Les sportsmen pendant la guerre: 1870-1871
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Les sportsmen pendant la guerre - Édouard Cavailhon
Édouard Cavailhon
Les sportsmen pendant la guerre
1870-1871
Publié par Good Press, 2022
EAN 4064066315351
Table des matières
PRÉFACE
CHAPITRE I Un vrai Patriote.
CHAPITRE II Le Père et le Fils.
CHAPITRE III Défaillance.
CHAPITRE IV Le Blessé.
CHAPITRE V Deux sœurs de charité.
CHAPITRE VI La Convalescence.
CHAPITRE VII Contre-poison d’amour.
CHAPITRE VIII Commerçante éhontée.
CHAPITRE IX L’escadron Franchetti.
CHAPITRE X Le cousin Raoul Calcul.
CHAPITRE XI Conférences de table.
CHAPITRE XII Guet-apens gymnastique.
CHAPITRE XIII Chute et parachute.
CHAPITRE XIV Le général Triangle obtus
CHAPITRE XV Étranges fournisseurs.
CHAPITRE XVI Les deux approvisionnements de Paris.
CHAPITRE XVII Infamies alimentaires.
CHAPITRE XVIII Patriotisme.
CHAPITRE XIX Poursuite du fils par son père.
CHAPITRE XX Le plan de Bebaro.
CHAPITRE XXI La veillée des armes.
CHAPITRE XXI Victoire en arrière.
CHAPITRE XXIII La rose du général Trochu.
CHAPITRE XXIV En voiture d’ambulance
CHAPITRE XXV Enterrement de Franchetti.
CHAPITRE XXVI Éclaireurs et marins en avant!
CHAPITRE XXVII Voyage en ballon.
CHAPITRE XXVIII Déceptions
PATER
AVE
CHAPITRE XVIII Châtiments.
CHAPITRE XXX. La fin de la lutte et la fin du récit.
CHAPITRE XXXI Conclusion.
ENSE ET ARATRO
ESCADRON DES ÉCLAIREURS FRANCHETTI
CONTROLE PAR GRADE ET PAR ANCIENNETÉ FRANCHETTI (Léon) , Chef de l’escadron. TUÉ A L’ENNEMI
TROMPETTES
VOLONTAIRES
PRÉFACE
Table des matières
L’auteur m’ayant prié, par un excès de modestie coutre lequel mon amitié n’a su se défendre, de présenter au public ce livre qui n’en avait pas besoin pour lui plaire, je vais peut-être tromper son attente en parlant moins de son ouvrage que de lui-même.
Analyser, à l’avance, ces pages originales et pleines d’une communicative chaleur,–à quoi bon? Ne serait-ce pas en déflorer l’impression immédiate et vivante?
En faire ressortir les qualités sympathiques, cordiales,–à quoi bon encore? Ne sauteront-elles pas aux yeux de tous?
Combien j’aime mieux vous parler de celui qui les a écrites et qui sait être une personnalité par ce temps d’effacement général, où bien peu d’entre nous parviennent à distraire leur originalité du moule commun. M. Édouard Cavailhon est certainement un de ces rares élus dont on dit: il est quelqu’un,–ce qui veut dire aussi: il n’est pas tout le monde! Il suffit d’ouvrir ce livre pour s’en convaincre. Il est aussi éloigné, par les aspirations et par la forme, des banalités voulues du naturalisme-contemporain que des ambiguïtés psychologiques du spiritualisme à outrance. Il est pensé et écrit avec une indépendance absolue et, toutes proportions gardées, on en pourrait dire ce que notre vieux Montaigne disait du sien: Ceci est un livre de bonne foy!
La bonne foi!–mieux que cela: la foi! Voilà ce qui vibre sans cesse dans ce volume, et ce qui lui donne une saveur toute particulière. La foi en tout ce qui est noble, la foi en tout ce qui est grand, la foi en tout ce qui est digne d’être aimé et admiré. C’est là qu’est le secret de cette sincérité d’émotion, dont personne ne se défendra en le lisant; Oui, la foi, voilà ce qui caractérise ces pages, et la foi dans ce qu’il y a de plus saint au monde pour les hommes de cœur: la foi dans les destinées de la Patrie!
C’est que M. Edouard Cavailhon est, avant tout, un poète.
Je ne vous l’aurais pas fait connaître, si j’avais passé sous silence les deux recueils qu’il publia chez Dentu, il y a deux ans, et où il s’est peint tout entier: Impressions du moment et Chants d’artiste et chants d’amour. C’est là que moi-même j’ai appris à apprécier ce talent mâle, cette nature virile, tels que ce siècle épuisé ne nous en présente plus guère. Voyez plutôt le programme qu’il s’est fait à lui-même dans le premier de ses livres. Voilà comme il comprend le rôle du poète en ce temps-ci:
Lorsqu’elle râle ou meurt qu’il chante la patrie!
Ses vers relèveront l’abaissement des cœurs.
Bien que de notre temps la guerre semble impie,
Elle règne: il est bon d’exalter les vainqueurs.
Puisque Victor Hugo le grand, l’immortel maître,
A chanté Bonaparte, encensé les Bourbons
Et qu’il donne aujourd’hui, toujours reflet peut-êtr
Son souffle populaire à d’autres horizons,
Il faut que dans la voie, où je veux apparaître,
Je change mes accents suivant l’heure ou le lieu.
S’il est persécuté, je défendrai le prêtre;
S’il est persécuteur, je maudirai son Dieu.
Mais, dans cette âme aux tendresses multiples, la vigueur n’exclut pas la grâce, et le chanteur aime le son léger de la flûte à l’égal du mugissement profond des trompettes d’airain. Ecoutez plutôt ces jolis vers d’amour:
Qu’êtes-vous devenus, mes rêves d’espérance?
Je fus heureux un soir, était-ce donc assez?
Et faudra-t-il compter comme un jour de démence
Ces doux aveux, songes passés?
Il ne t’en souvient plus, mais, comme une caresse,
Cette image revient à mon cœur éperdu,
J’osai presser ta lèvre en un moment d’ivresse!
Ce baiser, tu me l’as rendu.
Qu’on me pardonne de parler aussi longuement du poète à propos d’un volume de prose. Mais vous le retrouverez tout entier dans le livre avec ses fougueux élans vers l’infini, avec son amour du juste et du beau, ces deux pôles de la vie humaine pour qui sait en comprendre les joies saintes et les austères devoirs.
Il est un autre point de vue sous lequel il faut que je vous révèle mon ami Edouard Cavailhon, sous peine de ne vous l’avoir fait connaître qu’à demi. Ce spiritualiste renforcé n’a pas pour les choses du corps le mépris qu’affectent, seuls, les imbéciles. « Guenille si l’on veut…» Non! vous ne lui ferez jamais admettre que la forme plastique puisse être traitée de guenille. Par son goût pour les nobles exercices où s’affirme la vigueur humaine, où la splendeur musculaire du plus beau des animaux se développe, où s’entretient la beauté des races, il appartient, tout entier, à la tradition antique. Aux ascètes émaciés qui décorent les portiques de nos cathédrales il préfère les modèles glorieux de la statuaire grecque et, tout en rendant justice aux curiosités intellectuelles de l’art gothique, il leur préfère les beaux chevaux du Parthénon aux crinières droites et aux croupes puissantes. Car–un autre secret de cette nature aux ambitions si diverses–le cheval tient une grande place dans les préoccupations de cet écrivain passionné doublé d’unsportsman fougueux.
Poète et sportsman.
Je ne sais pas si ces deux mots ont été accouplés souvent, mais les voici unis dans une renommée naissante et qui grandira. C’est dans cette union inattendue, dans cette parenté bizarre qu’est le secret de l’originalité vraie des pages que vous êtes déjà, j’en suis convaincu, impatient de lire. Il ne me reste plus qu’à m’excuser, auprès du lecteur, d’avoir retardé de quelques instants son plaisir. Mais c’en était un pour moi, je ne le cache pas, de signaler, le premier, à l’attention une œuvre de mérite en même temps qu’un auteur qui m’est deux fois sympathique, comme homme et comme écrivain.
ARMAND SILVESTRE.
P.S.–L’auteur me charge d’acquitter pour lui une dette de reconnaissance et c’est de grand cœur que je le fais.
Ce livre doit le jour à l’initiative et au coup d’œil hardi de M. Emmanuel Balensi, l’un des jeunes et grands sportsmen parisiens. C’est lui qui a su distinguer son auteur encore inconnu, qui lui a confié la rédaction du Derby, pour en faire un journal de sport militant; c’est lui qui lui a donné la faculté de publier en feuilleton cette œuvre où s’affirme le patriotisme le plus ardent, et de la faire paraître ensuite en volume.
Un tel patronage était déjà de bon augure pour le succès.
AUX GRANDS SPORTSMEN
MEMBRES DU JOCKEY-CLUB
Tues à l’ennemi en1870
C’est à ces nobles martyrs du devoir que je dédie mon œuvre, où j’ai voulu montrer combien l’action vaut mieux que la parole, et combien, au jour du péril, la patrie peut mettre encore plus d’espoir dans les sportsmen de toutes les classes, qu’en ses autres enfants.
Leurs noms doivent figurer au livre d’or de la France; ils porteront, je l’espère, bonheur à cette étude écrite sous la forme du roman, mais prise d’après nature, et n’ayant d’autre but que de rendre hommage à la virilité et au patriotisme.
Ces noms, les voici:
Comte ROBERT DE VOGUÉ, capitaine au 1er spahis.–6août, bataille de Reischoffen.
GUY DUBESSEY DE CONTENSON, colonel du5 e cuirassiers.–30août, combat de Mouzon.
FRANÇOIS FIEVET, colonel du16e d’artillerie.–1er septembre, siège de Strasbourg.
Vicomte DE RAFELIS DE SAINT-SAUVEUR, capitaine au3e zouaves.–1er septembre, blessé mortellement à la bataille de Rcischoffen.
Louis LE SERGEANT D’HENDECOURT, capitaine d’état-major.–1er septembre, bataille de Sedan.
ANDRÉ PICOT, comte DE DAMPIERRE, commandant le 1er bataillon des mobiles de l’Aube.–13octobre, combat de Bagneux.
Vicomte DE GRANCEY, colonel du régiment des mo biles de la Côte-d’Or.–2décembre, bataille de Champigny.
CH. D’ALBERT, duc de Luynes et de Chevreuse, capitaine adjudant-major au 1er bataillon des mobiles de la Sarthe.–2décembre, combat de Loigny.
Honneur à eux!
Les glorieux blessés, membres du Jockey-Club sont trop nombreux pour que je les nomme. Ils m’en voudraient peut-être. Comme tous les vrais méritants, ils sont modestes: le sentiment du devoir accompli au moment du péril leur suffit. Ils seraient prêts encore à tout sacrifier, dans l’avenir comme dans le passé, pour cet idéal que rien ne saurait remplacer, pour la patrie.
EDOUARD CAVAILHON.
CHAPITRE I
Un vrai Patriote.
Table des matières
La ville d’Oran était en deuil. Le fil télégraphique venait d’apporter la terrible nouvelle de la défaite du maréchal de Mac-Mahon. Nos excellents soldats d’Afrique, malgré d’héroïques faits d’armes, avaient succombé sous le nombre à Reischoffen.
Une morne stupeur frappait tous les esprits, et ceux qui avaient vu commencer la guerre avec le plus d’enthousiasme, étaient les premiers à montrer un coupable découragement.
Les Français sont ainsi faits. Il leur faut du succès au début, ou bien ils sont perdus. Et la déroute vient, la débâcle est à craindre.
Au milieu de la foule assemblée sur la grande place, un jeune homme à la démarche souple, élégante, fière et hardie, observait tout sans mot dire. Son regard lançait des éclairs de mépris en voyant ces défaillances honteuses.
Il souffrait.
Tout à coup, un reflet de violente colère se lut sur son beau front, et enflamma son œil noir.
Il venait d’entendre un homme jeune encore, valide et en état de porter les armes, jeter des paroles plus alarmistes que les autres, en osant parler de soumission.
–Il faut donner l’exemple, s’écria-t-il.
Et, fendant le cercle des auditeurs complaisants de cet apôtre de la lâcheté, il vint brusquement prendre le bras de l’orateur en plein vent.
–Benjamin, dit-il, vous me présenterez tous vos comptes dans trois jours. C’est un long travail; allez donc vous y mettre immédiatement.
Le ton dont furent dites ces paroles ne supportait pas de réplique, et Benjamin n’en essaya pas.
Tremblant et honteux, comme un chien pris à mal faire, il osait à peine lever les yeux.
Néanmoins, d’une voix bien humble, il parvint à balbutier cette demande:
–Est-ce que vous me renvoyez, M. Israël? Je suis pourtant un employé fidèle et dévoué.
–Non, je ne vous renvoie pas. C’est moi qui pars, et il faut que tous mes comptes soient en règle. Je ne veux rien laisser en litige, de crainte d’accident.
–Mais où allez-vous donc? s’écrièrent plusieurs voix en même temps.
–Je vais là où le devoir m’appelle, en France, à la frontière menacée. C’est le poste de tous les gens de cœur.
–Mais vous désapprouviez cette guerre.
–Le temps n’est plus au contrôle ni au raisonnement. Il faut agir et non discuter; il faut obéir à la grande voix du devoir.
Un revirement subit se fut bientôt produit parmi ce groupe d’auditeurs augmentant à chaque minute, et la mâle résolution du jeune homme fut vite connue de tous.
Toute foule assemblée est une sensitive. Un mot venu du cœur la fait vibrer comme la harpe éolienne au souffle du vent; une noble action lui donne les élans les plus généreux.
Israël fut entouré, et des félicitations unanimes vinrentle récompenser de sa généreuse initiative.
Quel était ce lutteur de race, dont la vaillance grandissait dans l’épreuve?
C’était un Israélite d’origine lyonnaise. Sa maison de haute finance était la première de notre colonie africaine.
Son père était venu s’établir des premiers à Oran; il avait rendu de très grands services à l’Etat et aux colons, tant par les entreprises industrielles établies par lui-même, que par celles qu’il avait favorisées.
Aidé par une épouse au caractère digne des temps antiques, il avait élevé son fils dans le culte du beau et du bien. Tous ses soins avaient eu pour but de s’en faire un ami, un camarade.
Persuadé que pour être réellement un homme, il faut acquérir à la fois la vigueur du corps et celle de l’esprit, la puissance des muscles en même temps que la force intellectuelle et morale, le père avait tenu à ce que son fils excellât dans tous les genres de sport, aussi bien que dans toutes les branches des connaissances humaines.
C’était un sporstman accompli. La gymnastique n’avait pas de hardiesses dont il ne se fit un jeu; l’équitation, l’escrime, l’art nautique, etc., n’avaient pas de secrets pour lui
Il aimait surtout la marche et la chasse.
Sa supériorité dans les exercices du corps ne l’avait nullement détourné de l’amour de l’étude. Il avait toujours figuré au premier rang dans ses divers examens.
Le bonheur souriait à cette famille modèle, lorsque la mort était venue frapper son chef en pleine maturité de la vie et de la fortune.
Son fils avait alors été arraché à la haute vie parisienne, et, sous l’égide de sa mère, une femme de tête et de grand caractère, il avait pris résolument la suite de la maison. Malgré son immense fortune, il ne voulait pas demeurer inutile et désœuvré.
Aux yeux des masses, les heureux du monde semblent pouvoir se désintéresser des idées de dévouement au dévoir et à la patrie.
–Ils n’ont pas besoin de s’occuper de cela, dit le vulgaire. C’est bon pour ceux qui ont leur fortune à conquérir. Eux, ils n’ont qu’à se laisser aller au farniente et aux jouissances de la vie.
Aussi, lorsqu’un tel exemple d’élan patriotique vient d’en haut, il trouve toujours un immense écho.
Les projets les plus fantaisistes de compagnies d’éclaireurs à pied et à cheval furent alors mis en avant.
On savait qu’Israël, voulant offrir son dévouement et sa vie à son pays, ne serait pas chiche de son argent, et le groupe des aventuriers, dont une ville nouvellement colonisée, comme Oran, se trouve toujours le refuge, vint proposer son concours.
Pour ces déclassés, c’était une occupation toute trouvée: autant cet avenir qu’un autre.
–Je n’ai point l’intention de lever des compagnies franches, leur répondit Israël. Je m’engage simplement comme volontaire pendant la durée de la guerre au3e zouaves, où j’ai plusieurs de mes anciens camarades. Ceux qui voudront m’avoir pour camarade n’ont qu’à venir signer un engagement, comme je vais le faire de ce pas. Mais je crois que le concours de compagnies de francs-tireurs ou d’éclaireurs à cheval, bien organisées, peut être très utile pour faire la guerre de partisans. Faites donc choix d’un commandant que je connaisse et dans lequel je puisse avoir confiance, je mettrai300,000francs à votre disposition pour les premiers frais nécessaires. Je désire par exemple que l’on soit prêt à embarquer dans huit jours.
Des cris d’enthousiasmes éclatèrent de tous côtés. Les peuples du midi aiment le bruit et sont toujours heureux de trouver un prétexte à démonstrations exubérantes.
Israël se déroba aux ovations qu’on lui préparaît.
Rentré chez lui, il fit demander à sa mère de le recevoir pour lui faire part de sa détermination, que du reste il était sûr d’avance de lui voir approuver, connaissant son grand cœur.
En effet, la noble femme se contenta de lui dire:
–Si ton père vivait, il t’approuverait. Je ne puis que faire comme lui, tout en versant quelques secrètes larmes bien pardonnables à la faiblesse d’une femme, au cœur d’une mère. Va, mon fils, et que le Dieu des causes justes t’accorde sa protection.
Un oncle d’Israël, qui avait fait de grandes entreprises industrielles et n’avait pas réussi, vint pour le dissuader de partir, craignant peut-être qu’en l’absence du jeune homme les bons sur la caisse ne lui fussent mieux ménagés.
Israël écouta les raisonnements plus ou moins spécieux de son parent, puis il répondit avec douceur.
–Tout homme se doit avant tout à son pays.
Les affaires, les intérêts privés doivent céder le pas à la grande idée de la patrie.
–Oui, dit l’oncle, mais quand on a une certaine position de fortune, on peut se tenir à l’abri des tempêtes.
–Raison de plus, reprit Israël, pour se mettre en avant. On est intéressé à défendre ses richesses et son bien-être acquis.
–Bastel la patrie est partout où l’on est bien.
–Allons donc! il n’y a qu’une France; il n’y a qu’un Paris.
Et se laissant aller à je ne sais quel enthousiasme rêveur, comme en ont les enfants des climats sans nuages, le fier jeune homme reprit:
–Paris, c’est ma patrie d’adoption, la ville de mes souvenirs joyeux, de mes rêves et de mes folies de jeunesse. Ma fierté patriotique n’admettra jamais qu’un soudard allemand, sot, lourd et brutal, gorgé de bière et de viande de porc, marchant sous les coups de plat de sabre, puisse venir souiller le sol de la cité chère aux artistes et aux intelligences de tous les genres, de toutes les nuances, de tous les pays.
Ils ont dit, ces gens du Nord, de leur air glacial et compassé, entre deux nausées de victuailles:
–Paris n’est qu’un lupanar, nous y entrerons dans huit jours.
Il appartient à ceux qui ont demandé le plaisir à la grande métropole, à l’heure où soufflait le vent de la fantaisie et des brises juvéniles, et qui l’y ont trouvé avec usure, il leur appartient de prouver à ces soldats philosophant que les gais viveurs savent marcher à la mort, pour défendre leur pays menacé. Qu’ils viennent donc; ils trouveront des soldats de fer dans la ville des sybarites.
–Tudieu, s’écria l’oncle. Mais c’est la voix de Judas Macchabée. Quel zèle, quel feu! Je suis fier de toi. Si l’âge ne me retenait pas ici, je te suivrais. Ton enthousiasme est communicatif, et s’il trouve des imitateurs, il est certain que rien n’est compromis… Mais tu penseras à moi, n’est-ce pas, mon bon neveu?
–Mon absence ne changera rien aux jours ni aux heures auxquelles vous devrez vous présenter à mon caissier.
Et l’oncle s’en