Molecular Cell Biology Lodish 7th Edition Solutions Manual
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Cell and Molecular Biology Concepts and Experiments,
7th Edition Test Bank – Gerald Karp
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3. At pH = 7.0, the net charge is –1 because of the negative charge on the carboxyl resi-
due of glutamate (E). After phosphorylation by a tyrosine kinase, two additional nega-
tive charges (because of attachment of phosphate residues to tyrosines (Y)) would be
added. Thus, the net charge would be –3. The most likely source of phosphate is ATP
since the attachment of inorganic phosphate (Pi) to tyrosine is energetically highly
unfavorable, but when coupled to the hydrolysis of the high-energy phosphoan-
hydride bond of ATP, the overall reaction is energetically favorable.
1
2 CHAPTER 2: Chemical Foundations CHAPTER 2: Chemical Foundations 2
4. Disulfide bonds are formed between two cysteine residue side chains. The forma-
tion of disulfide bonds increases the order and therefore decreases the entropy
(S becomes more negative).
5. Stereoisomers are compounds that have the same molecular formula but are
mirror images of each other. Many organic molecules can exist as stereoisomers
because of two different possible orientations around an asymmetric carbon
atom (e.g., amino acids). Because stereoisomers differ in their three-dimensional
orientation and because biological molecules interact with one another based on
precise molecular complementarity, stereoisomers often react with different
molecules, or react differently with the same molecules. Therefore, they may
have very distinct physiological effects in the cell.
one H+ ion will always be accompanied by the production of one OH– ion. In
other words, [H+] = [OH–].
Kw = [H+ ][OH–] = [H+ ]2 = 1 × 10–14 M2
[H+] = 1 × 10–7 M
pH = –log10[H+] = –log10(1 × 10–7) = 7
What is the pH after 0.008 moles NaOH are added? NaOH (sodium hydroxide)
is a strong base. This means all the added NaOH ionizes to increase the [OH–]
concentration to 0.008 M.
[H+] = Kw/[OH–] = (1 × 10–14 M2)/(0.008 M) = 1.25 × 10–12 M
The extent to which this reaction goes forward determines the relative strength
of the MOPS weak acid and is given by its acid dissociation equilibrium
constant:
If the relative concentrations are known for the weak acid and conjugate base
forms of a dissolved weak acid at equilibrium in water, then the solution pH can
be determined according to the equation:
Therefore,
What is the pH after 0.008 moles NaOH are added to the MOPS buffer solution?
Rather than simply increase the total [OH–] by 0.008 moles, addition of the strong
base shifts the equilibrium of the dissolved MOPS such that [MOPS(weak acid)]
decreases by 0.008 M and [MOPS(conjugate base)] increases by 0.008 M.
The final pH after addition of 0.008 moles NaOH to 50 mM MOPS at pH 7.01 is,
therefore:
Kd = 1/Keq = 5. 4 × 10−3 M.
To make this reaction energetically favorable, one could increase the concen-
tration of reactants relative to products such that the term RTln [products]/
[reactants] becomes smaller than 1000 cal/mol. One might also couple this
reaction to an energetically favorable reaction.
13. Glutamate is the amino acid that undergoes γ-carboxylation, resulting in the
formation of a host of blood clotting factors. Warfarin inhibits γ-carboxylation of
glutamate. Thus, blood clotting is severely compromised. Patients prone to
forming clots (thrombi) in blood vessels might be prescribed warfarin in order
to prevent an embolism, which would result if the clot dislodged and blocked
another vessel elsewhere in the body. Patients at risk for heart disease due to
blockages in the coronary arteries are also often prescribed this drug.
2. When a weak acid is in aqueous solution of pH at or near its value of pKa, the
weak acid will quickly establish an equilibrium with its conjugate base form and
together the two will act to resist additional changes to the solution pH. Solutions
in which weak acid/conjugate base pairs function to inhibit pH changes are
called “buffers.” Buffers are at their most efficient when the concentrations of the
weak acid and conjugate base forms are equal, as would be the case when pre-
cisely one half the amino acid concentration of sodium hydroxide has been
added (0.05 M OH–), and at this point the solution pH should equal the pKa of
that weak acid group. At a low pH like 1.8, the buffering species on the amino
acid must be a relatively strong type of weak acid like a carboxylic acid. Addi-
tional buffer points at pH 6 and 9.3 indicate that there are two additional chemi-
cal groups on the dissolved amino acid that can behave as buffers at the appro-
priate OH– concentrations. The pKa of 9.3 likely corresponds to the amino group
present on every amino acid. The ability of this amino acid to behave like a buffer
at three different values of solution pH indicates that the amino acid side chain
also has weak acid properties. Its apparent pKa value of 6.0 identifies this amino
acid as histidine due to the fact that its imidazole side chain functions as a buffer
at this pH.
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la vérité par d’autres moyens encore. Tu changeras de vêtements, tu
déguiseras ta voix et tu te présenteras à ta femme sous un visage
d’emprunt. — »
« Seigneur, il y a près d’ici une cité que le Pô entoure et défend,
et qui étend sa juridiction jusqu’aux rivages battus par le flux et le
reflux de la mer. Si elle le cède en antiquité à ses voisines, elle lutte
avantageusement avec elles en richesses et en beautés. Elle fut
fondée par les descendants des Troyens échappés à Attila, ce fléau
de Dieu.
« Cette ville est soumise à un jeune chevalier riche et beau. Un
jour, entraîné à la chasse à la suite de son faucon, il entra dans ma
demeure. Il vit ma femme, et dès la première entrevue elle lui plut
tellement, qu’il emporta son image gravée au cœur. Depuis, il ne
négligea aucun moyen pour l’amener à satisfaire ses désirs.
« Elle le repoussa si obstinément, qu’à la fin il se lassa de tenter
de la séduire. Mais la beauté qu’Amour lui avait gravée au cœur ne
sortit pas de sa mémoire. Mélisse me pressa tellement, qu’elle me fit
consentir à prendre la figure de ce jeune chevalier. Aussitôt, et sans
que je sache te dire comment, elle changea complètement mon
visage, ma voix et mes cheveux.
« J’avais auparavant fait semblant, devant ma femme, de partir
pour le Levant. Ayant ainsi pris la démarche, la voix, les vêtements
et la physionomie du jeune amoureux, je m’en revins chez moi,
accompagné de Mélisse, qui s’était elle-même transformée en jeune
domestique. Elle avait porté avec elle les plus riches pierreries
qu’eussent jamais envoyées en Europe les Indiens ou les Érytriens.
« Moi qui connaissais les êtres de mon palais, j’entrai sans
obstacle, suivi de Mélisse, et je pénétrai d’autant plus facilement
près de ma femme, qu’elle n’avait autour d’elle ni écuyer ni dame de
compagnie. Je lui expose mes désirs, et je m’efforce de la pousser à
mal faire, en lui mettant sous les yeux les rubis, les diamants et les
émeraudes qui auraient ébranlé les cœurs les plus fermes.
« Et je lui dis que tous ces présents étaient peu de chose
comparés à ceux qu’elle devait attendre de moi. Puis je lui parle de
la facilité qu’elle a, grâce à l’absence de son mari. Je lui rappelle que
depuis longtemps je l’aime, et qu’elle le savait bien. J’ajoute qu’un
amour si fidèle est digne de recevoir enfin quelque récompense.
« Ma femme montra tout d’abord un grand courroux ; elle rougit
et ne voulut pas en écouter davantage. Mais, à l’aspect des belles
pierreries qui lançaient des étincelles comme si c’eût été du feu, son
cœur s’amollit peu à peu. D’un ton bref et saccadé, que je ne puis
me rappeler sans sentir la vie m’abandonner, elle me dit qu’elle
satisferait à mes désirs, si elle croyait que personne ne le saurait
jamais.
« Cette réponse fut comme un trait empoisonné dont je me sentis
l’âme transpercée ; je sentis un froid glacial se répandre dans mes
veines, et pénétrer jusqu’au fond de mes os. Ma voix hésita dans ma
gorge. Levant alors le voile de l’enchantement, Mélisse me rendit ma
forme première. Pense de quelle couleur dut devenir ma femme, en
se trouvant surprise par moi en une faute si grande !
« Nous devînmes tous deux couleur de la mort ; tous deux nous
restions les yeux baissés. Ma langue était tellement paralysée, que
c’est à peine si je pus crier : « — Femme, tu me trahirais donc, si tu
trouvais quelqu’un pour acheter mon honneur ? — » Elle ne put me
faire d’autre réponse que d’inonder ses joues de larmes.
« Elle avait beaucoup de honte, mais encore plus de dépit de voir
que je lui avais fait un tel affront. Le dépit, montant bientôt jusqu’à
la rage, ne tarda pas à se changer en haine profonde. Aussitôt elle
prend la résolution de fuir loin de moi, et, à l’heure où le soleil
descend de son char, elle court au fleuve et, se jetant dans une
barque, elle en descend le cours pendant toute la nuit.
« Le matin, elle se présente devant le chevalier qui l’avait
autrefois aimée, et dont j’avais emprunté le visage et la
ressemblance pour la tenter. Le chevalier l’aimait toujours, et tu
peux croire si son arrivée lui fut agréable. De là, elle me fit dire que
je ne devais plus espérer qu’elle m’appartînt, ni qu’elle m’aimât
jamais plus.
« Hélas ! depuis ce jour elle demeure avec lui, vivant dans les
plaisirs, et se raillant de moi ; et moi je languis encore du mal que je
me suis fait à moi-même, et je ne puis rester en place. Mon mal croît
sans cesse, et il est juste que j’en meure. Il y a, du reste, peu à faire
pour cela. Je crois bien que je serais mort avant la fin de la première
année, si une chose ne m’apportait quelque consolation.
« Cette consolation, la voici : parmi tous ceux qui se sont assis
sous mon toit depuis dix ans — et je leur ai présenté la coupe à tous
— il n’en est pas un dont la poitrine n’ait été inondée. C’est pour moi
une sorte de soulagement que d’avoir tant de compagnons dans
mon infortune. Toi seul, parmi tant d’autres, tu t’es montré sage, en
refusant de faire la périlleuse expérience.
« Quant à moi, pour avoir voulu en savoir plus qu’on n’en doit
chercher à savoir au sujet de sa femme, j’ai perdu le repos pour
toute ma vie, longue ou courte. Tout d’abord Mélisse se réjouit de
l’aventure, mais sa joie fut de peu de durée. Comme elle était la
cause de mon malheur, je la pris en une telle haine, que je ne
pouvais plus la voir.
« Elle avait cru prendre auprès de moi la place de ma femme,
une fois que celle-ci serait partie, mais elle finit par s’impatienter
d’être haïe de moi, qu’elle disait aimer plus que sa vie, et, pour fuir
un tourment inutile, elle ne tarda pas à quitter ces lieux et à
abandonner le pays. Depuis, on n’en a plus entendu parler. — »
Ainsi narrait le triste chevalier. Quand il eut fini son histoire,
Renaud resta quelque temps pensif, vaincu de pitié, puis il lui fit
cette réponse : « — En vérité, Mélisse te donna un aussi mauvais
conseil que si elle t’avait proposé d’aller visiter un essaim de guêpes,
et toi tu fus peu avisé d’aller chercher ce que tu aurais été très fâché
de trouver.
« Si la cupidité a poussé ta femme à te manquer de fidélité, ne
t’en étonne pas : ce n’est pas la première, ni la cinquième qui ait
succombé en un si grand combat. Il en est de plus vertueuses qui,
pour un moindre prix, se laisseraient entraîner à des actes plus
coupables encore. Combien d’hommes n’as-tu pas entendu accuser
d’avoir pour de l’or trahi leurs maîtres ou leurs amis ?
« Tu ne devais pas l’attaquer avec de si puissantes armes, si tu
voulais la voir résister. Ne sais-tu pas que, contre l’or, le marbre et
l’acier le plus dur ne peuvent tenir ? Tu as été, à mon avis, plus
coupable en essayant de la tenter, qu’elle en succombant si vite. Si
c’eût été elle qui t’eût tenté, je ne sais si tu aurais été plus vertueux.
— »
Ici Renaud mit fin à son discours et, se levant de table, il
demanda la permission d’aller dormir. Son intention était de se
reposer un peu, puis de partir une heure ou deux avant le jour. Il
avait peu de temps à lui, et le peu qu’il avait, il l’employait avec
beaucoup de mesure et ne perdait pas une minute. Le châtelain lui
dit qu’il pouvait aller se reposer à sa fantaisie,
Car sa chambre et son lit étaient tout préparés ; mais que, s’il
voulait suivre son conseil, il pourrait dormir tranquillement toute la
nuit, tout en avançant de quelques milles pendant son sommeil. « —
Je te ferai — lui dit-il — préparer un bateau sur lequel tu pourras
dormir à l’abri de tout danger, et qui, descendant le fleuve pendant
toute la nuit, te fera gagner une journée de chemin. — »
La proposition plut à Renaud, qui s’empressa de l’accepter, et
remercia vivement son généreux hôte. Puis, sans plus de retard, il
descendit sur la rive où les marins l’attendaient. Il put ainsi reposer
tout à son aise, pendant que le bateau, poussé par six rameurs,
descendait le cours du fleuve, léger et rapide comme l’oiseau dans
les airs.
Dès qu’il eut la tête sur l’oreiller, le chevalier de France
s’endormit. Quand il se réveilla, le bateau était déjà près de Ferrare.
On laissa Melara sur la rive gauche, et Sermido sur la rive droite ; on
dépassa Figarolo et Stellata, là où le Pô fougueux se divise en deux
bras.
Le patron s’engagea dans le bras de droite, laissant celui de
gauche qui se dirigeait du côté de Venise. Il dépassa Bondeno, et
déjà l’on voyait à l’Orient pâlir l’azur du ciel, et l’aurore, blanche et
vermeille, épuiser toutes les fleurs de sa corbeille, quand Renaud,
découvrant de loin les deux forteresses de Téaldo, leva la tête.
« — O ville heureuse — dit-il — mon cousin Maugis, après avoir
consulté les étoiles errantes et fixes, et appelé à son aide toute sa
science de devin, m’a prédit — car j’ai déjà fait ce chemin avec lui —
que dans les siècles futurs ta gloire rejaillirait si haut, que tu
l’emporterais sur tout le reste de l’Italie. — »
Pendant qu’il parlait ainsi, le bateau, qui semblait avoir des ailes,
descendait rapidement le roi des fleuves, et passait tout près de la
petite île qui est la plus proche de la ville. Bien qu’elle fût alors
inculte et déserte, Renaud se fit une véritable fête de la revoir, car il
savait combien, plus tard, elle serait belle et cultivée.
Dans son précédent voyage, qu’il avait fait en compagnie de
Maugis, il avait appris de ce dernier qu’au bout de sept cents ans
révolus cette île deviendrait la plus agréable de toutes celles
qu’environnent mer, étang ou rivière ; à tel point, qu’après l’avoir
vue, personne ne voudrait plus entendre parler de la patrie de
Nausica [15] .
Il avait appris qu’elle surpasserait par ses beaux monuments l’île
si chère à Tibère, et que les arbres du jardin des Hespérides
n’étaient rien en comparaison des plantes rares de toutes sortes qui
devaient croître en ce beau lieu. Elle devait renfermer également
plus d’espèces d’animaux que Circé n’en possédait dans ses écuries
ou dans ses haras ; les Grâces et Cupidon viendraient y faire leur
séjour, abandonnant à tout jamais Chypre et Cnide.
Elle devait être ainsi transformée par les soins d’un homme qui
joindrait la science au pouvoir suprême, et dont l’énergique volonté
élèverait autour de sa bonne ville une ceinture de digues et de
murailles, de façon à lui permettre de braver les attaques du monde
entier, sans qu’il fût besoin d’appeler personne à son secours. Celui
qui accomplirait de telles merveilles s’appellerait Hercule, et serait
fils et père de deux autres Hercule.
C’est ainsi que Renaud, tout en contemplant l’humble cité, se
rappelait ce que lui avait dit son cousin, avec lequel il s’entretenait
souvent des choses à venir révélées à Maugis par sa science de
devin. « — Comment — se disait-il — peut-il se faire qu’un jour
florissent sur ces marécages les arts et les belles-lettres ;
« Et qu’une cité si grande et si belle sorte d’une si petite
bourgade ? Comment peut-il se faire que ces marais, qui l’entourent
aujourd’hui de tous côtés, deviennent jamais des campagnes riantes
et couvertes de richesses ? O ville, dès à présent je me lève pour
saluer le dévouement, la générosité, la noblesse de tes princes, et
les mérites si prisés de tes chevaliers et de tes citoyens illustres !
« Puisse l’ineffable bonté du Rédempteur te faire vivre toujours
en paix, dans l’abondance et dans la joie, protégée par la sollicitude,
le génie, la justice de tes princes ; qu’elle te garde de la fureur de tes
ennemis, et dévoile leurs projets perfides ; que tes voisins envient
ton bonheur, et que tu n’aies toi-même à porter envie à aucune
autre cité ! — »
Pendant que Renaud parlait ainsi, le bateau léger fendait si
rapidement les ondes, que le faucon, rappelé par son maître, ne
descend pas plus vite à l’aspect du leurre. Le patron s’étant engagé
dans un des canaux de droite, les murs et les toits de la bourgade
disparurent soudain, et on laissa bien loin en arrière Saint-George,
ainsi que la tour de la Fosse et de Gaïcana.
Comme d’habitude une pensée en amène une autre et ainsi de
suite, Renaud vint alors à se rappeler le chevalier dans le palais
duquel il avait soupé la veille, et qui, à dire vrai, avait de justes
raisons pour se plaindre de cette ville. Il se rappela la coupe où
chacun, en buvant, pouvait s’assurer de la conduite de sa femme.
Il se souvint aussi de ce que lui avait dit le chevalier, à savoir que
parmi tous ceux qui avaient fait l’expérience de la coupe, il ne s’en
était pas trouvé un seul dont la poitrine n’eût été inondée. Tantôt il
se repentait de n’avoir point tenté l’épreuve, tantôt il se disait : « —
Je me réjouis de n’avoir point voulu courir une telle chance ; si
l’épreuve avait réussi, je n’aurais fait que confirmer ma certitude ; si
elle n’avait pas réussi, à quoi me serais-je exposé ?
« Je crois à la vertu de ma femme comme si j’en avais eu des
preuves certaines, et je ne pourrais qu’augmenter fort peu cette
certitude. De sorte que, si la preuve m’en était donnée, j’en tirerais
un minime bénéfice ; tandis que le mal que j’éprouverais ne serait
pas petit, si je voyais, concernant ma Clarisse, ce que je ne voudrais
point voir. Ce serait risquer mille contre un, à ce jeu où l’on peut
perdre beaucoup et gagner peu. — »
Pendant que le chevalier de Clermont songeait à cela tout pensif,
et le visage baissé, un des marins qui se trouvaient en face de lui le
regardait fixement et avec une attention profonde. Cet homme, beau
parleur et hardi compagnon, ayant deviné la pensée qui le
préoccupait, l’amena à lier conversation avec lui.
La conclusion de leur entretien fut qu’il avait été bien mal avisé
celui qui avait tenté sur son épouse la plus délicate expérience qu’on
pût tenter sur une femme, car celle qui, s’armant de pudeur, aura su
défendre son cœur contre l’or et l’argent, le défendra bien plus
facilement au milieu de mille épées levées ou de la flamme ardente.
Le marin ajoutait : « — Tu lui as très justement dit qu’il n’aurait
pas dû offrir de si riches présents à sa femme. Tous les cœurs ne
sont point trempés pour résister à de tels assauts et à de tels coups.
Je ne sais si tu as entendu parler d’une jeune femme — peut-être
cette histoire est-elle connue chez vous ? — que son mari avait
surprise en semblable faute, et qu’il avait, pour cela, condamnée à
mourir ?
« Mon maître aurait dû se rappeler que l’or et les présents
adoucissent la plus dure ; mais il l’a oublié au moment où il avait
besoin de s’en souvenir, et il est allé au-devant de son propre
malheur. Il connaissait pourtant aussi bien que moi l’exemple qu’il
avait eu sous les yeux dans la ville voisine, sa patrie et la mienne,
que les eaux endormies du Mincio entourent d’un lac marécageux.
« Je veux parler du riche présent d’un chien que fit Adonio à la
femme d’un juge. — » « — Le récit de cette aventure — dit le
paladin — n’a pas traversé les Alpes, et est seulement connu chez
vous, car en France, ni dans les pays étrangers où je suis allé, je ne
l’ai jamais entendu raconter. De sorte que si cela ne t’ennuie pas de
me la dire, je suis volontiers disposé à t’écouter. — »
Le marin commença : « — Jadis était dans cette ville un certain
Anselme, de famille honorable. Après avoir passé sa jeunesse à
apprendre la science qu’enseigne Ulpian, il chercha une femme de
noble race, belle, honnête, et en rapport avec sa position ; il en
trouva une, dans une ville voisine, qui était d’une beauté
surhumaine.
« Ses manières étaient si aimables et si gracieuses, qu’elle
paraissait n’être qu’amour et beauté. Peut-être était-elle plus belle
qu’il ne convenait à la position d’Anselme. A peine l’eut-il en sa
possession, qu’il dépassa en jalousie tous les jaloux qui furent jamais
en ce monde ; et cependant elle ne lui avait encore donné d’autre
motif de jalousie que d’être trop accorte et trop belle.
« Dans la même cité vivait un chevalier de famille ancienne et
honorable. Il descendait de cette race altière qui sortit de la
mâchoire d’un serpent, de même que jadis ma patrie Mantoue et ses
premiers habitants. Le chevalier, qui s’appelait Adonio, s’enamoura
de cette belle dame ;
« Et, pour mener son amour à bonne fin, il se lança sans retenue
dans de folles prodigalités, se ruinant en riches habits, en banquets,
menant le train luxueux d’un chevalier beaucoup plus riche qu’il
n’était. Le trésor de l’empereur Tibère n’aurait pas suffi à de telles
dépenses, et je crois bien qu’il ne se passa pas deux hivers avant
qu’il eût complètement dévoré l’héritage paternel.
« Sa maison, qui était auparavant fréquentée matin et soir par
une foule d’amis, devint vide dès qu’il n’y eut plus de perdrix, de
faisans, de cailles sur sa table. Quant à lui, qui avait été comme le
chef de toute la bande, il resta seul, et quasi au nombre des
mendiants. Se voyant tombé dans la misère, il songea à aller dans
un endroit où il serait inconnu.
« Dans cette intention, sans rien dire à personne, il laisse un
beau matin sa patrie, et s’en va, pleurant et soupirant, le long du
marais qui entoure les remparts de la ville. Son angoisse est doublée
par la pensée de la dame, reine de son cœur. Soudain, voici qu’il lui
arrive une aventure qui doit changer sa peine extrême en souverain
bien.
« Il aperçoit un villageois qui, armé d’un grand bâton, frappe à
coups redoublés sur des buissons. Adonio s’arrête, et lui demande la
raison d’un travail si pénible. Le villageois lui dit qu’au milieu de ces
broussailles il a vu un serpent très vieux, plus long et plus gros que
tous ceux qu’il a rencontrés de sa vie, tel enfin qu’il ne croit pas en
rencontrer jamais un aussi gros ;
« Et qu’il ne veut pas s’en aller avant de l’avoir retrouvé et de
l’avoir tué. Adonio ne peut écouter ces paroles sans impatience. Il
avait toujours protégé les serpents, sa famille en portant un gravé
sur ses armes, pour rappeler qu’elle était sortie des dents d’un
serpent répandues sur la terre.
« Il dit et fait tant, qu’il force le paysan à abandonner son
entreprise, et à s’en aller sans avoir tué le serpent et sans plus
chercher à lui faire de mal. Puis Adonio poursuit son chemin vers le
pays où il pense que sa condition sera le moins connue. Pendant
sept ans, au milieu des privations et des soucis, il vit hors de la
patrie.
« Et jamais l’éloignement, ni la difficulté de vivre qui, d’habitude,
ne laissent point la pensée libre, ne purent faire qu’Amour ne
continuât de lui brûler le cœur et d’entretenir sa blessure. A la fin, il
ne put résister au désir de revenir vers la beauté que ses yeux
avaient soif de revoir. Barbu, triste, et en fort pauvre équipage, il
reprit le chemin d’où il était venu.
« A ce moment, il arriva que ma ville envoya au Saint-Père un
ambassadeur qui devait séjourner près de Sa Sainteté pendant un
temps indéterminé. On tira au sort, et le choix tomba sur le juge. O
jour d’éternelle douleur pour lui ! Il s’excusa, il pria, il multiplia les
offres et les promesses pour ne point partir ; enfin il fut forcé d’obéir.
« Ce fut pour lui une douleur aussi cruelle à supporter que s’il
s’était vu ouvrir les flancs et arracher le cœur. Pâle et blême de
crainte jalouse au sujet de sa femme, il la supplie, par les prières
qu’il croit le plus convaincantes, de ne pas manquer à sa foi pendant
qu’il sera au loin ;
« Lui disant que ni beauté, ni noblesse, ni grande fortune ne
suffisent à une femme pour la faire tenir en honneur, si, de
réputation et de fait, elle n’est point chaste ; que la chasteté est une
vertu d’autant plus prisée qu’elle a résisté à plus d’attaques, et que
son absence va lui fournir une belle occasion d’éprouver sa pudeur.
« Par ces raisonnements et beaucoup d’autres du même genre, il
cherche à lui persuader de lui être fidèle. Sa femme se lamente de
ce dur départ, Dieu sait avec quelles larmes, quelles doléances ! Elle
jure que le soleil verra s’obscurcir sa lumière avant qu’elle soit assez
criminelle pour rompre sa foi, et qu’elle mourra plutôt que d’en avoir
même la pensée.
« Bien qu’il croie à ces promesses et à ces serments, et qu’il en
soit quelque peu rassuré, le juge ne laisse point pour cela d’essayer
d’un autre moyen pour conjurer ses alarmes. Il avait un ami qui se
vantait et faisait métier de prédire l’avenir, et fort versé dans l’art de
la magie et des sortilèges.
« Il lui demande, comme une grâce, de chercher à voir si sa
femme, nommée Argia, pendant le temps qu’il serait séparé d’elle,
resterait fidèle et chaste, ou si le contraire devait arriver. L’ami,
cédant à ses prières, tire ses lignes et les applique sur le ciel, comme
il paraît qu’elles doivent être. Anselme le laisse à sa besogne, et
revient le voir le jour suivant pour connaître la réponse.
« L’astrologue tenait les lèvres closes, pour ne pas dire au
docteur quelque chose qui lui aurait fait de la peine ; il cherche une
foule d’excuses pour se taire. Quand enfin il voit qu’Anselme est
résolu à voir son propre mal, il lui apprend qu’à peine aura-t-il
franchi le seuil de sa maison, sa femme rompra sa foi, séduite non
par la beauté ou par les prières, mais gagnée par des présents et de
l’argent.
« Combien ces prédictions menaçantes des puissances
supérieures, jointes à la crainte, au doute qu’il avait déjà, lui
bouleversèrent le cœur, tu peux le penser toi-même, si les accidents
d’amour te sont connus. Ce qui lui causait le plus de chagrin, ce qui
lui tourmentait par-dessus tout l’esprit, c’était de savoir que sa
femme, poussée par l’avarice, oublierait pour de l’argent toute
pudeur.
« Afin de faire tout son possible pour ne pas la laisser tomber
dans une telle faute — car souvent le besoin pousse les hommes à
dépouiller les autels — il remit entre les mains de sa femme tous ses
joyaux, tout son argent, et il en avait beaucoup. Il lui donna tout ce
qu’il possédait au monde.
« — Non seulement — lui dit-il — je te donne la liberté de t’en
servir pour tes besoins, mais tu peux en faire ce que tu voudras : tu
peux les dépenser, les jeter, les donner ou les vendre. Je ne veux te
demander aucun compte, pourvu que tu te conserves à moi telle que
je t’ai laissée. Pourvu que je te retrouve comme tu es maintenant, je
me soucie peu de ne retrouver ni fortune ni maison. — »
« Il la prie, pendant qu’il sera absent, de ne pas demeurer dans
la ville, mais d’aller habiter dans sa villa, où elle pourra vivre plus
facilement loin de toute relation. Il parlait ainsi, parce qu’il pensait
bien que l’humble population qui travaille aux champs, ou qui garde
les troupeaux, n’était pas de nature à troubler les chastes pensées
de sa femme.
« Cependant Argia, ses beaux bras jetés autour du cou de son
craintif mari, lui arrose le visage de larmes qui s’échappent comme
un fleuve de ses yeux ; elle s’attriste de ce qu’il la traite en coupable,
comme si elle lui avait déjà manqué de foi ; un pareil soupçon
provient de ce qu’il n’a aucune confiance dans sa fidélité.
« J’aurais trop à dire, si je voulais rapporter tout ce qui se dit
entre les deux époux à l’heure du départ. « — Je te recommande
mon honneur — » dit en dernier lieu Anselme. Puis il prend congé
d’elle et part enfin. A peine son cheval est-il tourné, qu’il se sent
arracher le cœur de la poitrine. Sa femme, tant qu’elle peut, le suit
des yeux, d’où les larmes se répandent sur ses joues.
« Cependant Adonio, misérable, malade, comme j’ai déjà dit, pâle
et le menton couvert de barbe, s’acheminait vers sa patrie, espérant
qu’on ne l’y reconnaîtrait plus. Il arriva sur les bords du lac voisin de
la ville, à l’endroit où il avait secouru le serpent poursuivi dans les
buissons par le villageois qui voulait lui donner la mort.
« Parvenu à cet endroit vers la pointe du jour, alors que quelques
étoiles brillaient encore au ciel, il voit le long de la rive venir à sa
rencontre une damoiselle vêtue de beaux habits de voyage, et
d’aspect noble, bien qu’elle n’eût autour d’elle ni écuyer, ni suivante.
Celle-ci l’aborde d’un air gracieux, et lui adresse les paroles
suivantes :
« — Bien que tu ne me connaisses pas, chevalier, je suis ta
parente, et je t’ai grande obligation. Je suis ta parente, car notre
haut lignage à tous deux descend du fier Cadmus. Je suis la fée
Manto ; c’est moi qui ai posé la première pierre de cette ville, et c’est
de mon nom — comme tu l’as sans doute entendu dire — que je l’ai
nommée Mantoue.
« Je suis une des Fées ; afin de t’apprendre ce qu’il importe que
tu saches, je te dirai que le sort nous fit naître de telle sorte que
nous pouvons être affligées de tous les maux, hors la mort. Mais
l’immortalité nous est accordée à une condition plus dure que la
mort, car, tous les sept jours, chacune de nous se voit infailliblement
changée en couleuvre.
« Se voir toute couverte d’écailles ignobles, et s’en aller en
rampant, est chose si douloureuse, qu’il n’y a pas au monde de
peine plus grande. Chacune de nous maudit l’existence. Tu sauras —
et je veux t’apprendre en même temps quelle obligation je t’ai —
que ce jour-là, à cause de la forme que nous avons, nous sommes
exposées à une infinité d’accidents.
« Il n’y a pas d’animal sur la terre plus odieux que le serpent ; et
nous, qui en avons la forme, nous subissons les outrages et la
poursuite de tout le monde, car quiconque nous aperçoit nous
frappe et nous chasse. Si nous ne pouvons trouver un abri sous
terre, nous éprouvons ce que pèse le bras des hommes. Mieux
vaudrait pouvoir mourir, que de rester broyées et mutilées sous les
coups.
« L’obligation que je t’ai est grande ; un jour que tu passais sous
ces frais ombrages, tu m’as arrachée aux mains d’un paysan qui
m’avait vivement poursuivie. Si tu n’avais pas été là, je ne m’en
serais pas allée sans avoir la tête et les reins brisés. J’en serais
restée fourbue et difforme, car je ne pouvais pas mourir.
« Les jours où, sous la rude écaille d’un serpent, nous sommes
forcées de ramper à terre, le ciel, le reste du temps soumis à nos
volontés, refuse de nous obéir, et nous sommes sans force. Le reste
du temps, sur un signe seul de nous, le soleil s’arrête et adoucit ses
rayons ; la terre immobile tourne et change de place ; la glace
s’enflamme, et le feu se congèle.
« Maintenant je suis ici pour te récompenser de ce que tu fis
autrefois pour moi. En ce moment nul ne me demande en vain une
faveur, car je suis hors de la peau du serpent. Je te ferai dans un
instant trois fois plus riche que tu ne le fus par héritage paternel. Et
je veux que tu ne redeviennes plus jamais pauvre ; au contraire, plus
tu dépenseras, plus ta fortune augmentera.
« Et parce que je te retrouve encore enchaîné dans les liens dont
Amour t’avait lié jadis, je veux te montrer de quelle façon tu dois t’y
prendre pour satisfaire tes désirs. Je veux que, pendant que le mari
est loin d’ici, tu mettes sans retard mon conseil à exécution. Tu vas
aller trouver la dame qui habite hors la ville, à la campagne, et je
serai encore près de toi. — »
« — Elle poursuivit en lui disant de quelle façon elle entendait
qu’il se présentât devant sa dame ; comment il devait s’habiller ;
comment il devait la prier et la tenter. Elle lui dit quelle forme elle
prendrait elle-même, car, hormis le jour où elle rompait avec les
serpents, elle pouvait, à sa volonté, prendre toutes les formes du
monde.
« Elle lui fit prendre l’habit d’un pèlerin qui va quêtant de porte
en porte au nom de Dieu ; quant à elle, elle se changea en chien, le
plus petit que jamais nature eût fait, à poils longs, plus blancs
qu’hermine, agréable d’aspect et merveilleux de formes. Ainsi
transformés, ils s’acheminèrent vers la demeure de la belle Argia.
« Le jeune homme s’arrêta aux premières cabanes de paysans
qu’il rencontra, et commença à sonner d’un chalumeau, aux sons
duquel le chien, se dressant sur ses pattes, se mit à danser. Le chant
et la rumeur parvinrent jusqu’à la maîtresse du logis, et firent tant,
qu’elle se dérangea pour voir ce que c’était. Elle fit alors venir le
pèlerin dans la cour de son logis ; ainsi s’accomplissait la destinée du
docteur.
« Là, Adonio se mit à commander au chien, et le chien à lui
obéir : à danser les danses de notre pays et celles de pays
étrangers, en exécutant des pas et en prenant des attitudes selon
les ordres de son maître ; faisant, en un mot, avec des façons
humaines, tout ce que ce dernier lui commandait, au grand
ébahissement de ceux qui le regardaient les yeux grands ouverts et
retenant leur respiration.
« Grandement émerveillée, la dame se sent bientôt prise d’un vif
désir de posséder ce chien si gentil. Elle en fait, par sa nourrice,
offrir au pèlerin un prix convenable : « — Si ta maîtresse, — répond
celui-ci, possédait plus de trésors qu’il n’en faut pour assouvir la
convoitise d’une femme, elle ne pourrait donner un prix capable de
payer seulement une patte de mon chien. — »
« Et pour lui montrer qu’il dit vrai, il amène la nourrice dans un
coin, et dit au chien de donner un marc d’or à cette dame pour la
remercier de sa courtoisie. Le chien se secoue, et le marc d’or
apparaît aussitôt. Adonio dit à la nourrice de le prendre, ajoutant : «
— Crois-tu que rien puisse payer un chien si beau et si utile ?
« Quoi que je lui demande, je ne reviens jamais les mains vides ;
en se secouant, il fait tomber tantôt des perles, tantôt des bagues,
tantôt des vêtements superbes et d’un grand prix. Cependant, dis à
ta maîtresse qu’il sera à elle, non point pour de l’or, car l’or ne
pourrait le payer ; mais, si elle veut me laisser coucher une nuit avec
elle, elle aura le chien, et pourra en faire ce qu’elle voudra. — »
« Tout en parlant ainsi, il lui donne une pierrerie que le chien
vient de faire tomber pour qu’elle la présente à sa maîtresse. Le
marché semble à la nourrice beaucoup plus avantageux que s’il
fallait payer le chien dix ou vingt ducats. Elle retourne vers la dame,
et lui fait la commission ; puis elle l’engage à se contenter et à
acheter le chien, car elle peut, dit-elle, l’avoir à un prix où l’on ne
perd rien à donner.
« La belle Argia se fâche tout d’abord, soit qu’elle ne veuille pas
manquer à sa foi, soit qu’elle ne croie pas possible tout ce qu’on
vient de lui raconter. La nourrice recommence son récit ; elle la
presse, elle l’ébranle ; elle lui insinue qu’une pareille occasion se
présente bien rarement ; elle fait si bien que, le jour suivant, Argia
consent à voir le chien, loin de tous les yeux.
« Cette nouvelle exhibition qu’Adonio fit de son chien fut la perte
et la mort du docteur. Il fit pleuvoir les doubles sequins par dizaines,
des chapelets de perles et des pierreries de toute sorte, jusqu’à ce
que le cœur altier d’Argia s’amollît au point de ne plus pouvoir lutter,
surtout quand elle apprit que le pèlerin était le chevalier qui l’avait
aimée jadis et qui était parti.
« Les excitations de sa putain de nourrice, les prières et la
présence de son amant, la vue du prix qu’on lui offrait, la longue
absence du malheureux docteur, l’espoir que personne n’en saurait
jamais rien, tout cela fit tellement violence à ses projets de chasteté,
qu’elle accepta le beau chien, et, pour prix, se livra à son amant.
« Adonio jouit longuement de sa belle dame, à laquelle la fée
voua une si grande amitié, qu’elle ne voulut plus la quitter. Mais,
avant que le soleil eût parcouru tous les signes du Zodiaque, congé
fut donné au docteur qui s’en revint enfin, plein d’un grave soupçon,
à cause de ce que l’astrologue lui avait dit.
« Aussitôt de retour dans sa patrie, son premier soin est de voler
chez l’astrologue et de lui demander si sa femme l’a trompé, ou si
elle lui a gardé son amour et sa foi. L’astrologue, après avoir
consulté le pôle et toutes les planètes, lui répond que ce qu’il avait
craint était arrivé, ainsi qu’il lui avait prédit ;
« Que sa femme, séduite par de riches présents, s’était livrée à
un autre. Cette réponse porta un si grand coup au cœur du docteur,
que lance ni épée ne lui aurait rien fait éprouver de si douloureux.
Afin de s’assurer de son malheur, — bien qu’il crût trop, hélas ! à son
ami le devin, — il alla trouver la nourrice et, la prenant à part, il usa
de toute son habileté pour savoir le vrai.
« Tournant et retournant autour d’elle, il chercha de çà de là à
trouver une piste ; mais tout d’abord, quelque ardeur qu’il y mît, il ne
découvrit rien, car la nourrice, qui n’était pas neuve en cette
matière, niait toujours effrontément. Pendant plus d’un mois, elle
tint son maître suspendu entre le doute et la certitude.
« Combien le doute devait lui sembler bon, lorsqu’il songeait à la
douleur que lui causerait une certitude ! Quand il eut essayé, en
vain, près de la nourrice, des prières et des cadeaux ; quand il eut vu
qu’elle ne voulait lui dire que des choses fausses, il attendit, en
homme expert, que la discorde éclatât entre elle et sa maîtresse, car
là où sont deux femmes, il y a toujours confit et querelle.
« Il advint comme il s’y attendait. Au premier dissentiment qui
naquit entre elles, la nourrice s’en vint, sans qu’il allât la chercher, lui
raconter tout. Elle ne lui cacha plus rien. Il serait trop long de dire le
coup que ressentit au cœur le malheureux docteur, et combien il eut
l’esprit bouleversé. Son chagrin fut si fort, qu’il faillit perdre la raison.
« Enfin, cédant à la colère, il se résolut à mourir ; mais,
auparavant, il voulut tuer sa femme. Il lui semblait que le même fer,
teint de leur sang à tous les deux, excuserait en même temps son
crime, et le délivrerait de sa douleur. Il s’en revient à la ville,
nourrissant toute sorte de pensées furieuses et aveugles. Puis il
envoie au château un de ses affidés après lui avoir expliqué ce qu’il
doit faire.
« Il ordonne à ce serviteur d’aller au château de sa femme Argia,
et de lui dire de sa part qu’il a été pris d’une si méchante fièvre,
qu’elle aura grand’peine à le retrouver vivant ; pour quoi, il la prie,
sans attendre d’avoir quelqu’un autre pour l’accompagner, de venir
sur-le-champ avec son serviteur, si elle a de l’amitié pour lui. « —
Elle viendra — ajoute Anselme, qui sait bien qu’elle ne fera pas
même une observation, — et, en chemin, tu lui couperas la gorge. —
»
« Le familier s’en va chercher sa maîtresse, pour faire d’elle ce
que son maître lui avait commandé. Argia, après avoir pris avec elle
son chien, monte aussitôt à cheval et se met en route. Le chien
l’avait prévenue du danger, mais en l’engageant à partir quand
même, car il avait tout prévu, tout disposé pour lui venir en aide en
un si grand besoin.
« Le serviteur s’était détourné de la route, et, prenant par des
sentiers solitaires et nombreux, il arrive sur les bords d’une rivière
qui tombe du haut de l’Apennin dans notre fleuve, au beau milieu
d’une forêt obscure et profonde, loin du château et de la ville. Le lieu
lui paraît favorable à l’accomplissement de l’ordre cruel qui lui a été
donné.
« Il tire son épée et dit à sa maîtresse quel ordre lui avait donné
son maître afin qu’avant de mourir elle demande pardon à Dieu de
son crime. Je ne saurais te dire comment elle disparut ; mais, au
moment même où le serviteur crut la frapper, il ne la vit plus. Il la
chercha en vain tout autour de lui, et en resta tout ébahi.
« Il revient vers son maître tout honteux et le visage tout effaré.
Il lui raconte l’étrange aventure, ajoutant qu’il ne sait pas ce qui s’en
est suivi. Le mari ne savait pas que sa femme avait à ses ordres la
fée Manto, car la nourrice, qui connaissait tout le reste, ignorait ce
point que sa maîtresse lui avait caché.
« Il ne sait que faire ; il n’a ni vengé son injure, ni diminué sa
peine. Ce qui était auparavant un fétu de paille est devenu une
poutre, tant cela lui pèse sur le cœur. Il craint que la faute de sa
femme, qui était sue de quelques personnes seulement, ne devienne
tellement connue qu’elle soit la fable de tous. Il aurait pu tout
d’abord la cacher, mais maintenant la rumeur publique va la
répandre par le monde entier.
« Il comprend bien que sa femme, voyant qu’il a découvert sa
félonie, se sera mise, afin de ne plus retomber en son pouvoir, sous
la protection d’un homme puissant. Celui-ci la gardera, et en jouira,
à l’ignominie du mari qu’il tournera en risée. Peut-être tombera-t-elle
entre les mains de quelqu’un qui exploitera en rufian son adultère.
« Pour y remédier, il envoie en hâte dans tous les environs des
messagers et des lettres pour la chercher ; il ne laisse pas une ville
de Lombardie sans y envoyer quelqu’un pour avoir de ses nouvelles.
Il y va même en personne, et il n’est recoin qu’il ne visite ou qu’il ne
fasse visiter par ses espions. Mais il ne peut retrouver sa trace, ni en
avoir la moindre nouvelle.
« Enfin il fait venir le serviteur auquel il avait donné l’ordre cruel
qui ne put s’accomplir. Il se fait conduire par lui à l’endroit où Argia
avait, comme il le lui avait raconté, disparu à ses yeux. Il s’imagine
que le jour elle se cache parmi les broussailles, et qu’elle se réfugie
la nuit dans quelque demeure voisine. Le serviteur le conduit à
l’endroit où il croit trouver la forêt sauvage, mais il y voit un grand
palais.
« Entre temps, la belle Argia s’était fait élever par sa fée un palais
d’albâtre, bâti par enchantement en une minute. Au dedans et au
dehors, il était tout recouvert d’ornements d’or. Aucune langue ne
pourrait dire, aucune imagination ne pourrait se représenter la
beauté de son extérieur, ni les trésors qu’il contenait. Le palais de
mon maître, qui t’a semblé si beau hier soir, serait une masure à
côté de celui d’Argia.
« Les salles et les appartements étaient tendus de tapis d’Arras et
de riches tissus de toute sorte, et non seulement les appartements
de maître, mais encore les chambres et les logements des serviteurs.
On y voyait à profusion des vases d’or et d’argent ; des pierreries
ciselées, couleur d’azur, d’émeraude ou de rubis, façonnées en forme
de grands plats, de coupes ou de bassins ; et, en quantité infinie,
des draps d’or et de soie.
« Le juge, comme je vous disais, vint donner droit sur ce palais,
alors qu’il croyait arriver dans une campagne déserte, dans un bois
solitaire. Il en fut tellement émerveillé, qu’il crut un instant avoir
perdu l’esprit. Il ne savait s’il était ivre, s’il rêvait, ou si son cerveau
s’envolait.
« Il aperçoit devant la porte un Éthiopien au nez et aux lèvres
épatés ; jamais, à son avis, il n’a vu visage si laid et si disgracieux.
Cette ignoble figure, ressemblant au portrait qu’on fait d’Ésope,
serait capable d’attrister tout le paradis si elle s’y trouvait. Quand
j’aurai ajouté que ce personnage était crasseux comme un porc, qu’il
était vêtu comme un mendiant, je n’aurai pas dépeint la moitié de sa
laideur.
« Anselme, qui ne voit pas d’autre que lui pour savoir à qui est ce
château, s’approche et l’interroge. L’Éthiopien lui répond : « — Cette
demeure est à moi. — » Le juge est persuadé que cet homme se
moque de lui et lui fait une mauvaise plaisanterie. Mais le nègre lui
affirme par serment que cette demeure est bien à lui, et que
personne autre n’a rien à y faire.
« Il lui offre même, s’il veut la voir, d’y entrer, et de la parcourir à
sa fantaisie, et, s’il y trouve quelque chose qui lui plaise, soit pour
lui, soit pour ses amis, de le prendre sans crainte. Anselme donne
son cheval à garder à son serviteur, et franchit le seuil. On le conduit
à travers les salles et les chambres où, de bas en haut, il admire
toutes ces merveilles.
« Il va, regardant la forme, le style, la beauté, la richesse du
travail, et tous ces ornements vraiment royaux. Parfois il dit : « —
Tout l’or qui est sous le soleil ne pourrait payer ce splendide
monument. — » A cela, l’ignoble Maure répond et dit : « — Il peut
encore trouver son prix ; on peut le payer, sinon avec de l’or et de
l’argent, du moins d’une manière moins coûteuse. — »
« Alors, il lui fait la même proposition qu’Adonio avait faite à sa
femme. On peut, par cette proposition brutale et honteuse, juger
combien il était bestial et sauvage. Repoussé trois ou quatre fois, il
ne se laisse point décourager, et il insiste tellement, en offrant
toujours le palais pour prix, qu’il finit par faire consentir Anselme à
satisfaire son appétit dépravé.
« Argia, sa femme, qui se tenait cachée près de là, le voyant
tombé dans une telle faute, se montre soudain, en criant : « — Ah !
la belle chose que je vois, et bien digne d’un docteur tenu pour
sage ! — » Tu peux penser si le docteur, surpris en si honteuse
posture, devint rouge de honte, et resta bouche close. O terre,
pourquoi ne t’entr’ouvris-tu pas en ce moment pour le cacher dans
ton sein ?
« La dame, heureuse de se disculper et de faire honte à Anselme,
l’assourdit de ses cris, disant : « — Comment faudra-t-il te punir de
ce que je viens de te voir faire avec un homme si vil, alors que tu as
voulu me tuer parce que j’ai obéi à la loi de nature, vaincue par les
prières de mon amant, noble et beau, et qui m’avait fait un présent
en comparaison duquel ce château n’est rien ?
« Si je t’ai paru mériter la mort, avoue que tu es digne de mourir
cent fois. Bien que je sois toute-puissante en ce lieu, et que je
puisse disposer de toi à mon gré, cependant je ne veux pas tirer une
plus forte vengeance de ton crime. Mari, pèse le doit et l’avoir, et fais
comme je fais à ton égard, pardonne-moi.
« Et que la paix et l’accord soient conclus entre nous, de telle
sorte que tout le passé s’en aille en oubli, et que jamais une parole,
un geste, ne nous rappellent notre faute à l’un ou à l’autre. — » Le
mari, content de s’en tirer à si bon compte, ne se montra pas en
reste pour pardonner. Ils firent donc la paix et, depuis, ils ne
cessèrent de se chérir. — »
Ainsi dit le marin, et la fin de son histoire fit quelque peu rire
Renaud, bien qu’une rougeur de feu lui vînt au visage en entendant
raconter l’action honteuse du docteur. Renaud loua beaucoup Argia
d’avoir été assez avisée pour tendre à cet oiseau un piège qui le fît
tomber dans le même filet où elle était tombée elle-même, mais
avec moins de raison d’excuse.
Quand le soleil fut plus élevé sur l’horizon, le paladin fit apprêter
la table que le courtois chevalier mantouan avait fait abondamment
approvisionner dès la veille. Pendant ce temps, on voyait fuir à
gauche le splendide palais et, à droite, le marais immense. On vit
surgir et disparaître à son tour Argenta et son territoire, ainsi que
l’endroit où le Santerno se jette dans le Pô.
Je crois qu’à cette époque n’existait pas encore la Bastia, où plus
tard les Espagnols n’eurent pas trop à se glorifier d’avoir planté leur
bannière, mais dont les Romagnols eurent encore plus sujet de se
plaindre. De là, le bateau, descendant la rivière en droite ligne,
atteignit Filo. Puis les matelots l’engagèrent dans une branche morte
du fleuve se dirigeant vers le Midi, et qui le porta à Ravenne.
Bien que Renaud fût souvent à court d’argent, il en avait assez
en ce moment, pour se montrer généreux envers les mariniers
quand vint l’heure de les quitter. Changeant le plus souvent possible
de chevaux et de bêtes de somme, il passa le soir même à Rimini, et
sans s’y arrêter, pas plus qu’à Montefiore, il arriva à Urbino au lever
du jour.
Là ne vivaient pas encore Frédéric, ni Élisabeth, ni le bon Guido,
ni Francesco Maria, ni Léonora. S’ils y eussent été alors, ils eussent
fait tous leurs efforts pour retenir plus d’un jour auprès d’eux un
guerrier si fameux, comme ils devaient le faire plus tard pour les
dames et les chevaliers qui passent par leur cité.
Renaud n’ayant été retenu par personne monta droit à Cagli. Il
franchit l’Apennin en suivant les vallées du Métaure et du Gauno, de
sorte qu’il n’eut plus cette chaîne de montagnes à sa droite. Il
traversa les provinces d’Ombrie et d’Étrurie, et descendit à Rome. De
Rome, il gagna Ostie ; de là, il se transporta par mer dans la ville à
qui le pieux fils d’Anchise confia les os de son père.
Là, changeant de navire, il cingla en toute hâte vers l’île de
Lampéduse, qui avait été choisie comme champ de combat et où la
rencontre avait déjà eu lieu. Renaud presse le pilote et lui fait faire
force de voiles et de rames. Mais les vents adverses, s’opposant à la
marche du navire, le firent arriver un peu trop tard.
Il arriva comme le prince d’Anglante venait d’achever son
entreprise utile et glorieuse, en donnant la mort à Gradasse et à
Agramant. Mais sa victoire avait été rude et sanglante. Le fils de
Monodant était mort, et Olivier gisait sur le sable, atteint d’une grave
et dangereuse blessure au pied, dont il souffrait beaucoup.
Le comte ne put s’empêcher de pleurer, en embrassant Renaud,
et en lui racontant la mort de Brandimart qui lui était si fidèle et si
attaché ; les larmes vinrent également aux yeux de Renaud, quand il
vit son ami, la tête fendue. Puis il alla embrasser Olivier, qui gisait le
pied brisé.
Il les consola tous du mieux qu’il sut, bien que lui-même fût
inconsolable d’être arrivé au banquet au moment où la table venait
d’être levée. Les écuyers partirent pour la cité détruite de Biserte,
dans les ruines de laquelle ils déposèrent les os de Gradasse et
d’Agramant, et où ils apportèrent la nouvelle de l’issue du combat.
Astolphe et Sansonnet se réjouirent beaucoup de la victoire de
Roland, mais ils se seraient réjouis bien davantage, si Brandimart
n’avait pas perdu la vie. Leur joie fut fort amoindrie par la nouvelle
de sa mort, et il leur fut impossible de ne pas laisser voir leur trouble
sur leur visage. Qui d’entre eux irait maintenant annoncer une telle
catastrophe à Fleur-de-Lys ?
La nuit précédente, Fleur-de-Lys avait rêvé qu’elle voyait la
soubreveste qu’elle avait brodée de sa main, pour que Brandimart
partît richement vêtu, toute déchirée et couverte d’une pluie de
gouttes de sang. Il lui semblait que c’était elle qui avait ainsi brodé
cette soubreveste, et elle se le reprochait.
Elle se disait dans son rêve : « — Il me semblait cependant que
mon seigneur m’avait priée de lui faire cette soubreveste
entièrement noire. Pourquoi donc l’ai-je brodée, contre son désir,
d’une si étrange façon ? — » Elle avait tiré de ce songe un fâcheux
présage. La nouvelle arriva le même soir, mais Astolphe la tint
cachée jusqu’à ce qu’il pût aller trouver Fleur-de-Lys, accompagné
de Sansonnet.
Dès qu’ils entrèrent, et qu’elle vit leur visage si triste, elle n’eut
pas besoin d’autre indice, d’autre avis pour comprendre que son
cher Brandimart était mort. Son cœur éprouve un tel saisissement,
que ses yeux se ferment soudain, et que, perdant tout sentiment,
elle se laisse tomber sur le sol comme morte.
Quand elle revient à elle, elle porte les mains à ses cheveux et à
ses belles joues ; elle les arracha et les déchira, répétant en vain le
nom cher à son cœur. Elle arrache ses cheveux, et les jette autour
d’elle ; elle pousse des cris, et se roule à terre comme une femme
possédée du démon, et comme jadis on en entendait pousser aux
Ménades furieuses.
Elle prie tantôt Astolphe, tantôt Sansonnet de lui donner un
couteau, pour se le plonger dans le cœur. Tantôt elle veut courir au
port, à l’endroit où est mouillé le navire qui a apporté les corps de
Gradasse et d’Agramant ; elle veut déchirer leurs cadavres de ses
mains, et tirer ainsi une vengeance sauvage et féroce. Tantôt elle
veut passer la mer, et aller au-devant de Brandimart pour mourir à
côté de lui.
« — Oh ! Brandimart — disait-elle — pourquoi t’ai-je laissé partir
sans moi pour une pareille entreprise ? Jamais plus tu n’étais parti
sans que ta Fleur-de-Lys te suivît. Si j’étais allée avec toi, je t’aurais
été grandement utile. J’aurais eu sans cesse les yeux fixés sur toi, et
quand j’aurais vu Gradasse prêt à te frapper par derrière, je t’aurais
prévenu par un seul cri.
« Peut-être même aurais-je été assez prompte pour me jeter
entre vous deux et recevoir le coup qui t’était destiné. Je t’aurais fait
un bouclier de ma poitrine, car ma mort à moi n’aurait pas été un
bien grand malheur. De toute façon ne mourrai-je pas ? mais ma
mort ne t’aura servi à rien ; tandis que si j’étais morte en préservant
tes jours, je n’aurais pu perdre plus utilement la vie.
« Et si le ciel contraire et le destin cruel ne m’avaient pas permis
de te sauver, au moins je t’aurais donné mes derniers baisers,
j’aurais arrosé ton visage de mes larmes. Avant que les anges
bienheureux eussent emporté ton âme vers le Créateur, je t’aurais
dit : Va en paix, et attends-moi ; où tu seras, je ne tarderai pas à te
rejoindre.
« Est-ce là, Brandimart, est-ce là ce royaume où tu devais
prendre le sceptre en main ? Est-ce ainsi que je devais aller avec toi
à Damogère ; est-ce ainsi que tu devais me recevoir dans ton royal
palais ? Ah ! Fortune cruelle, quels projets d’avenir es-tu venue
briser ! quelles espérances viens-tu me ravir aujourd’hui ! Hélas !
puisque j’ai perdu tout mon bien, qu’attends-je pour quitter la vie ?
— »
A ces mots, suivis de beaucoup d’autres semblables, la fureur et
la rage lui reviennent avec une telle force, qu’elle se met de nouveau
à déchirer ses beaux cheveux, comme si ses beaux cheveux étaient
coupables. Elle se frappe, et se mord les deux mains, et plonge ses
ongles dans son sein et sur ses lèvres. Mais pendant qu’elle se
détruit de ses propres mains, et qu’elle se consume de douleur,
revenons à Roland et à ses compagnons.
Roland, dont le beau-frère avait grand besoin des soins d’un
médecin, et qui voulait donner à Brandimart une sépulture digne de
lui, se dirigea vers la colline qui éclairait la nuit avec ses flammes, et
répandait pendant le jour une fumée obscure. Les paladins ont le
vent favorable, et ils ne tardent pas à aborder le rivage à main
droite.
Grâce à la fraîche brise qui leur venait vent-arrière, ils levèrent
l’ancre au déclin du jour, guidés par la taciturne déesse dont la corne
lumineuse leur montrait le droit chemin. Ils abordèrent le jour
suivant au rivage où s’étale la douce Agrigente. Là Roland fit
préparer pour le soir du lendemain tout ce qu’il fallait pour la pompe
des funérailles.
Après qu’il se fut assuré qu’on exécutait ses ordres, et voyant
que la lumière du soleil avait disparu derrière l’horizon, Roland
rejoignit la foule des nobles chevaliers accourus de toutes parts à
Agrigente, sur son invitation. Le rivage resplendissait de torches
enflammées, et retentissait de cris et de lamentations. C’est là que
Roland avait fait déposer le corps de celui auquel, vivant ou mort, il
avait voué une si fidèle amitié.
Bardin, chargé d’années, se tenait, pleurant, auprès du cercueil.
Il avait tellement versé de larmes à bord du navire, qu’il aurait dû en
avoir les yeux et les paupières brûlés. Traitant le ciel de cruel, les
étoiles d’infâmes, il rugissait comme un lion qui a la fièvre. De ses
mains impitoyables, il s’arrachait les cheveux, et déchirait sa poitrine
rugueuse.
Au retour du paladin, les cris et les plaintes redoublent. Roland,
s’étant approché du corps de Brandimart, reste un moment à le
contempler sans prononcer une parole. Pâle comme le troène ou
comme la molle acanthe cueillie au matin, il pousse un profond
soupir. Puis, les yeux toujours fixés sur son ami, il lui parle ainsi :
« — O brave, ô cher et fidèle compagnon, dont le corps est là,
mort, tandis que ton âme, je le sais, vit au ciel d’une vie que tu as si
bien gagnée et où tu n’auras plus jamais à souffrir du chaud ou du
froid, pardonne-moi de pleurer ici sur toi. Si je me plains, c’est d’être
resté, et de ne pas goûter avec toi une telle félicité, et non pas de ce
que tu n’es plus ici-bas avec moi.
« Sans toi, je suis seul ; sans toi, il n’y a plus rien sur terre qui
puisse me plaire désormais. Ayant été avec toi à la tempête et à la
lutte, pourquoi ne suis-je pas aussi avec toi dans le repos et dans le
calme ? Bien grandes sont mes fautes, puisqu’elles m’empêchent de
sortir de cette fange en même temps que toi. Si j’ai partagé avec toi
les angoisses, pourquoi maintenant n’ai-je point aussi ma part de la
récompense ?
« C’est toi qui as gagné, et c’est moi qui ai perdu ; mais si le
bénéfice est tout entier pour toi, la perte n’est pas pour moi seul :
l’Italie, les royaumes de France et d’Allemagne partagent ma
douleur. Oh ! combien, combien mon seigneur et oncle, oh ! combien
les paladins ont sujet de s’affliger ! Combien doivent pleurer l’Empire
et l’Église chrétienne, qui ont perdu leur meilleure défense !
« Oh ! comme ta mort va enlever de terreur et d’épouvante aux
ennemis ! Combien la race païenne va être plus forte ! Quel courage,
quelle ardeur elle en va reprendre ! que va devenir ton épouse dont
je vois ici les pleurs, et dont j’entends les cris ? Je sais qu’elle
m’accuse et qu’elle me hait peut-être, car je suis cause que toute
espérance est morte pour elle avec toi.
« Mais, Fleur-de-Lys, il nous reste du moins une consolation, à
nous qui sommes séparés de Brandimart, c’est que tous les
guerriers, aujourd’hui vivants, doivent l’envier d’être mort avec tant
de gloire. Les deux Décius, et celui qui se précipita dans le forum
romain, ce Codrus si loué par les Grecs, n’acquirent pas plus de
gloire, en se vouant à la mort, que n’en a acquis ton seigneur. — »
C’était ces paroles, et d’autres encore, que disait Roland. Entre
temps les moines gris, blancs, noirs, et tous les autres clercs,
marchaient à la suite, deux par deux, sur une longue file, priant pour
l’âme du défunt, afin que Dieu lui accordât le repos parmi les
bienheureux. Les torches qui étaient répandues à profusion devant
le cortège, au milieu et tout autour, semblaient avoir changé la nuit
en jour.
On enleva le cercueil, et tour à tour les comtes et les chevaliers
le portèrent sur leurs épaules. Il était recouvert d’un drap de pourpre
et de soie, tout brodé d’or et de perles précieuses. Sur des coussins
non moins beaux et non moins richement ouvragés, gisait le
chevalier, revêtu d’un habit de même couleur et d’un travail exquis.
Le cortège était précédé de trois cents individus, pris parmi les
plus pauvres de la ville, et tous couverts de vêtements noirs et
retombant jusqu’à terre. Derrière le corps suivaient cent pages,
montés sur autant de chevaux choisis, et bons pour le combat.
Chevaux et pages marchaient balayant le sol de leurs habits de
deuil.
Devant et derrière le catafalque se déployaient de nombreuses
bannières aux couleurs éclatantes. Elles avaient été enlevées au
milieu de mille escadrons vaincus, et conquises sur César et sur
Pierre par le vaillant dont les forces gisaient maintenant éteintes. On
voyait aussi une multitude d’écuyers, portant les insignes des
illustres guerriers auxquels ces bannières avaient été enlevées.
Puis venaient cent et cent autres personnages, préposés aux
diverses cérémonies des funérailles. Ils portaient, comme les autres,
des torches allumées. Ils disparaissaient, plutôt qu’ils n’en étaient
vêtus, sous leurs vêtements noirs. Roland les suivait ; par moments,
ses yeux rouges et abattus se noyaient de larmes. Renaud venait,
non moins triste. Olivier avait été retenu sur son lit de douleur par
son pied brisé.
Il serait trop long de vous décrire, dans ces vers, toutes les
cérémonies qui eurent lieu, et de vous dire la quantité de vêtements
noirs ou de couleur sombre qui y furent employés, ainsi que le
nombre de torches allumées qui s’y consumèrent. En se rendant à
l’église cathédrale, le cortège, partout où il passait, arrachait des
larmes de tous les yeux. Tant de beauté, tant de bonté, tant de
jeunesse, émouvaient de pitié tous les sexes, tous les rangs, tous les
âges.
On plaça le corps dans l’église. Puis, quand les femmes eurent
versé sur lui des larmes impuissantes ; quand les prêtres eurent
chanté l’eleison ; quand toutes les autres saintes prières eurent été
dites, on le déposa sur un cercueil porté sur deux colonnes, et que
Roland fit recouvrir d’un riche drap d’or, en attendant qu’on pût le
mettre dans un sépulcre d’un plus grand prix.
Roland ne quitta point la Sicile avant d’avoir envoyé chercher les
porphyres et les albâtres, et fait faire sous ses yeux le dessin du
monument par les meilleurs maîtres de l’art qu’il paya grandement.
Puis, après le départ de Roland, Fleur-de-Lys fit dresser les plaques
commémoratives, et les grands pilastres qu’elle fit transporter des
rivages africains.
Voyant que ses larmes ne s’arrêtaient point, et que ses soupirs
continuaient plus que jamais à s’exhaler de son sein ; sentant que les
offices et les messes qu’elle faisait constamment ne parvenaient
point à calmer ses regrets, elle résolut de ne plus quitter ces lieux,
jusqu’à ce que son âme se séparât de son corps. Elle fit construire
une cellule dans le sépulcre même, s’y renferma, et y passa sa vie.
Outre les messagers et les lettres qu’il lui envoya, Roland vint en
personne pour l’emmener, lui proposant, si elle voulait revenir en
France, de lui donner pour compagne Galerane, et de lui servir une
riche pension ; si elle voulait retourner auprès de son père, il
l’accompagnerait jusqu’à Lizza ; enfin, si elle avait l’intention de se
consacrer à Dieu, il lui ferait bâtir un monastère.
Mais elle resta auprès du sépulcre, et là, consumée de regrets,
priant jour et nuit, elle vit avant peu le fil de sa vie coupé par les
Parques. Cependant les trois guerriers de France avaient quitté l’île
où les Cyclopes avaient creusé leurs antiques cavernes, affligés et
chagrins d’y avoir laissé leur quatrième compagnon.
Ils ne voulurent point partir sans emmener un médecin chargé de
prendre soin d’Olivier dont la blessure, mal soignée dans le principe,
était devenue très dangereuse. Le blessé poussait de tels
gémissements, qu’ils avaient tous de grandes craintes à son sujet.
Comme ils en parlaient entre eux, une idée vint au pilote qui la leur
communiqua, et cette idée leur plut à tous.
Il leur dit que, non loin de là, sur un écueil solitaire, vivait un
ermite auquel on n’avait jamais eu recours en vain, qu’il s’agît d’un
conseil à demander ou d’un secours à recevoir ; que cet ermite
accomplissait des actes surhumains ; qu’il rendait la lumière aux
aveugles, la vie aux morts, arrêtait le vent d’un signe de croix, et
apaisait la mer au plus fort de la tempête ;
Et qu’ils ne devaient point douter que, s’ils allaient trouver cet
homme si cher à Dieu, il ne leur rendît Olivier sain et sauf, car il avait
donné des signes plus merveilleux de son pouvoir. Ce conseil plut
tellement à Roland, que lui et ses compagnons se dirigèrent
immédiatement vers le saint lieu, et naviguant sans détourner un
instant la proue du droit chemin, ils aperçurent l’écueil au lever de
l’aurore.
A peine le navire eut-il été aperçu, que des marins expérimentés
l’abordèrent résolument, et aidèrent les serviteurs et les matelots à
descendre le marquis dans leur barque. Les chevaliers, portés sur les
ondes écumeuses, furent débarqués sur le rude écueil et conduits à
l’hôtellerie sainte, à la sainte hôtellerie où demeurait ce même
vieillard, par les mains duquel Roger avait reçu le baptême.
Le serviteur du maître du paradis reçut Roland et ses
compagnons d’un air joyeux, les bénit, et s’informa de leurs désirs,
bien qu’il eût eu avis de leur arrivée par les célestes héraults. Roland
lui répondit qu’il était venu pour réclamer des secours pour son cher
Olivier,
Qui, en combattant pour la Foi du Christ, avait été mis en grand
danger de mort. Le Saint lui enleva toute inquiétude, et lui promit de
guérir entièrement Olivier. Se trouvant dépourvu d’onguent, ignorant
du reste l’art de la médecine tel que le pratiquent les hommes, il alla
à l’église ; puis, après avoir prié le Sauveur, il en ressortit plein de
confiance ;
Et, au nom des trois Personnes éternelles, le Père, le Fils et le
Saint-Esprit, il donna la bénédiction à Olivier. O pouvoir que donne le
Christ à qui croit en lui ! le vieillard fit cesser complètement les
souffrances du chevalier, et lui remit le pied en bon état et plus
vigoureux, plus alerte que jamais. Sobrin fut témoin de ce miracle.
Sobrin souffrait tellement de ses blessures, que chaque jour il se
sentait plus mal. A peine a-t-il vu le grand et manifeste miracle du
saint moine, qu’il se décide à laisser de côté Mahomet et à confesser
le Christ comme le Dieu vivant et tout-puissant. D’un cœur consumé
par la foi, il demande à être initié à notre rite sacré.
L’homme juste le baptise et, par ses prières, lui rend toute sa
vigueur première. Roland et les autres chevaliers ne montrent pas
moins de joie d’une telle conversion, que de voir Olivier hors de
péril. Roger en eut plus de joie que les autres, et sa foi et sa
dévotion ne firent que s’en accroître.
Roger était resté sur cet écueil depuis le jour où il y avait abordé
à la nage. Au milieu de ces guerriers, le pieux vieillard allait et venait
plein de douceur, et les réconfortait entre temps dans le désir de
traverser, purs de toute fange et de toute souillure, ce défilé mortel
du monde qu’on appelle la vie, et qui plaît tant aux sots. Il leur disait
d’avoir sans cesse les yeux fixés sur le chemin du ciel.
Roland envoya un de ses gens sur le navire, et en fit rapporter du
pain, du bon vin, du fromage et du jambon, et à l’homme de Dieu
qui en avait oublié le goût, habitué qu’il était à ne se nourrir que de
fruits, on fit manger par charité de la viande, boire du vin, faire en
un mot comme tous les autres. Quand ils se furent restaurés, il
causèrent entre eux de beaucoup de choses.
Et comme il arrive souvent qu’en parlant, une chose en amène
une autre, Roger finit par être reconnu par Renaud, par Olivier, par
Roland, pour être ce Roger si excellent sous les armes, et dont la
vaillance était l’objet des éloges de tous. Renaud ne l’avait pas
reconnu, bien qu’il se fût déjà mesuré avec lui dans la lice.
Le roi Sobrin l’avait bien reconnu dès qu’il l’avait vu venir avec le
vieillard, mais, de peur de le compromettre, il avait cru devoir rester
muet. Mais quand chacun eut appris que c’était lui ce Roger dont
l’audace, la générosité et la grande vaillance étaient renommées
dans le monde entier,
Quand ils surent qu’il était déjà chrétien, ils vinrent tous à lui, le
visage joyeux et ouvert ; qui lui serre la main, qui le baise, qui le
serre dans ses bras. Le seigneur de Montauban lui fait plus de
caresses, et lui témoigne plus de considération que tous les autres.
Je me réserve de vous dire pourquoi dans l’autre chant, si vous
voulez bien venir m’écouter.