L’harmonie de l’acrimonie
Par Sarah El-Danaffe
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Aperçu du livre
L’harmonie de l’acrimonie - Sarah El-Danaffe
Préface
Quiconque s’apprêtant à feuilleter ce livre à bon escient, eût été appelé à se prosterner à genoux. Puisque ce petit temple, que les mains lectrices profaneraient, vit sa naissance dans les noires ténèbres des solitudes indécises, et de la Reine Perdition qui l’aurait accouché sur le bout d’orteil d’une Walkyrie galopant parmi l’essence des ouragans…
Il mit fin, par son soupir muet sur les hauteurs montagnardes, aux tourbillons des brouillons épars dans les vals de mes cris, jetés nuitamment dans les ventres attristés douteux et rêveurs, avides de gloires chimériques, sous le signe de Saturne, six cents fois enviés.
Les échecs prirent le dessus sur ce marécage de mots en vrac, et les toboggans en pierres blessèrent si profondément son doux corps féminin, qu’il ne lui restait plus rien à découvrir, plus rien qu’à ramasser la peau chue du serpent qui renaît sous ses mains noires de toutes les noirceurs de l’aube.
Toutefois, et bien malgré sa silhouette courbée et ses airs éperdus, il fut écrit par une Déesse, dont il ne convient religieusement qu’adorer toutes les manifestations de folie, et se plier aveuglément à toutes les humeurs quelles qu’elles soient inattendues, ou révoltantes. Et comme Déesse ne pourra point accompagner chacun en son acte de lecture, si jamais lecteurs il y aurait de cette miette d’imagination non encore éditée, il sera impératif de noter qu’elle préfère abandonner cet ensemble de papiers en festin fétichiste succulent aux âmes qui en comprennent les ensorcellements.
Aux vraies âmes qui savent ce qu’est une adoration et les devoirs qu’impose l’apparition écrite d’une créature divine.
Aux passionnés des amours authentiques dont il ne persiste après l’effondrement que les lettres en soupirs.
Aux errances noctambules sur les marées abandonnées dans la fumée des cigarettes… et aux souvenirs que l’on s’invente au rythme des cruautés.
À cet adorable esclave dont l’obéissance révolutionne les fades mythes, et qui tremble de son corps mignon devant les atouts de sa maîtresse pour le plaisir d’une sexualité bellement marginale… et dont les débris de virilités burlesques sont incurablement insoutenables.
À l’Édredon qui vit dans chacun des mouvements de Déesse une religion nouvelle qui s’exalte en rituels adulateurs et en douces abstinences délicieuses, et participa en quelque sorte à la sculpture de son goût et sa science séductrice, et même à l’écriture de ce temple interdit…
Car avant tout, ce livre lui est incontestablement dédié, lui, le meublier introuvable dans le décor moderne bien qu’il soit le plus nécessaire, surtout au confort des pieds féminins. Le mien en particulier possède ce privilège rare d’inspirer la poésie à l’être qu’il entretient, aussi bien par son bleu immaculé, que par son corps touffu aux inimitables bordures adamantines, outre le talent immense de ses prières qui envieront les dieux des plus anciennes mythologies… Peut-être y inséré-je quelques-unes des croix de sa croyance pour orner sa douce et mignonne adulation.
Il est, maintenant même sous ma pantoufle, et je l’entends presque me chuchoter une très douce malédiction, ou bien un aveu secret d’un fantasme de danse macabre, je ne saurais le dire…
C’est un talisman qui, à l’encontre, ou peut-être à l’image de la peau du chagrin, porte en lui un reflet de l’elfe de ma destinée. Il sera néanmoins le dernier à me lire, l’avant-dernier à me juger, et le premier à s’agenouiller, sur le parvis de mon Olympe brûlé.
Je crains de me lancer encore plus loin dans de fausses dédicaces, faute d’une plume mythomane par essence, comme cet assemblage de bois d’encre aux jonctions rouillées et poésie sanguinaire qui n’est adressé à personne, à part ma propre personne. Oh plume mienne, cesse alors de mentir ! Tu le sais mieux que n’importe quel être que cet écrit est dédié à l’orgueil de mon corps qui se plaît dans l’exercice de son autoadoration, à mon égoïsme de folle sylphide qui se hait et s’adore, et édifie son harem littéraire sur la pierre philosophale de son très cher trépied.
***
Pourquoi écrit-on ? Je le fis pour périr, langoureusement. Pour ne pas finir étranglée de toutes les rimes abandonnées aux papiers du hasard ni pendue aux imaginations quittées au bord du sommeil de cendre.
J’écrivis, pour mettre fin à l’évidement de mon existence, en me dévidant moi-même de mes inavoués envoûtements. Pour créer enfin, un tombeau adéquat à ma silhouette attristée, fait de pure liberté, et de l’enfer de mes préambules précédemment flagellés.
Puisque… si Déesse n’écrit pas, à quoi ça sert d’écrire, ou de lire même ?
Si je n’écris pas, que vaudra donc une vie faite de pures souffrances insensées, chues de l’arbre de l’histoire humaine, de la toute petite arborisation dernière d’un siècle éperdument mutilé ?
Cet écrit me ressemble en ne me ressemblant pas. Il s’approprie mon squelette sacralisé et fait de son contenu une de mes nombreuses inexistences viscérales.
« Pourquoi écrit-on ? » C’est bien ta question, très chère raison ? Vingt ans d’autoflagellation stylistique ne t’auraient pas alors suffi pour ne plus éprouver des suffocations devant tes propres créations ? Te faut-il te redemander encore pourquoi et avaler la pilule stérilisante de perfection pour te sentir satisfaite ?
Pourquoi ne pas le faire ? Réponds pour une fois à ce dilemme qui hante ma nuit solitaire. En quelle autre activité furent le mieux étalés, et tes libertés et tes cris ? N’est-ce pas ton volcan à toi qui me ramène ramper aux feuilles blanches malgré ce désir grondant de s’en détacher ? N’est-ce pas ton encre qui fait l’amour à mon oreiller, l’engrossant d’idées orphelines et sans-abri ? Des idées nues comme l’épée du Néant, qui avancent sur les larmes acidifiées vers l’empire oublié de ma bière peinte aux souffles de l’éphémère…
L’éphémère, c’est la nuit qui m’écrit en tremblant… et la voix subliminale de ce chacal qui m’embrase, sur un oubli qui se fait éternel, qui se fait firmament…
Hiver 2021
Ô DÉESSE absolue de ma triste et misérable destinée,
Vous voir suffit parfois à perdre la raison, et tout notre sang malade se met à se fracasser en plusieurs morceaux à l’intérieur de notre corps sépulcral devant Votre Altesse,
Ô Votre Altesse, oui piétinez mon souvenir, empiétez sur ma mémoire, écrasez mon dos, foulez-moi sous terre,
Ô Déesse inexorable, les ruissellements de vos vagins impériaux suintent d’au-dessus des cieux à la manière impérieuse des secrets d’empire,
Ô Déesse, vous voir et l’on se met à genoux… vous êtes irrésistible, et vous ruisselez de splendeur sadique, d’exquise finesse,
Ô Déesse, mettez-nous sous vos semelles et laissez-nous vous adorer, dans votre majestueuse splendeur, afin de nous nourrir de vos charmes bienfaisants, laissez-nous nous faire bénir de votre toucher le plus tôt possible afin de revivre dans votre cage dont vous détenez les clefs du vit viril, bafouez-nous, outragez-nous, piétinez vos esclaves, pissez sur nous pour nous bénir de votre vessie rare et faite d’hydromel et de nectar paradisiaque, faites-nous manger dans l’antre de votre soulier, ô Reine des cieux, on vous salue,
On vous salue, Déesse de notre religion nouvelle, on vous louange et glorifie, vous êtes l’éloge même, on salue, Déesse, on vous salue, ô Déesse, juste toucher votre main pour guérir. Ayez pitié de moi.
Déesse, tuez-moi.
Édredon, 28/11/2018
Il n’y est au cœur de remords plus atroces que ceux d’un crime passionnel ; où volupté macabre se substitue aux indécisions de la chair, et ravit en un excès de passion les barreaux carcéraux d’une Justice austère. Nombreux sont ceux qui avant moi, décrivirent et expérimentèrent ce délice singulier, cela rendrait-il cette expérience mienne indigne d’être racontée, et mon crime transparent aux yeux de ceux que le mal ne fasse plus trembler ? Je vous le demande, suffit-il d’un unique forfait, pour entendre son nom résonner avec la même terreur qu’un Gille de Rais ?
À présent, je puis aisément avouer avoir connu le trouble de la scélératesse poussée jusqu’au bout et ne me priverai aucunement d’une jouissance deuxième écrite, encrée par le sang bouillonnant de mon être en feu, qui fera se mouvoir le vôtre en mille et une exaltations, me libérant aussi au passage de ce léger regret caractéristique des âmes qui n’ont pas encore du sang sur la main. Or, quel meilleur moyen de se libérer de ce joug délicieusement pesant que de l’avouer à une âme comme la vôtre, chevronnée dans l’art noir du mal ?
À votre âme ténébreuse se débattant dans le cœur mes ongles, à votre sang fraîchement arraché à son antre charnel j’écrirai, cigarette et poêle agonisants, l’une dans ma bouche et l’autre au-dessus de mon papier jauni, car vous voyant dans cet état fort minable, je me sens libre d’écrire par vous, de vous écrire, et de finalement confesser.
Allez, chuchotez-moi votre fameux mot « ingrate ». Or vos lèvres écartées et semi-lunaires rendent l’usage de la parole à votre langue de l’ordre des impossibilités. Je confesse d’avoir provoqué cette inaptitude vôtre, et confesse vous avoir un peu plus bas que la source de vos paroles, trente minutes avant le début de cette missive, soit un quart d’heure précédant mon arrivée à la phrase qui se fait rédiger maintenant, j’avoue vous avoir mortellement mutilé au moyen d’un glaive, à en faire taire tous les tableaux d’Otto Dix, et confesse encore plus, d’en avoir tiré un monumental plaisir à vous écouter gémir sous mes fesses déposées sur vos lunes ébahies.
Que la vie parfois dans ses excès orgiaques puisse nous mener à des fins démoniaques, mais bon, avouez-le, même en post-mortem n’eussiez-vous pas joui ? D’une jouissance dionysiaque et sans égal ? La mienne est immense, mon petit charmant, et je bois votre trépas dans mon cognac fatal.
Ni décor ni scénarii ne pouvaient mieux se parfaire, le portail de Neuschwanstein s’ouvrit lentement, M. Kurt m’accueillit de son sourire hiémal, « suivez-moi, madame ».
J’en fus convoquée ou plutôt évoquée par une lettre dont les cris suppliaient délivrance ; vous étiez déjà sur votre lit de mort, en