À propos de ce livre électronique
Publié pour la première fois en 1846, Teverino appartient à une veine romanesque fantaisiste que le public d'aujourd'hui n'associe pas au nom de George Sand. Cette veine compte pourtant quelques romans d'une rare qualité qu'un fil discret relie aux oeuvres les plus connues.
George Sand
Born Amantine-Lucile-Aurore Dupin, George Sand (1804–1876) was a French romantic novelist and memoirist. She was raised in the countryside, and her appreciation for it influenced her work. In 1831, following a divorce, Sand moved to Paris where she wrote articles for the newspaper Le Figaro. She then adopted the pseudonym George Sand, subsequently releasing her novel Indiana, which rejected the notions of the time that a woman must be subservient to her husband—and brought Sand immediate fame. She followed this with two other novels, Lélia and Valentine, which encompassed the same themes. Sand soon became notable for her numerous affairs with artists, including Alfred de Musset and Frédéric Chopin. She found her niche and passion in rustic novels, which she continued to write until her death.
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Avis sur Teverino
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Aperçu du livre
Teverino - George Sand
Teverino
George Sand
Notice
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
XII
XIII
Page de copyright
George Sand
Teverino
Notice
Teverino est une pure fantaisie dont chaque lecteur peut tirer la conclusion qu’il lui plaira. Je l’ai commencée à Paris, en 1845, et terminée à la campagne, sans aucun plan, sans aucun but que celui de peindre un caractère original, une destinée bizarre, qui peuvent paraître invraisemblables aux gens de haute condition, mais qui sont bien connus de quiconque a vécu avec des artistes de toutes les classes. Ces natures admirablement douées, qui ne savent ou ne veulent pas tirer parti de leurs riches facultés dans la société officielle, ne sont point rares, et cette indépendance, cette paresse, ce désintéressement exagérés, sont même la tendance propre aux gens trop favorisés de la nature. Les spécialités ouvrent et suivent avec acharnement la route exclusive qui leur convient. Il est des supériorités tout à fait opposées, qui, se sentant également capables de tous les développements, n’en poursuivent et n’en saisissent aucun. Ce que je me suis cru le droit de poétiser un peu dans Teverino, c’est l’excessive délicatesse des sentiments et la candeur de l’âme aux prises avec les expédients de la misère. Il ne faudrait pas prendre au pied de la lettre les paradoxes qui séduisent l’imagination de ce personnage, et croire que l’auteur a été assez pédant pour vouloir prouver que la perfection de l’âme est dans une liberté qui va jusqu’au désordre. La fantaisie ne peut rien prouver, et l’artiste qui se livre à une fantaisie pure ne doit prétendre à rien de semblable. Est-il donc nécessaire, avant de parler à l’imagination du lecteur, par un ouvrage d’imagination, de lui dire que certain type exceptionnel n’est pas un modèle qu’on lui propose ? ce serait le supposer trop naïf, et il faudrait plutôt conseiller à ce lecteur de ne jamais lire de romans, car toute lecture de ce genre est pernicieuse à quiconque n’a rien d’arrêté dans le jugement ou dans la conscience.
On m’a reproché de peindre tantôt des caractères dangereux, tantôt des caractères impossibles à imiter ; dans les deux cas j’ai prouvé apparemment que j’avais trop d’estime pour mes lecteurs. Qu’au lieu de s’en indigner ils la méritent. Voilà ce que je puis leur répondre de mieux.
Je ne défendrai ici que la possibilité, je ne dis pas la vraisemblance du caractère de Teverino : cette possibilité, beaucoup de gens pourraient se l’attester à eux-mêmes en consultant leurs propres souvenirs. Beaucoup de gens ont connu une espèce de Teverino mâle ou femelle dans le cours de leur vie. Il est vrai qu’en revanche, pour un de ces êtres privilégiés qui restent grands dans la vie de bohémien, il en est cent autres qui y contractent des vices incurables ; cette classe d’aventuriers est nombreuse dans la carrière des arts. Elle se dégrade plus souvent qu’elle ne s’élève ; mais les individus peuvent toujours s’élever, et même se relever quand ils ont du cœur et de l’intelligence. Cela, je le crois fermement pour tous les êtres humains, pour tous les égarements, pour tous les malheurs, et dans toutes les conditions de la vie. Il est bon de le leur dire, et c’est pour cela qu’il est bon d’y croire. Je ne m’en ferai donc jamais faute.
George Sand.
I
Vogue la galère
Exact au rendez-vous, Léonce quitta, avant le jour, l’Hôtel des Étrangers, et le soleil n’était pas encore levé lorsqu’il entra dans l’allée tournante et ombragée de la villa : les roues légères de sa jolie voiture allemande tracèrent à peine leur empreinte sur le sable fin qui amortissait également le bruit des pas de ses chevaux superbes. Mais il craignit d’avoir été trop matinal, en remarquant qu’aucune trace du même genre n’avait précédé la sienne, et qu’un silence profond régnait encore dans la demeure de l’élégante lady.
Il mit pied à terre devant le perron orné de fleurs, ordonna à son jockey de conduire la voiture dans la cour, et, après s’être assuré que les portes de cristal à châssis dorés du rez-de-chaussée étaient encore closes, il s’avança sous la fenêtre de Sabina, et fredonna à demi-voix l’air du Barbier :
Ecco ridente il cielo,
Già spunta la bella aurora...
... E puoi dormir cosi ?
Peu d’instants après la fenêtre s’ouvrit, et Sabina, enveloppée d’un burnous de cachemire blanc, souleva un coin de la tendine et lui parla ainsi d’un air affectueusement nonchalant :
– Je vois, mon ami, que vous n’avez pas reçu mon billet d’hier soir, et que vous ne savez pas ce qui nous arrive. La duchesse a des vapeurs et ne permet point à ses amants de se promener sans elle. La marquise doit avoir eu une querelle de ménage, car elle se dit malade. Le comte l’est pour tout de bon ; le docteur a affaire, si bien que tout le monde me manque de parole et me prie de remettre à la semaine prochaine notre projet de promenade.
– Ainsi, faute d’avoir reçu votre avertissement, j’arrive fort mal à propos, dit Léonce, et je me conduis comme un provincial en venant troubler votre sommeil. Je suis si humilié de ma gaucherie, que je ne trouve rien à dire pour me la faire pardonner.
– Ne vous la reprochez pas ; je ne dormais plus depuis longtemps. Le caprice de toutes ces dames m’avait causé tant d’humeur hier soir, qu’après avoir jeté au feu leurs sots billets, je me suis couchée de fort bonne heure, et endormie de rage. Je suis fort aise de vous voir, il me tardait d’avoir quelqu’un avec qui je pusse maudire les projets d’amusement et les parties de campagne, les gens du monde et les jolies femmes.
– Eh bien ! vous les maudirez seule, car, en ce moment, je les bénis du fond de l’âme.
Et Léonce, penché sur le bord de la fenêtre où s’accoudait Sabina, fut tenté de prendre une de ses belles mains blanches ; mais l’air tranquillement railleur de cette noble personne l’en empêcha, et il se contenta d’attacher sur son bras superbe, que le burnous laissait à demi nu, un regard très significatif.
– Léonce, répondit-elle en croisant son burnous avec une grâce dédaigneuse, si vous me dites des fadeurs, je vous ferme ma fenêtre au nez et je retourne dormir. Rien ne fait dormir comme l’ennui ; je l’éprouve surtout depuis quelque temps, et je crois que si cela continue, je n’aurai plus d’autre parti à prendre que de consacrer ma vie à l’entretien de ma fraîcheur et de mon embonpoint, comme fait la duchesse. Mais tenez, soyez aimable, et appliquez-vous, de votre côté, à entretenir votre esprit et votre bon goût accoutumés. Si vous voulez me promettre d’observer nos conventions, nous pouvons passer la matinée plus agréablement que nous ne l’eussions fait avec cette brillante société.
– Qu’à cela ne tienne ! Sortez de votre sanctuaire et venez voir lever le soleil dans le parc.
– Oh, le parc ! il est joli, j’en conviens, mais c’est une ressource que je veux me conserver pour les jours où j’ai d’ennuyeuses visites à subir. Je les promène, et je jouis de la beauté de cette résidence, au lieu d’écouter de sots discours que j’ai pourtant l’air d’entendre. Voilà pourquoi je ne veux pas me blaser sur les agréments de ce séjour. Savez-vous que je regrette beaucoup de l’avoir loué pour trois mois ? il n’y a que huit jours que j’y suis, et je m’ennuie déjà mortellement du pays et du voisinage.
– Grand merci ! dois-je me retirer ?
– Pourquoi feindre cette susceptibilité ? Vous savez bien que je vous excepte toujours de mon anathème contre le genre humain. Nous sommes de vieux amis, et nous le serons toujours, si nous avons la sagesse de persister à nous aimer modérément comme vous me l’avez promis.
– Oui, le vieux proverbe : « S’aimer peu à la fois, afin de s’aimer longtemps. » Mais voyons, vous me promettez une bonne matinée, et vous me menacez de fermer votre fenêtre au premier mot qui vous déplaira. Je ne trouve pas ma position agréable, je vous le déclare, et je ne respirerai à l’aise que quand vous serez sortie de votre forteresse.
– Eh bien, vous allez me donner une heure pour m’habiller ; pendant ce temps, on vous servira un déjeuner sous le berceau. J’irai prendre le thé avec vous, et puis nous imaginerons quelque chose pour passer gaiement la matinée.
– Voulez-vous m’entendre, Sabina ? laissez-moi imaginer tout seul, car, si vous vous en mêlez, nous passerons la journée, moi à vous proposer toutes sortes d’amusements, et vous à me prouver qu’ils sont tous stupides et plus ennuyeux les uns que les autres. Croyez-moi, faites votre toilette en une demi-heure, ne déjeunons pas ici, et laissez-moi vous emmener où je voudrai.
– Ah ! vous touchez la corde magique, l’inconnu ! Je vois, Léonce, que vous seul me comprenez. Eh bien, oui, j’accepte ; enlevez-moi et partons.
Lady G... prononça ces derniers mots avec un sourire et un regard qui firent frissonner Léonce.
– Ô la plus froide des femmes ! s’écria-t-il avec un enjouement mêlé d’amertume, je vous connais bien, en effet, et je sais que votre unique passion, c’est d’échapper aux passions humaines. Eh bien ! votre froideur me gagne, et je vais oublier tout ce qui pourrait me distraire du seul but que nous avons à nous proposer, la fantaisie !
– Vous m’assurez donc que je ne m’ennuierai pas aujourd’hui avec vous ? Oh ! vous êtes le meilleur des hommes. Tenez, je ressens déjà l’effet de votre promesse, comme les malades qui se trouvent soulagés par la vue du médecin, et qui sont guéris d’avance par la certitude qu’il affecte de les guérir. Allons, je vous obéis, docteur improvisé, docteur subtil, docteur admirable ! Je m’habille à la hâte, nous partons à jeun, et nous allons... où bon vous semblera... Quel équipage dois-je commander ?
– Aucun, vous ne vous mêlerez de rien, vous ne saurez rien ; c’est moi qui prévois et commande, puisque c’est moi qui invente.
– À la bonne heure, c’est charmant ! s’écria-t-elle ; et, refermant sa fenêtre, elle alla sonner ses femmes, qui bientôt abaissèrent un lourd rideau de damas bleu entre elle et les regards de Léonce. Il alla donner quelques ordres, puis revint s’asseoir non loin de la fenêtre de Sabina, au pied d’une statue, et se prit à rêver.
– Eh bien ! s’écria lady G. au bout d’une demi-heure, en lui frappant légèrement sur l’épaule, vous n’êtes pas plus occupé de notre départ que cela ? vous me promettez des inventions merveilleuses, des surprises inouïes, et vous êtes là à méditer sur la statuaire comme un homme qui n’a encore rien trouvé ?
– Tout est prêt, dit Léonce en se levant et en passant le bras de Sabina sous le sien. Ma voiture vous attend et j’ai trouvé des choses admirables.
– Est-ce que nous nous en allons comme cela tête à tête ? observa lady G...
« Voilà un mouvement de coquetterie dont je ne la croyais pas capable, pensa Léonce. Eh bien ! je n’en profiterai pas. »
– Nous emmenons la négresse, répondit-il.
– Pourquoi la négresse ? dit Sabina.
– Parce qu’elle plaît à mon jockey. À son âge toutes les femmes sont blanches, et il ne faut pas que nos compagnons de voyage s’ennuient, autrement ils nous ennuieraient.
Peu d’instants après, le jockey avait reçu les instructions de son maître, sans que Sabina les entendît. La négresse, armée d’un large parasol blanc, souriait à ses côtés, assise sur le siège large et bas du char à bancs. Lady G... était nonchalamment étendue dans le fond, et Léonce, placé respectueusement en face d’elle, regardait le paysage en silence ; ses chevaux allaient comme le vent.
C’était la première fois que Sabina se hasardait avec Léonce dans un tête-à-tête qui pouvait être plus long et plus complet qu’elle ne s’en était embarrassée d’abord. Malgré le projet de simple promenade, et la présence de ces deux jeunes serviteurs qui leur tournaient le dos et causaient trop gaiement ensemble pour songer à écouter leur entretien, Sabina sentit qu’elle était trop jeune pour que cette situation ne ressemblât pas à une étourderie ; elle y songea lorsqu’elle eut franchi la dernière grille du parc.
Mais Léonce paraissait si peu disposé à prendre avantage de son rôle, il était si sérieux, et si absorbé par le lever du soleil, qui commençait à montrer ses splendeurs, qu’elle n’osa pas témoigner son embarras, et crut devoir, au contraire, le surmonter pour paraître aussi tranquille que lui.
Ils suivaient une route escarpée d’où l’on découvrait toute l’enceinte de la verdoyante vallée, le cours des torrents, les montagnes couronnées de neiges éternelles, que les premiers rayons du soleil teignaient de pourpre et d’or.
– C’est sublime ! dit enfin Sabina, répondant à une exclamation de Léonce ; mais savez-vous qu’à propos du soleil, je pense, malgré moi, à mon mari ?
– À propos, en effet, dit Léonce, où est-il ?
– Mais il est à la villa ; il dort.
– Et se réveille-t-il de bonne heure ?
– C’est selon. Lord G... est plus ou moins matinal, selon la quantité de vin qu’il a bue à son souper. Et comment puis-je le savoir, puisque je me suis soumise à cette règle anglaise, si bien inventée pour empêcher les femmes de modérer l’intempérance des hommes !
– Mais le terme moyen ?
– Midi. Nous serons rentrés à cette heure-là ?
– Je l’ignore, Madame ; cela ne dépend pas de votre volonté.
– Vrai ! J’aime à vous entendre plaisanter ainsi ; cela flatte mon désir de l’inconnu. Mais sérieusement, Léonce ?...
– Très sérieusement, Sabina, je ne sais pas à quelle heure vous rentrerez. J’ai été autorisé par vous à régler l’emploi de votre journée.
– Non pas ! de ma matinée seulement.
– Pardon ! Vous n’avez pas limité la durée de votre promenade, et, dans mes projets, je ne me suis pas désisté du droit d’inventer à mesure que l’inspiration viendrait me saisir. Si vous mettez un frein à mon génie, je ne réponds plus de rien.
– Qu’est-ce à dire ?
– Que je vous abandonnerai à votre ennemi mortel, à l’ennui.
– Quelle tyrannie ! Mais enfin, si, par un hasard étrange, lord G... a été sobre hier soir ?...
– Avec qui a-t-il soupé ?
– Avec lord H..., avec M. D..., avec sir J..., enfin, avec une demi-douzaine de ses chers compatriotes.
– En ce cas, soyez tranquille, il fera le tour du cadran.
– Mais si vous vous trompez ?
– Ah ! Madame, si vous doutez déjà de la Providence, c’est-à-dire de moi, qui veille aujourd’hui à la place de Dieu sur vos destinées, si la foi vous manque, si vous regardez en arrière et en avant, l’instant présent nous échappe et avec lui ma toute-puissance.
– Vous avez raison, Léonce ; je laisse éteindre mon imagination par ces souvenirs de la vie réelle. Allons ! que lord G... s’éveille à l’heure qu’il voudra ; qu’il demande où je suis ; qu’il sache que je cours les champs avec vous, qu’importe ?
– D’abord il n’est pas jaloux de moi.
– Il n’est jaloux de personne. Mais les convenances, mais la pruderie britannique !
– Que fera-t-il de pis ?
– Il maudira le jour où il s’est mis en tête d’épouser une Française, et, pendant trois heures au moins, il saisira toute occasion de préconiser les charmes des grandes poupées d’Albion. Il murmurera entre ses dents que l’Angleterre est la première nation de l’univers ; que la nôtre est un hôpital de fous ; que lord Wellington est supérieur à Napoléon, et que les docks de Londres sont mieux bâtis que les palais de Venise.
– Est-ce là tout ?
– N’est-ce pas assez ? Le moyen d’entendre dire de pareilles choses sans le railler et