Revue de l’histoire des
religions
Numéro 2 (2011)
Religion, secret et autorité
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Orkhan Mir-Kasimov
Techniques de garde du secret en
Islam
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Référence électronique
Orkhan Mir-Kasimov, « Techniques de garde du secret en Islam », Revue de l’histoire des religions [En
ligne], 2 | 2011, mis en ligne le 01 juin 2015. URL : http://rhr.revues.org/7775
DOI : en cours d'attribution
Éditeur : Armand Colin
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ORKHAN MIR-KASIMOV
The Institute of Ismaili Studies, London
Techniques de garde
du secret en Islam
Qu’est-ce que le secret, pourquoi et comment le garder ? Ces trois
questions structurent notre article : la notion de « secret métaphysique »
concerne l’objet du secret, les parties sur le secret « initiatique » et « politique » contiennent un aperçu des raisons et des techniques de garde du
secret en Islam. Cette analyse est suivie par une synthèse de la théorie et
des pratiques du secret dans les textes ḥurūfī, mouvement messianique iranien fondé dans la deuxième moitié du xive siècle.
Techniques of Secrecy in Islam
What is secrecy, and why and how it should be kept ? These three questions determine the structure of this article : the notion of “metaphysical
secrecy” is about the object of secrecy and the sections on “initiatory”
and “political” secrecy contain an overview of the reasons and techniques
of secret-keeping in Islam. This analysis is followed by a synthesis based
on the theory and techniques of secrecy in the texts of the Hurufi messianic
movement, founded in Iran in the second half of the 14th century.
Revue de l’histoire des religions, 228 – 2/2011, p. 265 à 287
SECRET MÉTAPHYSIQUE ET RECHERCHE SPIRITUELLE
« C’est Lui qui détient les clefs de l’Inconnaissable. Nul autre que
Lui ne les connaît » (Cor. 6 :59)1. Dans l’islam comme dans toute
autre religion, le secret est avant tout associé au mystère impénétrable de Dieu. Le Coran, en tant que Parole divine révélée dans une
langue humaine, en l’occurrence l’arabe, au prophète Muhammad,
en est le rappel permanent. Pour le croyant, le texte coranique est
chargé d’un potentiel immense. Certes, il comporte un sens obvie
apparent, mais aussi des sens cachés, et ne se prête pas toujours à
une lecture littérale. Incitant à chercher les significations plus profondes, il interpelle le vécu et l’expérience personnelle du lecteur2.
Selon un ḥadīth (propos attribué au prophète Muhammad) bien
connu, le Coran contient en effet sept niveaux de profondeur : « Le
Coran a un sens exotérique et un sens ésotérique. À son tour ce sens
ésotérique a un sens ésotérique, ainsi de suite, jusqu’à sept sens ésotériques (sept profondeurs de profondeur)3. »
Le texte coranique contient par ailleurs lui-même la mention de
deux types de discours, l’un clair et univoque, l’autre symbolique,
secret, dont les clés d’interprétation sont détenues par Dieu seul :
C’est Lui qui a fait descendre sur toi le Livre : il s’y trouve des versets sans équivoque [litt. « des versets fermes », muḥkamāt], qui sont
la Mère du Livre, et d’autres versets qui peuvent prêter à des interprétations diverses [litt. « ambigus, au sens changeant » (mutashābihāt)]. Les
gens, donc, qui ont au cœur une inclination vers l’égarement, mettent
l’accent sur les versets à équivoque, cherchant la dissension en essayant
de leur trouver une interprétation, alors que nul n’en connaît l’interprétation à part Dieu. Mais ceux qui sont bien enracinés dans la science
disent : « Nous y croyons : tout est de la part de notre Seigneur ! »4.
1. Nous nous appuyons sur la traduction du Coran de Muhammad Hamidullah, Beyrouth, Dar al-Bouraq, 2003.
2. Voir sur ce sujet l’étude classique de Louis Massignon, Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane, Paris, Vrin, 1968.
3. Traduction de Henry Corbin, in En islam iranien : aspects spirituels et philosophiques, Paris, Gallimard, 1972, vol. III, p. 217-218.
4. L’italique est nôtre. Une autre lecture de ce verset est également possible : « nul n’en connaît l’interprétation, à part Dieu et les enracinés dans la
TECHNIQUES DE GARDE DU SECRET EN ISLAM
267
Dans la théologie musulmane l’aspect caché, à jamais transcendant et inconnaissable de Dieu est désigné par les termes comme
essence (dhāt), invisible (ghayb), réalité intérieure (bāṭin) : « C’est
le Secret essentiel (sirr dhātī), le Tréfonds (kunh) que seul Dieu
connaît. Pour cette raison, ce Mystère est préservé des altérités
(aghyār) et reste caché aux intelligences (‘uqūl) et aux regards
(abṣār)5. »
Les hommes ne peuvent connaître de ce Secret que ce que Dieu
leur révèle. Un célèbre ḥadīth qudsī (propos où Dieu parle à la première personne) fait coïncider la révélation et la Création : elles
résultent toutes les deux de la même raison principale, qui est le
désir divin de se faire connaître : « J’étais un Trésor caché et Je
n’étais pas connu. Or j’ai aimé être connu. Je créai donc les créatures et Je les fis connaître par Moi. Alors elles Me connurent6. »
La connaissance humaine est ainsi nécessairement limitée.
Le Coran ne cesse pas de répéter que Dieu seul connaît tous les
secrets de la Création, ceux « des Cieux et de la Terre ». Même les
prophètes ne possèdent pas la totalité de la science divine. C’est
ainsi que, dans le Coran, Dieu fait dire à Muhammad : « Dis-leur
(aux mécréants) : “Je ne vous dis pas que je détiens les trésors
de Dieu, ni que je connais l’Inconnaissable, et je ne vous dis pas
que je suis un ange. Je ne fais que suivre ce qui m’est révélé” »
(Cor. 6 :50).
La distinction entre, d’un côté, l’aspect transcendant de Dieu, son
Essence et, de l’autre, Dieu révélé à travers ses Noms et ses Attributs dans l’ensemble de la Création est commune dans la théologie
musulmane7. Depuis les premiers siècles de l’islam, la question du
Science ». Cette lecture indiquerait donc l’existence de la catégorie particulière
des « enracinés dans la Science » qui détiennent les secrets de l’interprétation des
versets « ambigus » du Coran.
5. ‘Alī b. Muhammad al-Jurjānī, Kitāb al-ta‘rīfāt, traduction de Maurice
Gloton, Téhéran, Presses Universitaires d’Iran, 1994, p. 290, définition n° 1170,
« Al-ghayb al-maknūn ou al-ghayb al-maṣūn, Le Mystère protégé ou le NonManifesté immuable ».
6. Ibid., p. 330.
7. Nous ne pouvons pas, dans les limites de cet article, analyser les positions
des différents courants théologiques concernant la possibilité de connaître l’Essence
et les Attributs de Dieu. Pour avoir une idée de la diversité des approches à ce sujet,
et les références bibliographiques, voir par exemple Binyamin Abrahamov, « Faḫr
al-Dīn al-Rāzī on the Knowability of God’s Essence and Attributes », Arabica
49/2 (2002), p. 204-230.
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ORKHAN MIR-KASIMOV
rapport entre l’Essence et les Attributs, celle de la manifestation
du Transcendant et de l’Éternel dans le monde créé, visible et périssable, est devenue un des sujets centraux des débats théologiques.
En islam où, après un débat acharné, culminant avec l’Inquisition
(miḥna) au IXe siècle, le Coran en langue arabe est majoritairement
considéré comme la Parole de Dieu révélée, cette question a nécessairement reçu une coloration linguistique : comment est-il possible
que le Verbe divin s’exprime à travers la parole humaine, comme
cela se produit dans les messages prophétiques et dans les livres
sacrés8 ? Comment les réalités et les vérités transcendantes peuventelles être véhiculées par le langage humain, dont les concepts
relèvent du monde empirique ?
C’est dans le domaine de la mystique musulmane que l’interrogation sur la nature paradoxale du discours à la fois divin et humain a
été particulièrement approfondie. Comment dire l’indicible, décrire
l’invisible, exprimer l’inexprimable ? Quelle forme doit prendre le
discours du secret ? Les mystiques cherchaient la réponse en tentant
de reproduire l’expérience prophétique, de rétablir le contact direct
avec la source de la Révélation. Il en a résulté le shaṭḥ, le langage des
expressions paradoxales, outrancières, prononcées en état d’extase,
d’« ivresse spirituelle », lorsque la présence divine bouleverse l’ego
du mystique et s’exprime par sa bouche. L’un des exemples les plus
anciens et les plus connus du shaṭḥ est l’exclamation : « Gloire à
moi, combien grande est ma puissance ! » d’Abū Yazīd Basṭāmī
(IXe siècle). Nombre de ces locutions attribuées aux maîtres des premiers siècles de l’islam ont été réunies par Rūzbihān Baqlī Shīrāzī,
célèbre mystique iranien du XIIe siècle, dans son ouvrage intitulé
Sharḥ-i shaṭḥiyāt9. C’est aussi dans l’œuvre de Rūzbihān que nous
trouvons un développement significatif de la théorie de l’équivocité
intrinsèque de toute manifestation du divin. Cette équivocité est
caractérisée par deux aspects exprimés par deux termes, talbīs et
8. Pour les différentes approches du statut du Coran dans la société musulmane voir Alford T. Welch, « Al-Ḳur’ān », EI2, vol. V, surtout p. 428-429. Pour la
miḥna voir Martin Hinds, « Mi na », EI2. Sur la question du rapport entre la parole
divine et la parole prophétique voir William Graham, Divine Word and Prophetic
Word in Early Islam, La Haye-Paris, Mouton Publishers, 1977.
9. Ouvrage édité avec une introduction française par Henry Corbin, Commentaire sur les paradoxes des Soufis (Sharh-e Shathîyât), Téhéran-Paris, département
d’Iranologie de l’Institut franco-iranien – Adrien Maisonneuve, 1966.
TECHNIQUES DE GARDE DU SECRET EN ISLAM
269
iltibās, dérivés de la même racine arabe avec une connotation de
« travestissement10 ».
Outre le langage paradoxal du shaṭḥ, la mystique musulmane
a élaboré, à des époques plus tardives, d’autres types de discours
résultant de la confrontation d’un vécu spirituel avec les moyens du
langage ordinaire. Un exemple particulièrement intéressant en est la
poésie mystique persane. Son langage spécifique, développé dans
les ouvrages des grands maîtres, de Sanā’ī Ghaznavī (m. 1151) à
‘Abd al-Ra mān Jāmī (m. 1492), a atteint son point culminant dans
l’œuvre de āfiẓ Shīrāzī (m. 1389) significativement surnommé « la
langue de l’invisible » (lisān al-ghayb). Graduellement, le langage
de la poésie mystique persane parvient à adapter le vocabulaire du
langage quotidien le plus ordinaire et celui de la poésie profane au
discours portant sur les réalités métaphysiques. Dès lors, cette poésie
peut être lue à plusieurs niveaux. Un lecteur non averti la lira au pied
de la lettre et restera au niveau de la poésie profane ; mais un lecteur
avancé dans la pratique spirituelle y découvrira d’autres profondeurs.
L’un des textes les plus importants, à la fois poétique et théorique,
sur le fonctionnement de cette transmutation sémantique opérée
au sein du langage est probablement le Sawāniḥ (« Inspirations »)
d’Ahmad Ghazālī (m. 1126)11. Voici comment cet auteur formule
l’idée d’expression des réalités contemplées par le mystique engagé
dans la voie de l’Amour divin par les mots du langage ordinaire :
Ces notes [sont] divisées en quelques chapitres relatifs aux significations [que fait naître] l’amour [mystique]. Cependant, le récit de
l’amour ne peut pas être contenu dans les mots et dans les expressions
[du langage ordinaire], parce que les significations [qu’il contient] sont
[comme les] vierges dont la main des mots est incapable d’atteindre
le bout du voile. Bien que notre tâche consiste à marier les vierges
des significations aux hommes des mots dans l’intimité des chambres
de la parole, les expressions dont se compose ce récit [ne] sont [que]
des allusions aux différentes significations [ainsi dissimulées] derrière
l’incertitude. Mais cette incertitude [n’existe] en réalité que pour celui
qui est privé de l’intuition (litt. « goût », dhawq) spirituelle. Le récit
10. Pour la théorie de l’équivocité chez Rūzbihān voir l’étude de Paul
Ballanfat, Quatre traités inédits de Rūzbihān Baqlī Shīrāzī, Institut Français de
Recherche en Iran, Téhéran, 1998, p. 181-201.
11. Texte persan édité par Helmut Ritter, sous le titre Aḥmad Ghazzālī’s
Aphorismen über die Liebe, Istanbul, Maṭba‘a-yi Ma‘ārif, 1942. Traduit en anglais
par Nasrollah Pourjavady, sous le titre Sawānīḥ, Inspirations from the World of
Pure Spirits, Londres, Kegan Paul, 1986. Sur A mad Ghazālī et son œuvre, voir
aussi Nasrollah Pourjavady, Sulṭān-i ṭarīqat, Téhéran, Agāh, 1358/1979.
270
ORKHAN MIR-KASIMOV
se divise ainsi en deux récits : l’un est celui des [significations auxquelles] font allusion les expressions, l’autre, ce sont les expressions
[qui traduisent] les allusions. Au cœur des mots [il y a] les tranchants
des épées, mais ils sont invisibles sauf à l’œil de la vision spirituelle.
Si donc, dans ces chapitres, il y a les choses incompréhensibles, elles
font partie [de ces significations cachées]12.
Parallèlement au développement du langage symbolique de
la poésie mystique prend forme la conception philosophique du
Monde des Images ou, d’après l’expression de Henry Corbin, du
« Monde Imaginal » (ālam al-mithāl), celui de l’Imagination créatrice (ālam al-khayāl). Parmi les penseurs qui ont contribué à l’élaboration de cette conception on peut citer des grands noms comme
Abū Nasr al-Fārābī (m. 950), Avicenne (m. 1037), Shihāb al-Dīn
Yahyà Suhrawardī (m. 1191), Ibn ‘Arabī (m. 1240). Le Monde des
Images est un monde intermédiaire où se rencontrent les réalités
invisibles du monde supérieur et les images du monde sensible. Il
peut être atteint au moyen de l’imagination active, une faculté particulière qui est, par rapport aux images du Monde Imaginal, ce que
les yeux sont par rapport aux objets du monde physique. L’idée est
très proche de celle qu’exprime Ahmad Ghazālī dans le texte que
nous venons de citer. Pour reprendre ses termes, nous pouvons dire
que c’est dans le Monde des Images qu’a lieu le « mariage » des
significations spirituelles invisibles avec les mots et les expressions
qui se réfèrent au monde de l’expérience sensible. Cependant, pour
les philosophes et mystiques, la signification spirituelle revêtue par
les images du monde physique dans le Monde Imaginal n’est nullement arbitraire ou fantaisiste – il s’agit, au contraire, du sens le plus
vrai, archétypique et essentiel de ces images, qui reste caché dans le
monde sensible derrière les apparences et les conventions. Le mystique n’a ainsi besoin de recourir à aucun « code » ou « chiffre »
artificiel pour assigner aux mots du langage ordinaire des acceptions philosophiques ou spirituelles – ces dernières s’y trouvent
attachées naturellement et sans aucune ambiguïté pour quiconque
possède l’Imagination créatrice, où, comme le dit A mad Ghazālī,
le « goût » spirituel.
En ce qui concerne la poésie mystique persane, ce caractère
régulier, non-arbitraire de la transposition sémantique du lexique
ordinaire opérée au niveau du Monde Imaginal, a rendu possible,
12. Sawāniḥ, édition de Helmut Ritter, p. 2, la traduction française est nôtre.
TECHNIQUES DE GARDE DU SECRET EN ISLAM
271
à des époques plus tardives, la composition de véritables « dictionnaires » qui spécifient le sens métaphysique du lexique utilisé par
les poètes. Voici quelques exemples tirés de l’un de ces « dictionnaires », un texte anonyme intitulé Mir’āt-i ‘ushshāq (« Miroir des
amoureux »), datant probablement du XVIe siècle13 :
Geste amoureux : on appelle ainsi l’attention bienveillante que
Dieu accorde à l’itinérant, en assurant ainsi les conditions nécessaires
pour attirer le cœur de ce dernier vers la Réalité.
Fleur : c’est le résultat de la connaissance qui éclot dans la plaine
du cœur du gnostique.
Joyau : on nomme ainsi le sens véridique, que l’itinérant extrait des
coquilles de la parole et de l’expression.
Cil : on désigne ainsi la négligence dont fait preuve le gnostique
dans ses actes, en ne le soumettant pas à son regard intérieur.
Cloche : c’est la convocation et la direction communiquées aux
facultés de l’âme et aux désirs se produisant chez un être humain afin
de l’amener à la perception des plaisirs spirituels.
Débauche : on appelle ainsi la délivrance et l’exemption volontaire
de l’itinérant de l’ensemble des liens le rattachant à son être relatif.
Dans les exemples que nous venons de citer, les secrets de la
Révélation et de la Parole divine ne font l’objet d’aucune démarche
volontaire pour être gardés. Dans la mesure où il est impossible de
réaliser la portée véritable des propos paradoxaux des mystiques
sans avoir vécu l’expérience qui les a engendrés, de pénétrer les
significations profondes du langage poétique sans l’imagination
active, le secret métaphysique se charge en quelque sorte de sa
propre conservation. Il est impossible d’accéder à ce secret sans
s’en rendre digne, et Dieu seul, en dernière instance, décide à qui
il sera dévoilé. Cette attitude d’« activité passive », lorsque le mystique s’efforce de se purifier et de rester en éveil dans l’attente
d’une révélation, peut être illustrée par le verset coranique suivant :
« Et ils disent : “Que ne fait-on descendre sur lui (Muhammad) un
miracle de son Seigneur ?” Alors, dis : “L’inconnaissable relève
seulement de Dieu. Attendez donc ; je serai avec vous parmi ceux
qui attendent” » (Cor. 10 :20).
13. Texte persan publié d’après le manuscrit unique du musée asiatique de
Saint-Pétersbourg par Evgeni Edouardovitch Bertels, in С
ая
е а
а (« Soufisme et littérature soufie »), Moscou, Naouka, 1965, p. 126178. Sa traduction intégrale en français a été l’objet de notre diplôme de l’École
Pratique des Hautes Études : Orkhan Mir-Kasimov, Réflexions sur le lexique technique de la poésie mystique persane, Paris, EPHE, 1997. Un exemplaire est disponible à la bibliothèque de la Section des sciences religieuses.
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ORKHAN MIR-KASIMOV
SECRET INITIATIQUE ET HOMME-DIEU
Outre la relation directe et personnelle entre Dieu et le chercheur
de vérité, l’islam connaît aussi un autre mode d’économie du secret
que nous pouvons appeler le « secret initiatique », c’est-à-dire le
secret qui n’est pas, même potentiellement, accessible au commun
des hommes, mais dont la garde et la transmission incombent à une
personne spécialement habilitée. Ainsi, un Guide, investi de connaissances et de pouvoirs extraordinaires, remplit dans cette optique le
rôle d’intermédiaire entre Dieu et les croyants qui sont aptes à recevoir la connaissance supérieure.
Certains versets coraniques peuvent en effet être interprétés – et
l’ont été au cours de l’histoire par les différents courants islamiques
– comme des allusions à ce type de secret, aux personnes ou aux
catégories de personnes qui sont investies par Dieu d’un statut ou
d’une connaissance particulière et qui peuvent, de ce fait, servir
d’intermédiaires entre Dieu et le reste des hommes. Nous avons cité
ci-dessus le verset (Cor. 3 :7, cf. supra note 4) dont une des lectures
possibles désigne la catégorie des « enracinés dans la science » qui,
seuls parmi les hommes, partagent avec Dieu la connaissance de
la vraie interprétation des versets ambigus du Coran. Il y a aussi
l’épisode où Dieu crée Adam pour être son « lieutenant » (khalīfa)
sur terre (Cor. 2 :30-34). Il apprend ensuite à Adam les noms des
choses nouvellement créées, en lui enjoignant de transmettre cette
connaissance aux anges. Adam remplit ainsi la fonction d’intermédiaire dans la transmission de la connaissance divine, et les anges se
prosternent devant Adam, « à l’exception d’Iblīs (Satan) qui refusa,
s’enfla d’orgueil et fut parmi les infidèles ». Jésus a également un
statut particulier dans le Coran : « Le Messie Jésus, fils de Marie,
est un envoyé de Dieu, Son Verbe qu’Il envoya à Marie, et un Esprit
venant de Lui » (Cor. 4 :171).
Qui plus est, le Coran contient également tout un lexique donnant
une image anthropomorphe de Dieu Lui-même, image corroborée
par les ḥadīth (propos remontant au Prophète et à ses Compagnons).
Dieu a des mains, des jambes, des pieds, des yeux, des oreilles ; Il
entend, voit, rit, se met en colère14. Certains de ces propos, large14. Pour les anthropomorphismes dans la tradition musulmane, voir l’ouvrage
de Daniel Gimaret, Dieu à l’image de l’homme : les anthropomorphismes de la
sunna et leur interprétation par les théologiens, Paris, Éditions du Cerf, 1977.
TECHNIQUES DE GARDE DU SECRET EN ISLAM
273
ment commentés, tant dans les débats théologiques que dans la littérature mystique, parlent ouvertement de Dieu se manifestant sous
une forme corporelle humaine : les déclarations telles que « Dieu
a créé Adam selon Sa forme », et « j’ai vu mon Seigneur sous la
forme d’un jeune homme imberbe, aux cheveux frisés, et vêtu d’un
costume vert » en sont des exemples15.
L’autorité du texte coranique, fondement scripturaire de l’islam,
ne pouvait évidemment être mise en doute. Mais l’interprétation du
lexique et des propos anthropomorphiques a divisé les théologiens
en deux camps opposés, les « littéralistes » et les « anti-littéralistes »
selon l’expression de D. Gimaret16. Les premiers soutenaient que
tous les propos provenant de sources sûres et faisant partie de la
Tradition doivent être pris au pied de la lettre, sans essayer de les
comprendre ou de les interpréter. Les seconds rejetaient ce point
de vue en disant qu’il est impossible d’assimiler Dieu à la Création
en admettant qu’Il peut avoir un corps ou des membres semblables
à ceux de l’homme. Le lexique anthropomorphique du Coran doit
donc être pris dans un sens métaphorique, par exemple, par « main
de Dieu » il faut comprendre « puissance de Dieu ». Globalement,
c’est la vision « anti-littéraliste » qui a prédominé, en imposant une
certaine censure sur les données du Coran et de la tradition prophétique. Pour autant, la position « littéraliste » n’a pas disparu de la
pensée islamique. Elle a connu un développement notable dans les
courants existant en dehors de l’Islam « officiel », dans la mystique
et la philosophie, et est parvenue, sous différentes formes doctrinales, jusqu’à nos jours.
Déjà aux premiers siècles de l’hégire, certains courants islamiques ont développé à l’extrême la thèse de l’anthropomorphisme
en actualisant dans le contexte islamique l’idée antique de divinité
de l’homme. Il ne s’agit pas évidemment d’un homme ordinaire,
mais de l’Homme avec une majuscule, l’homme qui est véritablement l’image, l’aspect visible, connaissable de Dieu, la personnification des Noms et des Attributs divins. Cet Homme-Dieu est
ontologiquement le lieu et la forme de manifestation du secret méta15. Pour le texte et les variantes de ces traditions, voir D. Gimaret, op. cit.,
p. 123-137 et 154-165.
16. Cette présentation est évidemment très générale. Pour le problème
terminologique de désignation des deux camps, voir par exemple D. Gimaret,
op. cit., p. 10.
274
ORKHAN MIR-KASIMOV
physique, l’intermédiaire entre Dieu inconnaissable et le monde
créé. Il s’incarne dans les personnages historiques qui sont, de ce
fait, les véritables guides de l’humanité.
Selon toute vraisemblance, l’idée de l’Homme-Dieu faisait partie
des doctrines anciennes de l’islam chiite, la plus grande et la plus
ancienne « minorité » de l’islam. Elle fonde en effet le statut ontologique de l’imām, sage Guide détenteur d’une connaissance initiatique17. En tant qu’incarnations de l’Homme-Dieu archétypique,
les imāms historiques non seulement possèdent, mais sont euxmêmes, d’après leur création, la connaissance suprême, la Face
visible de Dieu. Ils le déclarent d’ailleurs eux-mêmes dans les
propos qui leur sont attribués, propos qui rappellent les shaṭḥiyāt
des mystiques extatiques que nous avons mentionnés plus haut :
« Nous sommes l’Œil de Dieu, nous sommes la Main de Dieu, nous
sommes la Face de Dieu, nous sommes Son Côté, Son Cœur, Sa
Langue, Son Oreille18. » Connaître l’imām revient donc à pénétrer
le secret de la connaissance divine. Cette idée est exprimée déjà
dans les compilations les plus anciennes des propos attribués aux
imāms, comme Kitāb baṣā’ir al-darajāt d’al- affār al-Qummī (m.
902-3) : « Celui qui nous connaît, connaît Dieu, et celui qui nous
méconnaît, méconnaît Dieu19. »
La fonction principale des imāms est de préserver l’influx de la
connaissance sacrée après la mort du prophète Muhammad et de
rendre disponible la signification profonde du message prophétique,
sa dimension secrète. Autrement dit, si Muhammad était chargé de
faire « descendre » (tanzīl) la lettre de la révélation, la tâche des
imāms consiste à la faire « remonter » (ta’wīl) à son origine dans le
Verbe divin. De ce fait, ils possèdent la science de l’interprétation du
Coran et des livres sacrés antérieurs, la science de leurs significations
originelles telles qu’elles sont contenues dans la Parole de Dieu.
Il est intéressant d’observer que la transmission de la connaissance secrète, s’effectuant dans la lignée des imāms chiites histo17. Muhammad Ali Amir-Moezzi, Le Guide divin dans le shī‘isme originel :
aux sources de l’ésotérisme en Islam, Lagrasse, Verdier, 1992, particulièrement
p. 73-112 ; idem, « Aspects de l’imāmologie duodécimaine I : remarques sur la
divinité de l’imām », Studia Iranica, 25 (1996), p. 193-215.
18. M. A. Amir-Moezzi, « Remarques sur la divinité de l’imām », art. cité,
p. 200.
19. Ibid., p. 201.
TECHNIQUES DE GARDE DU SECRET EN ISLAM
275
riques qui remonte à ‘Alī b. Abī ālib, cousin et gendre du prophète,
et à Fāṭima, fille de Muhammad, est souvent décrite en des termes
qui évoquent une substance. Cette connaissance est difficile à porter : « Notre cause est difficile, lourde à assumer ; seuls le peuvent
un Ange du plus haut rang, un prophète envoyé, ou un croyant fidèle
dont Dieu a éprouvé le cœur pour la foi20. » Elle constitue un secret
confié aux imāms par Dieu, qui ne peut être transmis qu’aux fidèles
qui sont créés exprès à cette fin, et qui sont seuls à pouvoir le porter.
Les autres humains, destinés à l’Enfer, sont incapables d’assimiler
ce secret :
Notre cause est difficile… En vérité, nous (les imâms) tenons de
Dieu un secret, un secret dont Dieu n’imposa le fardeau à personne
d’autre que nous. Puis il nous ordonna de le transmettre. Nous le transmettons. Mais nous n’aurions trouvé personne qui en fût digne, personne à qui confier le dépôt et qui fût capable de le porter, avant que
Dieu n’eût créé à cette fin certains hommes qui furent créés de l’argile
de Muhammad et de sa postérité… Nous leur transmettons, de par
Dieu, ce que nous avons l’ordre de transmettre. Ils l’accueillent et le
supportent ; leurs cœurs n’en sont pas troublés. Leurs esprits sont en
sympathie avec notre secret ; ils tendent spontanément à la compréhension spirituelle de ce que nous sommes ; spontanément ils s’enquièrent
de notre cause. Mais Dieu a créé aussi des gens qui appartiennent à
l’Enfer. Nous avons l’ordre de leur transmettre la même chose. Nous
la leur transmettons donc. Mais leurs cœurs se renfrognent devant
notre secret ; ils s’en effarouchent et nous le renvoient avec un refus ;
incapables de le supporter, ils crient au mensonge. Dieu a mis une
empreinte sur leurs cœurs. Leurs langues articulent une part de vérité ;
ils en énoncent la formule, mais leurs cœurs la rejettent21.
Dieu a donc effacé l’enseignement des imāms des mémoires
des non-chiites et a ordonné aux imāms de dissimuler leur connaissance de ces gens, ce que les imāms recommandent aussi à leurs
disciples22. D’autres traditions précisent la condition de compatibilité des substances, des « argiles » (notamment la co-substantialité
20. Propos attribué à plusieurs imāms, traduit par H. Corbin, En Islam iranien, op. cit., vol. I, p. 14.
21. Propos attribués à Ja‘far al- ādiq (m. 699 ou 702-765), VIe imām, traduit
par H. Corbin, En Islam iranien, op. cit., vol. I, p. 51-52, d’après Kitāb riyāḍ aljannān de Faḍlallāh Ma mūd al-Fārsī.
22. Il s’agit apparemment d’une version de ce même propos, différente
de celle utilisée par H. Corbin, résumée par Etan Kohlberg, « Taqiyya in Shī‘ī
Theology and Religion », in Hans G. Kippenberg, Guy G. Stroumsa (éd.), Secrecy
and Concealment, Leiden-New York-Cologne, Brill, 1995, p. 368-369, d’après
Abū Ja‘far al-Kulaynī, al-Kāfī, Téhéran, 1375-77/1956-1958, vol. I, p. 402, n° 5.
276
ORKHAN MIR-KASIMOV
entre le corps de l’imām et le cœur du disciple) nécessaire pour la
transmission du secret23.
La connaissance que possèdent les imāms ne peut donc pas être
révélée à tout un chacun, non seulement pour des raisons tactiques
et politiques – nous y reviendrons –, mais aussi pour des raisons
qui relèvent de la nature même de cette connaissance. Identique,
comme nous l’avons dit, à l’être même de l’imām en tant que lieu
de manifestation des Attributs divins, cette connaissance est un
secret protégé et réservé à une minorité d’initiés. Plusieurs propos
attribués aux imāms en témoignent, comme par exemple celui-ci :
« Notre doctrine est un secret contenu dans un secret, un secret bien
protégé, un secret dont ne profite qu’un secret, un secret voilé par
un secret24. »
Ce caractère de la doctrine explique pourquoi la discipline de
l’arcane (taqiyya) devient une des composantes centrales de la foi
chiite. Nous reviendrons sur les manifestations extérieures de la
taqiyya.
SECRET INITIATIQUE : DIMENSION POLITIQUE
Outre les raisons d’ordre ontologique, liées à la nature même de la
connaissance sacrée, le maintien du secret en islam s’imposait aussi
– et peut-être surtout – pour des raisons d’ordre politique et social.
En effet, nombre de grands maîtres de tendance « extatique » ont
subi les persécutions. Leurs propos spontanés et paradoxaux s’inscrivaient mal dans une atmosphère marquée par le renforcement de
la théologie dialectique avec son appareil rationnel. En 877, Abū’l
usayn al-Nūrī (m. 907) et d’autres soufis bagdadiens ont été appelés à rendre compte de leurs doctrines, surtout sur la question de la
relation amoureuse avec Dieu qui a scandalisé certains théologiens
(Ghulam Khalil, m. 888). Après le procès et l’exécution de Man ūr
23. Cf. par exemple le ḥadīth au sujet de la co-substantialité du corps de
l’imām et du cœur du fidèle, M. A. Amir-Moezzi, Le Guide divin, op. cit., note 194
p. 96-97 ; idem, « Seul l’Homme de Dieu est humain. Théologie et anthropologie
mystique à travers l’exégèse imamite ancienne », Arabica, XLV/3 (1998), p. 200
et sqq.
24. Baṣā’ir al-darajāt, propos attribué à Ja‘far al- ādiq, traduit par M. A. AmirMoezzi, « Notes à propos de la walāya imamite », in Religion discrète, Paris,
Vrin, 2006, p. 193.
TECHNIQUES DE GARDE DU SECRET EN ISLAM
277
al- allāj (m. 922), figure légendaire de la mystique musulmane, le
soufisme est dominé par le courant « sobre », observant strictement
la discrétion et le secret25. La tendance extatique ne disparaît pas,
mais opte désormais pour les formes d’expression plus discrètes,
comme le langage de la poésie mystique persane dont nous avons
parlé plus haut, où le contenu métaphysique est voilé par l’utilisation du lexique ordinaire tout à fait profane.
Même s’ils la justifiaient, les maîtres de la tendance « sobre »
n’approuvaient pas toujours l’attitude des mystiques « extatiques »,
considérant leur propos comme un signe d’immaturité spirituelle,
la divulgation d’une vérité intime qui devait rester entre Dieu et
le fidèle. Selon ce point de vue, le devoir de préserver le secret a
donc aussi une dimension éthique : le degré spirituel atteint par le
mystique peut être reconnu par ceux qui sont parvenus au même
degré, mais doit rester invisible aux gens ordinaires. La divulgation publique de ce secret devant des gens qui sont incapables de le
comprendre et de l’apprécier à sa juste valeur ne peut mener qu’à
des malentendus. Les malāmatī, « gens du blâme », allaient jusqu’à
provoquer volontairement la désapprobation sociale et acquérir une
mauvaise réputation pour cacher leur perfection spirituelle26.
C’est probablement ainsi que le mot shaṭḥ, locution théopathique
paradoxale, acquière peu à peu, au moins au sein de certains courants de la mystique musulmane, une connotation négative que nous
trouvons dans le Livre des définitions d’al-Jurjānī, savant musulman
du XIVe siècle cité ci-dessus :
Al-shaṭḥ – Le propos risqué. C’est toute parole dont il émane un
souffle de sottise ou d’inconstance et de prétention. Ce propos constitue un manquement chez les êtres de réalisation spirituelle. C’est une
prétention à un droit que le gnostique exprime sans autorisation divine,
par recherche consciente de la renommée27.
Dans le milieu des minorités islamiques, notamment dans les différentes branches du chiisme, la nécessité de la préservation du secret
pour des raisons politiques s’imposa dès les premiers siècles de l’islam.
25. Pour ces procès, voir par exemple Carl Ernst, Words of Extasy in Sufism,
Albany, State University of New York Press, 1985, p. 97-117.
26. Sur les malāmatī, voir Abd al-Ra mān al-Sulamī, Risālat al-malāmatiyya,
traduit par Roger Deladrière, Paris, Arléa, 1991.
27. ‘Alī b. Muhammad al-Jurjānī, Kitāb al-ta‘rīfāt, op. cit., p. 233, définition
n° 891.
278
ORKHAN MIR-KASIMOV
L’idée de l’Homme-Dieu, investi d’une connaissance supérieure, et
celle de la continuation de la prophétie dans la lignée des imāms
chiites qui, de ce fait, étaient considérés par leurs fidèles comme les
seuls guides légitimes de la communauté musulmane, constituaient
évidemment une menace très réelle pour le pouvoir califal. Même si
les imāms historiques s’efforçaient de se tenir à l’écart de la politique
– surtout après la mort tragique du troisième imām, al- usayn, petitfils du Prophète soupçonné d’être impliqué dans un complot contre le
calife régnant et tué à Karbala en 680 –, les révoltes chiites secouaient
le jeune empire musulman et ont continué à rester l’un des facteurs
les plus importants de l’opposition au pouvoir du calife au cours de
l’histoire. Le changement de dynastie califale qui se produisit en 750,
lorsque les Abbasides renversèrent les Umayyades, s’appuyait largement sur ce mouvement de contestation. L’État fatimide (909-1171),
fondé par les chiites de la branche ismaélienne et gouverné par les
imāms vivants, prétendait avoir réalisé le gouvernement juste, appelé
à remplacer celui du calife de Bagdad. Ce dernier a été en effet destitué, non par les Fatimides, mais par les Mongols qui prirent Bagdad
en 1258. Le coup porté à l’islam majoritaire dont le calife fondait la
légitimité ouvrit de nouvelles perspectives aux aspirations politiques
des divers groupes chiites et crypto-chiites de cette période, dont émergea finalement, au début du XVIe siècle, la dynastie des Safavides, instaurant le chiisme duodécimain comme religion officielle de l’Iran.
Dans ce contexte de lutte permanente, les chefs des mouvements
« minoritaires » étaient confrontés, dès les premiers siècles de
l’islam, à la nécessité de dissimuler leurs enseignements, pour éviter
à la fois les malentendus théologiques et les persécutions politiques.
Dans le chiisme, la notion de taqiyya, désignant la dissimulation
intentionnelle de données doctrinales, de croyances et parfois de
l’identité des imāms, est devenue, dès l’époque des imāms historiques, un véritable article de foi chiite. Les propos attribués aux
imāms sont catégoriques : « Celui qui propage notre tradition n’est
pas des nôtres ; il nous a tués délibérément, et non pas involontairement » ; « La taqiyya est notre religion et celle de nos pères : celui
qui n’observe pas la taqiyya, n’a pas de religion28. »
28. Pour les références à ce propos, voir E. Kohlberg, « Taqiyya », art. cité,
p. 352 et 356. Le dernier propos est attribué à l’imām Ja‘far al- ādiq.
TECHNIQUES DE GARDE DU SECRET EN ISLAM
279
Cette dissimulation concerne autant la transmission orale de la
connaissance que les enseignements écrits. La dissimulation orale
consiste essentiellement en une approche sélective des interlocuteurs : la connaissance destinée aux initiés ne doit pas être divulguée aux profanes. La dissimulation des enseignements écrits posait,
quant à elle, des problèmes spécifiques, car ces écrits pouvaient
tomber entre toutes les mains. D’où l’utilisation de différentes techniques de cryptage, destinées à interdire au premier venu l’accès au
contenu des textes, de façon que seules les personnes ayant la clé du
code – ou celles suffisamment motivées pour fournir le travail considérable requis pour le déchiffrer –, puissent le lire. Les compilations
des anciennes traditions chiites ainsi que des textes alchimiques
attribués au légendaire Jābir b. ayyān, disciple de Ja‘far al- ādiq,
contiennent des exemples de la technique appelée « dispersion de
la science » (tabdīd al-‘ilm). Cette technique implique la fragmentation et la dispersion intentionnelle des données doctrinales dans différents endroits du texte29. Un vocabulaire spécial était utilisé par les
auteurs chiites dans leurs commentaires coraniques, pour masquer
les sujets de discorde aux yeux de la majorité sunnite30. L’utilisation
de signes spécifiques, d’écritures anciennes, comme les alphabets
nabatéen et sud-arabique est attestée dans certains textes ismaéliens
et nu ayrī31.
S’ajoutant parfois à l’indisponibilité de textes jalousement gardés par les adeptes, l’application de ces techniques de dissimulation
est l’une des raisons pour lesquelles les doctrines de certaines minorités musulmanes sont encore très peu connues.
29. Sur cette technique, voir M. A. Amir-Moezzi, Le Guide divin, op. cit.,
p. 124, 307.
30. Cf. Meir Bar-Asher, Scripture and Exegesis in Early Imāmī Shiism,
Leiden-Boston-Cologne, Brill, 1999, p. 113-120.
31. Voir Meir Bar-Asher, « Outlines of Early Ismā‘īlī-Fāṭimid Qur’ān
Exegesis », Journal asiatique, 296/2 (2008), p. 257-295 ; Yaron Friedman, The
Nuṣayrī-‘Alawīs, Leiden-Boston, Brill, 2010, p. 281-284 ; Daniel De Smet, « L’alphabet secret des ismaéliens ou la force magique de l’écriture », in Charmes et sortilèges. Magie et magiciens, Res Orientales, vol. XIV, 2002, p. 51-60 ; Rudolf
Strothmann, Gnosis-Texte der Ismailiten, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen,
1943, introduction, p. 60-61 ; idem, Kitābu‘l-kashf of Ja’far b. Manṣūri’l-Yaman,
Oxford University Press, Londres-New York-Bombay, 1952, introduction, p. 1631. Sur l’utilisation de l’écriture secrète dans les ouvrages d’Ibn al-‘Arabī (m.
1240), voir également Gerald T. Elmore, Islamic Sainthood in the Fullness of
Time, Brill, Leiden-Boston-Cologne, 1999, p. 574-588.
280
ORKHAN MIR-KASIMOV
DISSIMULER POUR RÉVÉLER, BRISER POUR RECONSTRUIRE LE SENS :
H
. URŪFĪ
IDÉE ET TECHNIQUES DU SECRET DANS LES TEXTES
Le mouvement urūfī, étymologiquement « lettriste » (de ḥarf
pl. ḥurūf, « lettre » en arabe) est un mouvement à tendance messianique fondé en Iran dans la deuxième moitié du XIVe siècle par
Faḍlallāh Astarābādī (m. 1394)32. Comme beaucoup de mouvements similaires qui émergent en Iran à cette époque, le hurufisme
combine des éléments provenant de différents courants islamiques,
notamment du chiisme et du soufisme.
Le hurufisme a évolué à une époque particulièrement agitée, marquée par une lutte violente entre maisons rivales se disputant des
sphères d’influence en Iran. Convaincu de la vocation messianique
de son enseignement, Faḍlallāh a cherché à faire accepter ses doctrines par les puissances politiques. Cette stratégie a été poursuivie
après sa mort par ses enfants et ses disciples. Outre des prises de
parti dangereuses, les urūfī sont entrés en conflit direct avec le
clergé « officiel ». Ce dernier a toujours eu le dessus : c’est pourquoi la courte histoire des urūfī en tant que courant indépendant
est jalonnée de persécutions et de massacres. Selon toute vraisemblance, les techniques du secret que nous trouvons dans les textes
urūfī ont été développées, dans ces conditions d’oppression, pour
sauvegarder et transmettre la doctrine. Il nous semble utile de rappeler ici ces techniques en rapport avec les types de secret évoqués
en amont33.
Tout d’abord, le lien avec le secret « métaphysique » est d’une
importance capitale pour instaurer l’autorité spirituelle du fondateur : les textes des auteurs urūfī insistent sur le fait que Faḍlallāh
détenait son enseignement directement d’une source surnaturelle.
À la suite d’une série de rêves à portée initiatique, il a reçu progres32. Pour une présentation générale de ce mouvement, voir par exemple
Shahzad Bashir, Fazlallah Astarabadi and the Hurufis, Oxford, Oneworld, 2005 ;
Abdülbaki Gölpinarli, « Faḍl Allāh urūfī », EI2, vol. II (1977), p. 751-754 ;
Hamid Algar, « Horufism », Encyclopaedia Iranica, New York, vol. XII (2004),
p. 483-490 ; Alessandro Bausani, « urūfiyya », EI2, vol. III (1975), p. 620-622 ;
Helmut Ritter, « Studien zur Geschichte der islamischen Frömmigkeit – II, Die
Anfänge der urūfīsekte », Oriens, vol. 7, n° 1 (1954), p. 1-54.
33. Pour une description plus précise des techniques de dissimulation dans
les textes urūfī, voir Orkhan Mir-Kasimov, « Étude de textes urūfī anciens :
l’œuvre fondatrice de Faḍlallāh Astarābādī », position de thèse, Revue de l’histoire
des religions, 226 (2009), p. 246-260.
TECHNIQUES DE GARDE DU SECRET EN ISLAM
281
sivement la connaissance de la science du ta’wīl, soit de l’exégèse
au sens large. D’après Faḍlallāh, la science de l’exégèse est fondée sur la connaissance de la signification métaphysique des lettres
de l’alphabet, c’est-à-dire sur la perception des formes des lettres
comme autant de lieux de manifestation (maẓhar) des Phonèmes primordiaux issus du Verbe divin au moment de la différenciation de
celui-ci. Dans leur manifestation la plus matérielle, les lettres sont
identifiées avec les 28 signes de l’alphabet arabe et les 32 signes
de l’alphabet arabo-persan. Conformément à la cosmogonie urūfī,
les formes (ṣūra) des lettres sont les formes les plus simples, les
« briques » dont est composée la forme corporelle de tout objet,
qu’il existe effectivement ou qu’il soit seulement possible ; tandis
que le Nom ontologique de cet objet, le Nom qui constitue sa signification métaphysique profonde (ma‘nà), est constitué par les phonèmes. Tout objet peut ainsi être littéralement « lu » par quiconque
est capable de distinguer les formes des lettres dans la forme de
l’objet. Possédant la connaissance du lien qui réunit ces lettres aux
phonèmes du Verbe divin, cette personne est à même d’accomplir
« l’exégèse » (ta’wīl) de tout ce qui existe, en ramenant les formes
corporelles à leurs significations originelles dans le Verbe, Origine
première de toute la Création (conformément au sens étymologique
du mot ta’wīl qui est « retour à l’origine »). À plus forte raison, il en
va de même pour l’exégèse des livres sacrés : le lien avec le Verbe
est, dans ce cas, encore plus explicite puisque ces livres ne sont
rien d’autre que l’expression directe du Verbe dans les langages
humains. Connaître la signification de chaque lettre séparée dont
ils sont composés donne accès au niveau le plus élevé de l’exégèse,
aux vérités cachées derrière la signification conventionnelle des
mots et des expressions du langage humain ordinaire34.
Autrement dit, dans la perspective urūfī, détenir le secret des
lettres de l’alphabet revient à détenir la science d’une exégèse universelle et définitive. On comprend que si cette ambition avait été
officiellement reconnue – et les sources confirment que Faḍlallāh
jouissait d’une certaine autorité auprès des gouverneurs locaux et
34. Pour une présentation détaillée de l’histoire des urūfī et de leur conception du ta’wīl, voir l’introduction accompagnant l’édition du journal des rêves
de Faḍlallāh : Orkhan Mir-Kasimov, « Le “Journal des rêves” de Faḍlallāh
Astarābādī : édition et traduction annotée », Studia Iranica, 38/2 (2009), p. 249304.
282
ORKHAN MIR-KASIMOV
des princes de son temps –, elle aurait conféré au prétendant un pouvoir quasi illimité. Entre autres, une telle personne aurait pu réformer, voire abroger, la Loi canonique (sharī‘a) gérant la vie de la
communauté musulmane. L’accès direct au Verbe signifie en effet
aussi l’accès direct à la source de la Loi35. Ce qui constituait évidemment une atteinte directe à l’autorité des oulémas, dont la réaction,
catégorique et violente, ne s’est pas fait attendre dès que les urūfī
ont tenté d’introduire leurs doctrines dans les cercles du pouvoir.
C’est probablement pour empêcher l’accès direct à leurs textes
à ceux qui y rechercheraient des points d’accusation que les urūfī
ont mis en œuvre diverses techniques de dissimulation pouvant
servir d’illustration à notre discussion sur le « secret politique ».
Nombre de textes urūfī anciens sont rédigés dans un idiome particulier, mélange de persan littéraire et de dialecte local archaïque
(celui d’Astarābād, ville natale de Faḍlallāh et de certains de ses
disciples). L’utilisation de sigles spéciaux remplaçant quelques
expressions courantes (cf. pl. 1) est un autre obstacle capable de
décourager le lecteur occasionnel.
Ces techniques constituent le premier échelon de la dissimulation. Le lecteur assidu, ayant assimilé le dialecte et déchiffré les
sigles – tache facilitée par ailleurs par les glossaires accompagnant
certains manuscrits – est confronté à un autre défi, cette fois d’ordre
structural. Certains textes urūfī doctrinaux anciens, dont le Jāvdānnāma (le « Livre d’Éternité »), ouvrage principal de Faḍlallāh considéré par ses disciples comme un livre sacré (Jāvdān-nāma-yi ilāhī),
présentent une structure fragmentée. Autrement dit, au lieu d’un
exposé cohérent et thématiquement ordonné, le lecteur y trouve
des paragraphes qui se suivent sans aucun lien logique tout au long
de quelque mille pages (500 feuillets environ) du manuscrit. Les
passages entre les paragraphes sont marqués par un trait horizontal
ou par la « basmala » désignant la formule « Au nom de Dieu, le
35. L’islam a connu plusieurs épisodes où la sharī‘a a été localement abrogée
par des mouvements messianiques et antinomistes, qui estimaient la loi religieuse
caduque ou inutile en présence d’un guide divinement investi. C’était notamment le cas de certaines communautés ismaéliennes. Voir par exemple Jorunn J.
Buckley, « The Nizārī Ismā‘īlītes’ Abolishment of the Sharī‘a During the “Great
Resurrection” of 1164 A.D./ 559 A.H. », Studia Islamica, 60 (1984), p. 137-165.
Cependant, dans le cas urūfī, il semble que Faḍlallāh proposait plutôt une réinterprétation de certains préceptes de la loi et du rituel canonique en conformité avec
sa doctrine, sans viser une réforme profonde des préceptes eux-mêmes.
TECHNIQUES DE GARDE DU SECRET EN ISLAM
283
Clément, le Miséricordieux », bismi’llāhi’r-raḥmāni’r-raḥīm dans le
texte du manuscrit de Istanbul Millet Kütüphanesi, Ali Emiri Farsca
920 (cf. pl. 2). Cette technique, rappelant le – et peut-être inspirée
du – tabdīd al-‘ilm que nous avons mentionné plus haut, requiert
une clé, un principe d’organisation qui permettrait de rétablir la présentation cohérente de ses contenus et d’accéder ainsi à l’exposé doctrinal. Sans nous arrêter sur les détails du procédé de reconstruction
que nous avons décrit ailleurs, résumons ses étapes principales36.
Il y a d’abord l’idée que la structure fragmentée du Jāvdān-nāma
imite celle du Coran. En effet, la discontinuité est l’un des traits
caractéristiques du texte coranique. Or, le Jāvdān-nāma contient les
passages suggérant de réunir ensemble les versets coraniques concernant le même sujet, mais dispersés dans les diverses endroits du texte,
ce qui ne peut ne pas donner au lecteur l’idée d’appliquer le même
procédé au texte du Jāvdān-nāma lui-même. Cette idée d’imitation
du Coran est par ailleurs confirmée par l’ambition du Jāvdān-nāma,
qui se conçoit comme le texte renfermant la science du ta’wīl révélée à Faḍlallāh, celle de l’exégèse définitive du message coranique,
de sa reconduction au Verbe divin originel. Les lettres de l’alphabet en général et les lettres mystérieuses du Coran en particulier
jouent, nous l’avons dit, un rôle principal dans cette reconduction.
Ensuite, plusieurs éléments confirment que les disciples de
Faḍlallāh étaient conscients de l’énigme que représentait la fragmentation du Jāvdān-nāma. La littérature urūfī compte en effet
plusieurs ouvrages qui tentent de donner un exposé plus systématique des contenus du Jāvdān-nāma. Une note anonyme placée à la
fin du manuscrit de la British Library Oc. Or. 5957 donne une description détaillée de six chapitres dans lesquels il faudrait répartir
les passages de l’ouvrage pour l’organiser thématiquement37.
Mais même en supposant la connaissance préalable du procédé
de réorganisation du texte, la technique de fragmentation imposait
un effort considérable à quiconque voulait prendre connaissance
36. Pour le Jāvdān-nāma et les méthodes de la reconstruction de ses contenus
fragmentés, voir Orkhan Mir-Kasimov, Étude de textes ḥurūfī anciens : l’œuvre
fondatrice de Faḍlallāh Astarābādī, thèse de doctorat, École Pratique des Hautes
Études, Paris, 2007 ; idem, « Jāvdān-nāma », Encyclopaedia Iranica, vol. 14/6
(2008), p. 603-605.
37. C’est ce plan, quelque peu modifié afin de mieux l’adapter aux contenus
du Jāvdān-nāma, que nous avons suivi dans notre thèse de doctorat.
284
ORKHAN MIR-KASIMOV
des enseignements urūfī, effort qui garantissait l’ouvrage contre
toute interprétation fortuite.
Qui plus est, la technique de fragmentation comporte probablement aussi une dimension « initiatique ». D’une part, comme nous
l’avons vu, cette technique limite l’accès aux contenus doctrinaux à
une minorité d’individus qui, en l’absence d’enseignement oral du
maître, souhaiteraient entreprendre la reconstruction du puzzle des
passages fragmentés. D’autre part, le texte même du Jāvdān-nāma
établit un lien entre la fragmentation d’un texte et l’accès à son sens
le plus profond, c’est-à-dire entre la fragmentation et le procédé du
ta’wīl.
Cette dernière idée est développée dans le commentaire de
l’épisode biblique des Tables de la Loi brisées par Moïse (Exode,
32 :19)38. Se fondant sur sa théorie du ta’wīl, basée sur la connaissance de la signification ontologique des lettres de l’alphabet,
l’auteur propose une interprétation originale de cet épisode. Selon
cette interprétation, Moïse a brisé les Tables de la Loi parce qu’il
voulait faire surgir les lettres qui les composent. Rappelons que
les lettres isolées sont, selon Faḍlallāh, les « lieux de manifestation » des Phonèmes primordiaux du Verbe divin et, en tant que
tels, les points de départ de l’exégèse définitive comprise comme la
reconduction de la parole de la révélation formulée en une langue
humaine à la parole divine originelle :
Moïse jeta les tablettes (de la loi) et les brisa, car la perfection est
dans ce qui est brisé, pour que la science des 28 paroles se manifeste…
Avant le bris, la science des 28 paroles divines ne se manifeste pas
dans la table de la création… Si Moïse n’avait pas brisé les tablettes, la
science des 28 et 32 paroles ne se serait pas manifestée. (Jāvdān-nāma,
ms. British Library Oc. Or. 5957, f. 414b-415a)
Selon cette interprétation, le texte doit nécessairement être brisé
pour qu’on puisse accéder à sa signification véritable. Sans pouvoir
l’affirmer avec certitude, nous pouvons supposer que la composition fragmentée du Jāvdān-nāma n’est pas seulement une technique
de dissimulation « politique », mais exprime aussi une conception
philosophique plus profonde de son auteur.
38. Pour une analyse précise des passages du Jāvdān-nāma relatifs à cet
épisode voir Orkhan Mir-Kasimov, « Some Specific Features of the urūfī
Interpretation of the Qur’anic and Biblical Episodes Related to Moses », Journal
of Qur’anic Studies, 10/1 (2008), p. 21-49.
TECHNIQUES DE GARDE DU SECRET EN ISLAM
285
La garde du secret en islam, introduite vraisemblablement pour
des raisons d’ordre pratique et politique, comme moyen de sauvegarde et de transmission des idées rejetées par « l’orthodoxie », a
graduellement évolué vers des formes plus complexes, s’appuyant
sur des doctrines théologiques, philosophiques et mystiques. Les
enseignements de nombreux groupes islamiques combinent les différents aspects des techniques de garde du secret que nous avons
caractérisé, schématiquement, comme « métaphysique », « initiatique », et « politique ». Dans les doctrines de certains de ces
groupes, comme nous l’avons vu sur l’exemple des urūfī, l’idée
de garde du secret et les techniques concrètes utilisées à cette fin
dans les textes semblent découler des prémisses théoriques les plus
fondamentales, dépassant largement le cadre de la dissimulation
purement pragmatique39.
[email protected]
39. Cet article a été rédigé pendant mon séjour à Berlin en tant que chercheur post-doctorant de la fondation Alexander von Humboldt à l’Institut für
Islamwissenschaft de la Freie Universität. Je tiens à exprimer ma reconnaissance
à ces deux institutions pour les excellentes conditions d’accueil et les moyens de
recherche mis à ma disposition.
286
ORKHAN MIR-KASIMOV
Pl. 1. Exemples de sigles utilisés dans les textes urūfī
(ms. Istanbul Millet Kütuphanesi, Ali Emiri Farsca 920)
« = » ﻭﺩ ﻭ یﺱ32, nombre des « phonèmes » et des
« lettres » primordiales dans la doctrine urūfī.
« = » ﺕﺵﻩ ﻭ ﺕﺱیﺏ28, nombre des « phonèmes » et des
« lettres » primordiales dans la doctrine urūfī.
« = » ﺓﻡﻝکkalima, « parole », ou « phonème », une des
notions fondamentales de la théorie métaphysique du langage développée par Faḍlallāh
« = » ﺓﺭﻭﺹṣūrat, « forme », généralement associée à la
Lettre (ḥarf), tandis que ma‘nà, « signification » est associée au Phonème (kalima)
« = » ﻡﺩﺁAdam, « Adam »
« = » ﺓﻭﻝﺹṣalāt, « prière »
« = » ﺕﺭﺽﺡḥaḍrat, « présence »
« = » یﻩﻝﺍilāhī, « divin »
TECHNIQUES DE GARDE DU SECRET EN ISLAM
287
Pl. 2. Pages du Jāvdān-nāma, ms. Istanbul Millet Kütüphanesi,
Ali Emiri Farsca 920. Les traits horizontaux et les graphies distinctes de la « basmala » indiquent ordinairement les points de rupture entre les fragments.