Champavert- Contes immoraux
Par Petrus Borel
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À propos de ce livre électronique
Recueil de contes de Pétrus Borel, dit «le Lycanthrope», pseudonyme de Joseph Pierre Borel d'Hauterive. Ces sept contes constituent avec Madame Putiphar, l'un des meilleurs exemples de la littérature «cadavéreuse» et du genre frénétique, caractérisés par la recherche systématique du hideux, des péripéties sanglantes et des images atroces, parfois disposées sans souci de logique. Mais Pétrus Borel dépasse ces conventions pour conférer a son recueil la consistance d'une aventure littéraire : celle d'un écrivain narrant sa courte vie et sa mort. Dans une «Notice sur Champavert», Pétrus Borel, mystifiant le lecteur, annonce son suicide et affirme que Champavert et lui ne font qu'un, puis il en trace le portrait et donne quelques extraits des Rhapsodies. Les sept contes traitent un meme motif : l'amour trompé, avec pour objet une femme souvent contrainte ou violée. Chaque titre désigne un héros possible, défini par une qualité ou une fonction. L'immoralité (le titre général s'oppose aux Contes moraux de Marmontel) réside d'abord dans le fait que le mari ou l'amant trompés sont le plus souvent des victimes et que le coupable n'est que rarement puni.
Petrus Borel
Petrus Borel (26 June 1809 – 14 July 1859) was a French writer of the Romantic movement. Born Joseph-Pierre Borel d'Hauterive at Lyon, the 12 of 14 children of an ironmonger, he studied architecture in Paris but abandoned it for literature. Nicknamed le Lycanthrope (“wolfman”), and the center of the circle of Bohemians in Paris, he was noted for extravagant and eccentric writing, foreshadowing Surrealism. He was not commercially successful though, and eventually was found a minor civil service post by his friends, including Théophile Gautier. He died at Mostaganem in Algeria.
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Aperçu du livre
Champavert- Contes immoraux - Petrus Borel
978-963-525-920-5
NOTICE SUR CHAMPAVERT
C’est toujours un pénible emploi que celui de détrompeur,c’est toujours une pénible corvée que celle de venir enlever au public ses douces erreurs, ses mensonges auxquels il s’est fait, auxquels il a donné sa foi ; rien n’est plus dangereux que de faire un vide dans le cœur de l’homme. Jamais je ne me hasarderai à une aussi scabreuse mission. Croyez, croyez, abusez-vous, soyez abusés !… L’erreur est presque toujours aimable et consolatrice. Malgré tout cet éloignement, ma religieuse sincérité, aujourd’hui, me fait un devoir de démasquer une supercherie, heureusement sans importance, une pseudonymie. De grâce, veuillez bien ne point vous emporter, comme vous le faites de coutume, quand on vient vous dire que la Clotilde de Surville n’a pas été, que son livre est apocryphe ; que la correspondance de Ganganelli et Carlino est apocryphe ; que Joseph Delorme est un pseudographe et sa biographie un mythe. De grâce, de grâce ! je vous en supplie, ne vous emportez point !…
Pétrus Borel s’est tué ce printemps : prions Dieu pour lui, afin que son âme, à laquelle il ne croyait plus, trouve merci devant Dieu qu’il niait, afin que Dieu ne frappe pas l’erreur du même bras que le crime.
Pétrus Borel, le rhapsode, le lycanthrope, s’est tué, ou pour dire la vérité que nous avons promise, le pauvre jeune homme qui se recelait sous ce sobriquet, qu’il s’était donné à peine au sortir de l’enfance ; aussi, peu de ses camarades connurent-ils son véritable nom ; aucun ne sut jamais la cause de ce travestissement ; le fit-il par nécessité ou par bizarrerie ? c’est ce qu’on ignore entièrement. Autrefois ce même nom avait été illustré en littérature et en sciences, par Pétrus Borel de Castres, profond docteur, antiquaire, médecin de Louis XIV et fils du poète Jacques Borel. Descendait-il maternellement de cette famille, avait-il voulu reprendre le nom d’un de ses aïeux ? c’est ce qu’on ignore entièrement et que sans doute on ignorera toujours.
Ainsi que nous l’avons rétabli en titre de ce livre, son vrai nom était Champavert.
Il n’est pas de plus doux plaisir que celui de descendre dans l’intimité d’un être sensible, c’est-à-dire supérieur, qui s’est éteint ; c’est une indiscrétion bien louable que celle de vouloir s’initier au secret de la vie d’un grand artiste ou d’un malheureux. On aime bien l’écrivain qui se complaît à étaler comme des tapisseries l’existence, souvent très occulte, des hommes qui nous sont chers. Quoique celle du jeune et fatal poète qui nous occupe n’excite pas en vous un aussi haut intérêt, je pense cependant que vous ne les auriez pas mal accueillis si j’avais pu déterrer quelques détails et quelques circonstances de cette vie anormale ; mais regrettablement on en sait bien peu de chose. Champavert était peu parleur de lui-même ; il tombait généralement dans le monde comme une apparition, sans antécédents connus, sans avenir présumé.
On a quelques raisons de croire, qu’originaire des Hautes-Alpes, il était né dans l’antique Ségusie, souvent, lui ayant entendu maudire son père, descendu des Montagnes, et nommer avec fierté comme ses compatriotes, Philibert Delorme, Martel-Ange, Servandoni, Audran, Stella, Coisevox, Coustou, Ballanche !… Mais, jeune, il avait laissé sa patrie.
Il montrait au plus vingt à vingt-deux ans à ceux qui l’approchaient, mais ses traits graves, de prime abord, le vieillissaient beaucoup.
Il était assez grand et svelte, peut-être même frêle ; il avait le teint brun, le profil caractéristique, l’œil grand, blanc et noir, et quelque chose dans le regard qui fatiguait lorsqu’il était fixé, comme l’œil convoiteux du serpent qui attire une proie.
Contre l’usage de notre époque, de même que Léonardo da Vinci, contrairement à celui de la sienne, il portait la barbe longue depuis l’âge de dix-sept ans ; jamais les plus instantes prières ne purent le contraindre à l’abattre. En cette étrangeté, il devança de quatre ans les apôtres de Henri Saint-Simon. L’idée la plus juste qu’on puisse en donner, c’est de dire qu’il avait beaucoup de l’aspect de saint Bruno.
Sa voix et ses façons étaient douces, à la grande surprise de ceux qui le voyaient pour la première fois, et qui, par ses écrits, ses poésies, se l’étaient figuré un ogre effroyable. Il était bon, doux, affable, fier, opiniâtre, serviable, bienveillant, son cœur aimant, amoroso con los suyos, divine expression espagnole, n’avait point encore été gâté par l’égoïsme et l’or. Mais quand on le blessait à fond, sa haine devenait, comme son amour, implacable.
Lorsqu’on l’entraînait dans le monde, il y apportait un air de souffrante mélancolie, comme un cerf lancé hors de son hallier.
Quant à des particularités sur son enfance, on ne sait presque rien : on ne sait que ce que lui-même en a voulu dire à ses intimes. La volonté était développée chez lui au plus haut point, hardi, têtu, impérieux, le mépris des usages et coutumes était inné en lui, il ne s’y ploya jamais, même en son plus bas âge. Il avait en horreur les habits, et passa ses premières années entièrement nu ; ce n’est qu’assez tard qu’on parvint à lui faire endosser les vêtements les plus nécessaires.
On a encore quelques soupçons vagues que son instruction avait été confiée à des prêtres, son irréligion viendrait assez à l’appui de cette opinion. Il n’est pas de héros pour le valet de chambre, il n’est pas de Dieu pour qui habite le temple.
Il se plaisait souvent à conter avec une espèce de joie qu’il avait été toujours fatigant pour ses maîtres, toujours redouté par eux, sans trop savoir pourquoi : peut-être les mettait-il souvent à quia par ses questions à La Condamine, et flairant leur ignorance crasseuse, les traitait-il avec mépris et dégoût ! Il disait aussi avec orgueil qu’il avait été chassé de toute école.
Comme l’étude était sa seule passion et que la seule langue latine n’étanchait pas sa soif de savoir, il s’entourait toujours de cinq à six grammaires d’idiomes anciens et modernes, et d’ouvrages savants qu’il se procurait avec peine, et que ses maîtres honteux lui brûlaient à mesure.
Déjà, en ce temps, il portait en lui une tristesse, un chagrin indéfini, vague et profond, la mélancolie était déjà son idiosyncrisie[1]. De ses anciens condisciples se rappellent l’avoir vu passer très souvent des jours entiers à verser des larmes amèrement, sans causes connues ou apparentes, lui-même plus tard n’a jamais pu définir ces désolations. Assurément la vie en communauté forcée l’avait jeté dans cet état chronique de souffrance, et cette souffrance, cet ennui exaltaient ses organes sensitifs et aiguillonnaient sa chagrine irritabilité.
Le cours de sa brève carrière fut semblable au cours de ces torrents dont on ignore la source, qui tantôt inondent les vallées, et tantôt coulent souterrainement.
À partir de cette première époque de sa vie vient une série d’années sur lesquelles nous n’avons pu rencontrer le moindre renseignement ; seulement, nous avons retrouvé dans ses papiers deux petites notes, que voici ; elles font présumer que son père l’avait placé contre son gré chez un artiste ou un artisan.
Novembre 1823.
« Hier mon père m’a dit : Tu es grand maintenant, il faut dans ce monde une profession ; viens, je vais t’offrir à un maître qui te traitera bien, tu apprendras un métier qui doit te plaire, à toi qui charbonnes les murailles, qui fais si bien les peupliers, les hussards, les perroquets, tu apprendras un bon état. Je ne savais ce que tout cela voulait dire ; je suivis mon père, et il me vendit pour deux ans. »
Janvier 1824.
« Voilà donc ce que c’est qu’un état, un maître, un apprenti. Je ne sais si je comprends bien ; mais je suis triste et je pense à la vie ; elle me semble bien courte ! Sur cette terre de passage, alors pourquoi tant de soucis, tant de travaux pénibles, à quoi bon ?… Maintenant, je ris quand je vois un homme qui se case, se caser !… Que faut-il donc à l’homme pour faire sa vie ? une peau d’ours et quelques substances.
» Si j’ai rêvé une existence, ce n’est pas celle-là, ô mon père ! si j’ai rêvé une existence, c’est chamelier au désert, c’est muletier andalou, c’est Otahïtien ! »
Il est probable que cet homme chez lequel il faisait son apprentissage était architecte : car quelques années plus tard, on se rappelle l’avoir vu travailler dans l’atelier d’architecture d’Antoine Garnaud ; du reste, nous n’avons rien pu apprendre sur sa vie, à cette phase ; sans doute, il luttait corps à corps avec la misère, et, dans les intervalles que lui laissaient ses travaux stupides et la faim, il s’abandonnait à l’étude. On a trouvé dans ses paperasses des dessins d’architecture et des poésies portant mêmes dates. Son assiduité à l’atelier d’Antoine Garnaud devint plus réservée peu à peu, et il en disparut entièrement. Son aversion pour l’architecture antique qu’on y enseignait à l’exclusion fut cause à coup sûr de cet éloignement. Il rentra dans l’ombre pour se livrer à ses études d’affection ; on ne le vit plus reparaître que de loin en loin, dirigeant quelques constructions, ou dans l’atelier de quelque habile peintre dont il avait conquis l’amitié. C’est aussi vers ce temps, deux ans environ avant sa mort, vers la fin de 1829, qu’il se groupa à l’entour de lui quelques jeunes et timides artistes, afin d’être plus forts en faisceau, afin de n’être pas brisé et renversé à l’entrée dans le monde ; il fut même regardé par beaucoup comme le grand prêtre de cette camaraderie du bousingo, dont on fit grand scandale, et dont on a par méchanceté et par ignorance perverti les intentions et le titre. Mais n’anticipons pas, Champavert, dans un ouvrage collectif qui doit incessamment paraître, a rétabli la véracité des faits, et éclairé le public que les journaux ont abusé.
Ses derniers compagnons, dont les noms sont cités dans les Rhapsodies,qui l’ont connu dans la plus grande intimité, auraient pu donner sur lui des renseignements exacts et positifs ; mais, comme il n’approuva pas cette publication, ils nous ont fermé leurs portes.
Ce fut vers la fin de 1831 que parurent les essais poétiques de Champavert, sous le titre de Rhapsodies, par Pétrus Borel. Jamais petit livre n’avait fait plus grand scandale, du reste, scandale que fera toujours toute œuvre écrite avec l’âme et le cœur, sans politesse pour un temps où l’on fait de l’art et de la passion avec la tête et la main, et en se battant les flancs à tant la page. Pour juger ces poésies, nous sommes trop favorablement disposés, on ne nous croirait pas impartiaux ; or, nous dirons seulement qu’elles nous semblent abruptes, souffertes, senties, pleines de feu, et, qu’on nous passe l’expression, quelquefois fleurette, mais bien plus souvent barre de fer ; c’est un livret empreigné[2] de fiel et de douleur, c’est le prélude du drame qui le suivit, et que les plus simples avaient pressenti ; une œuvre comme celle-là n’a pas de second tome : son épilogue, c’est la mort.
Nous allons, pour nos lecteurs qui ne les connaîtraient point, en donner quelques extraits, à l’appui de ce que nous venons d’avancer.
Voici la pièce qui ouvre le recueil ; nous la citons préférablement parce qu’elle est pleine de douleur et d’une franchise rare, et qu’elle contient quelques circonstances de sa vie dont nous n’avons pu parler ; elle est adressée à un ami qui lui avait donné l’hospitalité, à ce qu’il paraîtrait, dans un temps où, comme Métastase, il n’avait pour abri que le ciel et le pavé.
Quand ton Pétrus ou ton Pierre
N’avait pas même une pierre
Pour se poser, l’œil tari ;
Un clou sur un mur avare
Pour suspendre sa guitare :
Tu me donnas un abri.
Tu me dis : – Viens, mon Rhapsode,
Viens chez moi finir ton ode ;
Car ton ciel n’est pas d’azur,
Ainsi que le ciel d’Homère
Ou du provençal trouvère ;
L’air est froid, le sol est dur.
Paris n’a point de bocage ;
Viens donc, je t’ouvre ma cage,
Où, pauvre, gaîment je vis ;
Viens, l’amitié nous rassemble,
Nous partagerons ensemble
Quelques grains de chènevis.
– Tout bas, mon âme honteuse
Bénissait ta voix flatteuse
Qui caressait son malheur ;
Car toi seul, au sort austère
Qui m’accablait solitaire,
Léon, tu donnas un pleur.
Quoi ! ma franchise te blesse ?
Voudrais-tu que, par faiblesse,
On voilât sa pauvreté ?
Non ! non ! nouveau Malfilâtre,
Je veux, au siècle parâtre,
Étaler ma nudité !
Je le veux, afin qu’on sache
Que je ne suis point un lâche,
Car j’eus deux parts de douleur
À ce banquet de la terre,
Car, bien jeune, la misère
N’a pu briser ma verdeur.
Je le veux, afin qu’on sache
Que je n’ai que ma moustache,
Ma guitare, et puis mon cœur
Qui se rit de la détresse ;
Et que mon âme maîtresse
Contre tout surgit vainqueur.
Je le veux, afin qu’on sache
Que, sans toge et sans rondache,
Ni chancelier, ni baron,
Je ne suis point gentilhomme,
Ni commis à maigre somme,
Parodiant lord Byron.
À la cour, dans ses orgies,
Je n’ai point fait d’élégies,
Point d’hymne à la déité ;
Sur le flanc d’une duchesse,
Barbotant dans la richesse
De lai sur ma pauvreté.
Voici encore quelques autres vers et quelques fragments pris pour ainsi dire au hasard, tous pleins pareillement de chagrin et de fiel, et de la pensée qui le minait sourdement et qui, peu de temps plus tard, devait le perdre.
DOLÉANCE
Son joyeux, importun, d’un clavecin sonore,
Parle, que me veux-tu ?
Viens-tu dans mon grenier pour insulter encore
À ce cœur abattu ?
Son joyeux, ne viens plus ; verse à d’autres l’ivresse ;
Leur vie est un festin
Que je n’ai point troublé ; tu troubles ma détresse,
Mon râle clandestin !
Indiscret, d’où viens-tu ? Sans doute une main blanche,
Un beau doigt prisonnier
Dans de riches joyaux, a frappé sur ton anche
D’ivoire et d’ébénier ;
Accompagnerais-tu d’une enfant angélique,
La timide leçon ?
Si le rythme est bien sombre et l’air mélancolique,
Trahis-moi sa chanson.
Non : j’entends les pas sourds d’une foule ameutée,
Dans un salon étroit ;
Elle vogue en tournant, par la walse[3] exaltée,
Ébranlant mur et toit.
Au dehors bruits confus, cris, chevaux qui hennissent,
Fleurs, esclaves, flambeaux ;
Le riche épand sa joie et les pauvres gémissent,
Honteux sous leurs lambeaux !
Autour de moi ce n’est que palais, joie immonde,
Biens, somptueuses nuits,
Avenir, gloire, honneurs : au milieu de ce monde,
Pauvre et souffrant je suis
Comme entouré des grands, du roi, du saint office,
Sur le quémadero,
Tous en pompe assemblés pour humer un supplice,
Un juif au brazero !
Car tout m’accable enfin : néant, misère, envie,
Vont morcelant mes jours !
Mes amours brochaient d’or le crêpe de ma vie,
Désormais plus d’amours.
Pauvre fille ! c’est moi qui t’avais entraînée
Au sentier de douleur ;
Mais, d’un poison plus fort, avant qu’il t’eût fanée,
Tu tuas le malheur !
Eh ! moi, plus qu’une enfant, capon, flasque, gavache,
De ce fer acéré
Je ne déchire pas avec ce bras trop lâche
Mon poitrail ulcéré !
Je rumine mes maux : son ombre est poursuivie
D’un regret coutumier.
Qui donc me rend si veule et m’enchaîne à la vie ?…
Pauvre Job au fumier.
HYMNE AU SOLEIL
Là, dans ce sentier creux, promenoir solitaire
De mon clandestin mal,
Je viens tout souffreteux, et je me couche à terre
Comme un brute animal.
Je viens couver ma faim, la tête sur la pierre
Appeler le sommeil,
Pour étancher un peu ma brûlante paupière ;
Je viens user mon écot de soleil !
Là-bas, dans la cité, l’avarice sordide
Du roi, sur tout Champart,
Au mouton-peuple, on vend le soleil et le vide ;
J’ai payé ; j’ai ma part !
Mais sur tous, tous égaux devant toi, soleil juste,
Tu verses tes rayons,
Qui ne sont pas plus doux au front d’un prince auguste,
Qu’au sale front d’une gueuse en haillons.
Fragment de la pièce intitulée HEUR ET MALHEUR
… … … … … … … … …
C’est un oiseau, le barde ! il doit rester sauvage ;
La nuit sous la ramure, il gazouille son chant ;
Le canard tout boueux se pavane au rivage,
Saluant tout soleil, ou levant ou couchant.
C’est un oiseau, le barde ! il doit vieillir austère,
Sobre, pauvre, ignoré, farouche, soucieux,
Ne chanter pour aucun, et n’avoir rien sur terre,
Qu’une cape trouée, un poignard et les cieux !
Mais le barde aujourd’hui, c’est une voix de femme,
Un habit bien collant, un minois relavé,
Un perroquet juché, chantonnant pour madame,
Dans une cage d’or, un canari privé ;
C’est un gras merveilleux, versant de chaudes larmes
Sur des maux obligés après un long repas,
Portant un parapluie, et jurant par ses armes,
Et, l’élixir en main, évoquant le trépas.
Joyaux, bal, fleur, cheval, château, fine maîtresse,
Sont les matériaux de ses poëmes lourds :
Rien pour la pauvreté, rien pour l’humble en détresse ;
Toujours les souffletant de ses vers de velours.
Par merci ! voilez-nous vos airs autocratiques ;
Heureux si vous cueillez les biens à pleins sillons !
Mais ne galonnez pas comme vos domestiques,
Vos vers qui font rougir nos fronts ceints de haillons.
Eh ! vous, de ces soleils, moutonnier parélie !
De cacher vos lambeaux ne prenez tant de soin,
Ce n’est qu’à leur abri que l’esprit se délie ;
Le barde ne grandit qu’enivré de besoin !
J’ai caressé la mort, riant au suicide,
Souvent et volontiers, quand j’étais plus heureux ;
Maintenant je la hais, et d’elle suis peureux,
Misérable et miné par la faim homicide.
MISÈRE
À mon air enjoué, mon rire sur la lèvre,
Vous me croyez heureux, doux, azyme et sans fièvre,
Vivant, au jour le jour, sans nulle ambition,
Ignorant le remords, vierge d’affliction ;
À travers les parois d’une haute poitrine,
Voit-on le cœur qui sèche et le feu qui le mine ?
Dans une lampe sourde on ne saurait puiser,
Il faut, comme le cœur, l’ouvrir ou la briser.
Aux bourreaux, pauvre André ! quand tu portais ta tête,
De rage tu frappais ton front sur la charrette,
N’ayant pas assez fait pour l’immortalité,
Pour ton pays, sa gloire et pour sa liberté.
Que de fois, sur le roc qui borde cette vie,
Ai-je frappé du pied, heurté du front d’envie,
Criant contre le ciel mes longs tourments soufferts
Je sentais ma puissance, et je sentais des fers !
Puissance,… fers,… quoi donc ? – Rien ! encore un poète
Qui ferait du divin, mais sa muse est muette,
Sa puissance est aux fers : – Allons ! on ne croit plus
En ce siècle voyant qu’aux talents révolus ;
Travaille, on