L’oncle Henri avait une réputation de farceur, mais c’était le seul membre de la famille qui avait réussi dans la vie. Aussi Philippe songea-t-il à lui pour sauver sa librairie…
Lorsque Philippe eut refait pour la troisième fois les comptes de sa librairie, il fut bien obligé de se rendre à l’évidence. Ce mois-ci, il ne pourrait encore pas régler toutes les factures de son commerce. Pourtant, sa boutique était ouverte onze heures par jour, pour que ses clients puissent y venir quels que soient leurs horaires. Et il organisait chaque mois une séance de dédicaces autour d’un romancier célèbre. Il investissait toute son énergie dedans mais, malgré tous ses efforts, les clients se faisaient de plus en plus rares. Et ils achetaient moins de livres, même à l’approche des fêtes de Noël, parce que désormais ils préféraient offrir à leurs proches des cadeaux plus modernes. “Un jour ou l’autre, je devrai fermer”, se répétait-il, sans pour autant s’y résigner. Il avait acheté la librairie sept ans plus tôt, avec beaucoup d’enthousiasme. Lui qui avait toujours adoré la littérature s’était senti prêt à faire partager sa passion à tous les gens de Saint-Sauveur, et il pensait qu’elle accueillerait régulièrement de nouveaux clients, attirés par le bouche-à-oreille. Or, il recevait toujours les mêmes habitués, qui venaient bavarder avec lui mais repartaient souvent sans avoir rien acheté.
Comme toujours lorsqu’il faisait ses comptes, il compara douloureusement sa situation à celle de son oncle Henri, le seul homme de la famille à avoir fait fortune sans le moindre effort. Henri était le plus jeune frère de son père. Enfant déjà, il avait causé le désespoir de ses parents en négligeant ses études et en ne pensant qu’à chahuter. À 7 ans, il tirait toutes les sonnettes sur le chemin de l’école pour déranger les voisins. À 10 ans, il avait crevé un œil à un autre écolier au cours d’une bagarre. Et, à 18 ans,