Absence
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À propos de ce livre électronique
Absence est une collection de courtes histoires rafraîchissantes et effrayantes de la main Laura Diaz de Arce.
Profitez de contes d'humains se métamorphosant en bêtes, d'une géante pieuvre affectueuse, d'un ancien conte grec dans le métro, d'un bouc-garou fan de Sinatra, d'un voyage dans un musée en Enfer, et bien plus.
Qu'est-ce qui relie ces contes dans cette œuvre éclectique qui touche une variété de genres, de tons et de styles ? L'exploration des différentes étapes du deuil. Comme dans MONSTROSITY: Tales of Transformation, les lecteurs trouveront des écrits qui toucheront leurs cordes sensibles tout en livrant de l'horreur sanglante.
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Aperçu du livre
Absence - Laura Diaz de Arce
ABSENCE
LAURA DIAZ DE ARCE
TRADUCTION PAR
MARIE-PIER DESHAIES
© Laura Diaz de Arce, 2024
Conception de la mise en page © Next Chapter, 2024
Publié en 2024 par Next Chapter
Édité par Gabriel Svreis
Couverture illustrée par CoverMint
Ceci est une œuvre de fiction. Les noms, personnages, lieux et situations décrits dans ce livre sont purement imaginaires : toute ressemblance avec des personnages ou des événements existant ou ayant existé n’est que pure coïncidence.
Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite ou transmise sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, électronique ou mécanique, y compris la photocopie, l’enregistrement, ou par tout système de stockage et de récupération d’informations, sans la permission de l’auteur.
Para mis abuelos.
(Pour mes grands-parents)
NOTE DE L’AUTEURE
Cher lecteur, chère lectrice,
Ceci est une collection symbolisant le deuil. Durant les dernières années, je me suis trouvée dans un état perpétuel de dépression persistante qui, quoique tolérable, me pesait. Plusieurs œuvres de cette collection reflètent ce moment de ma vie où je tâchais de surmonter mon incapacité à traverser et vivre mes deuils. Les histoires, même si la plupart font partie de la catégorie horreur, traduisent ces efforts de recadrer mes diverses nuances de deuil en quelque chose d’amovible et perméable. Mes tentatives d’exciser ces émotions témoignent de mon écriture sur des thèmes et des scènes douloureuses pour moi. Et ça inclut la mort, la mutilation, la mort et la mutilation d’enfant, la mort et la mutilation d’animaux, l’horreur corporelle, la violence, le cannibalisme, des allusions à des fausses couches et la consommation de nourriture crue. Veuillez bien y réfléchir si vous continuez votre lecture.
Laura Diaz de Arce
TABLE DES MATIÈRES
Absence
À la dérive en eaux calmes
Frijoles
Un grand vent solitaire
Un meurtre dans les plaines
Croque-Douleur
La Bête aux multiples visages
Le Diable s’assit sur le dernier banc
De mémoire
Chasse à l’iguane
L’iode
Ceux qui flottent
Cordes sensibles
Les étrangers dans la nuit
Des jetons sous la langue
Il ne reste plus que du rêve
Cher lecteur
Remerciements
À propos de l’auteure
Renseignement de publication
ABSENCE
Ma tête frappa l’oreiller et je me dis que, comme les autres nuits à la suite de journées épuisantes, je m’endormirais rapidement. Je fermai les yeux, ma respiration ralentit, mais les minutes s’écoulèrent, les heures s’égrainèrent et je ne dormais toujours pas. Je me tournais dans tous les sens, je testai plusieurs positions différentes. Les heures s’étirèrent. Et je ne dormais pas.
J’avais vécu plusieurs bouleversements récemment. Le renflement dans mon ventre s’était dégonflé à cause de l’absence d’intrusion et je pouvais maintenant m’étendre dessus. Le sommeil était à présent mon seul salut. Ma vie était passée de possibilités momentanées et de compagnie constante à une solitude tranquille en l’espace de quelques jours. Ce type de deuil, auquel je ne voulais plus jamais faire référence, était une tendance dans ma vie. C’était devenu une seconde nature de brûler les souvenirs des disparus en un tas de cendres pour les balayer au loin. Le sommeil m’y aidait grandement. Ça aurait dû être facile de fermer les yeux et de m’abandonner à l’oubli. Au lieu de cela, le sommeil m’évita toute la nuit.
Le jour suivant la première nuit sans sommeil, je tentai de rester sympa, quoiqu’à certains moments, j’échouai et démontrai mon mécontentement. La deuxième nuit, je m’étendis à nouveau et, le sommeil m’éludant toujours, l’effroi m’envahit. Le lendemain, je me sentis submergée par la colère. Une rage qui n’explosait pas ; qui ne parvenait pas à évacuer l’énergie en moi. Elle gonfla, comme une furie, et continua à faire trembler mon corps, incapable de se détendre.
À la dixième nuit, je délirais. Le jour et la nuit ne faisaient plus de sens. Sans notion du temps, j’errais sans but dans la maison. Je ne mangeais pas de repas réguliers, ne prenant que des bouchées de trucs traînant dans le réfrigérateur, à portée de main. Le temps s’écoulait, mais je n’en avais pas conscience. Je me sentais figée, mes gestes rappelant ceux d’une vidéo décalée. J’étais ici. Puis là. Sans transition ni passage. L’avant et l’après.
À la douzième nuit, je ne dormais toujours pas. Je pris un instant pour m’admirer dans le miroir de la salle de bains. Des yeux bouffis et des épaules affaissées. Mon corps m’était maintenant étranger, impossible pour lui d’agir comme demandé. J’en éprouvai des douleurs que je ne pouvais ignorer. Face à moi, j’aperçus une fissure dans le miroir et je traçai du bout du doigt le rebord dentelé. Une perle de sang ruissela le long du miroir. Je frappai le verre, qui se fracassa dans ce même mouvement retardé qui était devenu endémique à ma condition. Mon image se divisa en milliers de petits fragments.
Il n’y avait aucun mur derrière le verre. Il s’y cachait un long paysage sinueux. De couleur grise, autant le chemin que l’herbe de chaque côté. Le ciel également, parsemé de nuages argentés et anthracite. Je grimpai sur le lavabo et déposai mes pieds ensanglantés sur le gravier. Je dus avancer, parce qu’avant longtemps, quand je regardai derrière moi, ma salle de bains n’y était plus.
Épuisée, je m’enfonçai de plus en plus loin sur le sentier en relevant d’autres bizarreries. Des plantes pivotaient sur elles-mêmes. Des arbres tordus et des buissons tourbillonnants parsemaient le paysage de part et d’autre du chemin. Aucun animal n’était visible, mais des bruits les trahissaient. D’étranges cris d’oiseaux jaillissaient de nulle part. Tout comme des battements d’ailes ou le bourdonnement des insectes, quoique je n’apercevais rien. J’avais cette impression qu’une bande sonore jouait au-delà de l’environnement. L’empreinte de choses qui s’étaient déjà trouvées ici, mais qui avaient disparu.
Puis, je m’introduisis dans le jardin des mains.
Elles poussaient en paires sur des tiges en bois, de tous âges, formes et couleurs. Un insigne était installé devant :
PRENEZ UNE PAIRE
—
LAISSEZ UNE PAIRE
Il était accompagné d’une table conviviale en bois garnie d’un bloc de boucher à carreaux et un imposant hachoir.
Mes mains n’avaient jamais été mes amies. Maladroites, petites et constamment douloureuses. Plusieurs paires attrayantes poussaient sur leurs tiges, en plusieurs couleurs et formes. Une paire tout près ressemblait pas mal aux miennes, mais elles étaient plus musclées à quelques endroits, avec de plus longs doigts élégants. Sans toutes les cicatrices que les miens avaient accumulées.
La paire était facile à arracher de sa tige, sans instrument nécessaire. J’emportai les mains à la table et les y déposai. La droite se déplaça vers le couteau, tandis que la main gauche me faisait signe de poser mes mains sur la table. En deux rapides coups, mes vraies mains me furent enlevées. Mes anciennes paluches s’enfuirent sur le bout des doigts jusqu’aux tiges et disparurent.
Ces nouvelles mains possédaient de jeunes doigts avides de toucher au monde autour d’eux. Elles me tendirent vers le bas pour parcourir l’herbe douce. Nous marchâmes le long du chemin jusqu’aux arbres, mes nouvelles mains et moi. Elles caressèrent l’écorche rugueuse, noueuse et fragmentée et tirèrent les feuilles cireuses en glissant les doigts le long des veines.
J’entendis un bruit très familier, mais je ne le replaçais pas. Le miaulement fort d’un vieux chat. Il s’approcha de moi et je pus détailler son visage effrayant, dû aux dents manquantes. Il s’arrêta devant moi et s’assit sur ses pattes arrière. Les mains se mirent à le flatter avant de, finalement, sauter sur mes poignets au moment où le chat se tournait et nous enjoignait de le suivre. Les mains adoptées se cousirent elles-mêmes à mes moignons et nous honorâmes l’invitation du chat.
Il nous mena à un oranger. La plupart des feuilles étaient flétries et les fruits, rabougris et ratatinés. Je cueillis quelques oranges sur la branche, arrachai leur pelure et les séparai en petits quartiers acidulés. Elles étaient amères, mais à chaque bouchée, je me rappelais un ancien rêve.
À LA DÉRIVE EN EAUX CALMES
Les océans n’étaient jamais aussi calmes qu’ils le paraissaient. Même quand les vagues étaient rythmées et que le ciel était clair, quelque chose était tapi sous la surface. Lorsqu’il faisait chaud, que le soleil était à son paroxysme et que les tempêtes d’après-midi n’avaient pas roulé encore, l’océan laissait filtrer la lumière à travers les couches inférieures. Dans ces conditions, les animaux du bas pouvaient voir près de la surface. Rayure Rouge apercevait le ciel grâce à son excellente vision, quoiqu’il confondît parfois les gros nuages avec les vastes bateaux qui sillonnaient l’eau.
Le long des fonds marins, son petit œil observait les mouvements des autres créatures. Aucune n’était aussi grande et puissante que lui. Même s’il en mangeait beaucoup, il éprouvait de l’affection pour ces bêtes inférieures. En tant qu’être le plus puissant et le plus imposant de la vie marine, on l’affublait du titre de protecteur. Lorsque d’énormes navires tiraient leurs filets et chassaient sur son terrain, il attaquait les créatures à la surface jusqu’à ce qu’elles s’enfuient ou se transforment en nourriture. Elles répliquaient souvent, le picossant comme les petits êtres inférieurs contrariés par sa présence qu’ils étaient, mais aucune ne rivalisait avec ses aptitudes, à bouger et à rouler de façon aussi grandiose que les vagues.
Un jour où la vue était claire comme du cristal, Rayure Rouge aperçut l’ombre de quelque chose qui se déplaçait lentement le long du sol marin. Il pointa son gros œil vers le haut et repéra un petit bateau immobile sur les eaux calmes. Les modestes embarcations des créatures hors de l’eau n’inquiétaient en rien sa vie, ils taquinaient les petits poissons à la surface et repartaient. Ce n’était que lorsqu’un tel bateau était suivi d’un plus grand que son alarme interne se déclenchait. Il sentit un changement dans l’eau. Une odeur de sang se manifesta et, au-dessus de lui, les bêtes dentées tournaient autour de l’ombre, leurs corps élancés pris dans le courant à la manière des algues.
Rayure Rouge ne pouvait contenir sa curiosité et son impatience de savoir si un navire était en approche. D’une simple poussée, il se propulsa vers le haut, là où l’eau était plus chaude et légère. Il étudia le petit bateau qui remuait un peu, mais la créature qui s’y trouvait se pencha par-dessus bord. Rayure Rouge dut s’arrêter et flotter, mais il n’avait jamais ressenti une curiosité aussi puissante. Il avait vu beaucoup de créatures non marines. Elles bougeaient à l’aide de leurs membres comme lui, quoique d’une étrange façon, avec une agilité moindre. L’animal ci-haut ne disposait pas de la grâce fine que prodiguaient dix membres. Cette créature-là paraissait différente ; son apparence étrange l’intriguait.
Maggie plissa les yeux au loin, avec une main brûlée par le soleil qui faisait de son mieux pour lui faire de l’ombre sous les rayons impardonnables. L’eau était claire, présuma-t-elle, mais les reflets rendaient très difficile l’exploration des profondeurs. Elle savait qu’à l’horizon, aussi loin qu’elle pouvait voir, il n’y avait que de l’eau à perte de vue. Après deux jours à la dérive, Maggie réalisa que l’océan était bien plus vaste qu’elle n’aurait pu l’imaginer. Les cartes et les films ne lui rendaient jamais justice. Et, sous elle, un univers encore plus vaste et envoûtant se cachait. Elle vouait un grand respect aux requins, mais elle savait pertinemment que sa blessure à la tête qui s’ouvrait continuellement et saignait dans l’eau lorsqu’elle se penchait pour vomir était une immense tentation pour ceux-ci en dessous. Dans les heures entre s’étendre sous la toile légère du canot de sauvetage et mourir de faim, elle avait besoin de se distraire de la douleur de ses lésions et de l’ennui incessant. Elle prétendait évaluer sa vision en analysant l’horizon. Elle s’était sévèrement heurté le front dans l’accident de bateau et son œil en avait enflé jusqu’à se fermer. Heureusement, l’endroit exigu dans lequel elle naviguait ne requérait pas de perception de la profondeur.
Le soleil était haut, le vent ne soufflait pas et aucun mouvement n’était visible hormis les vagues constantes qui la berçaient. Maggie baissa les yeux et, avec sa vision diminuée, elle jurerait avoir aperçu une ombre incroyablement large. De la taille d’un cargo. Elle pria pour que ce soit une grosse baleine amicale qui ne faisait que passer, tout en jetant un œil par-dessus bord.
Rayure Rouge essaya de comprendre pourquoi il s’était figé sous la créature en haut. Une créature bien étrange, la moitié de la taille de son bec ou de sa plus petite « main ». Tout comme lui, la bête possédait un grand et un petit œil. Ses longs poils rayonnaient d’une couleur vibrante, la même que le minuscule poisson Chirurgien-palette qui nageait dans les coraux. Une trace de rouge sur la créature lui rappela sa propre rayure. Son corps changeait de couleur pour se fondre avec le sien. Il ne voulait pas frapper la chose et emporter son bateau dans les profondeurs. Au lieu de cela, il préférait nager et tournoyer, puis laisser l’un de ses bras s’enrouler autour de l’embarcation. Il ne perdait jamais son temps à se demander comment étaient les créatures à la surface. Oui, il en avait jeté plusieurs et il avait mangé les autres, mais elles avaient une fâcheuse tendance à goûter infecte. Il ne prenait jamais le temps d’en toucher une avant de les laisser se faire dévorer par les animaux dentés ou les lâcher dans son propre bec. Ses écailles seraient-elles comme celles des petites bêtes marines ? Ou seraient-elles comme la peau des créatures sautillantes, celles qui pouvaient bondir et plonger dans les eaux supérieures ?
Il se rapprocha.
Maggie avait de nombreux regrets. Elle regrettait de ne pas s’être rabibochée avec son amie Sara avant le mariage de celle-ci. Elle regrettait son diplôme en économie, au lieu d’avoir poursuivi sa passion pour la musique. Même dans cette situation extrêmement solitaire, elle continuait de créer des mélodies grâce aux sons de la mer qu’elle aurait adoré jouer au piano. Mais son plus grand regret était définitivement la réservation de cette excursion à son hôtel. Surtout parce qu’ils avaient été propulsés dans une tempête d’été et qu’ils avaient heurté quelque chose, ce qui avait mené à ce que leur embarcation miteuse prenne l’eau. Et aussi à une bataille pour atteindre les deux canots de sauvetage projetés dans des directions opposées en pleine tempête. Elle regrettait d’avoir choisi la mauvaise trousse de survie. Celle qui détenait les bouteilles d’eau percées. Son eau avait disparu en une journée et les barres protéinées avaient moisi, mais elle les avait mangées morceau par morceau quand même.
Après la peur, la culpabilité, la panique et la colère du début, Maggie s’était enfoncée dans une sorte de calme nihiliste. Elle n’avait vu aucun bateau, aucun avion, pas même un oiseau, en plus de vingt-quatre heures. Elle mourrait ici. Si la pluie finissait par tomber, son décès serait certainement provoqué par la famine. Sans précipitation, la déshydratation aurait sa peau. Les nuages absents du ciel ne soutenaient pas sa cause. Il restait la possibilité qu’un énorme requin blanc la croque en deux. Sans bouteille d’oxygène et fusil à harpon pour se défendre.
Mais elle n’avait pas prédit qu’elle terminerait dans les griffes de la créature gigantesque en dessous.
L’ombre de Rayure Rouge se rapprochait. Maggie se recroquevilla dans le canot. Elle gardait toujours espoir qu’en bas se trouve une baleine amicale à la recherche d’air. L’eau tourbillonna et le bateau fut poussé vers l’arrière alors que le haut d’une pieuvre colossale jaune émergeait de l’eau.
La créature marine était impressionnante, sortie tout droit d’un film de science-fiction, avec un grand œil jaune dans lequel elle aurait carrément pu plonger. Une longue rayure rouge traversait le centre de son front, de la largeur d’un trottoir. Maggie, en état de choc, fut prise d’une panique qui dissimulait une certaine acceptation de l’inévitable. Ah, voilà comment je meurs, pensa-t-elle. Malgré l’horreur latente de ce géant presque mythique, une partie d’elle reconnaissait la beauté de cette bête aux couleurs du soleil qui surgissait de l’eau. La mer ruissela et révéla ce Dieu des océans d’un or vif.
Au-delà de l’eau, l’air était sec et violent, Rayure Rouge en avait mal aux yeux. Il s’obligea à rester et à observer la petite créature aux yeux dépareillés. Elle se recroquevilla avec un membre contre elle, à la manière des animaux à carapace. C’était la première fois qu’il se donnait la peine d’en scruter une de près. Quelle étrange écaille… Quelles étranges nageoires… Comment nage-t-elle là où l’eau