Dictee
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s dlicieux dans le soir, le premier jour, lorsqu'on les avait poses au ciel de la pice sur l'tagre suspendue et qu'elles taient l-haut, comme des lunes pleines, comme des soleils pour l'estomac. [...] Le premier jour aprs la cuisson et mme encore le lendemain, le pain tait un gteau. On en mangeait par plaisir, tout sec. La maison en tait embaume, deux jours. Aprs, il n'tait plus tout fait une fte, et vers la fin on avait envie du nouveau pain car le vieux tait dur, craquel de scheresse et en aot et septembre lgrement moisi. Ainsi, mesure que diminuait la provision suspendue, naissait la joie de l'attente. On n'aurait rien fait pour la prcipiter.Marie ROVANET - Henri JURQUET, Apollonie, Presses Pocket, 1990. ___________________________________________________________________________ Paysage algrien Il faut beaucoup de temps pour aller Djmila. Ce n'est pas une ville o l'on s'arrte et que l'on dpasse. Elle ne mne nulle part et n'ouvre sur aucun pays. C'est un lieu d'o l'on revient. La ville morte est au terme d'une longue route en lacet qui semble la promettre chacun de ses tournants et parat d'autant plus longue...Dans cette splendeur aride, nous avions err toute la journe. Peu peu, le vent peine senti au dbut de l'aprs-midi semblait grandir avec les heures et remplir tout le paysage. Il soufflait depuis une troue entre les montagnes, loin vers l'est, accourait du fond de l'horizon et venait bondir en cascades parmi les pierres au soleil. Sans arrt, il sifflait avec force travers les ruines, tournait dans un cirque de pierres et de terre, baignait les amas de blocs grls, entourait chaque colonne de son souffle et venait se rpandre en cris incessants sur le forum qui s'ouvrait dans le ciel. Je me sentais claquer au vent comme une mture.Albert CAMUS, Noces.Indication marque au tableau : Djmila. ___________________________________________________________________________ (Le narrateur est en train de djeuner, quand survient un visiteur inattendu, un petit lzard) Quand j'tais enfant, j'avais toujours un ou deux lzards dans mon pupitre. Je les nourrissais avec des mouches, dont ils sont trs friands, et, comme j'avais pour attraper ces insectes des moyens suprieurs aux leurs, mes lzards me rendaient en amiti ce que je leur donnais en nourriture.L'apparition du charmant petit visiteur me fit donc le plus grand plaisir, et je recommandai Goujon, qui habitait le rez-dechausse et qui, par consquent, se trouvait avec lui en relation plus directe que moi qui habitais le premier, de faire tout ce qu'il pourrait pour l'apprivoiser : huit jours aprs la chose tait faite, et il venait boire dans la cuillre de Goujon sa part de notre th ; huit jours aprs il mangeait des mouches dans sa main ; enfin il en arriva ce point de familiarit que, passant par le poignet de sa manche, il sortait par l'ouverture de sa chemise, sur la poitrine.Alexandre DUMAS, Histoire d'un
lzard.___________________________________________________________________________ Le nom de l'auteur, le titre de l'uvre et le nom propre "Goujon" sont inscrits au tableau.
Un singulier enfant que mon frre Jacques ; en voil un qui avait le don des larmes ! D'aussi loin qu'il me souvienne, je le vois les yeux rouges et la joue ruisselante. Le soir, le matin, de jour, de nuit, en classe, la maison, en promenade, il pleurait sans cesse, il pleurait partout.Quand on lui disait : "Qu'as-tu ?" il rpondait en sanglotant : "Je n'ai rien." Et, le plus curieux, c'est qu'il n'avait rien. Il pleurait comme on se mouche, plus souvent, voil tout. Quelquefois mon pre, exaspr, disait ma mre : "Cet enfant est ridicule, regardez-le... c'est un fleuve." A quoi elle rpondait de sa voix douce : "Que veux-tu, mon ami ? Cela passera en grandissant ; son ge, j'tais comme lui."En attendant, Jacques grandissait ; il grandissait beaucoup mme, et cela ne lui passait pas.D'aprs Alphonse DAUDET, Le Petit Chose, Le Livre de poche, 1977, p. 14.Jacques est mentionn au tableau. ___________________________________________________________________________ Le journaliste arracha la bande de papier qui venait de jaillir du tlscripteur, la parcourut et apprit avec stupeur que l'immeuble de son propre journal tait en feu, que les secours taient dj sur place, que des victimes avaient dj t dnombres et que le prfet de la rgion s'tait rendu sur les lieux du sinistre.Un peu perplexe quant la crdibilit de cette information, il se pencha par la fentre pour en vrifier l'exactitude. Il vit alors les effectifs de deux casernes de pompiers lutter contre des flammes s'chappant des issues de l'immeuble avec une telle violence qu'il douta un instant que ce fussent bien des flammes.Il reprit alors la dpche et en lut avec plus d'attention le contenu. C'est ainsi qu'il dcouvrit son nom sur la liste des rescaps. Un peu tranquillis par cette nouvelle, il poursuivit, apais, la rdaction de sa chronique hebdomadaire intitule : "Le temps qu'il faisait hier".Claude BOURGEYX, Les Petits Outrages. ___________________________________________________________________________ Je suis sorti avec le soleil. Il naissait au ras des nuages, aprs la route. La campagne tait immobile. Je suis all vers le cdre et m'y suis appuy. En face, le terrain vague se dcoupait nettement entre ciel et terre. Il s'tendait jusqu'au retour de la route, deux ou trois cents mtres plus loin, et disparaissait sur la gauche, derrire le premier virage. De l'autre ct, trente pas du cdre, les paves formaient un enchevtrement mtallique demi dissimul par un nuage de brume. Sept ou huit carcasses rouilles, un amoncellement de tles froisses, piles, dmolies, encastres derrire une butte de terre sur laquelle l'herbe poussait, rase. Quelque chose en elles accrocha mon regard : une couleur plus vive, un dtail que je n'eus pas le temps de dfinir...Dan FRANCK, Le Cimetire des fous, Flammarion,
1989.___________________________________________________________________________ Il est rappel que les chiffres et les nombres doivent tre crits en toutes lettres, que le narrateur est un homme et que sont copis au tableau le nom de l'auteur, le titre et l'diteur. Elle tait tenace et dure. Leve cinq heures, couche onze, elle expdiait toutes ses affaires avec une ponctualit, une prcision et une dtermination exemplaires. Autoritaire, paternaliste, n'ayant confiance en personne, sre de ses intuitions comme de ses raisonnements, elle avait limin tous ses concurrents, s'installant sur le march avec une aisance qui dpassait tous les pronostics, comme si elle avait t en mme temps matresse de l'offre et de la demande, comme si elle avait su, au fur et mesure qu'elle lanait de nouveaux produits sur le march, trouver d'instinct les dbouchs qui s'imposaient [...]Elle inspectait les ateliers au pas de course, terrorisait les comptables et les dactylos, insultait les fournisseurs qui ne respectaient pas les dlais, et prsidait avec une nergie inflexible des conseils d'administration o tout le monde baissait la tte ds qu'elle ouvrait la bouche.Georges PEREC, La Vie mode d'emploi.
___________________________________________________________________________ Une bonne soire Un grand feu de broussailles et de pommes de pin flambait dans la salle. Deux couverts y taient mis. Les meubles arrivs sur la charrette encombraient le vestibule. Rien ne manquait. Ils s'attablrent.On leur avait prpar une soupe l'oignon, un poulet, du lard et des ufs durs. La vieille femme qui faisait la cuisine venait de temps autre s'informer de leurs gots. Ils rpondaient : "Oh ! trs bon, trs bon !" et le gros pain difficile couper, la crme, les noix, tout les dlecta. Le carrelage avait des trous, les murs suintaient. Cependant ils promenaient autour d'eux un regard de satisfaction, en mangeant sur la petite table o brlait une chandelle. Leurs figures taient rougies par le grand air. Ils tendaient leur ventre ; ils s'appuyaient sur le dossier de leur chaise, qui en craquait, et ils se rptaient : "Nous y voil ! quel bonheur ! Il me semble que c'est un rve !"Gustave FLAUBERT, Bouvard et Pcuchet. ___________________________________________________________________________ Le train filait, toute vapeur, dans les tnbres.C'tait par une nuit sans lune, sans air, brlante. On ne voyait point d'toiles, et le souffle du train lanc nous jetait quelque chose de chaud, de mou, d'accablant, d'irrespirable.Partis de Paris depuis trois heures, nous allions vers le centre de la France sans rien voir des pays traverss.Ce fut tout coup comme une apparition fantastique. Autour d'un grand feu, dans un bois, deux hommes taient debout. Nous vmes cela pendant une seconde : c'tait, nous sembla-t-il, deux misrables, en haillons, rouges dans la lueur clatante du foyer, avec leurs faces barbues tournes vers nous, et autour d'eux, comme un dcor de drame, les arbres verts, d'un vert clair et luisant, les troncs frapps par le vif reflet de la flamme, le feuillage travers, pntr, mouill par la lumire qui coulait dedans.Puis tout redevint noir de nouveau.D'aprs Guy DE MAUPASSANT, La Peur, 1882.Indications portes au tableau :- en haillons- d'aprs Guy de Maupassant, La Peur, 1882. ___________________________________________________________________________ Le soleil dclinait dj. J'avais march de longues heures, et rien encore sur ces plaines dcouvertes n'annonait l'approche des ruines dont je cherchais deviner de loin la silhouette brise sur l'horizon plat. Je marchais depuis un moment en direction d'un boqueteau isol et assez dru qui bordait la lagune et vers lequel, mon tonnement, se dirigeaient aussi les traces toutes fraches d'une voiture, qui paraissait avoir emprunt la piste troite et fauch sur son passage les joncs dont j'apercevais partout les tiges brises. Pendant que je me perdais en conjectures sur ce qui avait pu attirer les lieutenants vers ce bois perdu, je perus de manire distincte, peu de distance, le murmure surprenant d'un ruisseau ; les joncs firent place des arbustes entremls, puis au couvert d'un pais fourr d'arbres, et je me trouvai tout coup dans les rues de Sagra (1).Julien GRACQ, Le Rivage des Syrtes. ___________________________________________________________________________ Le taureau sauvage, immobile, fixait le jeune Ramss.La bte tait monstrueuse ; les pattes paisses comme des piliers, de longues oreilles pendantes, une barbe raide la mchoire infrieure, la robe brun et noir, elle venait de sentir la prsence du jeune homme. Ramss tait fascin par les cornes du taureau, [] formant une sorte de casque termin par des pointes acres, capables de dchirer la chair de n'importe quel adversaire.L'adolescent n'avait jamais vu de taureau si norme.L'animal appartenait une
race redoutable, que les meilleurs chasseurs hsitaient dfier [].Christian JACQ, Ramss, le fils de la lumire, p. 13, Robert Laffont, coll. Pocket, 1995.Nom propre crit au tableau : Ramss. ___________________________________________________________________________ (On prcisera, avant de dicter le texte, que la narratrice est une femme) Un soir, en allant me coucher, j'ai fait un rve. La maison brlait. Je me trouvais l'intrieur des flammes. J'essayais d'ouvrir la porte quand j'ai entendu un chien aboyer. Ce chien, d'un seul coup, est devenu une femme qui avait le visage de ma mre. J'aurais volontiers entam une conversation avec elle, mais le feu commenait me chauffer les pieds. J'ai cogn contre la porte en criant : "Aide-moi, ma mre, donne-moi la clef, c'est toi qui donnes tout la maison". Ma mre avait plusieurs clefs. Elle me les a prsentes en disant : "Choisis bien. Surtout ne te trompe pas de clef". J'en ai pris une, au hasard, elle tait lgre comme le temps parfois, quand il passe heureusement. En me rveillant, j'ai cherch savoir pourquoi ma mre morte m'avait arrache la mort. Cela voulait dire, peut-tre, qu'elle voulait que je vive. Cette clef qu'elle m'avait donne tait, peut-tre, celle du temps venir. Un temps heureux, j'en avais eu la preuve en main. Un temps o la porte s'ouvrirait devant ma figure, o je serais libre et c'est ce qui est arriv.Paula JACQUES, Les Femmes avec leur amour, Mercure de France, 1997,chapitre VII, p. 82. ___________________________________________________________________________ Ce fut peu prs ce moment-l que le bruit d'un gong, frapp avec force, remplit la maison. Il tait en effet neuf heures. Je me levai, ajustai mes vtements et descendis prcipitamment. Prvenir que la soupe tait sur la table, que dis-je, qu'elle tait en train de se congeler, tait toujours pour Marthe une petite victoire et une grande satisfaction. Car habituellement j'tais table, la serviette dploye sur ma poitrine, miettant le pain, taquinant le couvert, jouant avec le porte-couteau, attendant qu'on me serve, quelques minutes avant l'heure convenue. Je m'attaquai la soupe. O est Jacques ? dis-je. Elle haussa les paules. Dtestable geste d'esclave. Dites-lui de descendre immdiatement, dis-je. Devant moi la soupe ne fumait plus. Avait-elle jamais fum ? Elle revint. Il ne veut pas descendre, dit-elle.Samuel BECKETT, Molloy, 1988.Ecrits au tableau : Marthe, Jacques. ___________________________________________________________________________ Fabrice chercha un endroit convenable pour voir sans tre vu ; il s'aperut que de cette grande hauteur, son regard plongeait sur les jardins, et mme sur la cour intrieure du chteau de son pre. Il l'avait oubli. L'ide de ce pre arrivant aux bornes de la vie changeait tous ses sentiments. Il distinguait jusqu'aux moineaux qui cherchaient quelques miettes de pain sur le grand balcon de la salle manger. Ce sont les descendants de ceux qu'autrefois j'avais apprivoiss, se dit-il. Ce balcon, comme tous les autres balcons du palais, tait charg d'un grand nombre d'orangers dans des vases de terre plus ou moins grands ; cette vue l'attendrit ; l'aspect de cette cour intrieure, ainsi orne avec ses ombres bien tranches et marques par un soleil clatant, tait vraiment grandiose.STENDHAL, La Chartreuse de Parme.Sont crits au tableau : Fabrice, Stendhal, La Chartreuse de Parme. ___________________________________________________________________________ La vipre bleue
Cela faisait longtemps que les touristes ne s'arrtaient plus devant Brahim (1) et ses serpents. Fatigus, trop gs, sans conviction, les serpents ne rpondaient plus la musique de leur matre charmeur. Il avait beau changer de flte et de mlodie, ils montraient peine leur tte, hagards ou endormis. Une seule solution pour rendre de nouveau le spectacle attrayant : changer d'animaux plutt que d'instruments. Brahim (1) dcida de faire un sacrifice et acheta une vipre brillante, jeune et vive. Elle lui fut amene d'un village rput pour ses reptiles. Il la caressa, la taquina, puis lui joua un morceau de sa composition. Trs doue, elle dansait de manire exceptionnelle, se tortillant souhait, suivant le rythme avec prcision, sortant la langue pour ponctuer la squence. Brahim (1) reprit confiance en lui-mme. Les serpents taient sduits par la vipre bleue.Tahar BEN JELLOUN, Le premier amour est toujours le dernier. (1) Ecrire ce nom propre au tableau. ___________________________________________________________________________ Un dopant est une substance nuisible la sant, utilise pour augmenter artificiellement les performances au cours d'une preuve sportive. Son utilisation, lors des comptitions, est strictement interdite, mais l'augmentation du nombre des champions sanctionns pour dopage montre que les sportifs professionnels se dopent frquemment. Les drogues les plus utilises par les athltes sont les amphtamines. Par leur effet "coupe-faim", elles permettent d'abaisser le poids des jockeys, boxeurs... Elles font aussi reculer la sensation de fatigue. Aprs une stimulation intense des fonctions, le sujet dop a brutalement une sensation d'puisement qui peut aller jusqu' la mort. L'utilisation des dopants est une forme de toxicomanie qui entrane accoutumance et dpendance.Manuel de biologie Belin troisime, p. 149. ___________________________________________________________________________ Parfois, chappant ma vigilance, mon chat profite de l'enchevtrement de la vigne vierge pour escalader le grillage et pntrer dans la basse-cour.Il s'approche d'abord des canards, qu'il sait pacifiques, mais ils ont vite fait de se prcipiter dans la mare.Il se tourne alors vers les poules : sa jouissance mettre en droute ces grosses btes peureuses dcuple son agilit. Il saute sur l'une, barre la retraite d'une autre, ravi de les voir dtaler en poussant des cris.Depuis quelques jours, cependant, il semble avoir renonc cette amusante distraction : la semaine dernire, une poule, plus dgourdie ou plus mchante que les autres, s'est retourne, et son tour, s'est mise le poursuivre, le bec frocement point vers l'ennemi.Le chat n'a sauv l'intgrit de son derrire qu'en bondissant par-dessus la clture. Je crois que cette aventure lui a servi de leon. D'aprs Alain PARAILLOUS, Le Chemin des cablacres, 1998. ___________________________________________________________________________ Au sortir du domaine, l'homme prit la direction du carrefour d'o il avait aperu pour la premire fois les lumires du village.Elles brillaient maintenant d'un clat plus vif, la pluie s'tait arrte de tomber, et la route qui, droite, menait vers elles tait trace droit travers des champs de vigne dont les fils de fer brillaient par endroits.A mi-chemin environ, le cheval ralentit de lui-mme et prit le pas.On approchait d'une sorte de cabane rectangulaire dont une partie, formant une pice, tait maonne et l'autre, la plus grande, construite en planches, avec un grand auvent rabattu sur une sorte de comptoir saillant.Une porte s'encastrait dans la partie maonne sur laquelle on pouvait lire : "Cantine agricole Mme Jacques".De la lumire filtrait sous la porte. L'homme arrta son cheval tout prs de la porte et, sans descendre, frappa.CAMUS, Le Premier Homme.
___________________________________________________________________________ Mon pre avait sa case proximit de l'atelier, et souvent je jouais l, sous la vranda qui l'entourait. C'tait la case personnelle de mon pre.Elle tait faite de briques en terre battue et ptrie avec de l'eau, ronde et firement coiffe de chaume. On y pntrait par une porte rectangulaire. A l'intrieur, un jour avare tombait d'une petite fentre. A droite, il y avait le lit, en terre battue comme les briques, garni d'une simple natte en osier tress. Au fond de la case et tout juste sous la petite fentre, l o la clart tait la meilleure, se trouvaient les caisses outils.Enfin, la tte du lit, surplombant l'oreiller et veillant sur le sommeil de mon pre, il y avait une srie de marmites contenant des extraits de plantes et d'corces. Camara LAYE, L'Enfant noir. ___________________________________________________________________________ Larbre de vie Quand j'tais enfant, ma grand-mre me dit un jour d'aller dans les vieux bois qui se trouvaient proximit de la maison de mes grands-parents au pays de Galles, d'y choisir un grand chne bien robuste, de le serrer aussi fort que je le pouvais et de lui demander d'tre mon grand frre."L'arbre te donnera du courage et de la force", me dit-elle.Ma grand-mre me dit aussi de me dbarrasser de mes peurs et soucis d'enfant, en les murmurant l'arbre, et seulement l'arbre, et que tout finirait par aller bien.En effet, tout s'est toujours bien pass ! Elle me dit de grimper l'arbre, jusqu'au sommet et, l, de respirer le souffle frais et pur de l'arbre qui me donnerait une bonne sant.Ainsi il y eut toujours des arbres dans mon enfance. L'existence des arbres allait de soi. Clive William NICOL.
Ecrire au tableau : pays de Galles. ___________________________________________________________________________ Au sommet du phare Quand nous dbouchmes cent pieds du sol, ce fut comme un ouragan qui nous fouetta le visage, et de tout l'horizon s'leva je ne sais quel murmure irrit dont rien ne peut donner l'ide quand on n'a pas cout la mer de trs haut. Le ciel tait couvert. La mare basse laissait apercevoir entre la lisire cumeuse des flots et le dernier chelon de la falaise le morne lit de l'Ocan pav de roches et tapiss de vgtations noirtres. Des flaques d'eau miroitaient au loin parmi les varechs, et deux ou trois chercheurs de crabes, si petits qu'on les aurait pris pour des oiseaux pcheurs, se promenaient au bord des vases, imperceptibles dans la prodigieuse tendue des lagunes. Au-del commenait la grande mer, frmissante et grise, dont l'extrmit se perdait dans les brumes.Eugne FROMENTIN, Dominique. ___________________________________________________________________________ Civilisation 2190 (1)
Ils enfoncrent htivement la porte coups de talon. Ils entrrent. C'tait une grande pice, sombre et froide comme une caverne, aux murs tapisss de livres. L'air, l'intrieur, avait cent ans.Des gnrations d'araignes avaient tiss des milliers de toiles en vain et taient parties ou mortes, mais les toiles taient restes intactes et se dposrent sur les cheveux des hommes de La Recherche (2) du pass.Il y avait une fentre, mais elle tait noircie et opaque, et lorsqu'ils tentrent de l'ouvrir, le bois se dsagrgea et le verre vola en clats.Le vent glissa dans la pice entre leurs jambes et souleva la poussire, et ils reculrent prcipitamment en se frottant les yeux et en toussant. La lumire caressa les rayons, et ils virent des teintes vives et surprenantes natre dans l'obscurit : des livres.Leurs pas laissaient des traces dans une neige impalpable. Leurs doigts en effleurant le dos des livres les dgageaient de leur gaine d'oubli...Grard KLEIN, Les Perles du temps, Denol.(1) La date sera crite, en chiffres, au tableau. (2) On indiquera aux lves la prsence des majuscules dans l'expression "La Recherche". ___________________________________________________________________________ L'hiver, cette anne-l, fut terrible. Ds la fin de novembre, les neiges arrivrent aprs une semaine de geles. On voyait de loin les gros nuages venir du nord ; et la blanche descente des flocons commena.En une nuit, toute la plaine fut ensevelie.Les fermes, isoles dans leurs cours carres, derrire leurs rideaux de grands arbres poudrs de frimas, semblaient s'endormir sous l'accumulation de cette mousse paisse et lgre.Aucun bruit ne traversait plus la campagne immobile. Seuls les corbeaux, par bandes, dcrivaient de longs festons dans le ciel, cherchant leur vie inutilement, s'abattant tous ensemble sur les champs livides et piquant la neige de leurs grands becs.On n'entendait rien que le glissement vague et continu de cette poussire gele tombant toujours.Cela dura huit jours pleins, puis l'avalanche s'arrta. La terre avait sur le dos un manteau pais de cinq pieds.Et, pendant trois semaines ensuite, un ciel clair comme un cristal bleu le jour, et la nuit tout sem d'toiles qu'on aurait crues de givre, tant le vaste espace tait rigoureux, s'tendit sur la nappe unie, dure et luisante des neiges.Guy de MAUPASSANT, Conte de Nol. ___________________________________________________________________________ Bock sortit, respira, s'assit sur un banc. On tait en semaine, il faisait gris et froid, le jardin n'tait peupl que de vieilles personnes et d'enfants en bas ge, avec des mres et des chmeurs. Soudain le ciel couvert redoubla d'paisseur, une lueur sombre tomba comme la nuit sur les choses, du vent fit courir quelques objets lgers la surface du sol : signes avant-coureurs d'une averse qui dferla en effet aussitt, avec fougue.Bock courut vers un petit groupe spontanment form sous le couvert d'un large pica. Il s'essuya le visage de sa manche mouille, croisa les bras, frictionna ses paules sans un regard vers les vieillards et les enfants qui tremblaient d'enthousiasme devant la pluie violente.Jean ECHENOZ, Cherokee. On crira au tableau "Bock" et "pica". ___________________________________________________________________________ Simone est assise en face de moi, vtue d'une robe fleurs, elle aussi, les mains plat sur la toile cire.Qu'est-ce que tu veux que je te raconte ?Elle ne risque pas d'avoir un muse familial, elle : ni cave ni grenier ; et, dans ce mouvement perptuel que fut son existence, elle n'emportait que le minimum : quelques meubles, quelques objets, de la vaisselle, du linge, comme ces nomades dont toutes les proprits tiennent dans un sac ou une malle. Ses souvenirs sont dans sa tte, et dans trois botes
chaussures qu'elle ouvre en se pourlchant un peu les lvres, comme si elle allait y dcouvrir des sucreries. Elle ttonne un instant, puis elle en tire, comme pour me rendre hommage, mes livres qui sont l, bien serrs, couverts de papier marron, des photos, des cartes que je lui ai envoyes, les faire-part de naissance de mes enfants, quelques articles de journaux o on parle de moi.Jean JOUBERT. __________________________________________________________________________ Je me revois, marchant dans la campagne sans pense particulire ni but prcis. La neige tait tombe en quantit norme toute la nuit, et maintenant quelques gros flocons sans vigueur voletaient dans un ciel absent. En quelques minutes, je perdis de vue les dernires granges et la haute ligne des pylnes qui permettait de s'orienter par tous les temps. Je longeai un pr en pente et parvins un petit bois. C'tait l que, dix ans plus tt, j'allais jouer aprs la classe avec mon ami Jean-Marc, aujourd'hui prfet en Bretagne. Je me souvenais qu'un matin de mai ou d'avril, alors qu'une lune ple glissait en plein jour sur les arbres, j'avais aperu deux belettes qui se poursuivaient au milieu des troncs coups. La plus avise signala ma prsence sa compagne par des glapissements que j'entends encore.Jean-Pierre MILOVANOFF, Le Matre des paons, Julliard, 1997. ___________________________________________________________________________ Un vgtarien dmasqu Elle ouvrit la porte de l'appartement avec prcaution afin de ne pas troubler le travail du pre et, sur la pointe des pieds, passa devant la porte du bureau pour gagner la cuisine. La moquette touffait compltement le bruit des pas. Une lgre odeur de graisse et de brl flottait dans le couloir.Avec le mme luxe de prcautions, Roberte ouvrit la porte de la cuisine et resta cloue au seuil, la gorge serre, les yeux agrandis par l'horreur du spectacle. M. Berthaud, assis sur la table de la cuisine, les paules courbes sur son assiette, mangeait un biftque saignant qu'il venait de faire sauter la pole. Sur son ventre tait nou le tablier de cuisine de Julia. La pole, encore luisante d'un jus onctueux, tait pose sur le fourneau gaz, ct d'une assiette de beurre.Marcel AYME, Le Boeuf clandestin, Folio n 512, p. 30. ___________________________________________________________________________ Grand-pre dormait trop longtemps quelquefois ; son visage devenait rigide, son long nez se tirait, sa bouche s'ouvrait en long. Christophe le regardait avec inquitude et craignait de voir sa tte se changer en une forme fantastique. Il chantait plus fort pour le rveiller, ou il se laissait dgringoler grand fracas de son talus de pierres. Un jour, il inventa de lui jeter la figure quelques aiguilles de pin, et de lui dire qu'elles taient tombes de l'arbre. Le vieux le crut : cela fit bien rire Christophe. Mais il eut la mauvaise ide de recommencer ; et, juste au moment o il levait la main, il vit les yeux de grand-pre qui le regardaient. Ce fut une mchante affaire : le vieux tait solennel et n'admettait point la raillerie sur le respect qu'on lui devait ; ils restrent en froid pendant plus d'une semaine.Romain ROLLAND, JeanChristophe. ___________________________________________________________________________ Nous avions atteint la rgion des aigles. De loin en loin, nous apercevions un de ces nobles oiseaux perch sur une roche solitaire, l'il tourn vers le soleil, et dans cet tat d'extase contemplative qui remplace la pense chez les animaux. L'un d'eux planait une grande hauteur et semblait immobile au
milieu d'un ocan de lumire. Romero ne put rsister au plaisir de lui envoyer une balle en matire de carte de visite. Le plomb emporta une des grandes plumes de l'aigle, et l'aigle, avec une majest indicible, continua sa route comme s'il ne lui tait rien arriv. La plume tournoya longtemps avant d'arriver terre, o elle fut recueillie par Romero qui en orna son feutre.Les neiges commenaient se montrer par minces filets, par plaques dissmines, l'ombre des roches ; l'air se rarfiait ; les escarpements devenaient de plus en plus abrupts ; bientt ce fut par nappes immenses, par tas normes, que la neige s'offrit nous, et les rayons du soleil n'avaient plus la force de la fondre.Thophile GAUTIER, Voyage en Espagne. ___________________________________________________________________________ Nous tions maintenant l'escorte habituelle de la jeune fille. Une dizaine, peu prs.Tous ceux qui l'approchaient, ceux auxquels elle parlait, ceux qui jouaient avec elle, formaient, autour d'elle, une sorte de cour d'amour ; c'taient ses chevaliers. Les chevaliers de Fermina Marquez, donc, taient admirs de tous les lves, et peut-tre mme des plus jeunes parmi les surveillants. De ces belles promenades dans le parc, nous ne rapportions plus l'odeur du tabac fum en cachette, mais le parfum des petites Amricaines. Etait-ce le granium ou le rsda ?C'tait un parfum indfinissable, un parfum qui faisait penser des robes bleues et mauves, et blanches, et roses, de grands chapeaux de paille souple ; et des rouleaux et des coquilles de cheveux noirs, et des yeux noirs, tellement grands que le ciel doit s'y reflter tout entier.Valry LARBAUD, Fermina Marquez, 1911. ___________________________________________________________________________ " Le jour du spectacle arriva. Je pouvais prvoir tout ce qui allait se passer. J'tais dans l'indiffrence la plus complte jusqu'au moment o j'entrai dans ma loge ; alors mon cur se mit battre. En scne, je fus surpris par l'extraordinaire solennit, le calme et l'ordre qui y rgnaient. Aprs l'obscurit des coulisses, les feux de la rampe et les projecteurs m'blouissaient. J'tais compltement aveugl. " Constantin Stanislavski, La formation de l'acteur. Bibliothque Payot, 1993. ___________________________________________________________________________ Mon trs cher et honor mari, Nous venons d'avoir au chteau la visite du jeune baron de Rosemberg, qui s'est dit votre ami et envoy par vous. Bien qu'un secret de cette nature soit ordinairement gard par une femme avec justice, je vous dirai toutefois qu'il m'a parl d'amour. J'espre qu' ma prire et recommandation vous n'en tirerez aucune vengeance, et que vous n'en concevrez aucune haine contre lui. C'est un jeune homme de bonne famille et point mchant. A. de Musset, Barberine, III, 11 ___________________________________________________________________________ "Tous mes souvenirs d'enfance sont bien purils, comme l'on voit, mais si chacun de mes lecteurs fait un retour sur lui-mme en me lisant, s'il se retrace avec plaisir les premires motions de sa vie, s'il se sent redevenir enfant pendant une heure, ni lui ni moi n'aurons perdu notre temps ; car l'enfance est bonne, Petite
candide, et les meilleurs tres sont ceux qui gardent le plus ou qui perdent le moins de cette candeur et de cette sensibilit primitives." George Sand, Histoire de ma vie. ___________________________________________________________________________ C'tait toujours les mmes dparts. La sparation d'avec la terre s'tait toujours faite dans la douleur et le mme dsespoir, mais a n'avait jamais empch les hommes de partir...Lorsque l'heure du dpart approchait, le bateau lanait trois coups de sirne, trs longs, d'une force terrible, ils s'entendaient dans toute la ville et du ct du port le ciel devenait noir. Les remorqueurs s'approchaient alors du bateau et le tiraient vers la trave centrale de la rivire. Lorsque c'tait fait, les remorqueurs larguaient leurs amarres et revenaient vers le port. Alors le bateau encore une fois disait adieu, il lanait de nouveau ses mugissements terribles et si mystrieusement tristes qui faisaient pleurer les gens, non seulement ceux du voyage, ceux qui se sparaient mais ceux qui taient venus regarder aussi, et ceux qui taient l sans raison prcise, qui n'avaient personne qui penser. Marguerite DURAS, L'Amant ___________________________________________________________________________ Je te l'ai dit, je suis une vieille carcasse qui s'ennuie. J'ai eu tout ce qu'une vieille femme peut raisonnablement et mme draisonnablement souhaiter. L'argent, la puissance, les amants. Maintenant que je suis vieille, je me retrouve aussi seule que lorsque j'tais une petite fille qu'on faisait tourner en pnitence contre le mur. Et ce qui est plus grave, je me rends compte qu'entre cette petite fille et cette vieille femme, il n'y a eu, avec beaucoup de bruit, qu'une solitude pire encore.Toutes les femmes sont pareilles. Ma petite Juliette, elle, sera sauve parce qu'elle est romanesque et simple. C'est une grce qui n'est pas donne toutes.
Jean Anouilh,Le Bal des voleurs, Tableau IIRpliques de Lady Hurf. ___________________________________________________________________________ En ce moment, les moulins situs sur les chutes de l'Indre donnaient une voix cette valle frmissante, les peupliers se balanaient en riant, pas un nuage au ciel, les oiseaux chantaient, tout y tait mlodie. Ne me demandez plus pourquoi j'aime la Touraine. Je ne l'aime ni comme on aime son berceau, ni comme on aime une oasis dans le dsert ; je l'aime comme un artiste aime l'art ; je l'aime moins que je ne vous aime, mais sans la Touraine, peut-tre ne vivrais-je plus. Sans savoir pourquoi, mes yeux revenaient au point blanc, la femme qui brillait dans ce vaste jardin. Je descendis, l'me mue, au fond de cette corbeille, et vis bientt un village que la posie qui surabondait en moi me fit trouver sans pareil. D'aprs Honor de Balzac,Le Lys dans la valle. ___________________________________________________________________________ Article 32*
Les Etats reconnaissent le droit de l'enfant d'tre protg contre l'exploitation conomique et de n'tre astreint aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son ducation ou de nuire sa sant ou son dveloppement physique, mental, spirituel, moral ou social. Article 24* Les Etats reconnaissent le droit de l'enfant de jouir du meilleur tat de sant possible et de bnficier de services mdicaux et de rducation. Ils s'efforcent de garantir qu'aucun enfant ne soit priv du droit d'avoir accs ces services. Article 31* Les Etats reconnaissent l'enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et des activits rcratives propres son ge, et de participer librement la vie culturelle et artistique. Convention Internationale des Droits de l'Enfant * On crit ces nombres en chiffres et pas en lettres. ___________________________________________________________________________ Ce miracle, M. Havard l'avait attendu jusqu'alors.Lorsqu'il vit au contraire que l'on s'arrtait devant son cachot, lorsqu'il comprit qu'on allait ouvrir la porte, il lui apparut brusquement que les miracles n'existaient point, qu'il ne fallait pas les attendre, que sa dernire heure tait venue.La cl tourna dans la serrure.Lentement les rouages fonctionnaient.Il fallait peut-tre une seconde pour que la porte s'ouvrt, cette seconde devait durer un sicle pour l'agonisant qu'tait M. Havard.Enfin, trs lentement, le battant de la porte s'cartait. M. Havard eut alors l'impression qu'une vive clart illuminait la pice.Depuis qu'il tait dans le noir, ses yeux s'taient dilats. Il fut bloui par la lumire, il ne vit pas, il crut qu'il ne voyait pas celui qui entrait...Une voix murmurait simplement :- Vous tes bien l ? Pierre Souvestre et Marcel Allain, Fantmas, La srie rouge, 1913 ___________________________________________________________________________ Vous aviez une grande glace qui faisait tout le mur derrire la barre, je ne sais pas pourquoi j'tais tourn vers cette glace et je voyais l'immeuble d'en face qui se rflchissait l, dans la lumire grise du petit matin. A l'horizontale de nous dans cet immeuble, il y avait un homme, accoud sa fentre, qui nous regardait en fumant, j'ai eu un coup la tte, j'ai dit "mais c'est lui, c'est le...". Et ce moment-l, un bruit pouvantable, la bote de cassoulet qui explosait dans la cuisine, on l'avait oublie pas mme ouverte sur le camping-gaz. Tout cela, Estelle, a me revient, tous les dtails, on a pleur plus d'une fois ensemble, et voil que je repleure et c'est encore cause de vous. Quand on est revenus dans votre cathdrale (tu te rappelles, j'appelais votre grande pice une cathdrale), l'homme avait disparu et on s'est endormis sur le parquet.
Est-ce que je fais mal de ramener tout a ? Ma premire visite chez vous, comment veux-tu que j'aie oubli, et toi as-tu oubli, je ne veux pas le croire, non je me refuse le croire. Pierrette FLEUTIAUX, Nous sommes ternels, 1990 Lettre de Vlad Estelle ___________________________________________________________________________ Ds qu'un homme cherche le bonheur, il est condamn ne pas le trouver, et il n'y a point de mystre ldedans. Le bonheur n'est pas comme cet objet en vitrine, que vous pouvez choisir, payer, emporter ; si vous l'avez bien regard, il sera bleu ou rouge chez vous comme dans la vitrine. Tandis que le bonheur n'est bonheur que quand vous le tenez ; si vous le cherchez dans le monde, hors de vous-mme, jamais rien n'aura l'aspect du bonheur. En somme on ne peut ni raisonner ni prvoir au sujet du bonheur ; il faut l'avoir maintenant. Quand il parat tre dans l'avenir, songez-y bien, c'est que vous l'avez dj. Esprer, c'est tre heureux. Alain, Propos, 18 mars 1911 ___________________________________________________________________________ Je me mets au travail avec l'ardent dsir de raliser un bon devoir. Je dcris mon attente prs du poste de garde, la lumire d'automne sur la ville, la ptisserie, le petit chemin, la maison, la colline, le silence, parle de mon admiration pour le chef, de sa femme et de leur petite fille, du plaisir que j'ai eu manger ma faim. Ensuite, aux heures que je vis la caserne, parfois si grises, si lourdes, si lentes s'couler, j'oppose celles que j'ai connues au cours de cet aprs-midi, mais qui ont pass si vite que je n'ai pu les savourer. Et je termine en essayant de recrer l'motion qui m'a treint cet instant o nous tions tous quatre sur la terrasse. Charles Juliet, L'anne de l'veil, J'ai lu, 1988. ___________________________________________________________________________ Remarque : la narratrice est une jeune fille. Ce que j'aimais le plus, c'tait voir le soleil se coucher l'ouest, sur les collines qui deviennent comme des nuages bleus. La maison de ma mre est un appartement au sixime tage, sous les toits, sans vue et presque sans soleil. Il y a deux petites fentres basses, fermes par des grillages cause des rats. Je me souviens ce que j'ai ressenti quand je suis entre dans cet appartement pour la premire fois. Non pas pour passer, comme quand on va voir une pauvresse, mais pour y vivre, pour y rester des mois, des annes. Un dsespoir comme jamais je n'avais imagin, un trou noir, je tombais en arrire sans espoir de pouvoir remonter. C'tait le plein hiver, il pleuvait, la nuit tombait tt. La nuit semblait monter de tous les soupiraux, des portes des maisons pour envahir les ruelles de la vieille ville. J.M.G. Le Clzio, Printemps et autres saisons, Gallimard, 1989.
___________________________________________________________________________ Le bois s'paissit, l'obscurit devint profonde. Des bouffes de vent chaud passaient, pleines de senteurs amollissantes. Il enfonait dans des tas de feuilles mortes, et il s'appuya contre un chne pour haleter un peu.Tout coup, derrire son dos, bondit une masse plus noire, un sanglier. Julien n'eut pas le temps de saisir son arc, et il s'en affligea comme d'un malheur.Puis, tant sorti du bois, il aperut un loup qui filait le long d'une haie. Julien lui envoya une flche. Le loup s'arrta, tourna la tte pour le voir et reprit sa course. Il trottait en gardant toujours la mme distance, s'arrtait de temps autre, et, sitt qu'il tait vis, recommenait fuir. Gustave Flaubert, Trois contes, "La Lgende de saint Julien l'Hospitalier". ___________________________________________________________________________ Un jour, bien des annes auparavant, quand la fort recouvrait beaucoup plus de terres et qu'elle s'tendait dans toutes les directions, quand les hommes ne pensaient pas encore abattre les arbres pour planter le cacao, qui n'tait pas encore arriv d'Amazonie, Jeremias se rfugia dans cette fort. C'tait un jeune noir qui fuyait l'esclavage. Les chasseurs d'esclaves le poursuivaient ; il pntra dans la fort habite par les Indiens et jamais plus n'en sortit. Jorge AMADO, Les Terres du bout du monde, trad. I. Meyrelles, Gallimard, 1994. ___________________________________________________________________________ Vers 1900, un camarade de classe prsente Marcel Pagnol un nouvel objet. Il m'expliqua que cet appareil s'appelait un "stylographe", que son pre le lui avait rapport d'Angleterre, et qu'il permettait d'crire pendant une semaine sans s'arrter ; enfin, quand il tait vide, on pouvait le remplir de nouveau en tirant sur une sorte de piston.Il voulut m'en montrer le fonctionnement : mais il n'tait pas encore trs habile au maniement de cette mcanique anglaise, et ne russit qu' lancer un jet soudain d'encre indlbile sur son magnifique cahier neuf.J'en ressentis un si vif plaisir que je lui pardonnai aussitt la possession d'une merveille dont il ne saurait jamais se servir. Marcel Pagnol, Le Temps des Secrets. ___________________________________________________________________________ Duroy marmottait toujours : "Quand on commandera feu, j'lverai le bras". Et il pensa qu'un accident de
voiture arrangerait tout. Oh ! Si on pouvait verser, quelle chance ! S'il pouvait se casser une jambe ! Mais il aperut au bout d'une clairire une autre voiture arrte et quatre messieurs qui
pitinaient pour s'chauffer les pieds ; et il fut oblig d'ouvrir la bouche tant sa respiration devenait pnible. Les tmoins descendirent d'abord, puis le mdecin et le combattant. Rival avait pris la bote aux
pistolets et il s'en alla, avec Boisrenard, vers deux des trangers qui venaient eux. Duroy les vit se saluer avec crmonie puis marcher ensemble dans la clairire en regardant tantt par terre et tantt dans les arbres, comme s'ils avaient cherch quelque chose qui aurait pu tomber ou s'envoler. Puis ils comptrent des pas et enfoncrent avec grand-peine deux cannes dans le sol gel. Ils se runirent ensuite en groupe et ils firent les mouvements du jeu de pile ou face, comme des enfants qui s'amusent.