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Amitié amoureuse
Amitié amoureuse
Amitié amoureuse
Livre électronique456 pages4 heures

Amitié amoureuse

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LangueFrançais
Date de sortie25 nov. 2013
Amitié amoureuse
Auteur

Stendhal

Henri Beyle, Stendhal (Grenoble, 1783 - París, 1842), fue uno de los escritores franceses más influyentes del siglo XIX. Abandonó su casa natal a los dieciséis años y poco después se alistó en el ejército de Napoleón, con el que recorrió Alemania, Austria y Rusia. Su actividad literaria más influyente comenzó tras la caída del imperio napoleónico: en 1830 publicó Rojo y negro, y en 1839 La Cartuja de Parma. Entre sus obras también destacan sus escritos autobiográficos, Vida de Henry Brulard y Recuerdos de egotismo. Tras ser cónsul en Trieste y Civitavecchia, en 1841 regresó a París, donde murió un año más tarde.

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    Aperçu du livre

    Amitié amoureuse - Stendhal

    http://gallica.bnf.fr)


    A M I T I É

    A M O U R E U S E

    (MME LECOMTE DU NOUY)

    DE

    S T E N D H A L

    «...L'amitié amoureuse, qui est plus que

    l'amour, car elle en a tout le charme, et elle

    n'en a point les malaises, les grossièretés ni

    les violences...»

    (Les Contemporains—Sully-Prudhomme)

    JULES LEMAITRE

    TRENTE-QUATRIÈME ÉDITION

    PARIS

    CALMANN LÉVY, ÉDITEUR

    3, RUE AUBER, 3

    CALMANN LÉVY, ÉDITEUR

    ———

    ———

    Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays, y compris la Suède, la Norvège et la Hollande.

    ÉMILE COLIN—IMPRIMERIE DE LAGNY

    A

    MADAME LAURE DE MAUPASSANT

    Je dédie ce Livre, en témoignage de ma profonde admiration

    et de mon tendre respect.

    H. L. N.

    Octobre 1896.

    PRÉFACE FRAGMENTÉE

    DE

    STENDHAL

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Quoiqu'il traite de l'amour, ce petit volume n'est point un roman, et surtout n'est pas amusant comme un roman. C'est tout uniment une description exacte et scientifique d'une sorte de folie très rare en France. L'empire des convenances, qui s'accroît tous les jours, plus encore par l'effet de la crainte du ridicule qu'à cause de la pureté de nos mœurs, a fait du mot qui sert de titre à cet ouvrage une parole qu'on évite de prononcer toute seule, et qui peut même sembler choquante.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Le livre qui suit explique simplement, raisonnablement, mathématiquement, pour ainsi dire, les divers sentiments qui se succèdent les uns aux autres, et dont l'ensemble s'appelle la passion de l'amour...

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Que pourrai-je dire aux gens qui nient les faits que je raconte? Les prier de ne pas m'écouter..................

    Malgré beaucoup de soins pour être clair et lucide, je ne puis faire des miracles; je ne puis pas donner des oreilles aux sourds ni des yeux aux aveugles. Ainsi les gens d'argent et à grosse joie, qui ont gagné cent mille francs dans l'année qui a précédé le moment où ils ouvrent ce livre, doivent bien vite le fermer...

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Je récuse ce jeune homme studieux qui, dans la même année où l'industriel gagnait cent mille francs, s'est donné la connaissance du grec moderne, ce dont il est si fier, que déjà il aspire à l'arabe. Je prie de ne pas ouvrir ce livre tout homme qui n'a pas été malheureux pour des causes imaginaires étrangères à la vanité, et qu'il aurait grande honte de voir divulguer dans les salons..........

    Qu'est-ce donc que connaître l'amour par les romans? Que serait-ce après l'avoir vu décrit dans des centaines de volumes à réputation, mais ne l'avoir jamais senti, que chercher dans celui-ci l'explication de cette folie? Je répondrai comme un écho: «C'est folie.»

    Pauvre jeune femme désabusée, voulez-vous jouir encore de ce qui vous occupa tant il y a quelques années, dont vous n'osâtes parler à personne, et qui faillit vous perdre d'honneur? C'est pour vous que j'ai refait ce livre et cherché à le rendre clair. Après l'avoir lu, n'en parlez jamais qu'avec une petite phrase de mépris, et jetez-le dans votre bibliothèque de citronnier, derrière les autres livres; j'y laisserais même quelques pages non coupées....

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Ce qu'on appelle un succès étant hors de la question, l'auteur s'amuse à publier ses pensées exactement telles qu'elles lui étaient venues. C'est ainsi qu'en agissaient jadis ces philosophes de la Grèce, dont la sagesse pratique le ravit en admiration...

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Toute cette préface n'est faite que pour crier que ce livre-ci a le malheur de ne pouvoir être compris que par des gens qui se sont trouvé le loisir de faire des folies. Beaucoup de personnes se tiendront pour offensées, et j'espère qu'elles n'iront pas plus loin.

    (Extrait de: De l'amour.)

    AMITIÉ AMOUREUSE

    LIVRE PREMIER

    Les femmes préfèrent les émotions à la raison... elles sont toujours et partout avides d'émotions...

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    La dissemblance entre la naissance de l'amour chez les deux sexes doit provenir de la nature de l'espérance, qui n'est pas la même. L'un attaque et l'autre défend...

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    L'amour tel qu'il est dans la haute société, c'est l'amour des combats, c'est l'amour du jeu.

    STENDHAL.

    I

    Philippe de Luzy à Denise Trémors.

    12 novembre 18...

    Madame,

    Voulez-vous me permettre de me présenter chez vous demain vers cinq heures, et de vous apporter moi-même le petit volume de vers que vous désirez? Le souvenir très agréable de la conversation que nous avons eue à cette soirée où je m'ennuyais—où nous nous ennuyions tant—me pousse à vous faire cette demande; j'ose espérer que vous ne la trouverez pas importune. J'obéis, en vous écrivant, à une impression d'affinité qui m'a donné, l'autre soir, tandis que je vous parlais, le sentiment que nous étions depuis longtemps amis. Je sais qu'il faut se défier des indications de l'instinct, qui sont en général obscures et incertaines; peut-être mon imagination fait-elle seule les frais de tout ceci et avez-vous complètement oublié et la soirée, et le livre, et son propriétaire. Dans ce cas, madame, soyez assez bonne pour ne pas me le faire trop vivement sentir, car j'en souffrirais déjà.

    Je vous prie d'agréer mes respectueux hommages.

    II

    Denise Trémors à Philippe de Luzy.

    12 novembre, cinq heures.

    Je serai heureuse, monsieur, de vous recevoir demain. J'ai encore trop vivace dans l'esprit le souvenir de cette soirée ennuyeuse où, grâce à vous, je me suis si peu ennuyée, pour chercher s'il y a correction ou incorrection à le faire.

    Et puis, c'est si charmant de se laisser de temps en temps gouverner par son bon plaisir... et j'en aurai un extrême à renouveler, au coin de mon feu, la causerie si attrayante de l'autre soir.

    III

    Philippe à Denise.

    14 novembre.

    Eh bien, madame, je ne m'étais pas trompé; la sympathie me guidait mystérieusement, mais sûrement, vers vous. J'étais hier, je vous l'avoue, un peu troublé en entrant dans votre salon. Je me demandais—ces sortes d'expériences sont si dangereuses—si je n'allais pas voir s'évanouir tout à coup le rêve gracieux qui m'y avait amené. Quelle peine pour moi si la petite fleur née dans mon imagination était morte, subitement transplantée dans la réalité. J'en aurais beaucoup souffert; mais j'ai été vite rassuré, et j'en suis si heureux que je ne puis résister au plaisir de vous le dire.

    Comme vous avez été bonne et jolie, et confiante et spirituelle; comme je vous sais gré de consentir à être très simplement une femme, au lieu de chercher à être, suivant la mode, un ennuyeux mannequin occupé à disserter psychologiquement sur l'amour. Je vous remercie d'être gaie, et je suis amoureux de l'air très grave que vous aviez en versant l'eau bouillante sur le thé.

    J'ai passé, grâce à vous, madame, deux heures exquises. Je vous en devais des remerciements, et si je vous les fais d'une manière un peu légère ce n'est pas, croyez-le bien, que je n'aie été touché des marques plus sérieuses d'estime et de confiance que vous m'avez données. Mais c'est là un terrain en quelque sorte sacré, où ma jeune amitié n'ose encore s'aventurer. Je m'arrête respectueusement et vous prie de me croire, madame, très à vous.

    PHILIPPE DE LUZY.

    P.-S.—Savez-vous que madame Ravelles est presque jolie, presque intelligente, et qu'au risque d'étonner tout le monde j'ai presque envie de l'embrasser? Elle vient de me dire qu'elle a l'intention, à partir de samedi prochain, de réunir ses amis toutes les semaines. En sorte que, vous voyant le mardi chez votre belle-sœur, madame d'Aulnet, et le samedi chez madame Ravelles, si vous me permettez de vous faire une petite visite dans l'intervalle, je me ferai une existence à peu près supportable. Puis, elle a ajouté en me regardant: «Surtout ne manquez pas samedi prochain; madame Trémors viendra et elle chantera.» Pourquoi a-t-elle insisté? Aurait-elle déjà deviné, avec ce curieux instinct des êtres primitifs, que je vous aime? Cependant je ne l'ai dit à personne, pas même à vous.

    IV

    Denise à Philippe.

    15 novembre.

    Monsieur, monsieur, j'ai grand'peur que vous ne vous égariez... et je me hâte de vous crier, en joueuse bien honnête: Casse-cou!

    Je suis très heureuse de l'amicale inclination que nous nous sommes mutuellement découverte; nos esprits se sont touchés et il y a entre eux adhérence. Mais peut-être vais-je vous paraître bien bourgeoise: trois mots m'effraient dans votre lettre; vous savez quels, n'est-ce pas?

    Il ne faut pas que certaines de mes franchises vous semblent liberté d'allure; l'amitié entre un homme et une femme me paraissant la chose la plus charmante à cultiver, peut-être, à mon insu, ai-je pris trop de soins de la fleur naissante. Laissons-la se mourir un peu, voulez-vous?

    Je n'irai pas samedi chez madame Ravelles; ce n'est pas la ruse coquette, si coutumière aux mondaines, qui me fait prendre cette résolution, car alors je me serais abstenue d'y ailler sans vous en prévenir. C'est—comment dire, pour ne dire ni trop, ni trop peu?—C'est par prudence, peut-être aussi par pudeur: vous m'avez effarouchée avec votre «curieux instinct des êtres primitifs».

    Je vous accepte volontiers comme le chiffonnier galant de mon esprit, puisque vous semblez prendre intérêt à ce que votre baguette ne revienne jamais à vide des lambeaux qu'il vous plaît de crocheter en mon cerveau de Parisienne; mais considérez que ceci est la seule joie qu'il me soit permis de vous donner.

    V

    Philippe à Denise.

    5 décembre.

    «Vous êtes si paresseux et si nonchalant!» M'avez-vous, sans reproche, madame, assez souvent répété cette phrase! Hier encore, un peu traîtreusement, au moment où je ne pouvais me défendre. J'ai cependant de quoi répondre et vous n'échapperez pas à mes raisons. Comment, vous, mon sage et cher philosophe, pouvez-vous attacher tant d'importance à ce que nous jetions constamment notre activité brouillonne et inquiète au travers des événements? N'avez-vous pas remarqué déjà comme les choses s'arrangeaient merveilleusement d'elles-mêmes, comme les plus embrouillées se dénouaient facilement, pourvu que personne n'y mît la main, et avec quelle fatalité tranquille arrivaient celles qui paraissaient les plus impossibles? Voyez-vous:

    ... les paresseux

    Ont été, de tout temps, des gens aimés des dieux.

    Ce sont des sages. Nous pouvons si peu que ce que nous avons de mieux à faire est de rester tranquilles. A quoi bon vouloir prendre toujours une attitude de marionnette en révolte! Vous représentez-vous, à Guignol, le gendarme ne voulant pas se laisser rosser par le compère, sous prétexte que le contraire serait plus conforme à la morale publique, aux lois, et aussi à la réalité? Ce serait insensé. Le tout est de ne pas avoir le rôle du gendarme.

    En vérité, j'ai toujours trouvé ridicule et maladroit de vouloir intervenir dans la curieuse pièce dont l'auteur est là-haut. J'en ai toujours honnêtement répété le texte sans chercher même, comme les acteurs de revue, à y introduire un calembour de ma façon, et je m'en suis bien trouvé. En voulez-vous un exemple? Vous rappelez-vous certaine lettre que vous m'avez écrite en réponse à la demande—combinaison de marionnette—que je vous avais faite de venir à une réception chez madame Ravelles? Qu'ai-je fait ce soir-là? Je me souviens: j'étais très déconfit; me suis-je révolté? ai-je imaginé des plans? Je suis sorti simplement et j'ai marché au hasard, enveloppé de mes sombres réflexions.

    Ces sombres réflexions, dont vous étiez la cause, m'ont amené jusque chez vous. J'ai sonné, on m'a ouvert, et quelques instants après je me suis trouvé dans votre salon, aussi surpris d'y être que vous surprise de m'y voir. Notre étonnement à tous deux était si comique et si complet que nous n'avons pu nous empêcher de rire. Vous m'avez pardonné et il en est résulté qu'au lieu de vous apercevoir dans une soirée ennuyeuse, comme j'en avais eu sottement le projet, je vous ai eue à moi tout seul dans un tête-à-tête délicieux; que nous avons tant et tant causé et si intimement que, bon gré mal gré, contre les convenances, contre vos scrupules, notre amitié a été définitivement fondée.

    Je pense que cet exemple vous donnera à réfléchir. Maintenant, madame mon amie, si vous en savez davantage, dites-le-moi. Je ne demande pas mieux, selon l'expression du favori de vos poètes, que de me laisser conduire «par un ange aux yeux bleus».

    En attendant, je baise respectueusement le bout de ses ailes.

    VI

    Denise à Philippe.

    6 décembre.

    Voyez-vous cela? monsieur mon ami qui se félicite bel et bien de la chose la plus incorrecte que nous ayons faite! Mais, cher Marionnet, si j'avais été la femme sage par excellence, j'aurais dû ne pas vous recevoir ce soir néfaste dont vous parlez. Seulement, voilà! Je m'attendais si peu à votre visite... Je n'avais rien prévu... Encore tout cela n'est-il pas bien raisonnable, et certaines finales de vos lettres et certains de vos regards m'inquiètent-ils toujours un peu.

    Par devoir, par sagesse, il m'eût fallu garer mon esprit de la séduction du vôtre. Que sert de multiplier ses affections, n'est-ce pas se préparer des deuils? Votre dernière lettre me rassure pourtant, cher ami paresseux. A voir l'homme que vous êtes, attendant si patiemment la conclusion des événements et croyant que les petites alouettes vont vous tomber toutes rôties dans le bec, je ne vous crains presque plus. Alouette je suis, mais pas encore rôtie à la belle flambée que votre nonchalance, en se secouant—par quel imprévu et merveilleux effort?—s'est crue forcée d'allumer en mon honneur.

    Ah! ah! monsieur, vous niez le pouvoir de la volonté? j'en suis fort aise. Que serais-je devenue devant l'effort continu d'une volonté?

    Pourtant à y bien réfléchir, l'âme blanche de monsieur mon ami est-elle aussi blanche qu'il veut bien le dire? J'ai vaguement peur de surprises surgissant d'une trop nouvelle amitié... et puis, avec tout cela et sans tout cela, j'ai une malheureuse nature très franche et très loyale qui ne sait pas s'accoutumer à souffrir d'être mal dans une âme. A force de tâcher d'y être bien, n'arriverai-je pas à y être trop?

    Voyez, je vous révèle le point faible, n'en abusez pas! Sérieusement, je vous ai trop vu tous ces temps-ci partout où j'allais et surtout chez moi. Vous avez des manières de vous taire qui me troublent. Cette amitié si vivace, si ardente m'effraie. Il faut l'assagir... je vous en prie, mon ami? Vous l'avez promis. Peut-être allez-vous conclure de cela que je n'ai pas l'âme enthousiaste; j'ai du moins l'âme prudente.

    Adieu.

    VII

    Philippe à Denise.

    18 décembre.

    L'amusante mine troublée—un peu—que vous aviez en me découvrant à cette fête d'enfants! Je vous ai obéi, madame, j'ai espacé mes visites; mais vous n'exigez pas que je renonce à vous voir dans le monde aussi souvent qu'il me sera possible?

    D'ailleurs, hier, je n'étais pas pour vous chez madame Dalvillers, mais pour votre délicieuse Hélène. Quand on a une fille de six ans aussi exquise, il faut s'attendre à la voir recherchée, admirée, fût-ce des grands garçons. Et puis j'étais là aussi pour votre nièce Suzanne d'Aulnet—ne l'ai-je pas bien prouvé en m'occupant presque exclusivement d'elle?—Elle est jolie, certes; elle a précisément tous les signes de beauté qu'Alexandre Dumas recommande à l'attention des hommes—afin qu'ils n'épousent pas.—Je lui ai fait une cour discrète, elle ne l'a point dédaignée et madame votre belle-sœur en a semblé elle-même touchée. Jusqu'à votre belle-mère qui me faisait les doux yeux... Vous voyez bien, madame, je ne suis pas à craindre. De quoi me punissez-vous? qu'ai-je fait? Soyez clémente, levez, d'un mot, l'interdit, ou je vais commencer à me croire dangereux. Épargnez-moi cette fatuité imbécile.

    VIII

    Denise à Philippe.

    19 décembre.

    Les hommes sont de grands enfants.... Venez donc, puisque aussi bien je ne puis faire un pas sans vous voir surgir sur ma route.

    J'ai, demain, une réception intime: Sully-Prudhomme, Massenet, Paul Hervieu, Marcel Prévost, Abel Hermant et vous. Le dîner est pour huit heures; mais vous avez le droit de venir un peu plus tôt et d'assister au repas de tite-Lène, que vous avez conquise.

    IX

    Denise à Philippe.

    21 décembre.

    Hier vous avez dit: «Je vous connais parfaitement, absolument.» C'est un peu présomptueux de votre part, cette affirmation. Eh bien, moi aussi je vous connais: vous êtes remarquablement intelligent, mais vous n'êtes pas simple. Vous vous analysez, vous vivez en contemplation devant les mouvements de votre esprit, de votre âme; vos plus menues sensations vous sont chères; elles se décuplent en vous, vous maintiennent dans une perpétuelle recherche de choses délectables, sur vous d'abord et sur quelques autres ensuite; c'est une ivresse d'une qualité très supérieure; vous l'ingurgitez fort goulûment. Elle vous donne une prédominance indéniable sur la foule des jeunes hommes de notre monde.

    Vous auriez fait—vous en conveniez vous-même hier—un littérateur d'une qualité rare, possédant les «certains dons d'enthousiasme et d'amertume» dont parle Maurice Barrès.

    Vous ressemblez à celui-là par tant de points!

    Vous les possédez ces dons, et savez en jouir avec une acuité merveilleuse. Je soupçonne fort que, comme l'homme libre, de prendre une résolution, vous fûtes «détourné de ce cher projet par la nécessité d'être extrêmement énergique pour l'exécuter».

    Vous comprends-je pas bien à demi-mot, dites? Pour votre malheur, vous vivez dans un milieu d'inutiles, de gens à l'existence vide, remueurs d'argent plus que d'idées. Ils vous plaisent pourtant; vous sentez tellement, en leur lourde compagnie, votre précieuse individualité! et puis le luxe de leur vie vous charme, étant donné votre nonchalance, peut-être même votre paresse. Il est plus difficile de produire quoi que ce soit que de se jeter dans une voiture de cercle en disant au cocher: Aux courses! Il est plus difficile de gagner l'argent que de le perdre, non pas même en s'amusant, mais en ayant l'air de s'amuser. Ce farniente élégant répond trop bien à certaines de vos aspirations pour que je le trouble autrement que par ma bonne grosse morale. Mais, mais, ne nous les jetez pas si souvent à la tête, ces vers:

    Tu n'as jamais été, dans tes jours les plus rares,

    Qu'un banal instrument sous mon archer vainqueur [1].

    Ne dites pas de nous: Elle n'est qu'un instinct dansant que je voulus adorer pour le plaisir d'humilier mes pensées.

    C'est un trop grand mépris, m'sieur Barrès, m'sieur Philippe... pouvez-vous savoir combien nos cœurs, notre sensibilité, nos tendresses pensées, sont loin de la banalité un peu lourde que nous offrent parfois les vôtres, mes beaux messieurs qui vous piquez d'intellectualité, d'art et d'idéalisme?

    J'en arrive à croire que l'homme qui a tout simplement bon cœur sublimise l'amour en notre honneur, tandis que l'artiste et le dilettante n'y cherchent qu'une satisfaction toute personnelle. Ah! vous étiez fameux tous, hier, fats et naïfs, mes chers, de croire que nous ne vous étudions pas aussi bien que vous nous étudiez.

    Si vous saviez quels dons de froide analyse se cachent souvent derrière nos pires enthousiasmes...

    Ce que nous cherchons, c'est un peu d'illusion et de rêve; nous arrivons parfois à les trouver, mais soyez bien sûrs que nous vous comptons pour ce que vous valez dans ces joies jolies que, ne pouvant avoir seules, nous sommes obligées de vous faire partager.

    Allez, allez, nous avons aussi un petit archet vainqueur, et il se peut bien faire que nous sachions tout comme vous, nos maîtres, tirer du banal instrument que vous êtes des sons merveilleux, parce qu'ils procèdent de nos rêves plus encore que de vous.

    Bonsoir et bonjour, monsieur, car une heure du matin sonne.

    X

    Philippe à Denise.

    23 décembre.

    Madame, je suis confus; je ne pensais pas vous blesser en croyant vous connaître et en vous l'avouant avec naïveté. J'ai un vrai chagrin de vous l'avoir dit, non comme vous le pensez, mais d'une manière mauvaise en somme, puisqu'elle vous a déplu.

    Si vous saviez le regret que j'en ai, vous me pardonneriez.

    Votre bonsoir et bonjour m'a ravi. Je pensais justement à vous vers cette heure-là, en rentrant de l'Opéra, et je regrettais de ne vous avoir pas eue près de moi pour goûter ensemble le charme de la musique de Reyer que je venais d'entendre.

    Je me réjouis de réveillonner demain chez madame de Nimerck. Votre mère m'a convié à cette fête par un mot charmant. Je me réjouis aussi de faire la connaissance de ce frère Gérald dont tite-Lène me rend jaloux dans l'enthousiasme enfantin qu'elle a de son oncle le marin.

    Je suis à vos pieds.

    Yours very sincerely.

    XI

    Denise à Philippe.

    28 décembre.

    Vous allez être encore grondé... Hélène a reçu une poupée grande comme elle et qui l'a fait bondir de joie. Elle l'aimait déjà avant d'avoir trouvé la carte du donateur; quand elle a su que c'était vous, sa joie est devenue du délire. Que n'étiez-vous là! c'est si bon à voir, le bonheur des enfants!

    Mais ce délire de ma fillette a un peu détruit les convictions que je vous ai exposées dans ma dernière lettre; il y aurait donc des êtres que plus particulièrement choisit l'archet vainqueur? Pourquoi la joie de tite-Lène s'est-elle augmentée à la pensée que la poupée venait de vous? Cette sélection m'apparaît comme une faiblesse. Il faudrait dresser son cœur à ne ressentir que des joies impersonnelles et c'est alors seulement que l'archet serait vraiment vainqueur.

    La poupée s'appellera Philippine; j'ai promis un splendide baptême, Suzanne a réclamé d'être la marraine. Les radieux vingt ans de ma nièce ne s'effraient pas de faire ainsi de temps en temps joujou. Je crois bien que l'idée du compère qu'on lui destine est pour quelque chose dans ce consentement. N'allez pas surtout refuser de faire dînette de dragées avec nous. Ce n'est pas charger votre avenir de responsabilités graves que de promettre de veiller sur l'âme en son d'une poupée.

    Mais pourquoi m'avoir donné un soufflet? Certes, si je m'attendais à recevoir un soufflet de quelqu'un ce n'était pas de vous. Voilà une liberté grande! le comble, c'est que ce soufflet me ravit; je le trouve charmant, exquis, le plus adorable, le plus séduisant des soufflets—«ce qui vous range, madame, au nombre des femmes qui aiment à être battues»,—dirait un non initié.

    —Parfaitement, monsieur, encore que je choisisse la main qui me frappe.

    Et voilà, mon ami, comme un scandale peut naître d'un quiproquo, car il y a soufflet et soufflet, pas vrai?

    Ce vase précieux, amusant dans sa forme, ce saxe aux fleurs peintes, aux tulipes harmonieuses et brillantes, débordant de fleurs vraies embaumées et flexibles, est tout à fait élégant et joli; je l'aime et vous remercie de me l'avoir donné.

    Quel dommage que votre carte m'ait appris en même temps que vous partez pour Luzy; vous ne verrez pas nos joies toutes chaudes; elles sont meilleures ainsi pourtant, à la façon des petits pâtés.

    XII

    Philippe à Denise.

    29 décembre.

    La nouvelle nouvelle, ma chère amie, est que je ne vais pas à la campagne. Je suis forcé de rester à Paris; j'ai eu avec mon frère une explication assez sèche; nous

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