Le sable avait envahi une grande partie de la promenade. Les vagues étaient de couleur vert olive, et il y avait entre la mer et le ciel un promontoire de nuages crénelés. Les pas d’Arnold le ramenaient à l’endroit exact où il avait croisé une jeune femme superbe, installée sur un de ces bancs postés face à l’horizon sur un mode très proustien (il ne manquait que l’ombrelle), son beau visage caché sous une paire de lunettes de soleil. Il y avait en elle une finesse japonisante, une élégance et une gamme de gestes choisis qu’Arnold avait décelés du premier coup d’œil. Il avait égrené l’après-midi puis la soirée en spéculations : qui était-elle ? Que faisait-elle, seule ? Pas d’enfants ni de mari dans les parages. Elle ne veillait pas la serviette de bain ou les effets personnels d’un conjoint qui serait aller piquer une tête à la surface d’une eau pailletée par le soleil.
Arnold s’était fait la promesse de revenir le jour suivant. On ne sait jamais quand il faut revenir dans ces cas-là : le jour suivant à la même heure ou la semaine suivante à la même heure ? Le surlendemain peut être aussi envisagé. Il y a trop de raisonnements possibles, il faudrait pouvoir camper dans l’espoir de quelqu’un. Personne n’a jamais eu l’idée d’ouvrir un camping dans l’espoir de quelqu’un ?
Sans avoir des goûts de luxe, Arnold ne boudait pas un certain confort. Il était descendu à l’hôtel sous son nom de plume, celui avec lequel il avait signé son premier roman et qui était un dérivé du nom que portait sa grand-mère maternelle : Piraprez. Elle était liégeoise, d’origine espagnole, s’appelait Maria Piraprez, et avait, au fil des ans, transformé ce Maria en Marie. Arnold avait lui-même apporté une petite modification personnelle à ce nom de Piraprez, le francisant un peu, pour Pirapré. Un nom qui fleurait bon le terroir, les prés, et au départ il n’avait même pas fait attention au cinglant jeu de mots qui pouvait en découler à simple lecture ou prononciation. Un journaliste littéraire avait fait résonner le message subliminal à la parution de son deuxième roman : « Pirapré ? Effectivement, on s’attendait à mieux. »
Il s’était offert deux petites semaines sur la côte pour prendre des forces avant la sortie de son troisième livre, prévue pour la rentrée littéraire. La parution et le folklore qui, au loin, tel un graal inaccessible. Vu les ventes dérisoires de son deuxième opus, il savait pertinemment que la suite de ses aventures littéraires dépendrait de l’impact du prochain. Quand le chiffre ne suivait pas, on ne parlait plus en termes de livres, mais de chances. C’est lui qui avait travaillé, sué sang et eau, page après page, et pourtant la société lui faisait bien comprendre que c’est elle qui lui offrait une troisième chance.