Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $9.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Les prisons de Paris
Les prisons de Paris
Les prisons de Paris
Livre électronique471 pages6 heures

Les prisons de Paris

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

DigiCat vous présente cette édition spéciale de «Les prisons de Paris», de Géo Bonneron. Pour notre maison d'édition, chaque trace écrite appartient au patrimoine de l'humanité. Tous les livres DigiCat ont été soigneusement reproduits, puis réédités dans un nouveau format moderne. Les ouvrages vous sont proposés sous forme imprimée et sous forme électronique. DigiCat espère que vous accorderez à cette oeuvre la reconnaissance et l'enthousiasme qu'elle mérite en tant que classique de la littérature mondiale.
LangueFrançais
ÉditeurDigiCat
Date de sortie6 déc. 2022
ISBN8596547445036
Les prisons de Paris

Lié à Les prisons de Paris

Livres électroniques liés

Sciences sociales pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Les prisons de Paris

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Les prisons de Paris - Géo Bonneron

    Géo Bonneron

    Les prisons de Paris

    EAN 8596547445036

    DigiCat, 2022

    Contact: [email protected]

    Table des matières

    AVANT-PROPOS

    CHAPITRE I

    CHAPITRE II

    CHAPITRE III

    CHAPITRE IV

    CHAPITRE V

    CHAPITRE VI

    CHAPITRE VII

    LE SERVICE ANTHROPOMÉTRIQUE.

    L’HISTOIRE DU DÉPOT. — LE DÉPOT PENDANT LA COMMUNE.

    CHAPITRE VIII

    MAZAS AU COUP D’ÉTAT ET PENDANT LA COMMUNE.

    CHAPITRE X

    CHAPITRE XI

    CHAPITRE XII

    CHAPITRE XIII

    CHAPITRE XIV

    CHAPITRE XV

    CHAPITRE XVI

    00003.jpg

    Un promenoir commun au Dépôt. — Les vétérans.

    AVANT-PROPOS

    Table des matières

    Nous tenons à remercier ici Messieurs les Directeurs des Prisons de Paris qui ont bien voulu nous aider dans la préparation de cet ouvrage.

    Nos remerciements s’adressent d’une façon toute spéciale à MM. Durlin, directeur du Dépôt, Pons, directeur de la Conciergerie, Bondon, directeur de la Petite-Roquette, et Meugé, directeur de Saint-Lazare, qui, avec une bonne grâce et une amabilité parfaites nous ont fourni tous les renseignements dont nous avions besoin.

    G. B.

    Décembre 1897

    CHAPITRE I

    Table des matières

    LE RÉGIME PÉNITENTIAIRE

    La conception du Régime Pénitentiaire. — Peines physiques et peines morales. — Le monde des Prisons.

    C’est tout un monde, intéressant et mystérieux, que celui dans lequel nous nous proposons de promener le lecteur, un monde séparé et à peu près inconnu du reste du monde, avec ses rouages spéciaux, ses domaines, sa population heureusement restreinte et pourtant considérable; un monde douloureux, en vérité, navrant, et d’où, malgré la nécessité d’une justice humaine et l’utile sévérité de nos lois, monte comme une clameur d’effroi et de pitié.

    Trop souvent une certaine presse, encline à égarer l’opinion, cherche à attirer l’attention sur notre Régime pénitentiaire, et, déclarant qu’elle voit par-dessus les murs, essaie d’en signaler des abus, de prétendues infamies. Nous n’avons l’intention ni de faire l’apologie de l’Administration, ni de la dénigrer systématiquement. Guidé par un souci constant de vérité et d’exactitude, nous nous proposons de montrer les choses telles qu’elles sont, forcément pénibles par leur raison d’être même, mais en réalité beaucoup plus humanitaires et philanthropiques qu’on ne le pourrait croire à première vue.

    On peut affirmer sans crainte d’être démenti que notre système pénitentiaire français est en rapport avec les grands principes qu’a proclamés la Révolution. De ce côté, comme de bien d’autres, nous sommes en avance sur la plupart des peuples civilisés.

    L’exécution et la nature des peines diffèrent essentiellement aujourd’hui de ce qu’elles étaient dans l’ancienne France, sous l’empire de l’ancien droit. Leur conception même a changé avec la marche en avant des idées.

    Les prisons, autrefois, n’étaient guère que des lieux de dépôt. La détention était une mesure de sûreté ou de bon plaisir, ou un moyen de séquestration arbitraire, susceptible de se prolonger de la façon la plus abusive et la plus criante. Les privations, les sévices, les corrections manuelles s’y ajoutaient, l’aggravant trop souvent, jusqu’à en faire une sorte de martyre, un véritable supplice corporel. Les prisons fonctionnaient tant bien que mal, il n’y avait pas de système pénitentiaire. Il ne pouvait y en avoir. Les peines semblaient basées et graduées uniquement sur le degré de souffrance physique qu’elles occasionnaient. Tout était savamment combiné et mis en œuvre pour assurer cette souffrance, principal but à atteindre.

    Alors, comme aujourd’hui, la législation était d’accord avec les moeurs. Les procédés de répression suffisants maintenant eussent été à cette époque «une véritable dérision». Tout le monde acceptait et reconnaissait de bonne foi la légitimité des pires tortures. Le magistrat n’éprouvait aucune peine, aucun trouble de conscience à les décréter. Le peuple y assistait, s’y empressait quand il le pouvait, s’en amusait, convaincu qu’elles étaient nécessaires et méritées.

    C’est à peine si quelques penseurs, allant témérairement de l’avant, osaient de loin en loin émettre de timides protestations. Voltaire lui-même, grand afficheur d’idées philanthropiques, n’écrivait-il pas à des amis, au temps où Beccaria publiait son Traité des Délits et des Peines: «Le bruit court que le R. P. Malaveda a été roué. Que Dieu en soit béni!.... On m’écrit que trois jésuites ont été brûlés à Lisbonne; voilà des nouvelles qui consolent».

    La souffrance physique fut d’ailleurs toujours regardée et recommandée par l’Église comme un moyen de racheter les péchés. «Mes amis, disait le grand apôtre de la charité, saint Vincent de Paul, aux prisonniers qu’il secourait, toutes forcées que soient vos peines, qui vous empêche de les supporter avec une résignation qui les rendra méritoires?... Il n’y a de vrai mal que le péché, de vraies peines que les peines éternelles».

    Avec notre Code, une modification complète s’est produite. Plus de châtiments corporels, plus de sévices, plus de privations inutiles. Et l’on peut dire qu’à présent la peine des détenus est surtout, — exclusivement serait trop dire, — une peine morale. La détention n’est en quelque sorte que la garantie matérielle de cette peine, sans laquelle elle serait le plus souvent illusoire.

    La loi ne permet plus de frapper le prisonnier; et elle ne permet d’atteindre et de diminuer son existence corporelle qu’autant qu’il y a nécessité absolue.

    Cependant, nous dira-t-on, il y a la peine de mort, qui reste des temps passés, avec son terrible caractère d’irrémédiabilité et d’implacabilité.

    Il ne nous appartient pas, et nous n’avons pas l’intention d’entrer ici dans une dissertation sur l’utilité de la peine capitale, sur la possibilité d’arriver à la supprimer, comme l’ont réclamé au nom de l’Humanité et de la Morale des hommes de la plus haute valeur.

    Nos lois ont gardé cette peine dans leur arsenal; mais elles l’ont également modifiée, cherchant à l’amoindrir, à la cacher, la réduisant à sa plus simple expression.

    Autrefois la peine de mort s’entourait de tout un appareil destiné à en augmenter l’effet physique. Pour les criminels un tant soit peu marquants, la fin, couronnant l’œuvre, n’arrivait qu’après complet épuisement de toute la gamme des tourments corporels. Et c’était mourir dix fois que mourir comme certains suppliciés dont les noms nous sont restés. Suivant les époques, suivant les cas, suivant aussi la personnalité des criminels on dosait et variait intelligemment l’intensité des supplices. L’égalité n’existait pas plus devant la mort qu’ailleurs. Les gentilshommes étaient décapités, les manants étaient pendus. Et tout cela se passait avec un luxe de mise en scène, une variété de souffrances préparatoires qui nous font frémir.

    Aujourd’hui on emploie uniformément le mode de procéder reconnu le plus prompt et le plus radical. On a pour le malheureux qui attend en prison l’heure de l’expiation suprême toutes les attentions et tous les soins propres à lui faire oublier, à atténuer et engourdir sa sensibilité. On se borne à peu près pour lui à la surveillance rigoureuse qui est absolument nécessaire. Et quand enfin le moment de l’exécution est arrivé on prend garde de prolonger, ne fût-ce que de quelques minutes inutiles les derniers préparatifs; si bien qu’entre l’instant où le condamné est réveillé et définitivement instruit de son sort et celui où sa tête roule sous le couteau triangulaire il s’écoule à peine plus d’un quart d’heure. Et il est probable que dans un temps peu éloigné les exécutions capitales se passeront dans un lieu réservé, hors des regards et des manifestations des foules avides de spectacles et d’émotions. Ce sera plus convenable, et tout aussi effectif au point de vue de l’exemple et de la crainte à inspirer. La peine de mort, actuellement, semble donc s’abriter derrière le besoin d’une protection sociale. La société, se trouvant vis-à-vis du criminel dans le cas de légitime défense, frappe et tue, mais uniquement pour se défendre et se sauvegarder.

    Et si l’expression subsiste encore de dernier supplice ce n’est que par un souvenir d’autrefois, quand la mort décrétée par les juges terminait toute une série de châtiments corporels. En réalité, le mot supplice n’est plus applicable dans notre système pénitentiaire. Il n’y a plus de supplices. La peine de mort n’en est elle-même, à proprement parler, pas un.

    On est assez porté à admettre que pour certaines gens la peine morale n’existe pas; qu’il y a des individus assez dégradés, tombés assez bas dans l’abjection, pour que toute sensation autre que la sensation physique s’annihile et disparaisse chez eux. C’est là une erreur. Il est démontré qu’un voleur émérite, un assassin de parti-pris, peuvent encore souffrir moralement, et en fait souffrent moralement, bien qu’ils soient chauffés, nourris, promenés en prison suivant les règles de l’hygiène physique. La possibilité de la peine morale persiste chez tout individu doué de raison, envers et contre tout.

    Sous la désignation de peine morale, on doit comprendre toute souffrance pouvant être endurée par l’âme, par le cœur, le cerveau, par toutes les fibres de l’être, sans que les conditions extérieures de l’existence, sans que les organes matériels de la vie en soient affectés. Le champ est donc vaste, et parmi les causes de ces souffrances morales on peut indiquer: la privation de la liberté, l’impuissance d’agir, de se révolter, de se venger, l’impuissance même de nuire, de faire le mal, l’impossibilité d’échapper à la justice calme et forte qui enserre le coupable et ne le lâche qu’après avoir obtenu de lui le paiement intégral de sa dette, le souvenir des choses passées, heureuses ou malheureuses, la rage contre des complices, voire contre des victimes...

    Les châtiments d’aujourd’hui, pour être plus humains, pour être plus raisonnables et raisonnés, n’en sont pas moins effectifs que ceux d’autrefois, et n’en atteignent pas moins sûrement leur but moralisateur et préventif. Il ne faudrait cependant pas se leurrer de trop d’illusions sur l’effet des peines uniquement morales. Il est d’ailleurs à peu près impossible de les séparer complètement d’une certaine souffrance physique. La privation de la liberté, si elle peut être considérée comme peine morale, n’en garde pas moins un côté physique d’une importance considérable. Et il y a des coupables pour lesquels cette privation de liberté, et surtout la privation absolue de toute espèce de jouissance, presque de toute espèce de satisfaction, sont le plus palpable de la peine, ce qui les touche le plus et produit le plus sûrement sur eux la crainte et l’intimidation désirées.

    Nous parlions en commençant du Monde des Prisons. Ce monde est réparti dans un nombre considérable d’établissements disséminés un peu partout sur l’étendue du territoire français, sans parler des colonies. Il présente, en une sorte de réduction attristante et peu flatteuse, l’ensemble des besoins et des nécessités de toute société organisée.

    Qu’on songe, en effet, au nombre et à la diversité des services que réclament des établissements si divers, des personnes placées dans des conditions légales si différentes, depuis le criminel condamné à mort jusqu’au mineur de moins de seize ans, placé sous la surveillance de l’autorité pour des délits dont on saurait difficilement le rendre responsable, l’enfant vicieux dont on doit s’efforcer malgré de mauvais débuts de faire un honnête homme.

    Le monde des prisons de Paris est particulièrement extraordinaire dans sa complexité et dans sa diversité. Il se renouvelle de jour en jour, d’heure en heure, en un mouvement incessant, un défilé interminable, à la fois toujours le même et toujours varié. Dans ce tourbillon passent et disparaissent tous les genres et tous les types. Toutes les classes, tous les échelons de l’échelle sociale y sont représentés: financiers manieurs de millions pris dans les poches d’autrui; échafaudeurs de fortunes et d’entreprises énormes, encensés tant qu’ils furent heureux puis maudits dès que la fortune se détourna d’eux; hommes du monde, agents d’affaires habitués à la vie fastueuse, rastaquouères de haute volée; hommes politiques indignes, voire anciens ministres; condamnés à des peines correctionnelles; condamnés aux travaux forcés attendant leur relégation ou leur déportation; condamnés en appel; étrangers sous le coup de mesures d’expulsion; inconnus énigmatiques qui ne veulent rien dire et dont il faut rechercher l’état-civil et la personnalité ; délinquants farouches, ou bons apôtres apparents; escrocs, voleurs, souteneurs coutumiers d’attaques nocturnes; chourineurs de barrières; individus de mœurs ignobles; et toute la tribu des vagabonds et des sans-gîte, épaves sociales échouant fatalement dans la débauche, l’ivrognerie, le crime.

    Les prisons de province ont une clientèle plus restreinte et beaucoup plus uniforme, sauf les cas exceptionnels. On y rencontre surtout des délinquants régionaux, sortes d’habitués, puis les vagabonds, traîneurs de grands chemins, presque toujours plus malheureux que coupables.

    Qu’on songe aussi avec quelle incessante vigilance, avec quel soin, quelle surveillance méticuleuse doivent être réglés tous les mouvements de la colossale organisation qui régit le monde des prisons. Les individus qui composent la population des maisons de détention sont en état de rebellion et d’hostilité contre la Société. La Société a été plus forte qu’eux, elle s’en est emparée, et elle a chargé l’Administration Pénitentiaire de les mettre et de les maintenir en état d’expiation. Dans cette lutte contre le mal, l’Administration ne peut donc compter sur la bonne volonté des intéressés. Elle doit, au contraire, s’attendre de leur part à une résistance qui ne désarmera jamais. C’est contre leur gré, en dépit de leurs révoltes, de leurs ruses, de leurs violences, et de leur désespérante inertie, qu’elle doit entreprendre et mener à bien en même temps que son œuvre d’expiation une œuvre de relèvement, si possible, et de retour vers le bien.

    C’est à tort que certains publicistes ont essayé de démontrer que toute philanthropie devrait s’arrêter à la porte des prisons, et que les misérables enfermés dans les geôles n’ont plus droit à aucune pitié, à aucun encouragement, à aucun essai de guérison morale. «On dépense ce qui pourrait subvenir aux besoins de cent familles honnêtes pour essayer de tirer de son abjection un pauvre diable...» (P. Peltier d’Hampol.)

    Sans un effort constant vers l’amélioration morale la détention ne serait trop souvent, en effet, qu’une œuvre de vengeance à laquelle il répugnerait à la Société puissante de s’abaisser.

    C’est une partie de ce monde et de cette administration pénitentiaire que nous essaierons de montrer au public. Nous lui ferons voir en détail quelques-unes des maisons où fonctionnent les rouages de cette administration; nous soulèverons un peu du toit de ces enfers sociaux.

    Et ce sont les prisons de Paris qui nous fourniront les sujets de nos consciencieuses études.

    Nous nous rendons compte des difficultés de cette tâche.

    «Les établissements pénitentiaires doivent demeurer fermés, soustraits à la curiosité. Nul n’a le droit de se faire un spectacle. de la pénible situation des condamnés», a dit avec raison dans un rapport par lui publié pour le Ministère de l’Intérieur, M. Herbette, directeur général des Services pénitentiaires.

    Nous ne croyons pas aller trop loin, cependant, en publiant ce que nous avons pu apprendre sur les prisons parisiennes. Nous le répétons, nous n’avons nullement l’idée de chercher le scandale ou de critiquer les procédés de l’Administration.

    La Société a le droit, croyons-nous, de connaître ses tares et ses misères. Elle a le droit de sonder l’étendue des plaies qu’elle ne peut pas guérir et avec lesquelles elle est obligée de vivre.

    Et de cet examen, nous en avons la certitude, nos lecteurs ne garderont que pensées plutôt réconfortantes, en constatant les efforts accomplis chaque jour, pour la justice et pour le bien, contre les forces innombrables du mal.

    CHAPITRE II

    Table des matières

    LES PRISONS COMMUNES ET LES PRISONS CELLULAIRES

    Avantages et inconvénients des deux systèmes. — La réforme des prisons.

    La peine matérielle garantissant la peine morale, et ayant d’ailleurs par elle-même une valeur considérable, est la privation de la liberté. Cette peine doit être proportionnée aux principes de justice et aux nécessités de la répression.

    Pour assurer la privation de la liberté, il y a deux systèmes: le système de la détention en commun et le système de la détention individuelle ou cellulaire.

    De toute évidence, il existe entre les deux procédés une différence radicale, et si l’on admet la supériorité et les meilleurs résultats de l’un, on se trouve forcément amené à abandonner l’autre dans la pratique.

    La détention cellulaire ou individuelle, sans aucune communication avec personne, soit par la parole, soit même par la vue, implique d’elle-même une aggravation sensible de la peine, en même temps que plus de dignité dans la façon de subir cette peine.

    Les statistiques publiées par l’Administration ont depuis longtemps démontré l’augmentation constante de la récidive. On en a voulu voir la raison dans un fonctionnement défectueux du système pénitentiaire; et tous les hommes compétents, non seulement de France mais des autres nations civilisées, ont cherché le remède à ce mal. On a mis en avant comme un moyen d’une efficacité certaine le régime de l’emprisonnement cellulaire. Il a été publié sur ce sujet, dans les différents pays, des monceaux de volumes, le régime cellulaire ayant tout de suite eu ses détracteurs acharnés en même temps que ses défenseurs convaincus. Ici on préconisait la détention individuelle pour toutes les peines sans distinction de durée. Là on la repoussait entièrement. Ailleurs, enfin, on l’acceptait, mais seulement pour les peines d’une durée minime. C’est ce dernier système qui a prévalu en France.

    Le régime cellulaire a eu son origine aux États-Unis, où il a commencé à être mis en pratique pour les grands criminels vers la fin du siècle dernier. La conception première en appartient à un jurisconsulte et criminaliste anglais nommé Jérémie Bentham, qui pour ses efforts philanthropiques mérita de recevoir de la Convention le titre de citoyen français.

    Le régime de l’emprisonnement cellulaire a lui-même été appliqué suivant deux systèmes différents: le système dit Auburnien et le système Philadelphien ou Pensylvanien.

    Le système Auburnien, ainsi appelé parcequ’il fut expérimenté d’abord à Auburn, État de New-York, ne comporte la séparation individuelle que durant la nuit; il laisse pendant la journée les condamnés travailler et prendre leurs repas en commun, sous la condition du silence absolu.

    Le système Philadelphien a eu sa première application à Philadelphie, à la prison de Cherry-Hill. Il sépare individuellement les détenus pendant le jour comme pendant la nuit. Ce système est celui qui a été reconnu le plus avantageux et le meilleur; il a presque partout triomphé sans conteste et est appliqué ou applicable dans les limites du possible dans toutes les maisons de courte peine. Au début, il fut vicié par des rigueurs exagérées. Les législateurs le poussèrent jusqu’à ses extrêmes limites et il devint une véritable séquestration: les condamnés, enfermés dans leurs cellules sans en jamais sortir, n’avaient aucune communication avec le monde extérieur, pas même avec leurs gardiens. Aujourd’hui, le système cellulaire, tel qu’il est appliqué généralement, n’est pas du tout la séquestration absolue. C’est la séparation des détenus entre eux. Mais le condamné doit avoir avec les employés de la prison, les aumôniers, les membres des Sociétés de Patronage, des communications journalières. Il se livre dans sa cellule à un travail constant, tempéré par la lecture et par l’étude. Il y reçoit l’instruction scolaire qui lui manque et l’éducation morale qui le préservera d’une rechute. Il en sort une ou deux fois par jour pour faire des promenades dans un préau solitaire. (Garraud.)

    Le régime cellulaire a été pour la première fois élaboré en France, en 1840 par une commission nommée par la Chambre des Députés.

    Il reçut alors un commencement d’exécution. On construisit (de 1845 à 1850) la Maison d’arrêt de Mazas, exécutée strictement d’après le système cellulaire.

    Déjà en 1833, on avait appliqué à la Petite-Roquette, maison d’éducation correctionnelle, le système d’isolement pendant la nuit, en maintenant pour la journée le travail en commun sous la condition d’un silence sévère.

    A la suite des premiers essais qui laissèrent quelque peu à désirer, le régime cellulaire fut violemment attaqué dans la Presse, et jusqu’à la Tribune des Chambres. Un revirement se produisit, et le décret du 27 août 1853 en décida l’abandon.

    De 1853 à 1856, on lui substitua le régime de séparation par quartiers, qui établissait parmi les détenus des divisions basées sur la situation sociale, l’âge, la durée des peines, l’état de récidive, la plus ou moins bonne conduite pendant la détention. Cette classification n’allait pas sans de grandes difficultés. Sur quoi l’établir d’une façon certaine et judicieuse? Il ne pouvait y avoir de criterium absolu. Et forcément elle restait, dans beaucoup de cas, arbitraire et livrée à l’appréciation souveraine du directeur de la prison ou des gardiens.

    Enfin un mouvement s’est dessiné en faveur d’un retour, complet cette fois, au régime cellulaire. Une enquête parlementaire fut prescrite à ce sujet par l’Assemblée Nationale en 1872, et des Rapports consciencieux et très édifiants furent présentés au nom de la Commission par MM. Bérenger et d’Haussonville. A la suite de cette enquête, la loi du 5 juin 1875 a réglé pour l’avenir les conditions et procédés de détention.

    L’article premier de cette loi stipule que «les inculpés, prévenus et accusés, seront individuellement séparés pendant le jour et la nuit». On ne saurait trop louer cette disposition. C’est surtout aux prévenus, peut-être innocents, en tous cas non encore reconnus coupables, qu’il importe d’épargner la corruption résultant de la vie en commun avec la population démoralisée et démoralisatrice des prisons.

    Quant aux condamnés à l’emprisonnement correctionnel, la loi les partage en deux classes: ceux qui sont condamnés à un emprisonnement inférieur à un an et un jour, et ceux qui sont condamnés à plus d’un an et un jour.

    Les condamnés à un an et un jour et au-dessous subissent leur peine dans les prisons départementales et sont soumis à l’emprisonnement individuel.

    Pour les condamnés à plus d’un an et un jour, l’emprisonnement cellulaire est seulement facultatif. Ils peuvent, sur leur demande, être soumis à ce régime.

    La durée de peine sous le régime de l’emprisonnement cellulaire est de plein droit réduite d’un quart quand elle est supérieure à trois mois; ce qui revient à dire qu’au-dessus de trois mois trois journées d’emprisonnement en cellule sont comptées comme quatre journées de prison commune.

    Cette nouvelle façon de procéder fait donc bénéficier les condamnés d’une notable diminution dans la durée des peines; et l’on comprend tout l’intérêt qu’il peut y avoir pour eux non seulement à s’y soumettre mais encore à la réclamer.

    Aucun condamné n’est contraint à l’emprisonnement cellulaire pendant plus de neuf mois. S’il passe plus longtemps en cellule c’est qu’il le veut lui-même, l’a demandé et obtenu, dans son propre intérêt, désireux de rapprocher le plus possible l’époque de sa libération, même au prix d’une captivité incontestablement plus dure qu’il juge pouvoir supporter.

    Si nous en croyons les rapports établis et publiés par l’Administration pénitentiaire, le régime cellulaire ainsi pratiqué ne présente pas d’inconvénients au point de vue de la santé du détenu; d’autant plus qu’il ne s’oppose à aucune mesure d’hygiène, à aucun exercice. Les promenades dans les locaux à ce destinés peuvent être effectuées par chaque condamné individuellement, sans communication avec ses semblables.

    Cependant, nous devons dire pour être complets, que certains économistes se sont prononcés nettement contre le régime cellulaire, affirmant que malgré les déclarations optimistes et peut-être intéressées de l’Administration, en dépit de ses préoccupations d’hygiène et des mesures par elle prises, il ne peut manquer d’être préjudiciable à la santé de ceux qui le subissent. Spécialement, depuis l’application de ce régime les cas d’aliénation mentale seraient devenus beaucoup plus fréquents parmi les prisonniers, les suicides seraient plus nombreux. — Ces affirmations ne manquent malheureusement pas d’une certaine exactitude. Dans les premiers temps du régime cellulaire, des faits regrettables se sont produits, notamment à Mazas, qui avait acquis dès sa création la plus douloureuse renommée. Il sévissait dans cette prison de véritables épidémies de suicide. Un inspecteur de la Sûreté, opposé au régime cellulaire, avait réussi à se faire un album édifiant à cet égard. Cet album représentait soixante détenus de Mazas dans la position où ils avaient été trouvés suicidés dans leurs cellules. Plusieurs s’étaient non pas étranglés mais étouffés par la simple compression du cou qu’ils avaient appuyé sur le bord de leur lit tendu. Jusqu’au dernier moment, le moindre mouvement, le plus faible effort eut suffi pour les ramener à la vie. Et ce mouvement, cet effort, ils ne l’avaient pas tenté, dans leur folie de mourir, dans leur rage d’en finir avec la misérable existence qu’on leur faisait mener.

    Ce sont là des cas exceptionnels. Heureusement. Et maintenant que le travail fonctionne régulièrement dans les prisons cellulaires, les cas de suicide et de folie sont retombés à des proportions normales.

    Il y a parmi les condamnés des catégories bien tranchées. Et l’on comprend facilement combien il doit être pénible pour un homme ayant à passer quelques mois en prison, en raison d’une première faute pouvant très bien rester unique, de se trouver constamment mélangé à la tourbe des voleurs de profession et des pires malfaiteurs. Le régime cellulaire supprime cette malsaine promiscuité dont les déplorables résultats sous tous les rapports n’ont été que trop démontrés.

    La détention cellulaire, du reste, est, à de très rares exceptions près, toujours réclamée par les détenus qui en sont à leur première condamnation; tandis que les récidivistes la redoutent et recherchent avidement la société de leurs co-détenus. Ce fait seul suffirait presque à démontrer la supériorité du régime de l’emprisonnement cellulaire sur le régime de la détention en commun.

    Dans les prisons de longue peine le régime peut, d’après notre législation, s’améliorer par une sorte d’alliance ou de transaction entre les deux systèmes. Dans ce système mixte, la détention individuelle est réservée pour la nuit, et la vie en commun est maintenue pendant la journée, au moins en ce qui concerne le travail et les repas. C’est une application du système Auburnien.

    L’une des grandes objections opposées dans la pratique au régime cellulaire, c’est qu’il complique considérablement la question du travail, dont nous nous occuperons en un prochain chapitre. Mais cette difficulté n’est pas insurmontable, et dans les maisons de détention récemment construites suivant le modèle cellulaire, l’Administration en a su triompher.

    La loi du 5 juin 1875 a décidé que toutes les prisons pour courtes peines ne pourraient plus être construites et aménagées que suivant le type cellulaire. Les vieilles prisons devront être transformées au fur et à mesure que les ressources des départements propriétaires, aidés par l’État, le permettront. La réforme sera longue à accomplir entièrement.

    Il existe déjà en France un bon nombre de prisons construites, aménagées et dûment classées suivant toutes les règles de la détention individuelle. De plus, dans toutes les maisons appliquant encore le système de la détention en commun ont été arrangés des quartiers spéciaux et des chambres séparées, permettant d’appliquer le régime individuel à un nombre considérable de détenus.

    A Paris, il n’y a pour le moment que trois maisons de détentions satisfaisant dans leur ensemble aux conditions de l’isolement cellulaire: Mazas, la Maison de justice ou Conciergerie, et la Petite-Roquette. Mazas est resté à cet égard la prison-type et compte 1135 cellules. C’est la plus importante prison cellulaire de France. La Conciergerie n’en compte que 76, mais en aura bientôt un plus grand nombre.

    La prison de la Santé se composait jusqu’à ces derniers temps de deux parties. Dans l’une, de 500 cellules, l’emprisonnement cellulaire était pratiqué de jour et de nuit; dans l’autre, également de 500 cellules, on appliquait la régime Auburnien. Des aménagements actuellement en cours en feront une prison tout à fait cellulaire.

    Le Dépôt, près la Préfecture de Police, sorte d’antichambre des autres prisons, n’est disposé qu’en partie pour la détention individuelle. Il comprend 197 cellules réparties en deux quartiers, dont 91 pour les hommes et 96 pour les femmes, plus 8 cellules d’aliénés ou cabanons. Il y règne donc, étant donné le nombre d’individus qui s’y trouve constamment, une promiscuité regrettable là plus que partout ailleurs, les détenus n’y étant que prévenus, souvent innocents, ou en tout cas toujours réputés tels jusqu’à preuve du contraire. La moitié à peu près des personnes amenées au Dépôt doit subir le régime de la salle commune.

    Les autres prisons parisiennes: Saint-Lazare, la Grande-Roquette, Sainte-Pélagie, ne sont pas aménagées pour l’emprisonnement individuel. Le régime en commun continue à y être appliqué. Il existe pourtant à Sainte-Pélagie un certain nombre de cellules installées dans des conditions défectueuses. Il y a également à la Grande-Roquette environ 240 cellules ne répondant pas aux conditions d’hygiène désirables et qui servent pour le régime auburnien.

    Ces prisons ne sont guère utilisables pour le régime cellulaire. Le seul parti à prendre est de les démolir. Il est décidé en principe que les prisons préventives devront seules rester à l’intérieur de Paris et que les prisons de peine seront reconstruites hors de la ville dans des endroits suffisamment éloignés des agglomérations urbaines.

    Mazas, la Grande-Roquette, les maisons de correction de Saint-Lazare et de Sainte-Pélagie, sont destinées à disparaître dans un avenir plus ou moins éloigné. Quand?... Chez nous, on sait que rien ne dure comme ce qui est décrété provisoire. Mazas et Sainte-Pélagie seront probablement démolis dans le courant de 1898.

    En 1825, la Préfecture de Police réclamait déjà la reconstruction de la prison de Saint-Lazare. En 1884, un vœu a été adopté par le Conseil général de la Seine tendant à la suppression de cette maison dans le plus bref délai possible. Un projet de la Préfecture de Police consisterait à faire de Saint-Lazare une maison de traitement exclusivement réservée aux femmes malades.

    Au milieu de tous ces projets, la vieille prison du Faubourg-Saint-Denis continuera vraisemblablement encore longtemps à servir d’épouvantail à toute une partie de la population féminine de Paris.

    CHAPITRE III

    Table des matières

    LE TRAVAIL DANS LES PRISONS

    Nécessité du travail. — Difficultés. — Conditions du travail. L’Entreprise et la Régie. — Les gains du prisonnier.

    L’obligation de travailler est au même titre que la privation de liberté, un élément essentiel des peines de la réclusion et de l’emprisonnement. (Code pénal, art. 12 et 40.)

    La nécessité du travail dans les prisons est en tant que principe au-dessus de toute contestation sérieuse et de bonne foi.

    Sans le travail comment maintiendrait-on l’ordre dans les établissements pénitentiaires? Et pour quelle raison dispenserait-on de cette universelle obligation, imposée à tous les honnêtes gens, des êtres qui sont en rébellion contre les lois sociales, et que l’État est obligé de nourrir et d’entretenir à grands frais?... Il n’est que juste d’employer les forces et l’activité des détenus à récupérer la Société, dans une certaine mesure, des dépenses qu’elle est obligée de faire pour eux. On ne saurait condamner la masse des honnêtes gens à travailler constamment pour entretenir en prison l’armée des criminels. Combien de fois n’a-t-on pas entendu dire en parlant de tel ou tel individu condamné à une détention plus ou moins longue: «En voilà encore un qui va nous coûter cher!» Cela n’est malheureusement que trop vrai; les criminels coûtent gros à l’État, c’est-à-dire à nous. Et chaque année les dépenses de l’Administration pénitentiaire grèvent le Budget dans des proportions considérables. L’État a donc le droit incontestable d’imposer aux détenus un travail quelconque et de bénéficier dans une sage et équitable mesure du produit de ce travail.

    S’il est utile à la Société, le travail n’est pas moins utile et nécessaire au prisonnier lui-même. Il a un effet moralisateur et réconfortant. Il démontre au prisonnier que son énergie et sa bonne volonté peuvent encore servir à quelque chose, à quelqu’un. Il l’occupe, lui donne une certaine somme de distraction, et lui procure pour l’époque de sa libération des ressources sans lesquelles il serait le plus souvent amené à retomber tout de suite dans l’ornière du crime, puis de la prison.

    L’oisiveté dans les prisons serait désastreuse, les plus pervertis y trouveraient la satisfaction de leurs instincts de paresse. Les moins tarés, si on les privait de travail, se verraient arracher les moyens de relèvement et la possibilité d’améliorer matériellement leur pénible situation. Si, dans la vie libre, on a pu dire que l’oisiveté est la mère de tous les vices, quels résultats n’aurait-elle pas chez des individus dépourvus de sens moral, en proie aux instincts les plus vils, sollicités par toutes les passions? Le travail est encore plus nécessaire en cellule que dans la détention en commun. C’est dans le système cellulaire surtout qu’il devient un adoucissement à la peine du condamné, un véritable soulagement. Si l’on voulait faire apprécier à un paresseux les bénéfices du travail, on n’aurait qu’à l’abandonner seul, sans occupation, en proie à ses pensées, à son imagination, à ses passions, dans ce vide épouvantable, où la notion de l’existence semble s’abolir, où le temps s’imprécise, où l’on ne sait plus, dans la monotonie invariable des instants, si l’on a vécu un jour, une semaine ou un mois, et où tout s’en va à la dérive... Le détenu en cellule a donc surtout besoin d’être protégé contre l’inaction.

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1