiond'un public d'illettrs(illit(sermo humilisou rusticus


terati). Le schma 3 paratra dans l'tude consacre cette question
par l'auteurdans le Colloque CharlesMartel (1992) (cf. RepresHIB).
L'abrviation comptenceactive dsignela capacit d'un locuteur
en latin (tardif,naturellement)
parlerici, au moins partiellement,
;
celle comptencepassive dsignela capacit d'un locuteur comprendreun message mis oralementdans ce mme latin tardif.
III -

Repres bibliographiques

A) Publicationsjusqu' 1980
1. D'Arco Silvio Avalle, Protostoriadelle lingueromanze, Turin,
1965.
2. D'Arco Silvio Avalle, Bassa latinit. Il latino tr l'et tardoantica e Valtomedivocon particolareriguardoall'origine delle
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3. Auerbach E., LiteraryLanguage and its Public in Late Latin
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4. Banniard M., Le lecteuren Espagne wisigothiqued'aprs Isidore de Sville : de ses fonctions l'tat de la langue , Revue
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, t. 21, 1975, p. 112-144.
5. Banniard M., Gographie linguistiqueet linguistiquediachronique , Via Domitia, Annales de l'Universitde Toulouse-II,
t. 24, 1980, p. 9-43.
6. Battisti C., Secoli illitterati.
Appuntisulla crisidel latino prima
della riforma carolingia, Studi Medievali, 3e srie, 1, 1960,
p. 362-396.
7. Bec P., Manuel pratiquede philologieromane, t. 1, Paris (Picard),
1970 et t. 2, Paris (ib.L 1971.
des instrumentalen
8. Beckmann G., Die Nachfolgekonstruktionen
Ablativs im Sptlatein und im Franzzischen, Zeitschrift
fr
Romanische Philologie, t. 106, Tbingen, 1963.
9. Beumann H., Gregorvon Tours und der sermo rusticus, dans
FestschriftM. Braubach, Mnster, 1964, p. 69-98.
10. Bonnet M., Le latin de Grgoirede Tours, Paris, 1890.
11. Borst A., Der Turmbau von Babel, Geschichteder Meinungen
ber Ursprungund Vielfaltder Sprachenund Vlker, t. 1, Stuttgart, 1957 ; t. 2, ib., 1958.
12. Braunfels W. (ed.), Karl der Grosse,Lebenswerkuna Nachleben,
t. 2, Das geistigeLeben (dir. B. Bischoff), Dusseldorf,1965.
13. Brunot F., Histoirede la languefranaise (2), t. 1, Paris, 1966.
14. Castellani A., I pi antichitestiitaliani. taizione e commento
,
Bologne, 1973.
15. Curtius E.R., Europaische Literaturund lateinischesMittelalter
(8)y Berne-Munich,1973.

15:06:07 PM

11

LA VOIX ET L'CRITURE

16. Dagron G., Aux originesde la civilisationbyzantine: languede


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17. Delbouille M., Tradition latine et naissance des littratures
romanes, dans Grundrissder RomanischenLiteraturendes Mittelalters,t. 1, Heidelberg, 1972, p. 3-56.
18. Delbouille, La formationdes langues littraireset les premiers
textes
, ib., p. 560-584 et 604-622.
19. Fleckenstein J., Die Bildungsreform
Karls des Grossenals Verwirklichungder norma rectitutinis,Bigge, 1953.
20. Flobert P., Les verbesdponentslatins des origines Charlemagne, Paris, 1975.
21. Fontaine J., Isidore de Svilleet la cultureclassiquedans l'Espagne wisigothique(2), 3 vol., Paris, 1983.
22. Fontaine, Isidore de Sville, Traitde la nature,Bordeaux, 1960,
p. 85-139 (tude linguistique).
23. Fontaine, Vita sancii Martini (d.), t. 1 et 2, Paris, 1967, t. 1,
(Introduction)et t. 2, (Commentaire),p. 359-393.
24. Fouch P., Phontique historiquedu franais, t. 2, Les voyelles (2), Paris, 1969 ; t. 3, Les consonnes, Paris, 1961.
25. Glauche G., Schullektreim Mittelalter
, Entstehungund Wandlungendes Lektrekanonsbis 1200 nach den Lektrendargestellt,
Munich, 1970.
26. Graus F., Volk, Herrscherund Heiliger im Reich der Merowinger, Prague, 1965.
27. Grundmann H., Litteratus-Illitteratus,
Die WandlungeinerBildungsnormvom Altertumzum Mittelalter, Archivfr Kulturgeschichte,t. 40, 1958, p. 1-65.
28. Herman J., Aspects de la diffrenciation
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sous l'Empire , BSL, t. 60, 1, 1965, p. 53-70.
29. Herman J., Le latin vulgaire,Paris, 1967.
30. Janson Tore, Mechanismsof Language Change in Latin, Stockholm, 1979.
31. Kahane H. et R., Decline and Survival of WesternPrestige
Languages , Language, t. 55, 1979, p. 183-198.
32. Kontzi R., Die Entstehungder romanischenSprachen, Darmstadt, 1980.
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Reforms, Londres, 1977.

15:06:07 PM

12

ARD
MICHELBANNI

39. Martinet A., conomie des changements


phontiques,Traitde
1970.
Berne,
(3),
diachronique
phonologie
40. Mohrmann C., Etudes sur le latin des chrtiens
, 4 vol., Rome,
1965-1977.
41. Muller H. F., When did Latin cease to be a Spoken Language
in France ? , The Romanic Review, t. 12, 1921, p. 318-334.
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Essai de synthsede phi43. Muller H.F., L'poque mrovingienne.
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44. Murphy J., Rhetoricin the Middle Ages : a Historyof Rhetorical Theoryfrom saint Augustineto the Renaissance, Berkeley,
1974.
45. Norberg Dag, SyntaktischeForschungenauf dem Gebiete des
, Upsal, 1943.
Sptlateins und des frhen Mittellateins
46. Norberg Dag, A quelle poque a-t-oncess de parlerlatin en
Gaule ? , Annales ESC , t. 21, 1966, p. 346-356.
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Mdivales
25, automne
1993,pp.17-32
Jacques FONTAINE

SULPICE SVRE TMOIN


DE LA COMMUNICATION

ORALE EN LATIN

LA FIN DU IVe SICLE GALLO-ROMAIN

Le dossier sur saint Martin de Tours, que le Moyen Age appellera partirde l'poque carolingienne le petitMartin (Martinellus), se compose essentiellement
de deux pices majeures : une biographiehagiographiqueet un dialogue que l'Aquitain Sulpice Svre,
ancien avocat converti l'asctisme martinien,crivittrs probablementsur son domaine de Primuliacum,sis dans la rgiontoulousaine,
o il avait fond une communautd'asctes. La Vie de Martin est
crite vers 397, les Dialogues entre 403 et 4061. Donc juste avant
l'invasion dfinitivedes Gaules par Vandales, Suves et Alains, le
31 dcembre406, et l'arrive, dans le Toulousain, des Vandales en
407, puis des Visigotsen 4122. pargne jusqu'alors par l'inscurit
croissantedes rgionsplus proches du Rhin, l'Aquitaine, longtemps
prospre3, va connatre une grave crise politique, conomique,
sociale, et donc culturelle.
On peut donc considrerle dossier martiniencomme un tmoignage exceptionnelsur l'tat de la civilisationet de la cultureromaines en Gaule la veille du dclin de ses campagnes, de ses villes,
de ses coles. L'effortnotablede restauration,
entreprispar la Ttrarchie un large sicle auparavant, va se trouverradicalementmis en
question.Les coles d'Autun et de Bordeaux- les seulessur lesquelles
1. Datations
: voirCl. Stancliffe,
St.Martin
andhishagiographer
, Oxford
1983,
seraciteicid'aprsnotre
d. dansla coll.desSourp. 71sq.et80. La VitaMartini
ceschrtiennes
inf.Sehr),167-169,
Paris1967-1969
(abrg
; et lesDialogues
d'aprs
l'd. Halmdu CSEL, 1, 1866,p. 152-216.
2. Surlesdatesd'entre
successives
desbarbares
en Aquitaine,
cf.M. Rouche,
des Visigots
auxArabes
, Paris1979,p. 19-21.
L'Aquitaine
3. Voirp. ex. lespremiers
de N. Chadwick,
andletters
inearly
chapitres
Poetry
christian
Gaul, London1958; lestravaux
de R. EtiennesurAusone,
en particulier
le ch.1 de VHistoirede Bordeaux
, 1, Toulouse1980,publiepar S. Lerat,
R. Etienne,
etc.; C. Jullian,Ausoneet Bordeaux.
tudessurlesderniers
de
temps
la Gauleromaine
1893; etnotre
confrence
surL'clatde la romanit
dans
, Bordeaux
du !v sicle,dansBAGB, 1989,1, p. 72-85.
l'Aquitaine

15:06:15 PM

18

JACQUESFONTAINE

nous avons conservquelques renseignements


prcis- avaientretrouv
depuis un sicle un niveau intellectuel,et donc linguistique,plus
qu'estimable. En tmoignentle discoursd'Eumne sur la restauration
des coles mniennes, prononcdans la capitale duenne en 298,
et l'uvre hautement raffinedu pote et prosateur Ausone de
Bordeaux4. Homme de lettres et professeur en cette ville avant
d'occuper les plus hautes charges dans l'Empire de Valentinien,
Ausone futle matreet l'ami de Paulin de Bazas. Celui-cidevait finir
vque de Noie en Campanie, aprs s'tre convertide manireretentissante l'asctismemartinien,et avoir russi y entraner grand
peine son ami Sulpice Svre. C'est laisser entendreque Sulpice est,
de la culavec Paulin et Ausone, l'un des plus illustresreprsentants
ture aquitaine en cette fin du IVesicle, peu avant l'invasion de la
Gaule romaine.
Avant mmeque l'invasionde 406 n'y entranel'installationprochaine de populations germaniqueset germanophones,la communiaussi rpanduequ'on pourraitle croire
cation en latin s'y trouve-t-elle
? En dpit d'une circulationprode
romanisation
sicles
aprs quatre
bablementaccrue des grands propritairesterrienslettrs,entreleurs
maisons de ville et leurs domaines ruraux,le campagnes sont encore
loin d'atteindre,mme en Aquitaine,le degrde romanisationet, par
suite, de latinisationdes villes. La documentationreligieuse- textuelle, pigraphique,archologique - manifesteencore en cette fin
du IVesicle la vitalitdes culteslocaux traditionnels,
celtiqueset prceltiques,en particulierdans ces sanctuairesrurauxauxquels va s'attaquer l'vanglisationmartinienne.On peut en infrerque les dialectes prromainstaientencore loin d'avoir disparu5.La dualit, sinon
l'antagonisme,entrevilles et campagnes n'avait fait que s'accentuer
la faveurd'une christianisation
qui n'a d'abord touch pleinement
que les villes. Si le Christ tait pour le pote Endelechius le seul
Dieu que l'on adore dans les cits 6, il parat logique d'en dduire
qu'il n'en tait pas de mme dans les campagnes. C'est avec Martin,
vque de Tours de 371 397, et avec les vques gallo-romainsde
sa gnration,que commenceune vanglisationplus activedes poputu: Paneg.5 (9), t. 3, p. 103sq.Galletier
d'Eumne
4. Discours
; surAusone,
1986; voir
dansR. Etienne,Ausonehumaniste
des regroupes
, Bordeaux
aquitain
: R.P.H.Green,
d'Ausone
aussiN. Chadwick
{op. cit.n. prc.),P-47-62.ditions
The worksof Ausonius
; H.G.Evelyn
, Oxford1991(texteet richeannotation)
1967et 1968): texteet trad,anglaise
; A. Alvar
White,coll.Loeb,2 vol.(rimpr.
et copieuse
2 vol.,1990: trad,espagnole,
Ezquerra,Bibi.ClsicaGredos146-147,
introduction.
ae la Bretagne
rassembles
5. Voirlesindices
, rans
parL. fleuriot,Les origines
Bordeaux
euxse situent
?). Troisd'entre
disparut-il
1980,p. 55-59(Quandle gaulois
: toustrois
enAuvergne
Marcellus
dumdecin
; Ausone),
(Sidoine
Apollinaire)
(manuel
: (n. 35sq.).
examins
de SulpiceSvre
lestextes
au sudde la Loire- comme
infra
dansRomanobarbarica
MotsgauloischezAusone:tudercente
, 11, 1992.
amide Paulinde Bazas(P. Nol. ep. 28,6) et
Sanctus
6. Severus
Endelechius,
trsprobablement
1976,p. 5),
, Darmstadt
Hirtengedichte
gaulois(D. Korzeniewski,
.
solusinurbibus,
Christus
De mortibus
boum
, p. 105sq.: Dei,magnis
quicolitur

15:06:15 PM

SULPICESVREET LA COMMUNICATION

19

lations paysannes: elle se traduitpar des commandos offensifs


contreles sanctuairesruraux,comparables ceux des moinesd'Orient
qui avaient scandalis Libanius7. Cette vanglisations'accompagne
d'une latinisationaccrue, ncessaire la communicationde la parole
missionnaire,puis l'implantationdu culte chrtien,de ses liturgies
de la Parole, de ses homlies,de ses lecturesprivesde l'criturepour
les convertisles plus engags dans le sacerdoce ou le style de vie
monastique.
C'est dans le cadre de ces tensions,ancienneset nouvelles, que
l'uvre de Sulpice Svre prend une valeur singulire.Elle accorde
en effet,aux priptiesde la prdicationaux paysans,une place encore
plus remarquableque certainspomes de Paulin de Noie ne le font
en Campanie. D'autre part, elle est crite par l'un des crivainsles
plus raffinsde l'ge thodosien, l'adresse d'un public de lettrs
convertisou prs de l'tre, mais sur un domaine rural o il serait
bien instructif
de savoir quel tait le niveau de la communicationen
latin entrele matreet ses paysans. Enfin, mme si Vandales et Visigots ne sont pas encore l, il n'est pas exclu que, jusqu'en ce cur
de l'Aquitaine, des colonies de ltes et de soldats paysans barbares
aient dj constitudes lots importantsde germanophonie8.
Le propos de Sulpice est de faireconnatre,et de dfendredevant
une opinion publique qui est loin de lui tre acquise, la vie, l'action
et surtoutla saintetd'un soldat romain devenu moine et vque :
c'est du tmoignagesur Martin et, au moins en partie, de Martin,
que doit partirnotreenqute, comme du centremme de notredossier, en tentantde remonterdu Martin de Sulpice au Martin historique, mais sous l'angle particulier,et pratiquementindit,de la communicationorale9. Il s'agira donc aussi d'apprcier, de ce point de
vue, tous les obiterdicta de Martinque Sulpice a introduitsdans ses
rcits.Le problmede la communicationne se posait pas de la mme
manireau pangyristede Martin. Le latin qu'il parlait tait conditionn par ses modles classiques, demeursdans l'cole ceux d'une
langue conservatrice,et de haut niveau, distinctedu latin tardifque
parlaient ses compatriotesaquitains, mme un peu lettrs.D'autre
part, Sulpice se sentait tenu, lui aussi, par la communicationd'un
message,et il prenait ce titrela suite d'un long dbat sur les modalits de la communicationchrtienne un public lettr.Enfin, son
7. VitaMartini
etsurtout
du temple
de Levroux),
et
12-15,
14,3sq.(destruction
comm.ad loc.,dansSChr134,1968,p. 768-793.
Faitsparallles
en Orient
: Liba, or. 30, 7sq.
nios,Pro templis
8. Mmesi cessoldats
devaient
trehabitus,
dansl'arme
romaine
des
germains
lesordres
donns
enlatindansunsermocastrensis
Gaules, comprendre
; maisaussi
pouvoir
avecdespaysans
dontla languevhiculaire
usuelletaitun
communiquer
latinlmentaire.
lesenfants
desltesnsenGauledevaient
tred'emble
latiEnfin,
sinonbilingues.
nophones,
9. L'historicit
du personnage
prsent
parSulpicen'tant
plusmiseen doute,
comme
ellele futparE. Ch.Babutau dbutde ce sicle: voirla dmonstration
convaincante
de Cl. Stancliffe
danssonlivrecitsup. n. 1.

15:06:15 PM

20

JACQUESFONTAINE

public tait-ilaussi homognequ'on le penseraitd'abord ? Les Diadiffilogues apportentsur ce point des demi-aveux,d'interprtation
cile. Car il y a dans cet auditoire,mme restreintaux asctes de Primuliacum et leurs amis, des niveaux distinctsde culture,et, par
suite, des susceptibilitsqui contredisentl'idal galitaired'une communautd'asctes. L'ironie parfoissubtilede leurs piques mutuelles n'y laisse pas voir aismentla part du jeu et celle de la raction
sincre. De Martin en passant par Sulpice et ses auditeurs,successivement considrs depuis l'observatoiredu Martinellus, on pourra
nanmoins tirerl'image moins inexacte d'une conjoncturelinguistique plus complexe qu'il n'y paratraitd'abord.
La latinitde saint Martin
10.Il ne faut appliquer Martincettetiquette
Homo inlitteratus
critiqueet apparemmentsans nuance qu'aprs avoir replac l'pithte
dans le contextede la Vita Martinio elle apparat, mais aussi dans
la traditionculturelleromainedont elle est issue. Ds l'poque classique, le mot n'est pas sans ambigut: s'il peut dsignerencore - un illettr
et moins
, il a dj prisplus largement,
tymologiquement
brutalement,le sens de notreadjectifinculte11; le premiern'a mme
pas appris ses lettres,le second a ignorles litteraeque l'on acquiert
chez le grammairien,le rhteur,le philosophe. En l'occurrence,il est
vraisemblableque Sulpice, comme il le fait souvent, a jou ici sur
les deux sens. Il veut dire qu'homme d'action et d'oralit, Martinn'a
point eu accs cette culturecriteque l'on transmetet reoitdans
les coles : il n'a jamais voulu - ni peut-trepu - devenir un
scholasticus.
Nuance plus importanteencore : le contextedans lequel est port
ce jugementest celui d'un loge des qualits oratoiresde Martin.Litteratus et scholasticus lui-mme,Sulpice rcupreavec soin Martin
comme un matre- sa manire- de la reginarerumoratio. Faute
de pouvoir citer une uvre crite de Martin dans ce portraitfinal
de son hros,il vante ses paroles et sa conversation, et admire
en lui tant de savoir, tant de talent, une telle qualit et une telle
12
puret de parole . Cette dernirelouange est, au moins dans sa
forme,de l'ordre de l'hyperbole,puisque Sulpice n'attribueici Martin rien de moins que le clbre loge dcern Trence par Jules
inlitesthomini
: Nisiquodmirum
du portrait)
10. Vita25,8 (dernire
phrase
; etcomm.dans
: cf.n. 12)defuisse
nehancquidem
terato
(purisermonis
gratiam
Sehr135,p. 1075sq.
ben.5, 13,3 :
la distinction
11.Telleest,parexemple,
parSnque,
explicite
.
altiores
nonperductum
sedad litteras
Inlitteratum
dicimus
nonex totorudern,
Iesumteseiusquantagrauitas...
etconfabulatione
12. Vita25,6-7: inuerbis
tantum
tamboni
tantum
oretantum
tor...meex nullius
scientiae,
ingenii,
umquam
audisse
.
et tampurisermonis

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21

Csar13. Il met ainsi en valeur des qualits oratoires d'autant plus


: en termescicroniens,cela
tonnantesque l'homme tait inlitteratus
semble vouloir dire que Martintait spontanmenteloquens en vertu
de sa simplefacundia naturelle.L'ensemble de cet loge doit donc
treapprciglobalement; il tend exprimeret communiquer,en un
vocabulaire et avec des thmes familiers des scholastici, la forte
impressionqu'a faite sur Sulpice, lors de ses entretiensavec Martin
Marmoutier,la parole nue, incisiveet fortpersuasivede cet homme
d'action, devenu comme vque un nouvel orateur: un ministrede
la Parole vanglique appliqu parler comme son Matre.
De cette parole martinienne,le Martinellusoffrebien des exemples qui ne peuvent avoir t aussi purementinventsou remis en
formeque l'taient traditionnellement
les discours rapportspar les
historiensromains.On y entendune parole serre,tranchante,impressive, approprie une communicationefficace: plus proche de
Yannonce vangliquedu Royaume,et de l'appel la conversion,que
d'une prdication en forme. Cette loquence singulireuse d'exemples ou de courtesparaboles,elle prend partil'interlocuteur,
reprend
des thmesou mme des citations l'vangile - que son propos est
bien de prolongeret d'actualiser.Cette transparencescripturaire
donne
penserque, si Martinn'a probablementpas frquentl'cole traditionnelle,il avait acquis depuis sa conversion,par la pratique asctique de la lectio diuina Ligug puis Marmoutier,une imprgnation scripturairequi marqua profondmentsa parole d'vanglisateur14.
Prenons-endeux exemples.D'abord la courtecollatio entrel'vque moine et un novice rcalcitrant,qui est rapporte dans les
Dialogues ,5. Il s'agissait de ramener la raison un ancien soldat
converti l'asctisme,qui prtendaitque sa femmecontinutde cohabiteravec lui dans le monastred'hommes o il venaitd'entrer.Pour
le convaincredu caractredraisonnablede son projet, Martin use
d'une parabole ad hominem, fonde sur la mtaphore,ds longtemps
familireau christianismeantique, du combat spirituel.De courtes
questionsappellentde brvesrponses: ce soldat a-t-ilpris part un
combat ? A-t-iljamais vu une femmesur un champ de bataille? Martin laisse l'homme sa confusion,et conclutpar une esquisse du type
de combat spirituelrservaux femmesasctes : elles doiventle livrer
l'abri de ce que nous appellerionsune clture. Les brvespropositions indpendantesnoncentdes prceptesau subjonctifd'ordre. La
13. Donat, VitaTerenti
: purisermonis
amator
.
14. L existence
huireconnue
d authentiques
crits
d Antoine
ne permet
aujourd
chezlesplusanciens
uneculture
oraleexcluant
plusde supposer
seulement,
moines,
toutealphabtisation.
De mme,
Marmoutier,
il estsignificatif
que Yarsantiquaria
descopistes
estle seultravail
manuel
admis( Vita10,6) : il estpeuprobable
quecette
activit
aittdestine
seulement
procurer
la communaut
desrevenus,
sansque
les manuscrits
aientd'abordservi la lectiodiuinades moines.
15.Dial. 2, 11,p. 193,25sq.Halm.

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22

JACQUESFONTAINE

sentence finale nonce, avec un humour acerbe et quelque peu


misogyne,un prceptede vie, dans le stylegnomiquedes livressapientiaux : La premirevertud'une femmeet sa victoireacheve, c'est
de ne point se laisser voir 16. Ces mmes traitsse retrouvent,mais
au styleindirectdans la relationde Sulpice, lorsqu'il voque un entretien entreson matreet lui, Marmoutier.Martin y fait l'loge du
renoncementsi parfaitement
vangliquedont Paulin avait donn un
en
sa
exemple unique
gnration.Cet loge est un exemplum: il a
pour fonctionde pousserson auditoireversdes rsolutionsaussi hroques. Il se dveloppe dans le mme stylejussif, un peu exalt (un
macarisme biblique : Bienheureusecettegnration! ), avec la
mme transparenceaux versetsvangliques(en l'occurrence,ceux sur
le jeune hommeriche), et donc au stylede la prdicationde Jsus,
matre vivre et matre de parole.
Dans cetteparole qui voque les haranguesmilitaires,on doit se
demanderce que Martinpeut devoir ses annes de service l'arme.
Fils d'officierpromis servirdans le corps d'lite de la garde impriale - d'o taientsortistant d'empereursdu IVesicle - , Martin
a-t-ilt aussi illitteratus
que l'affirmeSulpice ? La chose est peu probable au sens premierdu mot, et peut-treau sens second. C'est
l'arme que Martina vraisemblablement
pris l'habitude de communiquer aismentavec de hauts personnages,voire avec des empereurs,
comme l'a montr Sulpice propos des entrevuesde Martin avec
Valentinien,ou avec l'usurpateurMaxime Trves17.Dans ce purus
sermo que Sulpice admire encore chez Martin, les usages militaires
de l'ancien candidatus sont entrsen convergenceavec une authentique culturevanglique,aussi bien qu'avec les exigencesdu dpouillementasctique. Cette purationde la parole l'a mis en possession
de communicationorale la souplessetoujoursadapd'un instrument
te, y compris face des paysans en possession d'un modeste basic
latin appris et pratiqu sur les marchs et dans les rues des villes,
ou simplementacquis comme une langue maternellelmentaire.
D'ailleurs, Martinparlait en actes autant qu'en paroles. Vers les
foules paysannes,il est all avec la foi nue de saint Paul, et il aurait
pu dire comme lui : ma parole et ma prdicationn'avaient riendes
discours persuasifsde la sagesse, mais elles taient une dmonstration faite par la puissance de l'Esprit (7 Cor. 2, 3). Comme jadis
le prophteElie face aux prtresde Baal, Martinprfreles concours
de puissance spirituelleentreles dieux paens et le Christdont il est
convaincu qu'il agit traverslui. Cette sorte de complicitavec la
religiositarchaque des paysans gaulois assure entreeux et lui une
et consummata
victoria
16.Ib. 1, 11,7 : Cuiushaecprimauirtus
est,non
? Sa
ou de Sulpice
est-elle
de Martin
releve
de paradoxe,
. Cettesentence,
uideri
- du combat
- doublement
lonmartinienne
avecla mtaphore
cohrence
spirituel,
d'un mot
de l'authenticit
danscette
courte
file
harangue,
plaideenfaveur
guement
polirun peuplus.
de Martin,
que Sulpicea pu se borner
17.Dial. 2, 5, 5 et 2, 6, 3sq.

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23

communicationplus convaincanteque des sermonsbien arguments.


Un tel dtour ne supprimaitd'ailleurs pas, en certainscas, les difficultspossibles de la communicationverbale,mais rien ne laisse penser, dans les rcits de Sulpice, que Martin ait d recourir des
interprtes.
Le problmede la latinitde Martin,et de son efficacit,
est donc
poser partir d'une expriencede vie singulire.Commence
l'arme, sa formationest passe par l'expriencecruciale, et longuementpoursuivie,de la lectio diurna,par les leons dcisivesd'Hilaire
de Poitiers, par l'entranementde l'vque la pratique constante
d'une parole publique consacre annoncerle Royaume de Dieu, et
presserles auditeursrticentsd'y entrerpleinementen adoptant le
stylede vie asctique. L'vangile et les Actes des Aptres, mdits
et rumins comme disait son contemporainAmbroise de Milan,
lui offraientle modle d'un langage apostolique, converti une simplicittransparente,mais galementarm pour le combat spirituelet
les affrontements
personnels.C'est aussi le sens de ce titrede uere
apostolicus que lui a justementdcern la Vita Martini(7, 7). Par
son sermo humilis, il s'est trouv plus proche du sermo rusticusdes
hommesdes champs que du sermo scholasticusdes lettrspasss par
les coles des villes.
La culture de Sulpice Svre
La trajectoireculturellede Sulpice futradicalementdistincte.Cet
ancien avocat, ami de Paulin, introduitpar son mariagedans la haute
socit aquitaine, futet resta un scholasticus, de ses tudes probablementbordelaises son activitlittraire Primuliacum.Il appartient
ce milieu litiste,et fier de l'tre, pour qui le maintiendu patrimoine littraireet linguistiquereu des anciens est un privilgeet un
devoir vital. Est-ce par une sorte de gageure,plus littraireque spirituelle, que Sulpice entrepritde faire connatreen un latin particulirementlgant le hros d'une saintetpeu nourrieaux lettresprofanes ? On doit observerd'abord que Sulpice n'est pas entrsans rticences dans les rangs des admirateursde Martin. La disparitionprmaturede sa femmey a sans doute moins contribuque les pressions conjointementexercessur lui par son ami Paulin - converti
enthousiaste- , et sa belle-mreBassula18.Et le fait est que Sulpice
ne s'est jamais dcid quitterson Aquitaine, en dpit des objurgations que Paulin lui adressait depuis la Campanie.
18. Si indcise
Bassulaapparat
comme
unesorte
qu'ensoitpournousla figure,
parmiles disciples
agapte
de Martin,
et commeunematresse
femme.
Cette
socrussancta (P. Nol. ep. 5, 6) a impos songendre
sonenthousiasme
pour
le saintmatre
de Tours,et ellea favoris
ses premiers
essaislittraires
martiniens,
enluifournissant
desstnographes,
maiselleleschargea
ensuite
de drober
lesmoindrescrits
de Sulpice(cf.Svlp. Sev. epist.3, s.p.).

15:06:15 PM

24

JACQUESFONTAINE

Mme Primuliacum,Sulpice nous apparat avec le profild'un


propritaireterrienconverti un christianismetempr,plus proche
du stylede vie d'Ausone que des dcisionsradicales de Paulin. Tout
au plus accepte-t-ilde se faire l'imprsariolittraired'un mdiateur
spirituelplus illustre.Il peut justifiercette fidlit une vocation littrairepar l'exemple mme de Paulin, rest Noie pote, pistolier,
pangyristeimprial.Il peut aussi se prvaloirde sa pieuse intention
en proposantaux lecteurs
d'acqurirdes mritesspirituelsparticuliers,
l'imitationd'une vie exemplairequi les incitera la vraie sagesse,
la milice cleste et la vertu divine.19 Mais il faut regarderde
plus prs cette longue prface,qui resterala charte du genre hagiographique en latin.
Cette sorte de manifestecontienten effetdes prcisionsthoriques sur les finset les moyensde la communicationhagiographique.
Ces prcisionssont prendreavec prcaution,car l'auteury joue avec
des lieux communs: dans les perspectivesd'une captado beneuolentiae, il se propose de divertirle lecteurau moins autant que de l'instruire.L'auteur y dit d'abord sa crainte,bien conventionnelle,que
son langage peu soign ne dplaise au lecteur.20 Quintiliendj
recommandaitaux orateursce locus humilitatispropriae dont E.R.
Curtius a suivi les destines, si durables dans la littrature
occidentale21.Il est d'ailleurs expos ici en une phrase priodique
dont la concinnitaset les clausulessoignesdmentent
par avance l'aloi
de cettefausse humilit: on peut croired'abord un jeu de princes,
l'adresse d'un public entendu.
Pourtant,l'ide s'approfonditensuitede tellesorte, traverstrois
antithses,qu'il est difficilede n'y voir que conventionpure. Il faut,
dit Sulpice, bien peser les choses plus que les mots , se rappeler
que le royaume de Dieu ne se fonde point sur l'loquence, mais
sur la foi , et que le salut n'a point t prchau monde par des
orateurs, mais par des pcheurs.22 Bien avant Cyprien, Cicron
avait exprimla premireantithsedans ses Tusculanes23. Il existe
donc une filireantique de cette premiremaxime, qui subordonne
les valeurs de la forme celles du contenu. La mme exigence de
transparencedes mots aux choses avait t reprisepar Snque traant l'idal d'un stylephilosophique,puis par Cyprienesquissant la
aliismoxfuturam,
19. Vita1, 6 : Si uitamsanctissimi
uiri,exemplo
perscripuirtutem
militiam
etcaelestem
ad ueram
legentes
diuinamque
sero,quoutique
sapientiam
.
incitabuntur
.
20. Ib. ded. 1 : ne sermomcultior
displiceret
legentibus
21. Comm.dansSehr134,p. 369.Qvint.4, 1, 8 : si nosinfirmos...
imparaetle Moyen
; et E. R. Curtius,La littrature
,
tosdixerimus
Agelatin
europenne
et d'humilit).
de dvotion
Paris1956,p. 504sq.(Formules
ut respotiusquamuerbaperpen22. Vita
yded.3-4: a lectoribus
postulabis
etiam
4. Meminerint
sedin fideconstat.
Dei nonineloquentia
dant,...quiaregnum
.
a piscatoribus
salutem
saeculononab oratoribus,...sed
praedicatam
23. Comm.dansSehr134,p. 380sq.Ce. Tusc.5, 11,32.

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25

chrtien24.Pour Sulpice avoconversiond'un styleauthentiquement


cat de Martin,cetteexigenceconcidaitaussi avec l'exemple, la fois
vanglique et asctique, du pragmatismemartinien.
En revanche,les deux antithsessuivantesrelventd'une tradition spcifiquementchrtienne.L'opposition entre l'loquence et la
foi se trouvaitdj chez saint Cyprien,selon lequel la pure simplicit de l'expressionne s'appuie pas sur l'loquence pour fournirdes
arguments la foi, mais sur les faits25. Cette simplicitest celle
des simplespcheursque Jsus fitprcheursde son message. L'antithse entreorateurs(ou snateurs)et pcheurs- oratores/
piscatores
- tait familireaux plus grands crivainschrtiensdu IVesicle26.
Elle rappelaittout crivainchrtien,le plus souventun litteratuss'il
n'avait mme commencpar tre un scholasticusau sens professionnel du mot, aux exigencesd'une esthtiquevanglique. Mais la pratique de ces crivainslettrsn'en a gure t influence: un peu chez
Jrmeet Augustin,mais bien peu chez Sulpice Svre.
Sulpice passe enfinles limitesde l'exagration,en affirmant
qu'au
momentde se mettre crire, il a dcid en son for intrieurde
ne pas rougirdes solcismes,n'ayant jamais atteintun savoir considrable en ces matires...et le peu que jadis, peut-tre,j'avais butin
dans ces tudes, je l'avais tout entierperdu pour m'en tre si longtemps dsaccoutum. Ce mensongesi joliment tourn ne pouvait
tromperpersonne. Comme s'il voulait allusivementmettreen garde
son lecteurcontreune acceptationtrop littralede ses prtendusaveux,
l'auteur commencepar les exprimeren des termesqu'il emprunteau
premiervers d'un des plus clbres prologues de Trence27.Est-ce
donc un pur badinage, un peu cynique, sur l'impossible conversion
de son style? En fait, si quelques passages des rcits de Sulpice
n'excluentpas certain manirisme28,
ce n'est pas Apule qui est le
principalmodle de son stylenarratif,mais trsprcismentSalluste.
C'est traversle classicismeaustreet rtractdu stylede l'historien
que Sulpice a fait un pas en directiond'une simplicit la fois vanglique et martinienne.
Face la surchargebaroque de ce stylecontournet redondant,
qu'est souvent le stilus scholasticusdans la prose d'art tardive(voir
24. Sen.ep. 75,5 ; Cypr.ad Donat.2, et comm.dansnosAspects
etproblmesde la prosed'artlatineau iwsicle,Torino1968,ch.6.
25. Cyprien,
ib. : uocispurasinceritas
noneloquentiae
uiribus
nititur
ad fidei
sed rebus.
argumenta,
26. Rfrences
dansE. Auerbach,
undPublikum
in derlateiLiteratursprache
nischen
Bern1968,p. 37; et H. Hagendahl,Piscatorie
etnonAristoSptantike...,
Zu einem
beidenKirchenvtern
telice,
dedicata
Schlagwort
, dansStudiaB. Karlgren
,
Stockholm
1959,p. 184-193.
27. Vita
animum
ad scribendum
, ded.5 : Egoenim,cumprimum
appuli... ;
citation
muette
de Ter.Andr.prol.1 : poetacumprimum
animum
ad scribendum
.
appulit...
28. Alternance
entre
l'imitation
de Salluste
plages de manirisme
etquelques
la manire
: voirl'intr.de notred., Sehr133,p. 105-109.
d'Apule

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26

JACQUESFONTAINE

par ex. Ammien,Symmaque,Orse...), la prose narrativede Sulpice


adopte une sorte de via media entreles excs opposs de la surabondance et de la nudit. Pour commencer,elle rpudie l'abus des figures et des ornementspropresau stylefleuri.Il faut,sur ce point,prendre au srieuxles dclarationsque, dans les Dialogues, Sulpice prte
au personnagede Gallus, lorsqu'avantde poursuivrele rcitdes facta
et dicta de Martin,celui-cise prsente son auditoirelettr: Vous
entendrezpar ma bouche un homme de Sancerre,qui ne dit rien de
fardni de montsur le cothurne...Car si vous m'avez reconnupour
disciple de Martin, accordez-moi aussi de pouvoir, son exemple,
mpriserle vain clinquant dans mes paroles et mon vocabulaire
orn .29 On peut objecter au srieux de ces prises de position que
Gallus est blasonn dans le contextecomme un rustrede Gaulois du
nord (...vu d'Aquitaine, si Gortona est bien Sancerre, donc sur la
Loire moyenne).L'invocation de la rfrence Martinn'en gage pas
moins le srieuxde cettecritiquedu stylefleuri.Le caractreemphatique et dcoratifde celui-ciest ici vis par quatre mtaphores(fard,
cothurne,dcorations,ornements),par lesquellesl'esthtiquelittraire
romaineavait exprimsa dfiancede tout excs formel30.Gallus est
donc charg, en ce passage, de suggrerque les excs de stylesont
des fautescontrela conversionasctique telle que la prcheet la pratique Martin,et de dfendredu mme coup la via media de Sulpice :
sa gageurede resterfidle la fois un stylesoign et un certain
vanglisme.Ce caractretemprd'un style la double fidlitvoque l'quilibre vis par Jrme,dans sa maturit,entrele clinquant
de ses premireslettresasctiques et la sobritconquise par l'exgte, d'aprs le modle de la simplicitbiblique31.

nihilcum
metamenut Gurdonicum
29. Dial. 1, 27, 2 : Audietis
hominem,
illud
Martini
meessediscipulum,
Namsi mihitribuistis
fucoautcothurno
loquentem.
et uerborum
illiusinanessermorum
utmihiliceatexemplo
etiamconcedite,
phaleras
iciallusion
au clbre
adress
. Le cothurnus
fait-il
contemnere
ornamenta
reproche
Paulin
58 (datede 395etadresse
danssa lettre
de Poitiers,
Hilaire
parJrme
? Surcejugecothurno
adtollitur
Hilarius
Gallicano
de Noie): ep. 58,10, Sanctus
dans
dansRB 57, 1947,p. 82-88,remanie
voirla notede DomPaulAntin,
ment,
bienmarJrme
entendait
sursaintJrme
sonRecueil
1968,p. 251-258.
, Bruxelles,
accessible
unelecture
querainsique le style Hilairetaittropsavantpourfournir
: et a lectione
auxchrtiens
simpliciorum
; cf. finde la mmephrase
peucultivs
de Jrme,
fratrum
pourrait
fratrum
proculest. Dansla pense(etle vocabulaire)
des moines.
biendsigner
30. Fucus: cf. Cic. de orat.2, 188 et 3, 100; cothurnus
, avec le sens
les
caractrise
: P. Antin,ib. (n. prc.),p. 256,et n. 46 ; phalerae
d' emphase
: Cic. inu.1, 32;
Aur.1 ; ornamenta
du style
ornements
pourFronton,
pidictique,
.
ornamenta
recidei
et Hor. ars448: ambitiosa
similis
et nullam
lucubrationem
et cotidianae
31. Hier.ep. 36, 14: Pedestris
et utde scripturis
sicloquiutintellegar,
est..Mihisufficit
orationecessaria
redolens

imiter
simplicitatem.
scripturarum
disputans

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27

Sulpice et son public


Ce dbat esthtiqueoppose en ralitSulpice son public,et il concerneles intentionsprocheset lointainesde l'auteur du dossier martinien. mesureque la propagandeasctique martiniennerayonnaiten
Gaule partirde Tours et de Marmoutier,la diversitdes personnes
ou non, par la parole de l'vque
et des milieuxtouchs,directement
de Tours s'accroissaitd'autant. Il lui fallaitdonc bien peser ses mots,
pour arriver se faire,comme Paul, tout tous pour les gagner.
Au premierrang des auditeurs lecteursdu Martinellus, se placent sans doute les chrtiensconvertis l'asctismeet entrsen religion martinienne, Tours, puis Primuliacum,ou en d'autres communauts comparables. La majorit d'entre eux appartenaient la
haute socit, comme le suggreune notation prcise du chapitrede
la Vie qui dcritla fondationde Marmoutier: Il y avait l, disaiton, un grand nombrede nobles .32 Notation confirmepar les hautes relationsde Martin,et par tant d'autres tmoignagessur la diffusion de l'asctismenouveau dans la Gaule de cettefin du IVesicle33.
Elle l'est mieux encore par la qualit des personnalitsqui viennent
assisterau second jour des entretiensrapportsdans les Dialogues :
ce sont non seulementdes moines et des membresdu clerg, mais
aussi des officiels comme l'ancien vicaire Eucher et le consulaire
Celse34. Ce sont des sympathisants,qu'il ne faut pas dcevoir; on
les imaginesur le modledes snobs de l'asctismeque Jrmednonce
la mme poque dans la haute socit de Rome. Les convertisde
cette espce aiment s'habiller l'orientale, en portantdes palliums
en poil de chameau qu'on leur a rapports d'gypte35.Il ne fait
gurede doute que ces gens-ldemandent treinstruitssur Martin,
mais en une langue et un style plus que chtis.
C'est ce monde , qui fut et reste le sien, que Sulpice destine ses oeuvresmartiniennes.C'est pour lui que le raffinement
linguistiqueet littrairedes entretiensde Primuliacumfutaussi rehauss
par son talent. Il n'eut gure, pour cela, forcerla note : par leur
ton, leur ferveurdiscrte,la pratique d'un sermo la tenue encore
trsclassique, ces entretiensspirituelsrestentencore proches (et probablementnostalgiques)des dialoguesde villa cicroniens.La tenue
32. Vita10,8 : Multi
inter
eosnobiles
; comm.
habebantur
dansSehr134,p. 683.
33. Vue d'ensemble
dansC. Jullian, Notegallo-romaine
97 , dansREA,
t.24, 1922,p. 306sq.: 2. Lesrelations
de saintMartin
; Cl. Stancliffe
(op. cit.,sup.
n. 1),entre
autres
notre
tudesur L'aristocratie
occip. 335sq.; plusgnralement,
dentale
devant
le monachisme
aux iveet v<sicles
, dansRSLR 15, 1979,p. 28-53.
34. Dial. 3, 1, 7.
35. Vita10, 8 : Pleriquecamelorum
; et comm.dans
saetisuestiebantur
Sehr135,p. 681-682.
un Paulin: P. Nol. ep.29, 1 (texte
Sulpiceen avaitenvoy
citettraduit
ib.p. 682).Surlesdguisements
decertaines
matrones
asctiques
romaines,
de Jrme,
littraire
pageclbre
ep.22,27,commente
parA. de Vog,Histoire
du mouvement
dansl'Antiquit
latin(356-385),
, 1,Le monachisme
monastique
Paris,
1991,p. 263-267.

15:06:15 PM

28

JACQUESFONTAINE

de leur langue est comparable celle des entretiensde Cassiciacum,


tels que les rapportentles premiersDialogues d'Augustin.Les retrouvailles initialesdes principauxprotagonistes,au retourde Postumianus, le plerintoutjuste arrivd'Orient,ouvrentle livresur une scne
mue, souriante,lgante; elles posentavec justessele climatde sociabilit et de courtoisieraffinesqui rgne entre Sulpice et ses amis.
La qualit de la langue et du stylereste,en cet asctrerural, digne
d'un auditoriumurbain, et les deux exposs ressemblentfort des
rhnanessont encore
recitationes: menaceset dsastresdes frontires
bien loin de l'Aquitaine.
Le consensusn'y rgnepourtantpas, en matirede langage,aussi
facilementque le prologue pourraitle laisser penser. On le voit bien
dans la page la plus haute en couleur de ces Dialogues : l'algarade
de Postumianuscontreles dclarationsd'humilitde Gallus, ce disciple de Martinarrivde Tours tout exprspour prendrela parole dans
ce meeting asctique. L'apport de cette dispute notre enqute
est ambigu, mais considrable.
Gallus commencepar articuleren antithsessa crainted'avoir
s'exprimerdevantun parterred'Aquitainslettrs.Ses dclarationsvoquent aussi le locus humilitatisde Sulpice lui-mmedans la prfacede
la Vita Martini: A vrai dire, dit Gallus, bien que pour ma part je
ne sois gurede force porterun si lourd fardeau,me voici nanmoins
contraint,par les exemplesd'obissance qu'a prcdemment
rapports
Postumianus, ne point refuserla tche que vous m'imposez. Mais
quand je pense que le pauvre Gaulois que je suis va ouvrirla bouche
au milieud'Aquitains,je redouteque ma parole, par l'excs de sa rusticit,ne heurtevos oreilles pleines d'urbanit.36 En associant et,
pour ainsi dire, en superposantavec trop d'ingniositles antithses
entreGaulois (du Nord) et Aquitains, rusticitet urbanit,discours
une incomdu style,Gallus semblesous-entendre
dpouillet ornements
voirereligieuse,
entre
patibilittout la foisethnique,sociale,culturelle,
les martiniensdu Nord - ceux de Tours et de la Loire - , seuls fidles
jusqu'en leur parole l'exemple de Martin, et leurs imitateursples
et imparfaits: les martinienstrop lettrsde l'Aquitaine mridionale.
une poque o Gaule du Nord et Gaule du midi sont administrativementpartagesentredeux vicariatsdistincts,ce conflitquasi rgionaliste a bien des raisons de retenirl'attention37.
tarnen
simtantooneri,
36. Dial. 1,27,1: Egoplane,inquit
Gallus,licetimpar
utmunus
oboedientiae
a Postumiano
relatis
istud,
quodimpocogorexemplis,
superius
inter
uerbafactuGalium
nerecusem.
Aquitanos
Sed,dumcogitomehominem
nitis,
. La suitede
rusticior
auressermo
nimium
urbanas
uestras
neoffendat
rum,uereor
fleuri
cettedclaration
orn,pourundisciple
!) toutlangage
(enunlangage
rpudie
: textesup. n. 29.
de Martin
- linguistique,
culturelle
et
cetteantithese
37. Nousavonsdj misen lumire
- entre
communicadu Nord: voirnotre
du Sudet Martiniens
Martiniens
asctique
au vi<sicle),sur
tion(au colloquede Lyonde 1981,La patriegauloise Agrippa
de la "patriegauloise"sousla
la prisede conscience
L'apport
du christianisme
thodosienne
, Lyon1983,p. 161-201
(etparticulirement
, Actesdu colloque
dynastie
de la prsente
190-191
: premire
pagedesDialogues).
exgse

15:06:15 PM

SULPICESVREET LA COMMUNICATION

29

On conoit que Postumianusse sente d'autant plus piqu au vif


ces
insinuationsque Gallus l'accuse de l'avoir contraint parler:
par
le fucus, pour lui, n'est pas chercherdu ct o Gallus le dnonce
obliquement.Insinuation,encore,dans le couple, classique et originellementcicronien,rusticit/urbanit
: faut-illes entendreau sens littral ou au sens mtaphorique? S'agit-il d'opposer, par une sorte de
retour l'tymologiedes deux termeslatins,l'inculturedes campagnards
l'lgance verbaledes citadins? En l'occurrence,mme,les paysans
des bords de Loire ces Bordelais trop fiersde leur loquence ? Le
contexteimmdiatde la page ne permetpas d'exclure ici ce sens premier,puisqu'un peu plus loin, Gallus va se dsignerlui-mmepompeusement,en disant : Nous autres,Gaulois de la campagne... .38
Cette cauillatio de Gallus, face ses auditeursaquitains, agace
assez Postumianus pour qu'il coupe la parole Gallus sur un ton
irrit: Dis donc , dit Postumianus, parle en celtique ou, si tu
prfres,en gaulois, pourvu que tu nous parles de Martin. Mais je
crois pour ma part que, mme si tu tais muet, les mots ne te manqueraient pas pour parler de lui avec loquence... D'ailleurs, tant
un lettr,tu te comportesjustementavec autant d'artificequ'un lettr,quand tu te disculpesde ton inexprience.Car tu dbordesd'loquence. Mais il est inconvenantqu'un moine soit aussi retors,et un
Gaulois aussi madr ! .39 Voil Gallus dmasqu : il a imprudemmentjou au paysan du Danube (en l'occurrence: de la Loire), pour
enroberses critiquesfinales,les plus graves : l'infidlitaux exigences de la parole asctique convertie.
Celtice uel, si mauis, Gallice. Postumianusraille : le contextene
laisse place aucun doute possible sur ce point. Car on ne peut
admettreici l'alternativeabsurde entreparler celtique et parler gaulois, le gaulois tant bien la langue celtique parle dans les Gaules.
Mais comment comprendrealors la valeur commune de ces deux
adverbes? S'agit-ilde langue ou simplementd'accent - comme vient
de le plaider de manire sduisante une tude rcente40.Ceci, sans
38. nosrustici
Galli : texteet contexte
inf.n.43.
39. Dial.1,27,4 : Tuuero,inquit
uelCeltice
Gallice
Postumianus,
aut,simauis,
dummodo
Martinm
credoquia,etiamsi
mutus
loquere,
loquaris.
Egoautem
esses,non
defutura
tibiuerba
Martinm
facundo
oreloquereris...
Ceterum
cumsisscholastiquibus
artificiose
cus,hocipsum
quasischolasticus
facis,utexcuses
imperitiam,
quiaexberas
Sedequemonachum
tamastutum,

essedecettamcallidum.
eloquentia.
equeGalium
40. M. Banniard,
La rouille
et la lime: SidoineApollinaire
et la langueclasauxmozarabes,

siqueen Gauleau vesicle, dansDe Tertullien


Mlanges
offerts
Fontaine
La squamaCelticisermonis
, 1, Paris,1992,p. 413-428.
Jacques
, par
lesrestes
d'accent
dontvient
desedpouiller
Sidoine,
laquelle
ep.3, 3,2, dsigne
gaulois
le parler
de la noblesse
selonM. B. p. 421, l'accent
des
arverne,
serait,
particulier
de sa province
. Cettehypothse
sduisante
dansunemtalatinophones
s'exprime
si l'on comprend
phoreencoreplussuggestive,
que squamane dsignepas une
caille, mais,parmtonymie,
la vieillepeaumorte
abandonnent
que les reptiles
chaqueanne: le latindesamisde Sidoineauraitfaiten quelquesortepeauneuve
enabandonnant
sesdernires
attaches
avecle gaulois ce qui neserait
phontiques
de Postumianus
?
pas ici le cas de Gallus,du moinsdansles railleries

15:06:15 PM

30

JACQUESFONTAINE

compterun autre et double jeu de mots possible sur le sens de Gallice : faut-ilentendre en Gaulois du Nord, par oppositionaux Gaulois d'Aquitaine - ce que suggrele contexteantrieurimmdiat?
Ou bien en Gallus (que tu es par ton nom) ? Le jeu de motsapparat donc quatre entres: il en est d'autant plus raffinet satirique.
Gallus ne se dmontepas pour si peu. Le plus remarquableest
qu'il ne refusepas d'avouer aussitt,sans dtours,sa qualit de scholasicus, mais qu'il n'en persistepas moins tenirsrieusementson
personnage de Gaulois proche encore du peuple celtophone, et
employer- en le soulignantcomme par dfi - un mot gaulois latinis, usuel dans le latin gallo-romain.D'une part, en effet,il commence son rcit martinienen voquant explicitement ces premiers
temps o, abandonnantles coles, j'ai rejoint le bienheureux...41 ;
et il enchriraencore de manireprovocante,en citant plus loin un
vers de Stace, et en introduisantdans l'insrendede sa citationcette
parenthsenarquoise: Nous usons d'un vers de lettr,puisque nous
proronsentrelettrs! .42 Mais d'autre part, il pose de manire
ostentatoireaux cts des paysansceltophones,et face aux lettrshellnisants,pour fairepasser la citationdu mot celtique latinistripeccia, en ces termes: Quant Martin,il tait assis sur un petitsige
rustiquecomme ceux dont se serventles jeunes esclaves, et que nous
autres paysans gaulois nous appelons des tabourets(tripeccias),tandis que vous autres lettrs,ou du moins toi qui viens de Grce, vous
les dnommez trpieds.43
Plus que Sulpice, Gallus apparatainsi au carrefourde troistypes
de communication,sinon proprementde trois cultures: celle des lettrsdes grandesvilles,celle des asctes martiniens,celle des locuteurs
rustiquesdes campagnes le plus conservatrices.Sulpice a tirprcis vue de ce personnage,
mentdes effetscomiques des transformations
qui peut jouer tour tour les savants, les asctes, et mme les rustres. On entrevoitqu'il pouvait choisir volont le registrede son
latin, sinon mme de son accent : raffinet ironique ; vanglique
et direct; populaireet ml de vocables celtiques.Sulpice s'est diverti
en faireun personnageambigu,quelque peu provocateur,et comme
beatomeuiro
relictis
41. Dial. 2, 1, 1 : Quo primoigitur
scholis,
tempore,
: voir
Sulpice
familier
sallusten
estun ticstylistique
iunxi.... L'emploi igitur
Mrtius
SabariaPannoniale dbutdu rcitde la Vita8, 1 : Igitur
en particulier
fuit... ; et comm.dansSehr134,p. 430.Ce ticamne se
rumoppidooriundus
de Gallusn'imiterait
du rcit
initiale
si la phrase
demander
pasiciquelquedbutclcitations
Pourdetelles
brede rcit
aussi,
muettes,
comparer
antique.
autobiographique
de la Vita: paraldansla prface
versde YAndrienne
du premier
la reprise
eneffet,
llecitsup. n. 27.
scoenimuersu
utdixitpoetanscio
42. Dial.3, 10,4 : Nimirum,
quis(utimur
intulit
suemmirantibus
scholasticos
Argis"
fabulamur),
"captiuumque
lastico,
quiainter
et recherche
d'autant
qu'il
, 8, 751). Citation
plusinattendue
(= Stace, Thbaide
maisd'ungrospoisson(un exocet,
ne s'agitpas ici d'unsanglier,
esocem).
in sellarusticana,
utsuntstaein
ueroMartinm
43. Dial. 2, 1,4: sedentem
autcertetuqui
uos scholastici,
Gallitripeccias,
usibusseruulorum,
quasnosrustici
.
de Graeciauenis,trpodas
nuncupatis

15:06:15 PM

SULPICESVREET LA COMMUNICATION

31

le gracioso de ses Dialogues. L'importantest pour nous qu'il ait ainsi


lev un coin du voile sur la pluralitde la communicationorale en
latin dans le milieudes asctes martiniens,et qu'il nous ait ainsi permis de pratiquerune sorte de petite coupe linguistique traversla
socit gallo-romaine.
Le problmepos Sulpice Svre par le choix d'un registrede
langue appropriau passage de la communicationapologtique qu'il
voulait tabliravec les amis et les ennemisde Martin,est encore analogue celui qui s'tait pos Juvencus,pour faire passer de la
manirela plus acceptablele messagevanglique des lettrshispanoromains. Dans la mesureo le modle du Christdemeuresi prsent
dans les actes et les paroles de Martin, l'analogie est encore plus
parlante.
Mais sur cettevoie qui risquaitde mener une surenchrestylistique, pour aboutir une variantechrtiennedu stilus scholasticus,
Sulpice a t retenu la fois par ses gots personnels,par sa culture
biblique, par l'ambitiond'crireaussi pour tous les publics latinophones, et surtout,finalement,par les exigences asctiques de Martin
autant que par l'exemple de sa parole. Sa prdilectionpour Salluste,
dont le tempramentpessimisteet critiques'accordait au sien, lui a
fait inventerun compromisheureuxentreles exigencesde son public
le plus lettret la sobritasctique d'un stylechrtienconvertifinalementmieux que celui de son ami Paulin. Comme pour Martin,
la pratiquede la Bible, et en particulierde l'vangile,a constitupour
l'ascte de Primuliacumun importantadjuvant cette cure de simplicit. La rencontreentre la parole vanglique - celle de Martin
ou, directement,celle de l'criture- et le stylenerveuxde Salluste
a permis l'auteur de la Vie de Martin et des Dialogues de produire
une oeuvredurable: elle taitpromisepar la qualit mme,mais aussi
la souplesse et pour ainsi dire la polyvalence,de ses moyensde communicationlittraires, accompagneret promouvoirdurablementle
culte de Martin dans le temps et l'espace de la latinitoccidentale.
Il est notable que cetterussitesoit aussi due au faitque Sulpice
a su gommerde son sallustianisme
les traitsles plus voyants,et comme
tels les plus dats du stylede l'historien: la recherchedes mots
insoliteset archaques ; une concentrationelliptique qui fait parfois
penser la formuled'Horace en son Artpotique : breuisesse laboro,
obscurusfio (AP 25) ; enfin,la tensiond'une asymtrieconstantequi
n'chappe pas toujours la raideur du clich. Sulpice a dtendu les
procds d'art de Salluste ; il a su par l se rapprocherdu naturel
oral de YUmgangsprache,voire, plus concrtement,
de la parole martinienne.L'clectismede ses lecturesa profit cettedtente,et aussi
la varitd'un styleo les leons de la concinnitascicroniennesont
rarementoublies. Il a tiss ainsi, dans une langue littraire la fois
incisiveet agile, les filspars de diverstypesde communicationlatine
dans la Gaule de son temps. Ce faisant,il a retardla ruptureentre

15:06:15 PM

32

JACQUESFONTAINE

langues criteset langues parles, latin littraireet latin instrumental.


Y compris l'ge carolingien,o justementse constituele Martinellus, et o sont copis la quasi totalitdes plus anciens manuscritsqui
nous en soient parvenus.

15:06:15 PM

Mdivales
1993,pp.33-44
25, automne
Andr CRPIN

POTIQUE LATINE ET POTIQUE VIEIL-ANGLAISE :


POMES MLANT LES DEUX LANGUES*

Parmi les culturesvernaculairesde l'Europe occidentale,celle de


l'Angleterredu Haut Moyen Age est l'une des plus prcoces. Les
modalits de son assimilationde l'hritage latin, et dans une bien
moindremesurede l'hritagegrec, apparaissentavec une prcisionde
plus en plus grande.
Depuis que les textesvieil-anglaisont retrouvdes lecteurs,c'est-dire depuis le xvie sicle quand la hirarchieecclsiastiqueanglaise,
rompantavec la papaut, voulut dmontrersa fidlit l'enseignement traditionnelde l'glise, les diteurs n'ont jamais manqu de
signalerles sourceset les paralllesbibliques,patristiques,liturgiques.
Aujourd'hui d'ambitieusesenqutes sont lances, souvent menes en
quipe et recourantaux mmoiresd'ordinateurs.ditions et traducde travailet misesau point annuellesse multiplient.
tions,instruments
M'appuyant sur ces donnes nouvelles,je rappellerail'historique
de la culture latine en Angleterreavant le XIIesicle. Je rduirai
ensuitemon tude au domaine de la potique pour me concentrersur
un phnomnecertes limitmais susceptibled'indiquer la nature et
le degrd'assimilationde l'hritageau cours des sicles : l'usage juxtapos du latin et de l'anglais. Ce phnomne n'a suscit que des
observationsdisperses,s'ignorantl'une l'autre. Pour mince qu'est la
matire,elle offreassez de varit pour nous renseignersur la latinitde la culturevieil-anglaise,sur la dfinitionet l'volutiondes genres, sur l'esprit de cette culture.

* Les pomes
citsse trouvent
dansG.P. Krappet E.V.K.Dobbie,
vieil-anglais
PoeticRecords
edd.,TheAnglo-Saxon
notam, NewYork: Columbia
UP, 1931-53,
mentdansle 6eet dernier
volume.
Surla potique
en gnral
on trouvieil-anglaise
veradesindications
et unebibliographie
dansmondition,
avectraduction
et comde Beowulf
: Kmmerle,
2 vol. 1991.
mentaire,
, Gppingen

15:06:22 PM

34

ANDRCRPIN

La culture latine en Angleterreavant le xiie sicle


Les textesnourriciersde la cultureanglo-saxonnesont en latin :
versionsde la Bible, critspatristiques(Grgoire,Augustin,Jrme,
Ambroise), la Consolation de Boce, l'encyclopdie d'Isidore, les
admonestationsde Gildas. Le latin vhiculaitla sagesse et le savoir.
L'crituresainteimposa l'criture.L'alphabet anglo-saxonest l'alphabet latin lgrementmodifidans la formedes lettrespar les Irlandais et augmentde quelques runes : il illustrele creusetdes cultures
latine,celte et germaniqueque futl'Angleterredu Haut Moyen Age.
Le prestigedu latin n'entranepas le mprisdes langues vernaculares. Bde, dans le tableau de la Grande-Bretagnequ'il brosse au
seuil de son Historia Ecclesiastica, situe clairementles langues :
Il existeactuellementcinq langues (en Grande-Bretagne)autant que de livreso est rapportela loi divine - dans lesquelles l'unique et mmesciencede la suprmevritet du vritable bien ultime est tudie, professe: savoir celles des
Anglais, des Brittoniques,des Scots, des Piets et des Latins.
Cette dernire,du fait de la mditationdes critures,est devenue commune tous.
Bde reconnatque toute langue peut servir la recherchede la
vritdivineet sa proclamation.Son rapprochement,inattendu,du
nombredes langues parles en Grande-Bretagneet de celui des livres
du Pentateuque, est la fois une astuce mnmoniqueet un moyen
de soulignerla valeur gale de ces langues. Le latin, cependant,langue de la Bible, formeun dnominateurcommun. Quand, aux environs de l'an mil (donc, prs de trois sicles plus tard), Aelfricse justified'crireune grammairelatine en anglais, il souhaite qu'ainsi les
jeunes dbutantsassocient l'une et l'autre langues, savoir la latine
et l'anglaise (1/6-7). Associer anglais et latin n'est pas simplement
une mthodepdagogique, c'est suggrerl'galit de l'une et l'autre
langues.L'expressionutraquelinguadsignaiten gnralles deux grandes langues de culture,le latin et le grec, d'o la prcisionajoute
par Aelfric, savoirle latinet l'anglais . Ayant donnerdes exemples d'adverbes en e tirs d'adjectifs, Aelfric met en tte de liste
anglice : anglice, latine, graece, ebraice (235/5-8).
Rome et l'Angleterre,une fois renous des liens troitsaprs
l'arrivedu missionnaireAugustinen 597, ne cessrentde communiquer. Ce fut surtoutaffairede moines. En 667 le pape Vitalien, au
pontificatmarqu d'influencesorientales,choisit comme archevque
de Canterburyun vieuxmais vigoureuxmoinede Tarse, form Athnes et ordonn Rome : Thodore. Le nom de Thodore avait t
suggrau pape par l'abb Hadrien, originaired'Afrique mais depuis

15:06:22 PM

POTIQUESLATINEET VIEIL-ANGLAISE

35

longtempsinstallen Italie. Hadrien conseilla,accompagna et seconda


Thodore. Bde chante leur loge (Hist. Eccl. 4/2) :
[Thodore et Hadrien] taienttous deux fortverss en littraturesacre et en littratureprofane. Ils attirrentune foule
serrede disciplesqui chaque jour recevaient,pour irriguerleur
en effet
cur, des fleuvesde sciencevivifiante.Ils transmettaient
leurs auditeurs,avec les textesdes livressacrs, les matires
de la mtrique,de l'astronomie,du comput. La preuve en est
qu'on trouve encore aujourd'hui [732] certainsde leurs disciples qui saventle latin et le grec aussi bien que leur proprelangue, celle de leur naissance. Jamais depuis l'arrivedes Angles
en terrebritanniquen'y eut-il une poque plus heureuse car,
ayant des rois courageuxet chrtiens,les Anglais inspiraientla
crainte tous les peuples barbares, tous dsiraientobtenirles
joies du royaumedes cieux dont ils venaientd'entendreparler
et quiconque dsiraits'instruireen sciencesacre trouvaitimmdiatementdes matrespour la lui enseigner.
Aldhelm, qui tudia un bref temps sous la directiond'Hadrien,
et Bde, son cadet d'une quinzaine d'annes, sont les deux phares de
la cultureanglo-latine.Alcuin place leurs oeuvres au centrede son
numrationdes richessesde la bibliothqued'York. Une mme foi,
une mme vocation d'enseignantles animent - mais, loigns par
la gographie, ils le sont aussi par leurs activits et leurs styles.
Aldhelm crit en latin sophistiqu,abondant en archasmes,nologismes et mots grecs, la syntaxecomplique. Bde utilise un latin
sobre.
La haute culturelatine de l'Angleterredu VIIIesicle ne se maintintpas, du faitdes ravages des Vikingset aussi par suite de la prospritmme de l'glise. Les clercsoublirentleur latin. C'est cet tat
lamentable de l'Angleterre son avnement(871) que dcrit le roi
Alfreddans sa prface sa traductionanglaise de la Regula pastoralis de Grgoire.Alfreda dcid une politique culturelle,idologique,
de traduction.Le sicle d'Alfred est le sicle de l'mergencedes langues vernaculaires.Pour Alfred,cependant,l'anglais est un pis-aller:
le latin reste la langue de prestige.Ses successeursne s'intressent
qu'aux ouvrages en latin. Il faut attendrele rgned'Edgar (959-975)
et la rformebndictineissue de modles continentauxpour retrouver la manifestation
d'un intrtet d'une politiquefavorisantles crits
en anglais. Edgar donna le sige piscopal de Winchesterau bndictin Aethelwold.Celui-civeilla la bonne connaissancedu latin,encouragea un latin sophistiqudigne de la pompe liturgiquedu renouveau
bndictin,mais travailla en mme temps normaliserl'anglais. Il
ne sparait pas les deux enseignementsdu latin et de l'anglais.

15:06:22 PM

36

ANDRCRPIN
Il prenaittoujours grand plaisir instruireles adolescents
et les enfants, leur expliqueren anglais les livrescritsen latin,
leur apprendreles rgles de la grammaireet de la versification, et les exhorteravec douceur placer toujours plus haut
leur idal. Et c'est ainsi que beaucoup de ses lves devinrent
abbs, vques et mme archevquesen Angleterre(Vita, attribue Wulfstancantor, ch. 31).

L'un de ces lves fut Aelfric.


Le sicle prcdantla Conqute par Guillaumede Normandieest
caractrispar la co-existence,
ingale,du latinet de l'anglais. Le latin
est la langue de prestige,mais on pratique un latin sophistiqu. Le
latin reste ignor de beaucoup. L'uvre considrable,presque toute
entireen anglais, d'Aelfricmontrequ'un public lettr,de haute culture, n'entendpas le latin ou que, s'il ne l'ignore pas, il lui prfre
l'anglais. L'originalitde cette culturerside dans la vive conscience
qu'elle a de ses deux natures,latine et anglaise. Les scribes n'utilisent pas le mme type de graphiepour l'une et l'autre langues. Aelfricrdige pour ses ouvrages deux prfaces,qui ne se rptentpas,
l'une en latin, l'autre en anglais.
C'est un aspect de cetteco-existenceque j'examinerai,aprs avoir
rappel la connaissance de la potique latine chez les Anglo-Saxons.
La potique latine chez les Anglo-saxons
La connaissancedu latin est lie au contextemonastique.Oblats,
novices, frreset prtresviventdans un monde o domine le latin,
au moins en thorie. Ils ne cessent d'entendreet de mmoriserdes
texteslatins. Le latin matrialisela vie spirituelle,presque anglique,
laquelle les moines se sententappels. Pour manifesterleur intgrationdans cet autremonde,beaucoup, aux vne et vmcsicles,abandonnentleur nom germaniquepour un nom latin : Biscop Baducing
Bonifatius; Hwaetberth,Eusebius. La
devientBenedictus; Wynfrith,
connaissancerelledu latin diffreselon les poques et les lieux. Lors
de la rformebndictinedu sicle encadrantl'an mil, le nombredes
traductionsanglaisesde textesliturgiqueslatinssuggresoit une liturgie
en vernaculaire,soit une prparation la liturgieen vernaculaire.Peut Ramsey l'tablissementde deux
tre Abbon de Fleuryintroduisit-il
coles, l'une en anglais, l'autre en latin.
L'tude du latin comprenait deux degrs distincts: d'abord
l'acquisitionde la grammaireet du vocabulairede base, puis une srie
d'tudes spcialises,parmilesquellesla mtrique.C'est le second cycle
que suivit Aldhelm avec Hadrien ; Aelfric ne traite,dans sa grammaire en anglais, que du premier.
Au niveau suprieur,le matre dicte et commentedes pomes
latins. En tenantcompte de l'horaire monastique, on peut imaginer

15:06:22 PM

POTIQUESLATINEET VIEIL-ANGLAISE

37

que les tudiantsparcourent,la premireanne, les 9 896 vers de


YEnide et, l'anne suivante,les 8 285 vers totaliss par le Carmen
paschale de Sedulius (1 753v.), la Psychomachia de Prudence (980),
le De actibus apostolorumd'Arator (2 326) et les Libri euangeliorum
quattuor de Juvencus(3 226). Un manuscritdu milieu du XIesicle,
constitueun vriprovenantde l'Abbaye de St-Augustin Canterbury,
table gradus ad Parnassum. Ce manuscritGg 5.35 de la Bibliothque
Universitairede Cambridge est surtout connu pour les pomes de
goliards qui formentsa quatrimepartie. Les trois premiresparties
une tude progressivede la posie latinechrtiennne
:
correspondent
eux-mmesdispossen ordrecrois1) des textesde premiredifficult,
sant de difficult
(Juvencus,Sedulius,Arator,Prosper,Prudence,Lactance et Boce) ; 2) nigmes (notammentd'Aldhelm), pomes (par
exemple le De die judicii de Bde), des versionsmtriquesdu Pater
et du Credo, des priresen grec ; 3) des pomes en latin sophistiqu
(Aldhelm,Abbon de St-Germain-des-Prs,
Hugbald). Les gloses montrentque les textesservaient l'enseignement.Ont t ajouts la
premirepartiele De laude sanctae crucisde Raban Maur et un trait
de musique. La quatrimepartie - posie de goliards- a pu tre
ajoute du fait que son critureest du mme scribe que la premire
partie.
Les trois grands de l'apoge de la culture latine en Angleterre
du Haut Moyen Age - Aldhelm,Boniface et Bde - ont rdigdes
traitsde mtriquelatine. L'ouvrage d'Aldhelm est le plus ambitieux.
Deux parties, l'une De metris, l'autre De pedum regulis, encadrent
ses cent Enigmata, selon une symtriesouvent attesteen littrature
anglo-latineet vieil-anglaise.Le traitde Boniface se rduit,au contraire, quelques pages. Bde a rdigun De arte metricasuivi d'un
De schematibuset tropls.Ce qui frappedans ces traitsest l'absence
totale de rfrence ce que pouvait trela mtriquevernaculaire.On
a parfois cru, tort,dceler une allusion celle-ci dans le chapitre
4 du De arte metricade Bde, consacr la posie rythme,
non quantitative; Bde n'y parle, en fait, que de potes latins et de vers
isosyllabiques.
L'usage juxtapos du latin et de l'anglais
Le corpus de posie vieil-anglaisequi nous est parvenua t filtr par l'Histoire ; il l'a t ds sa constitutionoriginellepar les responsables ecclsiastiqueset laques qui seuls pouvaients'offrirle luxe
de la fabricationde manuscrits.La quasi totalitde cette posie est
donc officielle, d'inspirationchrtienne.Une trs fortemajorit
de pomes paraphrasercitsbibliques,vies de saints,textesliturgiques.
Les rapportsentrele pome vieil-anglaiset sa source ne sont pas
simples. Il s'agit rarementd'une source unique, mais de traditions,
ou pluttde la Tradition,au sens thologiquedu terme,o l'ultime

15:06:22 PM

38

ANDRCRPIN

ralit,biblique, est colore, imprgnede commentaires,


patristiques,
et d'usages, liturgiques.Tout pome doit, comme l'hymnede Caedlouer
mon que Bde place aux originesde la posie anglaisechrtienne,
Dieu.
Une tude systmatiquede la traductiondu latin en vieil-anglais
reste faire. Mon propos effleurece vaste domaine, dans la mesure
o j'examinerailes lmentslatinsplus ou moins troitement
intgrs
dans le discours potique vieil-anglais.
Les lmentsnon intgrssont les versetsde psaumes ou les segmentsde priresen latin qui figurentavant leur traductionanglaise
commente,ou encore des espces de maximeslatines suiviesde leur
traduction.
Dans le premiercas nous avons des priresfarcies. Ainsi la
traductiondu Pater conservedans le manuscritJunius121 de la Bodlienne,du troisimequart du XIesicle, numreles propositionsde
la prirel'une aprs l'autre, en traduisantchacune par quelques vers,
de 2 6. En gnraldeux hmistichescorrespondent une proposition, mais ces hmistichespeuventtredisjoints,spars par un commentaire,un toffement,de la farce. On voit ainsi le pote au
travail. Il analyse le texte-sourceen blocs, traduit chaque bloc en
hmisticheanglais, et complteceux-ci pour satisfaireaux rgles de
l'allitrationpar d'autres hmistiches,de surcrot.Dans les exemples
ci-dessous les lments essentiels sont signals:
Pater noster qui es in celis.
Paeder mancynnesfrofresic the bidde
haiig drihtenthu dhe on heofenumeart
( Pre de la race des hommes,j'implore ton secours,/Seigneur saint, toi qui es aux cieux. )
Le dbut de Beowulf, pome hroquedont le manuscritdate des
environsde l'an mil, s'analyse de mme :
Hwaet ! We Gar-Dena in geardagum
,
theodcyningathrymgefrunon
hu dha aedhelingas eilen fremedon
( Or donc allons-nousdire des Danois--la-lance,aux jours
d'autrefois,/de leurs rois souverains la gloire, telle que nous
l'avons apprise,/commentleurs princes firentprouesse. )
La dmarcheest la mme, qu'il s'agisse de composer un pome
original,une traductionen vers - ou un pome en latin. On utilise
des lmentsmmoriss,des schmes mtriques(d'o les listes donnes par Aldhelm dans son De pedum regulis).
Quelques propositionslatinessentencieusessuiviesde leur traduction en anglais ont t insresdans deux codex du XIesicle. Les

15:06:22 PM

POTIQUESLATINEET VIEIL-ANGLAISE

39

maximes traduitesen prose diffrentd'un manuscrit l'autre, en


revancheles sentencestraduitesen verssont communesaux deux. Elles
une espce de stroconstituentun tout smantiqueet, formellement,
phe, faisantalternerlatin et anglais, deux distiques suivis d'un seul
vers - dcasyllabeslatins,octosyllabesanglais, alexandrinen clture,
la finale -ydh rappelant la rime -it du dbut.
Ardor frigescit,
nitor squalescit,
lux obtenebrescit.
amor abolescit,
hwit asoladh,
Hat acoladh,
leof aladadh,
leoht adhystradh.
Senescuntomnia
que eterna non sunt.
thaes the ece ne bydh
Aeghwaet forealdadh
/l'amour s'affadit, la
( La chaleur refroidit,l'clat se ternit,
lumire s'assombrit. Tout vieillitqui n'est pas ternel.)
Le pote anglo-saxonmanifesteune grande virtuosit transposer les traitsdu latin. Le latin ici ignorelongues et brves,mais joue
sur le nombredes syllabeset la rime des suffixes.Aux dissyllabesen
-or l'Anglo-Saxon donne un quivalent monosyllabiquedont l'encadrementconsonantiqueest presque identique{h + voyellelongue +
t). Il ne garde pas le procd pour rendreamor mais se rachtepar
l'homophonie de leof, leoht (l'auteur latin compensaitle monosyllabisme de lux par l'adjonction du prverbeob-). L'Anglo-Saxon conserve les rimeslonines,dsinentielles.Il a la contraintede l'allitration consonantique (consonne zro dans le derniervers). L'allitration joue un grand rle dans la posie latine, mme classique, mais
c'est un rle ornemental.Elle devientpresqueomniprsente,
obsdante
chez Aldhelm et ses disciples,chez qui elle peut, sous l'influencedu
vernaculaire,servir lier deux parties d'hexamtre; elle ne devient
cependantjamais obligatoire,alors qu'en posie germaniqueancienne
elle constituela rgle fondamentale.
Il conviendraitici d'tudierles mots latins adopts tels quels par
les auteursanglo-saxonsdans leurspomes : noms propresqui emplissent souventun hmistiche(Augustinus
, Gregorius),termestechniques
de
noms
mois
du
(par exemple
Mnologe).
Nous trouvonsun mlangemacaronique d'anglais, de latin et de
grec dans un pome insrentrela table des chapitreset le prologue
du De laude uirginitatis
en prose d'Aldhelm,brusquementinterrompu
faute de place. L'criture est de la deuxime moiti du Xesicle :

Thus me gesette
beorn boca gleaw
Ealdelm aethele sceop
ipselos on aedhele
byscop on Bretene.

sanctus et iustus
bonus auctor
etiam fuit
Angolsexna
Biblos ic nu sceal

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ANDRCRPIN

40
6
9
12
15

ponus et pondus
geonges geanodhe
secgan sodh nalles leas
euthenia
aene on edhle
yfel on gesaed
ne sceal ladigan
encratea
boethia
thurhhis modes gemind
thaet him drihtengyfe
fortisfactor

pleno cum sensu


geomres iamiamque
thaet him symle waes
oftor on fyslte
ec dhon dhe se is
etiam nusquam
labor quem tenet
ac he ealneg sceal
biddan georne
micro in cosmo
dinams on eordhan
thaet he fordh simle

( Ainsi me composa le juste et saint/hroslettr,grande


dans
autorit,/le noble pote Ealdelm ; il futen outre/minent
la patriedes Anglo-Saxons,/vque chez les Brittoniques.Livre
dont il me faut donc,/labeuret lourde tche, dans tous les sens
/sous la contrainted'une rcentepeine cet insde l'expression,
tant/direla vritsans mentir,dire que celui-l toujours connut/laprosprit,combl bien plus souvent,/connutla gloireen
sa patrie/plusque cet autre/donton dit du mal. Jamais en
outre/celuiqu'occupe le travail ne doit chercher justifier/sa
matrisede soi - il doit au contrairene cesser/dedemander
ardemmentle soutien de la grce,/gardant l'esprit dans son
microcosme,
/que le Seigneurlui accorderaforcesur cetteterre,/
le Crateur puissant, de sorte que toujours de l'avant ).
Le livreparle et prsenteson auteur,commedans le pome insr
par le roi Alfredaprs sa prface la traductionde la Regula pastoralis. Le pote ici multiplie plaisirpositionset combinaisonsdes mots
trangers.Ceux-ci peuventse trouver,isols, en dbut ou find'hmistiche. Des hmistichesentierssont en latin, ou en grec, ou en grcolatin (micro in cosmo).
Une autre technique,sacrifiantcette fois la varit la rgularit, consiste alternerhmistichesd'avant anglais et hmistiches
Le premierest un pome d'une
d'arrirelatins.Deux textesl'illustrent.
trentainede vers dont le manuscritdate du dbut du XIesicle et
auquel les diteursmodernesdonnentle titrede A summonsto prayer,
Exhortation prier.
Thaenne gemiltsadhthe, N. mundum qui regit
thronumsedentem
dheoda thrymcyningc
a butan ende
[etc.]
( Qu'alors te prenneen piti,N., Celui qui gouvernel'univers,/le puissant roi des nations, sigeant sur le trne de
gloire,/pour toujours jamais [etc.] )

15:06:22 PM

POTIQUESLATINEET VIEIL-ANGLAISE

41

Le texteappelle des corrections.Holthausen, vritableViollet-le-Duc


de la philologiegermanique,pour qui restaurersignifieamliorer,a
propos maintesmendations.L'auteur du pome ngliged'adapter le
cas ou le genredes syntagmeslatins. Il est possible d'expliquer,sinon
d'absoudre, ses manquements.Le mcanismedes fautesest instructif.
Prenonsle quatrimehmistiche,thronumsedentem.Refusonsde corrigerthronumcar l'accusatifavec sederese trouvechez Aldhelm.Comment expliquer l'accusatif sedentem alors qu'il faut le nominatif?
Attractionde l'accusatifthronum? Je souponnepluttl'influencede
l'hmistichevieil-anglaisparallle,thrymsittende
, toujoursattestavec
une dsinence(-e, -es, -ne, -um). Il resteque les hmisticheslatinssont
mal raccordsaux hmistichesanglais. On s'aperoit que le pote a
d'abord compos, la suite,tous ses hmistichesd'avant, en anglais,
formantun tout syntaxico-smantique
cohrent: thaennegemiltsadh
butan ende, puis il les a complts
the, N.,/dheoda thrymcyningc/a
d'hmistichesd'arrireen latin. Ceux-cianticipent,reprennent
ou toffentd'un complmentcirconstancielle texteanglais ; les oublis de segmentslatins (aux vers 3 et 4) n'entranentaucun dommage.
Bien suprieurssont les onze derniersvers du Phnix. Le pome
se trouvedans la richeanthologiepotique du Livre d'Exeter , de
la deuximemoitidu Xesicle. Il offreune interprtation
christique
du pome attribu Lactance. Il se terminepar une double conclusion. La premire,de 12 vers (v. 655-666), voque le paradis de la
Jrusalemclesteauprs du Roi de Gloire. Les verssuivants(667-677),
anglais-latins,ne font qu'amplifiercette vision de gloire. Au centre
du passage, un vers (672) rsume le dveloppement:
lucis et pacis
lifgan in lisse
( vivre dans le repos de la lumireet de la paix ).
Ce vers est un exemplede l'adquation des dsinenceslatinesau
contexteanglais, accord d'autant plus remarquableque les cas sont
divers pour un si bref passage. Des chos phoniques (/ dans le vers
cit, le reliantau vers prcdent)s'ajoutent l'allitrationpour resserrerla tramedu texte.Le passage de onze vers ne reprsentequ'un
soixantimedu volume du pome, mais il clturele pome, formant
un groupe structurelcomparable aux passages o le pote Cynewulf
signale son nom par des runes, un peu avant la fin de ses pomes.
Les sources
O donc les potes anglo-saxons trouvent-ilsleurs hmistiches
latins, leurs mots grecs? Ils disposentde trois sources : les pomes
la mtriqueclassique (quantitative); les hymnesrythmes
et les prires ; les glossaires.

15:06:22 PM

42

ANDRCRPIN

latinsde notrecorpus vieil-anglaisconstituent


Certainshmistiches
des fins d'hexamtredactylique(alta polorum, A Summons 26b) ou
bien des segmentsprochesde cettefin (unica voce 24b). Le regnacaelorum du vers31 semble un hybride.On trouve en fin d'hexamtre
dactyliqueregnapolorum. Smantiquementpolorum peut commuter
avec caelorum; mais alors, si le nombrede syllabesdemeureinchang,
la quantit,elle, n'est plus respecte(caelorum la premirevocalique longue).
Les hmistichesrebelles la scansion classique peuventvenirdes
textesliturgiques,hymnesou prires. cette source remontentaussi
certains termes grecs. Si biblos se trouve (latinis) dans la posie
d'Aldhelm, boethia, du pome sur Aldhelm, se trouve ds l'incipit
d'une priregrecque du manuscritGg 5.35 de la BibliothqueUniversitairede Cambridge(f. 420v) : o theos istinboythianmu proskis
, glos Deus in adiutorium.
kyrrie
Nul doute que les adeptes du stylesophistiqun'aient puis dans
les glossaires, mais j'ai le sentimentqu'on rduiraitla liste de ces
empruntsen dpouillantles rares textesgrecs des manuscritsanglosaxons. L'emploi des termesgrecsne me paratpas un placage pdant.
Dans le pome sur Aldhelm,ipselos fait la fois rfrenceaux hautes vertuset responsabilitsd'Aldhelm et au rapprochementdu premierlmentde son nom avec le latin altus, rapprochementexplicit
dans le pome adress Aldhelm par son disciple Aethelwald,o le
nom est glos, d'abord tymologiquement
puis analogiquement:
Ita cassis per culmina
prisci candunt praefulgida
gemmiferaornamina
gloriosa per agmina
[...]
Althelmumnam altissimum cano atque clarissimum
alto nostratimnomine
nuncupatumet numine
caelestia
potente ac terrestria
pollentemper
( Ainsi du casque [vieil-anglaishelm] ancien [v.an. eald]
les troupesglodans les hauteursbrillentresplendissants/parmi
rieuses les ornementscouvertsde gemmes/[...]/Card'Aldhelm
l'minenceje chanteet la renomme:/il porteun nom minent,
et par la Divinitil est protg,/qui rgnesur les mondes clestes et terrestres.
)
du Haut Moyen Age partageavec notrepoque un
La littrature
got extrmepour les jeux langagiers.
Trois observationsconclurontmon inventaire.
1) Les hmisticheslatins, ou les mots trangers- latins, grecs,
La trsgrandemajohbreux- sont insrsen gnralsans difficult.
ritde ces hmistichesont quatre syllabesfaisantalterneraccent fort

15:06:22 PM

POTIQUESLATINEET VIEIL-ANGLAISE

43

et accent plus faible : Agustinus. On rencontre,exceptionnellement,


des hmistichesde moins de quatre syllabes: ainsi les noms de mois
Agustus, Nouembris,Decembris, dans le Mnologe (Holthausencomplte, peut-treavec raison, par faer ou monadh mois ).
Certaineshymneslatines, hmistichesde quatre syllabes rimes
lonines, voquent le rythmede la posie vieil-anglaise:
Snete sator,
suffragator,
legum lator,
largus dator,
iure pollens,
es qui potens,
nunc in aethra
firma petra
[etc.]
/auteurdes lois, gnreuxbien( Semeursaint,intercesseur,
faiteur,
/juge quitable, toi le puissant,/montaux cieux, ferme
rocher [etc.] )
L'hymne a t rapprochedes vers que nous avons comments:
hat acoladh
leof aladhath

hwit asoladh
leoht adhystradh

et des deux derniersvers de Beowulf :


manna mildust
leodum lidhost

ond man thwaerust


ond leofgeornost
( de tous les hommes, le plus pris de paix et de concorde,/du bien de son clan, de la gloire de son nom. )
C'est aussi le rythmedes deux premiersvers, que nous avons
cits, si l'on considrehors-systme
l'interjectioninitiale(Hwaet !) et
si l'on accepte une syntaxeet un jeu de rimesmoins mcaniquement
symtriques.Les hymnesau nombrede syllabesfixeet aux rimesnettes ont suggr l'auteur du pome hroque un dbut et une fin
rythms.
2) La deuxime observation porte sur le problme dlicat du
volume des syllabes,qui joue, d'aprs moi, un rle essentieldans la
potique vieil-anglaise; celle-cine repose pas sur le nombredes syllabes mais sur leur valeur, dpendant de leur force accentuelleet de
leur volume. L'hmistichecanonique est constitude deux groupes,
chacun formd'une syllabevolumineuseaccentuesuivied'une syllabe
l'accent plus faible,au volumeindiffrent
: hat acoladh, _/_x
__x.

ce schma correspondbien fortisfactor (Pome sur Aldhelm, 17a),


mais nullementbonus auctor (2b). Doit-on supposerl'allongementdu
o bref de bonus ? la fin de la prface latine de sa Grammaire
,
Aelfricnote ce phnomne propos du a de pater et de malus. La
redistribution
des quantitsdans un segmentcommeGregorius(o long,

15:06:22 PM

44

ANDRCRPIN

autresvoyellesbrvesen latin classique) demande un inventairechronologique, gographiqueet sylistique- qui pourraitprciserles donnes du problme.
3) Troisimeet dernireobservation: le champ limitde l'affleurementdes hmisticheslatinsen posie vieil-anglaise.Les hmistiches
latins,et grco-latins,sont au nombred'une soixantainesur les quelque 61 000 hmistichesdu corpus - soit un millimedu total. Les
domainesanglais et latin restentsentiscomme des ensemblesdistincts,
ne permettantgure que les deux oprations de la traductionet de
l'adaptation. L'intersection,mlant les deux langues, est exceptionnelle, bien circonscrite.Elle n'a rien de l'exubrancejoyeuse qu'on
trouveraen moyen-anglais: je songe aux guirlandesentremlant
latin,
franaiset anglais des Harley lyrics(BL ms. Harley 2253).
Les raisonsde cetterticencesont probablementmultiples: mauvaise connaissancedu latin, pauvretde notrecorpus. Je noteraisurle
tout un esprit monastique enclin ordonner et compartimenter
monde. Tout mlange est risque d'incongruit,perversionparodique
ou magique. La littraturegnomique vieil-anglaisese plat rpter
que chaque chose a sa place, chaque homme sa vocation. J'ajouterai : chaque discours a sa langue.

15:06:22 PM

Mdivales
25, automne
1993,pp.45-52
Michel BANNIARD

LES DEUX VIES DE SAINT RIQUIER :


DU LATIN MDIATIQUE AU LATIN HIRATIQUE*

1. Que la communication
verticalefondesur l'usage du latintardif sous sa formeparle la plus humble ait continude fonctionner,
malgrdes difficultsaggraves,jusqu' la fin de l'poque mrovingienne, implique de rtudierle statut social, langagier,historique,
voire ethnographiquedes Vies contemporaines.Dans le cadre des
recherches
une triadede docuengagessur ce thmesociolinguistique,
mentspermetde btirun dossierexceptionnellement
complet; ils concernentla Vita Richarii. Cet abb du Ponthieu, contemporainde
Dagobert, a donn son nom son monastre, fondation devenue
fameuse la fin du viiie sicle, lorsque Charles en confia l'abbatiat
Angilbert.Sur les instancesde ce dernier,Alcuin a rcritune Vita
Richariid'aprs un originalmrovingien.
Comme il se trouveque dans
sa lettreddicatoireAlcuin a analys le stylede cette dernire,l'historien se trouve en prsence:
1) de la Vita Richarii prima crite vers la fin du VIIesicle ;
2) de la Vita Richarii lia dicte en 800 par Alcuin ;
d'Alcuin sur 1 et de ses intentions
3) des observationsstylistiques
en composant 2.
Cet tat de la documentationpermetd'engagerune analyse dans
de bonnes conditionsde scuritmthodologiquesur le fonctionnementde la communicationgnraleau viicsicle. En effet,troisconclusions assures ont pu tre poses :
lue la foule des fidleslors
1) la Vitaprima tait effectivement
de la fte du saint ;
* Afind'allger
sociolinguistique,
cet exemplum
on renvoie
la bibliographie
donne
etparticulirement
auxrfrences
A 2, 5, 17,18,24,26,51,
, p. 10-16,
supra
56 et B 4, 9, 12,16,18,22,25,45,50. La rudesse
du latinmrovingien
a tsensiblement
lissedanscettetranslatio.

15:06:34 PM

46

MICHELBANNIARD

2) sa langue trs incorrecte(d'aprs les canons du latin norm)


paraissait ses usagers (les moines du monastrechargsd'organiser
la crmonie)bien approprie l'instructiondes fidles;
3) la lecturede cetterdactions'est rptetous les ans pendant
plus d'un sicle (de 670/680 800).
Ces questions ont t traitesde manire sinon exhaustive,du
moins dtaille (Cf. dans la bibliographieles items 12 - Banniard,
Viva voce, 1992, p. 378-381 - , et 16 - Banniard, Seuils et frontires langagires, 1993) ; mais on a jug utile de prsenterun chantilnous qualifieronsde mdialon de ce typede latin,que pour simplifier
tique. En outre,pluttque de dcouper le texteen fragmentsparfois
minimespour suivre les sujets traits,on en donnera le fil continu
afin de mieux donner saisir la respirationrelle de ce Latin Tardif
(LT) en pleine volution.
Il reprsenteen effetun compromistype entre:
1) la langue parle spontanmentpar les illettrs,dont la mtamorphoseen ce qui deviendrale protofranaiss'acclre au tournant
des annes 700, et que par souci de clart on dnommerale Latin
Parl Tardif de Phase II (LPT2, vie-vnics.) ;
2) la langue parle de manireplus ou moins contrlepar les
lettrs(si laxistesoit leurgrammatica)
, qui fluctueentrele LPT1 (Latin
Parl Tardif de Phase I, iiie-ves.) et le LPT2, et d'autre part entre
les diffrentsniveaux de ces deux stades (langage soutenu, relch,
idiomatique...) ;
lue, coute, apprise,imitepar
3) la langue critetraditionnelle,
les rdacteurs.
Cela signifiequ'abstractionfaitede la prononciation(dont la pression influencesouvent la graphie), le phras de la langue naturelle
est soit reproduitsoit dcalqu soit simul par le sermo rusticusde
cettetendancegnrale user
la Vie de saint Riquier. Naturellement,
d'une langue crite volutive n'exclut pas des ractions normatives
(citationsbibliques, copies de modles anciens, voire accs de fivre
grammaticaledu dictator).
2. Les deux Vies sont assez brves: une dizaine de pages des
MGH (SRM , t. 7, p. 444-453) pour la rdactionmrovingienne
; lonsa
version
t.
4,
p. 390-401) pour
gueur lgrementsuprieure(SRM,
rvisecarolingienne,tant donn que le texte alcuinien est un peu
allong grce divers procds de dlayage. Deux passages ont t
retenus,dont la spcificitnarrativenous a paru justiciabled'une mise
sous titrequi en illustreles caractres.Cet chantillonnagesera plus
convaincant, associ la version du mme vnementrcritepar
Alcuin.

15:06:34 PM

LES DEUX VIES DE SAINTRIQUIER

47

Le miracle de la taupinire
Le futursaint a commenc sa carrired'vanglisateuren parcourant cheval son pays de mission. Voici qu'il offre une pieuse
matrone d'embrasserson nourrisson:
(I) Atque ipsa feminaexilienscum gaudio in manu porrexitpuerum; eum super equo osculare cpit. Temptatioillico
subita euenit; cum infantuloamplexaret,tanta ferocitasequi
emiscere(comprendreerumper)coepit, ut capud cum pedibus
mpetunimisueloci curreret,et ipse seruusDei una manu puero
alteraque equo tenere, Christo ex ore clamare, hue illucque
diuertere.Tune mater, qui puero dederat, oculos suos claudesuum
bat, pectus manibus tundebat,puerum primumgenitum
ipsa hora mortuumuideremetuebat.Nam ipse seruusDei Christum uelociterinuocans, puero de manu sua dimisit. Sic ruentem et equo pauentemquasi auicula infansad terrampervenite
ut teneritudo illius nequaquam conlideret.Mater eius flens et
eiulans ad puerumcadentemcucurrit,ut uel semiuiuo in manu
susciperet.Super mota terra, quam factum talpigini uocant,
inlaesum infantemrepperit. (par. 5, page 447).
Alors, la femme,toute heureuse,sortitet tenditl'enfant
bout de bras ; Riquier,toujours cheval,commena le cajoler. C'est alors qu'une agressionsubite se produisit: alors qu'il
tenaitle nourrissoncontrelui, un tel accs de sauvageriesaisit
le cheval qu'il se jeta d'une ruade dans une course emballe.
Si bien que le serviteurde Dieu tenait le cheval d'une main et
de l'autre l'enfant,hurlait pleine bouche "Christ", et divaguait en tous sens. La mre qui avait confi son enfantfermait
les yeux, se frappaitla poitrine,et craignaitde voir son premiern mortsur l'heure. Or, le serviteurde Dieu, tout en invoquant toute allure le Christ,laissa l'enfant lui tomberde la
main. C'est ainsi que, tandis que le cheval ruait et paniquait,
l'enfant parvint terrecomme un oiseau, sans que sa tendre
chair en subt la moindre contusion. Sa mre se prcipitaen
pleurant traversles larmeset les cris vers l'enfantau moment
de sa chute, pour le releverau moins encore moiti vif. Elle
retrouva l'enfant sain et sauf sur une motte de terre qu'on
appelle une taupinire.
On fera les remarquessuivantes sur ce rcit en sermo rusticus
(le texte des MGH a t lgrementretouch):
1) sont laisses de ct les analyses purementlinguistiques,qu'il
convientde voir dans Banniard 1993. On se bornera insistersur
le phras des passages en italiques, annonciateurdu protoromande
France.

15:06:34 PM

48

MICHELBANNIARD

cohrent
2) Le niveau langagierdu textedemeuresuffisamment
pour qu'en tenantcomptedes comptencespassivesdes auditeursillettrs, on puisse tre certain que la narrationleur tait intelligible.
3) Il faudraitvidemmentanalyserles caractresde la prononciation du lectorqui lisait ce texte haute voix : sans tre rductible
la phontiquepopulaire,sa dictionne pouvait s'en carterque dans
une mesuremodre,rsultantd'un compromisentrele souci de mise
en valeur de l'nonc et les capacits de rceptiondes fidles.
4) La teneurdu rcitmriteaussi attention,dans la mesureo
ce sermo rusticuscorrespondun typede rcitpopularisant.Ce classement se fonde sur au moins deux remarques:
a) la prsentationde Riquier est familire: il embrassel'enfant;
il est vigoureusement
secou (on pourraitsouriredu spectacle); il lche
l'enfant.
b) Le miracle garde quelque chose de naturel: la chute sur la
taupinireconfreau dnouementheureuxde l'accident un caractre
naturel; c'est un miracle rationnel,qui serait justiciable d'une lecture folklorique.
3. Voici la rdactioncarolingienne.
(II) Visitauit enim equitando quandam Deo deuotam
feminamRichthrudamnomine et iam post dulces uitae epulas
et post conloquia salubria ipse uir Dei, ascenso equo, ad propria remearedisposuisset,et feminapraedictaiuxta moremequitantisuestigiaparitersecuta est, habens in ulnis filiolumsuum,
ut paruulusquoque benedictionehominisDei roboraretur,
quem
ipse ante sacro baptismateDeo regenerauit.Acceptoque infante
eques uenerandusseu ad benedicendumseu ad osculandum,sed
antiquus hostis omnibus bonis inimicusimmisitequo ferocitatem, qui hue illucque dentibus frendens,pedibus calcitranset
toto corpore insanienset inconsueto impetu per campum diseurrere coepit. Quod pauida cernens mater oculos avertit,ne
morientemuideretfilium,quem seruusDei saeuienteequo manu
tenebat. Familia uero pro morte pueri uel casu uiri Dei strepere, piangere,heiularenon destitit.Sed dexteraChristi,quae
Petrm trepidantemleuauit, ne mergereturin undis, puerum
cadentem subleuabat, ne allidereturin terris.Nam oratione a
famulo Dei facta, puer incolomisquasi auicula peruenitad terrain et equus redditusest mansuetudinisuae. Et materquidem
filiumsuum super terramsanum et ridentemsuscepitin ulnas
suas. (par. 10, pages 394-395).
Il rendait cheval visite une pieuse femme,Rictrude.
Aprs les plaisirs conviviauxde la vie et les entretienssalutaires, l'homme de Dieu, remont cheval, s'apprtait rentrer
chez lui ; la dite femmesuivit,comme d'habitude, les pas du

15:06:34 PM

LES DEUX VIES DE SAINTRIQUIER

49

cavalier, en tenantdans son giron son fils tout jeune, afin que
le petitftaussi revigorpar la bndictionde l'hommede Dieu,
qui venait de le rgnrerpar le saint baptme. Le vnrable
cavalier reutl'enfantpour le bnir ou pour l'embrasser.Mais
l'antique ennemide tout bien provoqua un emballementdu cheval : il commena divaguer une vitesseinaccoutume traversle champ, en grinantdes dents,bottant,s'enrageant.A ce
spectacle,la mre,terrifie,dtournales yeux pour ne pas voir
mourirson filsque le serviteurde Dieu tenait,tandisque le cheval s'emportait. La famille trpignait,gmissait,hurlait sans
cesse. Mais la dextredu Christqui releva Pierre vacillantpour
l'empcherd'tre englouti,souleva l'enfantdans sa chute pour
l'empcherd'tre bless contre le sol. Car, grce une prire
faitepar le serviteurde Dieu, l'enfantparvintcomme un oiseau
terre,sain et sauf et le cheval futrendu sa docilit.La mre,
de son ct, serra contre son sein son fils sauf et souriant.
Par rapport la rdactionpopularisante,cette versionprsente
au contrairedes traitsaristocratisants,comme on en jugera si l'on
considre que :
a bouleversles caractristiques
1) le remaniement
langagiresdu
texte: l'lgant latin narratifalcuinien parat loin tant du modeste
latin mrovingienque, par voie de consquence, du phras protoroman, pourtantdsormaismergen terred'ol au tournantdes annes
800.
2) Les traitsnarratifsqui confraienten outre un aspect familier au saint ont t gomms: Riquier devientun personnagedistant
et hiratique.Il n'est plus question de prendrel'enfant pour le seul
plaisir de l'embrasser: sans oser cartercompltementce joli geste
de Riquier, Alcuin tamisecet pisode (ad benedicendumseu ad osculandum). Riquier n'est plus prsentcomme un pauvre cavalier bouscul et un peu ridicule.
3) Enfin, la part folkloriquedu rcit est supprime: c'est une
interventiondirectede Dieu qui sauve l'enfant; le pittoresquepisode de la taupinireest effac.
4. Riquier, parti se retireren ermiteau bord de quelque zone
marcageusedu Ponthieu, y difie une modeste hutte.
Ma cabane en Ponthieu
(III) At beatus sacerdos Dei percunctabat,ut uasta heremi
Deus illi prouideret.At uir nobilis scilicetGhislemarus,siue et
alius propinquossimiliter
nobiliset palatinusnec dissimilisgenere
Maurontusquenomine,qui postea religionemadeptus et mona-

15:06:34 PM

50

MICHELBANNIARD
chus effectus,post abitum Dagoberti ad suam relictamNanctildae reginae suggestionemfeceruntin nomine serui Dei, ut in
fisci ditione haberet remotionem.Querebant in prope in ipso
pago Pontiuo in Crisciacense(Crcy,foreste, ubi construxerunt
teguriumuile satis et paruo nec de ligno cooperto,nisi de rauso
exiguo, ubi aquam inueneruntprope de loco Argubio... (par.
8, p. 449. (Sigobard, le disciple de Riquier, se voit en songe
auprs du saint aprs le dcs de' celui-ci. Riquier lui montre
sa demeureclesteet commente): Trater Sigobarde,mala mansione habuimusde fumo ; uel in ista modo domo non nos nocet
fumus". Ecce ! qui habuit pro Deo obscuritatem,praeparauit
Uli Deus claritatemet pro fumosa mansione clarssimaretribuirne. (par. 14, p. 453).
Mais le bienheureuxprtrecherchait obtenirde Dieu
qu'il le pourvt d'un dsert. Le noble Gislemar, ainsi qu'un
autre parent tout aussi noble, appartenantau palais, Maurontus, qui par la suite se convertitet se fitmoine, aprs le dcs
de la reineresteveuve,
de Dagobert,obtinrent,sur intervention
Nantilde,que Riquierretun domaine retirrelevantde l'autoritdu fisc royal. Ils le cherchrenttout prs, dans le pays du
une minusPonthieu, en fortde Crcy, o ils construisirent
cule cabane en matriauvil, dont la couverturene futpas faite
de bois, mais uniquementde minces roseaux, l o ils trouvrentde l'eau... (...) "Frre Sigobard, nous avons eu une mauvaise maison enfume; mais dans celle-ci la fume ne nous
gnera plus. Et voil ! Celui qui a subi pour Dieu l'obscurit,
Dieu lui a rservla clart et, la place d'une maison enfume, il lui a prpar une rcompensepleine de lumire".

Le caractremdiateuret mdiatiquedu LPT de la Vie s'accentue peut-treencore dans cette descriptionde realia.
1) A la syntaxelinaire des attendussuccde un phras (passages italiques) dcalqu sur la langue familire(LPT2) dans la descripune
tion. La graphielaisse percerle parlervivant: ils construisirent
cabane vile et assez petite et couvertenon de bois, mais de roseau
mince... On souligneraqu'en ancien franaisarchaque, voire classique (viiic-xiics.) l'ordre des mots suivraitsans peine le droulement
syntagmatiquede cet nonc.
2) Les sentencesfinalesrpondentsi bien cette caractrisation
qu'on osera traduire,imitantle plus ancien franais: Frre Sigobard, maie maison emes de fum (c'est le vieux mot pour fume);
mais> en ceste demeure-- ci > ne nous nuitle fum... . La dduction s'impose : tantentenduque le franaisparl archaque (ou protofranais),PF est le produitvif des comptencesactivesde l'ensemble de la communautdes locuteurs,un typede langage, mme partiellementartificiel,qui s'ouvre si largement ce nouvel tat de lan-

15:06:34 PM

LES DEUX VIES DE SAINTRIQUIER

51

gue, passe la barrire de la communicabilitqui distingue l'crit


(vaguementtraditionnel)de l'oral (largementinnovant).
5. Le rcit carolingienreprendainsi ce sujet :
(IV) Quam uir Dei habitationemcum solo commilitone
ingressus,paruo tantumtuguriunculouilissimoopere contentus,
ut habitatiouitae conveniret,superfluumaestimans,saeculi contemptoremaliquid saeculi delitiarumhabere uideri (par. 13,
p. 397)... Ecce, fraterSigobarde,qualem mansionempraeparauit
mihi Deus, pro uili quam habui in terrapulcherrimam
in caelo,
pro contemptibiligloriosam, pro obscura lucidissimamet pro
fumosa omni suauitate renitentem. (par. 14, p. 398).
L'homme de Dieu pntra dans son habitationen compagnie d'un seul frred'armes. Il s'tait contentd'une minuscule cabane construiteen ouvragetrsordinaire,afin que l'habitation ft approprie son style de vie, estimantinopportun
qu'un contempteurdu monde donnt le spectacle de la jouissance du moindredlice de ce monde... "Voil, frreSigobard,
quelle maison Dieu a prpar pour moi : la place de la vile
que j'ai eue sur terre,une splendideau ciel ; de la mprisable,
une glorieuse; de l'obscure, une trslumineuse; et d'une enfume, une clatante de toutes les douceurs".
car :

Le remaniement,l aussi profond, ennoblit la trame du texte,

1) le rcitde la constructionde la cabane a t dpouill de tous


les dtails concretsqui donnaientau textemrovingienson caractre
quasi archologique. De ce fait,les mots populaires ( l'exceptionde
mansio, reu depuis longtempsen latin chrtien)ont t vacus du
vocabulaire employ.
2) Dans la visionfinale,le styleest rehausspour quitterle niveau
du sermo rusticusmrovingienet retourner celui du sermo simplex
patristique. On remonte une bonne latinit,mme parle, du
temps d'Augustin ou de Csaire d'Arles.
6. De ces quatre fragments,il ressortdonc que la Vita Richarii
mrovingienne
(textesI et III) offreun tat de langue et un type de
rcit apte la communicationgnrale aux vne et viiie sicles.
a) La narrationmet en scne les vnementset leur protagoniste
d'une manireque l'on n'hsiterapas qualifierde popularisante:
intentiondlibredu rdacteurou immersionde ce dernierdans le
tissumental,langagier,culturel,collectif? On ne peut trancher.Mais
l'effetde connivencenarrativeentrele matrefaisant la leon et les
auditeurscenss prendreplaisir ce rcitparat assur. Le redcou-

15:06:34 PM

52

MICHELBANNIARD

page alcuinien permetde mieux mesurera contrariola ralitde ce


caractre(fragmentsII et IV).
b) La langue et le stylesont en harmonieavec a). La distance
de cettelanguecritepar rapport la languevivantespontane(LPT2)
n'est pas nulle, mais elle demeure modre. Cela est si vrai que le
futurprotofranais(PF) sourd de cette graphiecorrespondant une
latinophonieen phase finalede mtamorphose.A ce titre,la Vie constitue un chantillonexemplairedu latin mdiateur.Bien entendu,la
volontd'user d'un langagerform(cultiusadnotatum)dans la rdaction alcuinienne prend le caractre inverse de passage un latin
hiratique.
c) Ce n'est pas sans quelque surprisequ'on relveenfinun effet
antithtiquedans cette volution puisqu' une langue popularisante
du miraclequi lui
a corresponduune mise en scne dmystificatrice
confreun aspect naturelet vraisemblable,alors qu' une langue arisdistanciateurdu mmemiratocratisantea corresponduun traitement
cle, devenu ainsi surnaturelet mystrique.

15:06:34 PM

Mdivales
25, automne
1993,pp.53-60
Michael RICHTER

LES LANGAGES EN PAYS CELTIQUES

Dans le cours du haut Moyen Age, des dates diffrentes,la


langue parle en Irlande, le galique, et le brittoniqueparl en Bretagne accdent l'criture; nous souhaitons montrerdans cet article
comments'est engag ce processus. Il nous a sembl particulirement
efficacede comparerla situationdes deux langues, car elle met clairementen vidence la spcificitde l'irlandais. traverscette comparaison, nous tenteronsdonc de montrerl'laboration d'une littrature non-latineen Irlande, documente par des inscriptionset des
manuscrits.
Le haut Moyen Age a vu la naissance d'une littratureen langue irlandaise dont la productionet la varit sont sans pareil en
Europe - exceptionfaitedes uvresen latin. Cette ralitrestemalheureusementtrop peu connue, la documentationrestantencore peu
ou insuffisamment
exploite.Pour remdier cettesituation,on manque tout simplementde spcialistes,bien que de grands noms de la
philologie comme Franz Bopp, Caspar Zeuss, Kuno Meyer, Rudolf
Thurneysen,Osborn Bergin entre autres, aient t attachs cette
1
discipline
La mise par critdu brittoniquea t prcde par trois sicles
et demi de culturecriteen langue latine sur le territoire
de la Bretagne ; puis, dans une phase ultrieure,la matrisede l'criturefutlie
l'glise chrtienne,
tout en continuant treutilisepour des besoins
profanes. En Bretagne,la culture crite latine survcut la fin de
la dominationromaine. Mais, contrairement
ce qui s'tait pass en
Gaule, cettedominationn'avait pas abouti la disparitionde la langue celtique.Il existaitdonc d'intensescontactslangagiersentrele brittonique et le latin ; la constitutiondes langues noceltiquesdu Veau
1. Un panorama
estoffert
150Jahre
rapidemaisprcis
parH.L.C.Tristam,
deutsche
Hibernistik
Kelten
undIren.150Jahre
deutsche
Keltolo, dansDeutsche,
G. MacEoin>H.L.C.Tristam
gie; Festschrift
d., Hambourg,
1990,pp. 11-53.On
en outrele tristique
du satiriste
irlandais
FlannO'Brien: Theyrosein
soulignera
their
/towrite
andBergin
andBest, dansmyles
night-shift
fortheZeitschrift
/Binchy
na GOPALEEN,
TheBestofMyles
dontil est
, Londres
1966,p. 266.La Zeitschrift
ici question
estla Zeitschrift
frceltische
.
Philologie

15:06:41 PM

54

MICHAELRICHTER

VIIesicle donne penserque le latin taitparl dans ces rgionsavec


une prononciationlocale.
Parmi les langues celtiques qui se mettenten place en Bretagne
aprs l'poque romaine2,la langue dite nobrittoniqueest la mieux
atteste.Elle reprsentela formeinitialede la langue connue gnralementsous le nom de gallique ou cymrique.Elle s'avre peu prs
stable entrele viie et le Xesicle (ancien gallique), avant de se transformeren moyen gallique. En raison de la prgnancede la culture
critehritede l'poque romaine, on aurait pu s'attendre ce que
ces langues locales passent l'critsans problme.Mais ce ne futpas
le cas. La langue brittoniqueavait subi une forteempreintelatinedans
son vocabulaire,mais pas dans sa grammaire3.En outre, on parvint
assez tt une transcriptiondes noms celtiques en latin4, et la
notationoccasionnellede mots d'emprunt.Et pourtant,dans l'ensemble, on a l'impressionque la prsenceen Bretagnede la culturecrite
latine a plutt entravl'accs l'crituredes langues noceltiques.
considrerque les documentsconservsen galOn doit naturellement
ne
qu'une partiede ceux qui ont pu exister cette
reprsentent
lique
l'ampleur.
poque, comptetenu des pertesdont on ne peut dterminer
L'Irlande, on le sait, n'a pas fait partiede l'Empire romain. Les
conditionsqu'on vientd'exposer pour la Bretagnene s'y appliquent
donc pas. On parvint mettrepar critl'irlandais en ayant recours,
l'alphabet latin. Il est trs probable
directementou indirectement,
que l'criturelatine arriva en Irlande avec le christianismeet la langue latine, c'est--direvers 400. Le rle mdiateurrevintsans doute
la Bretagne: elle importaen Irlande la formebrittoniquede la prononciationdu latin et influenaaussi la mise par critde l'irlandais.
Les premierstmoignagesmanuscritsen langue irlandaiseremontent au viic sicle5, mais il est certain qu'on a crit beaucoup en
irlandais ds cette poque. C'est aussi ce momentque l'irlandais
s'est diffrencide la langue celtique comune. De 750 environ 900,
la langue irlandaise a connu une phase relativementstable (ancien
irlandais); c'est alors que s'amorce le tempsdu moyenirlandais(vers
900-1200), pendantlequel la langue a subi des changementsvraiment
profonds.
and theirEvolution
dansK.H.Jackson,TheBritish
2. Panorama
Languages
dans: The MedievalWord
, D. Daiches et A. Thorlbyd., Londres,1973,
pp. 113-126.
SurA Chronological
in earlyBritain.
andHistory
3. K.H. Jackson,
Language
1953.
1stto 12thCentury
, Edimbourg,
Languages,
veyof theBrittonic
vitacoiumoae
dansAdomnan,
estattestee
4. Cetteapparition
, (avant/uuj,ia :
onomata
autgentium
authumana
Et necob aliquascoticaevilisvidelicet
linguae
vilesdiversas
aliasexterarum
obscura
gentium
vocabula,
quaeutputointer
locorumque
cuntlinguas.
d., Londres1961,p. 178.
, A.O. et M.O. Anderson
dansle c oaex
estournie
attestation
5. La plusancienne
paruneglosecrayonnee
Wendea datdu vnesicle: B. Bischoff,
I de Dublinque B. Bischoff
Usserianus
imFrhmittelalter
derlateinischen
inderGeschichte
, SacrisErudiri,
Exegese
punkte
ici p. 197.
6, 1954,pp. 189-221,

15:06:41 PM

LANGAGESEN PAYS CELTIQUES

55

Dans les pages suivantes,on traiterade deux typesde documents


contenantdes textesen brittoniqueet en irlandais: les inscriptions
et les manuscrits.
Les inscriptions
en langue celtiquedoiventtreconsidrescomme
Les inscriptions
. Elles se placentdonc
appartenantau domainegnraldes inscriptions
dans une large tradition,parvenueavec les Romains dans les les britaniques o elle est demeureen usage.
Inscriptionsoghamiques
On n'a pas jusqu' prsentcompltementlucid l'origine de
l'critureoghamique. Elle consiste en quatre groupes de cinq signes
chacun (points et barres) qui sont gravs dans la pierre. Il est peu
prs tabli que le systmereposait sur l'alphabet latin. On connait
plus de 300 inscriptionsoghamiques en Irlande, et on en compte 57
du mmetypeen Bretagne,provenanttoutesde la priodequi s'tend
de la fin du IVeau dbut du VIIesicle. Leur langue est dsignepar
. On les trouveprincetainssavantscomme le proto-vieil-irlandais
dans
les
comts
de
Cork
et
Waterford
en Irlande,
Kerry,
cipalement
et en Bretagnesurtoutdans le Pembrokeshire,au Sud-Ouest du pays
de Galles. Ce sont des pithaphesnon-chrtiennes
qui mentionnent
le nom d'une personne,au gnitif,accompagn du nom de son anctre. En Bretagne,44 de ces inscriptionsoghamiquesprsentent,
ct
de l'inscriptionen irlandais,une transcription
en langue latinegrave
en caractreslatins. La prsenceirlandaiseen Bretagneest donc atteste par ces inscriptions,
comme d'ailleurspar d'autres tmoins,depuis
la fin du IVesicle.
En Bretagne,les inscriptionslatines d'origine celtique reprables
partirdu Vesicle tmoignentde l'influenceexerce par la Gaule
voisine. On ne sauraiten dire autant des inscriptionsoghamiquesqui
relvent,la plupartdu temps,d'une formationautonome. On ne peut
pas non plus affirmerqu'elles soient d'origine chrtienne,sauf
lorsqu'on y trouve la formulehic iacit ou le monogrammechi/rho.
Les inscriptionsirlandaises prsententdes modificationslangagires
significatives
qui taientalors en cours (par exemplel'abandon de la
flexion,ce qui est soulignpar l'apparition occasionnellede hic iacit
suivi du nom au gnitif)et qui sont particulirement
visiblesdans les
inscriptions
bilingues.En Irlande,il n'y a pas d'inscriptionsbilingues;
en Bretagne,on rencontreoccasionnellementdes documentsen irlandais sans caractresoghamiques. On doit aussi soulignerque les langues irlandaiseet brittoniquetaientencore trs proches cette poque, surtoutsous cette formecrite qui ne prsentegure que des
noms propres. Il faut enfin prciserque cette traditiondes inscrip-

15:06:41 PM

MICHAELRICHTER

56

tions oghamiques s'est teinteau bout d'environ deux sicles.


On attirera l'attention sur une inscriptionde Bretagne date
d'environ 500 qui est compose partiellementen irlandais archaque
et complteen caractreslatins. K.H. Jacksonstigmatiseson caractre exceptionnelen disant : It is more of a freak6.
Inscriptionsen latin
Les inscriptionschrtiennesd'Irlande, qui utilisentl'alphabet
la priode qui suit celle des inscriptionsoghalatin7,appartiennent
miques, c'est--dire une poque o on employaitl'irlandais dans
les manuscritsdepuis longtempsdj.
On a l'impressionque la pratique des inscriptionslatines, trs
rpandueen Bretagne,a largementrefoull'usage du brittoniquedans
ces inscriptions.Mis part les rares exemples dans lesquels les inscriptions taient ralises en brittonique avec des caractres
oghamiques8, la langue latine demeure en Bretagnele medium prdominant. L'inscriptionen langue gallique sur la pierrede Towyn,
qu'il faut peut-tredater des annes 700 9, reste un cas particulier.
Les formesde ses lettresrenvoient celles qui caractrisentl'criture
manuscrite: on a donc l un tmoignageparticulirement
important
de la matrisede l'crit en gallique cette poque.
Manuscrits
Manuscritsen gallique
On peut considrercomme premierstextesles diplmes introduitsdans l'vangliairede Lichfield(Gospel of St Chad), critsdans
un mlanged'ancien gallique et de latin et couvrantune priode qui
s'tend du vnie (?) au Xesicle. Le MemorandumSurexitest le plus
long des anciens textesgalliques en prose contenantdes lmentsde
syntaxe.Aux IXe et Xesicles apparaissentles oeuvresgloses en gallique (Juvencus,Martianus Capella, Ovide - Ars amatoria, Boce
- De consolatone, fragmentsde comput). C'est alors que se situe
l'uvre latine manifestement
compose en pays de Galles, De raris
fabulis, accompagne de gloses du Xesicle. Le Juvencus,copi au
A lateinscription
fromWroxeter
6. R.P.Wrightet K.H.Jackson,
, The
ici p. 300.
Journal
48, 1968,pp.296-300,
Antiquaries
A collection
Palohibernicus.
7. W. Stokeset J.Strachaned., Thesaurus
oj
Dublin
Old-Irish
1901-1902,
, 2 vol.Cambridge,
rimpr.
scholia,
proseandverse
glosses,
1975,tomeII, pp.286-289.
andHistory,
8. K.H.Jackson,
op. cit.,p. 182et suiv.lesdatede la
Language
findu vesicle.
9. I. Williams,TheBeginnings
ed.,2eed. Car, R. Bromwich
poetry
of Welsh
Jacksonla situeun peuplustt: Somequestions
diff1980,pp.26-38.Kenneth
andlanguage
literature
indispute
aboutWelsh
8-9,1973-74,
, StudiaCeltica
pp.1-32,
ici p. 6.

15:06:41 PM

LANGAGESEN PAYS CELTIQUES

57

pays de Galles au IXesicle, contient,outre les gloses, plusieurspomes en gallique des IXeet Xesicles qui y ont t ajouts. Ces textes
sont donc issus, de toute vidence, du milieu ecclsiastique,qui a
assur leur transmission.On peut donc tre certain que le gallique
a t transcritdans les manuscritsds le vnie sicle.
On placera en seconde position les textes conservs dans des
copies certes tardives,mais dont la premiretranscriptionse situe
avant Tan mil. C'est sans doute au Xesicle qu'appartiennent
les notationsgnalogiques{yHistoriaBrittonumqui date du dbut du IXesicle attesteque cet usage s'tait dj gnralis),ainsi que le pome
Armes Prydein ( Prophtiesconcernantla Bretagne) et les quelques cent englynionqu'on appelle stanzas of the graves, dont certaines remontentau IXesicle et mettentencore en jeu l'thos hroque.
On a conservun groupe particulirement
importantde diplmes
en gallique : 14 nous ont t transmispar la Vita Cadoci (vers 1200)
et remontent
aux viie-viiie
sicles. 149 autres,parmilesquels des diplmes remontant la fin du VIesicle, ont t conservsdans le Liber
Landavensis( Book of Llandaff), un manuscritde la seconde moiti du XIIesicle. Le noyau de ces textesdoit tre considrcomme
authentique,ainsi que Wendy Davies l'a rcemmentdmontr10.Les
ces diplmes(principalement
lmentsgalliquesque prsentent
des descriptionsde limites l'occasion de cession de terres)constituentdes
en gallique dans les manustmoignagesimportantsde transcriptions
crits ds le vie sicle.
On prendra enfin en considration le corpus des Cynfeirdd
( Potes du dbut ), qu'on dsigne en bloc comme henngerdd
( posie ancienne). Il nous est transmispar des recueilsmanuscrits
du XIIIesicle, le Black Book of Carmathen
, Canu ( Chants ) Aneirin, Canu Taliesin, Canu LlywarchHen. Il est clair que ces manuscritscontiennentdes textesbien antrieurs leur compilation,mais
la date de leur premirerdactiondemeureun sujet de dbat. Ce sont
surtoutles Canu Aneirinqui ont t tudisces dernierstemps11.Le
recueild'lgies galliques connu sous le titre Y Gododdin et attribu
au pote Aneirinest conservpar deux traditionsmanuscritesdiffrentes(A et B). Certainsauteursrapprochentces lgiesd'vnements
politiquesqui se droulrentdans le Nord de la Bretagne la fin du
VIesicle. Si on considre qu'elles sont apparues vers 600, on doit
s'attendre ce qu'elles aient t composesen langue cumbrienne.
C'est donc en raison de l'volutionlinguistiqueque Sir Ifor Williams
et KennethJacksonont mis l'hypothsed'une premirerdactionen
pays de Galles au IXeou au Xesicle. Mais en se fondantsur de nouvelles apprciationsconcernantla fixationpar crit des plus anciens
diplmesgalliques,et en s'appuyantsur de nouvellesrflexions pro10. W. Davies,WalesintheearlyMiddleAges, Leicester
1982,enpart.Appendice: Thesourcematerial
, pp.198-246.
11. En dernier
lieuB.F. Robertsd.,EarlyWelsh
Studies
in theBook
Poetry.
1988.
, Aberystwyth,
of Aneirin

15:06:41 PM

58

MICHAELRICHTER

pos de l'laboration de la langue gallique, on ne peut plus dsormais


exclure tout fait que le texte Y Gododdin ait t non seulement
compos, mais aussi transcritaussitt aprs l'vnement.Soulignons
enfinqu'au Vie sicle,Gildas parle du chefbretonMaelgwnGwynedd
d'une manirequi laisse penser qu'il a pu encouragerl'mergence
d'une posie indignemise par crit ds cette poque12.
On retirefinalement
l'impressiond'un ctoiementet d'un mlange
une
culture
criteimprgnede christianismeet une
entre
complexe
culture indigne, orale l'origine mais accdant graduellement
l'criture13.
Manuscritsen irlandais
On traiteraici de la mise par crit de l'irlandais l'aide de
l'alphabet latin, phnomneprcd en Irlande par l'apparition de
l'critureen latin14. Cette dernireest atteste sur des monuments
remontantaux annes 600 environ; mais on peut tenirpour certain
que la traditioncriteen Irlande a t instaureau Vesicle, fonde
sur les usages romainsde cettepoque et perptuepar la suite. Tout
ceci s'est droul dans le milieu chrtien,bien que l'installationdu
christianisme en Irlande se drobe entirementau regard de
l'observateur15.
de manireadquate l'enviLes plus ancienstmoignagesrefltent
ronnementsocial dans lequel s'est ralise pour la premirefois la
mise par critde la langue irlandaise. Il s'agit de gloses qui portent,
soit sur des texteschrtiensau sens troit,soit sur des textesappartenant la littratureet la culturelatines au sens large. Ce matriel est beaucoup plus importantque celui qu'on peut trouverau pays
de Galles16.
partirdu manuscritqui contientles plus anciens tmoignages
de quelque importanceen vieil-irlandais,on peut noncer quelques
caractristiquesde la transcriptionde cette langue. Il s'agit des gloses dites de Wrzbourg,contenuesdans un codex aujourd'hui conserv la BibliothqueUniversitairede Wrzbourg.Le texteprinci12.Gildas,De excidioBritanniae
, cap. 33-36.J.T.Koch, WhenwasWelsh
written
down? StudiaCeltica
first
Literature
, 20-21,1985-86,
pp.43-66,icip. 63.
et A. Wollmannn
miseau pointdansA. Bammesberger
13. Derniere
ed.,Bri1990.
andHistory
: Language
tain400-600
, Heidelberg,
latineestplusricheen Irlande
littraire
la production
14.Cependant
qu'enpays
Unbonpanoenirlandais.
de la production
maisellen'atteint
de Galles,
pasle volume
Literaramaestoffert
ofCeltic-Latin
parM. Lapidgeet R. Sharpe,A Bibliography
ture,400-1200
, Dublin,1985.
: implications
to Ireland
Theintroduction
ofalphabetic
15.M. Richter,
writing
1991(souspresse)
and consequences
;
, dansF.S. Brendan,O. Hehir,Berkeley,
in Ireland
The Beginnings
of Literacy
J.Stevenson,
, dansProceedings
of the
89, 1989,pp. 127-165.
RoyalIrischAcademy
whoextensively
theIrishwerethefirst
16. Sincethetimesof LateAntiquity
L. Bieler, Theislandofscholars
texts
their
, RevueduMoyen
AgeLatin
glossed
ici p. 227.
8, 1952,pp.213-234,

15:06:41 PM

LANGAGESEN PAYS CELTIQUES

59

pal, les lettresde saint Paul, est abondammentglos en latin et en


irlandais. Le texteet les gloses ont t composs vers 700. La glose
en irlandais ne reprsentepas une simple traductiondu texte latin,
mais en constitueplutt une paraphrase ou une exgse. L'irlandais
se montreds le dbut une langue d'une remarquablesouplesse, et
l'existencede gloses latineet irlandaise,toutesdeux tracesde la mme
main, montre l'videnceque dans le milieuchrtienon faisaitusage
de l'irlandais.
En ralitla majeure partie des textesrdigsen irlandaisavant
1100 est conserveen dehors d'Irlande, mais on doit bien sr considrertout ce qui a pu tre perdu en Irlande mme. La prsencede
gloses en irlandaisdans des manuscritscontenantaussi des gloses en
anglo-saxonet en brittoniqueattestel'activitd'ecclsiastiquesirlandais en Bretagnedepuis le VIIesicle. Une grande partie des textes
irlandaisa t transmisepar l'intermdiairedes monastresde SaintGall, Reichenau et Bobbio. Il s'agit de textes savants d'inspiration
chrtienne,mais aussi de pomes de circonstanceprofanes(par exemple le Pangur Ban de Saint-Paul de Carinthie),ou encore de mentions marginales.Ces documentsattestentdans l'ensemble des relations multipleset varies entrele patrimoineculturelchrtientransmis en latin et la proprelangue des Irlandais,qui taitmanifestement
connue en plusieursendroitsd'Europe, partouto les Irlandaisenseignaient.Ces textesont servide base la rdactiond'une grammaire
17. C'est
du vieil-irlandais
parce que l'ensemble de ce corpus de textes est en relationtroiteavec les institutionschrtiennesqu'il a pu
tretransmiset conserv,mais il faut aussi songer toutes les pertes
inestimables.
La littrature
en langue irlandaise,dont on a dit au dbut qu'elle
tait particulirement
abondante pour la priode qui s'tend de 400
1100, a essentiellement
un contenu profane. Le plus ancien recueil
manuscritqui contiennece type de textes,le Lebor na hUidre date
en fait du dbut du XIIesicle. Mais des lmentsphilologiquespermettentde conclureque des textesirlandaisdont le contenun'est pas
chrtienont t crits ds la fin du VIesicle. Les lois irlandaises
entrentdans cettecatgorie,elles auraientt rdigesvers 700, probablementen liaison avec la compilationdes sentencescanoniques qui
datent de la mme poque (Collectio Canonum Hibernensis). Relvent aussi de cette catgoriedes pomes, des gnalogies,des rcits,
etc.
Cettevaritprouvela vitalitde la cultureirlandaisequi remonte
l'poque pr-chrtienne
mais a subsistaprs l'introductiondu christianisme. On ne voit pas encore clairementcommentse sont effectus les contacts et l'interpntration
des culturesreligieuseet profane, en latin et en irlandais. Voici tout ce qu'on peut dire avec cer17. Lesdocuments
onttrassembls
dansle Thesaurus
Palohibernicus,
op.ci.;
la grammaire
estcellede R. Thurneysen,
Handbuch
desAltirischen
, 1909.

15:06:41 PM

60

MICHAELRICHTER

titude sur ce sujet : l'criture,comme formetrangrede conservation et de transmissiondu savoir, a t importeen Irlande par le
christianisme.Mais elle a t trs tt mise au servicedu patrimoine
local pr-chrtien
qui, pourtant,ne correspondaitpas l'thos de la
chrtienne18.
religion
On doit encore soulignerles diffrencesentreles textesgalliques
et irlandais. Il n'existe quasiment pas de gloses bibliques en ancien
gallique. En revanche,les diplmes galliques sont remarquablement
nombreuxpar rapport aux documentsdu mme type en irlandais:
on voit bien ici que l'hritageromain a laiss des traces bien plus
profondesen Bretagnequ'en Irlande19.
Par ailleurs,il semble bien qu'en Bretagnela primautde l'criture latine depuis l'Antiquitait entravla mise par critde la lan:
gue locale. L'Irlande offredans une certainemesurela contre-preuve
comme l'criturelatine y est arrive tard, elle a gard sa place de
langue trangreet il n'y eut de ce fait gure d'inconvnient utiliser l'criturealphabtique pour transcrirela langue locale.
Traduit de l'allemand
par Michel Banniard
et Genevive Biihrer-Thierry

destravaux
desrenvois
rcents
contenant
troisouvrages
18.On peutconsulter
tradition
Williams
et P. Ford,Irishliterary
: J.E.Caerwyn
, Cardiff,
plusanciens
dansLexikon
desMittelalundLiteratur
1992.P. NI Chathain, Irische
Sprache
Irish
sousle titre
auteurs
dediffrents
ters5, 1991,col.645-651
; ainsiquelesarticles
dansDictionnary
Literature
of theMiddleAges,6, 1985,pp.521-552.
m western
tradition
19. Voira ce sujetW. Davies, TheLatincharter
Britain,
et aliid.,Ireinearlymedieval
andIreland
, dansD. Whitelock
period
Brittany
landin earlymediaeval
1982,
volume),
Cambridge,
Europe(K. HughesMemorial
pp.258-280.

15:06:41 PM

Mdivales
25, automne
1993,pp.61-70
Roger WRIGHT

SOCIOLINGUISTIQUE

HISPANIQUE

(VIIIe-XIe SICLES)

La pninsuleibrique tait au dbut du VIIIesicle un tat wisigothique formellementunifi. Lorsque les Wisigothstaient arrivs
dans la pninsule au Vesicle, ils parlaient dj latin (protoroman)
et, mme si cettepoque ils parlaientaussi encore leur dialectegermanique, bien avant 700 ils avaient cess de le faire. Il y avait aussi
dans la pninsuledes communautsjuives importantes,qui ont laiss
en hbreu,mais l'hbreun'taitpour eux qu'une
quelques inscriptions
langue crite; et vers 700 ils taienteux aussi romanophonesmme
si autrefoisils avaient parl l'aramen. la mme poque, les seules
communautsqui ne parlaientabsolumentpas roman taientprobablementles Basques, qui ont peut-trepeupl un espace s'tendant
vers l'Est plus loin que le pays basque actuel ; les Basques n'taient
christianiss,mais il est probable qu'un grand nompas entirement
bre d'entre eux taient en fait bilingues (basque/roman).
L'critureavait ordinairementpour supportdes tablettesenduites de poix ou des papyri, qui ne sont pas parvenusjusqu' nous,
mais les critsdu VIIesicle conservssur des ardoises, dcouvertes
dans la provincede Salamanque, paraissentattesterune pratiquecourante de l'critureet du calcul. Au total l'Espagne wisigothiquedu
vne sicle tait certainementl'aire la plus duque et la plus alphabtisede l'ancien EmpireRomain d'Occident; sa socitrestaitprincipalementfonde sur la matrisede l'crit, qui constituaitla base
de la culture savante dans toute la pninsule jusqu' la fin du
XIesicle.
En Al-Andalus
L'invasion musulmanecommenaen 711, et ds 718, la majeure
partie de la pninsule, l'exception des montagnesdu Nord-Ouest,
tait conquise. Le langage officieldes envahisseurstait l'arabe, mais
la majorit du personnelmilitaire,compose de Berbresdu Maghreb, n'tait pas initialementarabophone. Car avant l'arrive des

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ROGERWRIGHT

Musulmans au viie sicle, les habitantsde la zone ctire de l'Afrique du Nord parlaientgnralementroman, et il est raisonnablede
supposer qu'un grand nombredes envahisseursberbresde la pninsule ibrique parlaientdj le roman, soit comme langue maternelle
soit comme langue apprise, et qu'ils pouvaient par consquentcommuniqueravec les habitantsautochtones.Ils n'taientpas ncessairementtous musulmans,et les dialectesberbresqu'ils parlaientpar ailleurs ne leur permettaientprobablementpas de communiquertous
entreeux. En ce qui concerneces dialectes,on ne sait pas avec certitude pendant combien de temps ils continurent tre parls dans
les communautsqui descendaientdes premiersenvahisseurset fondateurs. D'autre part, l'immigrationdes Berbress'est constamment
poursuivie,surtoutlorsqu'ils ont t recrutspar Al-Mansour la fin
du Xesicle, mais dans le mme temps,les communautsinitialement
romanophonesde la zone ctirede l'Afriquedu Nord semblentavoir
oubli le roman en adoptantl'arabe, si bien que les derniersarrivants
berbresne parlaientprobablementplus roman quand ils dbarquaient
en Espagne. Et les esclavesde la cour, qui taientpluttd'ascendance
slave, avaient, semble-t-il,appris l'arabe.
Dans beaucoup de domaines de la vie, comme l'a soulign Collins, il y a eu continuitentrele VIIeet le viiiesicles. Le roman tait
la langue la plus courammentparle en Al-Andalus, aux champs, au
march,dans les rues, dans les bureaux et la maison : les envahisseurs tant principalementdes hommes, leurs pouses furentprincipalementdes femmesromanophones.De nombreuxhabitantsfurent
de ce faitbilingueset issus d'une ascendancemixte; on dit, par exemple, que le Calife Abd-el-RamanII (morten 852) eut 87 enfants,ns
pour la plupartde femmesindignes.Le roman qui tait parl l est
actuellementappel mozarabe , un termequi n'tait pas alors en
usage, et qui fut par la suite appliqu aux exils du XIesicle, mais
les contemporainsl'appelaient communment ladino (mot transcrit encore par latinus), et les Arabes le dsignaientsous une forme
emprunteau mme mot. Il n'est pas facile d'tudieraujourd'hui ce
mozarabe, car une grande partie de la documentationcrite l'a t
en alphabet hbreuou arabe, mais la communautdes chercheursest
actuellementde plus en plus convaincuequ' bien des titresle mozarabe tait proche de l'ibro-romandu Nord. En effetdepuis la fin
du viiic sicle il arrivaitque des chrtienslettrsquittentAl-Andalus
pour aller travaillerdans le Nord comme notairesou comme scribes
(et d'autres comme charpentiersou cultivateurs); or il n'existe pas
la moindreallusion dans les documentsconservs une quelconque
incomprhensionentreles clientsasturienset les rdacteursmozaraune gobes. Galms de Fuentesa pu reconstruire
hypothtiquement
graphiefinedes variationsqui ont d affecterla zone romane mozarabe (du Portugal Valence, de Malaga Saragosse) mais, comme
les commentateursl'ont soulign, la majeure partie des tmoignages
sont moins clairs que ne le suggreGalms, puisqu'ils sont par dfi-

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SOCIOLINGUISTIQUE
HISPANIQUE

63

nitionlimitsau vocabulaire et aux seuls traitsphontiquesqui sont


susceptiblesd'en tre dduits.
Les locuteursromanophonesd'Al-Andalus devinrentde plus en
plus des bilinguesarabo-romans,et une majorit de la communaut
demeura probablementbilingueau moins jusqu'aux vnementsdramatiques qui suivirent1085 (quand une masse de Mozarabes dut fuir
devant les Berbres almorvides). Mais on peut considrerque la
naturede la relationentreles langues avait chang. Initialement,les
romanophonescontinurent lire et crireen suivant la mthode
dsutede l'EmpireRomain, et les intellectuels
cordouansdu IXesicle
paraissentavoir t en substanceduqus dans la traditiontablie par
Isidore et incarnepar Juliende Tolde la findu VIIesicle. Cependant, la clbre lamentationd'Alvare (852), sur le fait que les chrtiensinstruitsprfraientaccder la culturecriteen arabe, indique
le changementen cours ; au dpart,les bilinguescontinuaientd'accder d'abord la culturecriteen roman/latin,mais ils finirentpar
prfrerrecevoird'emble une formationlittraireen arabe. La Bible
et diversconcilesfurenttraduitsen arabe, et il existeune histoirechrtienne du Xesicle crite en arabe ; en revanche des pitaphes sont
encore graves en bonne formetraditionnellelatine jusqu'au XIesicle, et l'on doit penserque les gens pouvaientencore les lire. Les travaux de Van Koningveldont tabli qu'il y avait Tolde une importante communautde chrtiensbilinguesdont la culturecrite tait
sans doute uniquementarabe, au momento la villetomba aux mains
des chrtiens(1085), et plus tard encore. Les chrtiensde l'Espagne
musulmanerestaientainsi compltement
l'cart des rformeslinguistiques, comme des autres rformes,de l'empire franc,mais en compensationils taienten contactplus troitavec les Chrtiensd'Orient.
Il est possible que ce soit la parfaitematrisepar les Chrtiens
de la langue criteadministrative
qui ait termeinduitle progrsde
leur critureau sein de la communautarabophone, une fois que les
conversionsdes Chrtiens l'Islam se furentgnralisesau Xesicle. Les musulmansoriginairesd'Espagne taientsemblablementbilingues, mais ce ne fut jamais qu'en arabe qu'ils possdrentla matrisede la langue crite,si bien que les diffrencessociolinguistiques
entreles diversgroupes religieuxtaienten cours de disparitionprogressive,au furet mesureque les chrtiensinversaientla situation
diglossique de la socit. L'arabe lui-mmeavait des niveaux sociolinguistiquesqui taient encore inconnus dans le monde mozarabe,
avec des variationsdialectales qui rendaientles Andalous identifiables d'aprs leur parlerdans le restedu monde musulman,et il y avait
une divergencecroissanteentre l'arabe officielet le parler familier.
Aucun ouvrageoriginaldu VIIIesicle provenantd'Al-Andalusne nous
est parvenu,mais ultrieurement
la Cordoue califalebrillaen de nombreuxdomaines, un haut niveau intellectuel; on y lut et on y copia
en abondance des livres,qui furentaussi traduitsdu latin en arabe,
et la bibliothquede Cordoue tait l'une des plus vastes du monde

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ROGERWRIGHT

musulman. un niveau plus lmentaire,une grande part des communicationssociales tait sans doute de type macaronique, et il se
sous la prespeut que la grammaireromaneait subi des simplifications
sion de l'environnementsocial ; mme s'il devait souvent tre difficile pour un auditeur de distinguerentre des interlocuteursparlant
arabe avec des empruntsromans et d'autres interlocuteursparlant
roman avec des empruntsarabes, les deux langues ont une structure
distinctepour qu'aucun mdiolectehybridene soit consuffisamment
cevable, et les locuteursbilinguesn'ont d que rarementparleraussi
courammentl'une et l'autre langue. On a un indice de faiblessesde
ce typedans le faitque de trsnombreuxempruntslexicauxde l'espagnol l'arabe adoptent l'article dfini (/al/) en mme temps que
l'unit lexicale, car l'effetde sandhi empchaitla frontirede mot
d'tre toujours discernabledans la chane articulatoire; c'est pourquoi de tels mots tendent commencerpar /a-/ (ex, alczar ,
albaricoque , ajedrez , arroz , acequia ). Les systmes
phonologiquessont si contrastsque les formesles plus anciennement
attestespar crit de tels arabismes en roman varientsouvent sans
rgle l'une par rapport l'autre, aussi bien que par rapport l'tymon arabe. Les tentativesfaitespour attribuerau mozarabe des particularitsphonologiques ou syntaxiquesdu futurespagnol andalou
ou du futurcatalan valencienn'ont donn que de maigresrsultats,
mais ceci est probablementd une double raison : d'une part, les
formesnordiques sont venues effacer,en s'y surimposantaprs la
Reconquista, les maniresde parler locales du Sud ; d'autre part, il
y avait beaucoup moins de mozarabes dans l'Espagne musulmane
aprs 1100 qu'il n'y en avait eu auparavant. Les tentativesfaitespour
reconnatrele roman mozarabe dans les formesdes kharjas susoptimistes,
ceptiblesd'tre romanes,sont probablementexcessivement
en raison de la grande incertitudequi pse sur leur dchiffrement
;
il semble que des litteratiaient uvr partird'un ventailsociolinguistiquecomportantpeut-tretroisou mme quatre varitsd'arabe
surimposes un dialecte roman vernaculairedpourvu de prestige.
Le roman et l'arabe impliquaientdeux alphabets, et la prsence
de l'hbreu (uniquementau titrede langue crite) en fournissaitun
troisime.En thorie,et peut-treen pratique, chacune de ces trois
langues pouvait tre critedans chacun de ces trois alphabets. C'est
bien sr un problmepour les chercheursmodernes,et ce l'tait peuttre dj pour les habitants d'Al-Andalus. Les meilleurstextes de
kharja , essentiellement
arabes, mais accompagnsd'lmentspeuttre romans, sont transmisen alphabet hbreu. L'hbreu n'tait pas
employcomme langue de conversation,mais les textestaientrcidans l'Espats dans les synagogueset l'ruditionjuive taitflorissante
gne musulmanedepuis le Xesicle. Menachem Ibn Saruk composa un
importantdictionnaired'hbreu l'poque o fut fonde une cole
qui devait porter l'un des grandspanouissementsde l'histoireculturellejuive, aux XIe et XIIesicles. Les Juifsn'taientpas tous intel-

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SOCIOLINGUISTIQUE
HISPANIQUE

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lectuels,diplomateset hommes d'affaires; il existe des tmoignages


tout fait fiablesd'artisanset de cultivateursportantdes noms juifs,
mais la qualificationde l'hbreu comme langue de lectureet d'criture- alors que cettelangue n'tait pas parle - a peut-trerserv
une lite les aspects critsde la culturejuive. On enseignaitla rcitation lettrepar lettresi bien que la prononciationtait fonde de
manireisomorphesur l'orthographetelle qu'elle existaitdj. Mme
pour les Juifs,la crationoriginalese faisaitsouventen arabe - parfois crit en alphabet hbreu - puisqu'ils abandonnrenteux aussi
le roman pour devenirprincipalementarabophones.
Dans les royaumeschrtiensdu Nord
La culturewisigothiqueperdura aussi bien au Nord qu'au Sud
de la ligne de dmarcationreligieuse.Au viiie sicle, les Chrtiens
confinsdans les montagnesdu
indpendantstaientmajoritairement
confiance pour rtaNord, mais aprs 800, ils prirentsuffisamment
blir des capitalespolitiquesplus loin au Sud, Barcelone(801), Pampelune (aprs 824), Burgos (884) et Lon (914). Ainsi des colons passrentde la Galice Coimbra. Dans tous les cas, les nouveaux habitants de la cit en expansion venaient pour la plupart de plusieurs
valles situesau Nord et un dialecte d'intercommunication
sociolinguistiquementsimplifise forma; il perptuaitd'ordinaire dans la
prestigieusemtropolele plus grand dnominateurcommun des diffrentsdialectes rgionauxqui prexistaientdans les montagnesplus
septentrionales(ce qui explique pourquoi les parlersdes valles montagnardesdemeurentencore aujourd'hui plus complexesque les dialectesdu Sud qui en sont issus). Les mouvementspermanentsde reporenforcer
et ceci
pulationdevaientultrieurement
l'intercomprhension,
plusieursreprisesau cours du Moyen Age. Durant la majeure partie de la priode considre,les Asturies(Lon) dominaientpolitiquement au Nord. Les Basques se trouvaientprincipalementdans le
royaumeautonome de Navarre. Il y aurait peut-trelieu de reprendre l'opinion de Menndez Pidal selon laquelle la pntrationdes
Chrtiensau-del de la frontire
religieuseformala base d'une expansion de la culturecrite asturienne.
La parole romane tait ce momenten trainde perdremassivementplusieurstraitsgrammaticauxcomme, par exemple,tous les cas
autresque ceux correspondant l'ancien accusatif,les formesverbales synthtiquesdu passif et du futur,les subordonnantsen ut, etc.
En mmetempselle en gagnaitplusieursautres,commele futuranalytique, les passs composs crs partirdu verbe auxiliaire habere,
de nouveaux articlesdfinisdrivsde ille, un usage accru des prpositionspour compenserla pertedes flexionsnominales,des nologismes avec des suffixesdiminutifs,etc. Pourtant,c'taient les normes critestraditionnelles
qui taienttoujours enseigneset apprises,

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ROGERWRIGHT

et la socit asturo-lonaise reposait toujours sur la matriseprsume de la culturecrite,et ses tribunauxsur la documentationcrite;
alors que peu de gens savaientcrire,beaucoup savaientlire, et presque tout le monde (alors, comme aujourd'hui) pouvait comprendre
textes,lettres,ordres,sermons,documents,prires,vies de Saints,pitaphes, etc. quand ils taientlus haute voix leur intention.Chaque village avait sans doute quelqu'un, mais pas forcmentun clerc,
qui savait lire haute voix ses voisinsen cas de besoin, et qui peuttre savait aussi crire leur demande. On passait les transactions
lgales avec l'aide d'un notaire,qui pouvait dans la pratique appartenir un monastrelocal. Il y avait quantit de petitsmonastres
et de petitesglises,et le nombrede documentsconservssuggrequ'
un niveau pratiquele systmefonctionnaittoujours comme dans une
socit alphabtise.Au momentde l'invasion musulmane,le roman
ailde la pninsuleaurait toujours t pour l'essentielcomprhensible
leurs ; mais c'est probablementpendantla priode d'isolementrelatif
de 711 1020 que le roman de l'Espagne non catalane accentua ses
principalesdiffrencesavec la langue des autres aires romanophones,
Catalogne incluse.
Il serait probablementanachronique de s'imaginerdes dialectes
distinctsspars par des frontiresnettesdans les aires romanophones ibriques de ces sicles. Il existaitnaturellementdes diffrences
entreles habitudes langagiresdes locuteursromanophonesrsidant
en diverslieux, mais dans la priode qui prcdela normalisationdu
XIIIesicle, il n'y avait gure que des variations alatoires dans la
rpartitiondes variantesphontiquesou morphologiquesen comptition. Il est, par exemple, raisonnable d'mettrel'hypothsequ'en
Galice la premiresyllabe du mot pel alteros tait prononce
plus souvent [out-] que [ot-], alors que plus loin vers l'Est en Castille,elle tait plus souventprononc [ot-] que [out-],mais qu'aucune
de ces formesne correspondait la totalitdes occurrencesen chataitconforme
cune de ces deux rgions.La situationsociolinguistique
celle qu'on trouvepartoutdans les socitsmonolingues: une variation gographiqueprogressive l'intrieurd'un continuummonolingue. Pour cettepoque, on ne peut pas dterminerde faon certaine
la provenancegographiquedes textesd'aprs les formesqu'ils reclent. Comme l'a soulignAlarcos Llorach, tous les locuteurspouvaient
communiqueravec des voisins romanophonesd'Espagne en cas de
besoin, aussi bien l'intrieurdes royaumes chrtiensque plus au
Sud. C'est ainsi que le comte de Castille Sancho Garca (roi de 995
1017) put adresserun loquent discours aux nobles de la cit voisine de Tudle, qui tait sous autorit musulmane.
La documentationconcernantla prononciationromane de l'pofondes
rtrospectives
que provientpour l'essentielde reconstructions
sur des textespostrieursrdigsen graphierforme(au XIIIesicle) ;
quoique les fautesgraphiquesprsentesdans les documentsantrieurs
la rformesoient souventintressantes,elles ne peuventen aucun

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SOCIOLINGUISTIQUE
HISPANIQUE

67

cas tre considrescomme une transcriptionphontique directecar


elles sont trop souvent suscitespar des mises en pratique errones
de l'orthographetraditionnelle.Dans les coles monastiques la graenseigne cettepoque, comme de nos jours,
phie taitnaturellement
mot par mot ; enseigner des apprentisscribes peler [esa] ipsa
ou ipsam et [outro] alter ou alterumn'tait pas plus compliqu que
d'apprendre des coliers francophonesd'aujourd'hui peler [m]
aime , aimes ou aiment. Les formesdsutes de la morphologie et de la grammaireque l'on rencontraitdans les texteset
qui taient ncessairespour rdigerde manireautonome paraissent
n'avoir men qu'une sorted'existencecrpusculaire,c'est--direqu'on
les comprenaiten gnral passivement,mais qu'on ne les employait
que rarement,seulementdans l'acte d'crire (comme le pass simple
en franaismoderne).Quand des textesimportantsdevaienttrerdigs, comme les histoiresofficiellesprpares la cour des Asturies
dans les annes 880, ils taientprcdsde plusieursprojets dans lesquels on insraitdes marqueurslangagiersplus ou moins survivants,
comme les passifs synthtiqueset les cas obliques nominaux, de
manire leur donnerun caractreplus professionnel.
Ce rsultattait
souvent obtenu en imitantles uvres antrieures.Les compositeurs
d'hymnes procdaientde mme. Mme les Asturies du VIIIe sicle
n'taientpas arrivs la pertecompltede tellestechniques, moins
que les ruditsmodernesn'aient fait erreur(ce qui n'est pas exclu)
en identifiantle lieu d'origine du Commentairesur l'Apocalypse de
Beatus de Libana (vers 780), qui est si tonnamentbien inform.
Les textesmoins officieuxen revanchene subissaientpas cette
oprationde polissage, ainsi que nous le montrela conservationfortuite d'un compte de fromagestabli par un intendantde la fin du
Xesicle en Lon. Grce une telle variation stylistique,la nature
de l'ibro-romandu Xesicle taitextraordinairement
sociolinguistique
souple et ductile dans sa capacit exploiterles varianteslangagires, tant anciennesque nouvelles; et si les documentsconservsdonnent une impressionde maladresse, c'est simplementqu'ils ne pouvaient se prsenterpar crit que sous l'accoutrement hrit de
l'ancienne tradition,qui les rendait fcheusementboteux. Nous ne
sommespas prsenten mesurede conduired'un point de vue sociolinguistiquedes analyses techniquessur les statistiquesconcernantles
variables que sont les classes sociales, les ges, les contextes, les
rseaux de sociabilit, etc., au sens moderne, mais la connaissance
de la sociolinguistiquenous invite penserque la communautromanophone hispanique du Xesicle ressemblait celle de la France
d'aujourd'hui ; il y avait une quantit considrablede variationsen
tout endroitconsidr,mais elles restentcaches nos regardssous
une norme crite conservatrice.
La zone frontireentrela Castille et la Navarre nous donne le
premiertmoignageconservd'un rdacteurqui s'efforceconsciemment de ne pas crire correctement
au sens usuel. Les gloses de

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ROGERWRIGHT

la Rioja de San Milln et de Silos taient autrefoisattribuesau


diximesicle, mais on considre prsentqu'elles sont du onzime,
et mme (dans le cas de Silos) d'aprs 1060. Deux manuscritscontiennentdes notes marginales,dont certainessont apparemmenttablies en orthographervise,et souvent aussi avec une morphologie
romane. Dans ce cas au moins, on a pens que les marqueurslangagiers habituelstaient inappropris,et le but tait probablementde
faciliterla lecture haute voix (des sermonset d'un pnitentiel).Cette
nouvellemanired'crirene pouvait gure aider un natifde la Rioja,
qui savait trs bien prononcersa propre langue sans une telle assistance, mais elle a bien pu tre conue pour aider un des nombreux
visiteursvenus de plus loin, du Nord-Est, puisque vers 1060 l'ide
d'une graphie la manire occitane tait gnralementaccepte en
Occitanieet en Provence; la correspondancegraphme/phonme
poutre utile un visiteurde cette origine.Mais
vait donc effectivement
cette tentativen'eut apparemmentpas de suite car pour la priode
antrieure 1100 aucun autre texte caractrisablecomme roman ne
parat avoir survcu dans la pninsule.
Deux des gloses de la Rioja sont en basque, premierchantillon
crit de cette langue, quoiqu'il existe un autre tmoignage,difficile
dans un documentpartiellement
interprter,
bilinguede Guipuzcoa
en 1055. Ces gloses ne peuventtrequ'exprimentales,car on ne saurait supposer une matrisede la culturecriteen basque cettepoque ; tous les Basques qui crivaienttaientbilingues.Et en dehors
des zones de montagneo le basque survitencore, les simpleslocuteursbascophonestaientprobablementtous bilingues.Ils prsentaient
un cas clair de diglossiebilingue,identiqueen 1100 ce qu'elle avait
t en 100 de notre re, et, comme d'habitude dans les couples linguistiques,le langage infrieur fut beaucoup plus influencque
le langage suprieur : l'influenceromane sur le basque est donc
plus pntranteque l'inverse. Les Basques eux-mmesn'taient pas
faibles,comme le prouva l'crasantedfaitedes Francs Roncevaux
en 778, et c'est probablementleur indpendancequi permitau basque tout simplementde survivre.
En ces sicles, l'Aragon consistaitseulementen quelques hautes
valles pyrnennes,o le roman tait pour des raisons gographitels
isol pour prserverquelques traitsdistinctifs
ques suffisamment
que des consonnesintervocaliquessourdes.Au sud, la valle de l'Ebre
tait encore gouvernepar l'Islam. Cependant, plus l'Est, se trouvait la Catalogne, ou plutt le pays connu aprs 800 sous le nom de
marche hispanique de l'Empire franc. La Catalogne avait subi peu
d'influencedirecte des Arabes et, pendant ces sicles, elle tendit
appartenir la sphreculturellefranaisepluttqu' la sphreibrique. On remarque,par exemple,que la ligne qui peut tre lgitimementtrace sur la carte pour sparerle catalan de l'aragonais correspond en gros aux frontirespolitiques franques. Mais cela non plus
Il n'y
ne dressa pas une vraie barrirecontre l'intercommunication.

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SOCIOLINGUISTIQUE
HISPANIQUE

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avait aucune frontire


relleentrele catalan et l'occitan ni cetteponi
que,
longtempsaprs, et les Catalans devaientparticiperau dynamismede la cultureprovenale.Ce sont aussi les Catalans qui importrentune des inventionsmajeures de la cultureromane franque: la
isole que nous connaissonsaujourd'hui sous
langue conceptuellement
le nom de latin mdival, qui tait employe uniquementdans des
contextesformelset au dbut exclusivementecclsiastiques.L'usage
du latin mdival dans la Catalogne des IXe et Xesicles fut probablementtrs dispersgographiquement,comme le fut aussi celui de
la minusculecaroline, qui semble avoir t importeavec lui. Mais
au dbut du XIesicle, la culture catalane se mit brilleren latin
mdival,avec l'implicationsociolinguistiquesuivante: une varitde
diglossieentredes varitsapparentesde la mmelangueexistaitdans
la Catalogne du XIesicle - comme il advenait pour l'arabe dans
l'Espagne musulmane- mais non pas dans les autres communauts
romanophonesd'Espagne. Mme pour cettepoque, il est lgitimede
se demandersi les Catalans considraientvraimentle latin mdival
comme une entittotalementisole de leur langue catalane maternelle,
ou non pas pluttcomme un vernis appliqueren touche finale,suivant les usages anciens.
La fin du XIesicle vit une quantit de changementsdans la
sociolinguistique
hispanique.La conqutede Tolde provoqua des confrontationsentredes intellectuelsarabophones,des exgtesjuifs, des
clercscastillans,des vques franais,des locuteurslatinophonesvenus
du Nord lointain, la rencontrede locuteursmozarabes et de locuteurs romanophonesvenus d'autres rgions,au sein d'une cit dont
la structuresociolinguistiquedemeureencoreobscure nos yeux ; par
ailleursl'ide reueque la communautmozarabe futperscuteparat
aujourd'hui dnue de fondements.La langue de prestigequi naquit
de ces changes devait tre un autre interdialecte(comme plus tt
Burgos et plus tard Sville). La dcision lonaise prise Burgos
(en 1080) d'adopter la liturgiequi tait d'usage gnral ailleurs en
Europe eut des consquencessociolinguistiques
inattendues,puisqu'on
fut dans l'obligation d'importerdes clercs de France pour enseigner
la nouvelleprononciationdu latin mdival,requise par leur liturgie.
Ce latin,qui n'taitplus vernaculaire,
et cettemanirede parlerimporte et clairementdistincteconduisirentfinalementle restede la pninsule la mme diglossie latin-romanque celle qui existaitdj en
Catalogne. Au XIIesicle, l'critureaussi s'europanisa. L'arrive de
plerinsde nombreuxpays, romanophonesou non, transformaSantiago en un centrecosmopoliteet polyglotte,et le roman de Galice
futle premier montrerles signesd'une influenceexercepar la lyrique occitane. La drivepolitique du Portugal loin de la Galice commena, mais pendantencore un sicle au moins aucune frontirelinguistique n'exista sur cette marche, ni probablementnulle part ailleurs dans le continuumallant de la Galice l'Aragon. L'arrive des

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70

ROGERWRIGHT

Almorvidesen Espagne musulmane(aprs 1086) mit quasimentfin


la culturebilingueen ce pays, puisque les chrtiensmigrrentau
de plus
Nord, Tolde ou ailleurs,et que les musulmansse limitrent
en plus l'usage de l'arabe. Tout un ge pritfin entre 1050 et 1100,
et le statut sociolinguistiquede la pninsule ibrique changea alors
radicalement.
Bibliographie
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Ambito, 1982.
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15:05:24 PM

Mdivales
25, automne
1993,pp.71-91
Angelika GROSS

L'IDE

DE LA FOLIE EN TEXTE ET EN IMAGE :


SBASTIAN BRANT ET L'INSIPIENS*

Il y a plus d'une manire de parler de la folie et des fous, et


le sujet peut tre abord sous de multiplesaspects1. Celui de la folie
morale, c'est--direde la folie en tant que vice suprme,fut la fin
du XVesicle un thme de prdilection.
La nef des fous
L'ouvrage qui illustrecettepositionest bien connu. C'est le Narrenschiffde Sebastian Brant2. La premiredition est parue Ble
en 1494. Entre 1494 et 1505, l'ouvrage est rditnon moins de 5
fois. Ds 1497, on relveles premiresrdactionsen bas-allemandet
la traductionen latin3. Du latin, le Narrenschiff
est traduitdans les
langues vernaculairesles plus courantes.En franais,par exemple,le
Narrenschiffdevientainsi la Nef des Folz du Monde4. Le Narrenschiff(nef des fous) est un catalogue de vices rpartisen 110 chapitres, chacun consacr un vice diffrent.En mme temps, chaque
* Cetarticle
le texte
d'uneconfrence
au sminaire
de la CEMAT(Culreprend
turecrite
du MoyenAgeTardif)
en Juin1991; la plupart
desimages
qui l'accomonttmises madisposition
de l'IRHT(Institut
pagnent
parla section
iconographie
de Recherche
et d'Histoire
desTextes)au Centre
Orlans.
Augustin
Thierry
1. Pourunevued'ensemble
cf. BarbaraKnneker,
WesenundWandlung
der
Narrenidee
imZeitalter
desHumanismus
1966; JolLefebvre,
Lesfols
, Wiesbaden,
et la folie, Paris: Klincksieck,
1968; H.H. Beek, Waanzin
in de Middeleeuwen,
k-Haarlem
: De Toorts,
1969; L'umanesimo
et lafollia, Rome: Abete,
1971;
Nijker
MichelFoucault,Histoire
de la Folie l'geclassique
1972;
, Paris: Gallimard,
undNarrheit
imsptmittelalterlichen
Gross, La folie : Wahnsinn
Angelika
Text
undBild, Heidelberg
: Winter,
1990et Jean-Marie
du fou au
Fritz,Le discours
MoyenAge,Paris: PUF, 1992.
2. Cf. L'dition
de H.A.Junghans
et H.-J.Mhl, Stuttgart
: Reclam,1980.
3. Stultifera
Navis
Ble: de Olpe,1497; cf. Paris,B.N.,
, trad.JacobLocher,
Rs.Yh 51.
4. Trad.P. Rivire,Paris: JehanPhilippes
Manstener
et Geoffroy
de Marnes,
1497; cf. Paris,B.N.,Rs.Yh 1.

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72

ANGELIKAGROSS

vice est surnomm folie . Les textes sont versifiset chacun est
prcd d'une gravuresur bois. L'image est lgende par un verset
de trois lignes, en bas de page. Chaque illustrationreprsenteune
petitescne qui fait allusion au thme voqu dans le chapitrecorrespondant.Dans le premierchapitre,par exemple,il est question de
la bibliophilie(fig. 1). L'illustrationmontreun clerc avec des lunettes. Il est assis au milieude sa riche bibliothque,derrireson pupitre et occup lire dans un livre. l'aide d'un plumeau, il chasse
les mouches. Le versetrelate Im Narrentanzvoran ich gehe/Da viel
Bcher um mich sehe/Die ich nichtlese und verstehe (Je mne la
danse des fous/carje vois beaucoup de livresautour de moi/que je
ne lis ni ne comprends).
videmment,l'image d'un clerc en trainde lire ne mriteraitpas
ce surnomde folie par lequel Brant exprimesa critique l'gard
des lettrs.Seuls les attributsridiculisantstraduisentcetteide. Affubl d'oreilles d'ne, le clerc est reprsentcomme un Narr, un fou
qui fait semblantde lire et qui, en ralit,ne s'intressequ' dcorer
sa bibliothquedes produitsde la presse de Gutenberg.Chacune des
110 gravuresqui accompagnentles diffrentschapitresdu Narrenschiffcontientun ou plusieurspersonnagesainsi ridiculiss.On peut
s'interrogersur les circonstancesqui ont contribu appeler un vice
une folie et qui lui ont donn le visage d'un bouffon.
Pour comprendrela perspectivede Brant, il faut avoir l'esprit
sa position politique et sociale, ainsi que le niveau culturelgnral
de l'Allemagne la fin du XVesicle. Promu docteurdes deux droits
l'Universitde Ble en 1489, il avait commenc,trois ans auparavant, soutenirla politique de Maximilien1er, lu roi des Romains
en 1486. Il critde nombreuxpomes politiques,dont la plupartsont
rassemblsdans les Varia Carmina, imprims Ble en 1498. Ces pomes ranimentl'ide du Saint Empire Romain de Nation Germanique,
contreles Turcs, qui s'taient convertis l'Islam et avaient en 1453
conquis Constantinople5.L'anne qui prcda la publicationdu Narrenschiff,Maximilientait sacr empereurpar le pape AlexandreVI,
et le chapitre99 du Narrenschiffest consacr tout entier la situation de l'Empire et de l'glise romaine: C'est dans ces vnements
d'actualit que Brant puise la motivationde son uvre et l'inspiration de son catalogue de vices. Il appelle ainsi les princesdes pays
allemands portersecours Maximilien,en reconqurantla Terre
Sainte alors occupe par les Turcs.
La nef des fous n'est donc pas un simplecatalogue de vices, elle
contient aussi, peine dissimul, un appel la croisade. Or la
noblesse,qui en Allemagneavait faitson idal de la matrisedes forces
physiques,se pliait mal un enseignementspirituel; Brant comptait
donc sur la transmissiondu messagepar l'illustration.En Allemagne,
l'alphabtisationdes laques avait commencau xiiie sicle, avec un
et Mhl, op.cit.,p. 464-65.
5. Cf. F d. Junghans

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L'IDE DE LA FOLIE

73

Fig. 1. Le fol bibliophile.


Gravuresur bois de AlbrechtDrer.
SebastianBrant,Das Narrenschiff
, chap. 1.
Ble : De Olpe, 1506.
Ble, ffentliche
Kunstsammlung,
Kupferstichkabinett.

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ANGELIKAGROSS

sicle de retardsur la France, o l'enseignementspiritueldes laques


tait alors inspir directementde la propagande faite pour les
croisades6.En Allemagne, la diffrencede la France, c'est la bourgeoisie des villes qui va s'ouvrir un enseignementspirituelet jouer
en ce domaine un rle dcisif7. Brant en tient compte. Il s'adresse
tous, lettrsou illettrs,clercs ou laques, nobles ou marchands,
paysans ou artisans, hommes ou femmes.
dans laquelle se place le discoursde Brantest assez
La perspective
singulire.Elle se situe en dehors de tout schma social, tout en y
restantcompltementattach. Son discours est fond sur l'ide suivante : mettreles termeshommeset fous sur un mme plan logique.
Si Brant dit que tous les hommes sont des fous, il doit lui-mme,
en tant qu'homme, treun fou. De ce fait,c'est une folie de sa part
de dire que tous les hommessont des fous. quoi bon donc rappeler expressment- dans la protestation la fin de l'ouvrage - que
lui, Sebastian Brant, est un fou ? Si ce qu'il dit est vrai, la phrase
je suis un fou est fausse. Dans son introductionau Narrenschiff
,
il dfinitcomme sage celui qui reconnattre soi-mmeun fou. Il
s'ensuitlogiquementque Brant,en se reconnaissantlui-mmecomme
un fou, est un sage. Son discourss'inscritdonc dans une logique circulaire. Le lecteur,cependant,en lisantque tous les hommessont des
fous, est d'abord pris dans le pige que Brant lui a tendupar sa logique : si tous les hommes sont des fous, et comme le lecteurest un
homme, il s'ensuit que le lecteurest aussi un fou. Il peut dire que
Brant a tortd'affirmerque les hommessont des fous ou il peut dire
que les hommesne sont pas des fous. Mais cela supposeraitdj que
le lecteurse rendecomptedu dilemme.L'intentionde Branttaitpeuttre d'amener son public cette rflexion.Voulait-ilattacherle lecteur l'ide que la seule solution possible tait de suivreson exemple et de parcourirl'ouvrage pour finalementse reconnatresoi-mme
comme un fou ? Les lecteursdu xvc sicle ont peut-tretout de suite
dcouvertque le Narrenschiffn'tait pas seulementun catalogue de
vices, mais galementun jeu d'esprit*.Il est cependantprobable que
le public s'est laiss prendreau pige de Brant en vertuduquel celui
qui se sait fou est un sage.
Outre un jeu d'esprit,le Narrenschiff
est, sur un plan plus pragtel il dfend l'ide que
En
tant
vices.
de
un
que
catalogue
matique,
la sagesse n'est pas inhrente la nature de l'homme, mme si elle
dtermineson bien-tre.Par consquent,le vice est un mal qui mne
imMittelalundGesellschaft
Literatur
Kultur.
6. Cf.Joachim
Bumke,
Hfische
: DTV, 1986,p. 92 ss.
ter.Vol.1 Mnchen
ischeund
7. Cf. Norbert
Soziogenet
Elias, UberdenProzessderZivilisation.
: Suhrkamp,
(1976)1990,vol.1,p. 24 s.
, Frankfurt
Untersuchungen
psychogenetische
de
activeetnegation
8. Cf.JonElster, Negation
, dans: L invention
passive
Paris: Seuil,1988,
au constructivisme
Contributions
la ralit.
, dir.PaulWatzlawick,
p. 193s.

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L'IDE DE LA FOLIE

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au mal-tre,ce que naturellement


chacun veut viter.La traditionlit- celle des cataloguesdes
traire laquelle appartientle Narrenschiff
vices et des vertus- a toujours prsentla vertu comme un bien
indispensable la vie chrtienne. l'entredes glises,l'assimilation
de la Vertu au Bien et du Vice au Mal est sans cesse rappele au
fidle venu assister l'office divin. Aux grands portails des cathdrales de Notre-Damede Paris, de Chartres,d'Amiens ou d'Auxerre,
figurent hauteur d'homme les cycles des Vertus et des Vices
personnifis9.Ces cycles s'inspirentd'un ouvrage allgorique compos au IVesicle par Prudence, un contemporaind'Augustin: la
Psychomachieou combat de l'me 10.L'objet de la Psychomachie
est la luttedes vertuschrtiennescontreles vices paens que Prudence
dcritsous formede personnagessymbolisantles valeurs morales, et
qui s'affrontentdans huit combats.
La Psychomachieet le nouveau couple Sapience et Folie
Le premiercombat a lieu entrela Foi et l'Idoltrie (fides contre
culturadeorum), ensuiteentrel'Impulsivitet la Pudeur ( libido contre pudicitia). Le troisimecombat est celui de la Colre contre la
Patience (ira contre patientia), suivi de celui de l'Orgueil contre
l'Humilit (superbia contrehumilitas).Dans le cinquimecombat, la
Luxurerencontrela Sobrit(luxuriacontresobrietas
), dans le sixime,
l'Avarice luttecontrela Raison (avarilia contreratio). Les deux derniers combats opposent la Querelle et la Concorde (operatio contre
concordia), et la Discorde et la Foi secourue par la Concorde (discordia contrefides et concordia). Le Vice contestergulirement
la
Vertu, qui, elle, sort toujours triomphante.
Notre-Dame de Paris, par exemple, le cycle des Vices et des
Vertusconsisteen une srie de 12 reliefsde part et d'autre du portail. Les six reliefsde la range suprieurereprsententles Vertus,
tandisqu'aux six mdaillonsde la rangeinfrieure
figurentles Vices.
gauche, la srie des reliefscommenceavec l'Humilit, la Sapience
et la Chastet,auxquelles s'opposent les vices de l'Orgueil,de la Folie
et de l'Injustice(fig. 2). Suiventles troisvertusthologales- la Charit, l'Esprance et la Foi - avec leurs antagonistes: l'Avarice, le
Dsespoir et l'Idoltrie. Les derniresallgories perues par le visiteurqui entredans l'glise sont donc la Foi et l'Idoltriequi s'offrent
au contraired'emble celui qui sort.
Il apparat immdiatement
que l'ordre des vertuset des vices au
portail de Notre-Dame de Paris ne correspond pas celui de la
9. L'imageallgorique
esten faitunfortbonmoyen
desreprsentapourancrer
tionsabstraites
dansla mmoire
: cf. Frances
AmeliaYates,L'Artde la mmoire
,
Paris: Gallimard,
1975,pp.67-69.
10.Cf. Gross,op. cit., pp.71-76.

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ANGELIKAGROSS

Psychomachie.Bien qu'on reconnaissedes couples opposs comme la


Foi et l'Idoltrie, l'Humilit et l'Orgueil, ou sur le ct droit, la
Patience et la Colre, le cycle de Notre-Dame de Paris s'inspire trs
librementdu modle. Une diffrenceimportanteconcernedj le premier couple : celui qui ouvre la srie des mdaillons de gauche. Le
couple de l'Humilit et de l'Orgueil est ici avanc la premireplace
au lieu de la quatrime dans la Psychomachie. On peut en dduire
qu'au XIIIesicle, poque de la constructionde Notre-Damede Paris,
le catalogue des vertuset des vices n'a plus pour objectifpremierla
contreles vices paens. La place du coudfensedes vertuschrtiennes
ple Humilit/Orgueilsuggrepluttque l'intrtde l'glise a chang
de perspective; la prioritn'est plus la conversiondes paens, mais
la consolidation de la foi l'intrieurde la chrtient.
Une autre diffrence
importanteentrela Psychomachieet le cycle
de Notre-Dame de Paris concerne l'apparition d'un couple que la
Psychomachiene connaissaitpas. C'est la Folie oppose la Sapience.
Le couple se trouve galement gauche du portail o il occupe, on
l'a vu, la deuximeplace aprs l'Humilit et l'Orgueil. On peut ds
lors s'interrogersur la place que la Folie occupait en tant qu'image
allgoriqueau xiiie sicle et, traversl'illustrationdu psautier,se ren-

Fig. 2. Les Vices et les Vertus.


Dtail avec la Sapienceet la Folie (milieu).
N.-D. de Paris, Portailcentral.

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L'IDE DE LA FOLIE

77

dre compte de la transformationque subit son image jusqu'au


XVesicle11.
Au Moyen Age, la formela plus rpandue du psautiern'est pas
celle du livrebiblique, mais celle du psautieren tant que livreliturgique. Diviss en huit sections,les 150 psaumes peuventtre intgralement chants chaque semaine. Les psaumes de chaque section sont
rpartisentre les officesdu matin et ceux du soir. Les psaumes et
d'autres chantssont ainsi psalmodis7 heurespar jour. Afin de trouver plus facilementle premierpsaume de la sectioncorrespondantau
dbutdes nocturneset des matines,les lettresinitialesde ces huitpsaumes ont t particulirement
calligraphies.Mais depuis la rvision,
acheve en 1227, du textede la Vulgate par l'archevque de Cantorbry,EtienneLangton, l'Universitde Paris prescritun nouveau programme ornementalpour le psautier12.Dans les Bibles dites par
l'Universit,les lettresinitialesdes huit sectionsliturgiquesdu psautierserontdornavanthistoriesavec des motifsfiguratifs.
Il fautavoir
l'esprit que
le Psautiertait beaucoup plus qu'un livrede priresdans les
mains des moinesou du clerg.Ds le IXesicle,le Psautiertait
peu prs le seul livre liturgiquequi ft mis aussi entre les
mains des laques et il en sera ainsi jusqu' la fin du XIIesicle ou au dbut du XIVe,date laquelle apparaissentles premiersLivres d'Heures proprementdits (...). Livre de prire,le
Psautier tait aussi un livre pdagogique .
Ainsi s'exprimel'Abb Leroquais dans son ouvrage sur les psautiers manuscrits latins des bibliothques publiques de France13.
C'est dans le Psautier, poursuit-il,
que les laques apprenaient lire, tmoincette note qu'on lit
dans le ms. 318 de la Bibliothque de l'Universitde Leyden
du XIVesicle. Aux fol. 30v et 185r se trouvela note suivante:
'Cist psaultiers fu monseigneursaint Looys qui fu roys de
Franceauquel il apristen s'enfance'.Au siclesuivant,les comptes de l'argenteried'Isabeau de Bavire,l'pouse de Charles VI,
nous revlentun fait analogue. Il s'agit de Michelle de France,
ne le 11 Janvier1395. Une quittancedu 2 Juin 1402 mentionne
que l'enfant,alors ge de sept ans, possdait dans sa librairie
un psautier,un missel,et de plus, un Abcd suivi des psaumes.
11.SuzyDufrenne,
Tableaux
de 15psautiers
illustration
synoptiques
intgrale
issuedu texte
, Paris,1978; Gnter
im13.Jh.,Kiel,
Haseloff,Die Psalterillustration
1938; Christoph
Psalterium
Aureum
SanciiGalli
: ThorEggenberger,
, Sigmaringen
becke,1987.
12. Haseloff,op. cit.,p. 21.
13. Mcon,1940-41,
vol.1, p. VII.

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ANGELIKAGROSS

78

Ainsi donc, la petiteprincesseapprenait connatreses lettres


dans l'abcdaire ; mais elle faisaitses exercicesde lecturedans
le psautier.
d'un psautierliturgique,c'est--diredu
Il s'agit ici naturellement
mme typede psautierque celui destinaux clercs. On peut donc en
conclureque le psautiera t connu aussi bien des clercsque des laspirituelcomme l'alphaques lettrset qu'il a servi l'enseignement
btisation.Par ces deux fonctions,le psautierjouait au Moyen Age
un rle didactique considrable, qu'il a compltement perdu
aujourd'hui. Mais je voudraisrevenirau rapportqui existeentrel'allgorie de la Folie telle qu'elle figuredans les cycles des vertuset des
vices des cathdralesfranaiseset l'image qui illustrele psautier.
Le mdaillon qui se trouve en dessous de la Sapience NotreDame de Paris est endommag. On y reconnatnanmoinsun personnage avec de longs cheveux,habill d'une courtechemiseet pieds
nus. Il porte dans la main droiteune massue et semble mordredans
un objet qu'il porte la bouche avec l'autre main ; ct de ce personnage, une branche avec des feuilles suggreun paysage.
L'insens du psaume 52
On peut tre surprispar le fait que des personnagessemblables
illustrentla lettreinitialedu psaume 52 qui ouvre la sectiondes matines du mercredi.Quelques exemplestirsde psautiersisols et de psauvont pouvoirmontrerla variatiersinsrsdans des biblesmanuscrites
tion du motif14.Au fol. 182v de la Bible latine de Dijon (B. m.,
ms. 4) du xiiic sicle, la lettreinitialedu psaume 52 montreun personnage dont les traitsconcidentparfaitementavec ceux de l'allgorie de la Folie du mdaillonde Notre-Dame.Mais ici les cheveuxsont
rass (tel un punk) et il n'y a pas trace de paysage (fig. 3).
Le fol. 58v du psautierlatin de Toulouse (B. m., ms. 6), galementdu XIIIesicle, montreun personnageaux cheveuxtondus,dont
le vtementressemble une sorte de froc retrouss la taille et qui
se termineau col par un capuchon. Mais dans les mains de ce personnage on trouvede nouveau une massue ou pluttune brancheet
un objet rond, dans lequel il a l'air de mordre. La lettreinitialedu
psaume 52 au fol. 146rde la Bible latine de Troyes (B. m., ms. 577)
de la mme poque, montreune image diffrente.Le personnageest
assis sur une sorte d'arc, il est vtu d'une tunique dont le col est
chancr,et ses genoux sont recouvertsd'un drap. Dans sa main, il
tientla massue ou la branchecomme si elle tait un sceptre.Les chedu xni*siclea
manuscrits
de psautiers
tires
14. Unebellecollection
d'images
sicles
, Paris: Le
tpublie
parMurielLaharie,La folieau MoyenAge.xi<-xiu<
Lopardd'Or,1991.

15:29:02 PM

L'IDE DE LA FOLIE

79

veux sont courts et hirsutes.Les traitsdu visage sont grotesqueset


soulignentle regardsombrede l'individu. Ici, le mode de reprsentation lui donne l'air d'tre l'Antchrist.
Le personnagede la lettreinitiale au fol. 85v du psautier latin
dessin et dot d'une tonde Vesoul (B. m., ms. 6) est grossirement
sure. Le vtementest de nouveau une simplechemise,ouverteau col.
La massue est tenue cettefois comme un bton de promenadeet non
pas comme une arme. L'objet dans lequel le personnagemord n'est
pas rond, mais a la formed'une corne. Au fol. 353r du psautierlatin
de Chambry(B. m., ms. 4), le personnageest chauve et ne mord

Fig. 3. L'insipiens.
Lettreinitialedu Ps. 52. xniesicle.
Dijon. B.m. ms. 4, fol. 182v.

15:29:02 PM

80

ANGELIKAGROSS

dans aucun objet. Tout comme dans le psautierde Troyes, Tune de


ses mains est vide et son geste resteouvert. Mais dans les deux cas,
le visage est reprsentpresque de face et non pas de profilcomme
dans les autres exemples.
L'image de la lettreinitialesuivanteprovientdu Brviairelatin
de Charleville-Mzires
(B. m., ms. 42, fol. 27), qui date du xivc sicle. Le personnage,apparemmentras, est cette fois-cipresque nu,
une simple cape autour des paules. Un visage est sculpt sur la
massue15et une croix est grave sur l'objet rond qu'il porte dans
l'autre main. Une autre lettreinitiale se trouve au fol. 118v d'un
manuscritlatin de Tours (B. m., ms. 74, xive s.). Elle n'est pas tire
d'un psautier, mais du Commentaire aux Psaumes de Pierre
Lombard16(fig. 4).
Jusqu'ici, l'allgorie de la Folie du mdaillon de Notre-Dame a
t compare plusieursexemplesde lettrehistoriedu psaume 52.
La concidencedes sujets me semble vidente.On peut aller encore
plus loin et s'interrogersur les originesde cetteallgorie.On sait que
l'illustrationdu psautier dpend largementdu texte des psaumes,
tel point qu'on peut parlerd'une illustrationlittraledu texte. Dans
le cas de la lettreinitialedu psaume 52, le programmes'inspire du
titre,Psalmus Davidis, ainsi que de son premierverset: Dixit insipiens in corde suo : Deus non est (Celui qui n'est pas sage dit en
son cur : Dieu n'est pas). Le personnagede la lettreinitialeet celui
donc le mmeinsidu mdaillonde Notre-Damede Paris reprsentent
piens dont parle le premierverset. Mais commentexpliquer la prsence de la massue et de l'objet rond dans lequel il mord ? Ces deux
attributssont probablementeux aussi des illustrationslittralesdu
texte.
Voyons d'abord le deuximeattributcaractrisantle personnage.
comme une pierre,un pain,
interprt,
L'objet rond a t diversement
une seule se
un fromage ou une hostie17. De ces interprtations,
rfreau texte,celle qui explique l'objet rond comme un pain. Au
cinquimeverset,en effet,le pain sert de mtaphorede la situation
du peuple d'Isral : Nonne sciuntomnesqui operanturiniquitatem/qui
dvorantplebem meam ut cibum panis ? (Ne le savent-ilspas, tous
ceux qui pratiquentl'ingalit,qu'ils dvorentmon peuple commes'ils
mangeaientdu pain ?).
au bouttaitun
la massueavecun visagesculpt
15. Dansun autrecontexte,
Tassilonde Bavire
: lorsde sa soumission,
unesortede sceptre
signede pouvoir,
en
dontle bouta tsculpt
sonbtonde pouvoir
Charlemagne
remet
(Kraftstab),
Cf.Percy
eratscultum).
hominis
similitudo
incuiuscapite
d'homme
(cumbculo,
visage
Germaniae
undStaatssymbolik
ErnstSchramm,
( = Monumenta
Herrschaftszeichen
: Hiersemann,
1954-56,
Histrica.
p. 286.
, vol.13/1),Stuttgart
Schriften
psalmus
Lil .
16. Pourle textecf. Migne,P.L., t. 191,col.499-504,
DerNarrin
Meier(-Hanckel),
17.Cf.Haseloff,op. cit.,p. 29; Hadumoth
desMittelalters
derchristlichen
, cahier1/2,1955,p. 2 ;
, Das Mnster
Ikonographie
Gross,op. cit.,p. 65 ; Fritz,op. cit.,p. 58.

15:29:02 PM

L'IDE DE LA FOLIE

81

En adoptant toujours l'hypothsed'une possible illustrationissue


du texte,ce mme versetsemble contenirle mot-clqui expliquerait
la prsence de la massue et l'usage qui en est fait. Il est probable
que la massue et la manirepeu pacifiquedont le personnagela brandit, se rfrentjustementau mot iniquitatemdu mme verset. De
mme,le regardtournversle haut o l'on voit l'image de Dieu apparatredans un nuage correspondaux paroles du deuximeverset: Deus
de cielo prospexitsuperfilios hominis(...). (Des cieux, Dieu s'est pench vers les fils d'Adam). L'ensemble de cette mise en scne donne
corps la double ngationdu premierverset.La ngationactive,celle
de nier l'existencede Dieu, et la ngation passive, celle qui dfinit
celui qui n'est pas sage. La premirepartie est mise en scne par
l'opposition entre Vinsipienset Dieu, la seconde est rendue par les

Fig. 4. L'insipiens.
Lettreinitialedu Ps. 52. xive sicle.
Tours, B.m., ms. 74, fol. 118v.

15:29:02 PM

82

ANGELIKAGROSS

diffrencesqui permettentde distinguerles individus. Par la suite,


r image perd la premirepartie de cette double ngation. Uinsipiens
n'est plus reprsentoppos Dieu, mais seul et dans des situations
qui se bornent exprimerl'ide de non-savant. Une fois la source
de l'image tombe dans l'oubli, certainslmentsdeviennentincomqui devientla caractprhensibles,c'est Pincomprhensibilit-mme
ristiquedu personnage.
Avec l'apparition des premiresBibles en franais18,l'image
s'enrichitd'lments provenantd'autres contextes,qui peignentle
monde primitifde la campagneou qui sont puiss dans le monde des
clercs. Uinsipiens devientun paysan, un berger,un domestique ou
un homme simple, la massue et la pauvretdu vtementrestantles
lmentsde reconnaissance.Puisque la traductiondu psautieren franprais, insredans le textelatin sous formede glose interlinaire,
cde celle d'autres livresde la Bible, sa diffusionne cesse pas d'augmenter. Intgre dans des ouvrages comme la Bible historale de
Guyartde Moulins ou dans les exemplairesde la Bible moralise,son
illustrationbnficiede la libertavec laquelle ces typesde Bible ont
t composs.
Dans l'exemple de la Bible historalems. fr. 2 de la Bibi. nat.
de Paris, au fol. 227v, l'image est dtachede la lettreinitialeet prcde le texte,alors que la reprsentationreste tout fait traditionnelle. Au XIVesicle, on peut observernon seulementle dtachement
physique entretexte et image, mais aussi la coupure progressivedu
les deux. L'exemple de la Bible historalede
rapportqu'entretiennent
la BibliothqueSte Genevive Paris montreau fol. 42r une miniature deux volets. A droitese trouveun personnage,vtu d'un drap
griset bleu. Il est barbu et porte les cheveuxcourts; dans ses mains,
il tient un pain et une massue. A gauche, se trouve un groupe de
quatre personnages,chacun habill d'une longue robe de couleur diffrente; ils portentles cheveuxlongs. Ici, il s'agit probablementd'une
reprsentationde savants , conus sur le modle des clercs.
Du faux clerc dmasqu...
Un clerc, pour tre reconnu comme tel, tait oblig de porter,
outrela tonsure,un habit de couleur unie, tandis qu'un laque n'tait
pas tonsuret pouvait tre habill d'une robe raye ou compose de
diffrentes
pices de tissu19.Le fait que le personnagedes lettresiniau MoyenAge, Paris: Imprimerie
18.Cf. SamuelBerger,La Biblefranaise
Thelastcopyof theUtrecht
Nationale
Heiman,
(1884)1967,p. 151s. ; et Adelheid
Museum
ofArts,
NewYork: Mtropolitain
Psalter
(= TheYear1200: A symposium),
s.d., pp.313-338.
siecle.bcole
19. Robert
Gnstal,Le processurI etatde clercauxxiiiret xivr
desSciences
Section
desHautestudes,
1909-10,
p. 18,note3 ;
Religieuses,
Pratique
Montral.
SergeLusignan,
de cetteindication
je suisredevable

15:29:02 PM

L'IDE DE LA FOLIE

83

tiales du psaume 52 soit souventreprsentchauve, voque les diffrencesjuridiquesentreclercet laque. Etant donn que suivantle droit
un accus qui s'tait prchacun relevaitd'une juridictiondiffrente,
tendu clerc, et avait port frauduleusement
l'habit clrical et la tonsure, risquait de se retrouverdevant une cour laque, le crne ras
et vtu d'un habit ray20.On peut donc se demander si l'image de
Yinsipiensn'a pas t calque sur le modle d'un faux clercdmasqu.
Au cours du XVesicle, le dtachementencore plus marqu entre
texte et image transformeYinsipiensde plus en plus en fou ou en
bouffon. Le pain disparat ou est remplac par un autre objet, qui
n'a plus aucun rapport avec le texte du psaume, ni avec celui des
commentaires.On peut donc supposer que les miniaturistesse sont
inspirsde sources autres que religieuses.Par exemple, les culottes
et le capuchon du personnage,dans la miniatureau fol. 106rdu Psautierlatin-franais
de Jean de Berry(Paris, BN, ms. 13091), fontpenser la descriptionque Chrtiende Troyes donne du vtementque
Perceval porte au moment o il quitte sa mre pour devenir un
chevalier21.De mme, le chien de la miniatureau fol. 227r de la
Bible historalems. fr. 3 de la Bibi. nat. de Paris du XVesicle doit
probablementson origine un passage du Dit de Robert le Diable 22.
Ceci peut tre galementvrai pour le chien de la miniatureau fol.
276v de la Bible historialems. 5057 de la Bibl. de l'Arsenal.
L'iconographiedu psaume 52 dans les Bibles imprimesde la fin
du XVesicle n'est plus inspiredu texte, mais semble directement
emprunte un modle pictural. Hans Holbein est l'auteur du personnage au fol. bbiiiv0de la Bible italiennedite de Malermi (fig. 5),
imprime Venise par Nicola di Giunta en 1490 (Paris, BN, Rs. A
359) 23. Il est probable que Holbein s'est inspir,pour la coiffure
plumes, de la Stultitiade la chapelle des Scrovegni Padoue, peinte
par Giotto vers 1307. Cette origineest encore plus videntedans le
cas du psautier latin-allemand,imprim Augsbourg en 1494 par
Erhard Radolt.
L'volution du personnagen'est visible que par les exceptions
la rgle. La plupartdes psautiersformantdes ouvrages part ou qui
sont intgrsdans des Bibles gardentune illustrationtraditionnelle
de
la lettreinitiale. Il existentdes Bibles manuscriteso, en marge de
la page, sont conservesdes prescriptions
destinesau miniaturiste
qui
montrentcommentles exceptionsse sont introduites24.Dans le cas
20. Gnstal,op. cit.,p. 17.
21. Perceval
le Galloisou le Contedu Graal
, pubi,par Ch. Potvin,Mns:
1866-71.
Dequesne-Masquillier,
22. Cf. Beek,op. cit.,p. 23; Guillaume
Stanislas
Robert
le Diable,
Trf.butien,
Paris,1837,p. IX s.
23. Cf.James
: Univ.
Strachan,EarlyBibleIllustrations,
Cambridge
Press,1957,
p. 27 s. ; Gross,op. cit.,p. 139.
24. Cf.PaulDurrieuetSamuelBerger,Lesmanuels
dupsaupourl'illustration
tierau xnesicle,Mmoires
de la socit
nationale
desAntiquaires
de France,
vol.^7,
1898,p. 97.

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84

ANGELIKAGROSS

de la Bible ms. lat. 10435,au fol. liv, la prescription


(pour le psaume
13 dont le texteconcide avec celui du psaume 52) indique : un juif
regarde la tere qui pleure . La miniaturecontienten effetun personnage coiffd'un chapeau pointu, qui se penche vers le bas. Cette
prescriptioncorrespondexactement un commentairede PierreLombard au titre du Psaume 52 o il interprtele nom Amalechitae:
Amalechitaevero, qui interpretantur
, un peupopulus lingensterram
et suos,
ple qui lche la terre. Il poursuit: significantAntichristum
terrenaamantes,qui in fine mundipro viribusvastabitecclesiam.Sed
David , id est Christus
, vere manu fortis, eamdem liberabit(..). (Ce
peuple signifiel'Antchristet les siens, ceux qui aimentles biens terrestres,celui qui la fin du monde dvasteral'glise pour (montrer)
ses forces. Mais David, c'est--direle Christ,la librerade la main
de la vraie puissance). Il va de soi que le Juifqui regarde la terre
symboliseles Amalchitesen tant que peuple juif intressaux seuls
biens terrestres.
... au bouffon
Et c'est probablementpar l'interprtation
d'un autre passage de
ce commentaireque les miniaturistesont commenc transformer

Fig. 5. L'insipiens.
Gravuresur bois illustrant
le Ps. 52.
Venezia: Di Giunta,Rs. A359, fol.bbiiiv0.

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L'IDE DE LA FOLIE

85

l'image de Yinsipiens.Au fol. 249r de la Bible historialems. fr. 159


de la Bibl. nat., jadis dans la collectionde Jean de Berryet ralise
au dbut du XVesicle,le vtementdu personnageapparatgarnid'un
lmenttout fait nouveau qui ne se trouvegure dans les psautiers
antrieurs: ce sont des oreillesrouges, attachesau capuchon d'une
longue robe grise. Les oreillessont peut-treune exgse picturaledu
commentairede PierreLombard la phraseDixit insipiensetc. Il dit :
insipiens: ergo, id est omnis qui male vivitdixit quia Deus audit
et si non homo ut quod diciturauditur in corde suo et si aure non
audet. Quid dixit ? non est deus . (Celui qui n'est pas sage, c'est
donc toute personnequi vit mal ; il a dit, ce que Dieu entend,mais
non pas l'homme ; ce qui a t dit, a t entendu; dans son cur,
mais il n'ose pas (le dire) l'oreille).
C'est probablementle mot aure ( l'oreille) qui a attir un
momentdonn l'attentiond'un clercchargd'une nouvellecopie d'un
psautier.Avec l'introductionde l'attributdes oreillesdans l'iconographie de la lettreinitiale, Yinsipienssubit le mme effetridiculisant
que le clerc du Narrenschiff.Par la suite, cet attributdevient non
seulementle moyende distinguerYinsipiensdu bouffon,mais contribue fairedisparatrecompltement
l'image du premier.La lettreinitiale au fol. 3 lr du Brviairelatin de Besanon (B. m., ms. 66) du
dbut du XVesicle est un autre exemplede cette priode transitoire.
Cependant,la conceptionde Yinsipiensen tantque bouffonsemble due un deuximefaitimportant.Dans les psautierslatinset franais du XIIIesicle, il existe une traditionpicturalequi montreYinsipiens en prsenced'un roi. Nous la trouvons la lettreinitiale au
fol. 62v du psautierlatin de Besanon (B. m., ms. 140). ct de
Yinsipiens,un roi est reprsent,la main sur le cur, pour illustrer
les mots dans son cur (fig. 6). Le Brviairelatin de ClermontFerrand(B. m., ms. 69, fol. 46r) de 1482 montreexactementla mme
scne,mais avec un bouffon la place de Yinsipiens(fig.7). La reprsentationd'un roi n'est pas propreau programmeiconographiquedu
psaume 52, elle se trouvegalementaux sept autres initialesdes sections liturgiquesdu psautier.Le roi a dj t identificomme David,
psalmiste,dont le nom figuredans le titrede chaque psaume. Mais
c'est justementl'image de David-roi dans l'illustrationdu psaume 52
qui semble avoir contribu,au XIVesicle, cette dernireconception picturalede la lettreinitiale.
Deux hypothsespeuventexpliquercettenouvellevolution.L'une
se fondesur l'exgsedu nom de David dans le commentaire
de Pierre
Lombard. Cette exgse voque un pisode racont dans le premier
Livre de Samuel (1 S 21, 11-16) o David joue l'insens devant le
roi Achis. Mais cette anecdote sert traditionnellement
de sujet la
lettreinitiale du psaume 33 25 dans les psautiers illustrationintgrale. L'autre hypothseexplique l'volutioniconographiquedu cou25. Eggenberger,
op. cit.,p. 28.

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pie David et insipienspar l'adaptation de l'illustrationaux exigences


des clientsprinciers.Au XIVesicle, ces dernierspouvaientdsirerune
illustrationempruntantson modle leur ralit.
Le fou du roi
Je dis ralit, car ici les traitsdu bouffon relventvidemment
de Yobservationd'un visage26.La miniaturedu f. 179v de la Bible
historalems. fr. 152 de la Bibi. nat., du xive sicle, montregalement un roi en prsenced'un bouffon. Ici, le roi est habill pauvrement, tandis que le bouffon porte une riche robe aux bords garnis
d'hermine.Dans la main gauche, il tientune verge,dans l'autre une
jarre. Mais ce qui est nouveau, c'est la formeparticulirede sa tte

Fig. 6. L'insipienset David.


Lettreinitialedu Ps. 52. xiii*sicle.
Besanon,B.m. ms. 140, fol.62v.

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L'IDE DE LA FOLIE

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Fig. 7. Bouffonet roi.


Lettreinitialedu Ps. 52. 1482.
ms. 69, fol. 46r.
Clermont-Ferrand,
courb
et de son visage. Du frontcourtet plat sort un nez lgrement
la naissance, les yeux sont grands ainsi que les oreilles, la tte est
couverted'un capuchon pointu. Une courte barbe fait saillir le menton (fig. 8). Au fol. 83v du Livre d'Heures de Bonne de Luxembourg,
peint par Jean le Noir en 1348-49 et qui fait partie de la Cloisters
Collectiondu MtropolitainMuseum of Art New York (Inv. 69 86),
les traitsdu visage de Yinsipiensont t dessinsde la mme manire
(fig. 9).
Cet insipiensa dj t identificomme le bouffon de cour de
Jean le Bon, roi de France (1319-1364)27. De tels portraitsde bouffons se retrouvent
dans d'autres uvresartistiques partirdu xve sicle. Ainsi dans le tableau Ftes dans un jardin d'amour de 1431 (Versailles, Muse du Chteau, Inv. MV 5423), Jan van Eyck peintle portrait d'un bouffon de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, qui prmdivale
Paris: 1300-1500
27. CharlesSterling,La peinture
, Paris,1987,
fig.56.

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Fig. 8. Roi et bouffon.


Miniaturedu Ps. 52. xive sicle.
Paris, B.n., ms. fr. 152, fol. 179v.

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L'IDE DE LA FOLIE

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Fig. 9. Portraitdu bouffonde Jeanle Bon.


Miniatureau Ps. 52. 1348-49.
New York, Mtropolitain
Museumof Art,CloistersColl., Inv. 69 86.

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ANGELIKAGROSS

sente nouveau des traits marqus28.Un autre portraitappartient


encore cette srie : celui de Triboulet29,le clbrebouffonde cour
des rois Ren d'Anjou et Louis XII, sculptde profilen 1461-66par
Francesco Laurana, sur une mdaille (Paris, BN, cabinet des mdailles, Inv. B. 17502).
Tous ces portraitsmontrentdes traitscommuns: un nez fort,
le frontfuyant,le menton saillant, la tte pointue et la nuque trapue. Il s'agit probablementd'un typed'homme apprcicommebouffon aux XIVe et XVesicles30. Toutefois, le point culminantde la
mtamorphosede l'image religieuse David et insipiens en image
profane roi et bouffon est la lettreinitialedu psaume 52 du psautier latin de Henri VIII d'Angleterre(London, B.L., ms. 2 A XVI).
Au fol. 63v, Hans Holbein y a remplac David par un portraitde
Henri VIII, et Will Somers, le fou du roi, a pris la place de Yinsipiens. Mais la plupart des illustrationsqui conoivent Yinsipiens
comme un personnagesymbolicomme un bouffon,le reprsentent
que, caractrispar le vtementaux oreilles attenantesau bonnet et
en marotte31.La minial'attributcanonique de la massue transform
ture au fol. 55r du psautierlatin ms. 69 de Besanon, du XVesicle,
en est un bon exemple.
L'volution picturalede la lettreinitialevers une image de bouffon n'a pas de correspondenceavec la traductiondu termeinsipiens.
Les psautiers insrs dans les Bibles historialesdu xivc sicle, par
par : Celui qui n'est
exemple,traduisenttous insipienslittralement
pas sage , tandis que les psautiers des Bibles moralises utilisent
l'expressionfigurative foui ou fol en suivantla glose interlinaire du psautierde Cantorbryms. lat. 8846 du xiiic sicle. Cette
traductionest reprisepar le psautierde Jean de Berryms. fr. 13091
ou le psautier de Charles VIII (Paris, BN., ms. lat. 774, f. 63v),
achev vers 1490. Or, la traductionpar fol ou par foui n'est
une image de bouffon.Les psautiersfranlie qu'exceptionnellement
ais imprimss'appuient galementsur la traditionmanuscrite,mais
l, le texte n'est plus accompagn d'images.
En ce qui concernela traductiondu termeen allemand,on trouve
dans les rdactionsqui prcdentcelle de Luther soit tum (dans
la premireBible allemande publie par Mentelin Strasbourg,en
28. Du tableaun'existequ'unecopiedu xviesicle: cf. Annevan Burenle Bonau parcde Hesdin.Le rlede
de Philippe
Hagopian, Unjardind'amour
ducale, Revuedu LouvreetdesMusesde France
,
VanEyckdansunecommande
1985,n 3, pp. 185-192.
inArt, NewYork: Phaidon,
andJesters
29. Cf. ErikaTietze-Conrat,
Dwarfs
1957,p. 43.
d apresnature
sonttravailles
si cesportraits
onpeutse demander
30. Cependant,
L'exgse
ico: cf.monarticle
d'uncatalogue
ou bien partir
physiognomonique
52, Historical
ions
du psaume
du terme
/Reflexions
Reflect
"insipiens"
nographique
yvol.16,n 2/3,1989,p. 227,note45.
Historiques
universel
Dictionnaire
31. Antoine
, Paris(1690),1978,la dfinit,
a.)
Furetire,
unettedepoupe
de Marieetb.) comme
diminutif
comme
placeau boutd'unbton.

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L'IDE DE LA FOLIE

91

1466), plus tard tre (dans la deuxime Bible allemande imprime par Eggestein Strasbourgen 1470 et rimprimepar Zainer
Augsbourgen 1475), ou unweiss (dans la troisimeBible imprime par Schnspergeren 1487)32. Ce n'est qu'en 1524 que Luther
ces expressionspar narre dans sa traremplacerasystmatiquement
duction du psautier.
L'ide de la folie
Entre le XIIIe et le XVesicle, la conception de la lettreinitiale
de psaume 52 devient double, la fois religieuseet profane. Au
XIIIesicle, l'illustrationpicturaledu terme insipienstait compose
avec des lmentsdfinissantun personnagesymboliquerelativement
primitif.Ce personnageprenaitsa significationpar rapport la double ngation exprimepar le texte, pour devenir, par la suite, un
miroirdformet caricaturaldu monde clrical.
A partirdu XVesicle, une conceptionnouvelle des termesinsipiens et David emprunteses symbolesau monde profaneet ses traits
l'tre humain. Ainsi seronttypsdes personnagesdont les caractristiquesvoquent soit l'image symbolique,soit le portraitindividuel
d'un bouffonde cour. Quant au type marqu par une couronne de
plumes, une tude ultrieureserait ncessairepour identifierses lmentsconstitutifs
qui sont apparemmentindpendantsdu psautier33.
En outre, le termeinsipiensa donn naissance une rflexion
sur la diffrenceentreles statutsjuridiques de clerc et de laque. En
effet,si l'usurpationd'un statutest conue comme une fraude, elle
peut aussi tre considre,sur un plan moral, comme un vice. C'est
l probablementque Sebastian Brant a trouv son ide de suggrer
la prtentionde chacun emprunterun statutautre que le sien, pour
mieuxle dmasquerensuite.Mais en appliquantle surnomde Narr
galement sa proprepersonne,il ajoute une dimensionnouvelle de
conscienceaux ides qui ont volu autour de Yinsipiensissu du psautier.

32 Knneker,
op. cit.,p. 10.
33. Cf. GertaCalmann, Thepictures
of nobody
, Journal
of theWarburg
andCourtauld
Institutes
Lesconcep, vol.23, 1960,pp.60-104
; Franois
Gamier,
tions
de la folied'aprs
mdivale
du Psaume
52, 102eCongrs
national
l'iconographie
desSocits
Savantes.
1977.Philologie
etHistoire
Limoges
, vol.2, 1977,pp.215-222.

15:29:02 PM

Mdivales
25, automne
1993,pp.93-111
ric BERTHON

LE SOURIRE AUX ANGES


ENFANCE ET SPIRITUALIT

AU MOYEN AGE

(XII'-XV* SICLE)

On en sait maintenantun peu plus sur le sentimentmdivalde


l'enfance autour duquel Philippe Aris veilla autrefois une vive
polmique1. Un article rcentde Danile Alexandre-Bidon2,auquel
je renvoie le lecteur, fait bien le point sur un certain nombre de
domaineso Ton voit se dessinerds le Moyen Age la reconnaissance
d'une personnalitenfantine.La distinctiondes ges, plus prcise
les soins
qu'on ne Pa soutenueautrefois,les mthodesd'enseignement,
spcifiquesdu nourrisson,le monde des jouets, ou encore les modes
de vture en sont quelques-uns parmi d'autres.
Mais ces progrs,si importantsqu'ils soient, se sont limitsjusque l la sphrede la vie quotidienne,de la familleet de la socit.
Ds lors qu'on s'en chappe, l'enfant mdival continue d'tre un
inconnu.Tout ou presque restedonc fairedans le vaste champ que
l'on pourraitbaptiseranthropologiemdivalede l'enfance, en ce qui
concerne les autres perceptionsmentales relatives l'enfance, celles
qui ne touchentplus au vcu, mais aux croyances,et qui ont essentiellementpour cadre la magie et la religion3.
Car chaque poque oscille et trouve son point d'quilibre entre
la valeur symboliquequ'elle accorde l'enfant et l'attentionporte
sa personne. Notre temps s'occupe en prioritde l'enfant comme
individu,de sa personnephysiqueet mentale. Il a perdu, en contrepartie, beaucoup de tout cet -ct , de ce pouvoir d'vocation
1. Ph.Aris,L'enfant
et la viefamiliale
sousl'Ancien
, Paris,1960.
Rgime
2. D. Alexandre-Bidon,
Grandeur
et renaissance
du sentiment
de l'enfance
au
mdivales.
MoyenAge, dansducations
l'cole,l'gliseen Occident,
L'enfance,
xv sicles),
sousla dir.de J.Verger(Histoire
de l'ducation,
n 50),Paris,1991,
( vi'p. 39-63.
3. J.-Cl.Schmitt,
danssonouvrage
surLe SaintLvrier.
Guinefort
gurisseur
la piste suivre
d'enfants
d'unevastetude
depuisle xni'sicle,Paris,1979,indique
de la placede l'enfant
dansles croyances
nonreligieuses.

15:29:12 PM

94

RIC BERTHON

symboliquede l'enfance qui, ce sera ma thse ici, tait le propre de


la socitmdivale.Tentonsune mtaphoresur fond de scolastique:
l'enfantest la fois un tre de chair et une notion, un nom . Je
pense que le Moyen Age a port au moins autant d'intrt l'enfant
nominalis qu' l'enfant incarn.
Pour tayer cette hypothse,je voudrais livrer ici quelques
reflexionssur la place de l'enfantdans les croyancesreligieusesmdivales o je tenteraide faire valoir que, l'aune du Moyen Age,
l'enfantreprsentait
davantagequ'un enfant: il incarnaitun tat brut
de perfectionvanglique que les adultes ne pouvaient atteindre,en
petit nombre, que par l'effetde leur vertu propre et de leur constance dans la foi. On lui prtait,en somme,une valeur spirituelleaudessus du commun4.
Je prsenteraitrois courtestudes : la premirese rapporte la
notion de mdiationenfantine(le jeune enfantest l'un des points de
contact entre les hommes et Dieu) ; la seconde celle d'lection
(l'enfant symbolisel'lu) ; la troisimeconcerne l'allgorisationdu
Christ dans l'enfant, que je prsenteraien deux volets : l'imitation
(l'enfanta statutd' image du Christsur terre)et la croyancedans
les vertus du sang enfantin(le sang des enfants,comme celui du
Christ, gurit,en particulierde la lpre).
L'enfant dans la main de Dieu
divina dj t mis
Le rle du jeune enfantcomme intermdiaire
en vidence, en particulierpar les historiensde la littrature5.Le
plus souvent,la prsencedivine dans le nourrissonse manifestepar
l'mission d'une vrit,que ce dernierne pourrait lui seul dtenir,
et qui vientdnouerune situationque les hommesne sont pas mme
de rsoudre.
Parfois,l'action divine traversl'enfantpeut treassimile une
interventionde nature judiciaire. C'est le cas dans le type de rcit
o l'on voit un enfantinnocenterun personnageaccus tortd'tre
son pre ( la suite d'un viol qui est le chef d'accusation) et dnoncer le vrai coupable, qui est souvent le diable6.
la placetenue
4. Troishistoriens
parl'enfant
djsignal
ont, maconnaissance,
dansle chareleve
Ta le premier
: PaulAlphandery
mdivale
dansla spiritualit
desenfants
la croisade
et l'idede Croisade
qu'ilconsacre
pitrede La chrtient
dans
de 1212(textetabliparA. Dupront,Paris,1959,p. 142).W.A.Christian,
andRenaissance
inLateMedieval
1981,p. 222et JacSpain,Princeton,
Apparitions
, Paris,1983,p. 130y ontfaitgalement
quesHeersdansFtedesfousetcarnavals
allusion.
au MoyenAge(Littrature
les actesdu colloqueL'enfant
5. Cf. en particulier
1980.
et civilisation
, 9, Aix-en-Provence,
), publisdansSnfiance
de ce typea prode Tours(vi<s.) unehistoire
6. On trouve
dejachezGregoire
Francorum
de saintMartin
, d. R. Bchner,
(Historia
pos de Brice,le successeur
t. I, p. 58).
1956-1977,
Darmstadt,

15:29:12 PM

95

LE SOURIREAUX ANGES

Dans la lgendedes saintsSimon et Jude rapportepar Jacques


de Voragine (xiiie s.), les deux aptres sommentun enfant,qui n'est
pourtantg que d'un jour, de dvoilerla vritsur la paternitprtendue d'un saint diacre : Dis, enfant,au nom du Seigneur,si ce
diacre a eu pareil audace. La rponsemiraculeusede l'enfantinnocente l'accus7.
Dans Tristande Nanteuil (XIVes.), c'est un enfantencore dans
la parole, Dieu tant
le ventrede sa mrequi prendmiraculeusement
nommmentdsign comme le responsable du prodige:
Dont dist la voix d'enffantque Dieu y ottroya: (...) filz
de
l'ennemi et cil engendrm'a .8
suy
Saint Thomas Becket, dans une correspondancede 1169 avec
l'archevquede Sens, rapporteune anecdotede natureplus politique:
une entrevueentreLouis VII et Henri II n'ayant pas abouti, les deux
hommesvenaientde se sparerquand Henri rencontrale jeune prince
Philippe, g de quatre ans, qui entrepritde convaincreson an de
la ncessit de faire rgner la concorde entre les deux royaumes.
Dieu inspira l'esprit de son serviteurdj ordonn, forma et dirigea ses paroles explique Thomas9.
Politique et liturgiesont associes dans un exemplumqui relate
commentConstantinople,en proie des troubles, retrouvala paix
grce la mdiation miraculeused'un enfant:
Soudain, un enfantfutenlevdu peuplejusqu'au ciel (...)
puis, tout aussi brusquement,se trouva de nouveau parmi les
fidles.Il commena dire une prireet enseigneraux clercs
comment ils devaient la rciteraprs lui. Ainsi firent-ils,et
quand ils l'eurent fait, les troubles cessrent. 10
On retrouveun enfant l'origine de la formationpolitique du
peuple turc selon Guillaume de Tyr (n en 1130). Quand les Turcs
dcidentpour la premirefois de se donner un roi, ils procdent
une sorte d' lection deux niveaux . Chaque lignageapporte une
flchemarquede son nom. Les flchessont rassembleset un enfant
7. Jacquesde Voragine,
dore
, d. ettrad.J.-B.M.
Roze,Paris,1967,
Lgende
t. 2, p. 303.
8. Tristan
de Nanteuil
, d. K.V.Sinclair,Assen,1971,vv.20123-28.
9. Citpar A. Lewis,Le sangroyal,la famillecaptienne
et l'tat,France
x'-xivsicle
, Harvard,
1981,trad,fran.Paris,1986,p. 103.
10.AnAlphabet
15thCentury
Translation
of theAlphabeof tales.AnEnglish
tumnarrationum
de Besanon
, d. M.M. Banks,EETS, vols.126-127,
of Etienne
n 125: A childesodanlie
exemplum
emangthepeplewastakenup untohevyn
(...)
Andsodanliehe wassettagaynemangthepeple& begantheletany
e, &
hymself
toldtheclerk
is howthaisuldesyngafterhym.& so thaidid; andthisdoneonone
thetribulacin
cesyd.

15:29:12 PM

96

RIC BERTHON

innocentest chargd'en tirerune au hasard, celle de la futureligne


royale11.La mme opration est rpte pour dsignerla personne
du roi l'intrieurde son lignage.Guillaumede Tyr introduitici une
remarqueintressante: il ne peut prcisers'il s'agit du mme enfant
que lors du premiertirage au sort ou bien d'un autre, d'une innocence comparable (vel idem qui et prius, vel alius fortasse ejusdem
innocentiae
). Il indique par l clairementque le gage de la russite
de l'intercessionest l'innocencede l'intercesseuret que le choix d'un
petitenfantpour tenirce rle est dict par cettecondition.Nous verrons plus loin que c'est encorecettequalit d'innocence,entenduedans
le sens d'absence de pch, qui rendpossible,dans la mentalitmdivale, l'existenced'une parent spirituelleentre les jeunes enfantset
le Christ.
C'est encore un enfant qui, dans la lgende du roi Agbare
d'Edesse, est cens protgerla cit d'Edesse en lisant ses agresseurs
une lettrecrite par le Christ en personne12.
On voit que ce sont parfoisles hommesqui choisissentun enfant
pour apprendreles desseins de Dieu ou pour obtenirsa protection,
de son proprechefdans le monde des homet non Dieu qui intervient
mes. Cela laisse supposerque le choix d'un jeune enfantpour mieux
communiqueravec Dieu a pu se concevoir,non seulementdans l'imaginaire,mais encoredans la ralitmdivale.Le rcitque donne Jean
Pasquerel des habitudes pieuses de Jeanne d'Arc invitedu moins
le penser: Elle me disait aussi, quand nous tions un endroito
se trouvaitun couvent de frresmendiants,de lui rappelerles jours
dans lesquels les petitsenfantslevs par les mendiantsrecevaientle
sacrementde l'Eucharistiepour ce jour-l le recevoiravec ces enfants
comme elle le faisait souvent. 13
*
* *
Dans le mme paradigmede la mdiationenfantine,il faut indiquer le thmede l'enfantdispensateurd'une sagesseou de leons dont
la formulationet la portedpassentsa seule comptenceet qui sont,
en fait, l'initiativede Dieu.
Ce motifest rig en systmenarratifdans une uvre curieuse
et peu connue du nom de L'Enfant sage (fin XIIIesicle)14.Il s'agit
transmarinis
in partibus
rerum
, PL,
11.Guillaumede Tyr,Historia
gestarum
dansle Haut
tireur
de sortsbibliques
de l'enfant
201,col. 209et suiv.Surle motif
et les sortsbibliques
, dans Vigiliae
MoyenAge,voirP. Courcelle, L'enfant
Christianae
, VII, 1953,p. 194-220.
12. Jacquesde Voragine,Legende
doree,ed. cit.,t. 2, p. JUU.
et par ses
13.Citet traduit
par R. Pernoud,Jeanned'Arcpar elle-mme
tmoins
, Paris,1962,p. 177.
mitdem
desKaisers
Hadrian
14.Cf.W.Suchier,L'Enfant
sage(Das Gesprch
unters.
Versionen
Die erhaltenen
Kinden
, Dreshrsg.u. nachQuellen
Epitus),
klugen
Literatur
frRomanische
24).
den,1910(Gesellschaft

15:29:12 PM

LE SOURIREAUX ANGES

97

d'un texted'enseignement
religieuxen formede dialogueentreun matre et un disciple qui a remportun gros succs jusqu'en plein
XIXesicle. Son originalitest de mettreen scne un sage de
troisans rpondantaux questions de l'empereurAdrien.
troisdes manuscritsmdivauxde ce textecomDtail intressant,
portentun ajout qui indique clairementle caractresurnaturelde cet
enfant:
Et quant l'enfanteut dit toutes les choses dessusdites,il
se esvanuit et s'en va dont nostre seigneurl'avoit envoi . 15
Dans un genrediffrent,
celui des exempla, on trouvegalement
de nombreux enfantssages . Mais ceux-ci transmettent
moins un
savoir qu'ils ne donnentdes leons aux adultes. Leon de comportement monastique dans Yexemplum n 201 d'tienne de Bourbon
(Tubach 4442) o l'on voit les enfantsd'un monastreprendreen
faute leurs ans qui dormenten pleine glise au lieu de rciterleurs
oraisons16.
Leon de courage dans la foi, toujours chez tienne de Bourbon, qui raconte l'histoired'un enfantqui se dfend seul contredes
Albigeois qui l'accusent d'adorer la croix. Il vient bout de l'agressivitdes hrtiquesen leur opposant une argumentationdigne d'un
thologien.tiennede Bourbon voit clairementla marque du ciel dans
le comportementde cet enfant(Puer autem, non sine divina inspiracione, sic statimresponditeis). Auparavant,en guise d'introduction,
il explique que, comme le disent les autorits(Item dicunt magisti
),
il est prouv que, un enfantlev dans la religionet dont le comportementest exemplaire,le Seigneurrvlerala foi qui mne au salut
(Dominus manifestabitei fidem saiutarem)17.
Leon de portethologiqueencore,commedans le fameuxexemplum de saint Augustinet de la Trinit: l'vque d'Hippone se promne en bord de mer, rflchissantintensmentau problme de la
Sainte Trinit,quand il rencontreun enfantd'une trsgrande beaut
(puerumpulcherrimum)occup dverserl'eau de la mer dans un
trou de sable. Il lui fait remarquerqu'il travailleen vain, ce quoi
l'enfantrtorqueque chercher percerle secretde la Trinitest d'une
vanit bien plus grande encore18.

15.Ibid.,p. 444. Sur le caractre


surnaturel
de l'enfant,
cf. M. Kleinhans,
L 'Enfant
ans.Vommittelalterlichen
sagea trois
, ZeitschDialogzumVolksbuch
, 106,1990,p. 305.
rift
frRomanische
Philologie
16. A. Lecoyde La Marche,Anecdotes
et apologues
tirs
historiques,
lgendes
du recueil
indit
d'Etienne
de Bourbon,
Dominicain
du xiwsicle,Paris,1877.
17.Ibid.,n 328(Tubach81).
18.Exemplum
d. parJ.Klapper,Erzhlungen
desMittelalters,
Breslau,
1914,
n 23.

15:29:12 PM

98

RIC BERTHON

L'enfant lu
L'ide d'une lection enfantinene manque pas de fondements
scripturaires.Les versetsde Luc (18, 15-17), de Matthieu (18, 3-4),
ou de Marc (10, 13-16) qui consacrentles petits enfantscomme le
modle suivre en vue du salut ( ... car le royaume de Dieu est
pour ceux qui leur ressemblent.) ont compt parmi ceux qui ont
eu le plus souvent droit de cit au Moyen Age19.
Les sources proprementmdivalespromettentquant elles une
belle moisson celui qui voudraitdonnerle dossiercompletde l'lection enfantine.C'est, plus modestement,
par le biais d'un curieuxrcit
mettre

rire
au momentd'tre mis
un
nourrisson
se
montre
qui
mort que je vais essayer d'aborder la question.
La marque du rire
Les antiquisantsont dj not que le rire de l'enfant dans une
situationde pril de mortn'tait pas fortuit.Ils ont vu dans ce topos
le signe de la valeur sacrificiellede l'enfant20.Je voudrais essayerde
prendreici leur suite en montrantque le Moyen Age, s'il n'a probablementpas ignor cette ide, en a connu une autre, qui voit dans
le rire la marque de l'lection enfantine.
Il existe un rcit qui a connu selon toute vraisemblanceune
grande popularitau Moyen Age. Il est bti sur la trame narrative
suivante: un souverain apprend par une voie surnaturelle(un rve
le plus souvent) la naissance d'un enfantappel prendresa place.
Il ordonne la mort du nouveau-n,mais son ordre n'est pas accompli (ce qu'il ne sait pas) et, aprs un temps plus ou moins long pendant lequel l'enfantest lev dans le secret,la prophtiefinitpar se
raliser.Il s'agit, on l'aura compris,du mythedit de la naissance
du hros 21. Dans l'Antiquit dj, on le trouve rapport l'histoire de Zeus, d'dipe, de Cyrus ou encore de Rmus et Romulus.
Il est galementbien prsentdans la Bible, avec au moinstroisrcits:
la naissance de Mose (cas particulirement
frappantsi l'on combine
lgendeapocryphedes charbonsardents et rcitbiblique),de Joas,

l'enfant
dfinit
19. SaintJrme,
(Il ne
quatrequalits
propres
parexemple,
il ne se dlecte
il n'estpas rancunier,
pas de la beaut
pas dansla colre,
persvre
de Matthieu
il ditce qu'il pense)dansun commentaire
des femmes,
qui deviendra
PL
inEvangelium
Comment,
au HautMoyen
Matthaei>
Age(saintJrme,
classique
, MGH,Epist.,Ill, p. 163; Bde,
Epistolae
XXVI,col.128; cf.saintColomban,
de
morale
Surl'idalisation
PL XCII, col.230-231).
In MarciEvangelium
exposition
chezles Presde l'glise,voirS. Lgasse,Jsuset l'enfant
l'enfant
, Paris,1969.
de C. Miralles, Le riresardnique
l'article
20. Cf.enparticulier
, t. 2,
, Mtis
vol.1, 1987,p. 31-43.
du hros
de la naissance
21. Cf. O. Rank,Le mythe
, d. tran.,Pans, 1983.

15:29:12 PM

LE SOURIREAUX ANGES

99

et du Christ lui-mme22.Parmi les rcrituresmdivales de ce


mythe,et sans prtendre l'exhaustivit,on peut citer la naissance
de Jourdaindans Jourdainde Blaye (XIIes.), de Judas dans la littratureapocryphe(XIIes.), d'Alexandredans le Roman des Sept Sages
de Rome (XIIIes.), de Bton dans Daurel et Bton (XIIIes.), de Coustant dans Li contes dou roi Coustant l'empereur(xine s.), du fils de
Joie dans La Manekine de Philippe de Beaumanoir (xiiie s.), des
dans La chanson du chevalierau cygne et de Godeenfants-cygnes
de
Bouillon
froid
(XIVes.), ou encore de Doon dans Tristande Nanteuil (fin XIVes.).
Des versionsmdivalesde ce rcit,il est possible d'isoler l'pisode fortparlantde l'chec de la tentatived'infanticidequi, dans la
majoritdes cas, a pour cause un sentimentbrusque de piti ressenti
par le bourreauau momentd'accomplirson acte, sentimentqui intervientparfoisaprs que le nourrissonait mis un rire.Dans le Roman
de Thbes, versionmdivaledu rcitdipien compose aprs 1150,
dipe est emmenpar les hommes du roi qui ont pour mission de
le tuer :
Cil fut petit, ne sot la sort
ne ne s'aperut de sa mort;
tendi ses mains et si lor rist
conme a sa norricefest,
et pour le ris qu'il a git
come sunt de grant pit
et dient tuit : "pechi feron,
quant il nos rit, se l'ocon". 23
Dans le Roman du comte d'Anjou (une version tardive de La
Manekine), Joie et son bb vont tre mis mort par quatre serfs
qui on a promis la liberten change de leur acte :
22. C'estprobablement
d'endonner
unerelecture
parcequ'iln'tait
pasdifficile
la signification
surla personne
du Christ,
a
qui tende enconcentrer
que ce mythe
connuuncertain
succsau Moyen
en filigrane
de la personne
de
Age.L'introduction
Jsus
danslesrcritures
mdivales
du mythe
mesemble,
eneffet,
se dduire
pouvoir
de deuxfaons.D'abord,et avanttout,du faitque l'histoire
de Jsus,
tellequ'elle
se trouve
dansl'vangile
de Matthieu,
entouspoints
cellede la naiscorrespond
sancedu hros que rapporte
le mythe.
Elleen estmmel'unedesoccurences
: un
souverain,
Hrode,
apprend
parunevoiesurnaturelle
(parles Magesqui le tiennent
de l'apparition
de l'toile)la naissance
du roidesjuifs. Il dcidede le fairemettre mortmaissonprojetn'aboutit
de Bethlem
pas,bienque les enfants
gsde
deuxanset moinssoient
tus sa place(Massacre
desInnocents).
Jsusestemmen
en Egypte
o il estlev l'cartdu danger.
verEnsuite,
parceque dansplusieurs
sionsmdivales
dumythe
Jourdain
de Blaye,La Manekine)
onvoit
(DaureletBton,
la victime
la mortgrce la substitution
d'uneautrepetite
vicdsigne
chapper
time(unestatue
de bois l'image
de la victime
dansLa Manekine
restant
, le principe
le mme),
motif
donton peutpenser
le sacrifice
des Innocents
qu'ildevaitrappeler
pourle Christ.
23. Le romande Thbes
, d. G. Raynaudde Lage, Paris,1966,v. 107-14.

15:29:12 PM

100

RIC BERTHON
L'enfant se prist a remer,
Et a rire mout doucement.
Quant cilz voit ce, soudainement
Li est le euers amolez,
A haulte voiz s'est escrez :
"Biau compainz, pour Dieu, Cha venez !
Certes, nous sommes forsenz
Qui tel innocent,tel fecture,
Volons mectrea desconfiture.
Pour rienz qui soit ne le feroie:
Ja mes esperance n'aroie
Que Dieu vrai pardon m'en fest,
N'il n'est homme qui le fest,
Se ill avoit aperce
Ce que de l'enfant ai ve.
Qu'as tu ve ? Diz tu a certes?
- J'ai ve miracles apertes.
Quant ving au puis pour l'i empaindre,
Onques ne ves feste graindre
Faire a enfant de tel aage
Ne rire de si douz visage :
Ce semble estre un droit angelot".

On est d'abord naturellement


frappdu faitque ce rires'exprime
a contrariodu contexte.Les auteursinsistentsouventsur cet aspect :
Tu ris, et tu plorer dessez,
Se point de sens en toi essez,
Quer on te maine perdre vie
Con l'aignel a l'escorcherie.25
Mais ce rire inopportun n'est pas seulementcompris par les
mdivauxcomme la consquence de l'immaturitde l'enfant ( Se
point de sens en toi essez ). L n'est mme sans doute pas l'essentiel. Il est avant tout un signe,un de ces nombreuxsignessans cesse
guettsau Moyen Age, qui manifestentla prsence de Dieu. Dans
Tristande Nanteuil, le petit Doon jette un rire au gr du droiturier26. Dans le Roman du conte d'Anjou , le bourreau parle de
miraclesapertes et dsignel'enfantcomme un droit angelot .
Il existed'autres indicesqui montrentque le rirede l'enfantpeut
prendre,sur le plan symbolique,la valeur d'une manifestationdivine
ou qu'il est, pour le moins, le signe d'une relation avec le divin.
24. Le romandu conted'Anjou
, d. M. Roques,Paris,1974,v. 4224-45.
25. Ibid.,v. 4079-82.
de Nanteuil
26. Tristan
, d. K.V.Sinclair,Assen,1971,v. 1060.

15:29:12 PM

LE SOURIREAUX ANGES

101

Dans l'pisode de la Visitationil est dit de Jean-Baptisteexultavitin uteroeius (Luc, 1, 41). Il me sembleque cet exultavit
, qui signifie entreautres pousser des cris d'allgresse, pourraittre galementinterprt,
bien que le contextene soit plus ici celui d'un infandivine(explicitement
ticide,comme le signede l'intervention
dsigne
dans la Bible) qui permet la reconnaissancedu Christ par le fils
d'Elisabeth.
Merlin est le plus clbre des enfantsrieursdu Moyen Age. Or,
l'on sait que, s'il est le filsdu diable, Dieu, titrede compensation,
lui a attribuun pouvoirde divination.Chaque fois,ou presque,qu'il
va rendrepublique une prophtie(qui, en dernierressort,est d'origine divine), il met un rire qui en est comme le signal annonciateur27.
Dans L'image du monde de Gossouin de Metz (XIIIes.), encyclopdie mdivaledont on comptedes dizaines de manuscrits,le rire
des petitsenfantspendantle sommeilest interprt
comme une manifestationde leur capacit entendrela musique cleste (produitepar
la rotationdu firmament)
ainsi que le chantdes anges : Dont aucun
furentjadis qui disoientque li petitenfantoient cele melodie quant
il rienten dormant. Car l'en dit qu'il oient chanterles anges Dieu
en paradis ; par quoi il ont tel joie en dormant. 28
Gilles de Rome (t 1316), enfin,donne une sortede caution scientifique l'ide en expliquantque le foetus,en recevantson me au
quarantimejour de la gestation,lance un rire dans le ventrede sa
mre29.
L'enfant lu
Voyons maintenanten quoi ce rire peut tre un signe de l'lection de l'enfant qui l'met.
JacquelineRisset, prsentantses recherchessur Dante lors d'un
sminairede Jacques le Goff, a relev que, statistiquement,
le rire
et le souriresont nettementdu ct du paradis, et mme qu'ils semblent accompagnerla progressiondu salut, avec une seule occurence
pour l'enfer,seize pour le purgatoireet trente-deuxpour le paradis.
Dans cettederniresphre,Dante exprime plusieursreprisesla valeur
batifique du rire.
27. Surl'origine
orientale
de ce motif,
voirlesarticles
cTA.H.Krappe, Le rire
du Prophte
inEnglish
. A Miscellany
in HonorofFrede, dansStudies
Philology
rickKlaeber
de Merlin
, Minneapolis,
1929,p. 340-361
; La naissance
, Romania
,
59, 1933,p. 12-23.
28. Gossouinde METZ,L'imagedu monde
, d. O. Prior,Lausanne,1913,
p. 159.
29. Gilles de Rome,De humani
citparCl. Thomasset,
corporis
formattine,
Quelques
de l'embryologie
mdivale
la findu xmesicle),
principes
(de Salerne
n 9, Aix-en-Provence,
Snfiance
1980,p. 119.

15:29:12 PM

102

RIC BERTHON

Que Pon compare, partirde l, la reprsentationdes lus et


des damns dans le Jugementdernierde la cathdralede Bamberg
(1230) : les lus sourientaux anges , d'un sourirequi est presque
un riretant il est profondment
imprimsur leur bouche, en particulier les deux petitspersonnagesde gauche qui pourraientbien reprsenterdes enfants.Les damns, quant eux, portentgrimaces. Ils
sont contracts l'extrme,ce que suggrele rseau de rides denses
qui couvre leurs visages, tandis que ceux des lus, au contraire,restent remarquablementlisses.
Nous sommes,en fait,en prsencede deux sortesde rire: le rire
sereindes lus, rireou sourire aux anges 30, et le riregrimaant,
agit, convuls des damns. L'un indique l'emprise de Dieu, l'autre
celle du diable.
Mais il y a plus : au bas du Christapparaissentdeux mes, sous
la forme traditionnellede deux enfants, qui ont le mme riresourire coll aux lvres.Cet indice tend me fairecroireque c'est
des enfants,enfants-hros,enfants-mes,ou
tout particulirement
autres,que le rirebatifiqueest associ. On peut mme, me semblet-il, proposer l'ide d'un paradigme mdival de l'lection construit
31.
sur la trinitenfant-rire-me
ce qui arrte
Dans le rcitmythique,auquel je reviensmaintenant,
le bras du bourreau,ce qui dclenchechez lui, comme par le jeu d'un
automatismeinhibant,l'impossibilitd'accomplir l'infanticide,n'est
donc pas la valeurhumainedu nourrisson,comme le lecteurmoderne
aurait peut-tretendance le supposer, mais la grce divine suspendue au-dessusde sa ttequ'il reconnaten un clair. Le rirede l'enfant
peutprenddonc pour lui la valeurd'une rvlation,plus prcisment
tre d'une illumination(ne dit-on pas que le rire illumine un
visage ?), dans la mesureou la lumiresymboliseen mme tempsla
prsencedivineet la comprhensioninstantanede quelque chose. Un
le nourrissimple rire, d'apparence anodine, a suffit transformer
son en symbole vivant de l'lu.

etauxtrs
auxnourrissons
encore
30. Cetteexpression,
aujourd'hui
quis'applique
n'estdonc,ni plusnimoins,
untatde flicit,
qu'une
pourdsigner
jeunesenfants
dansle Jugede rirebatifique
de la notion
dansle langage
survivance
quitransparat
de Bamberg.
mentdernier
dansla pratique,
trouver
uneorigine
31. Cetteconfiguration
apparempourrait
en Syrieeten Afrique
telqu'ils'estperptu
d'enfants
du sacrifice
bienrelle,
ment
comme
en
Le
rire
des
victimes
y apparat, effet,
jusqu'auiiiesiclede l'rechrtienne.
Cf. A. Rousselle,Porneia.De la
un toposdj associ l'idede salutreligieux.
w-ivsiclesde Vrechrtienne
du corps la privation
matrise
, Paris
,
sensorielle,
1983,p. 155-156.

15:29:12 PM

LE SOURIREAUX ANGES

103

L'enfant image du Christ


Je voudrais maintenantmontrercommentl'enfant,le corps de
l'enfantpour treexact,a t souventperu par les mdivauxcomme
l'un des corps possibles du Christ, soit qu'ils y aient vu le fils
de Dieu intervenantsur terreen personne, soit qu'ils lui aient fait
revivredes pisodes de la Passion en lieu et place du Sauveur.
L'enfant prte-corps du Christ
Rappelons tout d'abord que l'imitationdu Christfonde la spiritualitmdivale. Les chrtiensdu Moyen Age avaient l'me toute
: c'est lui qu'ils cherchaientpartout explique
pleine de Jsus-Christ
mile Maie32. Il n'y a pas, en effet,pour le Moyen Age, de geste
plus haute que celle qui seraitcalque avec la plus grande exactitude
sur celle du Christ. Tout l'objet de la Vita Prima, par exemple, est
de montrerque saint Bernard,par ses paroles et par ses actes, renvoie sans cesse aux vangiles.
Mais la vertu imitativedes jeunes enfantsva encore plus loin.
Dans les exemples que je vais montrermaintenantil ne s'agit plus
seulementd'voquer le Christen rptantcertainesde ses actions,mais
de le fairerevivreen personne,par l'intermdiaire
toutefoisd'un autre
corps, d'une enveloppe terrestre,qui est un enfant.
La plus fameuse manifestationdu Christ sous les traits d'un
enfantest bien sr celle dont saint Christophefut le tmoin33.On
en trouveune autre,moinsconnue,dans Durmartle Galois (ca 1240) :
Voit un enfanon aparoir
Qui si beas li senble a veoir
C'ains mais bealt ne regarda
Si volentierscom celi la.
Et de l'enfant li a senbl
Qu'il le voit en cinc liez navr
Et es deus mains et es deus pis,
Et devers destre, ce sachis,
Li senbloit el cost frus
Si que li sans en coroit jus . 34
Ce sont surtoutles exempla qui contiennentdes apparitionsde
ce genre. Thomas de Cantimpr(XIIIes.) racontecommentun moine
cistercien,au cours d'un voyage hivernal,est mu de trouverun bb
abandonn dans la neige. Il le ramasse et va pour le placer sur la

32. E. Male, L'artreligieux


du xniesicleen France
, Paris,1948,p. 304.
33. Cf. Jacquesde voragine,Lgende
dore
, d. cit.,t. 1, p. 430-434.
34. Durmart
le Galois
, d. J.Gilda,Villanova,
1965,v. 15575-84.

15:29:12 PM

104

RIC BERTHON

selle de son cheval quand l'enfant disparat subitement.C'tait le


Christ en personne, explique l'auteur35.
Csaire d'Heisterbach(XIIIes.) rapportel'histoired'une viergetrs
dvote laquelle apparat en pleine glise un enfanonde troisans.
Elle lui faitrciterl'Ave Maria, ce qu'il faitparfaitement
son grand
tonnement,jusqu'au momentde dire le fruitde tes entraillesest
bni , ce qu'il refusepar contre de rpter,car, nous dit le texte,
il est le Christ lui-mmeet ne veut faire sa propre louange36. On
retrouve peu de chose prs le mmercitdans YexemplumDe infanda Christitandis que dans celui intitulDe eukaristia; super : hospes eram, le Christ,voulant satisfairele dsir d'un de ses fidles,lui
apparat sous la forme d'un trs bel enfant (in specie pueri
37
pulcherrimi) .
VexemplumTubach n1035 montreun ermitequi a la visiond'un
enfanten pleurs (toujours le Christ en ralit) car, dit-il,le Christ,
bien qu'il soit mort pour tous, ne peut compterque sur la fidlit
d'un homme sur cent38.
La lecturedes exemplaindiqueaussi que le mimtismede l'enfant
au Christ se renforced'un mimtisme l'hostie.
La neuvimesectiondu Dialogus miraculorumde Csaire d'Heisterbachconsacreau corps du Christoffreici deux tmoignages.Dans
le premier,Csaire dcritun chanoine qui, au momentde clbrer
l'Eucharistie,dcouvre que l'hostie s'est mtamorphoseen un trs
bel enfant(non iam in manibussuis speciempanis, sed infantempulcherrimum).Quand il le dpose sur l'autel, celui-cireprendsa forme
premire39.Dans le second, il rapportel'histoired'un frreconvers
de l'hostie en un magnifiqueenfant(spetmoinde la transformation
ciosissimumpuerum) dans la bouche d'un de ses coreligionnaires40.
Vexemplum Tubach n 1001 raconte brivementun autre rcit
de ce genre: un jeune garon, au momentde la Communion, voit
un moine en train d'avaler un enfanten place d'hostie et s'enfuit,
pouvant l'ide d'tre mang lui-mme41.
Dans YexemplumTubach n 2644, c'est une femmemalchanceuse
au marchqui dcide de punirle Christen enfermantson corps (une
hostie) dans une bote. Un peu plus tard, quand son mari, intrigu,
de la France
dansla famille
35. Cf.R. Carron,La placede l'enfant
septentrionale, du dbutdu xwsicle la findu xiwsicle,thseindite,
1983,
Saint-tienne,
p. 822.
orainis
Cisterciensis
Monachi
Heisterbacensis
36. Caesaru
Miraculorum,
Dialogus
VIII, 8, d. J.Strange,Cologne,1851.
desMittelalters
37. J.Klapper,Erzhlungen
1914,n 12et 15,p. 240
, Breslau,
et 242.
1969.Surle meme
38. F.C. Tubach,Indexexemplorum
, FFC 204,Helsinki,
Tubachn 1013; 1020; 1025; et 5170.
voirencoreles exempla
thme,
d. cit.,IX, 2.
39. Csaired'Heisterbach,
40. Ibid.,IX, 42.
41. PubliparJ.Welter,Tabulaeexemplorum
, Paris,1926,n 219.

15:29:12 PM

LE SOURIREAUX ANGES

105

ouvre la bote, il y dcouvreun enfant.Uexemplum Tubach n 2661


rapporteune histoired'hostiecache dans un arbrecreuxqui se mtamorphose galementen enfant42.
Tous ces rcitsne sont que des variantesdu thmeplus vaste de
la manifestationdu Christ sur terre. Ils ont le mritede dmontrer
clairementles principesd'quivalence et d'interchangeabilit
qui prdu Christ,que se soit sous
sidaientau Moyen Age la reprsentation
sa formepropre,sous celle de l'hostie,ou sous celle d'un jeune enfant
la beaut remarquable43.
L'enfant doublure du Christ
Dans la formede l'imitationdu Christdont nous venons de voir
quelques exemples, l'enfant peut tre considr comme un prtesur terre.Il existeune autre
corps pour certainesde ses interventions
formed'imitationo il ne joue plus exactementce rle mais plutt
celui de doublure : le Christn'intervient
plus en personne; ce sont
les hommes qui, traversun enfant,ritrentdans l'imaginaireun
pisode de sa vie. C'est dans cettecatgorieque l'on peut rangerles
enfantsmartyrsdes fameux meurtresrituels attribusaux juifs,
comme les deux exemples qui suivent le montrentnettement44
:
La premirejeune victime connue est Guillaume de Norwich
(t 1144), dont le martyreest relat par Thomas de Monmouth dans
les annes 1172-1173: les juifs qui ont dcid de tuer un jeune chrtien Pques font porterleur choix sur Guillaume, un enfantdont
la vertuet l'innocencesont exceptionnelles.
Ils chargentdonc un tratre
(que le biographecompare Judas) de s'en emparer.Une fois entre
leurs mains, ils se livrentsur lui toutes sortesd'humiliationset de
svices imitsde la Passion du Christ: ils lui rasent la tte afin de
le couronnerd'pines, ils le crucifientaprs une parodie de procs,
ils lui percentenfin le flanc gauche.
42. F.C. Tubach,op. cit.
43. La beauthorsdu commun
les enfants
dansces rcits
qui caractrise
peut
se comprendre,
de mmeque le rireplushaut,commele signede leurlection.
Il
cette
d'observer
de
nouveau
les
lus
et
les
damns
de
suffit,
pourjustifier hypothse,
en comparant
cettefoisla beautsereine
despremiers
la laideur
convulBamberg
sivedes seconds.
44. Surlesmeurtres
cfA. Vacandard, La question
du meurtre
rituel
rituels,
chezlesjuifs danstudesde critique
et d'histoire
, Paris,1912; On peut
religieuse
consulter
A. Vauchez, Antismitisme
et canonisation
: saint
galement
populaire
Werner
ou Vernier,
enfant
etpatron
desvignerons
martyr
, dansLeslacsau Moyen
etexpriences
Ritualmord

l'article
Age,pratiques
, Paris,1987; ou encore
religieuses
dansle Handwrterbuch
desdeutschen
undLeipzig,1936
, t. 7, Berlin
Aberglaubens
en 1987),col.727etsuiv.Il fautfaireremarquer
misenscne
(rimp.
quelesenfants
de meurtre
rituel
ne sontpas toujours
de toutjeunesenfants
comme
parles rcits
ceuxqui m'occupent
danscetarticle.
ils ontsouvent
treprsents
ainsi
Pourtant,
enparticulier
danslesincunables,
encontradiction
aveclestextes
! (voir,
parl'image,
le cas de Simonde Trente
dansDie Geschichte
vondemKindSymon
parexemple,
,
Gunther
1475.Paris,BN Rserve
H.307).
Zainer,Augsbourg,

15:29:12 PM

106

RIC BERTHON

Dans le cas d'Hugues de Lincoln(t 1255), dont l'histoireest principalementconnue traversla ChronicaMajora de MatthieuParis45,
le paralllechristiqueest encore plus frappant.Vers Pques, les juifs
de Lincoln drobentun enfantg de huitans. Ils lisentalors un
juge que MatthieuParis compare Pilate (tanquampro Pilato). Aprs
un jugementde thtre,l'enfantreoitle supplice : il est battu, couronn d'pines (spinis coronatus),humilicomme lors de la Drision
du Christ(sputis et cachinislacessitus). Chacun le pique de la pointe
de son couteau. On lui donne du fiel boire (potatus felle), on le
raille (Jesu Pseudoprophetavocatus), enfin,on le met en croix et on
et lancea ad cor
le frapped'un coup de lance au cur (crucifixerunt
pupugerunt).Comme c'est le cas dans la plupartdes rcitsde meurtre rituel,les juifs ne parviennentpas faire disparatreson corps.
Ils tententbien de l'enfouirsous terremais, par miracle,il rapparat toujours la surface(Et cum mane putaturabsconditum,edidit
illud terraet evomuit,et apparuitcorpus aliquoties inhumatumsupra
terram...). Outre que d'un point de vue narratifce motifpermetde
du
dcouvrirla culpabilitdes juifs, on peut facilementl'interprter,
du Christ.
pointde vue allgorique,commeun cho de la Rsurrection
De la vertuau mimtisme
Si les enfantsont pu servirde prte-corps ou de doublure
du Christ,c'est, me semble-t-il,parce que, dans l'espritdu
terrestres
temps,ils participentplus que d'autres de ses vertuset qu'ils symbolisentl'innocencevanglique,la vie hors le pch. En toute logique,
par exemple,les victimesdes juifs misesen scne par l'imaginairechrtien, ou le Christ aux stigmatesde Durmart le Gallois, auraient d
tredes adultesdans la forcede l'ge. Mais la fidlitau textebiblique et la personnehistoriquedu Christ,qui n'aurait produitqu'une
analogie de vraisemblance,les mdivauxont prfrune fidlitau
messagede l'vangileet la personnespirituelledu Sauveur,qui produit une analogie d'essence : l'adquation au Christfondesur l'innocence l'emporte sur l'adquation fonde sur les apparences.
Bien sr, on pourraitobjecterles propos sans cesse cits de saint
Augustin: l'innocence de l'enfanttient la faiblessede ses membres, non aux intentions^. Mais ce grand saint est ici l'arbre qui
cache la fort.Ainsi que l'a not R. Carron, partirdu XIIesicle
au moins, un courant intellectuelimportantse rvle trs majoritairementfavorable l'ide de l'innocence enfantine47.
de Lin45 Matthieu
, d. part.Fr.MicheldansHugues
Paris,Chronica
Majora
decetenfant
au meurtre
relatives
etcossaises
deballades
coln,recueil
anglo-normandes
commis
, Paris,1834.
par lesjuifsen 1255
Les confessions
46. SaintAugustin,
Paris,1982,
, d. ettrad.L. deMondadon,
Livre1-7(11).
enfantine
de linnocence
47. R. Carron,op. cit.P. Richreleve
que la question
danslesmilieux
dansle HautMoyen
taitdjdbattue
dit-il,
Age,particulirement,
etsocit.
Annadansle HautMoyen
celtes
Age, dansEnfant
(P. Riche, L'enfant
les de Dmographie
, Paris,1973,p. 95-98).
Historique

15:29:12 PM

LE SOURIREAUX ANGES

107

Le premierpeut-tre,saint Anselme (XIes.) affirmeque l'enfant,


hors le pch originel,est sans pch48.
Au XIIesicle, ce point de vue est dj largementpartag. Pour
Adam de Prmontrcomme pour Juliende Vzelay, il est de faitque
la culpabilitaugmenteavec l'ge49. Guerricd'Igny, moine du milieu
du XIIesicle, loue dans ses sermonsla puretdu corps et du coeur
de l'enfant.Mieux, il existeselon lui une correspondance
certaineentre
la mansutudedivine et l'innocence et la douceur enfantines50.
Au XIIIesicle, Alain de Lille continuede considrerles pchs
des enfantscomme tant d'une importancemineure,tandis que Vincent de Beauvais souligneleur anglisme: Ils sont placs par le Seigneurdans l'assembledes anges, car ils leur sont semblablesen puret
et en aptitude louer Dieu .51. Guillaume d'Auvergne loue quant
lui la saintetdes enfantsqu'il justifiepar leur similitudeau Christ
dans la grce : Les petitsenfants,en vrit,sont sanctifis(...) car
ils sont semblablesau Christdans la grce et, de ce fait, lui seront
ncessairementsemblables dans la gloire.52
la findu Moyen Age, Nicolas de Clamange dveloppelui aussi
le motifde l'innocenceenfantinedans un sermoninditsur les Saints
Innocents.Il illustreson propos en comparantl'innocencede l'enfant
la blancheurlacte du sang qui coule dans ses veines53.Jean Gerson, pour sa part, va jusqu' voir dans les enfantsles acteursd'une
rformemorale de l'Eglise qu'il juge indispensable54.
La croyance dans les vertusdu sang
La croyance dans la vertu thrapeutiquedu sang des jeunes
enfantsest l'un de ces universauxde la pense humaineque l'on rencontreencore aujourd'hui : dans sa lgende noire, Ceaucescu passait
48. CitparR. Carron,op. cit.,p. 815etsuiv.: Profecto
sequitur
quiainfans
habetpeccatum
nisioriginale,
mundus
esta peccato.
qui nullum
49. Ibid.
50. Ibid.: Congruebat
aetasinnocientis
ac facilis
ergocumdivinamansuetudine
infantiae.
51. Ibid.: Ibi assignantur
a Dominode conventu
sunt
angelorum,
quiasimiles
eis inpuntate
et aptitudine
laudandi
Dominum.
52. Guillaume
De universo
d'Auvergne,
, part.II, chap.XXI,d. Operaomnia
,
t. II, Paris,1674: De parvulis
verosanc
ificatis(...) quiasimiles
suntChristo
ingrahocex necessitate
similes
ei futuri
suntin gloria.
tia,et propter
53. CiteparFranois
le prtre
et l'enfant
mort
Berier, L'humaniste,
; le sermonDe sanctisInnocentibus
de Nicolasde Clamange
n 9, Aix-en, Snfiance
: [infantia
Provence,
1980,p. 125-138
lcteoadhuc
] que tuumpostremo
sanguinem,
est- innocentissima
quodammodo
liquoreet - quodprestantius
candidapuntate
fudisti
velcontagione
turatantoDeogratiorem
quantoab omnimacula
flagiciosi
operis
pollueteue
cogitationis
magisalienum.
54. Cf. F. Bonney, JeanGerson
: un nouveauregard
surl'enfance
, dans
et socit.Annales
de Dmographie
Enfant
Paris,1973,p. 137-142.
historique.

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108

RIC BERTHON

pour avoir faittuerdes jeunes gens dans le but de se fairetransfuser


leur sang et leur jeune vigueur55.
La principaleapplication mdicale du sang enfantinest dj
indique : il rgnreles corps malades, surtoutsi la maladie dont
ils sont atteintsest d'abord une maladie de l'me, surtouts'il s'agit
de la lpre. Voyons ce qu'il en tait au Moyen Age56.
partird'une origineprobablementorientale,la croyancedans
la valeur thaumaturgiquedu sang enfantinse seraitrpandue Rome
la fin du Vesicle ap. JC, en venant se greffersur l'pisode clbre du baptme de Constantin.Deux textes,le Liber pontificaliset
les Gesta liberii y font simplementallusion cette date. L'homlie
De inventioneSanctae Crucis, faussementattribue Bde, en donne
pour la premirefois le rcit complet, que je rappelle : Constantin
est lpreux. Il reoit le conseil de ses proches de se baigner dans le
sang de jeunes enfants.Il fait donc rassemblerdes enfantspour les
tuer, mais, mu par le chagrindes mres, se dcide finalement les
pargner.Par la suite,c'est du baptmechrtien,cet autrebain cathartique et thaumaturgique,qu'il obtientla gurison. L'opposition des
deux mthodesde gurisonindique clairementle sens de lecturede
la lgende: une mthodepaenne et rvolue du soin de l'me (le
bain de sang) doit succder la mthode chrtiennenouvelle (le bain
baptismal)57.
Pourtant, malgr le triomphede l'glise, la croyance ancienne
restevivace au Moyen Age. Outre son application Constantin,on
la retrouvedans l'histoiredes deux compagnons Ami et Amile (vers
1100), dont le succs futimportantsi l'on en juge par le nombrelev
des versions et variantes diverses qui nous sont parvenues58.
(que
Rappelons-enle rit: Amile apprendd'une maniresurnaturelle
l'on peut dans tous les cas identifier une interventiondivine) que
seul le sang de ses deux petitsgarons peut gurirson compagnon
malade de la lpre. Aprs bien des hsitations,il finitpar se rsoudre accomplirce geste,car ses enfantseux-mmesl'y encouragent.
Ami, lav par le sang des jeunes victimesrecouvrela sant. Quand
la mre des enfantspntredans leur chambre,elle les trouvemiraculeusementressuscits,en train de jouer avec une pomme.
Les rcitsde meurtresrituels,dj voqus plus haut, constituent
un autre corpus importanto est reprsentela croyance qui nous
intresse.C'est surtout partirdu XIIIesicle qu'elle commence y
d'A. Fargeet J.Revel: Logiques
55. Cf. pourla priode
moderne,
l'ouvrage
Paris
desenlvements
de la foule.L'affaire
, 1750,Paris,1988.
d'enfants.
voiru. bichon,La representation
56. Fourune information
pluscompiete,
de ParisIII, 1979.
Universit
de la lpre
mdivale
, Thseindite,
dansune
avaitlieuparimmersion
57. Rappelons
qu' cettepoquele baptme
piscine.
de la
versions
58. M. Mac Edwardleach donneun tableaudes diffrentes
du romanen moyen
danssondition
( TheEarly
anglaisAmiset Amiloun
lgende
n 203,Oxford,
TextSociety
1937).

15:29:12 PM

LE SOURIREAUX ANGES

109

jouer un grand rle et mme servirde mobile aux meurtres59.


En 1235, une affaireclate Fulda. Les Annales d'Erfurtsignalent ce propos que le 28 dcembreles croiss gorgrenttrentequatre juifs des deux sexes accuss d'avoir assassin les cinq filsd'un
meunierle jour de Nol et d'avoir recueillileur sang dans des sacs
tanches60.On remarquera au passage la porte symbolique des
dates : meurtreperptr la Nol et vengeance prise le jour de la
fte des Innocents.
A propos du mmecrimede Fulda, les Annales de Marbach font
tat de l'intentiondes juifs d'utiliserle sang des enfants des fins
thrapeutiques(ut ex eis sanguinemad suum remediumelicerent)61.
En 1297, une nouvelle accusation est porte contreles juifs. La
justice royale produitalors ce texte: ...Ils ont t accuss d'avoir
enlev un enfantchrtienet d'avoir recueillile sang de son cou dans
un petit vase de verre... 62
Aux XIVeet XVesicles, les accusations de ce genre semblentse
cet extraitdu pome flamandVan Sente
multiplier.Citons simplement
Waerner(xivc s.) qui racontele martyrede saint Werneret introduit
un autre usage du sang, l'usage rituel:
Ils lui firentplusieursblessures
Avec des poignards et des couteaux,
Ils lui firentalors, toujours la mme place,
Sortir tout le sang du corps,
Et recueillirentle sang dans un rcipient.
Cela ils le faisaient
Parce qu'avec ce sang, je le sais,
Ils voulaient faire leur sacrement;
Car ils avaient l'habitude, ce n'est pas un mensonge,
D'avoir chaque anne un enfant chrtien,
Frais, florissantet rose ;
Cet enfantils le mettent mort
Afin d'avoir son sang... 63
On retrouveencore le motifdu sang dans quelques uvres isoles comme le Roman de Jaufr(fin XIIes.) o l'on voit un lpreux
expliquer pourquoi il a tu huit petits enfants:
59. Ce retour
au dossier
desmeurtres
rituels
montre
il prsente
combien
d'intrt
comment
toutes
lesdimensions
de l'enfant,
pourle sujetet surtout
symboliques
prsentes
ici sparment
de clart,
sonten faitimbriques.
pourdes raisons
60. MGH,
t. XVI,p. 31.
Script.,
61. CitparA. Vacandard,art.cit.,p. 138.
62. Citpar R.A.Michel, Uneaccusation
de meurtre
rituel
contre
les juifs
d'Uzsen 1297, dansBEC, LXXV,1914: ... dicebantur
cepisse
quendam
puerum
Christianm
etsanguinem
extraVisse
de colloejusdem,
in
quemsanguinem
receperunt
quodamcifo parvode vitreo...
63. VanSenteWaerner
dansLesjuifsdanslesPays-Bas
, trad.J.Stengers
, Louvain,1949,p. 56-57.

15:29:12 PM

110

RIC BERTHON
Ai aquestz viii enfans delitz
E de totz devra aitai far,
Del sane me fazia ajostar
Mo seiner sains, malgrat meu,
Et nous ment, fe que deig a Deu,
Per so que bainar se devia
Per garir de la mazelia .M

La survivancede cette croyance s'explique certainementpar la


fortesymboliquemdivaledu sang, en particulierdu sang du Christ.
Sans revenirsur le cas des meurtresrituelso la parententrele sang
rdempteurdu Christ et celui des jeunes enfantsest claire, on doit
faire remarquerqu'elle se trouve galementdans Ami et Amile. Il
est possible, en effet,d'tablir un parallle entrela mortdes enfants
d'Amile et la Passion. L'analogie s'exprimepar un souci d'allgoriser dans le rcit romanesque certainspassages vangliques: la collecte du sang des enfantsdans un bacin d'or ( Le sane reciutel cler
bacin d'or mier) rappelle celle du sang du Christ dans le saint
Graal ; le lavementdes plaies d'Ami avec ce sang et sa gurisonest
videmmentun cho terrestrede la Rdemption; la rsurrectiondes
enfants,jouant avec une pomme d'or, ritresans doute possiblecelle
du Christ,et redouble dans le rcit pique l'image traditionnelledu
la pomme, symbole de sa victoiresur le pch.
Christ-enfant
On peut aussi citer ce tmoignage de Jacques de Lausanne
(t 1321) qui tablit un double parallle entreenfantet Christd'une
part, lpre et pch d'autre part : ... il est possible de faire disparatrela souillurede la lpre avec le sang encore chaud d'un enfant,
commeon peut le liredans l'histoirede Constantinrapportepar saint
Sylvestre.De la mmemanireque la lpredu pch du genrehumain
a t efface par le sang du Christ alors qu'il tait dans l'ge
d'homme .65
On voit que, si la croyanceen la vertuthaumaturgiquedu sang
dpasse largementles borneschronologiquesdu Moyen Age, l'emploi
qui en a t fait durant cette priode correspond un modle bien
au sens le plus fort,au sens
prcisqui est celui d'une christianisation
d'une analogie troiteavec le propre sang du Christ. Ce n'est plus,
comme dans la lgendeconstantinienne,
par l'action de sa seule vertu
que le sang enfantingurit,mais parce qu'il est d'une nature semblable celui du Sauveur. Cette analyse procde d'une logique dj
entrevue,qui fait de l'enfant un proche du Christ et l'un de ses
de Jaufr
64. Le roman
, d. et trad.R. Nelli et R. Lavaud,dansLes troubadours
, Paris,1960,v. 2703-9.
ClaudiGarnier,
65. Jacquesde Lausanne,
1528,
, Lemonicis,
Opusmoralitatum
calidopueri.Sicut
cumsanguine
amovere
fCLXXVlv : ... maculam
lepraeoportet
humni
Sic lepram
de Constantino.
sanciiSilvestri
in hystoria
peccatigeneris
legitur
Christi
adolescentis.
sanguine
absterg
oportuit

15:29:12 PM

LE SOURIREAUX ANGES

111

corps possibles sur terre.Son sang, dans la psychologiedes reprsentations,est donc mme de remplacercelui du Christ,de servir,
dans les limitesde la vie terrestre, une nouvelle Passion et une
nouvelle Rdemption.
Au termede cet article,j'espre avoir atteintmon but qui tait
d'intresserla rechercheau problme nouveau d'une anthropologie
mdivale de l'enfance aborde sous l'angle religieux.
Pour ce faire,j'ai tentde mettreen vidence trois dimensions
symboliquesde l'enfantque l'on peut rsumerainsi : dans la gographie mdivale des mondes (terrestreset clestes), l'enfant est plac
la charnirede ce plan verticalsi prminentqui relie l'homme
Dieu. Il est l'un des grandsbnficiairesde la distributiondes signes
divinset une image vivantede l'lu. Il est souventassimilau Christ,
non seulementau Christ-enfant
mais encore au Christde la Passion,
par le fait d'un analogisme qui privilgiemoins la communaut
d'apparence que celle d'essence.
Cette tendance symbolisatrice,dont on pourrait donner bien
d'autres exemples,lui confreune valeur spirituellehors du commun,
qui me semble nourrir en profondeur le sentimentmdival de
l'enfance.

15:29:12 PM

Mdivales
25, automne
1993,pp.113-128
Hilario FRANCO Jr.

LE POUVOIR DE LA PAROLE :
ADAM ET LES ANIMAUX
DANS LA TAPISSERIE

DE GRONE1

Mors et vitaein manulinguae


Proverbes18.21
La courtepriodequi reprsente
le sjour des premiersparents
au Paradis est restela moins tudie de toutes les phases de l'histoire adamique dans les traditionsjudaques ou chrtiennes,canoniques ou apocryphes.L'iconographiemdivalen'a pas non plus produit beaucoup d'images sur ce thme. La plupart d'entre elles traitent du passage biblique o Adam donne un nom aux animaux2.
Parmi ces reprsentations,
la plus intressanteest peut-trecelle de
la tapisseriede Grone, conserveau muse de la cathdralede cette
ville (Fig. 1).
Cette tapisserie,une broderie en laine qui mesure actuellement
3,65 m sur 4,70 m, tait l'originebeaucoup plus grande. Elle a t
probablementfabriqueen Catalogne,entreXIeet XIIesicle,pour tre
utilisecomme baldaquin et dispose derrirel'autel pendantles grandes crmonies3.Sur les frisessuprieureet latrales 21 petits carrs reprsententdes allgories de l'Anne, des quatre saisons, des
douze mois. Sur la friseinfrieure,aujourd'hui presque totalement
disparue, tait narre l'Invention de la Sainte Croix. Aux coins du
grand carr centralencadr par ces frises,sont reprsentsles quatre
vents de la terre.
Au milieuenfinsont dessinsdeux cerclesconcentriques.Le plus
petitmontrele Crateuravec la main droite leve en geste de bn1. Cetarticle
a bnfici
descommentaires
du professeur
Le Goff,que
Jacques
nousremercions
vivement.
2. Gn 2, 19.
3. P. Palol, Unebroderie
catalane
: la gnse
de Grone
d'poqueromane
,
Cahiers
, t. 8, 1956,p. 190ett.9, 1957,p. 248-249
archologiques
; P. Palol, El tapis
de la creacide la catedral
de Girona
, Barcelone,
1986,p. 70-74et 154.

15:29:20 PM

114

HILARIOFRANCOJR.

Fig. 1. Tapisseriede Grone: vue d'ensemble.


diction,tandis qu'avec la gauche il tientun livreouverto l'on peut
lire Sanctus Deus .
Le cercle le plus grand est divis en huit scnes. Au-dessus de
la Diviniton peut voir l'espritde Dieu reprsentpar une colombe.
D'un ct est reprsentl'ange des tnbres,et de l'autre l'ange de
la lumire.Pour complterla moiti suprieuredu cercle,il y a d'un
ct la cration de la vote cleste et de l'autre la sparation entre
le ciel et les eaux. La moiti infrieuredu cercle est divise en trois
scnes. Sur la partie la plus basse apparat la plus grande scne de
la tapisserie,celle de la crationdes oiseaux et des tres aquatiques.
Cette scne est entoure de deux autres. Dans l'une d'elle Adam
nomme les animaux. Sur l'autre, symtrique,ve nat du flanc
d'Adam endormi. Sur le bord de ce grand cercle une phrase rsume
quelques versetsde la Gense4. Dans la scne qui ici nous intresse,
situe droite de l'observateur,Adam est devant un groupe d'animaux, et il regardele Crateurtandisqu'il exerceson pouvoirde nommer (Fig. 2).
DeusCelumet Terram
MareetomniaQuoeinElisSunt
4. Inprincipio
Creavit
Et Vidit
DeusCunetaQueFecerat
Et ErantValdeBona, d'aprsGn 1, 1-2; 10-12;
18; 20-21; 24-25; 31.

15:29:20 PM

LE POUVOIRDE LA PAROLE

115

Fig. 2. Tapisseriede Grone; dtail: Adam nommantles animaux.

La puissance de la parole
Il s'agit donc, premirevue, d'une reprsentation
traditionnelle
du passage biblique. Mais commenttait-elleinterprtepar les quatre mille habitantsde la Grone d'alors5 ? Notre tentativede rponse
doit considrertroisniveaux. Le premierconcerneune donne de trs
longue dure, le pouvoir magique de la parole, croyancetrsancienne
et rpandue6. La Msopotamie et l'gypte anciennes, par exemple,
attribuaientla crationdu monde au pouvoir de la parole7. Dans ces
civilisationschacun gardait secretson vrai nom dont la connaissance
5. J.Pla Cargol, Geronahistrica
, Grone-Madrid,
1940,p. 271.
6. Le pouvoir
desmotsest unede cesassociations
d'idessi anciennes
magique
et remontant
si hautdansles annalesde la racequ'ellesfontpartiedu patrimoine
hrditaire
dontlesindividus
eux-mmes
sont peineconscients
tantil s'intgre,
pour
: G. Berguer,
La puissance
ainsidire, leurnature
du nom.Sesorigines
psychode Psychologie
, t. 25, 1936,p. 313.Surl'importance
, Archives
logiques
religieuse
du nompourplusieurs
on peutvoirF.M.Denny, Namesandnaming
socits,
,
in M. Eliade (d), The Encyclopedia
, New York, 1987,vol.10,
of Religion
p. 300-307.
7. Poemababilonico
de la Creacin
, v. 7-8,trad.F.L. PeinadoetM.G.Cordero,
e sua integrao
no
Madrid,1981,p. 92 ; M.H. TrindadeLopez,O homem
egipcio
cosmos
1989,p. 17-22et 76-77.
, Lisbonne,

15:29:20 PM

116

HILARIOFRANCOJR.

aurait donn quelqu'un d'autre pouvoir de le soumettre8.Cela


tait mme arriv au dieu R qui, contraintpar les arts magiques
d'Isis, avait d lui rvler son nom secret9. Parmi les Grecs, les
hros changeaientde nom quand un ritede passage les amenait un
autre stade de la vie, par exemple Jason, Achille et Hracls10.
Mme pour la philosophiele nom taitli l'essencedes choses, d'o
l'importancede Ptymologie,rvlatriceautant en ce qui concerneles
dieux que pour les astres ou les concepts moraux11.
Dans le judasme, la mortet la vie sont au pouvoir de la langue 12, puisque l'univers a t cr par la parole divine. Plus
encore, le nom de Dieu tait tellement fort qu'il tait
imprononable13.Tous les noms divins taient aussi puissants:
quiconque invoquera le nom du Seigneursera sauv 14.Le christianisme,insrdans la mmestructurementale,croyaitaussi au pouvoir du mot, surtoutcelui de Dieu, qui est comme une pe 15,
et des noms divins, qu'aucune bouche d'homme ne doit prononcer
s'il n'est pas en danger de vie 16. L'Islam acceptait galementce
pouvoir magique, surtoutle soufismedont les adeptes considraient
la parole d'Allah comme tellementsacre qu'elle devait tre rpte
mme si l'homme ne la comprenaitpas. Pour les Celtes, un des principaux hros de la cour d'Arthurtait GwrhyrGwalstawtIeithoedd,
l'interprte
des langues , celui qui connaissaittous les
littralement
idiomes existants17.
Hritirede toutes ces traditions,la socit chrtienneoccidentale rservait,elle aussi, une place importante la parole dans sa
vision du monde. La parole tait considrecomme cratrice,mais
les Juifs19
comme elle l'tait pour les gyptiens18,
aussi destructrice,
et les Celtes20. Mal utilise elle pouvait provoquer l'apparition du
diable sous une formeanimale, comme les hrtiquesd'Orlans en
et en Assyrie
Babylone
8. G. Contenau,La vie quotidienne
, Paris,1950,
p. 167-173.
nouv.d. 1979,p. 137-141.
9. E.A. Wallis Budge,Egyptian
, Londres,
Religion
10. J.Sousa Brandao,Mitologia
1987,t. 3, p. 31.
, Petrpolis,
grega
d. et trad.
11. Platon, Cratyle
409a-410e,
411c-421c,
, 383ab,400e-408d,
L. Mridier,
Paris,1931,p. 48 et 77-107.
12. Prov.18,21.
voirA.-M.Besnard,Le mystere
13. Surle nomdivindans1Ancien
Testament,
du nom
of theDivine
, Paris,1962,et dansla Cabale,S.G. Wald, TheDoctrine
Kabbalistic
to Classical
Name.An Introduction
, Louvain,1988.
Theology
14. JI3, 5.
15. Par exemple,
Ep 6, 17; Hb 4, 12; Ap 1, 16.
ea.
16.Chrtiende Troyes,Le contedu uraal (Ferceval
)> v. 6263-6266,
F. Lecoy,Paris,1979,t. 2, p. 13.
17.Mabinogion
, trad.M.V.Cirlot,Madrid,1982,p. 198.
18.TrindadeLopez,op. cit.,p. 79-81.
de la Bible
19.A. Boudart, Malediction
, Iurn, Dictionnaire
encyclopdique
hout,1987,p. 773-775.
20. Muirchertach,
C,t. 38, 1V83,
h,Annates
Jilsd tre,trad.C.J.Guyonvarc
p. 994.

15:29:20 PM

LE POUVOIRDE LA PAROLE

117

avaient fait l'exprienceau dbut du XIesicle21.Mais elle pouvait


galementmatriserles dmons, comme le raconte propos de saint
Martial de Limoges un hagiographede la mme poque22 ; connaisseur de toutes les langues, le saint conjure les mauvais anges et les
oblige dire leur nom, manirede les soumettreet de leur ordonner
de disparatre jamais dans le dsert.De mmeque possderun nom
est exister,connatrele nom est contrlerce qu'il dsigne.C'est pourquoi certains objets recevaientdes noms, ainsi les pes des hros
comme le Cid, Roland, Olivier, Turpin, Ganelon, Charlemagne et
Arthur23.Enfin, savoir utiliserles mots quivalait une pratique de
pouvoir ; en effetDieu avait fait de Mose un orateur24.
Le pouvoir de la parole tait considr comme efficace, et la
socit mdivale a possd un vaste champ smantiquede violence
verbale25.Le modle tait biblique, puisque la Divinit elle-mme
avait maudit le serpentresponsable du pch d'Adam et ve26. La
maldictionde No sur Cham taitconsidrecommel'originedu phnomne social de l'esclavage27.Dans cet esprit- malgrsaint Pierre
qui a dit bnissez et ne maudissez pas et saint Bernard bnir,
pas maudire - la documentationmonastique mdivale montre
d'innombrablesformulesde maldiction28.En reconnaissantl'efficacit symboliquede la parole et en souhaitantrestreindreson usage,
Pierre Damien au milieu du XIesicle prchaitcontrele vice de la
langue ; de la fin du xiic sicle au milieu du xiiie sicle les tholodiscut, valu et class divers pchs
giens ont systmatiquement
de la langue 29 ; dans la deuxime moiti du xiiic sicle, Louis IX
en France et Alphonse X en Castille30lgifraientcontre le blasphme.

21. Paul deChartres,


LiberAganonis
de l'abbaye
de Saint, VI,3, inCartulaire
Prede Chartres
, d. B. Gurard,Paris,1840,t. 1, p. 112.
22. La viede SaintMartial
de Limoges
, XV,Jrad.C. Paupert,
Turnholt,
1991,
p. 69-71.
23. Poemade mioCid, d. I. Michael,Madrid,1980,v. 1010,2426et 2575;
La chanson
de Roland
, d. J.Bdier,Paris,1928,v. 346,926,988,1055,1065,1079,
1120,1324,1339,1363,1462,1463,1550,1583,1870,1953,2089,2143,2264,2304,
de Monmouth,
Histoire
desRoisde Bretagne
2316,2780,2501et 2508; Geoffrey
,
147,trad.L. Mathey-Maille,
Paris,1992,p. 208.
24. Ex. 4, 10-12.
25. Comme
l'a montr
toutrcemment
le ColloqueInternational
L'invective
au
MoyenAge (Paris,4-6/2/1993).
26. Gn 3, 14-15.
27. Gn 9, 25-27; Augustin,
De Civitate
Dei, XIX, 15,PL 41, col. 643.
28. L.K. Little, Formules
de maldictions
auxixcet Xesicles
monastiques
,
RevueMabillon
desmaldictions
monasti, t. 56,1975,p. 377-399
; La morphologie
Annales
ESC, t. 34, 1979,p. 43-60.La mmechosearrivait
en Catalogne,
ques,
comme
l'a montr
Le vocabulaire
M. Zimmermann,
latinde la maldiction
du IXe
au xiiesicles
: construction
d'undiscours
, au colloquecitdansla
eschatologique
note25.
29. C. Casagrandeet S. Vecchio,Lespchsde la langue
, trad.,Paris,1991.

15:29:20 PM

118

HILARIOFRANCOJR.

Bien utilise,la parole sauve, par exemplelors de la confession:


hormisGratien,tous les thologiensdu XIIesicle considraient
la confession comme obligatoire,ce que le Concile de Latran de 1215 a
rglement,en l'imposant tout chrtienau moins annuellement.La
cultureclricaleinsistepour que la confessionsoit faite un prtre,
mais dfaut elle peut l'tre quand mme un lac31: la ncessit
mythiquede l'expiation par les mots tait plus forteque les restrictionsthologiques.La parole sauve mmea posteriori
, commele montrentles prireset les messes l'intentionde l'me des morts. Puisque la parole est puissante,elle devientdangereusesi elle n'est pas
prononce. Le silence de Perceval, qui n'a pas pos la question adquate, a prolong les souffrancesdu Roi Pcheur et de son pays32.
Mystrieuseet ambigu, la parole tait l'origine de tout. Comme
l'avait dit le Christlui-mme, c'est d'aprs tes paroles que tu seras
justifi, c'est d'aprs tes paroles que tu seras condamn33.
se raliseau moment
Selon PierreLombard,la transsubstantiation
o la formuleliturgiqueest prononce; elle arrivedonc par la force
des mots , selon l'expressionde Pierre Comestor34.On comprend
ainsi la condamnationpar plusieursconciles de la seconde moiti du
XIesicle des ides de Brengerde Tours. En niant la ralit de la
des crituet en dfendantla libre interprtation
transsubstantiation
res, non seulementil menaaitl'essentielde l'activitsacerdotale,mais
il contrariaitaussi la croyancegnraledans le pouvoir magique des
mots. Cette tendanceexistaitaussi, au dbut du sicle suivant,dans
l'hrsie de Tanchelm d'Anvers, pour qui l'efficacitdu sacrement
Dans ce
dpendaitde la conditionmorale de celui qui l'administre35.
cadre mental, les dbats thologiques sur le nominalismeet le ralismetaientl'expressionruditedes proccupationset des intrtsprofonds des hommes du Moyen Age.
mdivalele sacrementdu baptmetait
Pour la socitchrtienne
la vraie naissance de l'individu,non seulementparce qu'il tait lav
du pch originelet tait alors admis dans cette socit, mais aussi
parce qu'il recevaitun nom. En effet,pour la mentalitarchaque
seul celui qui a un nom existe. Et si ce nom est celui d'un martyr,
d'un saintou d'un personnagebiblique,la personnepeut recevoirquelques unes de ses vertus,selon l'ancien principedu bonum nomem,
bonum omem. L'homme en tantqu'espce est semblableau Crateur,
de Thologie
31. E. Vancard, Confession
, Paris,
, Dictionnaire
Catholique
1938,t. III-l, col.875-882.
3538-3557
et 4628-4643,
32. Le contedu Graal
op. cit.,t. 1,
, v. 3291-3297,
112et 145.
p. 104-105,
33. Mt 12,37.
dansl'Occident
mdival
desgestes
La raison
34. CitsparJ.-C.Schmitt,
, Paris,
n'ont
et PierreComestor
PierreLombard
(1100-1178)
(1095-1160)
1990,p. 344-345.
desidesqui
maisilssynthtisaient
servide source
pourla tapisserie,
pasdirectement
du nordeuropen.
ni exclusives
ni nouvelles
n'taient
35. VitaSanciiNorberti
, XIII, 79, PL 170,col.1311.

15:29:20 PM

LE POUVOIRDE LA PAROLE

119

en tant qu'individu il est semblable son saint patron. C'est pourquoi, en devenantpape on changeaitde nom ; pour cela galement,
un chrtienne devait pas porterun nom paen36. Pour cela, enfin,
un chrtienn'adoptait jamais le nom du Christ37.Le nom renvoie
toujours un modle.
Dans les bestiairesdu xiic sicle les enluminuresmontrentqu'en
nommantles animaux, Adam en rvlel'essentiel: la natureprimitive et l'essence mme des choses se reconnaissent l'tymologiedes
noms qui les dsignent38. D'o l'intrtdes hommes du Moyen
Age pour l'tymologie,d'Isidore de Sville au viie sicle jusqu' Jacques de Voragine au xnic. En attribuantdes noms aux animaux,
Adam d'une certainemanireles crait: au soufflede Dieu qui avait
donn la vie l'homme, correspondaientles paroles d'Adam, espce
de soufflequi concrtisaitl'existence des animaux.
En effet,le pouvoir sacr et crateurdu vent tait une donne
religieuseassez rpandue,et apparenteau mythede l'oiseau-ventexistant dans plusieurscultures,y compris la culturehbraque vtrotestamentaire39.
Dans la tapisseriede Grone le cercle de la Cration
entour
apparat
par les vents cardinaux, qui sont quatre figuresde
jeunes gens ails, imberbescomme le Pantocratorcrateurreprsent
au centre. Or, Adam, qui parle aux animaux, est plac entre Dieu
d'un ct et le vent austral de l'autre. Comme eux, l'homme est ici
crateur,il rgnesur la naturecar il est la seule craturequi possde
le don de la parole.
Une fonctionsemblable tait attribue un personnage de la
mythologiegrecque, bien connu des artisans de la tapisserie,et qui
d'une certainefaon taitidentifiau Premierhommejudo-chrtien:
Orphe. Grone tait lie la culture antique par son nom mme,
car on croyait que la ville avait t fonde par le mythique
Gryon40.Comme Pere Paiol l'a dmontr,la cultureclassique est
trsimportantedans l'iconographiede la broderiede Grone 41. Et,
bien que cet auteur n'accepte pas une telle hypothse,on a quelquefois vu Hracls dans l'avant-dernirefigurede la frisesuprieurede
36. Cettepratique
culturelle
a trglmente
de Trente,
plustardparle Concile
devraient
recevoir
unnomde saint: Denny,op.
qui a institu
que touslesbaptiss
cit.,p. 304.
37. DanteAlighieri
avecd'autre
nerimait
motque Christ
: La
pas Christ
DivinaCommedia
, d. G. Vandelli,Milan,1979,Paradis
XII, 71,73,75; XIV,104,
106,108; XIX, 104,106,108; XXXII,83, 85, 87.
38. E. Gilson,La philosophie
au MoyenAge,Paris,1962,p. 152; X. Mura
de la scnedansl'art
tova, Adamdonneleursnomsauxanimaux.
L'iconographie
du MoyenAge, StudiMedievali,
t. 18, 1977,p. 934-960.
39. T.H. Gaster,Mito,leyenda
enel librodelGenesis
y costumbre
, trad.,Bar Entreangeset dmons
: lesventsdans
celone,1973,p. 11-12
; L. Leclercq-Max,
mdivale
de l'artet d'archologie
, Annalesd'histoire
l'iconographie
, 12, 1990,
p. 31-42.
40. Pla Cargol, op. cit.,p. 9.
41. Palol, El tapis,p. 141-150.

15:29:20 PM

120

HILARIOFRANCOJR.

la tapisserie42.Cette hypothseest difficile prouver,mais elle n'est


pas absurde : au Moyen Age Hracls n'tait pas rejet par les chrtiens et pouvait mme assumer un caractrechristique,car en abattant le monstreGryon,il avait en quelque sorte combattule paganisme local43.
Orphe aussi tait bien connu des chrtiens,y comprisde quelques Pres de l'glise comme saint Justin,Clment d'Alexandrie,
Eusbe et saint Augustin44.L'iconographie chrtiennedes premiers
sicles a reprsentplusieursfois la scne des animaux domins par
un personnageambigu, mlanged'Orphe et d'Adam. Une reprsentationde ce typetaitpossible parce que ces deux figuresavaientplusieurs points communs. Par exemple, de la mme faon qu'Orphe
tait descendujusqu'au monde infernalpour ne pas perdresa femme
Eurydice,pique par un serpent,Adam aurait consciemmentcommis
le pch et abandonn le monde dniquepour accompagnerve, qui,
sduite par le serpent,avait mang le fruitinterdit45.Mais le point
commun le plus importanttait la voix, la parole, par laquelle tous
le monde naturel,en particulierle monde animal.
les deux matrisaient
Une allgorie de la socit
Le deuxime plan de lecturede cette scne est le plan exgtisur saintAugustin,pour qui toutesles espque, fondprincipalement
ces d'animaux ont t recueilliesdans l'Arche de No, non tant pour
les diffrents
leur prservation que pour reprsenter
peuples, cause
du mystrede l'glise **. De plus, affirmesaint Augustin,le fait
qu'Adam ait donn des noms aux animaux fut un vnementrel,
mais il recle une significationprophtique, il anticipe autre
chose47.On s'explique que, ds les premierstemps,l'art chrtienait
prfrtraitercette scne de manireallgorique48.Au XIIesicle les

42. Ibid.,p. 28.


A Study
43. PourA. Toynbee,
, Oxford,
1940,t. VI, p. 475,le mythe
ofHistory
HerM. Simon,
sources
desrcits
a tunedesprincipales
d'Hracls
vangliques.
culeet le christianisme
1955,estd'accordaveclui (p. 62-63)et ajoute
, Strasbourg,
dansl'artmdival
taitfrquemment
(p. 169-173).
reprsent
que Hracls
chrtienne
etde liturgie
d archologie
44. H. Leclercq, Orphe
,
, Dictionnaire
Paris,1948,vol.XII-2,col.2736-2737.
hbreux
45. Ce mythe
, trad.,Paris,
(R. GravesetR. Patai,Les mythes
judaque
de Grone,
de la cathdrale
desclercs
pasinconnu
1987,p. 93),n'tait
probablement
ona suiviune
unescnedu PchOriginel
montre
o le clotre
(Fig.3) danslaquelle
de raisins
dfendu
sousla forme
le fruit
(Midrach
reprsentant
rabbinique
interprtation
et A. Cohen-Aarazi,
Rabba, XV, 7, trad.B. Maruani
Paris,1987,p. 184).
485.
Dei, XVI,7, PL 41, col.
46. De Civitate
47. De Genesiad litteram
, IX, 12,20, PL 34, col.400.
: Allegory
and theLiteralSensem
48. H. Maguire, Adamand theanimals
OaksPapers
Art, Dumbarton
, t. 51, 1987,p. 363-373.
earlyChristian

15:29:20 PM

LE POUVOIRDE LA PAROLE

121

commentairesexgtiquesutilisaientles animaux comme allgoriesdes


qualits humaines49.
l'poque mmeo futconfectionn
la broderiede Grone,Guibertde Nogent(1053-1124)participaitde ce courantde pense,voyant
les oiseaux et les poissons comme allgoriesdes mes, et les animaux
terrestrescomme figurationde l'glise50. Pour Ablard (1079-1142)
aux clibataires,les reptilesaux gens maris
les oiseaux correspondaient
et les animaux terrestres ceux qui gouvernaient51.Sachant cela, il
est parfaitementplausible que les animaux de la tapisserieaient t
vus comme les allgoriesdes groupessociaux. Ce n'est pas un hasard
si les animauxapparaissentpar individusdans la tapisseriede Grone.
En effetl'iconographietraditionnelle
reprsentait
presque toujours les
animaux en couples, par exemple, sur la fresque de Ferentillo la
fin du XIIesicle, ou sur la mosaque de la coupole de l'atrium de
Saint-Marc Venise au dbut du xnic sicle, ou encore sur une tapisserie flamandeau milieudu xvic sicle52.Et mme sur les manuscrits
byzantinsqui sont probablementles modles iconographiquesde la
53
tapisserie .
Ainsi le choix de reprsentercertainsanimaux, et non d'autres,
ne doit pas avoir t alatoire. L'analogie animaux-groupessociaux
n'est pas due au hasard, elle est btie sur le symbolismeattribu
chacun. Mme la place des animaux a ici une signification: isols,
un peu au-dessus des autres, presque au niveau de la tte d'Adam,
se trouventun cerfet une licorne; un peu au-dessous,rangsen file,
de gauche droite en diagonale apparaissentdeux chiens, un mouton, un bouc, un boeuf et un cheval ; placs derrireAdam et sur
un plan infrieur
par rapportaux autresanimaux,se trouventun petit
cerf et tout prs, au-dessus, un dragon-serpent54.
La structurede la
scne amne donc en faireune lecturede haut en bas, de la droite
d'Adam sa gauche.
Cette lecturesuit ainsi la hirarchiesociale, en passant des oratoresaux bellatores
, jusqu'aux laboratores
, aux groupesurbainset aux
49. W.Cizewski, Beautyand the Beasts: Allegorical
Zoologyin TwelfthHexaemeral
Literature
, in H.J.Westra(d.),FromAthensto Chartres.
century
andMedieval
Studies
in HonourofEdouardJeauneau
Neoplatonism
Thought.
, Leiden,1992,p. 289-300.
50. Moralium
Geneseos
PL 156,col.48-54,avecquiconcordait
le con, I, 18-21,
BrunodeSegni,Expositio
inGenesm
(ca. 1040-1123)
temporain
, 1,PL 164,col. 156
C. Lesidesdecetvque,
conseiller
de Victor
II etPascalII, papesrforIII, Urbain
taient
trsprobablement
connues
Grone.
mistes,
51. Expositio
in hexaemeron
, PL 178,col. 771 D.
52. Florence,
Galeriadell'Accademia,
reproduite
parJ.Delumeau,Unehistoire
du Paradis.Le jardindesdlices
lespages168et 169.
, Paris,1992,planche
6, entre
53. Palol, El tapis
, p. 91-100
; Unebroderie
, p. 195-202.
54. Nanmoins,
causedescaractristiques
de l'poque,aucuneidenartistiques
tification
nepeutprtendre
unegrande
: J.PijoanetJ.Guidiol,Lespinexactitude
tures
murais
Catalunya
voirunchameau
, Barcelone,
romaniques
1948,p. 74,croient
; Palol, de son ct,parlede cheval,taureau,
parmices animaux
mouton,
cerf,
licorne
et ours( Unebroderie
, p. 202).

15:29:20 PM

122

HILARIOFRANCOJR.

groupes marginaux.C'est une hypothsevraisemblable,la tapisserie


de Grone tantcontemporainedes nouvellesstructuressociales, conomiques et politiques qui accompagnaienten Occident l'implantaL'inexistenceen Catalogne d'un roi
tion du schma trifonctionnel55.
comme arbitreentreles groupes sociaux ne doit pas faireoublier les
conditionslocales et le rle presque monarchiquedu comte de Barcelone.
En fonctionde son caractrechristique56,le couple cerf-licorne
apparatdans la tapisseriecomme l'allgoriedes ordresecclsiastiques.
C'est la raisonpour laquelle ces deux animauxsont loignsdes autres
d'une ligne imaginairequi va
et constituentles points intermdiaires
du livre divin jusqu' la tte d'Adam. Cette ide est renforcepar
la positiondes yeux du cerf, la mme hauteurque les yeux du Premier Homme, et par l'extrmitde la corne de la licorne, presque
jointe au nom Adam brod dans la lgende. Ce voisinage faisait
peut-trerfrence la virginitsymbolisepar la licorneet caractristiquede l'Adam d'avant la Chute. De plus, pour Honorius Augustodunensis le courage du Christ est comparable celui de la
licorne57,analogie qui devait sensibiliserles clercstouchspar la violence sociale en Catalogne, puisque, comme partoutdans l'Occident
chrtien,l'aristocratielaque cherchait s'approprierles fruitsde la
croissanceconomique,et cheminfaisantelle n'pargnaitpas l'glise,
y compris l'vch de Grone58.
C'est pour cela, peut-tre,que l'aristocratiea t reprsentepar
le chien,animal fidleet chasseur(valeursimportantes
pour la noblesse
fodale) mais aussi prdateuret symboledmoniaque au point de vue
clrical59.Dans la Catalogne du tournantdes xie-xiiesicles existaient
et
deux noblesses,la noblesse de sang et la noblesse chevaleresque60,
c'est pourquoi la tapisseriede Grone montredeux chiens,placs cte
etrenouveau
55. J.Le Goff, Notesursocit
monarchique
idologie
tripartie,
du xieau xnesicle, dansPourunautremoyen
dansla chrtient
Age,
conomique
Paris,1977,p. 80-90.
confondus
au MoyenAge,cf.
56. Ils taient
mme, causede cela,souvent
du Moyen
et lgendes
A. Maury,Croyances
Age, Paris,1896,p. 260.Le cerfestle
descantiques
surle Cantiques
Homlies
d'autres
, II, 11,
Christ,
pourOrigene,
parmi
de deutz,De divinis
O. Rousseau,Paris,1954,p. 99,pourRupert
d.-trad.
,
officiis
1967,(CCCM7) p. 242,etpourHuguesdeSaintVII, 15,d. H. Haacke,Turnholt,
estle Christ
pourAmbroise,
, 14,PL 177,col. 64 B. La licorne
Victor,De bestis
Le roman
Basile,HonoriusAugustodunensis,
Irne,Tertulien,
Justin,
Origne,
d'uncouple
d'Alexandre
, histoire
, Paris,1985,p. 22-25),
(cf.J.-P.Jossua,La licorne
de Thaon,dansla preceluide Philippe
franais,
pouraussile plusancienbestiaire
medieval
moiti
du xnesicle{Bestiario
mire
1986,
Madrid,
, d. I. Malaxecheverria,
Ashmole
de la findu xnesicle(Bestiaire
etpourunbestiaire
1511,
anglais
p. 147-148)
trad.M.F. Dupuiset S. Louis,Paris,1988,p. 61-62).
Ecclesiae
57. Speculum
, PL 172,col. 847AB.
du xea la findu xi*siecle,Toulouse,
du milieu
La Catalogne
58. P. Bonnasie,
et 636-641.
1975,t. 2, p. 537-552
59. Maury,op. cit.,t. 2, p. 251.
60. Bonnassie,
op. cit.yt. 2, p. 806-808.

15:29:20 PM

LE POUVOIRDE LA PAROLE

123

cte, presque superposs. Le premier,plus haut, plus proche du


(dont il est toutefoisspar par la ligne qui reprcouple cerf-licorne
la mme couleur que le
sente une petitecolline) a significativement
cerfet Adam : c'est la noblesse traditionnelle.L'autre chien, un peu
plus bas, a une colorationrougetrequi le rapprochesymboliquement
du bouc et du cheval : c'est la noblesse rcente.
Le mouton et la chvretaient des animaux par dfinitionlis
au monde rural. Fcond pour l'un et rsistantpour l'autre, tous les
deux fortutiles sur le plan conomique, ils devenaientles symboles
naturels de la troisimefonctionindo-europenne.C'est--dire des
laboratores surveillset conduitspar leurs seigneurs,comme les moutons et les chvrespar les chiens. Le caractreplus calme du premier
animal et plus rebellede l'autre faisait peut-trerfrence la double ralitsociale de la paysannerie,divisegrossomodo en deux groupes, un plus vaste qui avait t rduit la conditionde serfspar le
progrsde la socit fodale61et un autre plus petit qui conservait
encore une certaineautonomie. L'tymologie de leur nom semblait
confirmerces caractristiques.Le mouton existaitpour tre sacrifi
(on croyaitaries driverde arae, les autels)62,et c'tait un animal
peureuxcomme les serfs,considrsen Catalogne comme les descendants de ceux qui par couardise n'avaient pas aid Charlemagnecontre les musulmans63.La chvrede son ct tait vue comme un animal lascif, impudique, toujours prte copuler64.Caractristiques
ngativesbanales dans un Moyen Age qui tendait animaliserl'apparence et le comportementdes paysans65.
Le buf,gnralement
associ aux travauxagricoles,pourraittre
une troisimeimage des laboratores(dans ce cas les esclaves musulmans), mais plus probablement,de la mme faon que dans YHortus
Deliciarum, il peut tre l'image du peuple juif66. Dans cette hypothse,sa prsenceici seraitl'expressionde la croissancedmographique que la colonie hbraque a connue en Catalogne partirde l'an
mil, avec le progrsconomique et urbain67.Et l'expressiongalementde son importanceaccrue, dont tmoignele concile de Grone
de 1068 qui dcida que les Juifsdevaientpayer la dme sur les biens
achets aux chrtiens68.
Grone mme il y avait au XIIesicle plu61. Ibid.,p. 809-828.
62. Isidorede Seville, Etimologias
, XVII, 1, 11, d.-trad.J.Oroz reta et
M. MarcosCasquero,Madrid,1982,t. 2, p. 58.
Cowardice,
63. P. Freedman,
Heroism
andtheLegendary
of CataloOrigins
nia, PastandPresent
, t. 121,1983,p. 6-14.
64. Etimologias
, XVII, 1, 14,t. 2, p. 58.
65. Encore
au dbutdu xxesicleondisaitenCatalogne
estl'anique le paysan
malqui ressemble
le plus l'trehumain
Saintet
et sauvage, cf.P. Freedman,
rie.Deuximagesdu paysanau MoyenAge, Annales
ESC, t. 47, 1992.d. 539.
66. G. Cames, La cration
des animaux
dansVHortus
Deliciarum
, Cahiers
yt. 25, 1976,p. 134.
archologiques
67. Bonnassie,
op. cit.,t. 1, p. 493.
68. J.-D.Mansi(d.),Sacrorum
conciliorum
novaet amplissima
Anto, Venise,
nioZatta,1774,canon14,t. 19,col. 1072.

15:29:20 PM

124

HILARIOFRANCOJR.

sieurs boutiques juives69 et, au moins ds 1160, une rue des


juifs 70. C'est peut-treparce que le buf est ici associ aux Juifs,
qu'il a le corps noir, couleur de significationngative.
Le cheval, traditionnellement
symbole de l'aristocratie guerrire71,semble dans le contextesocial et iconographiquede la tapisserie gronaise devoir tre associ l'lite urbaine. En effet,parmi
des xie-xiiesicles,on constatel'essor d'un groupe
les transformation
non-aristocratiquequi se rapprochaitde plus en plus de l'aristocratie. Groupe difficile dfinir,probablementd'origine paysanne, et
qui par sa richesse,ses habitudeset ses alliances matrimonialestendait fusionneravec la noblesse72,et pour cette raison tre associ aux symbolesde cette dernire.De plus, le cheval tant pour le
christianismedes premierssicles symbole de joie et de triomphe73,
la tapisserie,avec ses traces archasantes,a peut-treadapt ce sens
l'actualit, en faisant du cheval un synonymede victoiresociale.
Puisque saint Augustinfaisaitdu cheval un symboled'orgueil74,cet
animal pourraitsymboliserici des individusoriginairesde la paysannerie en voie d'ascension sociale.
apparat, de l'autre ct d'Adam
Oppos au couple cerf-licorne,
le couple cerf-serpent,animaux ennemis75.Le cerf est l comme
reprsentationdes nophytesqui cherchentle baptme76et qui sont
incarnation
menacs par l'normebouche ouvertedu dragon-serpent,
n'affrontepas
de la perfidiediabolique. Parce que le dragon-serpent
comme le fait le lion, mais sournoisement77,
les fidlesouvertement,
comme dans la scne en question, on peut se demander si dans le
contextede l'poque il ne feraitpas rfrence l'hrsie.En tout tat
de cause, il y a un jeu de miroirintressantentrele serpentreprsent gauche du PremierHomme, au niveau de son bassin, et ve
qui dans la scne symtriquenat du corps d'Adam du mme ct
gauche et au mme niveau. Ce schma iconographiquefond sur le
texte biblique - en coutant le serpentve a provoqu la chute
d'Adam - rappelle l'expressiondu contemporainRupert de Deutz
en la EdadMedia
Judiosespaoles
69. L. SuarezFernandez,
, Madrid,1980,
p. 93.
i dels primers
70. D. Romano, Jueusa la Catalunya
comtes,
carolingia
de l'Europamedieval
Gironadinsla formado
, Grone,
, dansExposici
(876-1100)
1985,p. 113-119.
Ashmole
71. Etimologias
, p. 90.
, XVII, 1, 43-44,t. 1, p. 64 ; Bestiaire
72. Bonnassie,
op. cit.,t. 1, p. 495.
chrtienne
etde liturgie
73. H. Leclercq, Cheval, Dictionnaire
,
d'archologie
Paris,1948,t. III-l, col. 1286-1289.
col.1289.
inPsalmi
74.Enarrationes
, 146,19,PL 37,col.1912,
apudLECLERCQ,
75. Physiologusy
VI, 9-14,d.-trad.P. T. Eden,Leiden,1972,p. 48 ; EtimoloAshmole
d'Otrante,
, p. 68.Surla mosaque
posgias, XII, 1, 18,t. 2, p. 60; Bestiaire
Satanetle cerfsontcte
la broderie
de quatreou cinqdcennies
trieure
catalane,
des symboles
cte,et l aussicomme
opposs.
inPsalmos
Breviarium
76. Ps. 42,2 ; Jrme,
, 41,PL 26,col.949AB ; Rupert
divinis
de Deutz,De
is, VII, 9, p. 234.
offici
fol.25v,cf. Cames,op. cit.,p. 140.
77. HortusDeliciarum

15:29:20 PM

LE POUVOIRDE LA PAROLE

125

(1075-1129), qui comparait ve une vipre pour Adam78. C'est


est plac du ct symboliquement
pour cela que le couple cerf-serpent
ngatifde la scne, au-dessous et gauche de l'homme fait l'image
de Dieu.
La parole des Grgoriens
Ces considrationsnous amnentau troisimeplan, celui de la
courte dure. Plan qu'on peut appeler ecclsiastique,car il tait li
l'implantationlocale de la RformeGrgorienne.Dans cette hypothse,la scne taitl pour rappelerla lgitimitde l'utilisationecclsiastique de la parole. En effet,au momentde la confectionet de
l'acquisition de la tapisserie,la cathdralede Grone tait fortement
imprgnede l'espritgrgorien.Avant mme la Rforme,au concile
de 981, Mir, vque de Grone et comte de Besal, avait t charg
par le pape de divulguerune lettreuniversellecontre la simonie. Le
concile de Grone de 1068, prsid par le lgat Hugues de Romans,
a non seulementproclam la Trve de Dieu, mais aussi combattula
simonie, le nicolasme et les mariages incestueux79.L'vque de
Grone, BerenguerGuifr,a t charg par le pape de faire appliquer ces dcisionsdans l'archevchde Narbonneet d'autres conciles
rformateurs
ont t encore runis Grone en 1078, 1097 et 1143.
Comme on le sait, le point de dpart de la Rformese fondait
sur la sparation netteet irrversibleentre clercs et lacs, souligne
par le vtement(la soutane), le corps (la tonsure)et le comportement
(le clibat)80.Surtout,les clercs revendiquaientl'exerciceexclusifdu
pouvoir magique de la parole. Ce pouvoir, dans la Catalogne mdi du trs
vale, tait fondautantsur les croyancespr-chrtiennes
vieux fond culturelpr-romain de la rgion81,que sur la clbre
formulevangliquequi attribuaitaux clercs le pouvoir de lier et de
dlier les choses sur la terreet dans le ciel82.Pouvoir ralis par les
rites et les prires,c'est--dire,par des gestes et surtoutdes mots.
C'est pour cela que, dans la tapisseriede Grone, Adam, en nommant les animaux, a le regarddirigvers le livreouvertdans la main
de Dieu.
78. Commentarla
in CanticaCanticorum
, II, 386,PL 168,col. 867B.Ce paralllefututilis
et rpt
dessicles,
parJeanChrysostome
pendant
jusqu'auxtholo Themyth
selonJ.M. Higgins,
ofEve: thetemptress
gienscontemporains,
, Journal of theAmerican
Academy
of Religion
, 44, 1976,d. 639-647.
79. d. Mansi,t. 19,col. 1069-1072.
80. L'interdiction
faiteauxclercs
de porter
desarmes
au concile
de 1068
apparat
(canon5, t. 19,col. 1071)etde 1078(canon6, t. 20,col.518); touslesdeuxlgifraient
aussicontre
le concubinage
desclercs(canon5, col. 1071; canon1, col. 517).
Celuide 1078insistait
surl'obligation
de l'usagede la tonsure
(canon7, col. 519).
81. Bonnassie,
op. cit.,t. 1, p. 317.
82. Mt 16, 16-19.

15:29:20 PM

126

HILARIOFRANCOJR.

En outre, dans le contexterformateur,


la langue utiliserituellement,c'est--diremagiquement,devenaitune des plus importantes
frontiresentre clercs et lacs. Cette langue tait considrecomme
d'origine divine, paradisiaque. L'idiome parl par Adam l'den
aurait t l'hbreu, selon saint Augustin83,Isidore de Sville84et
Raban Maur85. Un apocryphe juif dont il existait une traduction
latine ds le vic sicle, le Jubile, affirmeaussi que dans le Paradis
tous les animaux parlaientle mme idiome, la langue de la cration , l'hbreu86.Mais, pour la culture rudite chrtienne,de la
mme manireque l'glise tait l'hritiresuprieurede la Synagogue et que l'vangile avait supplantla Loi, le latin avait remplac
comme langue sacre l'ancien hbreu. Dans la Vita de saint Martial
les dmons demandentque le saint ne leur parle pas en latin, mais
en hbreu ou quelqu' autre langue87. Le latin qui, dans un monde
fodal fragment,prservaitune certainunit, constituaitun indice
de perfectiondu point de vue clrical.
Il est donc possible que, dans la scne de la tapisserie,on ait
voulu reprsenterAdam comme un prototypedu clerc. En effet,on
doit prendreen compte l'origineet l'espritmonastique des rformateurset ne pas oublierque depuis Jean Chrysostomel'idal du moine
tait Adam avant le pch. Souvent la littraturemonastiquecomparait le clotre l'den88 et, selon la Bible, Adam tait un homme
suprieur tous les autres, et trs sage89, plus sage que les anges
selon des commentairesrabbiniques90 qui ont influencfortement
Andr de Saint-Victoret d'autres91.Il tait pour Honorius Augustodunensissage comme Salomon, fortcomme Samson, beau comme
Absalon92.Il tait, selon Dante, le seul homme avoir reu, comme
le Christ,la lumiredirectede Dieu93. L'analogie surgissaitnaturellement: de mme qu'Adam exeraitsa suprmatiesur les animaux
traversla parole, ainsi faisaientles clercs sur la socit.
La lgendede la scne - Adam ne rencontrait
pas un tresem-

Dei, XVI, 11,PL 41, col. 490-492.


83. De Civitate
84. Etimologias
, IX, 1, 1, t. 1, p. 738; XII, 1 2, t. 2, p. 56.
in Genesim
85. Commentariorum
, I, 14,PL 107,col.483 D-484A.
86. Giubilei
, III, 28; XII, 26, trad.L. Fusella,dansP. Sacchi(d.),Apocrifi
Testamento
dell'Antico
, Turin,1981,t. 1, p. 232et 278.
87. La viede SaintMartial
, XV, p. 71.
PierreDamien,Epistolae
88. Par exemple,
, VI, 4, 179PL 144,col. 374,et
animae
Gemma
HonoriusAugustodunensis,
, I, 149,PL 172,col. 590B.
89. Si 49, 19; Sg 10, 1.
90. Midrach
Rabba, XVII,4, p. 200.
3ed. 1983,
91. Cf.B. Smalley,TheStudy
Ages,Oxford,
ofBibleintheMiddle
p. 86sset 121-128.
du xmesicle,Adam
92. Hexaemeron
, 3, PL 172,col. 258C. Pourun sermon
: Grant
malfistAdam
taitaussisagequeNo,Abraham,
,
Mose,DavidetSalomon
s. 120a-d,d. H. Suchier,Reimpredigt
, Halle,1879,p. 60.
ParadisXIII, 43-44.
93. La DivinaCommediay

15:29:20 PM

LE POUVOIRDE LA PAROLE

127

blable lui 94 - renvoyaitnon seulement l'pisode biblique suivant, la naissance d've, mais aussi la mtaphoreque nous analysons. En effet,PAdam-prtreplac devant les animaux-lacspouvait
dire avec raison qu'il n'avait aucun semblable. Il tait reprsentl
sexu (fait rare dans l'iconographie)peut-trepour rappelerque, malgr le clibat, les clercs taientdes hommes entiers,ce que valorisait
son abstinencesexuelle. On ne sait pas avec certitudesi la broderie
a t faite Ripoll, Saint-Pierrede Rodas, Seo d'Urgell ou mme
Grone, mais elle tait sans aucun doute originaired'un centre
ecclsiastique95.Or, cause de la grande spcialisationde ce type de
de leur
travailartisanal,toutesles tapisseriesdpendaienttroitement
Cela tait marqu Grone par l'emplacementde
commanditaire96.
la tapisseriederrirel'autel, faisantde la scne en question un reflet
de ce que les fidlesvoyaientpendant les crmonies: un prtreen
trainde parleret de fairedes gestes devant son public, donc de former des consciences,de sauver des mes, de dirigerla socit.
Nanmoins,pour que la scne ftcomprisede cettefaon, l'identificationd'Adam comme prtredevait faire partie de la culturelaque locale. Or, il existaitau moins un texte ce propos, un apocryphe chtienconnu en versionlatine (aujourd'hui disparue) et ds le
VIIIeou IXesicle en traductionarabe. Dans cettergiono les mozarabes (chrtiens culturellementarabiss) taient nombreux, cet
apocryphe-ldevaittrebien connu, soit en latin,soit en arabe. Selon
ce texte,Adam, avant le pch, voyait loin et son intelligencetait
grande, suprieuremme celle des anges97. Les premiersaliments
des premiers parents expulss du Paradis, furentdes figues,
envoyes par Dieu, fruitsayant le got de pain et de sang 98,
donc une sorte d'eucharistie, reue significativement
au quatrevingtimejour de l'Expulsion, c'est--direaprs une double priode
pnitentiellede quarante jours et aprs un apprentissage de la
prire99.
Douze jours aprs la communion,Adam et ve offrirent
un sacrifice Dieu, sur un autel qu'ils avaientrig,et ils promirent
de rpter
le rite trois fois par semaine, les mercredi, les vendredi et les
dimanche100.Plus tard, 142 jours aprs l'Expulsion, lorsqu'Adam
offritun nouveau sacrifice Dieu, Satan lui blessa le ct droit,d'o

94. Adamnoninveniebatur
similem
sibi, cf.Gn.2, 20 dansla version
de La
Vtuslatinahispana.
95. Palol, El tapis
, p. 154-155.
96. K. Staniland,Les artisans
du MoyenAge.Les brodeurs
, trad.,Turnholt,
1991,p. 55ss.
97. Il combattimento
di Adamo
A. Battistaet B. Bagatti,Jrusalem,
, d.-trad.
1982,8, p. 40 ; 33, p. 94.
98. Ibid.,40, p. 110.
99. Ibid.,28, p. 84: 34, p. 99; 35, p. 99 ; 36, p. 101.
100Ibid.46, p. 117-118
; 14,53-55; 47, p. 116.

15:29:20 PM

128

HILARIOFRANCOJR.

sortitdu sang et de l'eau101.Ainsi, Adam anticipait la fois le Crucifi et le ritueldestin perptueret clbrerPauto-sacrificede
la Croix. Il tait le PremierChristet le PremierPrtre. C'est pourquoi Isidore de Sville et Raban Maur ont pu comparerl'imposition
des noms aux animaux la Rsurrectiondes Morts et au Salut des
Ressuscits102.C'est pourquoi, peut-tre,la tapisserie de Grone
montreAdam debout face aux animaux, la bouche ouverteet le bras
droit demi-allong,comme un prtrequi avec des mots et des gestes
clbrela liturgiedevantses paroissiens.Geste qui d'une certainefaon
reproduitle geste de la Divinit reprsenteau cercle central. Geste
qui organise le chaos, geste qui cre, geste qui tablit la vie sociale,
comme la Rforme Grgorienneprtendaitle faire dans l'Europe
chrtienne.
les lmentsd'une vision
Ainsi, la tapisseriede Gronesynthtisait
du monde au dbut du XIIesicle. Les troiscyclesreprsents
y taient
profondementarticulset conjoignaienttrois mondes. Le cycle du
calendrierrappelaitle tempscourt, les saisons et leur influencedcisive dans une socitagraire.Le cyclede l'Inventionde la SainteCroix
se rfraitau tempslong, historique,plac entrela Crationet l'Apocalypse,et qui avait son centredans l'Incarnationet dans la Passion.
Le cycle de la Cration, interposau milieu des autres, exprimaitle
temps intermdiaire,le temps social inaugur par Adam lorsqu'il
nomma les animaux et qu'il accoucha d've. Au confluentde ces
agraire,monarchique,misogyne
temps-lse situaitl'glise grgorienne,
et sacerdotale. Seul le pouvoir de la parole permettaitle contrlede
de cetteglise. Et le mythefonces diffrents
tempset la lgitimation
dateur de cet usage de la parole tait l'Adam paradisiaque.

cf. Jn19,34.
101.Ibid.,47, p. 119-120,
in VtusTestamentm
102.Isidorede Seville,Quaestiones
, III, 6, PL 83,col.
in Genesin
217; RabanMaur,Commentariorum
, I, 14,PL 107,col. 484 B.

15:29:20 PM

Mdivales
25, automne
1993,pp.129-131
ABSTRACTS

in
JacquesFontaine, SulpiciusSeverus,a Witnessto Oral Communication
Latin at the Close of the FourthCenturyin RomanGaul, p. 17
The diversity
of culturallevelsshownby theprotagonists
in thewritings
of
docuSulpiciusSeveruson SaintMartinof Tours,makesthesean exceptional
menton communication
in Latinjust beforethe greatinvasionof 406 in
RomanGaul. A former
soldierturnedmonk,thebishopof Tourspracticed
theconcise,efficient
and unadornedlanguageof a man of actionwho has
littleuse forflourishes.
He is thusthe exactoppositeof his biographer,
a
nativeof Bordeauxand a lawyersteepedin literature.
In theprefaceto his
Viede Martin
, thelatterdepictsin an affectedmanneran ideal fora conversionof style,whichhe partiallycarriesout by imitating
Sallust,whose
of SaintMarcompactstylehelpedhimdrawcloserto theasceticsimplicity
tin.Well-read
whomSulpicius'sinfluence
attracted
towardSaint
Aquitanians
Martin'sformof asceticism
also strivedto implement
thesameconversion,
but in theDialoguestheyare shownderiding
a Gaul fromtheNorth,who
to be intimidated
pretends
by them: thisleads to an onslaughtof comedy
directedat thewould-beilliterate.
tarnsformaSulpicius,despitehis literary
of different
levelsof styleratherthanof lantions,suggeststhe existence
actsas a revelator
of latentconguage,and it is on thelatterthatasceticism
flictsbetweentheliterateand theilliterate
: Gauls formtheNorthand the
South,all of themLatin-speakers.
AndrCrpin,Latinand EnglishPoetics- Noteson MacaronicTexts,p. 33
Old Englishliterature
is one of theoldestvernacular
literatures
in Europe.
Bede (d. 735), who wrotechiefly
in Latin,feltno contempt
fortheEnglish
into
language; KingAlfred(d. 899) applieda systematic
policyof translation
Latinand Englishas beingon
English; AbbotAelfric(ca. 1000)considered
to Latinis
nearlyequal terms.The immensedebtsof Anglo-Saxonwriters
well known.However,macaronicpassagesin Old Englishpoetryhave not
beenstudiedrecently
norclosely.The Latinsegments
borrowedfromclassical texts,rythmical
or glossaries,
and inserted
intoOld
hymnsand prayers,
of composition
of thepoets.They
Englishpoemsthrowlighton thetechnique
underline
the formulaic
natureof the half-lines
and the metricimportance
of thesyllabicvolume.Theyevidencea noteworthy
awarenessof thelinguisticfeatures
of Latin.On theotherhand,thesmallnumberof suchsegments
showsthatLatinand Englishare keptseparate: each typeof discoursehas
its own language.

15:29:26 PM

130

ABSTRACTS

MichelBanniard, The Two Livesof SaintRiquier: fromMediaticto HieraticLatin,p. 45


theprinciples
of retrospective
By applying
sociolinguistic
analysisto a speciin thiscase therewriting
ficexampleof narrative,
of theLifeof a Merovintimes,thispaperdemonsgiansaint- SaintRiquier- duringCarolingian
in theloss of itsmediatorial
trateshowit resulted
character
betweenthetraditional(spokenand written)
languageof thelearnedand thelanguagespoken by the illiterate.
On thisoccasionit maybe notedthatthecomplicity
between
thenarrator
and hispublic,manifest
in the7thcentury,
had
existing
vanishedin the8th.Thuswhathad beena popularizing
(mediatic)narrative,
came to be an aristocratizing
(hieratic)narrative.
MichaelRichter, The Languagesin Celtic-Speaking
Countries,p. 53
intotheMiddleAges(and beyond)
Of theCeltinglanguageswhichsurvived
in theBritish
in written
form: Irishand
Isles,onlytwowereusedextensively
in theLatinalphabet,British
British(ancestorof Welsh).Bothwerewritten
Irishpredominantly
exclusively,
(withan earlyphaseof ogam).It can be mainof writing
thesetwolanguagesoccurred
tainedthatat thebeginnings
roughly
at thesametime,namelyaroundA.D. 600 (ogamwas written
earlier).It is
at firstsightcuriousto findthatIrishwas written
muchmoreextensively
than
theIrishandtheBritish
shareda comparable
British
eventhough
cultural
backin RomanBriground.In addition,Britishhad existedforseveralcenturies
culture.In thispaperit is suggested
tainamidsta Latinwritten
as a hypotheBritish
sisthatwriting
whereas
may,forthisveryreason,havebeenretarded,
in Ireland,wherealphabetic
arrivedlate,thenativelanguagehad long
writing
and therefore
no inhibition
was feltto
beencultivated
by menof learning,
place thenativelanguagebesideLatin,on thesame level.
(Vlllth-XIthCenturies),
p. 61
RogerWright, HispanicSociolinguistics
of the
This articletracesthechangesthattook place in thesociolinguistics
IberianPeninsulabetween700 and 1100A.D. In 700, apartfromthe BasThe relationship
was monolingually
Early-Roman
speaking.
ques,thePeninsula
betweenRomance,Arabic,Berberlanguagesand Hebrewin Al-Andalusare
becamegenerally
as thesociety
(Arabic-Romance),
outlined,
bilingual
gradually
of litewiththreealphabets(Arabic,Roman,Hebrew)and varying
patterns
to mostlyArabic).MozarabicRomancewas
racy(frommostlyRoman/Latin
thenfromSpanishRomancein generalforVisiprobablynot distinguished
divideas well.The patto thenorthof thereligious
gothicculturecontinued
to write
is alliedto thecontinuing
ternof EarlyRomanceevolution
attempts
and sometimes
also
in thetraditional
morphology
way,withold-fashioned
of the earliestRomanceglosses(eleold-fashioned
syntax.The manuscript
at writing
also includedthefirstattempts
venthcentury)
Basque. Catalonia
saw thearrivalin thePeninsulaof someFrankishlinguistic
habits,including
formof languagewe now call MedievalLatin.The
theseparately-conceived
picturechangedsharplyat the end of thisperiod,withthe
sociolinguistic
of SpanishChristian
Christiancaptureof Toledo and the Europeanization
culture.

15:29:26 PM

ABSTRACTS

131

AngelikaGross, The Idea of Follyin Textand Image: SebastianBrantand


the insipiens
, p. 71
itsmostimportant
evolution
between
thethirThe conceptof follyunderwent
and literary
teenthand fifteenth
centuries.Whentracingan iconographie
to Psalm 52, by way of Notre
coursefromSebastianBrant'sNarrenschiff
Dame of Parisand thePsychomachia
, thecontradictions
presentin theidea
of follybecomeevident.
usedin Psalm52 was figuratively
to illustrate
The terminsipiens
represented
The representhetext,and gaveriseto variousiconographie
interpretations.
tationgenerally
took the formof a symbolicfigure,and it is precisely
the
whichmarka stepby stepevolutionleadingto
to thistradition
exceptions
a portraitof the courtjester.
of the 16thcentury,
On thethreshold
by a fusionof fictionand portrait,
SebastianBrantused the imageof the courtjesterto presenta new form
thedifferences
betweeneach person'sreal or preof critiquedemonstrating
sumedrolein life.Yet by applyingtheterm folly to his personalvision
of theworldas well,Brantgave a newdimension
to thedilemmaset forth
by the insipiensof Psalm 52.
in the
Eric Berthon, The Smileof theAngels.Childhoodand Spirituality
MiddleAges (12th-15th
Centuries),
p. 93
Thispaperexplorestheconceptof thespirituality
of childhoodin theMiddles Ages. The infans
, - thechildwho does notyetspeak- playeda prominentrole in medievalspirituality.
The infantis oftendepictedin texts,literary
and others,as thenaturalintermediatebetweenman and God.
Consideredinnocent,
becauseit is freefromsin of anykind,thechildsharesthevirtuesof theSon of God. Thus Christreturning
to earth,as in the
as a child.
, is oftenportrayed
exempla
theelect- angelsand
Lastly,theimageof theinfantis used to represent
- symbolically
soulsin medievaliconography
thechildto paradise
relating
and salvation.
HilarioFranco Jr.,The Powerof the Word: Adam and the Animalsin
the Tapestryof Gerona,p. 113
A scenefromthetapestry
of Gerona(llth-12th
century)
depictsAdamnaming
theanimalscreatedbyGod. The authorexplores
thesignificance
of thisscene
and suggests
threeinterpretations.
The first
to themagicpowerswhich
pertains
werebelievedto be inherent
in theWord,an ancientbeliefwhichwas later
adoptedby Christian
Theologyand which,in thecase of Gerona,maybe
connected
withtheMythof Orpheus.Butthescenemayalso be interpreted
as an allegory
of societywhereeachanimalrepresents
a socialgroup.Lastly,
thepowerto bestownamesattributed
to Adam servedto illustrate
another,
similarpower,one whichhad a greatinfluence
in Gerona: thatof theGrethe clerics.
gorianReformaffecting

15:29:26 PM

Mdivales
25, automne
1993,pp. 133-153
NOTES DE LECTURE

Pierre le vnrable, Les merveilles


de Dieu (De miraculis),
et traprsent
Torrell et Denise Bouthillier, Pense antiqueet
duit par Jean-Pierre
mdivale
de Fribourg- Cerf,
, Fribourg- Paris,ditionsUniversitaires
1992,302p.
Le De miraculis
estcertainement
moinsconnuque
, critvers1134-1135,
les uvresapologtiques
de Pierrele Vnrable; cetteprsentation
et traductionest donc une heureuseinitiative.
Rappelonsque Pierreest n en 1092 ou 1094,issu d'une famillede
noblessede huitenfants,
solidement
dansle mondeecclmoyenne
implante
siastiquede l'Est de la Francia la findu xicsicle.Il est oblattrsjeune
l'abbayede Sauxillanges
puis prieurde Domneet enfinabb de Cluny,
de l'ge de 28 ou 30 ans jusqu' sa mort,le jour de Nol 1156.
trs
PourquoiPierrea-t-ilcru bon d'crirece recueil? L'introduction
densede Jean-Pierre
Torrellet Denise Bouthillier
nous aide mieuxcomde l'auteuren mettant
en parallle
prendreles intentions
systmatiquement
le De miraculisavec la vie de Pierre,l'histoiremonastiquede son poque
et son uvrela plusimportante
: le triptyque
constitu
apologtique,
par le
ContraPetrobrusianos
, YAdversus Judaeoset le ContraSarracenos.
Les nombreuses
de dfunts
direaux vivantsleurs
apparitions
qui viennent
mauxdansl'au-delet qui, parconsquent,
demandent
des prires
pourallger
leursouffrance,
serventPierredans sa luttecontreles partisansdes doctrines prchespar Pierrede Bruisqui nientl'utilitdes suffrages
pour les
dfunts.
De mme(les auteurs,
dansleurprsentation,
ne le mentionnent
pas),
les quelquesChrist-enfants
de l'hostie,les lourdespunitions
diviqui sortent
nes qui s'abattentsur les prtresniantla prsencerelledu Christdans
les bienfaits
les sacrements,
sontunerponseaux
l'Eucharistie,
que procurent
le baptmeaux enfantsn'ayantpas encoreYaetas
ptrobrusiens
qui refusent
discretionis
et plus gnralement
aux mouvements
nombreux
hrtiques
qui
ne reconnaissent
pas l'utilitdes sacrements.
En ce sens,commele soulignent
trsjustement
les traducteurs,
le De
miraculis
commel'illustration
peutapparatre
pratique,la base documentaire
de l'uvreapologtique
Certaineshistoiqui en seraitla rflexion
thorique.
resdifiantes
certesune justification
mais le genre
comportent
thologique,
littraire
choisipar Pierreet le publicvisne se prtent
pas de longsdveloppements
thoriques.
Il y a chezl'abb de Clunyquelqueaccentlullien: son butest de convaincreles chrtiens
des marges(gographiques
et religieuses)
de ne pas succomber l'attirance
d'autresreligions
ou aux mouvements
Dans
hrtiques.
le ContraSarracenos
, commenc l'extrmefinde sa vie et demeurinachev,Pierres'crie: Jevousattaquepar la parole...nonpar les armes.
Avec Pierreest en trainde natrel'ide que les arguments
des Infidlesou
des hrtiques
verboet exemplo.
peuventse rfuter
Le De miraculis
n'estpas seulement
un recueild'histoires
difiantes
des-

15:29:34 PM

134

NOTESDE LECTURE

des fidles.Pierremanifeste
la foi orthodoxe
tin consolider
aussiune
politique : au dbutde son abbatiat, partirde 1126,Pierre
intention
dans des
doitse battrecontrePons, ancienabb de Cluny, dmissionn
obscureset qui tentede reprendre
conditions
possessiondu pouvoir,en metPierre fuir Romepourdemander
l'arbitant sac l'abbayeet en obligeant
du De miraculis
dbutejusteaprs
que la rdaction
tragepontifical.
Signalons
la fin du schismede Pons. L'ordre,concurrenc
par l'clat nouveaude
difficults
financires
et devientla ciblede viruCiteaux,connatde srieuses
lentescritiques.
dressedes invenC'est pourquoipendantson abbatiat,Pierreemprunte,
restaurel'observancemonastique(codifie
la production,
taires,rorganise
desdouzecents
dansles fameuxStatutaPetriVenerabiiis
), visitequelques-unes
un en Espamaisonsclunisiennes
(dixvoyagesen Italie,deuxen Angleterre,
gne, un en Allemagne)afinde consoliderl'ordre.
commeune uvremilitante,
On peutaussi lirele De miraculis
dans la
du Christ
continuit
des actionsde Pierre.Il entendfairede Clunyla citadelle
et vaine,de Satan,puisquehuitdes dix dmons
et donc la cibleprivilgie,
Cluny.
du recueilapparaissent
les suffrages
des vivants,insister
Montrerdes dfuntsvenantimplorer
du cultedes mortssontaussi une manirede justifier
l'exissurla ncessit
de l'ordre,un moyende montrer
aux chrtencedes occupations
quotidiennes
tiensque leursdons et aumnes,qui enrichissent
l'abbaye,ont des fins
spirituelles.
faisantcho la rforme
se retrouve
dans
grgorienne,
L'espritclunisien,
porter
les vivesattaquesque Pierrelancecontreles seigneurs
qui cherchent
1 ; L. I, ch. 10 ou L. I,
du monastre
l'exemption
atteinte
(LivreII, chapitre
et
ch. 27) ou dans les critiquesacerbesadressesaux prtresconcubinaires
de l'lvation
les saintesespcesau moment
dbauchsqui voientdisparatre
dans les souffrances
horribles
(L. I, ch. 25), alors
(L. I, ch. 2) ou meurent
que les saintshommes que sontles moinessonttoujourssous la garde
des anges(L. I, ch. 19).
attentive
au cherOn peutdonc tresatisfaitde cettetraduction
qui permettra
l'enseignant
des textesutileset plaicheurde gagnerdu tempset procurera
seulement
le choix
ses lvesou ses tudiants.
sants proposer
Regrettons
de Dieu. Les justifications
des auteurs
du titre: Les merveilles
de la traduction
(p. 35 et 36) ne me paraissentpas convaincantes.
Ce richerecueil,toujourstrsagrable lire,estdonc la foisunecomdansune poque
la foides chrtiens
qui vise renforcer
pilationd'exemples
et un document
o l'hrsiemenace,une uvrede propagandeclunisienne
et des mentalits
de la premire
de l'histoire
important
pourla connaissance
l'un des
moitidu xiiesicle.Il permetaussi de dcouvrirou redcouvrir
et thologien.
grandsabbs de Cluny,diplomate,rformateur
DidierLeht
CarmliaOpsomer,L'art de vivreen sant.Imageset recettesdu Moyen
de l'UniSanitatis (manuscrit
1041)de la Bibliothque
ge. Le Tacuinum
versitde Lige, s. 1., ditionsdu Perron,1991,207 p., ill.
la findu xixesicle,le Tacuinumsanitatisest
Depuissa redcouverte
de l'art. Exposantsous une formeramasseet
l'enfantchrides historiens

15:29:34 PM

134

NOTESDE LECTURE

des fidles.Pierremanifeste
la foi orthodoxe
tin consolider
aussiune
politique : au dbutde son abbatiat, partirde 1126,Pierre
intention
dans des
doitse battrecontrePons, ancienabb de Cluny, dmissionn
obscureset qui tentede reprendre
conditions
possessiondu pouvoir,en metPierre fuir Romepourdemander
l'arbitant sac l'abbayeet en obligeant
du De miraculis
dbutejusteaprs
que la rdaction
tragepontifical.
Signalons
la fin du schismede Pons. L'ordre,concurrenc
par l'clat nouveaude
difficults
financires
et devientla ciblede viruCiteaux,connatde srieuses
lentescritiques.
dressedes invenC'est pourquoipendantson abbatiat,Pierreemprunte,
restaurel'observancemonastique(codifie
la production,
taires,rorganise
desdouzecents
dansles fameuxStatutaPetriVenerabiiis
), visitequelques-unes
un en Espamaisonsclunisiennes
(dixvoyagesen Italie,deuxen Angleterre,
gne, un en Allemagne)afinde consoliderl'ordre.
commeune uvremilitante,
On peutaussi lirele De miraculis
dans la
du Christ
continuit
des actionsde Pierre.Il entendfairede Clunyla citadelle
et vaine,de Satan,puisquehuitdes dix dmons
et donc la cibleprivilgie,
Cluny.
du recueilapparaissent
les suffrages
des vivants,insister
Montrerdes dfuntsvenantimplorer
du cultedes mortssontaussi une manirede justifier
l'exissurla ncessit
de l'ordre,un moyende montrer
aux chrtencedes occupations
quotidiennes
tiensque leursdons et aumnes,qui enrichissent
l'abbaye,ont des fins
spirituelles.
faisantcho la rforme
se retrouve
dans
grgorienne,
L'espritclunisien,
porter
les vivesattaquesque Pierrelancecontreles seigneurs
qui cherchent
1 ; L. I, ch. 10 ou L. I,
du monastre
l'exemption
atteinte
(LivreII, chapitre
et
ch. 27) ou dans les critiquesacerbesadressesaux prtresconcubinaires
de l'lvation
les saintesespcesau moment
dbauchsqui voientdisparatre
dans les souffrances
horribles
(L. I, ch. 25), alors
(L. I, ch. 2) ou meurent
que les saintshommes que sontles moinessonttoujourssous la garde
des anges(L. I, ch. 19).
attentive
au cherOn peutdonc tresatisfaitde cettetraduction
qui permettra
l'enseignant
des textesutileset plaicheurde gagnerdu tempset procurera
seulement
le choix
ses lvesou ses tudiants.
sants proposer
Regrettons
de Dieu. Les justifications
des auteurs
du titre: Les merveilles
de la traduction
(p. 35 et 36) ne me paraissentpas convaincantes.
Ce richerecueil,toujourstrsagrable lire,estdonc la foisunecomdansune poque
la foides chrtiens
qui vise renforcer
pilationd'exemples
et un document
o l'hrsiemenace,une uvrede propagandeclunisienne
et des mentalits
de la premire
de l'histoire
important
pourla connaissance
l'un des
moitidu xiiesicle.Il permetaussi de dcouvrirou redcouvrir
et thologien.
grandsabbs de Cluny,diplomate,rformateur
DidierLeht
CarmliaOpsomer,L'art de vivreen sant.Imageset recettesdu Moyen
de l'UniSanitatis (manuscrit
1041)de la Bibliothque
ge. Le Tacuinum
versitde Lige, s. 1., ditionsdu Perron,1991,207 p., ill.
la findu xixesicle,le Tacuinumsanitatisest
Depuissa redcouverte
de l'art. Exposantsous une formeramasseet
l'enfantchrides historiens

15:29:40 PM

NOTESDE LECTURE

135

la complexion,
la qualit,la nocivitet les moyensde corriger
systmatique
les choses non naturelles
, ce textea t en effetsouventaccompagnde
scnesmagnifiquement
abondamment
dansles ouvrages
traiillustres,
reprises
tantde la vie quotidienne
au Moyenge. Les manuscrits
enlumins
les plus
prcieux- ceuxde Vienne,de Paris et de Rome- ontt successivement
CarmliaOpsomervientdonc comblerune lacuneen
publisen fac-simil.
chacunedes pages de l'exemplaire
actuellement
conserv la
reproduisant
de l'Universit
de Lige,dontelledirigele fondsmanuscrit.
Bien
Bibliothque
- la plupartdes dessinsn'ayantpas t colorisque resteincomplte
la dcoration
de ce Tacuinum
sanitatis estd'une finesseremarquable.
L'attributionau grandpeintreet enlumineur
Giovanninode' Grassi,que Luisa
est ici confirme
CogliatiAranofondaitsurune analysestylistique,
par un
textuel
: la leonuniqueova austrum( ufsd'autruche
argument
), au lieu
de ova anserum( ufsd'oie ) prendtoutson senssi l'on se souvientque
JeanGalas Visconti,
le patronde Giovannino
de' Grassi,futclbreen son
et en consommer
les ufs.C'est d'ailleurs
tempspourleverdes autruches
bien ce volatileque l'on reconnatsur la miniature.
Mais la publication
de MmeOpsomerva bienau-deld'un livred'images. Celle-cia en effetaccompagnles plancheset la traduction
franaise
des noticesd'un commentaire
trsinform,
qui en claire la foisles racines mdicaleset l'arrire-plan
pratique.On sait que le Tacuinumsanitatis
est la traduction
d'un textearabe, effectue
dans la deuximemoitidu
xiiicsicleen Italiedu sud - pourle comptede Charlesd'Anjou,croit-on
habituellement
du
; maisCarmliaOpsomersuggrepluttla coursicilienne
grandrivalde Charles,Manfred.L'original,intitul tableauxde sant
(Taqwimas sihha), a t compospar Ibn Butln,mdecinbagdadiendu
XIesicle,qui utilisaitvidemment
les travauxde ses devanciers.
Non sans
originalit
parfois,et les confrontations
proposespar l'diteurconfirment
de la mdecinemdivalen'estqu'un mythecul.C'est
que l'immobilisme
l'occasionpourellede fairele point,dansuneremarquable
sur
introduction,
un secteursingulirement
la dittique.Entendue
ngligpar la recherche,
au senslarge,c'est--dire
commel'ensembledes moyensdontl'hommedissa vieet se maintenir
en bonnesant,elleconstitue
posepourorganiser
pouret la chirurgie,
l'une des troisbranchesde l'art
tant,avec la pharmacope
de gurir.Les fondements
et surtoutgalniquesde la dittihippocratiques
sontcertesrappels,
ainsique l'enrichissement
considrable
que mdivale
que
lui ont apportles auteursarabes,de Hunainibn Ishq Ishq al-Isr'ili.
Mais CarmliaOpsomerne ngligepas pourautantles texteslatinsdu Haut
contribu mieuxfaireconnatregrce
Moyenge, qu'elle a grandement
aux dpouillements
ralissdans le cadre du programme
Theorema.Elle
n'oubliepas nonplusle dveloppement
considrable
de la filire dittisiclesdu Moyenge, avec l'explosiondes rgimes
que dans les derniers
de
sant.C'est dansce contexte,
maisfermement
simplement
dpeint,qu'il faut
la traduction
et surtout
le succsconsidrable
du Tacuinum
replacer
sanitatis.
Les aliments
la placela plusimportante
de l'arseoccupentvidemment
nal dittique,
loindevantl'exerciceou les bains. Le manuscrit
de Ligeen
tmoigne,
puisqu'illeurconsacreplusde la moitide ses notices; et encore
faut-ily ajouternombrede plantesofficinales
qui peuventoccasionnellement
rentrer
dans l'alimentation.
Le Tacuinumsanitatisdcritmmede vritables
commela bouilliede froment
ou le vermicelle,
prparations
culinaires,
que
les Italiensappellenttria, de l'arabe itriyya.
On touchel le domainepratique et il n'estpas tonnant
que le textelatins'y loigneparfoisde son modle

15:29:40 PM

136

NOTESDE LECTURE

arabe: ainsi mentionne-t-il


la gailatina, autrement
dit la galantine,un des
l'poquesurtoutesles tableseuropennes.
C'est
classiquesque Ton retrouve
donc avec raisonque MmeOpsomerse tourneversles livresde cuisinequi
seulspermettent
et d'enrichir
les brvesnotations
contenues
dans
d'interprter
le Tacuinumsanitatis.On peutcependant
regretter
que, malgrl'origineitaliennede cetteadaptation,ce soientencoreet toujoursles mmesrecueils
culinairesfranais- Viandieret Menagierde Paris - qui aientt pour
l'essentielmis contribution.
Les critiquesqu'il fautadresser ce remarquable
ouvragesont donc
mineures
des prolongements
; elles n'ontd'autrebut que de suggrer
pour
Il est tempsnotamment
des recherches
ultrieures.
de minutieusement
comparerle Tacuinumsanitatis son modlearabe,d'autantque l'on dispose
dsormaisde l'ditiond'Hosam Elkhadem(Louvain, 1990). Le relevdes
offertes
variantes
doit
par les diversmanuscrits,
esquissdansl'introduction,
Pour un textequi prtend
treen prisedirectesurles pratitresystmatis.
rvlent
ou des prfrenparfoisdes choixculturels
ques, de tellesvariantes
ces rgionales.
Dans cetteanalyse,il fautd'ailleurstenircomptedes dcalapar exemple,
gesentrele texteet l'image; il me paratsignificatif,
que l'enlumineurd'une versionallemandedu Tacuinumsanitatis(ms. latin9333de la
les tria- ici des verBibliothque
Nationale)ait oubli de reprsenter
- surla claie o estcenseles
des spaghettis
micellesallongssemblables
tendreune femme: si ce typede ptestaitbienconnuen Italie,il ne faisait l'videncepas encorepartiedes usagesallemands.
laquelleMmeOpsomera visiblement
La collationdes manuscrits,
prod'unstemma
enfin
aboutir
l'laboration
, quimanqueencorecruelcd,devrait
de tenircompte,dansla reconstitution
de la tradition,
de
lement. condition
ou non. Si les quatregrandsTacuitousles manuscrits,
qu'ils soientillustrs
1 traduisent
dans la Lombardiede la findu
numsanitatis
bienla rencontre,
xivesicle,d'un textedittique
et d'unetradition
d'enluminure
botanique- , ils ne sontque
et cecipourles besoinsd'un publicde princesbibliophiles
Lesbibliothques
contiennent
eneffet
de l'iceberg.
la partiemerge
europennes
Nationale
des dizainesde Tacuinumnonenlumins
(quatre la Bibliothque
de Paris,deux l'Angelicade Rome,etc.)dontl'tudeetle simplerecensement
En revanche,
le codex5264de la bibliothque
de Vienne
unepriorit.
constituent
latins; la compilation
unelistedes Tacuinum
nesauraittreintgr
qu'iltransralisevers1471parle mdecinGiovanniCadamosto,de
met,probablement
du
en ralitunetraduction
italienne
Lodi,et ddie Borsod'Est,regroupe
Il en existed'ailleurstrois
illustr.
et un herbier
sanitatis
Tacuinum
galement
nonsignalspar CarmliaOpsomer,maisqui tousapparautresmanuscrits,
tiennent
la mmepoque- le dernier
quartdu xvesicle- et la mme
chevalsurles paysitalienset germanide la pninsule,
rgion- le nord-est
deuxfoisplusnombreuses
les illustrations,
ques. Dans tousces exemplaires,
deuxparpageetleurqualitest
latin,sontregroupes
que dansle Tacuinum
du xivesicle2.
celledes manuscrits
infrieure
nettement
s.n.2644;
Osterreichische
1. Paris,B.N.,n.a.lat.1673; Wien,
Nationalbibliothek,
3054de la Bibliole manuscrit
4182.Il fautleurajouter
Casanatense,
Roma,Biblioteca
d'unTacuinum
enfaitquela lrepartie
de Rouen,quineconstitue
Municipale
thque
lot
miseenvente
a trcemment
Sanitatis
17-12-1991,
(Sotheby's,
, dontla 2emoiti
200miniatures.
doncen ralit
contient
50): cetteversion
65 etunmanus2. Paris,B.N.,ital.1108; NewYork,PublicLibrary,
Spencer
condesDrakede Casilloetactuellement
cubaine
critautrefois
possd
parla famille
Sorengo
de M. Orazio Bagnasco
servdansla collection
(Suisse).

15:29:40 PM

NOTESDE LECTURE

137

considr
du seulpointde vue de l'historien
d'art,le TacuiLongtemps
numsanitatisdoitmaintenant
treaussitudipourson texte,pourles condontil tmoiceptionsmdicalesqu'il vhiculeet les pratiquesalimentaires
gne.C'est le grandmritede CarmliaOpsomerd'avoirmontrla premire
la pertinence
de cettedmarche,
en combinant
des disciplines
tropsouvent
dissocies: l'histoiredu livremanuscrit,
celle de la mdecineet celle de la
cuisine.
BrunoLaurioux

Jullien de Pommerol,JacquesMonfrin,La bibliothque


Marie-Henriette
Avignonet Pehiscolapendantle Grandschismed'Occident
pontificale
et sa dispersion
: inventaires
et concordances
de l'cole
, Rome,Publications
Franaisede Rome, 1991, 2 volumes,XXIV, 1023p., XXII planches,
8 microfiches
(collectionde l'cole Franaisede Rome-141).
Pedrode Luna est n au seinde la plusinfluente
famillede l'aristocratie d'Aragonen 1328/1329.Ce docteuren droitcanon de l'Universit
de
et prvtde la cathdrale
de Valencesera nommcardinalpar
Montpellier
XI (1370-1378)en 1375. lecteurde ClmentVII en 1378, pape
Grgoire
dfenseur
l'poque du Grand
d'Avignondont il devientle plus fervent
choisicommeson successeur
sous le nom
schisme,il seratoutnaturellement
de BenotXIII en 1394.Puisqu'iltaitg de soixante-six
ans, nul ne pouvaitalorsprvoir
son longpontificat
qui se prolonge
jusqu'en1423.Au cours
de ces troisdcennies
le paped'Avignon
s'accroche son sige
mouvementes,
faceaux prtentions
des Urbanistes
et Conciliaristes.
Les avatarsde ces luttes sont bien connusdes historiens
: elles chasseront
en 1403 BenotXIII
d'Avignonet le mneront
plustardjusqu' la presqu'lede Peniscola,dans
le royaumede Valence,o il mourra,abandonnde tous,en novembre
1422
ou mai 1423.
Au dbutde notresicle,FranzEhrleavait insistsur l'activitculturellede ce personnage,
aussi dbordante
mais bien moinstudieque son
actionpolitiqueet diplomatique
: le pape de Luna taitalorsapparucomme
un crivainprolixe,auteurde plusieurstraitsjuridiquessur le schismeet
de quelquesopusculesthologiques.
L'ouvragedontnousrendonscompteici
BenotXIII sous le jour d'un collectionneur
prsente
passionnde livres,qui
donna la bibliothque
runiepar les papes d'Avignonun essorexceptionnel. Au lendemain
de son couronnement
en 1394,il faitdresserla listedes
1 308 ouvragesse trouvant
au palaisd'Avignon: il corrigelui-mme
l'ancien
les 174livresentrs
cataloguerdigen 1375parGrgoire
XI, inventorie
depuis
et enrichit
ce fondsdes 195volumesqu'il possdealors. En 1407,on procde la Nova ordinatio
de la bibliothque
laquelle
, une rorganisation
le pape a ajoutde nombreux
livresdepuisson intronisation.
ctde cette
Librariamajor, la bibliothque
portative
comptequelque500exemplaires,
que
BenotXIII emportait
avec lui dans ses dplacements
; les ouvragesde son
Studiumsontplacs toutprsde sa chambre.
En 1411,le palais d'Avignonest dfinitivement
vacuet la plupartde
ses livressontdmnags
versPeniscola; les quelquesmanuscrits
abandonnssurplacese trouvent
de nosjours la Bibliothque
Vaticane. Peniscola,

15:29:49 PM

138

NOTESDE LECTURE

toutparticulirement
au lendemain
les annesqui suiventverront,
de la mort
de cellequi apparaissait
du pape Luna, la dispersion
autourde 1400comme
d'Occident.Quand,en 1429,Pierrede Foix, lgat
la plusrichebibliothque
de MartinV (1417-1431),prendpossessionde la presqu'le,ses officiers
n'inventorient
plusque 561volumessurles 2 300 gardsnaguredansla ville
du Rhne: il les rapatrieau palais pontifical
d'Avignonou les cde au colversla Bibliothque
lgequ'il fondeen 1457 Toulouse,d'o ils partiront
Nationaleau xvnesicle.Les autreslivresavaientservi BenotXIII et
ClmentVIII (1423-1428)pourrenflouer
des finances
son successeur
pontifiou avaientt donns titrede bnfice des clercsen
cales dfaillantes
des derniers
mald'argent.La dchance
papesd'Avignonestaffligeante
pour
le chercheur,
la perted'une tellecollection.
qui regrette
ne doit pas faireoublierle soin que le pape de
Cettetristedispersion
l'apoge de son pontificat.
cettebibliothque
Luna avait mis enrichir
BenotXIII achtebeaucoup; il faitde mmejouer le droitde dpouilleau
des vquesdcds.Il demandesurtoutaux scriptodes hritiers
dtriment
longueurd'annepour lui, de copieret confectionner
res, qui travaillent
intellectuel.
les livresdontil a entenduparlerou que rclameson entourage
centrede culture.Ptrarque
La villed'Avignontaiten effetun important
XI avait faitcopier
y sjournaentre1327et 1362et l'on sait que Grgoire
de ses ouvrages.Le cardinalPedrode Luna taitd'ailleursen
quelques-uns
avec
contactavec les milieuxpr-humanistes
franais,toutparticulirement
du Collgede Navarre.JeanMuretet Nicolasde Clamanges,
les membres
en avaientfaitpartie.Le pape ajoutera sa bibliothque
ses secrtaires,
perles ouvragesde la littrature
anticontenant
manuscrits
sonnellede nombreux
un gotparticulier
: il manifeste
pourCicron,maisaussi
que et noclassique
pour Snque,ValreMaxime,Salluste,Tite-Live,Ovide,Virgile,Priscien,
d'un juristeoccuppar l'affairedu
Vgceou Plinel'Ancien.Bibliothque
manifestations
schisme,elle n'en demeurepas moinsouverteaux premires
de l'humanisme.
L'intrtde l'ouvragede M.-H. Julliende Pommerolet de J. Monfrin
dpasse largementla simple tude du milieu intellectuelo voluait
de la bibliothque
ditiondes inventaires
BenotXIII. La remarquable
ponde travailhorspair: la pluun instrument
tificalemet notredisposition
indexet
et les diffrents
ont t identifis
partdes ouvragesdes inventaires
facilement
telou tellivre.
de retrouver
tablesd'auteurset de titrespermettent
sont
de la bibliothque
les inventaires
contenant
Les noticesdes manuscrits
inventoris
au Moyen
au mmetitreque la listedes manuscrits
exemplaires
de forfondseuropens.Il est difficile
dans les diffrents
ge et dcouverts
de longuesannesd'un
mulerdes critiquescontrecet ouvragetmoignant
: le choixde
rudition.Une seule remarqueformelle
travailde minutieuse
la graphiecastillanede Peiscola,au prixde quelquesquilibres
typographiques sans doute,ne s'imposaitpas du tout,alorsque la presqu'lese trouve
Il estvraique c'estavectilde
valencien.
catalanodansle domainelinguistique
ce petitvillagede pcheurs,
que la plupartdes lecteursfranaisconnaissent
immortalis
pape d'Avignonque noussavonsdsorpar le sjourdu dernier
mais bibliophilepassionn.
MartinAurell

15:29:49 PM

NOTESDE LECTURE

139

Anita Guerreau-Jalabert, Index des motifsnarratifs


dans les romans
arthuriens
franaisen vers(xw-xiwsicles),Genve,Droz, 1992,501 pp.
AnitaGuerreau-Jalabert
avait dj voqu les motifsnarratifs
dans la
du pointde vue mthodologique
littrature
arthurienne
dans un articleparu
en 1983 ( Romansde Chrtiende Troyeset contesfolkloriques.
Rapprochements
et observations
de mthode, Romania, 104, 1983,
thmatiques
de recherches
indites.Systmatisant
ce
pp. 1-48),ouvrantdes perspectives
indexdes motifsnarratravail,cetauteurpublieaujourd'huiun volumineux
tifsdans la littrature
limiteaux romansen versdes XIIeet
arthurienne,
xiiiesicles.Cet amplecorpusa t choisipour sa cohrence
et
thmatique
les relations
en apparencetroites
avec les motifsde contes.AnitaGuerreauJalabert
a dpouillquelques53 uvresdont1'ensemble
totalise280000 vers.
Citonsentreautresles romansde Chrtien
de Troyes,les Lais de Mariede
France,le Tristande Broul,La mulesans freinet le Bel inconnu.
L'indexpermet
de reprer
immdiatement
les motifs
narratifs
(qui ne sont
l'intjamais prisen comptepar les index)et d'tablirdes comparaisons
rieurdu genreromanesque
et l'extrieur
avec des genresvoisins.L'usage
de StithThompson(en langueanglaise)prsente
du Motif-Index
des avantaCe cadrede classeges et des inconvnients
que l'auteurdcritnettement.
mentde matriaux
bienque compos partirdu dpouillement
de
narratifs,
contessouventorauxrecueillis
pourla plupartau xixcsicle,proposesuffisamment
de motifspourrendrecomptede faon peu prssatisfaisante

de la littrature
arthurienne.
Cetteorientation
folkloriste
du corpusdpouill
a tquelquepeu modifie
la secondeditionparl'intparStithThompson
grationde textesd'poque mdivaled'originesvaries: Irlande,Islande,
exemplaespagnolset nouvellesitaliennes.
Une mise en garde mthodologique
de taille est donne par Anita
: la prsence
Guerreau-Jalabert
de rfrences
la littrature
arthurienne
dans
cet indexne prjugepas de sa valeurpopulaireou folklorique.
Seulesdes
et socio-historiques,
commel'auteuren a dj fourni
analysesstructurales
ce typede
, Le bel inconnu...),peuventdterminer
(surLa mulesansfrein
rattachement
socialet culturel.
D'autrepart,les motifs
tablisempiriquement
par StithThompsonsontextrmement
htrognes
(du titrele plus gnral
au dtaille plus particulier)
et leuradquationavec une squencenarrative
restesouvent
Dans le cas d'uneinadquation
Anita
approximative.
irrductible,
Guerreau-Jalabert
a crdes variantes
aux motifsdj existants,
se rservant
l'a crationde nouveauxmotifspourles cas extrmes.
On regrettera
que ces
cas problmatiques
voirelimites
n'aientpas faitl'objetd'uneliste.Elle signale
en outrequ'unemmesquencenarrative
sous plusieurs
peuttrerpertorie
motifs(motifsgnriques
et motifsparticuliers),
redondance
inhrente
la
structure
du Motif-Index.
De plus,des dcalagessmantiques
existent
dans
- autremonde,nains,fes,
la dfinition
d'un certainnombrede mots-cls
du XIXesicleet les auteursdu Moyen
sorcires,
gants- que les folkloristes
a d parge n'entendaient
pas de la mmefaon.AnitaGuerreau-Jalabert
foisprocder des simplifications
et assimilations.
Dernireprcaution
: cet
indexn'a pourbutque de faciliter
le repragede motifsnarratifs,
il ne prtenden aucun cas donnerune description
de la littrature
arthurienne.
est
en
ralit
de
trois
index
L'ouvrage
compos
judicieusement
complmentaires
:
1
L'indexdes motifsclasssdans l'ordrealpha-numrique
tablipar

15:29:55 PM

140

NOTESDE LECTURE

StithThompson,
textuelles
qui totaliseici 15 630rfrences
pour3 047 motifs
(pp. 23-210).
2 - Un indexdes motifsuvrepar uvredans Tordredu texte,qui
narratifs
de chaqueuvreou de dmarun bilandes motifs
de dresser
permet
partirde l'uvre(pp. 211-368).
rerune recherche
3 - Un indexpar vocablesappelaussiconcordance,
tabli partirdes
dans l'ensembledes dfivocables(par oppositionaux motsoutils)prsents
telsque : man, pernitionsde motifs l'exceptionde motstropfrquents
son, magic
, woman(pp. 369-501).
indexfaitapparatre
le poidstrslourd
Un brefsondagedansle premier
de certainessries: F-Marvels(pp. 61-85), H-Tests (pp. 89-112),T-Se*
P-Society
(pp. 115-128)et D-Magic
(pp. 150-164),
K-Deceptions
(pp. 186-203),
la portioncongrue: U-The
(pp. 35-57).Alorsque deuxsriessontrduites
natureof life(un seul motif)et A-Mythological
motifs(9 motifs),dsquilide la littrature
considre.
en relation
avecla spcificit
bresqui sont mettre
entremotifgnrique
et motifpartiNous avonsnotque l'articulation
culierpose parfoisde petitsproblmes.
Ainsi,dansV-Religion
, p. 206 la srie
:
suivants
V.200-299surles sacredpersons proposeentreautresles motifs
V.230ANGELS (motifgnrique)
; V.232 245 donnentdes motifsparticudans le motif
liersdontles hrossontdes anges.Tous les textesrfrencs
distribus
dansles motifsparticuliers
qui suiAngelsse retrouvent
gnrique
l'inversen'estpas vrai: on trouvedans les motifspartivent.En revanche,
absentesdu motifgnrique
textuelles
culiersdes rfrences
; dans V.232.3
8750-8905
et Cont.Pere.2 : 23835-24221,
et V.235: Cont.Pere.Gerbert
qui
pas dans V.230. Mais un contrledans la concordancefait
n'apparaissent
sans exception
entredeux
de toutesces rfrences
une ventilation
apparatre
vocables: ANGEL et ANGELS.
du lecteur(commele faitd'aill'attention
Ce petitexemplepourattirer
de consulter
motifsgnsurla ncessit
leursA. G.-J.dans l'introduction)
mmepourune premire
approche,et de comriqueset motifsparticuliers,
est
Cetteprcaution
pltercet examenpar un contrledans la concordance.
bien mincecompare l'normetravaild'indexation
ralis,et la prsence
des troisindexconstitueun bon filetde scuritqui permettra
simultane
textuelle.
de ne laisserpasseraucunerfrence
Cet indexestun outilastucieusement
composet dontles limiteset prcautionsd'usagesontclairement
Gageonsqu'il
exposesdans l'introduction.
toutchercheur
de travailindispensable
un instrument
deviendra
rapidement
mdivale.
intress
par la littrature
Polo de Beaulieu
Marie-Anne

CatherineVelay-Vallantin, L'histoiredes contes


, Paris, Fayard,1992,
359p.
nous livreaujourd'huiun volumerecueillant
CatherineVelay-Vallantin
le fruitde plusieursannesde travailsurle rcit.Cet ouvrageest compos
est une introduction
de deuxparties: la premire
(Le conteuret l'historien,
p. 1-42) dveloppantl'histoiredes conteset de leur tude,tandisque la
sixmonographies
secondepartierunit
(p. 43-345).S'ouvrantsurunerflexion
du conte,qui se doitde ne pas inventer
de l'historien
quant la fonction

15:28:33 PM

NOTESDE LECTURE

141

du conte.
la tradition
, la premire
partievoqueles approchessuccessives
les premiers
Sont d'abordprsents
recueilsde contesdu xviiesicle(Pereffectues
rault,Contesde vieilles
, 1697) puis les collectescontemporaines
dansdiverspays(Grimm
pourl'Allemagne,
Campbellen cosse,etc.).L'tape
suivante
estcelledes folkloristes
de l'cole Finnoisequi organisent
cettemoisson de matriaux
narratifs
selonun cataloguesystmatique
fondsurla distinction
entrecontre-type,
de Anti
genreet variante(Index des contes-types
Aarneet StithThompson,lred. 1928).Cet effortd'indexation
reposesur
de l'existence
d'un archtype
d'o
pourchaquecontre-type
l'hypothse
originel
driveraient
toutesles versionsattestes.
Sur le problmede l'originedes contess'opposentles thoriesindoet indianistes.
Laissantde ctce problmequelquepeu mythieuropennes
du contesontapparuesles mthodes
strucque des origines
ethnographiques,
turales(VI. Propp,Cl. Bremond)et psychanalytiques
(G. Roheim,B. Bettelheim)appliques ce qu'il est dsormaisconvenud'appelerla narratologie.
L'auteurproposeen final uneautreapprochedu conte, qui ancrel'tude
de l'laboration
et de la transmission
des contesdans une histoireculturelle
et sociale. Cettehistoireemprunte
l'ethnologie
le souci d'apprhender
le
rledu conteur(voix,geste,cadredes runions,participants
et rpertoire).
Elle prtedans une attention
au supportdu rcitqui cr luiparticulire
mmedu sens.Elle ne se cantonnepas des monographies
locales(qui ont
leur importance)
mais naviguedans la longuedure: du xiicsicle nos
jours, avec quelquesdtourspar l'antiquit.
Le corpusembrasspar cettehistoiredes contesdbordelargement
les
collecteset les rpertoires,
pouraborderdes genresvaris: les sermons,les
des princes,
les encyclopdies
les chroniques,
, les miroirs
exempla
mdivales,
la chanson,le thtre,
etc. Cetteapprochebrisela dichotomie
souventfacticeentreoralet crit(ou plusprcisment
et les oppositions
entre
imprim),
culturesavanteet culturepopulaire,languesavante(latinnotamment)
et lanElle privilgie
successives
et pargues vernaculaires.
l'analysedes fonctions
foiscontradictoires
du contequi lui impriment
des inflexions
et
thmatiques
idologiques.
La secondepartiede l'ouvrageest plus difficile
rsumer,
il fauts'y
commedansun roman.On dcouvre
alors,selonunemthode
plonger
rgressive,commentPerraulta rcritl'histoirede Barbe Bleue,qui existaitds
le xviesiclesous formede chansons( La Maumarievengepar ses frres ou La mal mridade). L'tudedes variantesrgionalesfaitapparatreen Bretagnel'pisodede l'enfantassassinet les interfrences
avec le
cultede sainteThyphine,
et en Poitou le sinistreGillesde Rais.
Le dossierde la fillesoldat resteessentiellement
ancrdans l'poque
moderne.Il relvede la thmatique
de la femmetravestie
en hommereplace dans la construction
socialedes rlessexuels.L'essentielde ce chapitre
de Marmoisan
Jeanne
portesurl'analyseminutieuse
, conterdigpar Mariel'Hritier
de Villandon(1664-1734).Catherine
ne ngligepas
Velay-Vallantin
pour autantles livretsde colportageet les versionsorales recueilliesau
xixesicleet jusqu'en 1973 dans les Pyrnesaudoises.
Si le mdiviste
souhaitedcouvrirdes dossiersplus orientsvers sa
le combleront.
Le thmede la fille
priode,les quatreautresmonographies
aux mainscoupesapparatdans le romand'Hlnede Constantinople
ds
le milieudu xniesicle.Il connutune largediffusion
l'poque moderne
grce la Bibliothque
Bleue,qui modifiale statutde l'hronesuccessivementprincesse,
sainteet prostitue.

15:28:33 PM

142

NOTESDE LECTURE

La Vnusd*lile miseen scnepar Mrimeest Tun des derniers


avatarsd'une longuelignede rcitso Vnus,la Viergeet sainteAgnssont
dans un mmerle. Les sourcesmdivales
de ce dossiersont
confondues
Gautierde Coincyet Jacquesde Voragine.
Guillaumede Malmesbury,
de Brabantest connuepar des rdactions
La lgendede Genevive
latines des xve et xvicsicles.Elle est replacedans le vastecyclede l'pouse
accused'adultretrslargement
rpanduau MoyenAge. Sous
injustement
dans le SpeculumHistoriale
les traitsde Florencede Rome on la retrouve
de Vincentde Beauvais,les Miraclesde la Viergede Gauthierde Coincyet
dans les recueilsd'exempla(La Scala cil de JeanGobi et les GestaRomaallemands
norum). l'poquemodernece conteest adaptpar les Jsuites
et popularispar des cantiques,des romanceset une picede marionnettes.
Le cantiquede LaurentDurandtaitchantlorsde la Fte-Dieu Marseille
(XVIIIe
s.).
atteintson pointd'orguedans
entrele rcitet la liturgie
L'imbrication
de
le dernierdossier,qui me semblele plus riche, le miraclemarseillais
sainteMarieMadeleine. Le premier
jalon en est un sermonde la Madeleineen langueromanedatde la findu xiiesicleou du dbutdu xinesinarratives
et les meten
relveles incohrences
cle, dontC. Velay-Vallantin
antrieures
avecdes versions
relation
(Histoirede Danae diffuse
parles Mta(la Belleau bois dormant,
l'poux
morphoses
d'Ovide)et des contesparallles
utilise
la logiquedu conte.Catherine
en serpent)
Velay-Vallantin
pourretrouver
des versions
postrieures,
lorsqu'elle
y repredestraces
pource fairegalement
d'archasme
; ce qui n'est pas sans poserdes problmesde mthodeet de
du rciten Provenceestbienmiseen relationavec
La diffusion
chronologie.
et du sanctuaire
Saint-Maximin
de Marie-Madeleine
l'essordu plerinage
rivalde la chapelle-de-la-pierre--1'
imagede Marseille.
On ne peutqu'treimpressionn
par l'ampleuret la varitde la docuet prsente
et iconographique)
mentation
; quelquestextes
(textuelle
compulse
il nous
peu connussontdonnsin extenso(p. 59-60,p. 117-118).Cependant,
l'absencede datationprcisede cersembleque l'on peutparfoisregretter
citsparfoisrapitextesmdivaux
commecertains
tainsdocuments
importants
d'dition(parexemplep. 135,p. 188).De plus,
sansdate,ni mention
dement,
de suivreunesrie
semblent
les documents
parfoispars: il seraitsatisfaisant
par exempleles sermonssur
compltede textesdans un genreparticulier,
au
la Madeleine(commecela vientd'trefaitpour la priodeantrieure
xnicsicle dans le derniervolumedes Mlangesde l'cole Franaisede
la partiemergede
Rome). De cettemanire,on ne verraitpas seulement
mais
le motifnarratif
savoirles textesqui reproduisent
recherch,
l'iceberg,
les textesvoquant
de l'icebergdontla partieimmerge
l'ensemble
comporte
tudi.On
la mmehroneou le mmethme,maissans le motifnarratif
pourraitalorsprendrela mesurede la place du motifdans l'ensemblede la
mais
Cetteexigencesemblepeut-tre
textuelle.
disproportionne,
production
nombrede ces textespour
nous sommessrsque l'auteura d rencontrer
ici. Enfin,il noussembleque le richedossiericotablirson corpusprsent
est tropsouventrduitau rle
bienque richement
comment,
nographique,
alors qu'il pourraittreplus troitement
impliqudans les
d'illustration,
issus
surla miseen relationde documents
Celles-cireposent
dmonstrations.
la trade priodeset de genresparfoisbienloigns.Pour ne pas inventer
dans ce rseau
du contese doit d'avancerprudemment
dition l'historien
doit
en dehorsde cettereconstruction
effective
dontl'existence
de relations,
Un exemple: la mentiond'un rituel
s'noncersur le modede l'hypothse.

15:28:33 PM

NOTESDE LECTURE

143

un gestecurieuxaccomplipar le singedans
d'adoptionantiqueressemblant
la cohrencedu
le sermonde la Madeleinepermet l'auteurde retrouver
rcit; cependantil est prudentde restercirconspect
quant la conaissance
possiblede ce rituelantiquepar l'auteurdu sermonau xiiesicle.Pour paluneinterdisciplinarit
bienpenseentrehistoriens,
lierces quelquesfaiblesses,
de la littrature
et de la languesembleindispensaspcialistes
ethnologues,
cettehistoiredes contes,qui fait
ble. Dans ce cadre,nous souscrivons
remonter
au Moyenge nombredes rcitsqui ont bercnotreenfance.
Marie-Anne
Polo de Beaulieu
Klaus Schatz, La primautdu Pape. Son histoire
, des origines nosjours
Paris, Le Cerf,1992,288 p.
(trad,de l'allemandpar J. Hoffmann),
La traduction
de l'ouvragede KlausSchatz,actuellement
d'hisprofesseur
toirede l'gliseau Studiumdes Jsuites
de Francfort,
offreau lecteurfranhistoirede la primautpontificale.
L'auteura voulu tout
ais la premire
d'abordpallierune carence,en recherchant
dans toutel'histoire
de l'institutionpontificale
les filsqui aboutissent
la dfinition
donneen 1870 par
le concilede VaticanI concernant
la primaut
de juridiction
et le magistre
infaillible
du pontiferomain.Il est donc amen consacrerles deux premierstiersde son livre la priodemdivaleau coursde laquellese dveloppe,tapepar tape,cetteide de la primautde l'vquede Rome qui
finalement
de toutesles autresgliseschrtiennes.
distingue
l'glisecatholique
Romeen effeta tconsidre
commele lieud'une tradition
privilgie
ds les premiers
siclesdu christianisme
: elle est le seul sigeapostolique
d'Occident,le seul aussi pouvoirse prvaloirde deux aptres,parmiles
et qui sontaussi des martyrs.
ce titre,l'glisede Rome
plusimportants,
assumeune responsabilit
l'gardde l'Eglise universelle,
elle est perue
commeune gardiennede la tradition,
centrede la communioecclesiarum
,
source laquelleon peutrevenir
aprschaquecrise.C'est ainsique lorsdes
nombreuses
controverses
des meet IVesicles,chaquepartiesouthologiques
haitetreen communio
avec Romeet trereconnuepar elle ; Romedevient
de facto le centrequi sertde mdiateur
pourrefairel'unitentreles glises
alorsque l'institution
conciliaire
dchires,
apparatbeaucoupmoinssre.Dans
le mmetemps,l'ampleurde la christianisation
dans la villede Rome toucommecaputorbispermetde faireconcider
l'universalisme
joursconsidre
chrtien
avec celui de l'Empireromain.
partirdu Vesicle,et notamment
avec la crisemonophysite,
Romese
prsentecommele roc de la vraiefoi, contrel'empereur
qui convoqueles
concilesmaisqui cherchetoujoursdes accommodements
avec les schismatiques pourdes raisonspolitiques.Ceci conduitl'vquede Rome affirmer
le principe
de l'autonomiedu pouvoirde l'glisepar rapportau pouvoirde
On retrouve
l un des fondements
de la distinction
entreles glises
l'empereur.
d'Orientet d'Occident.L'Orientn'a biensrjamais reconnude primaut
au sigeromain,mais il a conscienceque dans les controde juridiction
versestouchant
la solutionne peutse trouver
l'gliseuniverselle
qu'en union
avec Rome et pas sans elle.
Avecles invasions
l'horizonromainse rtrcit
germaniques
notablement,
maisen contrepartie,
la tradition
romaineapparatpourles Barbares,bien-

15:30:14 PM

144

NOTESDE LECTURE

commela garantede la justesse de ce qui se faitdans


tt convertis,
alorsl'unitde l'gliseuniverselle
horsde laquelle
l'glise.Pierrereprsente
il n'y a pointde salut.L'poque carolingienne
constitua
une premire
volutionversle centralisme
papal, dans la mesureo seule Romecrede noumisen place par Charlemagne
veauxdiocses,et o les mtropolitains
tienleur pouvoirdu pape. Dans ce cadre,il fautpenserque
nentdirectement
renforcer
le pouvoirdu pape,avaient
les FaussesDcrtales,
qui tendaient
aux vquesun recourspossiblecontreles abus
surtoutpourbutde garantir
de pouvoirdes mtropolitains.
dite grgoMais c'est bien sr partirdu xiesicleavec la rforme
rienne que la papautcessed'treun pointde rfrence
passifpourdevenir un centreactifd'o manentdes dcisionsengageantl'ensemblede
la ttede l'glise,il devientla tte
l'glise; le pape n'est plus seulement
n'estpas de nature
PourGrgoire
de la Chrtient.
VII, la primaut
pontificale
: la saintet
indubitable
du pape s'expliet mystique
juridique,maisspirituelle
Pierrequi agit,penseet parle
que par le faitqu'il est uni mystiquement
lui. Un sicleplustard,saintBernardplaideencorepourune con travers
du ministre
et charismatique
papal, et contrela concepceptionspirituelle
: le pape estle successeur
de Pierre,pas
et administrative
tionjuridictionnelle
celui de Constantin.
III qui a les consquences
les plusdural'actiond'Innocent
C'est surtout
bles: partirde lui, le titrede vicariusChristiest rservau pape, alors
ce titre,il
qu'il taitauparavantportpar les vqueset les empereurs.
tandisque les vquesn'ontqu'unepars sollidtientla plenitudo
potestatis
citudinis
, ce qui signifieaussi que, dans l'glise,toutpouvoirprovientdu
pape. Ds lors,et avec l'apportdu droitromain,se dveloppeune vritable
absoluequi faitdu pape, commedu prince,un tre
monarchie
pontificale
au-dessusde la loi humaine.Mais il y a encoredes faillesdans ce systme,
dans la mesureo l'on ne reconnat
pas encoreau pape l'infaillijustement
et de foi et o l'on continue penserque
biliten matired'enseignement
au pape.
le concileest suprieur
clateau grandjour durantla priodedu Grand
Cettecontradiction
selondes doctrines
Schisme,pendantlaquellese dveloppele conciliarisme,
qui
plusou moinsradicales.On saitaussique c'est la papautmonarchique
sortgagnantede ce combat,avec l'aide, il est vrai,des tatspuissantsqui
se firentpayersous la formede concordatsleursoutienau pontife.
Dans toutecettevolution,on n'a gurevu apparatrele problmede
au sensde VaticanI. En fait, l'poquemdivale
l'infaillibilit
pontificale
du pape n'est dfinieque par rapportau concile.Il doit y
1' inerrance
avoirharmonieentrele pape et le concile,l'ensemblereprsentant
l'glise
dontil est ditqu'elle ne peutpas errerdans la foi. L' ineruniverselle
dans l'gliseet pas l'inverse.C'est seulerance du pape a son fondement
en disantque
la proposition
mentau dbutdu xvicsiclequ'on renversera
parceque le pape engagel'gliseet que l'glisene peutpas errer,uneerreur
d'un
du pape est impossible.Mais alors il s'agit moinsde l'aboutissement
comdu modlemonarchique
raisonnement
que de l'application
thologique
la pluralit
l'unitet pourassurer
pourramener
priscommeune ncessit
l'ordre.
Par rapport VaticanI qui sertde toilede fond cetteenqute,on
la papautdu
est frappde voirque l'essentieldes traitsqui caractrisent
xixesicle- et celledu xxesicledansson sillage- ne doitfinalement
que
la dvotion la perpontificale,
peu de chosesau Moyenge ; l'infaillibilit

15:30:14 PM

NOTESDE LECTURE

145

sonnedu pape - c'est lui qu'on va voir Rome et non plus le tombeau
Romecommemarquevritable
des Aptres-, rattachement
de la cathomoderne.
licit,toutcela est rsolument
GeneviveBhrer-Thierry

AviadM. Kleinberg,Prophetsin theirown Country.


LivingSaintsand the
Makingof Sainthoodin theLaterMiddleAges, Chicago,ChicagoUniversitypress,1992,X-189p.
AviadKleinberg,
danscetlgantpetitvolume,construit
uneimagenouvellede la saintetmdivale
sans faireappel des sourcesinditesni inconnues,mais en proposantune interprtation
originale,fondesur la notion
de processusd'interaction
et de ngociation
entreindivimicrosociologique
dus et groupes.La questionestposeclairement
: qu'est-cequi faitque dans
une communaut
tel ou tel individupasse poursaint,quelleque
chrtienne,
soitla consquence
de cetterputation,
officielle
qui n'entrane
que rarement
la canonisation
? Jusqu'prsent,la recherche
a privilgi
deux modesde
externes
la vie des groupes: on a d'abordsoulignle rlede
dsignation
du pontificat,
et notamment
des canol'institution,
qui s'estassurle contrle
nisations
commel'a montr
AndrVaudepuisle dbutdu secondmillnaire,
chez; ou bienon se contente
d'observer
l'effetd'un mystrieux
charisme
que
l'on ne peutgureanalyser: cettedernireconceptionn'est pas la simple
reconduction
d'une attitudefidiste,
car elle dcouleaussi de la sociologie
de Max Weber,qui a tantobscurcila description
des phnomnes
collectifs
en matirede pouvoirpolitique.
d'adhsion,notamment
montre
2 et 3) qu'un espacede douteet de
d'abord(chapitres
Kleinberg
est ouvertpar l'ambivalence
des phnomnes
surnaturels
ngociation
(puissamment
et par la difficult,
aussigrandepour
proclame
par saintAugustin)
les mdivaux
le relde l'illusion,
dansles tmoique pournous,de distinguer
de la procdurede
gnagessur la saintet.De plus,malgrl'uniformisation
aucunmodlene donnede critres
vraiment
fixesde saintet.
canonisation,
Mais l'essentielde la dmonstration
passe par troischapitresd'tudes
de cas, soigneusement
lieu(chapitre
gradus.Kleinberg
voqueen premier
4)
la figurede Christinavon Stommeln(v. 1252-1312)
: cettebguinequi n'a
ni visionnaire,
a pourparticularit
d'tre
gurede puissancethaumaturgique
constamment
et physiquement
maltraite
par le dmon,qui lui heurtela tte
contreles murs,la frappe,et la couvred'excrments.
Ce typede manifestationsurnaturelle
auraitdifficilement
de saintetsi
pu crerune rputation
le hasardn'avaitmissurson cheminPierrede Dacie, jeune dominicain
sualorsau couventvoisinde Cologne.C'est lui qui rdigel'essendois,rsidant
tieldes texteshagiographiques
surChristina
; quand il rapportela premire
il noteque le spectacledes tortures
le remplit
d'un bonrencontre,
physiques
heurintense.11assisteenfin une manifestation
physiquede la ralitsurnaturelle.Ds lors,au momentdes nombreuses
et brvesvisitesde Pierre,
une sortede contrats'tablit: le dominicain
assure Christina
une respectualitreligieuse,
de ses consurs
qui lui permetd'chapper l'indiffrence
la prrobguineset des paysansdu lieu; et la saintedonneau dominicain
est
gativede ses scnesde perscution
qu'il notescrupuleusement
; Christina
devenuela saintedu dominicain.

15:30:14 PM

146

NOTESDE LECTURE

En largissant
un peu le cerclede la ngociation,
aborde(chaKleinberg
Lukardisd'Oberweimar
pitre5) le cas de deux femmes,la cistercienne
(1257-1309)et la bguineprovenaleDoucelinede Digne (1214-1274)pour
: dansle cas de Lukardis,
se mobilisent
c'estle monasqui deuxcommunauts
les extasesde la sainte,qui sontmme
treentierqui vit par procuration
surs.La prsence
d'uneexatiquepermet
au groupe
compltes
par certaines
son existence
touten maintenant
Pour
de goterau surnaturel
quotidienne.
Douceline,c'est toutune couchesociale,la noblesseprovenale
qui constitue ses extasesen manifestations
publiqueset rglesdu divin.
unetroisime
disEnfin,le cas de saintFranoisd'Assisefaitapparatre
au saint: il ne s'agitplusd'admirer
maisd'imipositiond'accueilparrapport
au masculinn'est pas indiffrent)
ter(et le passagedu fminin
; le milieu
ni des communauts
n'estpluslimit des individus
troites
;
dsignateur
du Christpar Franoisconstituetout
l'imitation
volontaireet surnaturelle
d'assimilation
au saint.
croyanten sujet virtueld'un processusrcurrent
ouvredes perspectives
bien
Ce livre, la foisfortet simpleet inventif,
la ngociation
sur la
et au-deldu domainehagiographique,
intressantes,
l'individupeut-ilatteinsaintetpose cettequestion: dansquellesconditions
sa singularit
absoluecommevaleur
drece succsparadoxal: fairereconnatre
?
collective
Alain Boureau
JeanDelumeau (dir.),La religionde ma mre.Le rle des femmesdans
de la foi, Paris, Le Cerf,1992,387 p.
la transmission
de JeanDelumeau
Cet ouvragecollectifest le fruitdirectdu sminaire
dix-neuf
danssa prface
contributions,
qui ontpourbutde mettre
qui prsente
et pourtant
souventngligpar la recherche
l'accentsurun aspectimportant
et notamment
des mresde famillecomme
: le rledes femmes,
historique
de la foi chrtienne,
depuisles origil'indiquele titre,dans la transmission
articles(p. 15 155)
nes du christianisme
jusqu' nos jours. Les six premiers
la Rforme,
de la priodequi s'tenddes dbutsdu christianisme
traitent
dansl'ducationde leurs
la placetenuepar les femmes
et cherchent
dfinir
enfantsen adoptantplusieursaxes de recherche.
des femmes
FrancineCuldaut(p. 15 35) rappellel'apportfondamental
de la socitromainedu Bas-Empire,
dansla christianisation
depuisle martyre
ducateur
de Monide Blandineet Perptue
jusqu'aurleplusdirectement
des femmesdans la
que, la mrede saintAugustin.Cette promotion
rvolution
cultusiclesest due la vritable
des premiers
sphrereligieuse
et la rsurl'incarnation
relleaccompliepar le christianisme
qui confessait
aux doctrines
rectionde la chair,contrairement
toujours
qui envisageaient
les
la sparationradicalede la Sagesseet de la chair.Dans le christianisme
des enfants la foisdans
leurvoieen engendrant
femmes
pouvaienttrouver
la chairet dans l'esprit,en les amenant la vraiefoi.
du MoyenAge
les femmes
Forceestde constater
que rarement
cependant
. D'une part,les sourcescond'exercerce ministre
ont eu la possibilit
siclessontextrmement
cernantles ve-xie
pauvressurce sujet, l'exception
ici le programme
du Manuelde DhuodadontPierreRich(p. 37 50) reprend
en montrant
d'ducationreligieuse
que Dhuoda aussiavaitle soucid'engendrerune nouvellefoisson filsdans l'glise,grce un ensemblede recom-

15:30:21 PM

147

NOTESDE LECTURE

et l'ducationpoliti la foisla moralereligieuse


o s'intgrent
mandations
sur ce
quelquestmoignages
que et sociale. D'autre part,ds qu'mergent
sujet, partirdu xncsicle,ce sonttoujoursdes hommes,et le plus soula plume.La transmission
de la foi par les femventdes clercsqui tiennent
faite
mes,commele noteNicoleBriou(p. 51 70), s'est effectivement
et de manire
l'intrieur
des familles
ainsipournous
orale,devenant
purement
inaccessible.
Bien plus,l'auteurmontrecommentle dveloppedoublement
mentde la prdication
aux xne et xinesicles,rpondant un relbesoin
de transmission
de la saine doctrine
ncessaire, a faitdu prdicateur,
mentecclsiastique,
la sourcede toutetransmission
de la foi dans l'glise.
Le prdicateur
se substitue
littralement
de ce fait la mre nourricire

les mtaphores
surle planspirituel,
commel'attestent
comme
qui le prsentent
mredes mes. Le renouveaupastoralaboutitdonc tablirdfinitiveen positionsubalterne
mentles femmes
dans le processusde transmission
de
la foi. Le but est de contrler
autantque possiblela parolefminine
qui
doitse cantonner
l'apprentissage
par les enfantsdu Pater, du Credoet des
le discourscatchtique
tantdsormais
rserv
Commandements,
principaux
au prdicateur.
excluesdu domainede la Parole,les femmes
se sontreplies
Quasiment
surles imageset surles livrespieuxraliss leurusagecommele montrent
les contributions
de DominiqueRigaux(p. 71 90) et de DanileAlexandreBidon(p. 91 122). Si la femmeestincontestablement
une utilisatrice
privilgiedes imagestantpourl'ducationdes enfantsque pourl'approfondissementde se proprefoi,ellen'estque rarement
la commanditaire
de ces imale mondede la
ges et restedonc cantonne un rle de relais.Pntrant
vie quotidienne
des femmes
la findu MoyenAge,DanileAlexandre-Bidon
des
y dcleun renouveaudu rle de la femmedans l'ducationreligieuse
de la lecturedans les livreset
enfants,et ce notamment
par l'apprentissage
les abcdaires
des couchessociapieux.On saitpar ailleursque les femmes
les suprieures
de
dpensent
plusd'argentque les hommesdans l'acquisition
livreset d'objetsde pit,un vritableuniversculturelet cultureltypiquementfminin
voyantainsile jour la findu MoyenAge. Tous ces objets
entourent
aussi l'enfant, qui la mrefaittoucherson livred'Heures,son
commeon le voitdans tantde reprsentations
chapelet,son crucifix,
picturalesprobablement
fondessurune ralit.Enfin,la mreoccupeune place
fondamentale
dans la catholicisation
des faitset gestesde la vie quotidienne,
vritableenseignement
par imprgnation.
Les tudesconcernant
la priodemdivalese terminent
par une contributiond'EstrellaRuiz-Calvez
de l'iconographie
de sainte
(p. 123 155)traitant
Anne entrele xve et le xviiesicles.Mre de la ViergeMarie,mais aussi
d'autresenfantsissusde prcdents
mariagesqui donnentlieu la reprsentationiconographique
de la SainteParent,Anneestun personnage
trscontrovers
au MoyenAge : la foismreexceptionnelle
et mrenaturelle,
sa
elle est vritablement
la croise
personnalit
reposesur une ambivalence,
de deuxmondes.Ses multiples
montrent
comme
patronages
qu'on la considre
une femmed'exprience
et de savoir-faire...
donton doitventuellement
se
mfier.
le plussouventcommechefde famille,
de la ligne
Reprsenter
origine
terrestre
du Christ,qui ne peuttreque matrilinaire,
elle estaussicellequi
tientle livredans lequella Viergeapprend lire.Anneestdoncle plussouventreprsente
dansl'exercice
de fonctions
habituellement
dvoluesaux hommes: chefde famille,
originede la ligne,matred'colece qui expliquepeuttrel'usage masculinqu'on fitde ce prnom la findu MoyenAge. Ce

15:30:29 PM

148

NOTESDE LECTURE

n'estqu'aprsle concilede Trenteque sainteAnnedeviendra


dans l'iconoet la sage mnagre
affectueuse
graphiela grand-mre
qui apprend lire
sa filletouten se livrant quelquestravauxde couture.
liraenfinavec beaucoupde profitles articlestraitant
Le mdiviste
du
de la foi l'poque de la Rforme,
rle des femmesdans la transmission
celuide GraldChaix (p. 157 172) qui traited'une famille
en particulier
de Cologneau xviesicle,et celui de MarianneCarbonnierde conseillers
comment
les partisans
de la Rforme
ont
Burkard(p. 173 192)qui montre
- la rsurgence
d'une prdication
fminine.
pu accepter- momentanment
GeneviveBhrer-Thierry
GeneBrucker,Giovanniet Lusanna.Amouret mariage Florencependant
de
la Renaissance
, traduitde l'anglaispar RmyLambrechts,
avant-propos
Christiane
Aix-en-Provence,
Alina, 1991, 125p., ill.
Klapisch-Zuber,
En 1455 Florence,un procspeu communfutplaiddevantle tribunal piscopal.Le mariagede GiovanniDella Casa, filscadet d'une riche
famillede marchandset de banquiers,avec une des fillesde la puissante
familledes Rucellai,taitcontestpar Lusanna,filleet veuved'artisans,
futconque Giovannitaitdj son poux.L'instruction
laquelleaffirmait
l'un des prlatset juristesles plusremarquables
fie l'archevque
Antonin,
et les plus respectsdu xvcsicle. L'affairesecoua Florence,elle eut des
du pape. Quelques
politiqueset se terminapar l'intervention
rpercussions
aux Archives
d'Etat
cetteaffaire,conserves
de notairesconcernant
minutes
GeneBrucker.L'intrt
de l'historien
l'attention
de Florenceattirrent
granfinitpar tourdes deuxamantsflorentins
dissantde l'auteurpourl'histoire
qu'il y consaner,de son propreaveu, l'obsession.Le travailde recherche
la transnotariales
surles minutes
qui contiennent
cra,fondessentiellement
du procset surle catasto, nous a valu ce livre,sortien 1986aux
cription
En voici,enfin,la belletraduction
tats-Unis.
franaise,
qui vientopportude plus en plus abondanteconsacre l'hisune littrature
nmentenrichir
; il raconteuneavenLe livrerelvede la micro-histoire
toiredes femmes.
tured'amour,de mariageet de divorce, clairepar le regardd'un hisde Florence
torienqui connat fondla ralitsociale,politiqueet culturelle
au xvesicle.
Les litigestouchant la validitdu mariage- demandesde lgitima- n'taient
d'avoir
tionou de dissolution
pas rares.Il estdoncfortintressant
d'uneaffaire
l'occasionde suivrel'instruction
parle notaire
qui a tconsigne
du tribunalen des minutesexceptionnellement
compltes.Nous trouvonsl
de la justice,avec les conflits
un aperudu fonctionnement
opposanttribunal laque et tribunalpiscopal,le jeu des avocats,la volontecclsiastique
de rendreune justicelibrede considrations
politiques.Le conflitentreles
deuxamantseut des chosdans toutle mondepolitique,socialet religieux
de Florence.
de rangsocialentreGiovanniet Lusannaqui frappeen
C'est l'ingalit
si ce n'estqu'elle
lieu. Leur liaisonen soi n'avaitriend'tonnant,
premier
dura douze longuesannes- avantet aprsla mortdu maride Lusanna
- et surtout,
LorsqueGiovanni
par un mariageclandestin.
qu'ellese termina
le droitchemin en pousant,commeil se doit,une
tentede reprendre
trsjeunefemmedu mmerang,Lusannase rvolte.Voil doncune femme,

15:30:36 PM

NOTESDE LECTURE

149

et de surcrotde conditionmodeste,qui ose porterplainte.La figurede


Lusannase dtache; elle tonne,par son action,par son courage,par ses
maisd'unefaonmoinsbienmmes,commeellea pu surprendre,
ambiguts
de son temps.En portantplainte,ellejouaitsa rpules Florentins
veillante,
tationet Thonneur
de sa famille.L'opiniond'alorstaittoutnaturellement
l'garddes mmesactionscommisespar Giovanni- le
plus indulgente
doublestandarddontparleC. Klapisch-Zuber.
Les prtentions
inhabituelles
de jeunessed'un homme
de Lusannachoquaient
bienplusque les frasques
richeet hautplac. Le tribunal
tranchaen faveurde Lusanna,
ecclsiastique
maismalheureusement
nousne savonspas quelsmotifsl'ont faitpencheren
sa faveur.
Les deuxamantstaientoriginaires
du mmequartier,
de la paroisseSan
un tableau
Lorenzo,et une des qualitsdu livreest de nous en prsenter
trsvivant.Voisins,amis,relations
du travaildu mariet du prede Lusanna,
tous gensappartenant
au mondedes artisans,taientaussi lis Giovanni
ou par le parrainage
; Giovannilui-mme
par leurprofession
paraissaittrs
l'aise dans ce milieu,maiscettemobilitverticale
ses
avait,naturellement,
limites.Socialement,
toutsparaitLusannaet Giovanni,et l'auteurdlimite
clairement
leurappartenance
deuxmondesbiendistincts.
L'ided'uneunion
aussidisparatedevaitdoncchoquerle milieuartisanalmodesteautantqu'elle
taitinacceptable
au milieude Giovanni.Ainsiles tmoinsde la crmonie
du mariage,qui appartenaient
au mmemilieuque Lusanna,taientaussi
les tmoinsau procs,mais citspour la pluparten faveurde Giovanni.
La clbration
du mariagede Giovanniet Lusannaprsentait
des anomalies.Il lui manquaitdes lments
du rituelqui servaient
commegagesde
la lgitimit
de l'union.Giovanniayantrefusla dot,il n'yavaitpas de contratde mariage.Clbr l'insude la famillede Giovanni,le mariagen'avait
Plus grave,l'uniontaitdpourvuede l'assise
pas eu la publicitncessaire.
socialeet familialequi lui confrait,
aux yeuxdes contemporains,
toutson
sens.L'histoirede Giovanniet Lusannamontre quel pointil est difficile,
en cas de discorde,de dmontrer
la validitd'un mariagereposantsur le
seul consentement,
mmesi celui-citaitle fondement
du mariagechrtien.
Giovanni,
Lusanna,
Ambigut
qui a pu permettre
malgrson attachement
de se mnagerune portede sortie.
La paroleestdonneaux gensque nousn'entendons
: femque rarement
en toutvingt-cinq
tmoinssur les trente
mes,artisans,ouvriers,
serviteurs,
et un appels.L'cho de leurvoixnous parvient
avec une tonnante
immdiatetet leursproposont des accentsqui sontfamiliers
toutlecteurde
nouvellestoscanes.Boccace,Sacchetti,Sermini- pour ne nommerqu'eux
- nousontdj ouvertles espacesprivsde la Toscanedes xive-xve
sicles,
et nous pouvonsainsisituerles protagonistes
dans leurenvironnement
quotidienet mieuxcomprendre
leurmentalit,
leursractions,
leursmotivations.
Giovannireprsente
bienla jeunessedoreflorentine.
Lusannapar sa volont
et son couragese distingue
du milieudes travailleurs
artisans; elle rappelle
certaineshronesdes nouvelles.Mais le pape, en renversant
finalement
la
dcisionpiscopale,donna gain de cause aux puissants.
Le livreraconteunebellehistoire,
maispar sa mthodeet par l'efficace
il est aussi un instrument
de travailsur la socitflorentine
bibliographie,
du xvesicle.
Lada Hordynsky-Caillat

15:30:36 PM

150

NOTESDE LECTURE

Claude Gauvard, De graceespecial. Crime


, tat et Sociten France
de la Sorbonne,1991,2 volumes,
la findu MoyenAge, Paris,Publications
1 025 p.
une histoire
L'ouvragede MadameClaudeGauvardn'estpas seulement
le vol, le viol ou l'homicide,la
du crimeaux xiveet xvcsiclescar derrire
et se punissent
maniredontils se disent,se prouvent
(premire
partie),c'est
toutela socitde la findu MoyenAge qui apparat: un mondeordinaire
partie)et codifi(quatrime
(secondepartie),solidaire(troisime
partie).Conconcernant
la crimina une longuetradition
trairement
historiographique
socialeunehistoire
fait de l'histoire
descas sociaux
lit,qui a tropsouvent
le crimesanglant,
extraorpas l'exotisme,
(p. 5), ClaudeGauvardne recherche
cellequi
dinaireou marginal,maiselle s'attache la criminalit
ordinaire,
jour la socitet ses valeurs.Les sourcesutiliseset la
permetde mettre
l'tudeau centred'un problme
souplacentncessairement
priodeconsidre
de l'tatmoderne.Par consquent
l'auteurse
ventdbattu: la construction
d'tatcontrele crimeparticipe
de cetteconsdemandesi la luttedes instances
? Le titrede l'ouvrageindiquebien qu'il s'agit d'tudierles relatruction
tionscomplexesqui se nouententre crime,tat et socit.
Mmesi le matriaude base est enrichide chroniques,
journaux,rcits
Claude Gauvarda essentiellement
de crimes,traitsthoriques,
coutumiers,
arrtset plaidoieries
du Parutilisdes sourcesjudiciaires: accords,lettres,
du Chatelet,
le rgnede CharlesVI, registres
doculement
de Parisconcernant
et urbaines,et surtout,
sourcepriviaux justicesseigneuriales
mentsrelatifs
Celle-cipeuttredfiniecomme
lgiede cettetude: la lettrede rmission.
un actede Chancellerie
par lequelle roi octroieson pardon la suited'un
ainsi le coursordinairede la justice,qu'elle
crimeou d'un dlit,arrtant
(p. 63). C'est pourcette
urbaineou ecclsiastique
soitroyale,seigneuriale,
:
sourceque Claude Gauvarda appliquune mthodequantitative
dernire
du Trsordes charmanantde 11 registres
7 500 lettres
onttdpouilles,
750 lettresont faitl'objetd'un dpouiltes,couvrantla priode1380-1424.
en six grandsthlementinformatis
qui comprend172donnesregroupes
sortdu coupableaprsle
dclinaison
mes: aspectdiplomatique,
d'identit,
du crimeet octroide la rmission.
du crime,droulement
crime,participants
L'auteura tout faitconscience
que ces sourcesne donnent voirque la
relle (p. 9) et qu'il existeune sortede
face mergede la criminalit
avantleur
justice-parallle
, manantde la socitqui rsorbeles conflits
et qui nous chappecompltement.
apparitionsur la scnecontentieuse
sont
ont commisun homicideet 16 /oseulement
57 % des criminels
trsvoisinsde ceux calculspar Jacimpliqusdans les vols, pourcentages
pourAvignon(Les justicesdu Pape. Dlinquanceet crimiques Chiffoleau
nalitdans la rgiond *Avignonau xiVesicle,Paris, 1984). Il y a peu de
entrele crime la campagneet le crime la ville,mmepour
diffrence
Claude Gauvardcritique
commeun cas particulier,
Paris,souventprsent
les travauxde BronislavGeremekqui lie tropsystmatiquement
criminalit,
et ceux de E. Cohen suivantlequel la criseserait
et marginalit
migration
relativedes vols, dans la secondemoitidu
l'origined'une augmentation
parisiens
XIVesicle,aux dpensdes homicides.Bien peu de criminels
au mondedes exclus.L, commeailleurs,on note le nomappartiennent
(p. 472).
ordinaire
au profildsesprment
de criminels
breimpressionnant
sontplusmarquesentrele crimecommisdansl'espacepriv
Les diffrences
l'homicidedomine
dansl'espacepublic.Dans ce dernier
et celuiqui s'inscrit

15:30:41 PM

NOTESDE LECTURE

151

le vol, dontla sanctiontoualorsque l'espaceprivaccueilleplusvolontiers


attache la proprit.
La violenceest
jourstrssvreprouvel'importance
99 % de coupableset 79 %
: les homicides
plussouventmasculine
impliquent
de victimes
de sexemasculin.
Les femmes
sontpluttimpliques
dansles vols:
Le privprotgeles femmes
et les valorise; le publicles exposeet les marginalise (p. 346). La femmeest plus souventvictimeque coupable,mme
si Claude Gauvardmontretoutle respectqui entourele sexe fminin
la
findu MoyenAge. Les jeunessontcertesplus mobileset par consquent
leursdlitssontcommisplus loin du domicile,mais l'ge n'expliquepas le
n'a pas d'originestrictement
crime.De mmece dernier
sociale.Commepour
au mmemilieusocialet toutes
Avignon,coupableet victimeappartiennent
les couchesde la populationsontreprsentes.
des letL'imagedes criminels
tresde rmission,
ne correspond
finalement,
pas celledonnepar les sources narratives
et lgislatives.
Claude Gauvardobserveensuiteles rseauxde relationsqui entourent
la victimeet le coupable: solidaritvillageoise(confrrie,
voisinage,amis),
et spirituelle)
et conjugale.Lienstrsfortsqui expliquent
parentale
(naturelle
meurtriers
sontrares.En gnral,la justiceroyale,par pruque les conflits
trsrespectueuse
de ces solidarits.
L'tat s'estaccommod
dence,se montre
du code de l'honneurde la socitqu'il cherchede plusen plus encadrer.
Cetteviolencede la findu MoyenAge n'estpas gratuite.
Elle n'estpas,
commele suggreNorbertlias, le produitd'une agressivit
que la civilisationdes murs n'auraitpas encorerussi affiner
. Codifie,ritua la surviede la socit.Le crimeestavanttoutune
lise,elle estncessaire
de l'ordresocial.
rparation
L'auteurconsacrede trsbellespages (chapitres
16 et 17) la fama
bafouequi demandevengeance(sentiment
80 % l'originedes homiciLe dlitet la qualitsocialedu criminel
sonttoujoursdcrits
des)et rparation.
avec minutiecar l'honneurde la partiebafouedoittrerestitu
pointpar
point.Dans cette socit honneur, avantle crime,il y a presquetoujourschangeverbaux,
gestesou injures.L'auteurnouslivrealors la ronde
des jurons de la fin du MoyenAge. Ce typede vengeancedclineau
xvesicleparceque l'honneurblessconcernede plus en plus l'individuet
de moinsen moinsla famille(On assiste au lentcheminement
de la resen matire
(p. 787) et parceque la notion
individuelle
criminelle
ponsabilit
de paix progresse
dans l'opinionpublique.
Face cettesocitet ses rglespropres,que faitl'tat? Il contrecarrecettefaida touten la respectant
car il sait que la venprofondment
l'honneurbafou.Il en combatplus
geanceest la rponseindispensable
les excsqui engendrent
d'autrescrimeset qui, par consquent,
ne rparent
on trouvela clauderoyalesuivante: satisfacpas. Dans 90 % des lettres,
tionsoitfaictea partiesi faiten'est. La rmission
ne faitdonc que prcide la paix, lorsquel'tat a peu que le crimene dgnre
piterle rglement
en vendetta.Il existebien un frein,un rgulateur
interne la socitqui
ne doitrien l'tat. Le roi,finalement
s'imposecommeun recourset tente
de substituer
la peine la vengeance.Il veutaussi copiersa
prudemment
conduitesur celle du Christ,fairede son royaumeune copie ici bas du
royaumede Dieu, la rmission
royalese lit alors commeune grcedivine.
Au-delde cettevolontvidente
le roia conscience
d'imitation,
qu'en accordant sa grce,il aide sauverles mes. La misricorde
royaleest bien
d'essencereligieuse.
Dans le chapitre18,l'auteurse penchesurles peineset montreparfaite-

15:30:41 PM

152

NOTESDE LECTURE

Aux xive et xvcsicles,dans une socito le sacr


mentleur relativit.
domine,les crimesde parjure,de blasphmeou de murs(violsde jeunes
enceintes
ou de nouveauxns),jugs normes
de femmes
,
filles,meurtres
sontles plus condamns.Ils sontperuscommeinfiniment
plus gravesque
en causeles valeursde la socit.A ct
les cas d'homicidecar ils remettent
de l'homicideet du crimecontrele sacr,mergeun troisime
typede dlit:
la plus videnteest le
le crimepolitique.Ce dernierdontla manifestation
crimede lse-majest
( qui acquiertsa vie propreentre1350 et 1450
condamn
et rendcompted'un pouvoirroyal
(p. 946),est,luiaussisvrement
qui s'affirme.
La maniredontles peinessontdonnesfontapparatrele sujetidal
ncessairement.
Ce dernier
estsoitl'homme
pourlequella grcedoitintervenir
de l'tat
d'armessoit le bon prede familleayantun travail,respectueux
la grceapparatcommeunesortede rcomet de la socit.Pourle premier,
pensepour servicerenduau roi. Pour le secondelle est la reconnaissance
. Ce sujetidal deuxvisagesrenpar l'Etatdu modledu prud'homme
voie au seul clivagenet de la socit (p. 427) : noble/nonnoble.
de
Commeon peutle constater
aprsce rapidesurvoldes conclusions
l'auteur, partirde la violenceet du crime,c'est toutela socitdes xivc
et xvesicles,dans toutesses dimensions,
qui apparat.On sait avec prcidu tempset de l'espace
l'appui,les modesde perception
sion,pourcentage
siclesdu MoyenAge (chapitre
des deuxderniers
des hommes
11),la mfiance
celui qui est n d'estranges
avec laquelleles individusperoivent
pas ,
la rgion,
dansunepoquede crises o les hommesd'armes,trangers
l'espace.
perturbent
On est surprisde constater
que le retourdes troisflaux et la naisde l'poque,
fondamentales
deuxdonnespourtant
sancede l'tatmoderne,
surles spcificits
du crime la findu Moyen
exercent
une faibleinfluence
Claude Gaude la criminalit,
Age. Ainsi,en rvlantles traitsstructurels
aux jeuneshisElle donnegalement
vardfaitaussiuvreanthropologique.
en n'tantjamaisdupede ses sourtoriensuneformidable
leonde mthodes
parces, ne perdantjamaisde vue qu'elletravaillesurun typede document
ticulier
et que, quel que soitce qui estdit,le mobilede la lettreestla grce
sontgauchis,surou sous-valus,
les renseignements
et que, par consquent,
qu'il y a
occults,pour obtenirla grceroyale.Claude Gauvarddmontre
de la partdes suppliants.
d'information
volontaire
quelquefoisune rtention
En ce qui concernela dclinaison
d'identit,
par exemple,seulssontretenus
les lments
qui doitse conclurepar une
qui vontservir la dmonstration
De mme,elle penseque, lorsde la dclinaison
peineou par l'acquittement.
sont
ou le velcirca, qui marquel'imprcision,
de l'ge l'absencede mention
de l'ge et la pardes mentions
entrel'imprcision
La disparit
volontaires.
de l'espaceest tropimportante
de la perception
faiteprcision
pourne pas
doivent
les criminels
En fait,pourtregrcis,
tresignificative.
qu'ils
signifier
dansce domaine, tre
au Royaumeet ontdonctoutintrt,
appartiennent
au regardde la grce.Il esttoutaussi
prcis.L'ge n'a pas cetteimportance
car
que les ges des plusjeunessoientplus souventmentionns
significatif
Ces lacunessontdoncmoins
attnuante.
la jeunesseesttoujourscirconstance
la grce.
un faitd'ignorancequ'un souci de chercher
une tudedu vocabulaire
Claude Gauvardse livresystmatiquement
les mots: crime,vrit,accuser,dnonpoursavoirce qui se cachederrire
le senset l'emploichezles thocer,aveu,etc.,sanscesseen en recherchant
riciensdu temps,afinde les comparer l'utilisation
qui en est faitedans

15:30:41 PM

153

NOTESDE LECTURE

ces dernires,
nouspermetles sourcesqu'elletudie.Elle citeabondamment
ou d'une chroniquedu
tantd'apprcierla saveurd'une lettrede rmission
temps.
doncunebrillante
Le crimeobservpar ClaudeGauvardpermet
synthse
surla socitau tempsde CharlesVI. Les valeursqui rgissent
celle-cisont
la construction
de l'tat. Par consquent
il n'existepas
cellesqui servent
d'oppositionsmajeuresentretat et socitpour luttercontrele crime.
On ne peutque se rjouirque cet excellent
travailuniversitaire
ait t
rcompens
par deuxprix: PrixGobert1991de l'Acadmiedes Inscriptions
et Belles-Lettres
et Prix Malesherbes1992 de l'AssociationFranaisepour
l'Histoire
de la Justice.
sa reconnaissance
en dehors
Rcompenses
qui montrent
du champdes spcialistes.
Puisse aussi cet ouvrage,centrsur la violence
et le crime,longtemps
dans la
, aider construire
rputs moyengeux
mmoirecollective un autreMoyenAge !
DidierLett

15:30:41 PM

Mdivales
25, automne
1993,pp.154-157
LIVRES REUS

Antitus, Posies, d. critiquepar Manuela Python, Genve : Droz,


1992 (Textes littrairesfranais).
Mario Ascheri (sous la dir. de), Antica legislazionedella Repubblica
di Siena, Siena : Il Leccio, 1993.
MauriceAymard, Claude Grignon et FranoiseSabban (sous la dir.
de), Le temps de manger. Alimentation,emploi du temps et
rythmessociaux, Paris : Maison des sciencesde l'Homme et InstitutNational de la Rechercheagronomique, 1993.
Dominique Barthlmy, La socit dans le comt de Vendmede
l'an mil au XIv sicle, Paris : Fayard, 1993.
Maria Rita Berardi (d. par), Civilt medioevale negli Abruzzi,
vol. II, Testimonianze,L'Aquila : Colacchi, 1992.
Jacques Berlioz et Marie-AnnePolo de Beaulieu (sous la dir. de),
Les Exempla mdivaux. Introduction la recherche,suivie des
tables critiquesde /'Index exemplorumde Frederic C. Tubach,
s. 1. : Garae/Hesiode, 1992.
Sofia Boesch Gajano (d. par), Civilt medioevale negli Abruzzi,
vol. I, Storiografae Storia, L'Aquila : Colacchi, 1990.
Alain Boureau, L'vnement sans fin. Rcit et christianismeau
Moyen Age, Paris : Belles Lettres, 1993 (coll. Histoire).
Monique Bourin et Pascal Chareille (tudes runiespar), Gense
mdivale de l'anthroponymiemoderne, tomes II-l, Persistance
du nom unique. Le cas de la Bretagne. L'anthroponymiedes
clercset II-2, Persistancedu nom unique. Dsignationet anthroponymie des femmes. Mthodes statistiquespour l'anthroponymie, Tours : Publications de l'Universitde Tours, 1992.
Paolo Cammarosano, Italia medievale. Strutturae geografia delle
fonti scritte,Roma : La Nuova Italia Scientifica,1991.
CaterinaCaneva et Paolo Pirillo, La Croce di Figline.Storia e vita
di un Monastero, Florence: Opus Libri, 1993.
Silvia Cappelli et Franca Doccini, Paganico : Statutidella communit (secolo XV), Grosseto: Ministeroper i beni ambientalie culturali, Archivio di Stato di Grosseto, Associazione pro loco di
Paganico, 1993.
Elisabeth Carpentier, Une ville devant la peste. Orvietoet la peste
noire de 1348, 2e dit. revue, Bruxelles: De Boeck Universit,
1993 (Bibliothque du Moyen Age).

15:30:48 PM

155

LIVRESREUS

Bernard Chevalier (d. par), Les pays de la Loire moyennedans


le trsordes Chartes. Berry
, Blsois, Chartrain
, Orlanais, Touraine, 1350-1502(Archivesnationales, JJ80-235), Paris : dit. du
Comit des Travaux Historiques et Scientifiques,1993 (coll. de
doc. ind. sur l'histoirede France, srie in-8, vol. 22).
Chrtien de Troyes, rec et nide, d. critique,prs, et notes de
Jean-Marie Fritz, Paris : Livre de Poche, 1992 (Lettres
gothiques).
Georges Comet, Le paysan et son outil. Essai d'histoire technique
des crales (France, vnie-xvesicle), Rome : cole Franaise de
Rome, 1993 (Coll. de l'c. Fr. de Rome, 165).
PhilippeContamine, Marc Bompaire, StphaneLebecq et Jean-Luc
Sarrazin, L'conomie mdivale, Paris : Armand Colin, 1993
(coll. U, srie Histoire mdivale).
AndreCourtemanche, La richessedes femmes.Patrimoineset gestion Manosque au XIVesicle, Paris-Montral: Vrin-Bellarmin,
1993.
Jacques Dalarun, La sainte et la cit. Michelinede Pesaro (t 1356),
tertiaire
, Rome : cole Franaisede Rome, 1992 (coll.
franciscaine
de l'c. Fr. de Rome, 164).
Dom Jacques Dubois et Jean-Loup Lematre, Sources et mthodes
de l'hagiographiemdivale, Paris : Cerf, 1993 (coll. Histoire).
Firmicus Maternus, Mathesis, livresI et II, d. et trad, par Pierre
Monat, Paris : Belles Lettres, 1992.
Robert Fossier, Hommes et villages d'Occident au Moyen Age,
Paris : Publications de la Sorbonne, 1992.
Hilario Franco Jr.,As utopias medievais,So Paulo : editoriabrasiliense, s.d.
Gerbert de Montreuil, Le Roman de la Violette
, xiiiesicle, trad,
et prs. par Mireille DEMAULES, Paris : Stock, 1992 (Moyen
Age).
Gui d'Arezzo, Micrologus,trad, et comm. de Marie-Nol Colette
et Jean-Christophe
Jolivet, Paris : d. IPMC La Villette,1993.
Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose,
d. et trad, par Armand Strubel, Paris : Livre de Poche, 1992
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OlivierGuyotjeannin, Le Moyen Age, ve-xvesicle, Paris : Fayard,
1992 (Archivesde l'Occident,sous la dir. de Jean FAVIER, t. I).
Anne-Marie Hayez (d. par), Le terrieravignonnais de l'vque
Anglic Grimoard (1366-1368), Paris : dit. du Comit des Travaux Historiques et Scientifiques,1993 (coll. de doc. ind. sur
l'histoirede France, srie in-8, vol. 21).
Charles Higounet, Villes, socits et conomies mdivales, Bordeaux : Fdrationhistoriquedu Sud-Ouest, Univ. de Bordeaux
III, 1992 (tudes et documentsd'Aquitaine).
L'Histoire des moines d'Egyptesuivie de la Vie de saint Paul le Sim-

15:30:48 PM

156

LIVRESREUS

pie, d. critiquede MichelleSzkilnik, Genve : Droz, 1993 (Textes littrairesfranais).


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mdivales, Paris : Klincksieck,1991 (Sapiences).
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poche, 1992 (Lettres gothiques).
Socit des HistoriensMdivistesde l'EnseignementSuprieurPublic,
Le clerc sculier au Moyen Age, Actes du XXIIeCongrs de la
SHMESP, Amiens1991, Paris : Publicationsde la Sorbonne,1993
(srie Histoire ancienne et mdivale, 27).
Socit des HistoriensMdivistesde l'EnseignementSuprieurPublic,
Villages et villageoisau Moyen Age, Paris : Publications de la
Sorbonne, 1992 (srie Histoire ancienne et mdivale, 26).
Gerd Tellenbach, The Church in WesternEurope from the Tenth
to theEarly TwelfthCentury
, Cambridge: CambridgeU.P., 1993
(Cambridge Medieval Textbooks).

15:30:48 PM

LIVRESREUS

157

Suzanne Tunc, Les femmesau pouvoir. Deux abbesses de Fontevraud


aux XIIe et XVIIesicles, Paris : Cerf, 1993 (Parole prsente).
mile Van Balberghe, Les manuscritsmdivaux de l'abbaye de
Parc, Bruxelles: Alain Ferratonet mile Van Balberghe, 1992.
Michel Zimmermann (coordonn par), Les socits mridionales
autour de l'an mil. Rpertoiredes sources et documentscomments, Paris : CNRS, 1992 (coll. Sud).
Michel Zink, Introduction la littrature
franaise du Moyen Age,
Paris : Livre de poche, 1993 (Rfrences).

15:30:48 PM

NOS LECTEURS
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UN

HTTI

BOURGEOIS

PARISIEN

DU

GEOFFROY

DE

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SIECLE

SAINT-LAURENT

E-1
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1245?- 1290
Par Anne TERROINE
Edit par Lucie FOSSIER

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auxArchives
nationales
d'un
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jusqu'alors
: cerecueil
estenfait
uncartulaire
est l'origine
decetouvrage
d'actes
priv,
compos
Saint-Magloire,
Apartir
decedocument,
duXIIIe
deSaint-Laurent.
surl'ordre
d'un
sicle,
Geoffroy
parisien
bourgeois
delafortune
dupersonnage.
D'autre
les
delaconstitution
l'auteur
s'est
attach
suivre
lestapes
part,
deretrouver
satrace
en
luiontpermis
lesfonds
d'archives
minutieuses
recherches
effectues
dans
L'auteur
estainsi

dejustices
etd'arbitre
descours
dejuge
ecclsiastiques.
parvenu
apprci
qualit
fort
d'une
classe
sociale
l'histoire
d'un
modeste,
jusqu'ici
peuconnue.
reprsentant
camper
bourgeois
celui
despetits
courtilliers
du
tout
unmonde
c'est
autravers
decepersonnage,
qu'elle
voque,
renomms
del'poque,
celui
des
desjuristes
dela capitale,
celui
deSaint-Laurent,
proche
village
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l'tendue
droite.
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dela Rive
L'ampleur
prodigieuse
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cetouvrage
tout
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- -

--

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5 Paris
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|[
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THSAURUS
DES

IMAGES

MDIVALES

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lgus en masses considrablespar le pass, grce la constitution
d'iconothqueset de banques d'images interrogeablespar ordinateur.
Le Thsaurusdes images mdivalespropose un systmesimple
recherchant la fois la rapiditdans la productiondes bases de donIl a dj t adopt avec
nes et l'efficacitlors de leur interrogation.
succs pour plusieursralisations,notammentpour les bases de donnes iconographiquesdes vidodisques de la Bibliothque vaticane.
Le Thsaurus des images mdivales se veut un guide pratique
et facile manier. Il comporte 180 pages o l'on trouvera:
- l'expos des principesgnraux d'indexation;
- les principaleslgendes normalises;
- les listesdes descripteurs
retenus,rpartisen cinq grandschamps
(thmes, personnages,lieux, lmentsnaturels,objets) ;
- des fichesthmatiquesdfinissantprcismentl'emploi des termes et proposant des solutions aux problmes concrets que pose
l'indexation;
- les listes des termesgnriqueset spcifiques.
Le Thsaurusdes imagesmdivalesa t mis au point, l'cole
des Hautes tudes en Sciences Sociales, par le Groupe Images du
Groupe d'AnthropologieHistorique de l'Occident Mdival (Centre
de RecherchesHistoriques, unit mixte C.N.R.S.).
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des Victoires 75002PARIS)
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Cond-sur-Noireau
S.A.- 14110
Achev
(France)
Imprimeur,
parCorlet,
d'imprimer
enC.E.E.
1994- Imprim
: janvier
: 1269- Dptlgal
Nd'Imprimeur

15:30:54 PM

/';-=09

)(8*=-0/']

15:30:54 PM

ISSN 0751-2708

N 25 AUTOMNE

SOMMAIRE

1993

LA VOIX ET L'CRITURE

La voixet l'criture
: mergencesmdivales
MichelBANNIARD

oraleen latin la findu


Sulpice Svretmoinde la communication
IVesiclegallo-romain
JacquesFONTAINE

17

Potiquelatineet potiquevieil-anglaise:
pomesmlantles deux langues
AndrCRPIN

33

Les deuxvies de saintRiquier:


du latinmdiatiqueau latinhiratique
MichelBANNIARD

45

Les langagesen paysceltique


MichalRICHTER

53

hispanique(vme-XPsicle)
Sociolinguistique
RogerWRIGHT

61

ESSAIS ET RECHERCHES
L'ide de la folieen texteet en image:
SbastianBrandtet Yinsipiens
AngelikaGROSS

71

Le sourireaux anges :
au MoyenAge (xir-xvesicle)
enfanceet spiritualit
ric BERTHON

93

Le pouvoirde la parole:
Adamet les animauxdans la tapisseriede Grone
HilarioFRANCO Jr

113

Abstracts

129

Notesde lecture

I3

Livresreus

154
Prix : 80 F

15:30:54 PM

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