Petits récits macabres: 12 Nouvelles d'horreur et d'épouvante
Par Nadège Carlesso
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À propos de ce livre électronique
Tant d'âmes tourmentées et d'autres encore qui se retrouvent réunies au sein de ce recueil. Ils plongent dans les ténèbres, nous sautons avec eux.
Nadège Carlesso
Née en septembre 1991, elle se passionne dès son plus jeune âge pour la littérature. Avec des goûts naviguant entre les romans (Jane Austen, les soeurs Brontë, Shirley Jackson), les nouvelles (Edgar Allan Poe, Guy de Maupassant, Ray Bradbury) et la poésie (Emily Dickinson, Charles Baudelaire), elle s'oriente pour ses propres écrits vers la fiction fantastique en utilisant très souvent le genre horrifique, mais pas que... Sa nouvelle L'ultime chef-d'oeuvre a été publiée dans le recueil d'horreur Exsangue en janvier 2021, aux Éditions des tourments. Être vivant, nouvelle de science-fiction, figure quant à elle au sommaire de la revue Bloganozart Liberté de janvier 2022. En mars 2022, elle publie le recueil Contes et légendes d'épouvante, contenant neuf nouvelles fantastiques revisitant des mythes sombres tels que le wendigo, le chat noir, la banshee, le doppelgänger et bien d'autres encore. Enfin, en 2023, Quand la vie ne tient qu'à une larme fait partie de l'anthologie Sorcellerie Végétale éditée par L'imagin'arium en avril et Cycle de répétition sans fin rejoint le recueil Nouveau Départ aux Éditions Shadow. Petits récits macabres est son second recueil individuel.
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Petits récits macabres - Nadège Carlesso
Du même auteur :
Contes et légendes d'épouvante
Table
Ces défauts qui nous rongent
La chevelure
La belle sauvera-t-elle la bête?.
Légendes
Le revenant
La fontaine aux souhaits
Voyages en train
Le voyageur en retard
Carnet de suivi des douleurs
Huis clos physique, huis clos mental
Monologue intérieur
Confidences d’une faucheuse
Aller simple
Phobies et autres angoisses
L’interstice de la peur
Misophonie
La pression des fêtes de fin d’année
Accidents en série au royaume de Noël
Ces défauts qui nous rongent
La chevelure
On dit que la vanité est un défaut, le célèbre mythe de cet homme amoureux de son reflet dans l’eau s’en veut le symbole. Mais, pour ceux qui n’en seraient pas encore convaincus, laissez-moi vous conter une histoire dont on m’a fait part récemment. Je n’en ai pas été le témoin direct, mais je considère ma source comme parfaitement fiable puisqu’elle en est la protagoniste.
Nous nous sommes rencontrés il y a peu. Les hasards de la vie nous ont conduits à cohabiter pour le moment. Elle m’a autorisé à transmettre ce qui lui est réellement arrivé. Je sais que je peux me fier à elle et vous à moi. Trêve de bavardages, revenons, à ce qui nous intéresse, notre récit. Il débute au jour même de la naissance de ma nouvelle amie, notre actrice vedette.
Lorsque le bébé fut entièrement extrait du ventre de sa mère, une exclamation d’admiration se généralisa dans la salle d’accouchement.
— Quelque chose ne va pas ? A-t-elle un problème ?
— Non, bien au contraire madame, votre fille est… tout simplement magnifique.
On tendit la nouvelle née à sa mère qui comme chaque personne présente dans la pièce fut ébahie par la beauté de l’enfant.
Cette perfection résidait en un élément essentiel qui se distinguait : la masse chevelue qui recouvrait le dessus de son crâne. Épaisse, cotonneuse et douce, elle attirait toute l’attention. La femme charmée y plongea immédiatement les doigts. Elle les aima instantanément. Les jours qui suivirent, elle ne put s’empêcher de les caresser, de jouer avec la toison naturellement bouclée, d’entortiller les mèches. Elle se promit d’en prendre soin pour toujours.
En grandissant, Nerissa, c’est ainsi qu’elle fut nommée, suscita constamment la fascination et l’envie. Tous louaient la beauté de cette chevelure divine. Elle s’efforça pourtant de rester humble. Mais, tout change. Plus son âge avançait, plus sa modestie était mise à l’épreuve. Il fut plus difficile à mesure que le temps passait de résister à la tentation de la vanité qui cherchait à s’immiscer en elle.
Alors qu’elle était devenue une jeune adulte, sa mère, dont la fierté n’avait fait que gonfler au fil des ans, lui brossait les cheveux chaque matin et chaque soir pendant de longues heures. Tout en s’exécutant, elle vantait leur splendeur, elle prononçait en une seule et même phrase plus d’adjectifs et de superlatifs que n’importe qui d’autre en une année.
— Ils sont ton meilleur atout, tu le sais n’est-ce pas ? Ne l’oublie jamais.
— Oui, maman.
Comment rester modeste lorsque l’ego est flatté plus encore à chaque jour qui passe? Elle ne se fit ni arrogante ni prétentieuse, non, mais à présent elle avait pleinement conscience de son potentiel et de la beauté de sa crinière voluptueuse.
Alors qu’elle n’y avait pas prêté attention quand elle était plus jeune, qu’elle avait accueilli les éloges s’en y réfléchir plus que nécessaire, elle se surprenait maintenant à s’admirer longuement dans n’importe quel objet qui lui renvoyait son reflet. Obsédée par sa propre image, elle se répétait dans sa tête les compliments qu’elle entendait depuis l’enfance.
Un soir, sa mère avait dû s’attarder au bureau, Nerissa fut obligée de se brosser elle-même. Installée devant le miroir de la salle de bain, elle attrapa la brosse. Sa mère la lui avait offerte. D’une qualité exceptionnelle, elle avait coûté une somme importante, elle ne cessait d’ailleurs de le lui rappeler. Il faut bien prendre soin de tes cheveux, je suis sûre que ton futur dépendra d’eux, lui avait-elle répondu lorsque Nerissa avait remis en cause le prix plus qu’excessif.
Elle allait apposer l’ustensile sur la cascade de boucles, mais elle s’arrêta un instant pour s’observer. De sa main libre, elle attrapa une mèche qu’elle laissa retomber. Elle aimait cette chevelure qu’elle savait somptueuse, elle en était fière, trop même, elle changeait, elle s’en était rendu compte, elle se faisait orgueilleuse.
En parallèle de ce contentement constant, une pointe d’amertume subsistait au fond d’elle. Pourquoi donc être triste quand tout le monde vante votre beauté ? Tout bonnement, car elle aurait souhaité que les gens voient autre chose que son esthétique, qu’ils la regardent elle, la personne qu’elle était. Sa propre famille ne s’intéressait qu’à son paraître, jamais à sa personnalité. Qui était-elle au fond ? Le savait-elle elle-même?
Elle entama le brossage. Ballottée entre des pensées contradictoires, elle ne s’appliqua pas autant qu’elle aurait pu dans l’accomplissement de celui-ci. Elle n’employa pas la même minutie, la même finesse dans ses mouvements que sa mère le faisait. La brosse s’accrocha dans un nœud, elle chercha à le défaire, tira dans un geste brusque.
— Aïe ! s’écria une voix.
— Que… qui a dit ça ?
— C’est moi, qui veux-tu que ce soit d’autre ? Tu devrais faire plus attention, tu m’as fait mal. Qu’est-ce qui t’a pris? Pourquoi forcer avec tant de brutalité ? Il faut de la délicatesse pour défaire mes nœuds. Recommence en t’appliquant cette fois, sois douce !
Nerissa s’exécuta.
— Voilà, c’est parfait ainsi. Tu t’améliores. Continue !
— Qui es-tu ? interrogea Nerissa tout en poursuivant son labeur.
— Je suis ta chevelure bien sûr.
— C’est impossible. Les cheveux ne parlent pas, les cheveux n’ont pas de personnalité propre.
— Moi, si !
— Mais…
— Pas de mais ! Continue !
Quand sa mère rentra enfin, Nerissa n’avait toujours pas terminé sa tâche. Elle regarda l’heure. Elle se brossait depuis plus de trois heures. Désormais tirée de son état hypnotique, elle sentit la douleur qui se généralisait du haut de son épaule jusqu’au bout de ses doigts. Ses muscles avaient été mis à rude épreuve. En sortant, elle croisa sa mère.
— Veux-tu que je te passe un coup de brosse avant que tu ailles dans ta chambre ?
— Non, je me suis débrouillée toute seule.
— Tu es certaine ? Je suis frustrée d’avoir été privée de mon rituel avec eux.
— Oui, je suis fatiguée, je vais me coucher.
Elle s’allongea dans son lit, ses cheveux s’étalèrent autour d’elle en une mer ondulée.
— Je suis heureuse de ce moment partagé avec toi ce soir, lui souffla la voix. Nous devrions faire cela plus souvent, seulement toi et moi, juste toutes les deux, personne pour s’immiscer entre nous.
Le lendemain était le jour de la séance de coupe mensuelle de ses longueurs. Sa mère se chargeait toujours de cet entretien incontournable. Nerissa s’installa. La coiffeuse autoproclamée lui passa le tablier autour du cou et s’arma de ciseaux. Eux aussi lui avaient coûté une petite fortune. Elle se saisit d’une première mèche qui lui glissa entre les doigts. Elle en attrapa une autre qui s’échappa à son tour. À chaque essai, elle ne parvenait pas les garder en main. Elles se faufilaient, elles ne voulaient pas être empoignées, au contraire, elles souhaitaient se soustraire à toute emprise extérieure.
— Mais, que se passe-t-il ?
— Un problème maman ?
— Je ne comprends pas, je n’arrive pas à tenir tes cheveux, ils n’arrêtent pas de retomber.
Elle effectua une ultime tentative. Cette fois, la mèche insoumise lui fouetta la peau.
— Ne la laisse pas me toucher, je t’en prie. Je ne le supporte plus. Tous ces gens qui tentent d’apposer leurs mains poisseuses sur moi… ils m’écœurent. Ils nous envient, je peux le deviner, je le sens. Elle en particulier. Elle nous jalouse. Regarde ses yeux brillants de passion. Elle aspire à me posséder. Hier, elle insistait pour te brosser. Elle était si alarmée que tu te sois occupée de moi toute seule. Elle t’en avait toujours empêchée avant. Ne trouves-tu pas cela étrange ? Je suis persuadée qu’elle ne me veut que pour elle. Si elle pouvait m’arracher à toi, elle le ferait, je le sais. Je n’accepte plus qu’elle pose ses doigts envieux sur moi, cela me rend malade.
Nerissa se leva violemment et extirpa sans plus tarder la paire de ciseaux des mains de sa mère.
— Je vais m’en occuper.
— Non, laisse, je m’en suis toujours chargée.
— Plus maintenant. Et, à partir d’aujourd’hui, c’est moi qui me brosserai les cheveux le matin et le soir. Je n’aurai plus besoin de ton aide. Plus jamais. Désormais, j’en prendrai soin moi-même.
Sans attendre la réponse de sa mère, elle se précipita dans la salle de bain. Elle passa les heures qui suivirent à soigner sa chevelure devenue indépendante. Elle la choya. Elles s’encensèrent l’une l’autre, glorifièrent leur beauté respective. Elle ne sortit pas pour manger et ne regagna sa chambre que tard dans la nuit. Satisfaite de sa nouvelle amitié, du lien solide qu’elle venait de créer avec cette autre qui la considérait réellement et voulait la protéger des profiteurs, Nerissa s’endormit un sourire dessiné sur ses lèvres.
Le lendemain, Nerissa se préparait.
— Tu devrais te faire une tresse, lui proposa la voix.
— Pourquoi ? J’ai toujours laissé mes cheveux détachés jusqu’à aujourd’hui.
— Fais-moi confiance. Tu sais que la seule chose que je désire, c’est nous préserver de ces parasites. Tous les jours, je devine leurs regards envieux sur moi, ils me mettent mal à l’aise. Je suis certaine qu’ils sont attirés par le parfum naturel que je dégage, ensorcelés, ils seraient prêts à tout pour nous avoir pour eux. Avec une tresse, nous capterons moins leur attention. Serre-la bien, ne laisse aucune mèche dépasser.
Nerissa obéit. Elle ne le regretta pas, elle se sentit plus à l’aise au cours de la journée. Elle devait faire confiance à sa récente alliée et suivre ses conseils.
Les jours défilèrent, Nerissa se renferma sur elle-même, privilégiant sa nouvelle relation à toute interaction avec autrui. Elle passait des heures à la caresser avec délectation, une manie qui ne la quittait plus. Un soir, sa mère la surprit en pleine discussion avec la chevelure dans la salle de bain.
— À qui parles-tu chérie ?
— À mes cheveux, comme tu le faisais. Qui sait peut-être qu’ils peuvent m’entendre et que cela les aidera à pousser comme les plantes.
— Tu as raison.
Lorsque sa confidente lui conseilla de ne plus sortir pour être à l’abri de tous ses yeux qui les dévoraient de loin, elle n’objecta pas. Elle prétexta être malade pour pouvoir rester à la maison. Elle se découvrit de grandes qualités de comédienne. Elle réussit à duper sa mère plusieurs jours.
Un matin avant de partir au travail, cette dernière pénétra dans la chambre de Nerissa. Ceci la contraria, comment osait-elle envahir son sanctuaire?
— Tu ne vas toujours pas mieux ma chérie ? Nous devrions contacter le médecin.
— Non ! hurla la voix.
— Non ! gronda Nerissa
— Chérie, je sais que quelque chose te tracasse en ce moment. Je suis certaine que tu n’es pas vraiment malade. Que t’arrive-t-il ?
— Rien, rétorqua Nerissa essayant de retenir son agacement. Laisse-moi s’il te plaît, j’ai besoin de repos.
Mais, sa mère persista. Au lieu de sortir, elle s’avança plus près du lit.
— Dis-moi, insista-t-elle tout en s’asseyant sur