Hugo Roisné s’attaque à du lourd : Le béton. L’appareil à la main. Les yeux vers les hauteurs inaccessibles. À chaque capture, il tente, main d’acier oeil de velours, de désarmer le béton et de coffrer « le brut ». Diplômé d’architecture à Paris, il a travaillé ensuite sur le projet de la Fondation Luma de Frank Gehry à Arles. « Façadexture », série entamée lors de ses années de recherche, continue à se déployer. L’artiste y donne à voir ce qui relève d’un univers urbanistique de façade, celle-là même contenue dans l’architecture des bâtiments, les biens nommés, « brutalistes1» qui fleurissaient entre 1960 et 1980 un peu partout dans le monde. L’accent du photographe est mis sur l’expression graphique des élévations supérieures de ces bâtiments comme pour capturer un motif singulier en noir et blanc.
Ce que l’appareil photographique enclenche, un déclic de photographe chez l’architecte. Sa recherche se joue de l’œil : Compiler, recenser, extraire le rythme architectural présent dans les volumes de ces édifices. Il ne conserve visuellement que les éléments modulaires répétés à l’infini des bâtiments qu’il contemple. Il capte le substrat d’un bâtiment architecturé en évitant sciemment ce que pourrait être une photographie pour un catalogue d’architecture, qui n’en montrerait que le caractère massif des zones fonctionnelles articulées ensemble et regroupées pour former un tout unifié.
Hugo Roisné creuse la dualité entre la réalité et sa perception. Il prend et agrège le dessin en élévation de ces architectures massives et répétitives, déjà graphiques en elles-mêmes, en les déformant par un changement d’angles. Il dit chercher les « fractales » dans la répétition de ces modules identiques déformés par la perspective. Il touche à la traitrise de l’œil – et par là-même à la réduction de la raison – qui voit grand ce qui lui est proche et de plus en plus petit ce qui tend à s’éloigner. Le résultat ultra-géométrisé est abstrait, ce qui tend à dissiper la notion d’échelle entre la façade et sa texture. En accentuant ainsi la perspective, il révèle tout le surréel contenu dans le bâti.
Ce qu’est le béton, un composite mû par un désir de lier ensemble un agglomérat de minéraux. Aux origines édificieuses : Sable, Argile, Eau – et les fondations de Pompéi sont réveillés des cendres comme dans un sursaut prémonitoire où Faire se peut. On dit aujourd’hui du béton qu’il est honnête. Comme la lave, le béton coulé en surface est fait pour révéler la construction et la structure des matériaux qu’il recouvre.
Un courant d’air qui apporte le drame sur un terrain de bitume – Les édifices « brutalistes », ce sont de grandes structures anguleuses et solides en béton. Cette architecture spécifique aux allures de forteresse se décline aussi bien en bâtiments administratifs, universitaires, institutionnels qu’en logements pour répondre à la croissance soudaine des années 1950-1960. Elle hante une mémoire de ciment, celle du plan : taper sur du béton avec un marteau, cela prend du temps car les fissures ne viennent pas avec l’âge, rien ne saurait craqueler sous son épaisse couche. Depuis longtemps, on cherche l’issue de secours de nos inconscients.
À contrario des œuvres cinématographiques dont les architectures cimentent l’écran en décor dystopique (Alphaville – 1965 – Godard ; Fahrenheit 451 -1966 – Truffaut), l’artiste photographe ne s’intéresse ni à l’imposante démonstration autoritaire des bâtiments, ni à leur forme élancée ni aux ombres projetées qu’ils réverbèrent. Hugo Roisné sublime les motifs, bouscule les points de vue en les renversant comme pour en supprimer le poids. Il apporte la légèreté que ces architectures paraissaient avoir oublié de présenter en surface. Se camoufler la peau par du béton. Cela me fait penser que le béton se dessine à l’encre du 3D. Les maçons se numérisent. Quand l’architecte dessine un bâtiment, il répond à un programme, à une économie et une fonction en adéquation à un site. Tandis que lorsque le tatoueur répond à une commande, le site est alors fait de chair, le dessin réalisé naît de la rencontre de deux désirs. Dans les deux cas, il y a texture sur façade. C’est pour cela qu’Hugo Roisné juxtapose les deux pratiques, photographie et tatouage, appliquant dès lors le substrat révélé d’une photographie à la peau sensible.
1 « Le brutalisme » est utilisé par Alison et Peter Smithson comme une reprise du terme « béton brut » estimant que ces bâtiments pouvaient être revêtus que d’un seul matériel – le béton – pour en suggérer l’état cru. Laissés pour inachevé, les bâtiments « brutalistes » seront ensuite conceptualisés par le critique d’architecture anglais Reyner Banham.