Rayon D'Esoleil: Les Chroniques de Kerrigan, #1
Par W.J. May
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À propos de ce livre électronique
À quinze ans, Rae Kerrigan ne connaît pas grand-chose de l’histoire de sa famille. Sa mère et son père sont morts lorsqu’elle était jeune et c’est seulement lorsqu’elle est admise au prestigieux pensionnat Guilder en Angleterre qu’elle découvre un mystérieux secret de famille.
Est-ce que les péchés du père seront les péchés de la fille? Tandis que Rae doit composer avec de nouveaux amis, une nouvelle école et un amour impossible, elle doit également faire face à un ultime défi : recevoir un tatouage le jour de son seizième anniversaire, accompagné qu’un pouvoir qui pourrait la plonger dans un monde de ténèbres. Rae doit combattre un mal qui provient du passé de sa famille afin d’avoir un rayon d’espoir pour son futur.
W.J. May
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Avis sur Rayon D'Esoleil
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Aperçu du livre
Rayon D'Esoleil - W.J. May
Rayon D'Esoleil
W.J. May
––––––––
Traduit par Lauviah Charbonneau
Rayon D'Esoleil
Écrit Par W.J. May
Copyright © 2023 W.J. May
Tous droits réservés
Distribué par Babelcube, Inc.
www.babelcube.com
Traduit par Lauviah Charbonneau
Dessin de couverture © 2023 Book Cover by Design
Babelcube Books
et Babelcube
sont des marques déposées de Babelcube Inc.
Remerciements
Chaque livre écrit par un auteur possède une histoire derrière l’histoire. Ma vie a pris un chemin différent lorsque j’ai perdu mon père emporté par un cancer en 2008. Ce livre lui est dédié, car même après son départ, il m’a appris combien la foi peut nous guider et à quel point nous pouvons être des modèles pour les autres (même lorsque personne ne nous regarde). Ce livre, ainsi que tous mes ouvrages, est un témoignage du courage dont il a fait preuve pour poursuivre « l’impossible » et suivre ses rêves. Merci, papa, tu me manques tous les jours.
Il y a tellement de gens que je dois remercier de m’avoir encouragé et orienté dans la bonne direction pour partager au monde le potentiel de Rae :
Mon mari, qui m’encourage et me fait sentir comme la personne la plus importante au monde (je t’aime) et mes trois adorables enfants pour leur amour (même lorsqu’ils sont las de voir leur maman derrière l’écran de son ordinateur). Ma famille élargie pour leur enthousiasme — ma maman, mes frères et sœurs, ainsi que mes beaux-frères et belles-sœurs et également mes nièces, qui furent mes premières lectrices et qui rédigèrent même un reportage sur Rae avant qu’elle ne soit publiée.
Ma très sincère et merveilleuse agente, Dawn, qui a vu mon potentiel avant même que je ne sois consciente de son existence.
Luci, mon éditrice, qui a « compris » Rae et qui savait exactement comment lui donner vie.
Mon équipe de relecteurs : Tiffany, Chrissy, Holly, Trish, Marti, Jayde, June, Marva, Wendy et tous ceux que j’aurais pu oublier de mentionner — vous savez qui vous êtes et je vous aime pour cela.
Note supplémentaire : Un merci tout particulier à Ray — de m’avoir permis d’emprunter son prénom.
TABLE DES MATIÈRES
Chapitre 1 - Le pensionnat Guilder
Chapitre 2 - Proverbe de vérité
Chapitre 3 - Directeur Lanford
Chapitre 4 - Réponses indésirables
Chapitre 5 - Amis?
Chapitre 6 - Leçons du passé
Chapitre 7 - Tatù
Chapitre 8 - Doyen Carter
Chapitre 9 - Compétition
Chapitre 10 - Cours de magie
Chapitre 11 - Cheeseburger américain à Londres
Chapitre 12 - La danse
Chapitre 13 - La lettre
Chapitre 14 - Le don
Chapitre 15 - Le 13 et 14 november
Chapitre 16 - Le 15 november
Chapitre 17 - O-F-S
Chapitre 18 - Le dîner des anciens
Chapitre 19 - Un conseil d'ami
Chapitre 20 - Démons intérieurs
Chapitre 21 - Trahison
Chapitre 22 - Destinée
Chapitre 23 - Ton destin
Chapitre 24 - Pourquoi moi?
Chapitre 25 - Voeux secrets
Chapitre 26 - La lettre
Chapitre 1
Le pensionnat Guilder
— Tu ne peux pas échapper au passé. Les péchés du père sont ceux du fils, ou dans ce cas-ci, de la fille.
Les paroles inquiétantes d’oncle Argyle avaient résonné aux oreilles de Rae longtemps après qu’il l’ait laissée à l’aéroport. Il avait qualifié ses propos de « proverbe de vérité ». Qui dit de telles choses de nos jours ? Tu parles d’un au revoir. Resserrant sa queue de cheval et essayant en vain de replacer ses boucles rebelles derrière ses oreilles, Rae regarda sa montre, avant de tourner son regard vers la campagne jalonnée d’arbres derrière la fenêtre. C’était étrange de voir le soleil. La pluie était tout ce dont elle se souvenait de sa vie en Grande-Bretagne, neuf ans plus tôt.
Essayant de se mettre à l’aise, Rae remonta ses pieds sur le siège et reposa sa tête sur ses genoux tandis qu’elle observait le paysage défiler. Un panneau sur le bord du chemin indiquait le nombre de miles restants avant d’atteindre Guilder. Cela prendrait encore trente-cinq minutes. Elle plaça ses écouteurs dans ses oreilles, repoussa la frange de son front et regarda par la fenêtre en direction des champs qui se succédaient, essayant de se laisser distraire par la musique de son iPod.
Ce fut un échec. Au moment où la tension de ses épaules commençait à se relâcher et qu’elle se laissait emporter par la musique, quelque chose attira son attention. De la fumée noire s’élevait juste au-dessus d’une colline verdoyante. Rae la regarda, son cœur battant la chamade, tandis qu’une vieille mémoire remontait à la surface. Elle savait ce que cette fumée noire représentait. Elle avait déjà vu cela, longtemps auparavant.
Une maison était en train de bruler.
Merdre, merde, merde, je ne veux pas aller là-bas. Son cœur battait à un rythme effréné et son estomac se contracta, lui donnant la nausée.
Lâchant ses genoux, elle attrapa le siège en face d’elle, enfouissant son visage dans ses mains et prenant de profondes inspirations, comme le thérapeute lui avait enseigné. Elle avait subi des années de thérapie pour traiter ce qu’on qualifiait « d’attaque de panique ». Ça n’avait aucune importance, comment les autres appelaient cela. Pour elle, c’était simplement l’enfer ; comme si elle était renvoyée dans le passé contre sa volonté, à un moment qu’elle ne voulait plus jamais revivre. Elle respira donc comme on lui avait enseigné, une lente inspiration, jusqu’au bout, puis une lente expiration, tout en répétant inlassablement ce n’est pas réel, ce n’est pas réel, dans son esprit.
Cela aida à calmer les battements de son cœur, lui permettant de reprendre le contrôle, mais ne fit rien pour effacer son souvenir. Son retour en Angleterre et la vue de l’étrange fumée donna à Rae l’impression d’avoir de nouveau six ans.
Elle était dans le salon en train de colorier avec ses nouveaux crayons lorsque sa mère lui avait demandé de les emporter dans la cabane que son père lui avait construite dans un arbre et d’y jouer jusqu’à ce qu’elle la rappelle à la maison. L’appel n’était jamais venu. Le brasier avait projeté des ombres horrifiantes à l’intérieur de la cabane. La fumée noire puante avait terrifié la petite fille de 6 ans comme aucun monstre caché sous le lit n’avait pu le faire.
Rae frissonna et se redressa, s’obligeant à revenir dans le moment présent.
Est-ce que cette école pouvait être encore plus perdue au milieu de nulle part ?
Jetant un coup d’œil à l’intérieur du bus maintenant vide, elle se demanda si le chauffeur avait fait exprès de la garder en dernier. Elle avait regardé les derniers passagers descendre à une autre école une quinzaine de minutes plus tôt, Roe-quelque chose. Les filles se ressemblaient toutes, elles étaient jolies et blondes ; aucune d’elles n’était mince, pâle et grande comme Rae. Elles ne s’étaient pas montrées très amicales. Aucune surprise de ce côté-là... Elle était habituée à cela. Elle avait l’habitude de passer inaperçue, si elle était chanceuse. Rae s’était donc comportée avec elles de la même manière qu’avec celles qui la détestaient instantanément sans raison. Elle avait évité de croiser leurs regards et avait fait mine de s’immerger dans la brochure du pensionnat Guilder. Ce n’était pas qu’elle refusait de se faire des amis. Elle n’en avait simplement jamais vraiment eu. La plupart des enfants de son âge l’ignoraient ou la détestaient.
Elle était embêtée qu’oncle Argyle ait autant insisté pour qu’elle accepte l’offre lorsque Guilder avait envoyé la lettre. C’était lui qui les avait tous fait déménager de l’Écosse à New York lorsqu’elle était venue vivre avec eux, l’éloignant ainsi de l’horrible tragédie qui avait causé la mort de ses parents et maintenant, il avait soudainement bondi sur l’occasion de la renvoyer là-bas ? Cela ne faisait aucun sens. Elle trouvait dommage de quitter son ancienne école. Elle n’y avait pas d’amis proches, mais elle n’y avait pas d’ennemis non plus, ce qui était un plus selon elle. Les filles là-bas étaient aussi coincées que celles qui venaient de quitter le bus, mais elles l’avaient simplement ignorée. Rae s’était toujours dit que cela n’avait aucune importance. De toute façon, selon elle, les cliques étaient complètement démodées.
Elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi Guilder l’avait choisi, elle. Comment avaient-ils entendu parler d’elle ? Son oncle n’avait cessé de répéter à quel point c’était une chance pour elle d’avoir été sélectionnée, mais il n’avait jamais expliqué comment ils en étaient venus à connaître son existence en premier lieu. Elle avait de bonnes notes, l’apprentissage n’avait jamais été un problème pour elle, mais elle n’avait participé à aucune activité parascolaire, rien qui aurait pu la faire sortir du lot. Pourquoi cette école extraordinaire, dont elle n’avait jamais entendu parler, lui avait-elle fait une telle offre ? Cela ne faisait aucun sens. Elle avait essayé à plusieurs reprises d’obliger son oncle à lui donner au moins un bout d’explication, mais il avait toujours semblé trop occupé.
Bien que ce ne soit pas exactement un comportement anormal pour lui, cela avait tout de même fait naître en elle un sentiment d’appréhension qui ne l’avait pas quitté depuis le jour où elle avait reçu la lettre. Elle ne pouvait pas expliquer pourquoi, mais elle avait le pressentiment que quelque chose d’important était sur le point de se produire. Cependant, elle n’avait aucune idée si cette chose était bonne ou mauvaise.
Un mouvement à la périphérie de son champ de vision attira son attention, extirpant son esprit du tourbillon de questions qui bouillonnait dans son cerveau. Elle tourna la tête, regarda par la fenêtre et fut surprise de voir le plus grand oiseau qu’elle ait jamais vu de sa vie. Peut-être un aigle ? La bête volait en parallèle avec le bus, juste à côté d’elle. Pressant son visage sur la vitre froide, elle fixa son regard sur l’étrange spectacle. Elle eut un mouvement de recul lorsqu’il battit des ailes, effleurant la fenêtre et s’éloigna. Elle observa son vol gracieux tandis qu’il s’éleva avant de piquer vers le bas pour se poser sur la branche d’un grand arbre plus loin devant. Lorsque le bus passa devant lui, l’oiseau sembla fixer Rae du regard et elle se sentit comme hypnotisée. Rae s’était toujours demandé ce que ça ferait d’être un oiseau, de voler librement, d’aller là où le vent la mènerait. Elle continua à regarder l’oiseau jusqu’à ce qu’il disparaisse de sa vue, puis s’affaissa dans son siège tandis que le bus poursuivait sa course sur la longue route.
Le pensionnat Guilder. Elle tira sur la cuticule de son pouce un peu trop fort et déchira la peau, ce qui la fit grimacer. Elle ne pouvait s’en empêcher, elle faisait toujours cela lorsqu’elle était nerveuse. Elle serait la seule Américaine. Pas vraiment américaine, en fait. Elle détenait un passeport britannique, mais elle avait déménagé à New York après que ses parents eurent péri dans un incendie, faisant d’elle une orpheline. Donc... pas vraiment américaine, pas vraiment anglaise ; un peu des deux nationalités, mais n’appartenant réellement à aucune.
Le bus passa près d’un vieux panneau en pierre. Pensionnat Guilder, fondé en 1520. L’un des meilleurs établissements d’enseignement de Grande-Bretagne. Rae lut l’écriteau en se demandant comment une école pouvait être aussi vieille et ne figurer nulle part sur l’internet. Elle n’avait rien trouvé lorsqu’elle avait essayé de faire des recherches. Le bus passa sous une vieille arche supportant un passage couvert percé de vitraux reliant deux tours de briques rouges. Le flot de personnes qui entraient et sortaient des portes à leurs bases lui fit penser qu’il s’agissait d’une sorte d’immeuble à bureaux. Elle s’étira le cou pour mieux voir. Les bâtiments étaient vieux, mais bien entretenus et ils projetaient une aura presque magique provenant de l’époque des Tudors. Elle s’attendait presque à voir des hommes en collants et en braguette se pavaner sur la route, menant des chevaux, avec des dames en corset délicatement perchées dessus. L’image mentale l’amusa et elle sourit distraitement. Ses yeux furent attirés par des cheminées en brique le long des toits des bâtiments. Elle aperçut les autres bâtiments au-delà. Cet endroit à l’air immense... j’espère que je ne me perdrai pas.
Le chauffeur arrêta le bus devant un bâtiment garnit d’une plaque en relief portant l’inscription « Maison Aumbry ». Le bâtiment ancestral était recouvert de lierre. Il paraissait plus vieux même que Henry VIII, laissant Rae en proie à la vision horrifiante d’un pot de chambre dansant dans son esprit. J’espère qu’il y a un système de plomberie à l’intérieur...
La porte du bus s’ouvrit avec un grincement. Rae rassembla ses deux petites valises et son cartable, descendit l’allée et quitta finalement le bus.
— Bienvenue à Guilder, mademoiselle Kerrigan.
Rae se retourna maladroitement vers la voix et découvrit une femme grande et mince se tenant sur les marches en béton du bâtiment, ses yeux scrutant de gauche à droite, s’arrêtant sur Rae pendant à peine plus de quelques secondes. Rae la fixa, se demandant d’où la dame était sortie. Elle n’était pas là il y a quelques instants à peine. Rae remarqua la longue jupe en laine de la dame. On est peut-être en Angleterre, mais aujourd’hui la température est étouffante. Comment fait-elle pour ne pas fondre dans cette chaleur ?
— Je suis madame Elpis, votre gouvernante.
La dame descendit le large escalier de béton, fit une pause sur le dernier palier et d’un geste fluide, coinça son bloc-notes sous son bras et tendit la main.
Les traits de la femme rappelaient à Rae un oiseau — ses cheveux noir de jais, ses yeux sombres et surtout son nez proéminent. Rae hocha la tête et laissa tomber une valise pour pouvoir accepter la poignée de main, ses doigts écrasés par la poigne en forme de griffe de la femme. Aïe, aïe, aïe ! Alors tu es terriblement forte, compris.
— Allons, allons, ce n’est pas le moment de lambiner.
Elle se tourna et commença à gravir les marches, sans vérifier si Rae la suivait ni si elle avait besoin d’aide avec ses bagages.
Soupirant, Rae attrapa ses affaires et s’empressa de la suivre, elle entendit le chauffeur ricaner tandis qu’il fermait les portes derrière elle. Je vais passer les deux prochaines années ici ? Quelle chance ; quelle foutue chance.
Le son des marteaux et le bruit des perceuses provenant du plafond accueillirent Rae lorsqu’elle passa la porte d’entrée. Le tumulte résonnait dans tout le bâtiment.
— Les filles de seize et dix-sept ans résident au premier étage, cria madame Elpis par-dessus le vacarme. Ta chambre est la dernière sur la gauche.
Elle regarda le bloc-notes de note qu’elle tenait sous son bras.
— Molly Skye est ta colocataire. Je présume que tu pourras trouver ton chemin.
Sa dernière phrase était plus une affirmation qu’une question.
— Merci, répondit Rae timidement, ne sachant pas quoi dire d’autre.
Madame Elpis pointa une porte sur la gauche.
— La salle d’étude est par là. La porte en verre mène à la salle de récréation. La porte sur ta droite mène à mes appartements. Vous n’avez pas le droit d’y entrer.
Elle mena Rae à l’escalier en colimaçon de marbre blanc et noir.
— Les juniors sont au premier étage, les seniors aux deuxième et troisième.
Elle jeta un coup d’œil à une vieille montre de poche accrochée à une chaîne autour de son cou et, si c’était encore possible, se redressa un peu plus.
— Le diner est servi à dix-sept heures tapant.
Elle tourna les talons, sa jupe tourbillonnant tandis qu’elle se dirigea à grands pas vers son appartement et claqua sa porte d’un coup de botte.
Rae laissa aller la respiration qu’elle avait retenue sans s’en rendre compte. Les coups de marteau et les grincements des scies électriques résonnaient dans le corridor. Elle était tellement nerveuse que le cognement des marteaux aurait pu venir de son propre cœur, elle n’aurait su faire la différence.
Rae prit son temps pour monter les marches et, lorsqu’elle arriva sur le palier supérieur, se dirigea à gauche vers le bout du couloir. En mordant l’intérieur de sa joue, elle donna un petit coup sur la porte entre-ouverte et jeta un coup d’œil à l’intérieur. Rien. Rae poussa doucement la porte et inspecta sa nouvelle chambre.
Un tapis brun douillet recouvrait le plancher. Deux lits, avec des couettes assorties et des oreillers en daim beige, reposaient contre les murs opposés. L’un d’eux était déjà recouvert de valises à moitié vides. Des placards modernes avec beaucoup d’espace s’harmonisaient parfaitement avec les bureaux anciens encastrés dans le mur à côté de chaque oriel. Rae inspira profondément, sentant à la fois la peinture fraîche et l’odeur unique des antiquités.
Enfin ! Ça avait été une très longue journée de voyage. Une grande partie de la tension quitta ses épaules et elle esquissa un sourire pour la première fois depuis des heures.
Rae déposa ses valises du côté vide de la chambre. Sa colocataire, Molly, avait dû quitter la pièce au beau milieu de son dépaquetage. Les portes de son placard étaient grandes ouvertes, avec des cintres déjà remplis de vêtements et plus de chaussures que Rae en avait possédé dans toute sa vie. Elle n’avait jamais été férue de mode, mais elle était tout de même capable de reconnaître des vêtements de marque lorsqu’elle en voyait et elle en voyait un nombre stupéfiant dans ce placard. Elle espérait que sa colocataire ne se révélerait pas être une fille superficielle. Rae resta plantée là, se demandant ce qu’elle ferait si elle se retrouvait à devoir partager sa chambre avec le prochain top modèle de Guilder. Une vision de sa colocataire effectuant des allers-retours dans la chambre en talons hauts, pratiquant sa « démarche », lui fit perdre sa concentration. Elle n’entendit pas les bruits de pas dans le couloir, se rapprochant de la porte.
— Qu’est-ce que tu fais dans ma chambre ?
Rae sursauta, faisant tomber son sac à main. Une fille habillée à la dernière mode se tenait dans l’embrasure de la porte. Ses cheveux étaient d’un brun acajou foncé, le genre de couleur pour laquelle les femmes étaient prêtes à payer un montant fou. Génial... nous y voilà.
Rae déglutit.
— Molly ? Je suis ta nouvelle colocataire.
Molly toisa Rae de haut en bas.
— Tu es Rae Kerrigan ? Je m’imaginais quelqu’un de totalement différent. Tu ne fais pas du tout peur !
Elle rit comme si elle venait de faire une bonne blague. Faire peur ? Moi ? De quoi parle-t-elle ?
— Je m’appelle Molly Skye. Je viens de Cardiff, au Pays de Galles.
Elle jeta une de ses valises sur le sol et s’assit sur le petit espace libre sur son lit.
Rae la regarda, perplexe. Pourquoi quelqu’un penserait-il qu’elle faisait peur ? Parce qu’elle venait de New York ? Elle avait la terrible impression d’être la nouvelle, l’étrangère et l’école n’était même pas commencée.
— Tu n’as pas encore seize ans, hein ? Pas de tatouage ?
Molly baissa manifestement le regard sur la taille de Rae, comme si elle s’attendait à ce que cette dernière lui montre quelque chose.
Un tatouage ? Rae plissa le front, essayant de comprendre l’accent de Molly. À la manière dont elle s’exprimait, certains mots étaient difficiles à comprendre. Pourquoi demande-t-elle si j’ai un tatouage ?
— Mon anniversaire est dans trois jours. Ça va être génial ! s’exclama Molly s’appuyant sur ses coudes. Et toi, quelle est ta date ?
— Mon anniversaire ? Euh... pas avant novembre.
On en est déjà aux infos personnelles. D’accord, je pense savoir quel genre de fille est ma colocataire.
— Novembre ? Tu vas devoir attendre longtemps, fit remarquer Molly en grimaçant et en secouant la tête. Pauvre de toi. Tu vas être la dernière à te faire tatouer, c’est certain.
Elle sauta du lit. Rae nota l’étrange commentaire, mais la volubile Molly ne s’arrêta pas de parler, elle rangea donc le mystérieux commentaire dans son esprit pour l’examiner plus tard.
— Qu’est-ce que tu penses de notre chambre ? Pas mal, non ? Sauf pour la construction aux étages supérieurs.
Elle jeta un regard ennuyé au plafond.
— Je viens de parler à l’un des travailleurs. Il a dit qu’ils arrêtaient de travailler à seize heures. Et ils recommencent à huit heures du matin ! Peux-tu croire ça ? Qui se réveille à cette heure-là de toute façon ?
Ouah. Molly est capable de parler sans faire de pause pour respirer. Rae hocha la tête et essaya de suivre la conversation. Elle regarda Molly effectuer des va et vient de la plante de ses pieds à ses talons, un geste de nervosité que Rae attribua à la rencontre de nouvelles personnes. Tout le monde a ses problèmes, mais c’est étonnant venant d’elle, considérant la vitesse à laquelle elle parle.
— Peux-tu croire qu’on nous a invités à Guilder ? Nous sommes deux des seize filles parmi une marée de beaux garçons riches et prétendument inatteignables.
Lorsque Rae ne répondit pas, Molly fronça les sourcils.
— Tu sais pourquoi nous sommes ici, n’est-ce pas ?
Rae haussa les épaules. Le décalage horaire semblait avoir réduit son cerveau à l’état de bouilli.
— Pour être franche, je ne sais pas trop de quoi tu parles. Je ne suis pas revenue en Angleterre depuis mes six ans et je ne sais rien à propos de Guilder.
Malgré plusieurs recherches sur Google et malgré avoir passé une heure complète le nez enfoui dans la brochure durant le trajet de bus.
— Tu n’es pas lente d’esprit, ou quelque chose du genre, n’est-ce pas ?
Rae secoua la tête lentement, se demandant si sa loquace colocataire venait tout juste de l’insulter. Molly la fixa, se grattant le cuir chevelu.
— Tu ne sais vraiment pas, n’est-ce pas ?
Elle regarda vers le haut puis vers la gauche, se remémorant visiblement quelque chose d’important. Elle se redressa, comme si elle récitait une partie de la brochure de mémoire.
— Guilder est un établissement d’enseignement très réputé, mais c’est en premier lieu une école pour les doués. Ceux qui se font accepter à Guilder savent pourquoi. Le reste du monde n’en a aucune idée !
Rae serra les poings, ses ongles s’enfonçant dans ses paumes. Elle se sentait stupide et également irritée contre elle-même de se sentir stupide. Ce n’était pas quelque chose qu’elle avait envie de gérer en ce moment, particulièrement après une longue journée de voyage.
— Qu’est-ce qui nous rend... doués ?
Les yeux de Molly s’écarquillèrent. Elle commença à arpenter la pièce.
— Oh... mon père ne le croira jamais. Tu ne sais vraiment RIEN ?!
Rae sentit sa tension artérielle augmenter. Elle savait qu’elle était fatiguée, confuse et nerveuse. Rien de tout cela ne l’aidait à garder son calme, mais elle était bien décidée à ne pas le perdre devant une parfaite inconnue. Elle pressa ses lèvres l’une contre l’autre pour empêcher tout commentaire cinglant qui voudrait s’échapper. Cette fille ne pouvait-elle pas répondre à une question simplement ?
Molly se retourna devant Rae, redressa dramatiquement les épaules et prit un air sérieux.
— Lorsque nous atteignons l’âge de seize ans, nous recevons notre tatouage.
— Pardon ?
— Un tatouage.
Elle se pencha vers l’avant et murmura :
— Il nous donne des pouvoirs spéciaux.
Attends... quoi ?
— Des... pouvoirs ?
Rae essaya de ne pas éclater de rire. Son oncle l’avait-il envoyé dans une école pour les détraqués ?
— Tu veux rire, n’est-ce pas ?
Oncle Argyle l’avait prévenu que cette expérience allait changer sa vie, mais il n’avait pas dit comment. Rae avait supposé qu’il parlait de grandir — en maturité. Et, bien sûr, il y avait cet étrange proverbe. Mais peut-être avait-il envoyé Rae par erreur dans une énorme chambre capitonnée.
Molly agita la main.
— Je suis sérieuse, le don se transmet de génération en génération, dit-elle en soupirant exagérément. N’importe quel garçon ici ayant seize ans possède un tatouage sur son avant-bras.
Elle entraina Rae vers la fenêtre et pointa le bâtiment en face d’elles.
— Ça, c’est le dortoir des garçons. Allons dehors pour faire un tour. Je demanderai à l’un d’eux de te montrer de quoi je parle.
Ses yeux tombèrent sur les vêtements de Rae et ses lèvres se serrèrent.
— Peut-être aimerais-tu te changer avant de partir ?
Rae s’esclaffa, malgré l’expression sérieuse de sa colocataire. Molly était indéniablement folle, mais elle avait un point. Elle s’était habillée confortablement pour le voyage et même si elle ne se préoccupait pas vraiment d’être à la mode, elle ne souhaitait pas rencontrer ses nouveaux camarades de classe habillée comme un vieux chiffon. Un petit rafraichissement ne lui ferait pas de mal.
— D’accord, donne-moi deux minutes.
— Je vais descendre et essayer de trouver des garçons mignons. Rejoins-moi à l’extérieur lorsque tu seras prête.
Molly quitta la pièce, continuant son bavardage incessant dans le couloir malgré l’absence d’auditoire.
Rae ouvrit la valise la plus proche et attrapa la première paire de jeans et le premier haut qu’elle trouva. Elle hésita et fouilla un peu plus dans sa valise. Les jeans étaient bien, ils étaient nouveaux, mais le t-shirt blanc serait trop quelconque. Elle trouva un débardeur rose avec les mots « ONE STAR » écrits en paillettes. Elle sortit un élastique à cheveux, souhaitant que ses boucles foncées et rebelles soient lisses comme les cheveux parfaits de Molly. Elle ne prenait jamais la peine de se maquiller parce qu’elle avait déjà des cils ultra-longs et que le mascara ne semblait que vouloir les coller et à peu près tout le reste ne faisait que lui donner l’air d’une aguicheuse. Garde les choses simples, lui disait toujours sa tante. Elle se contenta de mettre du brillant à lèvre, puis du déodorant, avant d’attraper une paire de sandales et de placer son sac à main sous son oreiller. Maintenant, il est temps de découvrir de quoi parlait Molly, ou du moins de rencontrer des gars mignons. Elle était peut-être invisible la plupart du temps, mais des beaux garçons restaient des beaux garçons, peu importe de quel côté de l’Atlantique elle se trouvait.
Une fois dehors, à la lumière éclatante du soleil, elle se couvrit les yeux avec sa main et chercha sa nouvelle colocataire du regard.
Molly se tenait plus loin sur le trottoir, parlant à un garçon très mignon avec des cheveux châtains, des yeux noirs et une fossette sur la joue droite. Elle disparut lorsqu’il arrêta de sourire pour recommencer à parler, ce qui rendit Rae un peu triste. Elle voulait revoir cette fossette. Rae s’élança dans les escaliers, avant de ralentir, ne voulant pas paraître trop excitée.