Dernière note à Pontivy: Polar breton
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À propos de ce livre électronique
Le 5 juillet 1987, un dramatique accident de la route endeuille la maison Fichet, imprimeurs à Pontivy. Oriane Le Dréan, petite-fille du fondateur, est seule rescapée. En apparence indemne, l’orpheline âgée de cinq ans se mure pourtant dans le silence et son regard
se fige. L’obscurité devient son quotidien.
Vingt ans plus tard, jour pour jour, Romain Fouller, termine un rapport d’enquête à la gendarmerie de Pontivy et s’apprête à rejoindre son collègue et ami, Gabriel Caro, natif de la ville. Mais au lieu d’une virée nostalgique dans l’ancienne cité napoléonienne, leur major les expédie au Palais des Congrès. Oriane, talentueuse harpiste à la renommée internationale, vient de s’effondrer sur scène devant son public. Rien ne semble naturel dans cet événement, bien au contraire.
Les deux enquêteurs vont devoir affronter les fantômes du Manoir de Kergrésil et faire ressurgir du passé des histoires que ni le temps, ni les morts n’ont su effacer.
Plus qu'un polar passionnant, c'est tout le patrimoine de Pontivy qui est mis à l'honneur par Séverine Le Corre-Mongin dans son deuxième roman, mêlant des faits vieux d'une vingtaine d'années à l'actualité.
EXTRAIT
Le front appuyé sur la colonne de sa harpe, Oriane tenta de rester debout. Elle secoua légèrement la tête pour indiquer à son compagnon qu’elle ne se sentait pas bien. Puis, le vertige fut si fort qu’elle vacilla et s’écroula au pied de sa toute nouvelle Gallaway, brisant ainsi la magie par laquelle tout le théâtre s’était retrouvé au jardin, prêt à sentir les roses blanches de la jeune femme.
Un cri d’effroi du public remplaça la mélodieenchanteresse. Allongée sur la scène, Oriane restait inerte. D’un bond, Sean sortit de la régie et dévala les marches du théâtre. Sur scène, il fut rejoint par le docteur Dufrot, mélomane averti et sociétaire de l’amicale de musique de la ville.
Le regard du médecin de famille de la jeune femme s’assombrit rapidement. Le simple malaise qu’il avait suspecté au préalable n’en était pas un. Il avait vu grandir la Pontivyenne, lui avait fait ses premiers vaccins, soigné ses maladies infantiles, mais là, tout
médecin qu’il était, il ne pouvait plus rien faire. Le coeur de l’artiste avait cessé de battre. Son visage cyanosé aux lèvres décolorées indiquait à l’homme de science que la jeune femme était vraisemblablement victime d’un empoisonnement.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
"Une enquête policière – « pas très sanglante, plutôt soft » -, Dernière note à Pontivy est aussi un guide touristique à thème pour (re) découvrir la cité napoléonienne, au fil des pages… Et avec des personnages très attachants !" - Actu.fr
À PROPOS DE L'AUTEURE
Maman de jumeaux et rédacteur dans un EHPAD, Séverine Le Corre-Mongin vous invite boulevard des Souvenirs. Dans cette fiction, elle prête aux quartiers de sa ville natale une existence légèrement différente de la réalité. Mais c’est pour mieux vous faire découvrir le patrimoine de cette jolie cité traversée par le Blavet.
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Aperçu du livre
Dernière note à Pontivy - Séverine Le Corre-Mongin
REMERCIEMENTS
– À Florian mon époux pour son amour et sa patience,
– À ma merveilleuse Catherine pour ses lectures, relectures, corrections et sauvegardes,
– À Alan pour son aide à la correction,
– À Zélen mon fidèle Chartreux,
– À Thérèse sans qui le premier roman n’aurait sans doute jamais quitté mon tiroir,
– À l’équipe des Éditions Alain Bargain pour leur formidable accueil,
– Aux lecteurs qui m’incitent à poursuivre l’écriture,
– Aux artistes de ma playlist… Oui, j’avoue écrire en musique et pas toujours sur du classique, loin de là !
Je remercie tout particulièrement les familles de Charles Floquet et Fernand Picot pour leur autorisation à citer leurs proches dans cette fiction.
Je remercie également la Biscuiterie Joubard, le Groupe Les Glochos et le peintre Reon. Vous êtes mes madeleines de Proust et il me tenait à cœur de vous citer.
PREMIÈRE PARTIE
ORIANE
I
Jeudi 5 juillet, 20 heures 35 – Pontivy – Palais des Congrès
Édouard Colin, correspondant local pour le quotidien leader des ventes du Grand Ouest, rejoignait son siège près de l’allée dans le bas de la salle de théâtre. Ce mélomane averti, accessoirement professeur de formation musicale à l’école de musique de la ville, affichait une mine satisfaite. Outre le fait qu’il s’apprêtait à passer une agréable soirée à l’écoute du concert de harpe celtique, il était ravi de la réponse de Rachel sa rédactrice en chef. Elle validait tel quel l’article qu’il lui avait soumis concernant la séance de dédicaces de l’après-midi même, lors de la présentation du nouvel album de la jeune harpiste qu’il allait entendre ce soir.
« Vibrant hommage de la nouvelle génération à l’artiste disparue – Oriane Le Dréan, jeune auteure-compositrice-interprète bouscule le programme prévu par sa maison de disques. L’annonce du départ de la talentueuse harpiste, Kristen Nogues vers Tirna-nog, dépose un voile de tristesse sur la sortie de l’album de la Pontivyenne. En souvenir de celle qu’elle admirait, Oriane interprète avec une grande émotion, les célèbres Butterfly et Bazh Valan. Cet hommage spontané de la jeune artiste, stupéfait l’assemblée réunie autour d’elle. S’ensuit quelques minutes d’un pesant silence rapidement rompu par de nouvelles notes cristallines. Oriane nous offre à cet instant les premiers accords de son nouvel album et nous transporte vers l’autre rive. Loin et si proche à la fois de Tir na nog. Rappelons qu’il y a vingt ans ce jour, la vie de cette jeune femme fut tristement marquée par le terrible accident qui lui prit ses parents et la vue. Depuis cette date, Oriane réinvente, entre ombre et lumière, les couleurs de l’arc-en-ciel avec les cordes de sa harpe. Ré, bleu, mi, vert, sol, jaune… Ses notes remplacent les voyelles du poème de Rimbaud. Par touche, l’artiste nous distille une palette de ses univers. Art’son, son nouvel album, se compose de plusieurs tableaux. Aux portes du paradis des Celtes, elle virevolte ensuite, mélancolique, au milieu d’une prairie en fleurs puis s’abandonne aux rythmes endiablés d’une danse frénétique. Art’son, merveilleux voyage au pays des elfes et des korrigans. Toute la magie des influences celtes… »
Édouard se disait qu’il aurait pu en écrire davantage sur Oriane Le Dréan et surtout sur sa famille. Mais à quoi bon remuer de si douloureux souvenirs et puis l’objet de son article était la sortie de l’album pas une biographie de l’interprète.
— Hey, Ed ! Comment tu vas, lui lança Julian dans son français so British.
— Bien, et toi ma belle ?
— Fantastique, lui répondit la ressortissante canadienne installée depuis quelques mois dans la cité pontivyenne. J’ai bien travaillé aujourd’hui. La lumière était magnifique pour peindre le château.
— Encore ce château, tu vas l’user à force de le regarder et de le reproduire.
— Mais non, il est là depuis longtemps et sera là encore après moi. Puis changeant de sujet : As-tu des nouvelles de Vincent ? Les gendarmes sont passés chez lui. Je crois que c’est en rapport avec les ronds.
— Les crops circles ?
— Tu es bête, tu fais exprès de ne pas me comprendre. Je te parle des cercles d’abondance dont il avait discuté avec toi.
— Je te taquine, je suis plus ou moins au courant de ce qui se passe. En fait, les gendarmes sont bien passés chez Vincent, mais cela n’a rien à voir avec ce que tu crois.
— Tu en as trop dit ou pas assez.
— Je ne sais pas si je dois t’en parler, Vincent est très discret sur sa vie, peu de personnes connaissent son histoire.
— Oh, tu veux parler de son frère…
— Oui, c’est la raison de la visite des gendarmes.
— Quel fardeau pour lui et leurs parents. Tu n’es jamais tranquille, tu as toujours effrayé il arrive malheur
.
« Sacrée Julian, se disait Édouard, tes fautes de français me feront toujours fondre, mais cette fois tu as raison le malheur est arrivé. »
Le noir se fit et le silence enveloppa la salle. Édouard et sa compagne se turent également, ils reprendraient cette conversation ultérieurement. Le moment tant attendu pour Édouard arrivait.
De l’autre côté du rideau de velours noir, Oriane attendait le signal. Sean son compagnon, venait de lui prodiguer les derniers encouragements et, d’un tendre baiser sur le front la quittait pour rejoindre son poste.
Seule dans la pénombre, la jeune femme se concentrait. Le rituel était immuable depuis plusieurs années. Au signal, elle suivait la lumière qui la guidait jusqu’à la harpe au centre de la scène. Ensuite, elle prenait les commandes du concert, son équipe suivait. Fernand à la lumière, Sean au son et à la vidéo et Violette qui, exceptionnellement, n’avait pas besoin d’être aux entrées.
* * *
Depuis quelques années, la Ville de Pontivy offrait à ses habitants durant la période estivale, une série de concerts gratuits qui selon la météo ou la spécificité des artistes invités se déroulaient soit en plein air soit au Palais des Congrès. Le premier avait eu lieu sur la place Anne de Bretagne dans le quartier médiéval de l’ancienne cité napoléonienne et c’est le groupe folklorique local, la Kerlenn Pondi qui avait ouvert cette nouvelle saison.
Chaque année, le bagad et son cercle présentaient aux estivants une partie de leur programme qu’ils allaient ensuite défendre dans les divers festivals de musiques et de danses dont notamment le Festival Interceltique de Lorient. Les moutons blancs, comme ils étaient nommés en raison de la spécificité de leur costume fait de laine blanche et non noire ou brune comme dans le reste de la Bretagne, avaient chez les danseurs la particularité de sauter en l’air et de lever la jambe le plus haut possible jusqu’à, pour les plus espiègles, soulever les jupes de leur partenaire féminine. Pontivy pouvait être fière de la Kerlenn car elle avait hissé les couleurs de la ville jusqu’aux portes de la Cité interdite en Chine et ne comptait pas s’arrêter là. D’autres voyages étaient en prévision dans le cadre d’échanges culturels.
Oriane était très honorée de faire partie cette année des artistes invités par la ville qui l’avait vu naître. Le public présent en masse le lui rendait bien. Elle sentait que la salle était comble. Elle entendait battre le cœur des Pontivyens. Leur amour attendri pour cette petite fille qu’ils avaient vu grandir et souffrir était réel. Tous connaissaient son horrible histoire et avaient une version ou une idée plus ou moins rocambolesque des faits. C’était il y a longtemps quand elle n’était encore qu’une enfant. La seule chose dont elle était sûre, c’est que cette nuit-là, il y a vingt ans, sa vie avait basculé et se retrouvait depuis seule et dans le noir. Maman, où es-tu ? Maman ?
Le nez enfoui dans son avant-bras, elle inspira profondément. Odeur rassurante que ces quelques gouttes d’Habanita, le parfum que portait sa mère et dont elle s’aspergeait quotidiennement. Fantôme olfactif qui la berçait dans ces moments de doute ou de stress intense.
Elle avait pourtant confiance en son équipe, depuis le nombre d’années qu’ils travaillaient ensemble sur les tournées. Durant la période estivale, Oriane se produisait en moyenne une dizaine de fois sur les scènes bretonnes et des membres de sa famille composaient alors l’équipe qui l’accompagnait. Ils s’arrangeaient pour être libres aux différentes dates. Seul Sean, son petit ami, la suivait partout et ce d’autant plus que le planning de la jeune artiste avait explosé ces derniers mois. En plus d’être son amant, il était devenu naturellement l’aidant familial. Il était ses yeux et elle avait une totale confiance en lui. L’arrivée de cet étranger dans la vie d’Oriane avait fait grincer quelques dents dans l’entourage proche. Mais c’était sans compter sur le tempérament parfois explosif de la jeune femme. « Ne me dis pas ce que je ne peux pas faire », avait-elle coutume de prononcer quand on contrariait ses projets. Son oncle et sa tante qui avaient veillé sur elle depuis le décès brutal de ses parents avaient par obligation abdiqué. Elle était majeure et capable de gérer sa vie. Tôt ou tard le joli papillon serait sorti de sa chrysalide et celui-là n’avait pas attendu le nombre des années. Bien avant sa majorité Oriane avait fait selon son bon vouloir. Pas d’infirmité qui tienne. Ses proches faisaient en sorte d’aplanir les éventuelles grosses difficultés, mais ne faisaient pas à sa place. Ils avaient appliqué le conseil du médecin qui s’était occupé de cette petite fille de cinq ans et dont ils se voyaient confier la garde.
« Si vous voulez être utile à cette enfant, aidez-la, guidez-la, mais ne faites pas à sa place ou vous en ferez une assistée toute sa vie. » La petite fille s’était endurcie au fil des épreuves et ils pouvaient être fiers de la jeune femme qu’elle était devenue. Elle avait ses défauts, ses manies, mais globalement n’était pas difficile à vivre… pour une artiste.
Un double bip dans l’oreillette, où elle recevait le retour son, rappela à Oriane qu’il lui fallait entrer en scène.
II
21 heures – Brigade de gendarmerie de la ville
Romain Fouller et Gabriel Caro qu’un trafic de denrées asiatiques toxiques avait menés dans l’ancienne cité napoléonienne prenaient congé de leurs collègues Pontivyens. Toutefois, avant de repartir pour Lorient où ils étaient basés, ils firent un petit détour par le mess de la brigade où ils avaient sympathisé durant leur séjour avec le cuisinier. Jeffray, d’origine martiniquaise avait trouvé en eux deux amateurs de sa cuisine colorée. Eux-mêmes dans leur propre brigade lorientaise, avaient comme adjoint un jeune surdoué de l’informatique qui à ses heures perdues, leur concoctait des merveilles gustatives. Date était d’ailleurs prise pour faire se rencontrer Max et Jeffray, ces deux adeptes des expériences culinaires. En attendant, Romain et Gabriel espéraient négocier avant leur départ une petite collation et Jeffray, se doutant de leur passage, les attendait avec un colombo délicieusement parfumé. Les deux Lorientais auraient d’ailleurs bien volontiers pris leurs quartiers dans cette petite ville traversée par un Blavet paisible. À la condition suprême toutefois que Jeffray resta cuisinier, ici, à Pontivy.
III
21 heures 02 – Salle du Théâtre
Un halo de lumière balaya la scène et se positionna sur le côté gauche du rideau qui s’entrouvrit. Oriane avança dans cette lumière qui, tel un fil d’Ariane, lui montrait le chemin jusqu’à son instrument. Face à un public debout l’ovationnant, Oriane, à son habitude resta silencieuse, mit la main sur son cœur et s’inclina. À cet instant, elle pensait à ses parents pour qui elle avait fait réserver deux places au-devant de la salle. Places qui resteraient inexorablement vides toute la soirée, mais auxquelles elle tenait énormément et encore plus ce soir. Son statut de prodige, qui plus est infirme, lui permettait ce genre de petits caprices.
Seule sur scène dans la lumière du projecteur, Oriane tendit les bras vers sa harpe. Au passage, une chaude odeur de patchouli et d’ambre lui emplit les narines et ses sens s’apaisèrent. Enveloppée de ce parfum familier, consciencieusement, elle abaissa et remonta les clefs actionnant les cordes de son instrument. Le public était suspendu à ses mains. Elle s’essuya les doigts à un petit chiffon de coton, le reposa sur la tablette positionnée à sa droite, prit une grande inspiration, et entreprit le premier morceau de son répertoire. Ses fans étaient aux anges. La harpiste attaquait de front avec l’un de ses titres les plus enlevés, suivi d’un nouveau morceau tout aussi intense. Un corps-à-corps torride et sensuel avec sa harpe, un modèle électroacoustique dont il n’existait que quelques exemplaires au monde. Elle avait réceptionné son instrument une quinzaine de jours avant ce concert exceptionnel et le lancement de son album. La chance était avec elle. La harpe commandée depuis plusieurs mois chez le seul fabricant français implanté à Mouzeil en Loire Atlantique, était prête à temps et sonnait merveilleusement bien. Chaque harpe était unique, le fruit de l’association d’une longue chaîne de savoir-faire, de recherche et de passion entre le musicien et son luthier. La harpe conçue pour Oriane lui donnait entière satisfaction et lui permettait une palette de nuances immense. Un horizon musical infini s’ouvrait à la musicienne.
La jeune femme, toute frêle au demeurant dans sa robe de mousseline blanche était survoltée. Vivant sa musique, Oriane offrait au public son fameux Tango Celte
comme certains journalistes avaient baptisé son jeu. Un frappé de cordes qui faisait sonner tout le bois de la harpe et donnait à sa musique un son très moderne où les basses et les aigus se partageaient la vedette au gré des mélodies. Opposées ou complices, le duel était féroce et Oriane malmenait les cordes avec une dextérité sensationnelle.
Ce soir, la mise en scène était particulièrement étudiée, rendant encore plus intense la prestation de la jeune femme. Des spots, judicieusement positionnés, projetaient d’un côté de la scène l’ombre des mains de l’artiste et de l’autre sa silhouette. À des fins commerciales, des caméras filmaient sous plusieurs angles ce concert exceptionnel.
Dans la cabine de régie, Sean pouvait souffler. Les caméras enregistraient la prestation de sa douce. Son entrée s’était déroulée sans accroc, la harpe sonnait parfaitement. Il était heureux, fier de sa belle et de son talent, épris aux yeux de crapaud mort d’amour. Il se remémorait encore leur première rencontre, ici dans cette même ville.
IV
21 heures 10 – Mess de la gendarmerie
Attablés dans la salle des officiers, Gabriel et Romain dégustaient le colombo préparé par Jeffray. N’ayant prévu de quitter la ville que le lendemain matin, Gabriel projetait de faire découvrir à son ami et collègue le pub où il avait passé de nombreuses heures de permanence durant ses années de lycée.
En effet, le hasard de son métier d’enquêteur l’avait conduit à revenir dans sa ville natale. Pontivy et Lorient n’étaient distantes que de 58 kilomètres, mais les occasions d’y revenir n’étaient pas légion. Ses parents, l’heure de la retraite arrivée, avaient déménagé en bord de mer à Guidel et ses camarades étaient disséminés un peu partout dans l’hexagone et au-delà, pour raisons professionnelles ou familiales. Tout au long de leur enquête, il n’avait cessé à chaque coin de rue de raconter telle ou telle anecdote à son collègue.
— Je n’y peux rien, entama Gaby. J’aime ma ville, elle est en moi. J’aime son histoire, ses personnages, son architecture, ses légendes. Ce n’est pas une ville extravagante, on passe même pour des culs-terreux, des vendeurs de patates. Mais je m’en fous, je suis fier d’être Pontivyen. Regarde, des tas d’auteurs ont raconté leur ville. Paris par exemple a été dépeint de nombreuses fois. Chacun a raconté son Paris, celui de sa jeunesse, celui où il a grandi. Ben moi, c’est Pontivy.
— Certes, répliqua Romain, mais tu n’as pas écrit ni publié quoi que ce soit sur ton village que je sache.
— Bien sûr que non, je n’en ai pas la prétention et d’autres plumes l’ont fait bien mieux que moi. Pour n’en citer qu’un, Charles Floquet, que j’ai rencontré plusieurs fois.
— Charles Floquet, le parlementaire, le sénateur ? Tu es complètement mytho, il est mort bien avant ta naissance. Je ne sais pas ce que Jeffray a mis dans son plat, mais cela t’est monté à la tête.
— Pas du tout, se défendit Gabriel, mon
Charles Floquet est bien vivant et si on était à la bonne saison, je me ferais un plaisir d’aller aux champignons du côté de Stival et de lui en porter un plein panier. Cela me donnerait une raison pour lui rendre visite et évoquer certains mystères que j’ai toujours souhaité éclaircir. J’ai déjà interrogé quelques personnes sur des histoires de la ville, mais sans succès. Mon père m’a souvent raconté qu’un souterrain reliait le château des Ducs de Rohan au manoir du Gros Chêne. Pour un môme, les histoires de passages secrets font rêver. Mais il me disait aussi qu’une de ses connaissances avait perdu une chèvre dans le labyrinthe et que l’animal n’était jamais reparu.
— Tu veux peut-être que l’on ouvre une enquête sur la disparition de la chèvre ? Mademoiselle Seguin, c’est ça ? plaisanta Romain en faisant mine de sortir son carnet de notes.
— Mais non, je ne suis pas aussi fou et il y a largement prescription. C’est juste qu’une partie de la théorie peut se vérifier. Dans l’enceinte du château, du côté de la chapelle, un puits couvert se verrouille de l’intérieur. S’il ne s’agit pas de l’entrée d’un passage secret pour sortir du château en cas de siège, je ne vois pas l’intérêt d’un tel procédé. Pareil pour le lavoir à l’extérieur du château, il y aurait un passage qui mènerait…
— Eh bien mes cocos, comme dirait ma grand-mère Raymonde, vous vous tenez mieux à table qu’une biquette sur ses cornes, coupa Jeffray arrivant avec un flacon de rhum arrangé.
— Je serais bien curieux de voir m’zelle Seguin danser le freeze
sur ses cornes plaisanta Romain.
— Je doute que le break dance soit de son époque, ajouta Gabriel.
— Je vais peut-être remettre ma bouteille à sa place, fit le cuisinier, j’ai l’impression que mon colombo vous a suffisamment échauffé les esprits.
— Non non, point du tout, au contraire nous nous sommes régalés, le félicita Romain. Mais tu as raison, on va éviter de sortir de la caserne en marchant de travers. La réputation de la Royal Pondi
a traversé les frontières du Pays breton, mais nous ne souhaitons pas l’honorer. On va juste aller faire un tour au pub pour une plongée dans les souvenirs de mon camarade.
— D’accord Messieurs, si vous voulez bien que je vous accompagne, je termine dans un gros quart d’heure.
— Bonne idée, on peut aider à quelque chose pour t’avancer ? proposèrent les Lorientais.
V
21 heures 17- salle du Théâtre
Huit minutes et quarante-cinq secondes d’un corps-à-corps intense entre l’artiste et son instrument. Les mains à plat bloquant les cordes la harpe alors silencieuse, Oriane posa son front sur le bois de la colonne, telle une écuyère remerciant sa monture de