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Haut, les pieds !
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Haut, les pieds !
Livre électronique695 pages9 heures

Haut, les pieds !

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À propos de ce livre électronique

Dans un monde où l'attention est souvent portée sur les visages et les mains, les pieds demeurent les membres négligés de notre anatomie. Cependant, dans son essai éclairant "Haut les Pieds", Jean-Michel Belorgey et Alix David nous rappellent que ces appendices ont une histoire riche et complexe qui mérite une exploration approfondie. Allant bien au-delà de leur fonction biologique, Belorgey nous emmène dans un voyage à travers le temps et l'espace pour examiner l'importance culturelle, sociale et symbolique des pieds.
Ils commencent par nous rappeler que les pieds ont joué un rôle crucial dans l'évolution humaine, notamment dans l'acquisition de la station debout. Cette perspective paléontologique sert de point de départ pour une exploration plus large de la manière dont les pieds ont été perçus et utilisés à travers les différentes cultures et époques.
Ce livre offre une exploration profonde et réfléchie d'un sujet souvent négligé. Il défie les perceptions conventionnelles et encourage le lecteur à réévaluer l'importance des pieds non seulement comme une partie du corps humain mais aussi comme un élément clé de notre héritage culturel et social.
"Haut les Pieds" est plus qu'un simple essai sur une partie du corps humain. C'est une invitation à une exploration multidimensionnelle qui touche à la biologie, la culture, le droit et la philosophie. Un ouvrage qui mérite une attention particulière, surtout à une époque où les "enthousiasmes plus ou moins marchandisés" dominent le discours sur le bien-être et la santé.
LangueFrançais
Date de sortie25 oct. 2023
ISBN9782493255563
Haut, les pieds !
Auteur

Jean-Michel Belorgey

Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, où il fut membre de la Conférence Olivaint, et ancien élève de l'ENA (promotion Turgot), il est membre du Conseil d'État dont il a présidé la Section du rapport et des études de 2002 jusqu'au 3 novembre 2009, date à laquelle il est remplacé par Olivier Schrameck. Il commence sa carrière administrative au début des années 1970, d'abord auprès de Jacques Delors au Secrétariat général de la formation professionnelle, puis de René Lenoir au ministère des Affaires sociales. En 2001, il fait adopter la convention Belorgey. Il a été le président du Comité européen des Droits sociaux, période durant laquelle il a contribué à mettre en avant cette institution de contrôle des droits sociaux. Il en est aujourd'hui rapporteur. Il a présidé la Commission centrale d'aide sociale, dont il a façonné la jurisprudence pour les allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI). Il a publié plusieurs ouvrages sur la politique sociale et les institutions parlementaires mais également quelques essais. Il a été président du conseil d'administration de l'ancien Fonds d'Action sociale pour les travailleurs musulmans d'Algérie en métropole et pour leur famille (FAS) et par la suite de cette même institution qui changea de nom le 16 novembre 2001, le Fonds d'aide et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD), supprimé par la loi sur l'égalité des chances en 2006.

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    Aperçu du livre

    Haut, les pieds ! - La Route de la Soie Éditions

    Pour papa, maman, Gérard, Marie, Marina, Nidal, Michel G., François L.,

    FOM, LAB, et quelques autres, qui ont, chacun ou chacune à leur manière,

    alimenté cette saga du pied.

    Merci à Jeanne Gatard qui nous a prodigué de précieux encouragements,

    un éloquent dessin à l’appui.

    Pour Catherine Pinguet qui, après la disparition d’Alix, a sauvé notre manuscrit

    du naufrage tout en enrichissant par son immense compétence dans de multiples

    domaines notre improbable festin.

    Merci à François Morvan pour son héroïque et inflexible relecture.

    Table des matières

    AVANT-PROPOS

    INTRODUCTION

    CHAPITRE I : L’UNIVERS DU PIED

    COU DE PIED, TALONS

    LA VOÛTE PLANTAIRE

    LA BALLE

    LA CHEVILLE

    LES OS DU PIED

    LES MUSCLES ET LES LIGAMENTS

    LES ORTEILS

    LES ONGLES

    LES BOITEUX

    CHAPITRE II PIED, ANTHROPOLOGIE ET ETHNOLOGIE

    LA COULEUR DES PIEDS

    GRANDS PIEDS, PETITS PIEDS, INDE, CHINE…

    ISLAM & JUDAÏSME

    CHAPITRE III PIEDS SALES, PIEDS PROPRES, PIEDS ORNÉS

    PIEDS ORNÉS

    CHAPITRE IV : PIEDS BLESSÉS OU MALADES, PIEDS SOUFFRANTS

    CHAPITRE V : LE PIED ET SA GARDE-ROBE : BAS, CHAUSSETTES, SOULIERS ET CHAUSSURES

    LES LACETS

    TROUVER CHAUSSURE À SON PIED

    CHAPITRE VI : PIEDS, SOL ET POUVOIR, PIEDS NONCHALANTS OU INDUSTRIEUX, PIEDS VINDICATIFS

    CHAPITRE VII : ÉROTIQUE ET GASTRONOMIE DU PIED

    AUTO-ÉROTISME

    TALONS AIGUILLES, SANDALES, SABOTS

    LAVEMENTS DE PIEDS, ENCORE

    BOIRE DANS UNE CHAUSSURE

    PIEDS GÉANTS

    CHAPITRE VIII : PIEDS ÉLOQUENTS, PIEDS PROPHÉTIQUES, PIEDS MUETS

    CHAPITRE IX : PIED SALVATEUR, PIED SAUVÉ

    CHAPITRE X : LES PIEDS DES MORTS

    ANNEXE I : PIED ET SOL, QUELQUES DONNÉES LEXICOLOGIQUES

    POUR LES PIEDS :

    POUR LES SOLS :

    POUR LES ENFANTS :

    ANNEXE II : PIED, IDÉOGRAMMES ET HIÉROGLYPHES

    ANNEXE III : LE PIED INSTRUMENT DE MESURE

    ANNEXE IV : PIED ET LUMIÈRE LES LAMPES À HUILE-PIED

    ANNEXE V : CORDONNIERS

    ANNEXE VI : PETITE CINÉMATHÈQUE DU PIED

    POST-SCRIPTUM

    BIBLIOGRAPHIE

    INDEX

    ICONOGRAPHIE

    PLANCHES

    Avant-propos

    Je remercie Sonia Bressler d'avoir accepté de publier dans sa maison d’éditions « La Route de la soie » ce livre consacré au(x) pied(s) dans la culture et l'art de l’ensemble des civilisations au fil des siècles, y compris des éléments de l’iconographie réunie pendant les quelque dix ans que j’y ai travaillé. Nombre d’éditeurs respectables se sont, tout en couvrant mon manuscrit, à tort ou à raison, de différentes sortes d’éloges, refusés à le prendre en charge, pour diverses catégories de motifs, notamment la difficulté de trouver un public pour un sujet ne pouvant guère être traité sans images. Même si les images sont coûteuses, ce n’était pas un argument très convaincant. On pouvait au reste trouver à leur refus plus d’une autre explication : il avait sur le même sujet déjà été publié des livres médiocres, et, bien qu’ayant moi-même publié vingt livres chez les meilleurs éditeurs, j’étais, l’âge venant, passé de mode.

    Publier aux éditions animées par Sonia Bressler n’allait cependant, pour moi, pas de soi. Celle-ci a, voilà quinze ans, exprimé sur la situation au Tibet des appréciations incompatibles avec celles qui ont été les miennes depuis trente ans en vue de la défense des droits de l’homme dans ce pays. J’ai provoqué et donné lecture à Paris de la décision du Tribunal des peuples de 1992 condamnant les exactions commises au Tibet par la Chine. Il n’est pas sûr, toutefois, que les prises à partie dont Sonia Bressler a été l’objet rendent compte comme il conviendrait de la portée d’un débat à l’occasion duquel les décideurs français ont observé sur la question des droits de l’homme au Tibet un silence coupable.

    « La Route de la soie » se veut indépendante et le prouve en publiant des textes n’intéressant pas des éditeurs sacrifiant aux modes ou engagés dans des mouvances déterminées. Je souhaite que la publication chez cet éditeur d’une oeuvre à laquelle j’attache d’autant plus d’importance qu’y a collaboré quelqu’un d’infiniment cher, aujourd’hui disparu, n’alarme personne. On ne peut enfermer quiconque dans un moment de sa pensée ; la mienne n’a pas, s’agissant du Tibet, varié.

    « Les pieds de l'homme sont faits

    pour le conduire là où l'attend son destin ».

    Joseph Ibn Zabara

    « Pied qui poursuit l’amoureuse adventure,

    Pied qui s’arreste, ou qui court,

    Pied où le geste et maintien se consigne,

    Pied fondement soustenant tout le corps,

    Pied fort, constant, pied qui conduit à l’arche,

    Pied qui fait croistre un désir en sa marche »

    François de Sagon

    « Tu vois mon pied dans la glace ?

    Oui

    Tu les trouves jolis mes pieds ?

    Oui, très.

    Et mes chevilles, tu les aimes ?

    Alberto Moravia, Jean-Luc Godard

    « Les regards échangés … les nuques . . .

    Les nuques plutôt que les mains car les mains . . .

    ont appris à mentir comme les visages.

    Et plus que tout, les pieds . . . ni beaux, ni glorieux . . .

    Les pieds tout simplement posés sur le sol . . . »

    Jean-Marie Le Clézio

    Introduction

    Le pied, même le pied féminin, n’a pas, autant que d’autres parties du corps, couramment stimulé, même dans les périodes où il n'était pas frappé d'interdit, l’inspiration des écrivains et des poètes. Il n’a, à la différence du visage, de l’œil, du nez, de la chevelure, des seins, des fesses, trouvé que peu de hérauts à la mesure des mérites dont il peut se prévaloir; et s’il a été blasonné, non sans talent, il est vrai, par quelques auteurs tels François de Sagon (Le Blason du pied avec les autres blasons anatomiques du corps féminin, 1537) et son irréductible ennemi Clément Marot, cela n’a pas été sans susciter quelques remous, un vent de censure commençait à souffler dans plus d'une culture, il se consolidera progressivement au cours des siècles suivants. Les 15e et 16e siècles sont l’époque pourtant, où après une longue période d'effacement, et avant une autre, les corps, et singulièrement les pieds, se déploient dans la peinture et la sculpture ; timidement d'abord (sur une belle et étrange sanguine florentine de 1460 représentant une Vénus, le peintre a fait, aux côtés du corps, figurer le détail d'une main de bonne taille, il a aussi, dans l'angle en bas à gauche de son œuvre, fait figurer un pied, mais tout petit) ; mais avec un tel éclat ensuite, en exploitant systématiquement tous les thèmes offerts par la mythologie, par la Bible, et par le martyrologe chrétien, sans reculer ni devant la représentation d'ébats amoureux (Giulio Romano), ni devant celles de différentes sortes d'horreurs (Ribera, Giordano), massacres, exécutions, tortures, qu'il semble que toutes les barrières soient tombées, pour le meilleur et pour le pire ; dans certains cas pour le meilleur : la fresque du Sodoma à la Farnesina, à Rome, consacrée aux noces de Roxane et d'Alexandre et montrant deux angelots ou amours (leur pullulation va plus tard polluer un certain nombre d'œuvres) tenant les pieds de Roxane, qui croise les jambes, comme pour attirer sur eux l'attention ; et celle de Giulo Romano au palais du Té, à Mantoue, consacrée au bain de Mars et de de Vénus, où un autre angelot fait de même avec le pied de celle-ci, le thème a été traité, mais différemment, par un dessin du Primatice.

    Il ne s’est, au cours des dernières décennies, pas non plus rencontré d’éditeur pour faire au pied et à la carrière aux épisodes contrastés qui a été la sienne dans la littérature et les beaux arts le sort que de nombreux ouvrages¹ ont fait aux mains. Les recueils de photos de jambes de femmes tirées des archives Roger Viollet ne montrent, eux, que peu de pieds ; s’il s’en rencontre au fil de leurs pages, c’est par hasard ; il en va presque de même dans le volume « La jambe » de la belle série d’ouvrages « Les détails du corps », qui a consacré un volume au visage, un autre au dos, mais pas de volume au pied (le volume « La jambe » cite néanmoins plusieurs extraits de Sagon). On n’a pas davantage vu non plus de grands quotidiens consacrer une double page au pied, comme cela a été le cas naguère, en l’honneur de la marque Benetton, pour les sexes masculin et féminin (Benetton, il est vrai, n’habille pas les pieds, ce n’est pas un spécialiste du footwear, il n’est pas chausseur…). Et, quand il arrivait, il y a quelques temps encore, avant que ne se déchaîne soudainement (des signes précurseurs étaient peut-être repérables, mais ils ne laissaient pas présager un phénomène de cette ampleur) un véritable tsunami de podophilie, qu’un auteur, ou un internaute, éprouve le besoin d'exprimer sa ferveur pour le pied, il s’estimait souvent quitte en consacrant à celui-ci quelques lignes désinvoltes². Le pied pourtant est un organe, un objet, une créature fantastique. Les graveurs de la fin du Moyen Âge, avant même ceux de la Renaissance, en ont exprimé l’intuition, qui, à la suite de Pline l’ancien, ont, au nombre des peuplades habitant les contrées lointaines encore inexplorées, fait figurer des hommes-pieds (ou des hommes n’ayant qu’un pied, très grand, leur servant d’ombrelle), les unipodes ou sciapodes, qu'on trouve également représentés sur les murs, les chapiteaux, les stalles de quelques églises, à Sens, dans la crypte, à Saint-Parizé Le Châtel, à Diest aux Pays-Bas bourguignons (aujourd’hui Belgique flamande), et que, dans quelques carnavals contemporains, on a fait monter sur des chars sous forme de mannequins reproduisant leur effigie ; et encore des hommes aux pointes de pied tournées vers l’arrière (ce qui peut arriver dans la réalité comme conséquence d’une grave atteinte subie, avant ou après la naissance, par les articulations du pied). Pied et pouce ont été, avec la coudée, la brasse, parmi les premiers instruments d’arpentage du monde, et de mesure de ce qu’on y trouve. En dépit des convulsions de l’écorce terrestre, des invasions, et des destructions dont elles se sont accompagnées, subsistent aux quatre coins du monde des pieds colossaux, seuls vestiges de l’effigie monumentale à laquelle ils appartenaient primitivement ; à moins qu’il ne se soit dès l’origine agi de pieds joliment qualifiés par les archéologues d’autonomes, on verra plus loin ce que cela signifie. La part prise par les pieds au caractère et à l’histoire des dieux, demi-dieux, héros et prophètes, a tôt été marquée : le dieu solaire des Vedas, dit, lui, solipède, celui peut-être auquel persistaient, au 19e siècle, à s’adresser les chrétiens arméniens lorsqu’ils imploraient le soleil levant de laisser reposer son pied sur le visage de l’orant ; Amon-Ré, le dieu solaire égyptien blessé au pied par le serpent qu’a suscité contre lui sa mère, mais dont les pieds, surtout, ont le pouvoir de donner naissance à la crue du Nil, pouvoir qui sera également prêté à Osiris, puis à Sérapis ; Harpocrate, fils d’Isis et d’Osiris, engendré par l’ombre de ce dernier, après que son corps ait été reconstitué, mais pas intégralement, et, de ce fait, faible des pieds ; Héphaïstos (ou Vulcain), et autres dieux forgerons de la mythologie germanique ou nordique, boiteux ; Hermès (ou Mercure) au(x) pied(s) léger(s) (ou ailé(s)) ; Hercule filant aux pieds d’Omphale au milieu de ses femmes, et celle-ci le frappant à la tête avec sa pantoufle ; le talon d’Achille ; les chevilles d’Œdipe ; le pied droit déchaussé de Jason se présentant devant son oncle Pelias pour lui réclamer le trône ; le pied mordu par un serpent, ou blessé par une flèche, de Philoctète, ainsi puni d’avoir révélé, alors qu’il avait juré de ne pas le faire, l’emplacement du bûcher sur lequel il avait aidé Hercule à mourir ; le pied difforme de Mani ; les pieds cosmiques de Vishnou ; Siva et Durga foulant aux pieds les démons qu’ils ont terrassés ; les signes inscrits dès sa naissance sur la plante des pieds du Bouddha ; l’empreinte laissée par Adam (ou Vishnou, ou Siva, ou Bouddha, ou Saint Thomas...) sur la montagne qui porte son nom à Ceylan ; celles laissées par Abraham à la Mecque, pas très loin de la Kaaba, et qui constitue une station obligée du pèlerinage musulman ; et celles laissées par le prophète Mohammed (ou par la jument Boraq à tête de femme lui servant de monture) sur le rocher de Jérusalem (celui d'où tire son nom la Mosquée dite du Rocher), où il a, avant de s’envoler à nouveau, récité une prière.

    Les pieds ont envahi les langues populaires, et les langues savantes. Les premières ont multiplié pour nommer le pied, y compris pendant les périodes où celui-ci était frappé d'interdits, les vocables familiers ou dérisoires, et, pour décrire les comportements humains, les dictons, proverbes et expressions faisant référence au pied ou à des éléments du pied ; la polysémie de l’argot du pied en usage chez les malfrats atteint des proportions vertigineuses, qui désigne sous ce vocable, tout seul (« le pied ») ou combiné à d'autres, aussi bien les affaires prometteuses (« y a du pied ») que le butin des voleurs et son partage («mon pied, ou je casse ! » - je dénonce - ; « ça fait le pied » - c'est juste - ; « chacun pour son pied » - chacun pour soi -), que le plaisir, la jouissance au sens le plus précis du terme (« prendre son pied »), ou encore la proximité menaçante de la police (« le pied dans le dos »). Langues populaires (le français, mais aussi l’espagnol, l’italien, l’anglais, l’allemand) et langues savantes, ont également été portées à voir des pieds partout, à tout le moins à désigner sous le nom de pied, outre une partie du corps de certains animaux, des plantes, ou parties de plantes, des animaux, des instruments, des motifs, des formes, des attitudes, des jeux. Pour le français : pied d’alouette, de biche, de bœuf – un jeu d'enfant ou un petit arbre tropical –, de chat – le calibre servant à scruter l'âme des canons ou une plante herbacée –, de cheval, de chèvre – anis vert –, de coq, de corneille – variété de plantain ou pathologie de l’amiante –, d’éléphant – plante à base renflée ou pathologie –, de gazelle – gâteau -, de griffon – plante vermifuge –, de grue, de lièvre – trèfle des champs –, de lion – plante fourragère –, de loup, de mouche – symbole typographique –, de mouton, d'oiseau, d'ours, de pélican – un mollusque –, de pigeon, de pilote – marge de sécurité prise pour calculer la profondeur d'eau disponible dans un port –, de pot, de poule, de prime - à la Bourse des valeurs –, de vache – certaines coulées de boue en géologie du périglaciaire –, de veau – certains types d'arômes et de plantes aquatiques – ; pieds corniers, pieds humides, pied(s) neuf(s), pieds palmés, pieds poudreux ; petit pied ; pied pressé et pied pincé – en électronique –, pied bleu, droit, gris, noir, nu, rouge, vert, violet. L’expression pied de cerf n’est pas attestée ; mais c’est sous ce nom, ou ce surnom, qu’est connu un athlète d’origine amérindienne, Louis Benett pour l’état civil, qui, en 1863, a parcouru 18,589 kilomètres en une heure. Pousse-pied et pouce-pied ne doivent pas être confondus ; la première expression désigne la barque plate des conchyliculteurs, la seconde un crustacé cirripède marin à pédicule charnu. Comme les colonnes, les lits, les tables, les chaises, le cas échéant les commodes, ont-elles aussi des pieds, et même les verres en ont ; si on fait rarement référence aux pieds des verres, on parle couramment de verres à pied. À quoi il faut ajouter tous les …pedes et tous les …podes dont on s'efforcera de faire l'inventaire à l'annexe I. Tout cela résultant de la mise en œuvre de procédés extrêmement divers de sollicitation de l’imaginaire et du langage (assimilation, comparaison, métaphore, allusion), dont le champignon est incontestablement, avec les oiseaux (pied de bœuf, pied nu, pied noir, pied de pot, pied rouge, pied gris, pied vert désignant respectivement en langue vulgaire un pic dit de Cayenne, une alouette, deux espèces de bergeronnettes, l'huîtrier et deux espèces de vanneaux), un lauréat (bénéficiant d’un traitement varié selon les langues ; le pied de mouton du français est en anglais un pied de hérisson, - hedgehog –, ce qui n’est pas illogique, ce champignon appartenant au groupe de ceux dits à aiguillons). Et sans grand souci, naturellement, des classifications scientifiques (pieds, pattes, sabots), souvent il est vrai fragiles et influencées par des considérations dont il sera également traitées à l'annexe I, ni des frontières entre les règnes végétal et animal, voire entre le vivant et l’inanimé, pas plus que des confusions susceptibles de naître des acceptions multiples d’une même expression (on vient d'en évoquer, et on en évoquera plus loin quelques-unes)

    Il est clair, par exemple, qu’entre l’expression « marcher sur la tête » et l’expression « ne pas se moucher du pied » on chercherait en vain une cohérence d’inspiration. La première affirme implicitement l’éminente dignité du pied, et l’impossibilité, pour un autre organe, de se substituer à lui en vue d’accomplir cette fonction essentielle, vitale : marcher ; elle atteste d’une conception en quelque sorte légitimiste de la division du travail entre les différentes parties du corps. Tandis que la seconde tend à suggérer que, si l'on veut, à tort ou à raison, plutôt à tort qu'à raison, affirmer des prétentions, revendiquer un rang social, on ne saurait utilement le faire à l'aide du pied, ce qui serait un comportement de bateleur, de saltimbanque ; ceci n’est naturellement guère valorisant pour le pied (mais l’expression a un temps aussi été employée pour stigmatiser la tromperie, l’abus de confiance, la tendance à employer n'importe quel moyen pour arriver à ses fins).

    Même aux périodes de censure, et abstraction faite de la littérature anatomique ou médicale, la place faite au pied dans la littérature, que Flaubert disait aimer voir marcher « pieds nus, ce qui est plus difficile que de porter des bottes, lesquelles sont des moules à usage de podagre, où on cache ses ongles tors, avec toutes sortes de difformités », est, à y regarder de près, en fin de compte, loin d’être négligeable. La poésie, a, quitte à ce que ses vers soient « boiteux », quant à elle, longtemps vécu au rythme des pieds, ceux des hexamètres ou des alexandrins, et ceux des bardes qui les scandaient pour en accompagner la récitation³. Et n’a pas seulement traité, quand elle ne se détournait pas du sujet sous l’effet de différentes sortes de pudeurs ou de prohibitions, des émois éveillés par cet appât sexuel qu’est le pied (on verra que c’en est un, et pas seulement d’appoint), mais de mille autres visages du pied. L’appétit manifesté pour les choses du pied par les auteurs de plusieurs siècles, du Moyen Âge au 18e siècle – Saint-Simon – ou du 19e siècle commençant – Heine – (on reparlera plusieurs fois de quelques-uns d'entre eux), sans parler des écrivains non occidentaux, est, à cet égard édifiant, dont se sont assurément départis une importante proportion des auteurs du 19e siècle, pas tous cependant. Le dictionnaire de Trévoux, publié par les Jésuites de 1704 à 1771, consacre au reste au pied des développements non négligeables.

    Les anthropologues et les sexologues s’en sont, leur heure venue, sérieusement mêlés, selon qui le pied, serait à l’origine de tout de mutations décisives pour l’avenir de l’espèce humaine : la station debout, la libération de la main, du cerveau, et donc de la pensée, la copulation frontale, l’épanouissement sexuel. Vercors a, dans Les animaux dénaturés, savoureusement décrit certains aspects des surprenantes variations du discours anthropologique : « … la leçon de Lamarck … Selon celle-ci … les ancêtres des hommes vivaient dans les arbres, comme les singes, et avaient comme eux quatre mains …, puis ils quittèrent la forêt et progressivement leurs membres inférieurs se transformèrent afin de pouvoir marcher plus commodément sur le sol dur… Malheureusement… le pied de l’homme, loin d’être un progrès sur celui du singe est au contraire un organe beaucoup plus grossier, plus primitif dans son plan et sa structure ; le pied du singe … est nettement postérieur au nôtre, que nous tenons peut-être des tétrapodes de l’ère tertiaire… - C’tinoui… Et qu’est ce qui a libéré la main, m’sieu l’professeur ? C’est la station droite. À quatre pattes, pas de main, s’pas ? Et pas de main, pas de pensée. »

    Rebondissement en un sens de la place faite au pied dans les superstitions populaires au relation avec la peur des vampires, des fantômes, plus généralement des morts qui s’attardent. Si le caf’conc, à la charnière des 19e et 20e siècles, a tôt rompu avec la retenue observée à l’égard du pied par le siècle s’en allant, il ne l’a pas toujours fait subtilement (« le pied qui remue », « les bottes à Bastien », « c’est un jardinier qui boite », « j’ai marché dedans », etc.). On retiendra néanmoins les « pieds charmants et frétillants » de la « Madame Arthur » chantée par Yvette Guilbert.

    Mais une décisive source d’évolution du regard et du discours sur le pied après la principale période des dédains fut le débat auquel a donné lieu la naissance du football ; ce débat a profondément divisé ses protagonistes, dont plus d’un inclinait à considérer que, si l’utilisation des mains attestait d’un haut niveau de culture, la jambe et le pied étaient vulgaires ; à telle enseigne qu’il a fallu du temps aux défenseurs des membres inférieurs (la Football association) pour faire triompher l’idée que « le pied est un intermédiaire, une médiation permettant à l’homme moderne et civilisé de prendre de la distance, de la hauteur, par rapport à la matière … au ballon souillé, boueux, flasque, hideux » que « l’homme distingué » ne peut « empoigner à pleines mains ». Demi-triomphe, dans un premier temps ambigu, mais qui s’est, peu à peu, consolidé : le pied gauche de la vedette du FC barcelonais Lionel Messi, moulé dans de l’or jusque dans le détail des vaisseaux sanguins et de la peau, à l’occasion de son quatrième ballon d’or d’affilée vers 2010, par un joaillier japonais, a rejoint au Panthéon des pieds celui de Rachel, modelé, lui, seulement en terre cuite, en 1854, à Saint-Pétersbourg, ceci alors non sans dimension transgressive, par d’Osmond (avait-il un prénom, on n’en jurerait pas), et dédicacé à la tragédienne par son auteur. Il semblerait néanmoins, c’est ce que relate A.-J. Jacobs dans L’année où j’ai vécu selon la Bible, qu’on persiste, dans certains milieux puritains des États-Unis, à regarder le football comme un sport trop vulgaire pour qu’il soit possible d’y jouer le dimanche.

    D’autres signes d’un retour en grâce du pied se sont au reste peu à peu manifestés. Au nombre de ceux-ci : la prolifération des œuvres littéraires (y compris les romans dits policiers dont il sera, dans la suite, plusieurs fois question, une proportion non négligeable de ces romans révèle plus d’une fois davantage de qualités que la littérature regardée comme noble) attestant pour le pied, à un titre ou à un autre, et avec des talents inégaux, d'une évidente considération, voire d'une sorte de ferveur (Joyce, Italo Svevo, Marcel Aymé, Erri de Luca, Le Clézio, Fred Vargas, et beaucoup d’autres) ; l'abondance, il faudra reparler de quelques-uns, des films, de ceux de Buñuel à ceux de Tarentino, en passant par les deux films marqués par la personnalité de Julia Roberts Pretty Woman et Coup de foudre à Notting Hill , et par les Les Beaux gosses (où l’on voit des adolescents faisant la queue à la cantine scruter le défilé de pieds féminins et trancher de leurs qualités et de leurs défauts, puis l’un d’eux s’enfuir quand sa petite amie extrait un pied sale d’une de ses bottines) ; la tendance de nombre d’artistes et pas les moindre à se produire nus pieds tel le très remarquable violoncelliste Stephan Hauser sur les murailles de Dubrovnik, à Venise et ailleurs ; la profusion des boutiques offrant des massages de pieds ; celle des couvertures de livres et des publicités mettant en avant le pied féminin ou masculin (voire un pied animal) nu ou chaussé, sans que le lien entre pied et contenu du livre ou produit vendu soit toujours évident ; celles des photographies de presse donnant à voir, à l’appui d’interviews, des vedettes de cinéma, des journalistes à succès (Claire Chazal), ou des institutrices retraitées recevant pieds nus celle ou celui qui les interviewe⁴ ; et celles des interpellations sur les supports les plus divers (pages publicitaires dans divers journaux, affiches, inscriptions sur les trottoirs) : « transformez le monde en marchant », « dansez, bougez, courez, vivez », « faites vos courses à pied ». Tout cela débouchant aujourd'hui, pour une part sous l'invocation de Tarentino, sur un véritable envahissement du net par les choses du pied. Un envahissement dont apparaît comme emblématique la brève parue sur le net en mars 2021, photo à l'appui, ainsi rédigée : « Karine Le Marchand (l'animatrice la mieux payée de la radio et de la télévision, décorée du mérite agricole pour avoir animé un débat sur la Politique Agricole Commune) dévoile un cliché de son pied, elle est passée sur le billard pour se débarrasser d'un hallux valgus » ; les vedettes de l'audiovisuel en viennent peu à peu à occuper la place qu'occupaient autrefois les têtes couronnées, mais à propos de celles-ci il était peu question de pieds. Un envahissement dont témoignent encore les longs échanges de questions et réponses, sur le net, entre jeunes filles ou jeunes femmes musulmanes et les autorités religieuses compétentes sur ce qui est, aux yeux de celles-ci, convenable, et ce qui ne l'est pas, en matière de vêture du pied selon les lieux, les circonstances et les protagonistes.

    C'en est donc clairement fini de la prévention dont a durablement souffert le pied et qu’évoquait naguère le photographe Aaron Siskind : « Culturellement nous essayons d’oublier nos pieds », ou de la dérision volontiers cultivée à l'encontre du pied qu'exprime la formule de Coluche « Il avait des mains, on aurait dit des pieds ». Mais à ce qu'il en aille ainsi, le risque est évidemment que trop soit trop, que ce soit sous le signe du narcissisme, du fétichisme le plus fruste, de l'exploitation des formes les plus ambiguës de relation à ses propres pieds et à ceux des autres, de la marchandisation de toutes sortes d'images, produits et services corporels n'ayant que de près ou de loin à voir avec le pied. C'est ce qu'on est porté à redouter lorsqu'on consulte les rubriques du net consacrées aux celebrity feet of the day, et plus encore aux celebrity feet of the dead ou autres rubriques parentes (le plus grand pied du monde, le plus petit pied du monde, le pied le plus moche), présentant des images souvent éprouvantes (pieds affligés d'infirmités réelles ou fabriquées : pieds bots, nombre d'orteils inférieur ou supérieur à la normale, ongles ressemblant à des griffes ; orteils étiquetés de cadavres à la morgue), et des commentaires plus ou moins extravagants.

    Sans doute faut-il cependant regarder, en même temps que comme une concession à la mode, comme à l’honneur du pied, et des auteurs, l’avertissement à l’ouvrage Atomes, une exploration visuelle de tous les éléments connus de l’univers, de Théodore Gray (éditions Place des Victoires, 2013), dont la couverture n’offre l’image d’aucun pied mais qui est ainsi rédigé : « le tableau périodique des éléments est le catalogue universel de tout ce que vous pouvez vous faire tomber sur le piedcertaines choses comme la lumière, l’amour, la logique et le temps ne se trouvent pas dans le tableau périodique… vous ne risquez pas de recevoir l’une d’elle sur le pied… La terre, ce livre, votre pied se composent d’éléments… si vous avez un pied, ne laissez pas tomber ce livre dessus ».

    Et les pieds, par bonheur, ceux qui n’ont été enrôlés dans aucune spéculation, ont ceci d’attachant qu’ils connaissent des aventures quotidiennes. Un libraire d’ancien que j’interrogeais innocemment sur la possibilité de se procurer un ouvrage qu’il me paraissait utile de consulter dans la perspective de la rédaction de ce livre m’a demandé si je me payais sa tête, et comme j’affirmais ne pas comprendre d’où pouvait lui venir ce soupçon, a brandi sur son comptoir le pied qu’il avait, depuis un mois, plâtré ; il était tombé d’une échelle. L’épicier marocain qui aimait ma mère parce que celle-ci, disait-il, ressemblait à la sienne, qui me parle toujours d’elle, dix ans après sa mort, quand je lui achète du vin, qu’il a bon, bien qu’il n’en boive pas, a tenu pendant un mois porte close ; quelques habitués s’inquiétaient, car ce n’était pas, d’ordinaire, à cette période qu’il rendait visite aux siens, au Maroc ; le fait est qu’il avait dû être hospitalisé pour cause de diabète, et que l’un de ses pieds était menacé de gangrène; cela va mieux ; mais il peine à s’appuyer dessus lorsqu’il déplace des caisses de fruits ou de légumes ; et des bandages qui le revêtent s’exhale une étrange odeur d’humeurs et d’onguents mêlés (comme dans Madame Bovary le malheureux Hippolyte, après son opération ratée, qu’interpelle sans grande tendresse un ami : « Tu t’écoutes trop … Tu te dorlotes... Ah, n'importe, vieux farceur, tu ne sens pas bon. »).

    Nul doute bien sûr que les mains puissent quant à elles se revendiquer de titres de noblesse sinon plus anciennement, du moins plus constamment reconnus. Mais cela ne parait pas un motif suffisant pour souscrire sans réserve à la vertueuse tentative de conciliation esquissée par Boris Cyrulnik : « Nos pieds et nos mains sont la partie la plus humaine de notre corps ». Non que cette affirmation soit incompatible avec celle citée en exergue de Le Clézio créditant les pieds d’une sincérité que les mains et les visages seraient portés à trahir ; tout ce qui est humain n’est pas nécessairement sincère, et peut-être bien des pieds non plus l’innocence n’est-elle pas garantie. Mais les amalgames auxquels poussent certains efforts de conciliation ouvrent des carrières intellectuellement périlleuses, dont atteste, par delà l’expression populaire faire des pieds et des mains, le récent ouvrage précédemment évoqué, consacré aux uns et aux autres. Des rapports entre pieds et mains, il n’est pas rare pourtant qu’il y ait matière à s’émerveiller, ainsi qu’en témoignent plusieurs peintures de Piero di Cosimo, de Giordano, du Caravage, de Blake, Füssli, Burne-Jones, Picasso, quelques admirables bouddhas japonais ou coréens des temples Koriuji, Gatoji, Toji, à Kyoto, et quelques sculptures de Camille Claudel tel L’homme penché, quelques images d'hommes ou de femmes au repos dont les pieds et les mains se sont rapprochés, ou d'enfants dont les mains jouent avec leurs pieds. « Prenez vos pieds en mains » proclament, pour leur part, un certain nombre de publicités apposées sur la porte ou dans les vitrines des cabinets de podologues.

    Personne ne reprochera, au reste, à une boutique proche du Châtelet, à Paris, vendant des moulages de pieds et de mains, de s'être donnée comme enseigne « Des pieds et des mains ». Une photo faite à Sumatra montre, elle, l'étonnant rôle joué par les pieds posés sur un avant-bras et une main pour caler, avec le concours d'autres mains, cet avant-bras pendant qu'on le tatoue. Un photographe finlandais s'est amusé, en juxtaposant des pieds et des mains posés côte à côte sur une plage, à brouiller la différence entre les uns et les autres. C'est enfin un sculpteur contemporain qui a imaginé un pied-main bénissant ; a-t-il été inspiré par l'assez sinistre métaphore médiévale désignant le pendu comme un évêque des champs bénissant avec ses pieds ?

    Qui porte sur les pieds un regard sans indifférence ni mépris, ni excès d'exaltation, peut nourrir une légitime curiosité sur les variations de statut qu'on connu les pieds aux différents âges de l'Histoire. C'est à satisfaire au moins en partie cette curiosité que s'emploient les pages qui suivent.


    ¹ Carnets de dessin. La main (Bibliothèque de l’image, 2000) ; les ouvrages de Karl Gröning, Les Mains des hommes (La Martinière, 2001), de Tiziana et Gianni Baldizzone et Boris Cyrulnik, La Main qui parle » (Phébus, 2002) ; celui du National Geographic, Mains ; en dernier lieu La Main dans l’art d’Edward Vignot et Arlette Serulaz (Citadelles et Mazenod, 2010). Plus anciennement, et avec plus de bonheur que le dernier ouvrage cité, La main dans la peinture de Marcel Brion (Albin Michel, Mirabilia, 1949).

    ² Cela vaut pour de nombreux auteurs de dictionnaires de l’érotisme, de symboles, de curiosités médicales ou linguistiques, sous la plume desquels on trouve pêle-mêle évoqués les pieds chinois, quelques maladies du pied, Le Soulier de satin de Claudel, le soulier de Halitsa, une brochette de locutions populaires. Dans l’étrange Dictionnaire de mille mots du Haut Moyen Âge d'Alain Lignier (Doyen éditeur, sans date) selon lequel, à l’époque dont traite l’ouvrage, le pied est regardé comme « l’outil de l’âme sur la terre » , ce qui est une splendide formule, il n’est, à l’appui de cette affirmation, fourni aucune référence. Cela vaut aussi pour le chirurgien du pied auquel Odile Jacob, qui d’ordinaire fait mieux, a ouvert une de ses collections, et qui n'a trouvé à dire que des choses banales ou confuses. Quant au troisième livre paru, après La face cachée des fesses et Le culte des seins, sous la signature de Caroline Pochon et Allan Rothschild chez Democratic Books, intitulé Des pieds et des mains, il a choisi la facilité en recourant à la formule du dictionnaire, et une telle formule ne permet pas de prendre la mesure de la place faite au pied dans les sensibilités et les cultures d'Occident et d'ailleurs, ni de ses variations au cours des deux derniers millénaires.

    ³ Nietzsche affirme pour sa part dans Le Gai Savoir, aphorisme 52, écrire autant du pied que de la main, « du pied qui danse sur le papier et frappe la mesure ».

    ⁴ Il est impossible de citer la totalité des innombrables couvertures de livres ayant sacrifié à cette mode, encore moins celle des publicités. On en mentionnera néanmoins plus ou moins arbitrairement quelques exemples. Pour les couvertures de livres, par ordre alphabétique d’auteur, et non par ordre de mérite sauf par hasard, ni par type de littérature ou type d’édition : Milena Agus, Quand le requin dort ; Claude Bonjean, Lucien chez les barbares ; Camille Bordas, Les treize desserts ; Jean Louis Bory, Le pied ; Alper Caniguz, Une fleur en enfer ; Jonathan Coe, La maison du sommeil ; Catherine Cusset, Une éducation catholique ; Bruno Gaccio, Les cents derniers jours du parti socialiste ; Beth Harbison, Shoe Addicts ; Felisberto Hernandez, Les Hortenses ; Anna Hope, la salle de bal ; Radikha Jha, La beauté du diable ; Camilla Lackberg et autres, Fatales ; Gonzalès Ledesma, La dame de Cashmire ; Alexander Mc Call Smith, Blue shoes and happiness ; Rieko Matsuura, Penis d’orteil ; Johan Muyle, Heureusement que la pensée est muette ; Peter Partner, Il dio degli eserciti ; Richard Russo, Ailleurs ; Jorge Semprun, Les sandales ; Loic Nelson Spielman, Un doux pardon ; Junichirô Tanizaki, Le pied de Fumiko ; Mark Twain, Les aventures de Tom Sawyer ; Didier van Cauwelaert, Jules. Gilbert Lascault a, de son côté, en 1996, réuni quelques auteurs anciens et contemporains pour donner un livre de nouvelles consacrées au pied.

    Pour les publicités : celles pour des représentations théâtrales (Françoise Sagan – qui dans la légende, probablement fondée, conduisait sa voiture nue pied, ce contre quoi il semble qu'il existe dorénavant une réglementation), des concerts, des expositions de peinture (Kabakov), des meubles, de la literie, de la lingerie, des aides à domicile, des produits et des soins de beauté, des dentifrices, des cigarettes électroniques, des boissons gazeuses, des hôtels, des séjours de vacances en Bretagne, dans d'autres provinces françaises, dans l’Océan Indien et ailleurs, des appartements, des amortisseurs de voiture, des dispositifs de protection contre le cambriolage…

    La publicité frénétique orchestrée en vue d’encourager ceux qui ne peuvent guère mettre leur espoir ailleurs que dans des gains aux jeux de hasard n’a pas manqué d’avoir eu recours au pied avec Illico Banco « Levez le pied ». La RATP, dans la contestable série « Nous aimons, nous participons », de conseils à ses usagers, pour leurs loisirs, a montré, sous le titre La littérature en short, un lecteur aux pieds nus.

    Le Merlot californien qui se vend à bord des ferries reliant Bruges et d’autres ports continentaux aux ports anglais, se recommande de la qualité de Barefoot wine, et d'une étiquette portant une blanche empreinte de pied sur fond bleu. Parmi les multiples annonces mettant à profit l'attractivité de la rubrique « pied » d'Internet qui, partant des films de Tarantino et encourageant d'abondance la tarantinophilie sous toutes ses formes cohabitent des évocations nostalgiques des Pieds nickelés, des pieds noirs, des invitations à des spectacles ou à de l’immobilier « les pieds dans l'eau », des offres de mises en relation entre amateurs de pieds et propriétaires de jolis pieds, dont il n'est pas toujours sûr qu'ils ne cousinent pas avec différentes sortes de proxénétisme. Mais la rhétorique du pied peut aussi être aussi déployée au service de messages passablement sympathiques ; ainsi de cette mise en accusation de la dimension polluante de l'industrie audio-visuelle sous le titre « Le cinéma a les pieds dans le gaz carbonique ». L'obsession du ou des pieds caractérisant les films de Tarantino a conduit les spécialistes du langage cinématographique à insister sur la distinction qu'il convient de faire entre les classiques plans moyens ou plan pied montrant un ou des personnages de pied en cap, se détachant nettement des paysages dans le contexte duquel ils peuvent s'insérer, et les plans de pied de Tarantino.

    Chapitre I :

    L’univers du pied

    « Le pied droit ne touchait plus guère le sol

    que de la pointe des orteils tandis que la plante

    et le talon se dressaient presque à la verticale. »

    W. Jensen, Gradiva

    Le pied droit, car il y en a deux, sauf malheur, on y reviendra, la pointe des orteils, car, sauf autre malheur, l’existence d’orteils est la règle, la plante, le talon : on n’imagine pas meilleure introduction à l’univers du pied que le beau texte, justement célèbre, de Jensen.

    Le pied est, à en croire les anatomistes, au premier rang desquels Léonard de Vinci, qui était plus que cela, mais était aussi, et peut-être d’abord, cela, la structure la plus complexe du corps humain : vingt-six os, dix-neuf muscles, sans compter ceux rattachant la jambe au pied, cinq cents vaisseaux sanguins, cinq cents nerfs minuscules, des dizaines de milliers de glandes sudoripares, soit une fraction sans commune mesure avec sa taille des dispositifs osseux, musculaires, sanguins, nerveux, ligamentaires dont le corps humain est équipé ⁵ . C’est donc en quelque sorte un univers. Dont il est utile, pour ne pas s’y perdre, de dessiner la ou les carte(s). Le relief en est accidenté; il possède ses sommets, ses combes, ses hauts plateaux. Ce relief subit, dans certaines circonstances, des phénomènes d’érosion ou, au contraire, de sédimentation, de compression, qui peuvent conduire à une transformation profonde de son apparence, en relation avec différentes sortes de réaménagements des rouages et des réseaux qui se dissimulent sous l’épaisseur de la peau, et dont seuls les modèles de cire de Clemente Susini, élaborés à la fin du 18e siècle, et conservés à la Specola de Florence, quelques dessins de Léonard de Vinci et de Michel-Ange et, au 19e siècle, de Deseine et de Géricault permettent de se faire une idée vraiment exacte. Mais on trouve aussi ailleurs, sous une forme moins spectaculaire, des exposés raisonnablement éclairants. J’ai beaucoup appris dans l’ouvrage que, à défaut de pouvoir me procurer celui que je cherchais - Le discours sur le pied de Georges Ribemont-Dessaignes, marginal du surréalisme, puis compagnon de route du Grand Jeu, un texte de quelques lignes en forme de pied de nez, mais qui a donné lieu à de luxueuses éditions⁶-, la libraire du Pont Traversé, fille de Marcel Béalu, l’auteur de L’Araignée d’eau, m’a sorti de sous un comptoir : Architecture et géométrie du pied ; le nom prêté à l’auteur, au compte duquel l’ouvrage a probablement été publié, Maurice Ledos, n’étant au reste, sans doute, qu’un pseudonyme⁷.

    De la toponymie, qui a depuis si longtemps prévalu qu’il serait vain de vouloir la remettre en question, on se hasardera néanmoins à observer qu’elle ne parle guère à l’esprit, qu’elle ne fait pas, autant qu’on pourrait le souhaiter, image : plante de pied et voûte plantaire, cou de pied, talon, balle, cheville, pointe, orteils, et, plus confidentiellement, astragale, malléoles, scaphoïde.

    Cou de pied, talons

    Va pour les orteils. À condition de s’entendre sur l’étymologie... On verra que, pour le meilleur et pour le pire, il y a dans les orteils quelque chose des produits du jardin, du potager, du verger, et de leurs parasites. Mais plante ? Les pieds n’ont rien d’une plante, n’en déplaise à Alain Le Saux, l’auteur de Papa m’a dit. Et, quelque familiarité qu’ils soient voués à entretenir avec le sol, ils n’y sont pas plantés, ils y sont posés ou y prennent appui, on ne voit donc pas que l’injonction « ne reste pas planté là ! », qui fait, certes, référence à l’immobilité à laquelle sont, sous certaines réserves, condamnées les plantes de la botanique, ait à voir avec celle d’un pied, nonchalant ou têtu. Aussi bien Daniel Sibony, dans Le Corps et sa danse, parle-t-il de « l’être » qui « jouit du corps planté sur terre… plantation saccadée du corps » ; planté sur et non en terre ; une plantation végétale ne saurait être saccadée, la saccade implique un arrachement intermittent. C’est dans un autre registre, celui d’une identification souhaitée ou redoutée, il est difficile d’en trancher, à un végétal, que se situent les vers du poète iranien contemporain Parviz Khazrai, poète des « pieds incertains » dit un de ses préfaciers : « Je compris pourquoi/… /j’avais pris peur de l’arbre/… le regard/cloué au creux de mes pieds d’arbre/ je sens bouillir encore/ sous mon écorce/ la tentation de lancer mes racines/ je mets les pieds/ dans l’étrier de la chimère/… /j’ai peur cependant/…/si mes pieds/…/lançaient soudain des racines » ⁸ . Des pieds qui lancent des racines, c’est très exactement ce que donne à voir le marbre du Bernin Apollon et Daphné conservé à la Galerie Borghèse où, tandis qu’Apollon, dont les pieds sont sandalés, tente de saisir la nymphe, des très longs et beaux pieds nus de celle-ci sortent des amorces de radicelles⁹. Et cou ? Ce mot est si peu évocateur que nombre de gens qui ne sont pas des illettrés sont convaincus que ce n’est pas cou qu’il faut écrire, mais coup. Ce qui ne serait à vrai dire pas mieux. On n’a pas intérêt à confondre le cou de pied et un coup de pied, de quelque espèce que ce soit, coup de pied arrêté des footballeurs et coup de pied de l’âne compris, ni cou de pouce et coup de pouce (on ne parle certes pas de cou de pouce, mais pourquoi pas ?). Le cou de pied n’en est, de fait, un ni au sens où on parle de cou humain (le cou, en ce cas, ce serait plutôt la cheville), ni au sens où on parle du col d’une bouteille, ou d’une chemise. Talon ne vaut pas mieux ; dont on ne voit pas, même avec le secours de l’Ancien Testament (Ève, Jacob et Esaü) et de la mythologie (Achille), ce qui pourrait éventuellement le rapprocher d’une talle, peut-être d’un talus (le talus – autrefois talys – est d’ailleurs un autre nom de l’astragale qui sert de pivot pour étendre ou fléchir la cheville, qui s’articule avec le tibia et le péroné en haut, l’os naviculaire en avant et le calcaneum en bas).

    Au fondement de ce que Michel Foucault, dans sa préface à la réédition par Tchou, en 1970, de La grammaire logique de Jean-Pierre Brisset (1878 et 1883), appelle le vertigineux discours illimité de cet auteur, est l’idée que l’homme est né de l’eau, que son ancêtre est la grenouille, et que l’analyse des langues humaines en rapporte la preuve, ce qui d’ailleurs ne contredit ni les intuitions de Michelet ¹⁰ , ni les affirmations des paléontologistes. À la suite de quoi il traite longuement de la formation du pied humain à partir des parties inférieures des deux jambes de la grenouille, qui, en se ployant précédemment à la hanche, au genou, au cou de pied et à la racine des orteils liés ensemble par une membrane, et en se réunissant, formaient une queue de poisson assez semblable à celle des sirènes.

    « Pendant longtemps l’ancêtre, dit-il, rampant, laissa traîner ses jambes derrière lui …. Au milieu des herbes … on se suivait les uns les autres ; on était continuellement sur les talons, dans les jambes et sur le dos du devancier, et on avait à supporter son suivant … suis moi, disait l’un … oui, je te suis, marche. L’homme ne peut être qu’en suivant son ancêtre, je suis, derrière… le mot talon – te allons – se disait au précédent en touchant le talon qui est le point le plus sensible de la grenouille … Dans les moments difficiles l’ancêtre se soulevait sur le bout des orteils … il était alors sur les dents … c'est-à-dire sur pied, c’est ainsi qu’il commença à marcher sur la pointe des pieds, sur le bout des orteils… Dans cette position, pour former le pied actuel, il fallait faire couder la jambe au cou-de-pied, le mot coude-de-pied : ploie ou coude le pied… Lorsque l’ancêtre commença à marcher, les pieds étaient d’une longueur démesurée. »¹¹ Et encore : « On se plaçait, à l’occasion, accroupis autour du manger, et souvent le malappris mettait les pieds dans le plat, le pied-plat … je l’ai pris dans le plat … avec le pied »¹².


    ⁵ Italo Svevo dans La Conscience de Zeno raconte que quelqu’un lui a expliqué que chaque enjambée mettait en jeu cinquante quatre muscles, ce qui l’avait un temps empêché de marcher sans claudiquer, et même risqué de le faire tomber.

    ⁶ Ce n’est pas le seul texte par lequel Ribemont-Dessaignes ait manifesté qu’il portait au pied un intérêt plus que superficiel, et pas systématiquement sous le signe de la dérision ; voir le pied qui « s’aventure à marcher sur les eaux » de « Pèlerin des origines », « les traces de pieds nus sur le sable » de « Commencements », le « je suis réduit aux chaussures qui me portent » et les pieds monstrueux de la morte dans « Hugolin ». La librairie du Pont Traversé a fermé en 2021.

    ⁷ Mais on aurait tort de sous-estimer le rôle que les patronymes peuvent jouer dans les vocations : un magasin de podologie à l’enseigne de Ledos s’est récemment ouvert à Paris au voisinage de la place Denfert-Rochereau.

    ⁸ Parviz Khazraï, Avec les pas en bois (éditions A l’Index, collection « Empreintes », n°6, 2002).

    ⁹ Des très nombreuses figurations par des peintres de la métamorphose commençante de Daphné, trois seulement sont dignes de retenir l'attention. La première est due à Christian Wilhelm Ernst Dietrich (17121774), et met en scène, comme le marbre du Bernin, les pieds de la nymphe poussant des racines dans le sol. La seconde est due au peintre anglais proche des préraphaélites John William Waterhouse et montre, dans des couleurs bleu, vert et brun du plus bel effet un pied déjà mêlé à des branchages. La troisième est le très célèbre tableau de Chassériau où Daphné n'est déjà plus que le prolongement d'un tronc qu'Apollon, sa lyre en bandoulière, enlace désespérément à la hauteur de la taille. D'autres œuvres inspirées par le mythe d'Apollon et Daphné donnent inexplicablement à voir des rameaux naissant de différentes parties du haut du corps de la nymphe qui court encore, mais on voit mal que des rameaux puissent s'épanouir sur un arbre dépourvu de racines. Mais l'idée d'homme-plante est sous-jacente à plusieurs autres œuvres de portée assez différente : L'esprit des bois, un dessin à la craie noire et blanche d'Odilon Redon (1880) ; une peinture de Frida Kahlo de 1931 représentant Luther Burbank, herboriculteur (1849-1926), évoqué quelque part par John Dos Passos et connu pour avoir inventé de nouvelles espèces de pommes de terre ; les illustrations de Gustave Doré pour les scènes de la Divine Comédie de Dante traitant des violents contre eux-mêmes, les suicidés ; un certain nombre de gravures consacrées à un autre mythe narrant la poursuite d'une nymphe, Dryope, par Apollon ; mais celle-ci a été rejointe par le dieu et a donné naissance à un bébé que, dans la plupart des gravures, on voit des compagnes de la nymphe, déjà devenue arbre, tendre à celle-ci.

    ¹⁰ Michelet, dans La Mer, parle longuement des « commencements », tels qu’il les imagine, du « petit pied de Chinoise » du « mollusque voyageur », qui se dit « Je possède un pied, un organe pour marcher, donc je dois marcher », et de celui de l’haliotide, qui « a le pied pour se trainer, mais ne l’ose… j’ai peur, le crabe me guette ».

    ¹¹ On est évidemment tenté de rapprocher une partie de ce développement de la devinette créole rapportée par Le Clézio dans ses Sirandanes : « Je suis debout, il est allongé, je suis allongé, il est debout – le pied. » J.-P Brisset, au terme d’un passage qui n’est pas clair, cite un vieil adage qui vaut d’être confronté aux convictions en la matière de divers peuples évoquées au chapitre II : « Longs pieds et courtes mains sont marques de vilain. »

    ¹² Avant de quitter le talon, sans doute est-ce le moment d’évoquer brièvement, car il sera au chapitre IV question des pieds blessés ou souffrants, la balle qui a Ratisbonne en 1809 aurait atteint Napoléon au talon ou à son voisinage. Plusieurs peintures et gravures ont célébré l’empereur qui était à pied, lorsque la balle l’a atteint, enfourchant un cheval après avoir quitté l’une de ses bottes et s’être fait bander le pied blessé.

    La voûte plantaire

    Pour ce qui est de la voûte plantaire, si entre plante des pieds et plantation il n’existe pas de rapport, c’est du côté du plan, du plane, qu’il faut chercher, mais alors, ce qui est plan, plane, ne saurait être voûté. Et ce n’est pas non plus un tunnel que la cambrure du pied creuse sous le cou de pied, seulement une amorce de grotte

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