Représenter les "expériences du choc" de la migration, colloque international pluridisciplinaire, MSH Poitiers, 7-9 novembre 2018, 2018
Réflexions sur la construction du programme de films "Exil(s) : devenir étranger" et " Des fronti... more Réflexions sur la construction du programme de films "Exil(s) : devenir étranger" et " Des frontières et des hommes", Festival des 3 Continents, Nantes, 2017 et 2018.
"Je mettrais mon intervention sous le signe de quelques lignes issues de Lettre d’un condamné à mort de Victor Hugo : je cite : « Peut-être cette lecture leur rendra-t-elle la main moins légère, quand il s'agira quelque autre fois de jeter une tête qui pense, une tête d'homme, dans ce qu'ils appellent la balance de la justice ? (…) Se sont-ils jamais seulement arrêtés à cette idée poignante que dans l'homme qu'ils retranchent il y a une intelligence ; une intelligence qui avait compté sur la vie, une âme qui ne s'est point disposée pour la mort ? Non. »
Pourquoi cette citation ? Si l’on conçoit la dite « crise des réfugiés » ou « des migrants » également comme une crise des images, dès lors qu’elles ont envahi et surdéterminé la représentation et l’intelligence des gens comme des situations, alors les films de notre corpus rompent avec ce régime puisque tous organisent leur narration à partir des gens, de personnages, considérés comme des « têtes qui pensent », des « intelligences comptant sur leur vie ».
À une saturation des représentations dont les gens sont absents, réduits à des images sans récit et documentant le seul malheur de « purs vivants », pour citer Frédéric Gros, les cinéastes de notre programmation opposent en proposant des films, des récits, à hauteur d’homme, à l’instar du premier plan Des spectres hantent l’Europe, où la cinéaste semble mettre en œuvre la formule de Jacques Rivette à propos d’Howard Hawks : un cinéaste de l’évidence filmant à hauteur d’hommes. Cela n’a évidemment aucune évidence mais cela change tout, à hauteur d’homme signifiant ici à hauteur de nous, de vous et moi, de tout spectateur puisque d’homme il n’en existe qu’une seule sorte. Il n’y a plus dès lors ni séparation, ni altérité, ni victimisation, ni héroïsation, ni ré-humanisation, mais l’infini diversité de gens comme tout le monde, tels qu’ils sont, de leur pas-à-pas traversant le cadre en même temps que la frontière. Par ce plan, la cinéaste quitte la représentation et ses dispositifs discursifs ressassés pour la seule présentation. Ce passage à pour effet d’émanciper le regard du spectateur qui, libéré, peut aller fureter dans tous les recoins et détails vivants du plan afin de se documenter lui-même et, ainsi, commencer à penser.
Trouver le bon endroit pour prendre du réel ce qu’il nous donne et le donner à voir, est ici, comme, par exemple, dans Ta’ang de Wang Bing, l’un des principes de la mise en scène documentaire."
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Drafts by Catherine Hass
Catherine Hass : La déclaration de Macron m’a choquée, stupéfaite : je l’ai trouvée à la fois irresponsable et dangereuse. Stupéfaite parce que précisément nous sommes en paix, un point qu’il faut affirmer avec force puisque c’est parce que nous sommes en paix qu’il est possible de limiter une hécatombe pandémique en confinant strictement et durablement la majeure partie de la population et ce, non pas tant pour sauver sa propre peau mais, très largement, celle des plus vulnérables en essayant de ne pas faire exploser en vol les services hospitaliers d’urgence. Irresponsable car elle vise à faire paniquer les gens et à les mettre au garde à vous là où le contraire aurait dû s’imposer. Dangereuse enfin pour la vitesse avec laquelle le lexique de la politique intérieure s’est martialisé : les "alliés de guerre" de Castaner, les "défaitistes" de Pénicaud, "l’armée de l’ombre" du ministre de l’Agriculture, "le pont aérien" de Philippe pour parler d’avions devant rapporter des masques de Chine comme s’il s’agissait de pièces d’artilleries, etc. Si Macron ne l’avait dit qu’une seule fois, nous serions restés dans le domaine de la métaphore, d’une dramaturgie de la crise. Mais dès lors qu’il martèle, avec une aisance impérieuse, six fois "Nous sommes en guerre", il s’agit d’autre chose : il dit une intention politique qui, si elle est n’a pas encore livré toutes ses conséquences, a déjà des effets – l’invraisemblable "état d’urgence sanitaire". Ses effets nous éloignent donc la seule rhétorique martiale et perdureront sans doute après la période du confinement puisque sa fin ne marquera sans doute pas la fin de "la guerre". Rappelons que l’état d’urgence décrété après le 13 novembre dura deux ans et que certaines de ses dispositions furent pérennisés dans la loi Collomb sur la sécurité intérieure d’octobre 2017. [...]
Cette période est proche dans le temps mais, subjectivement, elle est à l’infini."
Papers by Catherine Hass
À cette attention portée aux modalités insurrectionnelles du Printemps arabe répondit un certain désinvestissement de la question de l’État, comme si le rejet des formes instituées de la représentation entraînait le rejet de ce dernier. Les analyses n’accordèrent que rarement un statut problématique à l’État dans la séquence, excepté dans le cadre de l’étude de ses recompositions postrévolutionnaires en Tunisie et en Égypte (Catusse 2012 ; Beaumont, Guignard 2016 ; Geisser, Perez 2016 ; Schäfer 2017). Or, si les soulèvements rejetèrent les modalités d’inclusion du peuple dans l’État (partis, délégation, représentation, porte-parole), ils ne rejetèrent pas la question de l’État : les mots d’ordre et slogans se concentrèrent en sa direction, appelant à des réformes économiques et politiques, se prononçant sur les formes possibles de l’État à venir, prescrivant le faire gouvernemental[3]. Ni anarchistes – « À bas l’État » – ni révolutionnaires – « Prenons l’État » –, ces mobilisations se constituèrent face à l’État selon des configurations politiques inédites en ce que aucun des modes d’action en usage – insurrectionnel, oppositionnel, réformiste ou partidaire – ne furent mobilisés.
Cet article entend aborder ces configurations en posant au centre de l’analyse la question de l’État : centrale pour les uns, latéralisée ou absente pour les autres, la question de l’État fut à bien des égards constituante de la dynamique politique de la guerre. Il entend l’examiner en se concentrant sur l’analyse des agencements politiques et guerriers de quelques entités présentes dans le pays entre les premiers soulèvements (2011) et la proclamation de Daech (2014)[4]. En effet, si les débuts de cette séquence partagent bien des aspects avec les soulèvements en Tunisie et en Égypte (Rey, Ruiz de Elvira 2020 : 15), elle s’en singularise : par sa durée, par l’ampleur prise par la guerre, par les réponses politiques, militaires et organisationnelles apportées par les contestataires.
L’article se concentrera sur ces réponses en cherchant à identifier le rapport que ces entités politiques et/ou militaires entretinrent à la question de l’État. L’importance de ces réponses tient aux questions à nos yeux fondamentales qu’elles soulèvent à l’heure d’une crise généralisée de l’État représentatif. Par exemple, lorsque l’État s’éclipse, quelles institutions possibles lui substitue-t-on ? Quelles sont les principes à partir desquelles les gens décident de s’organiser et, ici, de se battre ? Quelles instances et modes de gouvernement pour se gouverner et gouverner les autres ? Quels rapports les différents acteurs politiques entretiennent-ils à la question de l’État à l’heure de sa déshérence ? La configuration syrienne n’a pas valeur d’exemple mais d’enquête : elle n’est pas considérée comme le creuset à partir duquel il serait possible de dégager par extrapolation les termes d’un quelconque à-venir politique ou encore des typologies – à cause notamment de la précarité des entités considérées. Nonobstant, elle peut être appréhendée comme un terrain privilégié de l’enquête dès lors qu’elle fut le lieu de déplacements, de reformulations, de novations, qu’il s’agisse du rapport à l’État, aux partis, au pouvoir, à la guerre, à la révolution. Constituer la question de l’État en principe d’intelligibilité possible de la séquence perpétue le refus de « l’exceptionnalisme » politique et du grand partage.
inédit de La mort dans l’espace public.
Spectre d’une mort de masse comme un anachronisme
tant l’on croyait les facteurs d’une mortalité familière
dévolus au passé (guerre, mortalité infantile) ; une
mort à rebours de ses représentations contemporaines
dès lors que, suivant ici Norbert Elias, elle n’est plus
appréhendée aujourd’hui qu’en termes d’étape nale
d’un processus naturel. Face à ce surgissement, l’État
t le choix inouï de la guerre qui, loin d’être anecdotique,
conditionna la représentation qu’il donna de
l’épidémie et entraîna son traitement sécuritaire. Les
effets de ce choix, à la fois réels et symboliques, affectèrent
peut-être le plus violemment les personnes
âgées vivant en Établissement d’hébergement pour
personnes âgées dépendantes (Ehpad).
La vie devait faire plier la mort et l’affichage, par l’État, de son mépris soudain pour la croissance économique et ses points de PIB perdus, attestait de sa volonté comme de sa bonne foi. C’est ainsi que la fable de la mise entre parenthèses de l’économie prit corps puisqu’elle passait plus ou moins sous silence ceux qui pourtant travaillaient encore plus dur – chez eux, chez leur patron–, ceux qui, sans salaire ni réserve d’argent, avaient faim – familles populaires, ouvriers sans papiers, étudiants pauvres–, ceux qui rejoindraient Pôle Emploi, ou encore ceux qui mendieraient dans les rues. Mais qu’importe puisque dans le mot survie il y a celui de vie. Ainsi, la vie en tant que « souverain bien[1] » a été l’un des aspects de la séquence le plus commenté. Les analyses comme les critiques se concentraient sur le nouveau statut accordé au vivant, sur l’« étatisation du biologique », « la vie nue » ou encore, la mise en œuvre de la « république des médecins[2] ». La quintessence ou l’exactitude « biopolitique » et foucaldienne de ce moment étatique particulier fut alors, à raison, abondamment soulignée.
La vie mobilisa penseurs et intellectuels mais qu’en a-t-il été de la mort ? Devenait-elle, elle aussi, politique ? La mort n’était-elle que le simple pendant nécessaire et regretté de la vie ou bien a-t-elle été l’objet d’une réflexion particulière ?
La thèse de ce que j’appelle la doxa globaliste était la suivante : les États, destitués par l’économie ou les nouveaux acteurs sociaux, ne seraient plus référents pour penser le contemporain ; la mondialisation aurait sonné le glas des grandes théories et objets du XXe siècle, disqualifiant puis dissolvant les formes étatiques antérieures ; fossoyeuse de l’ancien monde, elle plaçait ce dernier sous une ratio économiste qui, au terme d’un laisser-faire libéral porté à son apogée, aurait fini par annihiler toute capacité des États à la politique et à la décision pour s’y substituer.
guerre s’est généralisé pour devenir un paradigme de la politique
intérieure. Or dire la guerre quand il n’y a pas guerre c’est, pour un
État, toujours dire son intention de la faire. L’aisance avec laquelle le
vocable s’est installé depuis le début du mouvement des « gilets
jaunes » interroge et inquiète. Faisons l’hypothèse que cela indique
la fin d’un certain lexique de la politique, sa pauvreté actuelle
attestant d’abord des clôtures de l’État.
Film d’Aki Kaurismaki, Fiction, France/Finlande/Allemagne, 2011, 1h33
Synopsis
Marcel Marx, cireur de chaussures – « le métier le plus proche du peuple avec celui de berger » selon lui –, croise le chemin d’Idrissa, un jeune adolescent venu de Libreville (Gabon) traqué par la police depuis son débarquement impromptu d’un container dans le port du Havre. En fuite et livré à lui-même, Idrissa trouvera en Marcel, ainsi que dans toute la petite communauté qui l’entoure, un havre véritable et une fraternité infaillible résolue à tout mettre en œuvre pour l’aider à rejoindre sa mère en Angleterre. Le Havre fait le choix du conte et d’un parti pris formel où la stylisation ne transige jamais avec le réalisme. Ces deux partis pris se révèlent être la voie la plus sûre pour toucher au réel, qu’il s’agisse de rendre compte de la violence avec laquelle la police et l’État traitent les réfugiés, mais aussi de ce que les gens peuvent faire pour essayer de les y soustraire.
Synopsis
Mamadou, Mahamadou et Fodé ont quitté leurs pays et tenté l’aventure pour venir vivre et travailler en France. Film-enquête, L’aventure est un secret interroge chacun de ses trois personnages sur les raisons qui les ont amenés à partir, sur leur vie et leur travail ici, sur la lutte qu’ils ont mené pour leur régularisation. En les suivant en tous lieux, le réalisateur documente leur quotidien et questionne, en creux, ce qui relève des circonstances et de la contrainte, ce qui relève du choix et de déterminations propres. Film construit à partir de la parole des gens, les vies de ces trois aventuriers modernes apparaissent, malgré leur dureté, comme autant de trajectoires d’émancipation où la volonté le dispute au courage. Cette mise en scène de la parole pose, au cœur du film, la question même de la représentation en court-circuitant celles, usuelles, sur l’immigration.
À la fin de Les mots et des choses , Michel Foucault entreprend la configuration de l’épistémè moderne qu’il caractérise par l’invention de l’homme comme nouvelle figure du savoir . Le mode d’être de l’homme va devenir, au XIXe, le fondement de toutes les positivités (sociologie, psychologie, histoire), ce par quoi toute connaissance peut être constituée. Foucault exclut cependant des sciences-humaines deux « contre-sciences », la psychanalyse et l’ethnologie, puisqu’elles ne visent pas tant, selon lui, l’édification de l’homme dans sa positivité mais, au contraire, sa dissolution . Ce qui, dans le dessein foucaldien, les unit dans leur exception, c’est qu’elles sont des sciences de l’inconscient et constituent, à ce titre, le socle épistémologique de toute connaissance sur l’homme, tout en leur interdisant de « se déployer comme une pure connaissance spéculative ou théorie générale de l’homme . » Foucault soutient qu’il y « science humaine » : « non pas partout où il est question de l’homme, mais partout où on analyse, dans la dimension propre de l’inconscient, des normes, des règles, des ensembles signifiants qui dévoilent à la conscience les conditions de ses formes et de ses contenus . » Ce statut particulier amène Foucault à faire de la psychanalyse et de l’ethnologie un « perpétuel principe d’inquiétude » pour les autres sciences, « de mise en question, de critique et de contestation de ce qui a pu sembler, par ailleurs acquis . » Il ordonne également le croisement de ces deux « contre-sciences » en une intersection, une « sorte de point de capiton qui ancre l’expérience individuelle, unique par définition, dans une trame de signification qui, pour être collective, évolue pour son propre compte . » Le nouage entre ethnologie et psychanalyse s’effectue donc de l’intérieur du structuralisme puisqu’il doit permettre à l’ethnologie, soutenue par les outils de la psychanalyse, de révéler le fonctionnement des inconscients, de rendre signifiant leur structure formelle pour des cultures données. (...)
Catherine Hass : La déclaration de Macron m’a choquée, stupéfaite : je l’ai trouvée à la fois irresponsable et dangereuse. Stupéfaite parce que précisément nous sommes en paix, un point qu’il faut affirmer avec force puisque c’est parce que nous sommes en paix qu’il est possible de limiter une hécatombe pandémique en confinant strictement et durablement la majeure partie de la population et ce, non pas tant pour sauver sa propre peau mais, très largement, celle des plus vulnérables en essayant de ne pas faire exploser en vol les services hospitaliers d’urgence. Irresponsable car elle vise à faire paniquer les gens et à les mettre au garde à vous là où le contraire aurait dû s’imposer. Dangereuse enfin pour la vitesse avec laquelle le lexique de la politique intérieure s’est martialisé : les "alliés de guerre" de Castaner, les "défaitistes" de Pénicaud, "l’armée de l’ombre" du ministre de l’Agriculture, "le pont aérien" de Philippe pour parler d’avions devant rapporter des masques de Chine comme s’il s’agissait de pièces d’artilleries, etc. Si Macron ne l’avait dit qu’une seule fois, nous serions restés dans le domaine de la métaphore, d’une dramaturgie de la crise. Mais dès lors qu’il martèle, avec une aisance impérieuse, six fois "Nous sommes en guerre", il s’agit d’autre chose : il dit une intention politique qui, si elle est n’a pas encore livré toutes ses conséquences, a déjà des effets – l’invraisemblable "état d’urgence sanitaire". Ses effets nous éloignent donc la seule rhétorique martiale et perdureront sans doute après la période du confinement puisque sa fin ne marquera sans doute pas la fin de "la guerre". Rappelons que l’état d’urgence décrété après le 13 novembre dura deux ans et que certaines de ses dispositions furent pérennisés dans la loi Collomb sur la sécurité intérieure d’octobre 2017. [...]
Cette période est proche dans le temps mais, subjectivement, elle est à l’infini."
À cette attention portée aux modalités insurrectionnelles du Printemps arabe répondit un certain désinvestissement de la question de l’État, comme si le rejet des formes instituées de la représentation entraînait le rejet de ce dernier. Les analyses n’accordèrent que rarement un statut problématique à l’État dans la séquence, excepté dans le cadre de l’étude de ses recompositions postrévolutionnaires en Tunisie et en Égypte (Catusse 2012 ; Beaumont, Guignard 2016 ; Geisser, Perez 2016 ; Schäfer 2017). Or, si les soulèvements rejetèrent les modalités d’inclusion du peuple dans l’État (partis, délégation, représentation, porte-parole), ils ne rejetèrent pas la question de l’État : les mots d’ordre et slogans se concentrèrent en sa direction, appelant à des réformes économiques et politiques, se prononçant sur les formes possibles de l’État à venir, prescrivant le faire gouvernemental[3]. Ni anarchistes – « À bas l’État » – ni révolutionnaires – « Prenons l’État » –, ces mobilisations se constituèrent face à l’État selon des configurations politiques inédites en ce que aucun des modes d’action en usage – insurrectionnel, oppositionnel, réformiste ou partidaire – ne furent mobilisés.
Cet article entend aborder ces configurations en posant au centre de l’analyse la question de l’État : centrale pour les uns, latéralisée ou absente pour les autres, la question de l’État fut à bien des égards constituante de la dynamique politique de la guerre. Il entend l’examiner en se concentrant sur l’analyse des agencements politiques et guerriers de quelques entités présentes dans le pays entre les premiers soulèvements (2011) et la proclamation de Daech (2014)[4]. En effet, si les débuts de cette séquence partagent bien des aspects avec les soulèvements en Tunisie et en Égypte (Rey, Ruiz de Elvira 2020 : 15), elle s’en singularise : par sa durée, par l’ampleur prise par la guerre, par les réponses politiques, militaires et organisationnelles apportées par les contestataires.
L’article se concentrera sur ces réponses en cherchant à identifier le rapport que ces entités politiques et/ou militaires entretinrent à la question de l’État. L’importance de ces réponses tient aux questions à nos yeux fondamentales qu’elles soulèvent à l’heure d’une crise généralisée de l’État représentatif. Par exemple, lorsque l’État s’éclipse, quelles institutions possibles lui substitue-t-on ? Quelles sont les principes à partir desquelles les gens décident de s’organiser et, ici, de se battre ? Quelles instances et modes de gouvernement pour se gouverner et gouverner les autres ? Quels rapports les différents acteurs politiques entretiennent-ils à la question de l’État à l’heure de sa déshérence ? La configuration syrienne n’a pas valeur d’exemple mais d’enquête : elle n’est pas considérée comme le creuset à partir duquel il serait possible de dégager par extrapolation les termes d’un quelconque à-venir politique ou encore des typologies – à cause notamment de la précarité des entités considérées. Nonobstant, elle peut être appréhendée comme un terrain privilégié de l’enquête dès lors qu’elle fut le lieu de déplacements, de reformulations, de novations, qu’il s’agisse du rapport à l’État, aux partis, au pouvoir, à la guerre, à la révolution. Constituer la question de l’État en principe d’intelligibilité possible de la séquence perpétue le refus de « l’exceptionnalisme » politique et du grand partage.
inédit de La mort dans l’espace public.
Spectre d’une mort de masse comme un anachronisme
tant l’on croyait les facteurs d’une mortalité familière
dévolus au passé (guerre, mortalité infantile) ; une
mort à rebours de ses représentations contemporaines
dès lors que, suivant ici Norbert Elias, elle n’est plus
appréhendée aujourd’hui qu’en termes d’étape nale
d’un processus naturel. Face à ce surgissement, l’État
t le choix inouï de la guerre qui, loin d’être anecdotique,
conditionna la représentation qu’il donna de
l’épidémie et entraîna son traitement sécuritaire. Les
effets de ce choix, à la fois réels et symboliques, affectèrent
peut-être le plus violemment les personnes
âgées vivant en Établissement d’hébergement pour
personnes âgées dépendantes (Ehpad).
La vie devait faire plier la mort et l’affichage, par l’État, de son mépris soudain pour la croissance économique et ses points de PIB perdus, attestait de sa volonté comme de sa bonne foi. C’est ainsi que la fable de la mise entre parenthèses de l’économie prit corps puisqu’elle passait plus ou moins sous silence ceux qui pourtant travaillaient encore plus dur – chez eux, chez leur patron–, ceux qui, sans salaire ni réserve d’argent, avaient faim – familles populaires, ouvriers sans papiers, étudiants pauvres–, ceux qui rejoindraient Pôle Emploi, ou encore ceux qui mendieraient dans les rues. Mais qu’importe puisque dans le mot survie il y a celui de vie. Ainsi, la vie en tant que « souverain bien[1] » a été l’un des aspects de la séquence le plus commenté. Les analyses comme les critiques se concentraient sur le nouveau statut accordé au vivant, sur l’« étatisation du biologique », « la vie nue » ou encore, la mise en œuvre de la « république des médecins[2] ». La quintessence ou l’exactitude « biopolitique » et foucaldienne de ce moment étatique particulier fut alors, à raison, abondamment soulignée.
La vie mobilisa penseurs et intellectuels mais qu’en a-t-il été de la mort ? Devenait-elle, elle aussi, politique ? La mort n’était-elle que le simple pendant nécessaire et regretté de la vie ou bien a-t-elle été l’objet d’une réflexion particulière ?
La thèse de ce que j’appelle la doxa globaliste était la suivante : les États, destitués par l’économie ou les nouveaux acteurs sociaux, ne seraient plus référents pour penser le contemporain ; la mondialisation aurait sonné le glas des grandes théories et objets du XXe siècle, disqualifiant puis dissolvant les formes étatiques antérieures ; fossoyeuse de l’ancien monde, elle plaçait ce dernier sous une ratio économiste qui, au terme d’un laisser-faire libéral porté à son apogée, aurait fini par annihiler toute capacité des États à la politique et à la décision pour s’y substituer.
guerre s’est généralisé pour devenir un paradigme de la politique
intérieure. Or dire la guerre quand il n’y a pas guerre c’est, pour un
État, toujours dire son intention de la faire. L’aisance avec laquelle le
vocable s’est installé depuis le début du mouvement des « gilets
jaunes » interroge et inquiète. Faisons l’hypothèse que cela indique
la fin d’un certain lexique de la politique, sa pauvreté actuelle
attestant d’abord des clôtures de l’État.
Film d’Aki Kaurismaki, Fiction, France/Finlande/Allemagne, 2011, 1h33
Synopsis
Marcel Marx, cireur de chaussures – « le métier le plus proche du peuple avec celui de berger » selon lui –, croise le chemin d’Idrissa, un jeune adolescent venu de Libreville (Gabon) traqué par la police depuis son débarquement impromptu d’un container dans le port du Havre. En fuite et livré à lui-même, Idrissa trouvera en Marcel, ainsi que dans toute la petite communauté qui l’entoure, un havre véritable et une fraternité infaillible résolue à tout mettre en œuvre pour l’aider à rejoindre sa mère en Angleterre. Le Havre fait le choix du conte et d’un parti pris formel où la stylisation ne transige jamais avec le réalisme. Ces deux partis pris se révèlent être la voie la plus sûre pour toucher au réel, qu’il s’agisse de rendre compte de la violence avec laquelle la police et l’État traitent les réfugiés, mais aussi de ce que les gens peuvent faire pour essayer de les y soustraire.
Synopsis
Mamadou, Mahamadou et Fodé ont quitté leurs pays et tenté l’aventure pour venir vivre et travailler en France. Film-enquête, L’aventure est un secret interroge chacun de ses trois personnages sur les raisons qui les ont amenés à partir, sur leur vie et leur travail ici, sur la lutte qu’ils ont mené pour leur régularisation. En les suivant en tous lieux, le réalisateur documente leur quotidien et questionne, en creux, ce qui relève des circonstances et de la contrainte, ce qui relève du choix et de déterminations propres. Film construit à partir de la parole des gens, les vies de ces trois aventuriers modernes apparaissent, malgré leur dureté, comme autant de trajectoires d’émancipation où la volonté le dispute au courage. Cette mise en scène de la parole pose, au cœur du film, la question même de la représentation en court-circuitant celles, usuelles, sur l’immigration.
À la fin de Les mots et des choses , Michel Foucault entreprend la configuration de l’épistémè moderne qu’il caractérise par l’invention de l’homme comme nouvelle figure du savoir . Le mode d’être de l’homme va devenir, au XIXe, le fondement de toutes les positivités (sociologie, psychologie, histoire), ce par quoi toute connaissance peut être constituée. Foucault exclut cependant des sciences-humaines deux « contre-sciences », la psychanalyse et l’ethnologie, puisqu’elles ne visent pas tant, selon lui, l’édification de l’homme dans sa positivité mais, au contraire, sa dissolution . Ce qui, dans le dessein foucaldien, les unit dans leur exception, c’est qu’elles sont des sciences de l’inconscient et constituent, à ce titre, le socle épistémologique de toute connaissance sur l’homme, tout en leur interdisant de « se déployer comme une pure connaissance spéculative ou théorie générale de l’homme . » Foucault soutient qu’il y « science humaine » : « non pas partout où il est question de l’homme, mais partout où on analyse, dans la dimension propre de l’inconscient, des normes, des règles, des ensembles signifiants qui dévoilent à la conscience les conditions de ses formes et de ses contenus . » Ce statut particulier amène Foucault à faire de la psychanalyse et de l’ethnologie un « perpétuel principe d’inquiétude » pour les autres sciences, « de mise en question, de critique et de contestation de ce qui a pu sembler, par ailleurs acquis . » Il ordonne également le croisement de ces deux « contre-sciences » en une intersection, une « sorte de point de capiton qui ancre l’expérience individuelle, unique par définition, dans une trame de signification qui, pour être collective, évolue pour son propre compte . » Le nouage entre ethnologie et psychanalyse s’effectue donc de l’intérieur du structuralisme puisqu’il doit permettre à l’ethnologie, soutenue par les outils de la psychanalyse, de révéler le fonctionnement des inconscients, de rendre signifiant leur structure formelle pour des cultures données. (...)
Après Charlie et l’Hyper Cacher, après les attentats de Paris et de Bruxelles, Hollande et Valls ont déclaré que nous étions en guerre, que c’était la guerre. Affirmation d’une martialité sans ombrage, la déclaration « nous sommes en guerre » ne permet pourtant pas de savoir ce qui est entendu, ici, par guerre ou encore qui désigne ce nous (La France ? Les Européens ? Les démocraties libérales ? Une communauté de valeurs ?). Que le schéma antagonique nous soit connu (guerre contre le djihadisme, la barbarie) ne nous éclaire pas davantage. Tout ce que nous savons, c’est que, parce qu’en guerre, « nous devons prendre des mesures exceptionnelles, nous agirons, nous frapperons cet ennemi pour le détruire en France, en Europe, en Syrie, en Irak. » Il y aura donc opérations militaires à l’extérieur et politique de police à l’intérieur sans pour autant que nous sachions ce qui ici fait guerre : Est-ce la guerre parce que nous la déclarons ou bien, au contraire, parce qu’on nous l’a déclarée ? S’il y a guerre, quel est son but ? Les attentats se confondent-ils ici avec la guerre ?
Il y a guerre et cependant, il est impossible de savoir quand cette dernière a commencé. À l’intérieur, les dispositifs législatifs et policiers antiterroristes précèdent largement janvier 2015. À l’extérieur, la France a rejoint la coalition internationale contre l’État islamique dès septembre 2014. Ce qui permet à Valls de dire qu’il y a guerre après le 13 novembre, au-delà des « mesures exceptionnelles » déjà à l’œuvre, ce sera donc : l’État d’urgence, feu la réforme de la constitution avec la déchéance de nationalité et la constitutionnalisation de l’État d’urgence, la réforme pénale, les frappes de la France sur la Syrie.
"Je mettrais mon intervention sous le signe de quelques lignes issues de Lettre d’un condamné à mort de Victor Hugo : je cite : « Peut-être cette lecture leur rendra-t-elle la main moins légère, quand il s'agira quelque autre fois de jeter une tête qui pense, une tête d'homme, dans ce qu'ils appellent la balance de la justice ? (…) Se sont-ils jamais seulement arrêtés à cette idée poignante que dans l'homme qu'ils retranchent il y a une intelligence ; une intelligence qui avait compté sur la vie, une âme qui ne s'est point disposée pour la mort ? Non. »
Pourquoi cette citation ? Si l’on conçoit la dite « crise des réfugiés » ou « des migrants » également comme une crise des images, dès lors qu’elles ont envahi et surdéterminé la représentation et l’intelligence des gens comme des situations, alors les films de notre corpus rompent avec ce régime puisque tous organisent leur narration à partir des gens, de personnages, considérés comme des « têtes qui pensent », des « intelligences comptant sur leur vie ».
À une saturation des représentations dont les gens sont absents, réduits à des images sans récit et documentant le seul malheur de « purs vivants », pour citer Frédéric Gros, les cinéastes de notre programmation opposent en proposant des films, des récits, à hauteur d’homme, à l’instar du premier plan Des spectres hantent l’Europe, où la cinéaste semble mettre en œuvre la formule de Jacques Rivette à propos d’Howard Hawks : un cinéaste de l’évidence filmant à hauteur d’hommes. Cela n’a évidemment aucune évidence mais cela change tout, à hauteur d’homme signifiant ici à hauteur de nous, de vous et moi, de tout spectateur puisque d’homme il n’en existe qu’une seule sorte. Il n’y a plus dès lors ni séparation, ni altérité, ni victimisation, ni héroïsation, ni ré-humanisation, mais l’infini diversité de gens comme tout le monde, tels qu’ils sont, de leur pas-à-pas traversant le cadre en même temps que la frontière. Par ce plan, la cinéaste quitte la représentation et ses dispositifs discursifs ressassés pour la seule présentation. Ce passage à pour effet d’émanciper le regard du spectateur qui, libéré, peut aller fureter dans tous les recoins et détails vivants du plan afin de se documenter lui-même et, ainsi, commencer à penser.
Trouver le bon endroit pour prendre du réel ce qu’il nous donne et le donner à voir, est ici, comme, par exemple, dans Ta’ang de Wang Bing, l’un des principes de la mise en scène documentaire."
L’actualité du nom de guerre est une situation nouvelle si l’on considère qu’il y a encore quelques années, les premières années 2000, ce que j’appelle la doxa globaliste affirmait son caractère obsolète : Vieux mot du vieux monde, la thèse était alors que la guerre était une épistémè révolue, actant de la fin des grands historicismes du XXe siècle dont la Chute du mur et la mondialisation avaient sonné le glas. Aux origines de cette thèse, celle de la destitution des États comme capacité à la décision et à la politique que ce soit par l’économie ou les nouveaux acteurs sociaux. État et politique n’étaient plus ici référents pour penser le contemporain et, par conséquent, la guerre. La fin du caractère opératoire du nom se confondait alors avec celle d’un certain récit de la guerre : son grand récit, étatique, politique et juridique antérieur. La thèse était que nous avions, avec la fin de la bipolarité, changé de paradigme, passant d’un monde étatique sous le signe du multiple, de l’altérité, des frontières, des guerres et des paix, à un monde mondial, inséparé et continu où les dynamiques et processus –financiers, technologiques, migratoire ou de violence- ne connaissaient plus désormais qu’une rationalité globale s’inscrivant dans une totalité monde caractérisée en termes de post-souverain, post-étatique ou encore pré-étatique. « Le monde » était ici l’unique échelle de rationalité pertinente pour appréhender le contemporain. Et dans ce « monde », la guerre n’avait plus de statut: occurrence structurelle de la mondialisation, elle était devenue violence parmi d’autres : « Toutes les formes de violence se fondent dans le gris » écrit Négri dans Multitude à propos du génocide des Tutsis par les Hutus. Le mot est absenté, soit que la guerre n’existe plus (F. Gros), soit qu’elle identifie la politique-même (T. Négri), soit qu’elle se démultiplie en violences sociales mondiales. La fin de la catégorie de guerre entraîne avec elle, logiquement, celle de paix, les nouvelles rationalisations du monde proposées, parce que structurelles, étant des dispositifs sans possible, sans politique.
Pourquoi la séquence 1927-1949 ? Suivant ici Mao, et non le cours de l’histoire du PCC, 1927 correspond à la fondation, par Mao, de la 1ère division de l’Armée des ouvriers et des paysans, soit le premier corps militaire communiste, l’embryon de la future Armée rouge. 1927 est également l’année où Mao écrit Pourquoi le pouvoir rouge peut-il exister en Chine ? texte où il développe, pour la première fois, la thèse de la révolution par la guerre puisqu’il y soutient que la révolution doit disposer d’une direction militaire assurée par le Parti avec pour base les campagnes. Il y affirme que la guerre doit être révolutionnaire, de longue durée, adossée à des bases communistes rurales afin d’encercler les villes. Il y formule également les bases de sa dialectique entre le Parti et l’armée dans l’espace de la guerre, tout en donnant au Parti le rôle premier puisque l’ensemble des tâches lui revient, qu’il s’agisse de créer des organes de pouvoir, d’organiser les paysans ou encore, d’étendre la révolution agraire.
La destinée de Luck, qui officie comme fille de joie dans la Thaniya Street, cœur nippon du Bangkok nocturne clandestin, croise à nouveau celle d’Ozawa, ex-amant japonais, trop fauché pour incarner le rôle d’un futur client. Quand ce dernier est envoyé à Vientiane pour une obscure mission monnayée, elle lui propose de séjourner un temps à Nong-Khai, sa ville natale, située au Nord de la région d’Isan, frontalière avec le Laos. L’illusion de retrouver un paradis perdu se retrouve bientôt relayée par la conscience que les plaies de la colonisation sont encore béantes. L’empreinte autobiographique du film - Subenja Pungkorn (Luck) joue un rôle proche du sien et Katsuya Tomita, qui a vécu en Thaïlande, interprète Ozawa - est prise dans les plis d’un certain vertige historique, oscillant entre la courte échelle temporelle, le sentiment d’une contemporanéité déchue, d’un flux urbain comme inlassable et insaisissable surimpression de lueurs instantanées, et d’un temps plus long, où la découverte des impacts de bombes américaines sur le territoire laotien, paysage partiellement défiguré, succède à des rituels bouddhistes dans la campagne thaïe, horizon de communion avec les éléments naturels.
Dans l’entretien qu’il accordait à la revue Répliques, Katsuya Tomita reconnaissait qu’il y a « deux mouvements dans Bangkok nites : celui de la recherche d’un lieu pour vivre ou s’échapper, qui est tourné vers l’avenir, et sa nécessaire confrontation à l’exploration d’un passé et d’une histoire douloureuse. » [2] Ces deux aspects transparaissent également dans le film sous la forme d’une parole qui se mue en musique au sein de la même séquence : le chant d’amour pour le pays natal est célébré par la voix de la star thaïlandaise Angkanang Kunchai et la conscience tiers-mondiste se fait l’occasion d’un morceau a cappella improvisé par les hip-hoppeurs philippins de Tondo Tribe. La bande sonore participe ainsi de cet élan panasiatique vivace où les éclats de récits intimes rencontrent les mythes partagés.
A l’occasion du 40ème anniversaire du Festival des 3 Continents qui se tient à Nantes du 20 au 27 novembre 2018, nous souhaitions revenir sur les mots que nous avions échangés avec le cinéaste en 2016 pour au moins trois raisons. Les derniers jours d’une ville fait partie des 40 films qui esquissent un état des lieux du cinéma contemporain en Afrique, Amérique latine et Asie cette année. Tamer El Said a également contribué à l’ouvrage D’autres continents, mouvances du cinéma présent, dirigé par Jérôme Baron et édité chez WARM, avec le texte « Lettres à mon prochain film », journal extime qui commence avec les images de l’invasion de l’Irak en 2003 et se conclut à Berlin, en 2018, où le cinéaste vit désormais dans une forme d’exil. « L’occupation ne consiste pas seulement à occuper le pays, mais aussi à occuper le récit. » écrivait-il en ces débuts ; les derniers mots qui l’accompagnaient induisaient quant à eux une douloureuse mouvance : « Le voyage vers un film ne sera jamais aussi douloureux qu’un voyage sans but. »