Clotilde
Par Charles Mouchet
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À propos de ce livre électronique
Errance hallucinée et hallucinante dans une ville fantasmagorique. On y voit aisément une caricature de Genève, cette grande capitale financière.
La poésie dans ce qu'elle a de plus sublime.
Charles Mouchet
D’origine savoyarde, Charles Mouchet est né le 21 mars 1920 à Genève. Après des études confuses suivies de vagues bureaux, il se dirige vers l'enseignement tout en initiant sa carrière d’écrivain. Son premier recueil, LE MOT POÉSIE, est publié en 1953 par JEUNE POÉSIE, un mouvement dont il est le principal instigateur pendant quinze ans. Un séjour en Tunisie, de 1957 à 1961, imprègne fortement son oeuvre. De retour en Suisse, il fonde et dirige sa propre école privée, tout en continuant à écrire inlassablement jusqu'à la fin de sa vie.
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Avis sur Clotilde
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Aperçu du livre
Clotilde - Charles Mouchet
bréviaire
Avis
Ce livre ne vise qu'à distraire, à plaire si possible, de façon fort classique. Tout ce qu'il pourrait avoir de grinçant
, échappant à l'intention de l'auteur, émanerait de quelque mauvais ange.
Allez savoir...
Petit matin d'été. Les premiers trilles derrière le store dessinent leurs traits liquides. Éveillée à demi, elle laisse ce jour naître à travers ses paupières. Nue, allongée doucement sur l'édredon, mollement renversée et les cheveux épars. Rester ainsi, entre sommeil et veille, entre songe et clarté. Passive encore, c'est à dire subissant les délicates suggestions de l'aube.
Laisse ton corps s'éveiller sans que ton esprit agisse. Flotte. Coupe la réflexion. Renverse-toi davantage, écarte un peu tes cuisses, centre-toi. Et que fleurisse le milieu de ton corps sous la toison mordorée. Glisse ta main palpant le ventre, la très légère bombure si tiède, tendre. Tends tes doigts agiles. Ils trouvent sans effort leur chemin, l'index d'abord. Déjà sous la toison crépue se faufilant, il flatte le petit dard si prompt à s'irriter, il insiste, la main entière maintenant, la droite, la gauche palpant mollement les alentours, la droite investit le sexe.
Ce dard contient tout maintenant, tendu comme fou, microcosme éperdu. Les paupières restent closes et toute la chair, qui frémit cependant. La bouche s'entrouvre, dit la grondante volupté par des soupirs, des halètements puis un long râle jusqu'au cri, don entier, délivrance, fragment de paradis plante d'enfer sauvage. Le silence même bourdonne. Des sortes d'étoiles pleuvent. La peau crépite: satiété, joie enfouie à renaître.
Clotilde va se lever maintenant. Sur le tapis de haute laine berbère, couleur de mouton beige et brun, elle assouplit son corps provisoirement rassasié. Exercices divers (que la grande glace du vestibule reflète).
Ce corps doublement rose se déploie pour le miroir, qui le capte, en saisit le jeu de galbes et de muscles, les flexions, les inflexions, toutes les courbes en mouvement. Elle respire alors profondément, garde son souffle, expire. Puis viendra le bain de
mousse, la tiède immersion et le rêve, ou plutôt songe aux contours indécis, aux vagues mouvances vers l'infini, les jeux de teintes et de tons, une danse, une
sphère ourlée qui s'en va, revient, tourne, éclot enfin. Feu d'artifice, lente retombée de paillettes.
8 heures. Il y a ce rendez-vous à neuf heures trente. Et ça ne blague pas chez le Directeur. Clotilde s’habille : pantalon et veste de velours noir, foulard grenat. Première cigarette et café. Elle descend maintenant, aborde la rue Sainte-Clotilde.
Oui, comme par hasard. Ce n'est pas tant pour la Sainte, dont elle ignore l'identité, et n'a pas de raison de la connaître, que pour ce quartier de la Jonquille. Elle adore les jonquilles dont il n'existe pas trace ici d’ailleurs : amusante déformation de la Jonction. A cinq cents mètres se joignent en effet le fleuve qu'elle nomme le Fleuve, et la Rivière tout court. Et puis elle aime ce quartier, plutôt pauvre et ses bistrots notamment : le Boulodrome, le Relais, le Rond-Point, la Lanterne. Surtout la Lanterne. Et bien d'autres. En somme, une des régions cordiales de cette ville de Floussa, qui serait en soi charmante avec ses parcs, ses jardins, ses quais, ses fleurs, s'il n'y avait la Puanteur.
Malheureusement, issue des Caves ou Cuves, infiltrée par interstices, elle ne peut qu'irriter les narines sensibles, apparemment peu nombreuses ici puisque les visages, souvent glaciaux certes, ne grimacent guère. Intérieures répulsions peut-être ?
Quant à Clotilde, elle chemine maintenant dans sa rue, non sans désinvolture. C'est bien cette désinvolture (deux petites lettres bleues par ailleurs tatouées de façon sautillante au bas de son ventre, à l'orée du pubis, juste au-dessus des poils) qui lui permet de tenir, ou de faire semblant du moins, parmi ces miasmes, issus d'immondices souterraines.
Rue Sainte-Clotilde. Parfois toute droite et miroitée, traversant le Boulevard Georges, qui va comme possible vers le Rond-Point de la Jonquille ; parfois zigzaguée, mais ça dépend des rentrées, flammée à sa façon de signes et de déraison, elle fait ce qu'elle peut. C'est peu.
Bon. On marche. Clotilde commande, comme tout le monde, son ristretto-croissant au café du Tiers-Monde (officiellement nommé l'Étalon, pourquoi ?).
Étalon, en effet : bien des individus vêtus d'orange, couleur dévolue à des esclaves préposés aux voiries, avalent, tête basse. Joli monde servile. Clotilde fume et rêve. Le Départ brille à l’horizon : l'Ile, la belle île où se prélasser. L'océan, les palmes, les hamacs, l'indolence balancée. Les hommes en orange s'en vont les uns après les autres à leur besogne d'esclaves. Floussa attire beaucoup de monde. Les nantis d'abord, de tous bords et de tous lieux, qui bourrent les Cuves de leurs trésors, arrachés au vain peuple. Et le vain peuple afflue aussi, guidés par la Puanteur dont ils attendent merveille, sous forme de la fameuse Monnaie flousseuse, la plus célèbre au monde, manne pour laquelle on se ferait tronçonner vif.
Clotilde considère sa journée (25 juin). Elle recommande un ristretto, rallume une cigarette. Il reste quelques orangés qui la détaillent. Privés. Manque de tout pour un peu d'argent flousseux. Pouah. Affecter un grand air dédaigneux. Cœur compatissant mais à quoi bon: je me lave les mains de Floussa, de ses Cuves, de ses Caves, de ses Senteurs. 25 juin.
A 9 h 30, le Directeur, l'omnipotent, l'omniscient dictera le programme. De toute façon la nuit d'été viendra, parée de velours et d'or, et ce sera Wanda.
C'est le jour de Wanda. Vendredi, jour de Wanda, de Vénus, de volantes vapeurs. Allons faire quelques pas, il reste trois quarts d'heure. Par le Boulevard Georges, elle arrive au Rond-Point. Le soleil anime les eaux pas loin, on ira. Mais en attendant, un cognac peut-être. Parfaitement. Un cognac s'il vous plaît, au café du Boulodrome, vaste, orné de vastes peintures naïves dans lesquelles elle se perd. La Pêche miraculeuse.
Le miracle c'est de fuir. Mais enfin. Délicieuse brûlure de l'alcool. N'en pas abuser pourtant à la façon de Wanda, qui du reste abuse de tout. Gardons la tête claire: j'ai deux mots à dire à ces gens. Et bien. En quatre-vingt cinq pages. Pauca satis. Peu mais fort. Et même très fort. Vos oreilles vous sonneront, vos esgourdes, vos portugaises, vos... du calme, Allons au Fleuve par la rue des Falaises. Les flots luisent et brillent presque lisses mais dessinés en profondeur. Chants perdus où dansent les cygnes, leurs cols doux et souples, leurs coques gonflées comme l'amour (ce soir). Les mouettes jettent leurs cris blancs. Ce soir ou cette nuit. Les mains aux poches, Clotilde se tâte doucement. Toujours prête.
Mais l'heure vient. Il s'agit simplement de remonter un peu le Fleuve, de tourner à droite et ça y est. Immanquablement. L'affreuse bâtisse de béton carré la voilà, toujours en place hélas, l'œil grisâtre menaçant.
Puis-je entrer,