Trois petits tours: Roman
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Avocat, magistrat, puis conférencier sur les bâtiments de plaisance, Jean-Philippe de Garate contribue à plusieurs médias tels que Opinion Internationale, la revue Histoire Magazine. Auteur de nombreux ouvrages, il propose Trois petits tours, un récit d’Émile Ba.
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Aperçu du livre
Trois petits tours - Jean-Philippe de Garate
Jean-Philippe de Garate
Trois petits tours
Roman
ycRfQ7XCWLAnHKAUKxt--ZgA2Tk9nR5ITn66GuqoFd_3JKqp5G702Iw2GnZDhayPX8VaxIzTUfw7T8N2cM0E-uuVpP-H6n77mQdOvpH8GM70YSMgax3FqA4SEYHI6UDg_tU85i1ASbalg068-g© Lys Bleu Éditions – Jean-Philippe de Garate
ISBN : 979-10-377-5845-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Du même auteur
Sous le pseudonyme de John Rupert Glastod :
Présentation
À Marseille, à l’occasion d’un déplacement professionnel, j’ai eu l’honneur de rencontrer puis sympathiser avec Émile Ba, quelques mois avant que cet homme ne succombe en mai dernier à diverses affections que des soins insuffisants avaient contribué à aggraver. Lors de notre dernière rencontre, il m’a remis un manuscrit, écrit au crayon, titré « Trois petits tours » qui, à l’analyse, s’avère un manifeste autant qu’un récit. Si j’ai osé toucher ici ou là – en réalité fort peu – à la forme pour prétendre en améliorer la lisibilité, c’est dans le seul but de rendre cet artiste plus proche au cœur de mes compatriotes. Mais ces lignes de présentation suffisent : je lui rends la parole.
Paris, 11 juillet 2021
Jean-Philippe de Garate
Avant-propos
De bons apôtres s’étonneront qu’un Africain grandi au pays maîtrise à peu près la langue française. Ils sont comme ces coiffeurs qui s’intéressent à la laque et pas au cheveu, encore moins à la racine de la tignasse crépue : ça chauffe là-haut, il ne faut pas croire et au bout de dix, vingt ans, une sorte de fil interne s’est tendu du crâne à la main. Les esprits descendent par le fil devenu un filtre, de la tête jusqu’aux doigts. Mais je concède, il faut du temps. Et rien n’aurait été possible sans mon professeur et Bescherelle, d’autres encore, qui sans relâche m’ont redressé la plume.
D’autres diront que ces lignes empestent l’imposture parce qu’un peintre parle de peinture, uniquement de peinture et qu’on n’en a vraiment rien à faire de ses pérégrinations, de ses placards ou des enduits. Que ceux-là soient gentils ! Qu’ils ferment l’ouvrage et retournent à leur Paul Morand. Pour eux : Fermé la nuit… comme le jour ! Et qu’ils s’endorment rassurés, nous ne sommes pour le coup pas du même monde. L’ambassadeur nazi Morand, ses bouquins constituent depuis belle lurette mon meilleur somnifère : je n’ai jamais pu dépasser onze pages. De l’enfer où il est, l’immortel Paul me rend la pareille. Nous sommes quittes. Il suffira alors de ranger les feuillets qui suivent dans l’armoire à pharmacie. Pour vos sommeils difficiles… Je précise tout de même la différence : ce qui suit est vrai. De A à Z.
Prologue
On aimerait connaître la fin de l’histoire dès son commencement parce qu’on sait bien que les deux forment un tout et qu’en vérité, l’une n’existe que par l’autre. De l’envol à la chute s’enroulent mille entrelacs dont chacun concourt à l’unité de l’ensemble. C’est une sorte de pelote. Mais ici, vous aimez les histoires construites comme les escaliers de vos bureaux, vos casernes, avec la première, puis la seconde marche, droite, bien dégagée, chacune égale. Et ainsi de suite. C’est peut-être la procédure certifiée, les stations obligées avec crescendo qui mènent au premier prix, mariage conforme et brillante progéniture avec pour apothéose la tour La Défense-Manhattan-Shanghai, baie vitrée et panorama du big boss, mais ça ne se passe pas ainsi dans la vie. Tout est imbriqué d’une façon bizarre, telle la colline tarabiscotée de mon enfance. Quoi que nous fassions, nous évoluons en crabe : nos tentatives les plus énergiques se ploient en courbes, virages tordus telles des épingles à cheveux, avec montées descentes grand-huit et double révolution… croisements à cinq branches. Si vous choisissez de suivre une lueur, un passage à découvert fissurant la roche à en traverser la montagne tel le laser, peut-être révélera-t-elle un nouvel horizon, ou plus souvent, un chemin muletier sans issue, hormis le vide. Bon… et alors ?
Le pire ! On ne le sait pas, car on ne voit pas l’ensemble. Ces enchevêtrements et complications en tous sens, ces concentrations se libérant en dix quinze déroulements, ce n’est pas le bazar. Il y a un ordre. Ce que vous croyez emberlificoté, tordu ou répétitif, ces routes qui se croisent et semblent s’opposer en tous sens, c’est juste un condensé, cela créée une certaine intensité… Oui, l’intensité de l’ensemble : la somme compressée des lieux, des moments, celle des gens comme des choses. Pedro le maçon, mon copain de chantier, il m’a regardé comme un monstre quand je lui ai dit, comme ça, que ma couverture écossaise était plus importante que ma mère. Il faut dire qu’il m’avait embrouillé le neurone avec ses jérémiades sur sa famille perdue, sa femme, sa fille envolées. Je lui ai asséné ça pour assécher ses lacrymales et lui redresser la colonne. Mais pas seulement : ma mère m’a donné une fois la vie, mon plaid m’a permis de survivre des années entières, me tenant chaudement enroulé dans les plis de l’existence. Je fais la différence. On comprend l’intensité si on sait la différence. Mille nuits créent, par la compression de la mémoire, une intensité : c’est en condensé bien davantage qu’une seule épreuve. Même celle de l’accouchement.
Mais une fois qu’on a commencé, on est happé par le mouvement et il faut bien que je me lance et vous dise toutes ces choses, moi qui écris pour moins parler. Mon premier maître Seydou, le plus grand peintre en bâtiments de Bamako, me le dira plus tard, m’enjoignant de retenir la seule formule importante à ses yeux : « la pâte dicte la forme ». Ce n’est pas un propos pour palabre et vous allez comprendre tout de suite où je vous conduis. Au Mali comme ici en France, j’ai toujours exercé le même métier, celui de peintre. Lorsque le chantier fermait, qu’il n’y avait plus de boulot, je devais me rabattre sur d’autres gagne-pain. C’était plutôt rare mais c’est arrivé quelquefois. Par exemple, maître-nageur d’une piscine d’hôtel de notre capitale. Je sais nager et même, en cette occasion, jouer les profs de natation. Mais je ne suis vraiment dans mon élément que lorsque je peins. Dans le fond, je ne sais et n’aime rien faire d’autre. L’odeur de la peinture, elle m’a enivré dès le début. Un condensé de bonheur né de son intensité. L’intensité d’une combinaison de senteurs, plus que cela, un parfum fait pâte.
Le temps passe, on utilise aujourd’hui d’autres matières qui ne sentent rien. Et on évite nombre de solvants qui ont empoisonné pas mal de monde. Au dépôt des Chinois, de l’autre côté du fleuve Niger, je chargeais, avec le chef sur la benne de sa camionnette, de lourds pots de quinze kilos. Des seaux d’une peinture inodore. Je l’ai admis le temps passant, l’odeur de la peinture, ce n’est pas essentiel. Ce qui compte, c’est la pâte. Bien plus tard, quand j’ai eu le dictionnaire, j’ai trouvé le mot juste : « la plastique ». La plastique de la pâte. Au début, je comparai la peinture avec ce que je connaissais, l’argile de mon village natal.
Mon village surplombait la route de Ségou, au nord-est de la capitale. Une colline haute, rude et sèche, couverte de roches raides, elles-mêmes striées de couches beiges et grises, certaines dures comme le fer, avec l’aspect du fer. Pourtant, on y trouve aussi des vallonnements, avec des arbres, une forêt et surtout, à mi-pente de la colline elle-même, un cratère d’argile. Mais il ne faut pas exagérer avec les évocations. Dès que j’aurai parlé un peu plus de ce cratère, on comprendra que ça suffit. C’est aussi ça l’intensité. On ne la supporte qu’à doses mesurées. Il ne faut pas en abuser. Par chance, la vie au quotidien demeure morne, diluée de mille incidents sans portée. Avec, quoi qu’on fasse, la tristesse toujours associée aux joies les plus fortes, l’horreur qui surgit dans les spasmes du bonheur, ma première peinture liée à la mort. Le cratère d’argile, c’est toute ma jeunesse. Et c’est aussi la fin de ma jeunesse.
Dès l’enfance, je l’avais pratiqué de mes mains, l’argile souple, avec les formes en S que mes cousins et moi lui donnions en la roulant. Pour concurrencer les vrais serpents, inoffensifs pour la plupart. Nos amis reptiles ne s’y laissaient pas prendre, eux. D’une balayette de la queue, ils dégageaient le terrain et ne laissaient que poussière derrière eux. Assez vite, je suis passé à autre chose. Mes premiers souvenirs de peintre se résument à ça : je suis seul, j’ai en