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Recherches amérindiennes au Québec
Un penseur pragmatique
Réflexions sur le protestantisme de Peter Paul Osunkhirhine,
pasteur abénaquis du xixe siècle
A Pragmatic Thinker
Thoughts of Peter Paul Osunkhirhine, an Abenaki Minister
during the Nineteenth Century
Un pensador pragmático
Reflexiones sobre el protestantismo de Peter Paul
Osunkhirhine, pastor Abenaki del siglo XIX
Stéphanie Boutevin
Nouveaux regards sur l’histoire autochtone
Résumé de l'article
Volume 46, numéro 1, 2016
Cet article présente les réflexions sur sa religion d’un pasteur abénaquis, Peter
Paul Osunkhirhine, qui a exercé à Saint-François, ancienne mission jésuite de
la vallée du Saint-Laurent, au xixe siècle. En prenant deux de ses lettres
comme exemples, on constate qu’il participe activement aux débats de la
société qui l’entoure et qu’il cherche à jouer un rôle de penseur au sein de la
communauté, voire de la congrégation à laquelle il appartient. Auteur de
plusieurs écrits, il n’hésite pas à confronter ses idées à celles du Révérend
Burns, presbytérien, membre éminent de l’Église de Knox. À travers ce
personnage, c’est le rôle actif de plusieurs Amérindiens de cette époque dans
les changements vécus par leur communauté qui transparaît : oeuvrant dans
un milieu plutôt hostile, Osunkhirhine montre qu’il s’est véritablement
approprié les idées véhiculées par le protestantisme pour les adapter à sa
situation.
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1038934ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1038934ar
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Éditeur(s)
Recherches amérindiennes au Québec
ISSN
0318-4137 (imprimé)
1923-5151 (numérique)
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Citer cet article
Boutevin, S. (2016). Un penseur pragmatique : réflexions sur le protestantisme
de Peter Paul Osunkhirhine, pasteur abénaquis du xixe siècle. Recherches
amérindiennes au Québec, 46 (1), 49–62. https://doi.org/10.7202/1038934ar
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Un penseur pragmatique
Réflexions sur le protestantisme de Peter Paul
Osunkhirhine, pasteur abénaquis du XIXe siècle
Stéphanie
Boutevin
Vol. XLVI, NO 1, 2016
Post-doctorante,
Groupe Sociétés,
Religions, Laïcités,
Paris
A
à
partir de sources peu connues, cet
article s’intéresse plus précisément
au protestantisme missionnaire, porté
par et pour des autochtones en Amérique
du Nord. Il s’agit ici de démontrer la
vision, à la croisée des mondes, d’un
personnage haut en couleur de la première moitié du XIXe siècle, Peter Paul
Osunkhirhine, qui illustre la volonté
marquée de certains Amérindiens de
cette époque, comme Peter Jones ou
encore George Copway (Smith 1987 ;
Peyer 1997), de s’instruire et de
participer aux débats de la société
qui les entoure. Osunkhirhine est un
Abénaquis du village de « domiciliés »
de Saint-François, dans la vallée du SaintLaurent : au nombre de sept, ces villages sont d’anciennes missions fondées
par les Jésuites à partir du XVIIe siècle
jusqu’au début du XVIIIe siècle, pour
des Amérindiens considérés comme
convertis au catholicisme (Beaulieu
2000 ; Delâge et Sawaya 2001). Peter
Paul Osunkhirhine, aussi connu sous
le nom de Pierre-Paul Masta (qui était
le nom de son beau-père), ou encore
sous son nom amérindien Pial Pol
Wzokhilain (Roussel 2010 ; Wzôkhilain
et Bruchac 2011 : 1), est parti, après
la conquête britannique, s’instruire
dans une école protestante du New
Hampshire, aux États-Unis. Éduqué à
la Moor’s Indian Charity School de 1822
BORDANT L’HISTOIRE AMÉRINDIENNE
à 1823 et au Dartmouth College de
1827 à 1829, il suit l’exemple de plusieurs autres Abénaquis de SaintFrançois qui, depuis 1774, ont cherché
à s’alphabétiser pour pouvoir jouer un
rôle important dans leur communauté
(Kelly 1929 : 122-125 ; BAC 1803).
Osunkhirhine, cependant, est le premier d’entre eux à véritablement adopter
les valeurs protestantes méthodistes
au point de vouloir devenir pasteur et
convertir les siens (Parrot 1828). En
effet, les Abénaquis qui s’étaient
rendus au New Hampshire avant lui,
parmi lesquels figurent les Gill et les
Annance, deux grandes familles de
Saint-François (Kelly 1929 : 122-125),
n’avaient pas adopté ouvertement le
protestantisme pour autant : ils avaient
simplement utilisé l’éducation reçue
pour jouer les intermédiaires entre leur
communauté et les autorités coloniales,
sans y intégrer de dimension religieuse – tout au moins jusqu’au retour
d’Osunkhirhine (Boutevin 2012 : 166187). Ce dernier se démarque donc
des premiers en bousculant la place
bien établie de la religion catholique
dans cette ancienne mission. Soucieux
de participer à la transformation de sa
société par la transmission de savoirs
et techniques acquis au cours de sa
formation, Osunkhirhine occupa différentes fonctions importantes à SaintFrançois, de chef à interprète en passant
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par maître d’école (Boutevin 2012 : 136 ; UCCA 1838). Ces
différents rôles lui permirent d’asseoir son influence parmi les
siens et de défendre ses idées avec aplomb (UCCA 1836).
Peter Paul Osunkhirhine a laissé une abondante correspondance derrière lui, permettant d’analyser sa vision de
l’utilisation et de la transmission des techniques comme
l’écriture, mais aussi son interprétation des valeurs protestantes
qu’il souhaitait inculquer aux habitants de Saint-François.
Nous avons choisi ici d’analyser plus particulièrement deux
de ses lettres, dans lesquelles il laisse transparaître son rôle
de penseur à travers ses réflexions sur le protestantisme et sa
perception de son propre rôle, en tant qu’élite éduquée de
son village. Ces lettres révèlent une partie de sa personnalité, qui sous-tend chacune de ses missives, mais elles sont
aussi, parmi les 194 lettres que nous avons examinées, celles
qui montrent le mieux sa volonté de participer au débat de
société : elles font véritablement état de ses réflexions sur
des questions théologiques qui agitent les différents courants du protestantisme à son époque – comme celle s’interrogeant sur la langue originelle de la « véritable » Bible ou
encore sur les débats créationnistes du XIXe siècle (PuglisiKaczmarek 2009 : 49-63). Le reste de ses lettres, en
revanche, aborde davantage des aspects logistiques du quotidien et des difficultés qu’il rencontre en tant que pasteur
dans un village de « domiciliés » (Boutevin 2012).
VERS
UNE AUTRE VISION DE L’HISTOIRE
DU PROTESTANTISME CHEZ LES AUTOCHTONES
EN AMÉRIQUE DU NORD
En choisissant d’utiliser des archives écrites par des
Amérindiens pour présenter un autre point de vue de l’histoire
autochtone, nous prenons ici le contre-pied d’une historiographie plus traditionnelle qui n’a, pendant longtemps,
accordé que peu de place à ce type de sources. Faute d’avoir
suffisamment d’écrits autochtones, la plupart des historiens
ont construit leurs analyses sur les sources laissées par les
Blancs, au risque de présenter parfois une vision partielle
des événements. Selon le point de vue adopté par l’auteur,
l’Amérindien devenait alors ou une victime passive de la
colonisation européenne et des transformations qu’elle a
engendrées (Lavoie 2009), ou un personnage mythique et
stéréotypé dont les liens avec les autochtones d’aujourd’hui
sont remis en question (Morissette 2009). Certains chercheurs, tels que le Cri Craig Womack, ont d’ailleurs dénoncé
cette vision d’un Amérindien immuable, soulignant qu’elle
enfermait les autochtones dans une image d’Épinal, qui ne
lui laisse pas d’autre choix que de disparaître face aux changements apportés à leur culture : « Les cultures des Indiens
[d’Amérique] sont les seules à qui on dénie le droit de
changer : on estime que si elles changent, ce n’est plus leur
culture. » (Womack 1999 : 31)
En s’attachant à présenter les réflexions d’un pasteur
abénaquis sur sa religion, cet article présente le parcours
original d’un Amérindien qui s’est démarqué de l’image
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passive de l’historiographie traditionnelle. Osunkhirhine
s’inscrit dans un mouvement de réappropriation culturelle
et intellectuelle mené par plusieurs Amérindiens du XIXe siècle
désireux de participer aux débats : George Copway, Ojibwa,
William Apess, Pequot (Peyer 1997) ou Samson Occoom
(Stevens 2006 : 196), par exemple, sont autant de personnages dont les écrits démontrent cette volonté d’être actifs et
de réfléchir aux problématiques de leur époque. Donald B.
Smith qui publie les écrits de Peter Jones, un pasteur ojibwa,
ou encore Thérésa M. Schenck, qui s’est intéressée aux
mémoires de William W. Warren, un chef – également ojibwa
– du XIXe siècle (Smith 2013 ; Smith 1987 ; Schenck 2007),
sont autant d’auteurs qui ont mis en avant le rôle très actif et
la réflexion de ces Amérindiens. Ces travaux permettent
d’avoir un autre point de vue de la réalité coloniale en
Amérique du Nord et permettent de montrer la participation des autochtones dans les changements opérés au fil des
siècles. Les sources autochtones utilisées diversifient les
points de vue sur l’histoire de la construction des sociétés
nord-américaines. Les Amérindiens sortent ainsi de l’image
d’Épinal du peuple « sauvage » ayant subi les changements
pour apparaître comme des personnes à part entière qui
ont participé à certaines de ces transformations et se les
sont appropriées.
Analysant le discours de l’un de ces acteurs autochtones
d’envergure, cet article constitue aussi un complément dans
le travail de réflexion entourant le protestantisme chez les
Amérindiens en Amérique du Nord. Des chercheurs ayant
abordé le parcours d’autres Amérindiens convertis au protestantisme découvrent chez eux une démarche volontaire
de changement très similaire à celle d’Osunkhirhine, signe
que le pasteur s’inscrivait dans un vrai mouvement de
réflexion et de réappropriation des transformations par ces
populations. Laura M. Stevens met en évidence comment
les missionnaires britanniques protestants ont véhiculé
l’image du « pauvre Indien » dans leurs écrits, influençant
l’image romantique des autochtones du XVIIIe siècle et
s’opposant aux écrits et à l’image propre de certains d’entre
eux (Stevens 2006). Ces textes, destinés à la fois à justifier la
colonisation et à obtenir des fonds pour les missions, enfermaient les Amérindiens dans une image passive et occultaient leurs véritables capacités de réflexion sur la société
qui les entourait. Laura M. Stevens cite Samson Occom, à
propos de la New England Missionary Society, pour appuyer
sa démonstration : « … ils se sont servis de moi […] pour
présenter une image d’Indien vulnérable. Ce n’est pas moi
qui me suis présenté ainsi » (Stevens 2006 : 21).
De la même façon, Bernd C. Peyer, dans son ouvrage The
Tutor’d Mind, remet lui aussi en cause l’image passive de
l’Amérindien en s’appuyant sur les écrits des missionnaires
protestants autochtones des États-Unis depuis le XVIIe siècle
jusqu’à la guerre civile (Peyer 1997). L’auteur axe son
analyse principalement sur Samson Occom (Mohegan),
William Apess (Pequot), Elias Boudinot (Cherokee) et
George Copway (Ojibwa) : tous ont joué un rôle actif dans
les changements observés dans leur communauté et se sont
servis de leur alphabétisation et de leur éducation pour
défendre les intérêts de leur peuple. À la croisée de deux
mondes, ils n’ont pas toujours rempli les attentes de l’organisation protestante à laquelle ils étaient rattachés mais ils
ont laissé de nombreux écrits réflexifs derrière eux, donnant
une vision originale de leur religion : à travers elle, c’est
l’éducation qui est mise en avant, perçue comme un outil
pour faire entendre la voix des autochtones. Peyer met en
perspective l’écriture protestante amérindienne et la perception, par les missionnaires autochtones, de leur rôle
dans leur communauté. Notre article s’inscrit dans le même
ordre d’idées, en rompant avec la vision traditionnelle du
« pauvre Indien » : il met en évidence que Peter Paul
Osunkhirhine était parfaitement capable de réfléchir par
lui-même et de tenir une réflexion sur des questions qui lui
étaient contemporaines. Si sa démarche n’était donc pas
isolée, Osunkhirhine se démarque des autres principalement pour avoir cherché à mener la même mission
qu’Occom, Apess ou Boudinot, mais dans un contexte
catholique. Sa vision de sa religion, illustrée dans les deux
lettres que nous allons voir et dans sa traduction de l’évangile selon saint Marc, accusée d’être anti-catholique
(Wzôkhilain et Bruchac 2011 : 2 ; UCCA 1837), participe à
une meilleure connaissance de l’interprétation des valeurs
protestantes par un missionnaire amérindien et des relations que les Abénaquis pouvaient avoir avec les congrégations protestantes.
Les travaux de Peyer et de Stevens ou encore ceux de
Joël W. Martin et Mark A. Nicholas, dans leur ouvrage collectif (2010) qui démontre comment certains Amérindiens
des États-Unis et du Canada ont, au XIXe siècle, activement
géré et participé à la transformation de leur communauté –
en particulier par leur conversion au christianisme –,
contribuent à dresser un contexte dans l’analyse des écrits
d’Osunkhirhine produits entre 1835 et 1858. Catholiques
durant au moins un siècle avant que le protestantisme ne
parvienne à y faire des émules (Beaulieu 2000), les
Abénaquis « domiciliés » n’ont que rarement fait l’objet
d’études sur le rôle des différents courants religieux dans les
transformations de leur communauté. Si Charland, en 1964
(Charland 1964 : 194-196), évoque les conflits entre catholiques et protestants et si, plus récemment, Jean-Pierre
Sawaya (2010) s’interroge sur la place du protestantisme au
sein de ces populations, aucun d’eux ne s’arrête vraiment
sur les écrits produits par les Abénaquis de l’époque. En
outre, Sawaya concentre son étude sur le XVIIIe siècle et
constate que le protestantisme n’a pas vraiment réussi à
s’implanter dans ces villages. Ce n’est, en effet, qu’à partir du
retour d’Osunkhirhine en 1835 que se manifeste une véritable concurrence entre protestantisme et catholicisme au
sein de la mission de Saint-François. C’est toujours en gardant à l’esprit ce contexte conflictuel que Peter Paul
Osunkhirhine rédige et partage ses réflexions sur sa religion
et sur son ministère.
LES LETTRES D’OSUNKHIRHINE : UN PROTESTANTISME
MÉTHODISTE TOLÉRANT AU SYNCRÉTISME
Les deux lettres que nous avons sélectionnées donnent
un aperçu du statut particulier de Peter Paul Osunkhirhine
– que ce soit au sein de sa Congrégation ou parmi les siens,
à Saint-François. La première de ces lettres, datée du
4 mai 1844 et adressée au Révérend David Greene, raconte
une rencontre plutôt houleuse entre Osunkhirhine et le
Révérend Burns, un éminent personnage de l’Église libre
d’Écosse – institution presbytérienne très investie dans les
missions à l’étranger et alliée de la congrégation du pasteur.
La seconde missive, datée quant à elle du 24 décembre 1857
et adressée au Révérend Selah B. Treat, reprend les idées
métaphysiques contenues dans Metaphysical inquiry deducing many self-evident truths from the very nature of things of
what God’s nature and will require, ouvrage que le pasteur
abénaquis avait publié cette même année 1857 : elle met en
exergue son interprétation de la pensée protestante. Ces
deux lettres sont celles, dans tout le corpus, qui présentent
le plus en détail la pensée d’Osunkhirhine. Leur analyse
permet de comprendre sa position, en particulier par rapport à son organisation : de ses lettres, ressort, certes, son
esprit tolérant et pragmatique à l’égard des valeurs et
convictions de sa religion mais c’est surtout sa volonté
de réfléchir, de prendre position dans les débats animant le
protestantisme du XIXe siècle qui est remarquable. S’il s’y
présente comme un farouche protestant, il n’hésite pas, par
ailleurs, à prendre part aux débats et à philosopher sur le
sens des textes religieux. On apprend également, à la lecture
de ces lettres, qu’Osunkhirhine adaptait ses pratiques aux
façons de faire de sa communauté afin de mieux diffuser son
message, ce qui déplaisait au Révérend Burns qui estimait
qu’il dénaturait les Écritures (UCCA 1857). Cette position
ambivalente fait de Peter Paul Osunkhirhine un Amérindien
au cœur de son temps, un penseur pour sa religion, qui
conserve sa liberté de pensée tout au long de son ministère
à Saint-François et qui enseigne un protestantisme conforme
à sa propre interprétation et à ses valeurs.
L’AMERICAN BOARD OF COMMISSIONERS
FOR FOREIGN MISSIONS (ABCFM)
Osunkhirhine échange des lettres avec l’American Board of
Commissioners for Foreign Missions (ABCFM), une organisation protestante américaine, dès les années 1830, même si
ce n’est qu’en 1835 qu’il devient l’un de ses pasteurs. Créée
en 1810, dans le cadre du « Second Grand Éveil » (Second
Great Awakening) [Maxfield 2001 ; Heffer 1995 : 115],
l’ABCFM était composée, jusqu’en 1870 tout au moins, de
plusieurs courants du protestantisme (méthodiste, presbytérien et congrégationaliste) qui étaient réunis par un
objectif commun : convertir et instruire les populations non
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protestantes et non occidentales afin de sauver leur âme
(Heuser Jr 1988 : 1). Dès leur premier discours, en 1811, les
membres de l’American Board affirmaient vouloir lancer des
missions parmi les Amérindiens1 et c’est en 1817 qu’ils
envoyèrent un missionnaire auprès des Cherokees, premier
peuple ciblé en Amérique du Nord (Strong 1910 : 35). La
stratégie de l’organisation s’articulait autour de trois axes
principaux : l’éducation chrétienne, la diffusion de la foi
protestante et l’initiation aux travaux agricoles et domestiques. Selon les responsables de l’American Board, cette
méthode permettrait aux populations de s’adapter à la
culture occidentale et de devenir « civilisées ». Fort du
succès des premières missions chez les Cherokees puis chez
les Choctaws, ils mirent sur pied tout un réseau de missionnaires, à la fin des années 1820, qui devait implanter le
protestantisme au sein des autres communautés autochtones d’Amérique, tout en développant l’apostolat en
Palestine (Maxfield 2001). Au total, ils réussirent à fonder
une quinzaine de missions en Amérique du Nord entre 1817
et 1880 (Strong 1910 : 186).
Parmi ces dernières, celle lancée à Saint-François en 1829
par l’American Board revêt un caractère tout particulier :
c’est Peter Paul Osunkhirhine qui en prit la direction officielle en 1835. Accordant une grande place à l’alphabétisation dans ses enseignements, le pasteur avait déjà publié
en 1830 un ouvrage dans la langue des Penobscots pour
apprendre à lire et à écrire, Wobanaki kimzowi awighigan
(Wzokhilian 1830). De retour à Saint-François, il a occupé
le poste de maître d’école de 1832 à 1835 pour l’école gouvernementale des Abénaquis, avant d’en être destitué pour
cause de prosélytisme (BAC 1835 ; UCCA 1835). Il devient
alors officiellement le missionnaire protestant responsable
pour l’American Board, qui lui verse un salaire pour diriger
la mission et tenir école, à partir de 1835. Il accorde toujours
une grande place à l’alphabétisation dans ses enseignements
jusqu’en 1858 – date à laquelle l’organisation met fin à la
mission, estimant que les Abénaquis étaient de toute façon
condamnés à disparaître (Strong 1910 : 186).
Durant les quelque vingt-neuf ans que dura la mission,
Peter Paul Osunkhirhine entretint avec ses responsables
une correspondance nourrie, dans laquelle il brosse un portrait de son peuple et des difficultés qu’il rencontre. À la
différence des autres missions que l’American Board eut en
Amérique du Nord, en effet, il est le seul à œuvrer au sein
d’un village de « domiciliés », c’est-à-dire au cœur même
d’une mission catholique – où il rencontra une vive
opposition. Dans le même temps, il laisse entrevoir en lui un
personnage complexe qui s’appuie sur les valeurs et les
objectifs de son organisation pour imposer sa vision du
« progrès social », qui consistait, notamment à diffuser
largement l’alphabétisation et à encourager les membres de
son village à s’instruire pour sortir de leur dépendance aux
intermédiaires. Selon lui, l’éducation protestante était la clé
de l’avenir des Abénaquis car elle permettait de trouver un
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travail et, donc, de ne plus dépendre des autres pour avoir
de l’argent (Boutevin 2011 : 128-129 ; BAC 1831). Il est
généralement identifié par les habitants de Saint-François
comme porteur d’un protestantisme méthodiste (BAC 1833,
1834), qui se caractérise, entre autres, par l’importance
accordée à la conversion, à l’évangélisation au sein de populations pauvres et par son opposition à la notion de prédestination selon Calvin (Willaime 2006 : 899-900). Il est à noter
qu’à plusieurs reprises, ses opposants dans le village de SaintFrançois le désignent aussi comme Congrégationaliste, du
fait de son appartenance à l’ABCFM2 (UCCA 1847). Peter
Paul Osunkhirhine était ainsi un protestant méthodiste, par
ses croyances, et congrégationaliste par son appartenance à
l’ABCFM et la relative autonomie de sa mission.
UN
MISSIONNAIRE AMÉRINDIEN PROTESTANT
ENTRE DEUX MONDES
À la lecture de ses écrits, il apparaît clairement que le
pasteur se positionne entre deux mondes : il n’est pas tout à
fait à l’image des autres missionnaires de l’organisation, plus
condescendants envers les Amérindiens qu’ils voient
comme des peuples « à sauver », mais il n’est pas non plus
semblable aux autres Abénaquis du village, plus attachés au
catholicisme ou aux activités plus traditionnelles de leur
culture telles que la chasse. Ce décalage se dénote, notamment, dans les récits d’Osunkhirhine, lorsqu’il présente à ses
correspondants de l’ABCFM les difficultés qu’il rencontre pour
instruire ses pairs, trop souvent partis chasser ou soumis
à l’influence du missionnaire catholique (UCCA 1838,
1848a, 1837, 1850). En outre, si son organisation se montre
pressante pour qu’il traduise le Nouveau Testament dans sa
langue maternelle, voire dans celle de peuples de la même
famille linguistique, Osunkhirhine, quant à lui, n’a de cesse
d’insister pour que les Abénaquis partent apprendre l’anglais
dans des écoles en dehors du village. Il insiste d’ailleurs
beaucoup sur l’importance d’être alphabétisé dans les langues européennes – anglais ou français – afin de pouvoir
trouver un travail dans le contexte de domination britannique (UCCA 1846). Il n’est pas, en cela, complètement
opposé à la stratégie de l’American Board : dans le premier
tiers du XIXe siècle, celle-ci exigeait de ses missionnaires qu’ils
instruisent les autochtones uniquement en anglais. Ce n’est
qu’à partir de 1824, c’est-à-dire dix ans avant la mission
d’Osunkhirhine, qu’elle prit conscience des difficultés que
cette pratique entraînait – notamment en termes de rapidité
de diffusion du protestantisme – et qu’elle décida d’opter
pour un enseignement dans la langue maternelle des communautés (Strong 1910 : 36-41). Pourtant, l’objectif derrière cette question de la langue n’est pas le même pour
l’American Board et pour le pasteur abénaquis : pour la
première, l’usage de l’anglais était un signe que l’Amérindien était « civilisé », tandis que, pour Osunkhirhine, il
s’agissait surtout de se montrer pragmatique et de permettre
à ses pairs de trouver un travail (UCCA 1846). Lui-même,
au reste, mentionne à maintes reprises que sa maîtrise de
l’anglais laisse à désirer – quoiqu’il écrive dans cette langue
à ses correspondants, avec certes quelques erreurs, et qu’il
serve régulièrement d’interprète pour son peuple dans ses
relations avec les autorités coloniales.
L’ÉGLISE LIBRE D’ÉCOSSE : LE CHOC DES CULTURES
Osunkhirhine décrit, dans sa lettre de mai 1844, sa
rencontre avec le Révérend Dr Robert Burns, membre d’une
délégation de la toute récemment séparée Église libre
d’Écosse – le différend et la création datant de 1843. Robert
Burns était alors sur le point de prendre la tête de la partie
dissidente canadienne, baptisée Église de Knox, à Toronto.
Cette institution presbytérienne, dont il devint le chef en 1845,
réunissait les mécontents de l’Église d’Écosse, des membres
de la Congrégation de York et d’autres insatisfaits de l’organisation de St. Andrew au Canada (Robertson 1904 : 215) :
en général, les presbytériens se caractérisent par leur lecture
calviniste de la Bible et par une organisation régie par des
synodes (Klein). Pour l’Église de Knox, il fallait aller encore
plus loin. La scission avec l’institution originale ayant été
officiellement consommée le 30 décembre 1844, cette future
Église de Knox était encore dans une démarche d’affirmation de son identité et de ses valeurs distinctes lorsque
Burns rencontra Osunkhirhine. Elle se caractérisait alors
par son opposition aux modérés de l’Église d’Écosse : ses
membres militaient pour une pratique et une vision du protestantisme presbytérien beaucoup plus sévère. L’historien
David W. Bebbington a mis en évidence quatre principaux
axes défendus par l’Église libre, marquant une certaine radicalisation de ses membres : le « conversionisme » (idée
selon laquelle les âmes doivent être sauvées par la conversion), l’activisme (principe selon lequel les missionnaires
doivent s’investir entièrement dans la diffusion et la
pratique de la religion), le « biblicisme » (la mise en avant
des Écritures) et ce qu’il appelle le « crucicentrisme » (un
intérêt tout particulier pour le sacrifice de Jésus sur la croix)
[Bebbington 1989 : 108 ; Bradley 1976 : 22]. Selon Richard
Vaudry, la culture de cette nouvelle organisation s’appuyait
sur « une vision du monde qui se traduisait par un zèle et
une vitalité missionnaire remarquables, un engagement
pour l’orthodoxie théologique et un souci d’ordonner la
société selon les préceptes bibliques » (Vaudry 1989 : xiv).
À ce titre, la nouvelle organisation désirait ardemment que
leurs pasteurs s’investissent dans les missions afin de
répandre la Foi et les enseignements calvinistes.
C’est donc dans ce contexte que le Révérend Burns
s’intéressa au travail d’Osunkhirhine chez les Abénaquis.
Or, leur première rencontre ne fut pas sans étincelles, du fait
des positions radicales de l’émissaire de la future Église
presbytérienne de Knox qui ne se retrouvaient pas dans le
travail du pasteur autochtone. Burns lui reprocha notamment son esprit trop pragmatique, en particulier par rapport
à son engagement dans les différentes sphères politiques du
village (UCCA 1844b). Il l’accusa implicitement de s’éparpiller dans ses tâches et d’en négliger sa mission première,
c’est-à-dire évangéliser les siens : « Il me dit aussi que mon
travail de prêche ne pouvait nécessiter autant de temps
au regard de ce que je faisais et que je devais garder l’école
ouverte en même temps. Il me dit qu’il allait se rendre
à Boston pour parler de ce sujet avec Monsieur Green. »
(UCCA 1844b) À travers ce commentaire, le Révérend Burns
met en évidence que le pasteur devrait avoir pleinement le
temps de mener sa mission de pasteur et de tenir école luimême. Implicitement, il souligne donc que le pasteur perd
son temps en s’investissant dans différents champs de la vie
quotidienne de sa communauté et qu’il devrait se consacrer
exclusivement à ses fonctions de pasteur. Burns est le premier, voire le seul parmi les membres de sa congrégation, à
reprocher à Osunkhirhine de s’éparpiller. Cela s’explique
aisément par les positions de l’Église libre d’Écosse qui militait pour un retour à l’évangélisation première, détachée de
toutes les autres occupations temporelles. La vision conservatrice calviniste défendue par Burns se heurte de plein
fouet avec la perception plus classique et luthérienne des
responsabilités du pasteur abénaquis. En l’occurrence, le
Révérend Burns ne comprend pas qu’Osunkhirhine puisse
occuper des postes importants dans le secteur diplomatique
– comme celui d’intermédiaire des chefs avec les autorités
coloniales en 1844, fonction qui lui permet de négocier les
litiges territoriaux avec les Blancs voisins (UCCA 1844a ;
BAC 1844) – et ne pas trouver le temps de tenir l’école luimême : Osunkhirhine employait, en effet, des maîtres
d’école pour son institution. Le pasteur, quant à lui, justifie
son choix et ses façons de faire par le contexte particulier de
son lieu d’exercice :
J’aurais pu lui parler de tout ce que j’avais à faire, des difficultés et
désavantages auxquels je faisais face, de ma mauvaise santé ou
d’autres choses mais je n’avais pas le temps et cela ne valait peutêtre pas la peine de lui donner tous les détails puisqu’il est étranger
aux façons de faire dans ce pays. (UCCA 1844b)
Cette divergence de vision des rôles d’un missionnaire
protestant, que le pasteur impute au fait que son interlocuteur est étranger aux coutumes entourant les relations entre
Abénaquis et Canadiens français, marque le caractère du
personnage, très pragmatique et indépendant. Le pasteur
prend ainsi position dans un débat particulièrement actif
en 1844 sur le rôle et les fonctions des missionnaires – en
dehors de toute considération d’appartenance culturelle :
Osunkhirhine se démarque des presbytériens du Canada de
cette époque, qui se détournent de leur rôle social et politique pour ne se consacrer qu’à la diffusion de leur interprétation des Écritures (Fraser 1995 : 5-6).
Dans son compte rendu de l’entretien qu’il a eu avec le
Révérend Robert Burns, Osunkhirhine laisse transparaître à
la fois une forme de conformisme à la vision méthodiste du
protestantisme et un certain pragmatisme dans sa volonté
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d’enseigner des usages et valeurs à transmettre. Il n’hésite
pas, dans sa lettre tout au moins, à s’opposer aux idées de
son interlocuteur, qu’il présente comme étant inquisiteur et
plutôt sévère dans son jugement sur ses méthodes de travail
et son parcours personnel :
Il voulait savoir combien de chapitres de la Bible j’avais mémorisé et
je pouvais lui réciter sans le livre. Il souhaitait aussi que je puisse lui
répéter les parties de la Bible que j’enseigne aux Indiens et si j’avais
appris “The Assembly’s Catechism” [catéchisme de Westminster].
Je lui ai dit que j’avais lu une bonne partie du Catéchisme mais que
je ne l’avais jamais appris par cœur, pas plus que je n’avais mémorisé
et pouvais réciter des chapitres de la Bible sans le livre. Je lui ai répété
quelques passages de la Bible mais comme je ne pouvais pas dire,
pour chaque verset, de quel chapitre ou verset il s’agissait, il fut
étonné et me dit qu’il craignait que je ne sois pas encore converti. Je
lui répondis que peut-être je ne l’étais pas mais ce n’était pas l’incapacité à réciter le livre, les chapitres ou à citer les versets qui permet
de dire si un homme est converti ou non. Beaucoup de personnes
ont été des croyants et convertis par la vérité lue ou prêchée, alors
qu’ils étaient incapables de dire de quel verset ou chapitre elle
provenait. (UCCA 1844b)
Ici encore se remarque une différence de point de vue et
d’interprétation entre les deux protagonistes : aux yeux du
prélat, Osunkhirhine n’est pas véritablement converti et ne
peut diffuser correctement le message de Dieu puisqu’il ne
comprend pas et ne connaît pas la Bible dans ses moindres
détails. Autrement dit, le Révérend Robert Burns estime que
le pasteur abénaquis n’a pas reçu une formation suffisamment poussée pour enseigner le protestantisme, dénonçant,
au passage, la nonchalance du pasteur vis-à-vis des connaissances qu’il a et qu’il enseigne sur la Bible : cette attitude ne
lui semble pas compatible avec l’occupation d’une place
aussi importante que celle du pasteur au sein de sa communauté. L’enjeu étant de favoriser l’émergence d’une
conscience protestante parmi les autochtones au détriment
du catholicisme et des croyances traditionnelles, il s’avère
incongru, pour le religieux, qu’un Abénaquis, instruit
certes, mais si indépendant dans ses façons d’interpréter,
d’enseigner et de comprendre la Bible, soit aussi influent. Ce
constat est d’autant plus surprenant pour lui que le
« conversionisme » est un des axes fondamentaux de la
future Église de Knox. L’importance, voire la primauté,
accordée à la Bible par cette organisation transparaît pleinement dans cet échange et on comprend pourquoi, selon
Burns, l’essence même de la pratique du pasteur abénaquis
est faussée puisqu’il ne maîtrise pas pleinement le contenu
de la Bible.
Osunkhirhine conteste les arguments avancés par le
religieux quant à sa méconnaissance des choses divines,
sans pour autant se montrer ferme sur sa conversion, se
contentant de déclarer qu’il ne l’est « peut-être » pas,
converti, mais que ce n’est pas l’essentiel. Transparaît ici
clairement l’écart entre ce qui était important pour lui, la
sincérité de la Foi (et non la conversion en tant que telle),
et pour son interlocuteur, la connaissance parfaite des textes
démontrant la réalité de la conversion : l’interprétation
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d’Osunkhirhine le fait apparaître à la fois comme le défenseur d’une interprétation plus modérée de la philosophie et
des pratiques de sa religion et comme un pratiquant plus
pragmatique que dogmatique de sa foi. Le pasteur démontre
ainsi sa position à la croisée de deux mondes – pas tout à fait
converti, selon les normes de Burns, mais adepte d’une religion marginalisée dans sa propre communauté, où il est
même accusé de prosélytisme (BAC 1835). Ce qui ressort de
cet échange, c’est surtout sa capacité à réfléchir et prendre
position dans un débat qui dépasse de loin les questions
autochtones, puisqu’il n’hésite pas à défendre son point de
vue – à savoir l’inutilité de connaître par cœur la Bible pour
avoir et enseigner la Foi – à l’encontre de celui de Burns.
Poursuivant le récit de sa rencontre, Osunkhirhine
mentionne que cette opposition entre le Révérend et lui a
pris une tournure concrète lorsque Burns lui a posé une
question spécifique sur l’Évangile de saint Jean, dans le
Nouveau Testament. On découvre alors que le pasteur abénaquis ne connaît pas vraiment ce passage dans lequel Jésus
discute avec Nicodème, un pharisien, professeur en Israël.
Plus exactement, il ne peut dire précisément ce qu’enseignait ce personnage et c’est sur cette lacune que le Révérend
estime avoir la preuve de l’incompétence d’Osunkhirhine :
Il me demanda encore ce qu’enseignait Nicodème, lui à qui le
Seigneur demanda : « Es-tu un maître d’Israël et tu ne connais pas
ces choses ? » Je lui répondis que je supposais qu’il enseignait la
parole de Dieu. Mais il voulait savoir exactement quelles choses
enseignait Nicodème. Je lui dis que je ne le savais pas. Il me dit
« Comment pouvez-vous donc enseigner aux Indiens si vous ne
pouvez pas expliquer la Bible ? » Je lui dis que j’enseignais et expliquais le sujet et le sens du discours de Dieu selon lequel il faut une
nouvelle naissance et ce que cela signifiait, sans leur parler de ce
qu’enseignait Nicodème. (UCCA 1844b)
Cette mésentente illustre l’opposition entre la radicalisation de l’Église de Knox et la vision du pasteur abénaquis,
qui semble, de fait, plus modérée : Nicodème est l’une des
élites juives qui rencontra et questionna Jésus dans le
Nouveau Testament. En l’occurrence, le passage dont parle
le Révérend Burns concerne une démonstration de la part
de Jésus sur la nécessité de « renaître », c’est-à-dire d’être
baptisé. Le rôle même de Nicodème, attribué par saint Jean,
est sujet à débat (Renouard 2004 : 563-573). Nicodème est
un pharisien, c’est-à-dire qu’il appartient à un groupe qui
étudie la Bible et particulièrement la Loi, pour y trouver les
fondements de leur rapport à Dieu. Nicodème en est un
maître : le narrateur le qualifie de « chef des Juifs », et Jésus
l’appelle « docteur d’Israël ». Il se distingue donc par son
savoir et sa capacité à enseigner, qui le placent au-dessus des
autres membres du groupe des pharisiens. Pourtant, dans le
premier passage de son apparition, il est présenté comme un
ignorant qui croit savoir et qui doit se faire expliquer dans le
détail le principe de « naître à nouveau » dont lui parle
Jésus. Le Révérend Burns se sert de Nicodème pour prendre
en défaut Osunkhirhine au niveau de ses connaissances
dans le détail de la Bible, faisant du pasteur son propre
maître ignorant à qui il faut tout apprendre. Il remet d’ailleurs en question jusqu’aux titres que le pasteur a obtenus,
doutant de sa légitimité comme ministre protestant : « Après
ça, il a lu mes certificats, le certificat du Président N. Lord
[le directeur du Dartmouth College], le vôtre, celui de ma
licence, de mon ordination, de mon appel et de mon
installation et il a trouvé des erreurs dans chacun d’eux. »
(UCCA 1844b) Il est vrai qu’Osunkhirhine n’avait pas, à
proprement parler, de diplôme spécifique pour être pasteur : loin d’avoir eu un cursus complet, il n’avait effectué
que quatre ans et demi de cours à Hanover, aux États-Unis,
et il n’avait jamais suivi de séminaires religieux ou autre
formation pertinente à sa fonction de pasteur et de maître
d’école dans le village de Saint-François (UCCA 1851).
Burns n’est d’ailleurs pas le seul à avoir remis en question
les compétences du pasteur : en 1842, Noël Annance
(BAC 1842), puis en 1848 John Stanislas (UCCA 1848b),
deux Abénaquis protestants, anciens élèves du Dartmouth
College, ont aussi pointé du doigt des lacunes dans ses pratiques pour justifier leur demande de remplacer le pasteur
dans ses missions. Si leur intérêt dans cette demande est
évident, puisqu’ils se proposent pour assumer les tâches
d’Osunkhirhine, il n’en demeure pas moins qu’ils se faisaient ainsi l’écho du discours utilisé par les détracteurs du
pasteur dès 1835. Les deux Abénaquis qui s’étaient alors
opposés au pasteur étaient, selon James Hugues, surintendant des Affaires indiennes pour le district de Montréal,
activement encouragés par le missionnaire catholique
Bellanger (BAC 1835). Entre autres, ils dénonçaient
l’incompétence du pasteur en s’appuyant sur la version de la
Bible qu’Osunkhirhine utilisait :
Ils encouragent le démon chez les jeunes en disant que boire un peu
d’alcool fort ne fait pas de mal, de même que s’adonner à des loisirs
sans danger comme jouer aux cartes ou d’autres jeux et danses. Ils
disent que rien de tout ça n’est interdit dans la Bible, pour n’importe
qui qui comprend la version originale grecque. P.P. Osunkhrihine ne
connaît rien au grec, disent ceux qui ont appris les langues
anciennes, donc il ne peut pas comprendre la Bible correctement et
il ne doit pas être écouté car son instruction ne sert qu’à semer le
trouble et à distraire les honnêtes gens. (UCCA 1835)
Selon eux, le ministre était un imposteur car il utilisait
une traduction anglaise tirée de la version latine. Or, affirmaient-ils, la véritable version de la Bible était la grecque : si
Osunkhirhine ne comprenait pas cette langue, il ne pouvait
être en mesure de diffuser la Vérité. Ces deux Abénaquis,
selon Ounkhirhine, étaient pourtant d’anciens élèves de la
Moor’s Indian Charity School et l’un d’eux avaient même fait
le vœu de devenir pasteur (UCCA 1835). Même si, là
encore, le conflit entre catholiques et protestants reste tangible, l’argument utilisé pour discréditer le pasteur renvoyait déjà à des questions d’érudition, bien loin de la réalité
du terrain à Saint-François : entre la version grecque ou
latine de la Bible, seuls quelques Abénaquis très instruits
pouvaient percevoir les différences, la majorité ne comprenant aucune des deux langues, et cela n’influençait donc pas
leur opinion sur le travail du pasteur. En revanche, il s’agissait d’un débat latent depuis les Humanistes, au XVIe siècle,
qui avaient entrepris de traduire l’Ancien et le Nouveau
Testament à partir des versions hébraïque et grecque ; ils
avaient alors identifié des différences notables avec la
Vulgate latine (Gordon 2006). Le fait que les détracteurs
d’Osunkhirhine utilisent pareil argument pour le désavouer
montre bien que le pasteur n’était pas le seul Amérindien
à s’intéresser aux débats et questionnements de société
qui l’entouraient.
Les protestations d’Osunkhirhine face aux critiques du
Révérend Burns sont particulièrement éloquentes de sa
volonté de penser et d’interpréter sa religion selon ses
propres convictions. Cherchant à appuyer son argumentation, le pasteur cite Barnes et Scott comme références, ce qui
laisse à penser qu’il utilise une version commentée de la
Bible – en tout cas, du Nouveau Testament – plutôt que
l’originale : « Scott et Barnes, écrit-il, les commentateurs
[du Nouveau Testament] se contentent de dire que
Nicodème est un professeur sans expliquer plus particulièrement ce qu’il enseignait. » (UCCA 1844b) Or, Albert
Barnes, théologien presbytérien célèbre pour ses écrits sur la
Bible et le Nouveau Testament, a été accusé en 1836
d’hérésie pour son interprétation du péché d’Adam et de la
rédemption. S’il ne fut pas sanctionné, finalement, il a
marqué la séparation entre un courant plus conservateur
(incarné ici par l’Église de Knox) et un autre plus progressiste (Chisholm 1911). De la même façon, Walter Scott,
autre commentateur de la Bible, était un protestant plutôt
éloigné de la sévérité presbytérienne. Proche des Baptistes,
il s’en sépara en 1839 pour lancer la Grande Restauration
avec les Campbell – mouvement évangélique œcuménique
voulant réformer et unifier de l’intérieur le protestantisme.
Il a écrit de nombreux textes et commentaires, en particulier
sur le Nouveau Testament (Foster et Dunnavant 2004 : 674678). Les deux hommes cités par Osunkhirhine incarnent la
libre interprétation et la remise en question de certains
textes bibliques, ce qui n’est pas sans rappeler sa propre
vision du protestantisme. Cela contraste d’autant plus avec
l’interprétation du Révérend Burns que les presbytériens de
l’Église libre d’Écosse défendent une application sévère des
textes. D’ailleurs, Burns utilise, lui, la « King James Bible »,
rédigée en anglais ancien – l’une des versions les plus courantes de la Bible – pour appuyer ses propos.
Le pasteur justifie également sa façon d’apprendre et de
diffuser la Bible en soulignant clairement ses différences par
rapport au Révérend Burns. N’étant pas anglophone ni
érudit, il a besoin de réfléchir et de préparer son discours,
écrit-il. Cet aspect démarque, ici encore, le pasteur qui se
positionne comme un penseur, c’est-à-dire une personne
qui appuie ses propos sur une réflexion préalable :
Ensuite, il continua à expliquer et commenter [le texte] et il dit que
je devais faire pareil si je connaissais suffisamment la Bible. Je lui dis
que je le savais. Je connais la Bible mais un peu et je ne connais que
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peu d’anglais : on ne peut donc pas me demander de faire aussi bien
que des érudits qui maîtrisent la langue. Je ne peux pas expliquer un
texte qui m’est soumis au dernier moment, de façon inattendue,
aussi bien que si je l’avais choisi moi-même et l’avais étudié pour
en parler dans mon prêche. Ce monsieur, je crois, attend trop
de moi en espérant que je puisse expliquer un texte aussi bien
que lui. (UCCA 1844b)
Le rôle de penseur adopté par Osunkhirhine se retrouve
dans toute sa discussion avec le Révérend Burns à propos de
sa connaissance des Écritures. Dans les débats qui agitent les
différents groupes protestants à propos du rôle de Nicodème
dans les Évangiles selon saint Jean, la question principale est
de savoir si le pharisien sert de faire-valoir pour un enseignement du Christ – se rapportant au principe d’élection et
au baptême – ou s’il permet d’apporter la question de l’élection au-delà du peuple juif (Renouard 2004 : 563-573).
Osunkhirhine estime, quant à lui, que c’est surtout la discussion avec Jésus qui est importante car elle est un moyen
de faire passer le message de l’élection par Dieu à travers le
baptême, tandis que pour le Révérend Burns il apparaît
que ce passage des Évangiles ne peut être compris que si l’on
connaît la position de Nicodème dans la société juive, son
titre d’érudit du dogme religieux et, surtout, ce qu’il a dit
dans sa forme la plus fidèle.
Le point de vue du pasteur à propos de sa connaissance
lacunaire des interventions de Nicodème dans la Bible
marque, une fois de plus, son côté plus pragmatique que
dogmatique, au sens où il estime qu’il n’est pas nécessaire de
tout connaître sur le bout des doigts pour l’enseigner, tant
que le message derrière l’événement est bien compris. En
revanche, l’attachement du Révérend Burns à la connaissance des enseignements de Nicodème, qui l’amène à lier le
niveau de compétence du pasteur à celle-ci, s’explique sans
doute par ses convictions, selon lesquelles les missionnaires
devaient avoir une discipline mentale et une parfaite
connaissance classique de la Bible pour pouvoir véritablement répandre la Foi. Il l’exprima d’ailleurs clairement dans
son adresse aux chrétiens du Canada en décembre 1844,
lorsqu’il évoqua la formation de nouveaux pasteurs dans
son futur collège :
Accepter trop facilement des étudiants me paraît un danger duquel
il faut vigoureusement se garder. […] Ces jeunes hommes qui sont
admis dans ce cours n’entrent pas dans un cursus général qui
devrait déboucher sur un métier quelconque : ils sont clairement
reconnus comme étant les futurs nouveaux pasteurs. […] Non seulement doit-on avoir une conduite morale satisfaisante, une bonne
motivation et une apparente piété mais, également, doit-on avoir la
preuve d’un changement d’avis affirmé chez le candidat. […]
Ensuite, concernant les qualifications intellectuelles et les accomplissements des candidats, je suis clairement pour que la plus
grande rigueur jusqu’à aujourd’hui soit absolument nécessaire.
(Burns 1872 : 376-377)
Ce discours, tenu à peine quelques mois après sa rencontre avec Osunkhirhine, ne peut que nous faire penser à
son étonnement face aux méthodes du pasteur et à son
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désaveu de la conversion du pasteur et de la validité de ses
diplômes. Sa vision d’une formation classique et d’une
connaissance parfaite de la Bible apparaît ici pleinement,
mettant en évidence la suprématie du rôle spirituel des pasteurs sur tout rôle temporel. En 1872, le fils du Révérend
Robert Burns, publiant les mémoires de son père, écrivait à
son propos : « Parmi les qualifications requises, bien
qu’accordant la reconnaissance voulue aux qualités intellectuelles, il attachait la plus haute importance aux qualités
spirituelles. En particulier, il insistait sur la nécessité d’être
“irréprochable dans les Écritures” » (Burns 1872 : 372) – ce
qui n’était pas le cas d’Osunkhirhine. Le décalage entre
les attentes théoriques du Révérend et la réalité pratique des
missionnaires amérindiens est d’ailleurs illustré par une
anecdote contenue dans ses mémoires, publiés par son fils
en 1872 : un mois avant sa rencontre avec Osunkhirhine,
Burns avait posé une question à un professeur amérindien,
financé par la Société écossaise pour la propagation de la Foi :
Désireux de commencer par le commencement et de s’assurer des
connaissances élémentaires du professeur indien, Docteur [Burns]
demanda gravement : « Qui était Nicodème ? » L’Indien, pensant
qu’il plaisantait, répondit avec une gravité toute indienne : « un
grand Guerrier ! » (Burns 1872 : 183)
Cet autre professeur n’étant pas clairement identifié et
l’anecdote étant transcrite plusieurs années plus tard, il est
possible qu’elle concerne Osunkhirhine. Elle met, quoi
qu’il en soit, en lumière l’écart entre le presbytérien et son
interlocuteur, tous deux propagateurs de deux courants
du protestantisme.
L’idée qu’Osunkhirhine était parfaitement conscient des
débats de société qui lui étaient contemporains ressort aussi
des questions posées par le Révérend. Le sujet de Nicodème,
par exemple, peut avoir été un moyen de connaître l’opinion de
l’Abénaquis sur l’épineuse question de la « conversion »
débattue métaphoriquement par Jésus et le pharisien à travers l’idée de « naître à nouveau », comme cela apparaît dans
l’Évangile selon saint Jean : « En vérité, je te le dis, à moins
de naître de nouveau, personne ne peut voir le royaume de
Dieu. » (Jean 3.1-21) Ce sujet est, en effet, au cœur de la
pensée religieuse de l’Église libre – à l’instar de la crucifixion
de Jésus – introduisant une vision exclusive du processus
d’élection défendue par les calvinistes les plus radicaux.
Selon cette pensée, seuls ceux qui sont élus par Dieu peuvent être sauvés de la damnation et aspirer à la Rédemption.
Le Révérend Burns ramène d’ailleurs cette question par une
voie détournée dans la suite de son réquisitoire contre
Osunkhirhine, tout en abordant un autre élément clé de la
future Église presbytérienne de Knox à Toronto :
Il me considérait aussi comme un ignorant de la doctrine chrétienne
parce que je ne croyais pas dans la doctrine qu’il soutenait, à savoir
que la rédemption était restreinte à quelques élus. Selon lui, le
Christ était mort spécialement, particulièrement, voire seulement,
pour ceux qui étaient sauvés. Je lui ai dit que la rédemption, c’était
comme ouvrir la porte d’une prison où deux personnes seraient
enfermées pour un crime quelconque et ne pouvaient être pardonnées ou libérées sans avoir versé une certaine somme d’argent. Une
fois qu’elles auraient payé, elles seraient libres de sortir ou non.
Maintenant, si quelqu’un est assez bon pour payer la somme
demandée, avec un désir sincère de les sauver toutes les deux, et
que l’une décide de sortir mais pas l’autre, peut-on vraiment dire
que la somme payée ne l’était que pour une seule d’entre elles ? En
réponse à ça, il me répondit que ma comparaison était mauvaise.
(UCCA 1844b)
Dans ce passage, le Révérend Burns s’appuie sur la notion
de prédestination, un des concepts fondamentaux du dogme
protestant calviniste, puisqu’il estime que Jésus n’a sauvé, par
son sacrifice, que les élus – c’est-à-dire les convertis.
Le concept de prédestination est cependant source de
nombreux débats parmi les théologiens de toutes les époques
car il n’est pas reconnu par tous les protestants et constitue
un paradoxe avec l’autre grande notion défendue par le
protestantisme, celle de la Providence (Brülher 2006 : 10961111). Sans trop entrer dans les détails, cette dernière défend
l’idée d’un Dieu voulant le bonheur et la protection de tous
les êtres humains sans distinction : dans cette optique, le
sacrifice de Jésus était destiné à tous les Hommes et non aux
seuls convertis, choisis par Dieu. Or, nous retrouvons cette
opposition dans l’argumentation du Révérend Burns et du
pasteur abénaquis, ce qui souligne la participation des
deux interlocuteurs à un débat de société qui leur était
contemporain : alors que le presbytérien défend une vision
élective de la rédemption permise par le sacrifice de Jésus,
Osunkhirhine lui oppose une métaphore abondant dans le
sens de la Providence. Selon lui, puisque Jésus a été crucifié
en voulant libérer l’humanité de ses péchés, tous les êtres
humains sans exception peuvent être sauvés. Selon cette
interprétation, le fait que certains choisissent, de leur plein
gré, de ne pas être baptisés ne signifie pas que Dieu les a
condamnés à la damnation. Osunkhirhine défend ici une
vision semblable à celle des Églises luthériennes traditionnelles, marquant son côté plus méthodiste et sa réflexion
sur la question : à l’instar de John Wesley, le père du
méthodisme au XVIIIe siècle, il s’oppose à la vision calviniste
de la prédestination.
Dans le même temps, la métaphore utilisée par le pasteur renvoie aussi, une fois de plus, à son caractère pragmatique, présent également dans ses méthodes de prêche. À
travers ses lettres, en effet, il apparaît que l’usage d’images et
de métaphores pour faire comprendre les idées protestantes
est une de ses techniques favorites car elle rejoint aisément
ses pairs : « Donc je ne pouvais pas mieux utiliser mon
temps qu’en visitant les parents, allant de famille en famille,
pour instiller parmi eux l’amour de la Lumière, en leur
racontant […] diverses histoires conformes à leurs goûts. »
(UCCA 1839) Cette pratique pour transmettre des idées
n’est pas nouvelle en soi : elle est souvent employée par les
différents missionnaires catholiques qui se sont rendus
auprès des autochtones. La Bible, en étant remplie de récits,
est une source idéale pour ce type de narration et elle est
populaire chez les Amérindiens car elle rejoint la pratique
du conte et du mythe, qui existe traditionnellement dans les
cultures orales et qui met en scène des personnages-symboles,
tels que le Carcajou ou le Raton laveur, pour transmettre
des savoirs ou des leçons (Makarius 1979 : 17-46).
Osunkhirhine reconnaît ici qu’il mélange les deux types
d’histoire – récits biblique et mythes de son peuple – pour
les rendre agréables à son auditoire : ainsi dans son ouvrage
pour apprendre à lire et à écrire, Wobanaki kimzowi
awighigan, il alterne les listes de vocabulaire spécifiques avec
les paraboles (Wzokhilian 1830). Cette façon de faire permettait de rejoindre plus facilement les Abénaquis illettrés,
qui pouvaient au moins avoir une approche d’apprentissage
similaire à celles auxquelles ils étaient habitués.
De fait, pour Osunkhirhine, les difficultés perçues par le
Révérend Burns concernant son ministère à Saint-François
n’étaient que détails : il parvenait à accomplir son devoir car
il avait foi en Dieu et il voulait partager ses connaissances
avec ses pairs, peu importe la façon de faire. À ce titre, il
estimait que ne pas connaître tous les éléments de la Bible ne
l’empêcherait pas de convertir les Abénaquis tout en continuant à les alphabétiser et à les inciter à s’instruire ailleurs.
Il démontre ainsi une vision modérée des valeurs protestantes, où l’éducation est au cœur du processus de conversion car c’est un « commandement de Dieu » (Cabanel et
Encrevé 2006 : 5-21). Il montre aussi qu’il était conscient
des différents débats théologiques qui secouaient les divers
courants protestants et qu’il avait mené une réflexion pour
prendre position.
UN PASTEUR ATTACHÉ À UNE VISION PROGRESSISTE DU
PROTESTANTISME, AU CŒUR DES DÉBATS DE SOCIÉTÉ
Se retrouve donc dans le discours d’Osunkhirhine la
conjonction de la Sola Scriptura (apprendre en lisant la
Bible) et du sacerdoce universel qui aboutit à une volonté
d’instruire le peuple dans son ensemble et de le guider sur le
chemin de la Foi, telle qu’il la conçoit, mais cela ne s’accompagne pas d’une volonté de connaître sur le bout des doigts
ce qu’il enseigne. La situation particulière du village de
Saint-François a sans doute participé à cette vision du rôle
de pasteur protestant : en conflit avec les catholiques du
village, il voyait en l’alphabétisation le moyen d’émanciper
ses pairs de la domination des élites lettrées et des missionnaires catholiques, qui s’étaient érigés en intermédiaires
indispensables entre les habitants et les autorités coloniales
(Boutevin 2011 : 184). De fait, il mettait donc l’accent sur
les connaissances pratiques et sur son influence parmi les
siens – en occupant des postes importants politiquement,
par exemple, ou en insistant sur la nécessité d’apprendre
l’anglais. D’ailleurs, le désaveu à son endroit qui transparaît
de sa rencontre avec l’émissaire de l’Église libre d’Écosse ne
reflétait pas l’opinion de la majorité des Abénaquis de SaintFrançois, qui continuèrent d’appuyer Osunkhirhine, tout
au moins dans sa mission d’alphabétisation, même s’ils
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n’étaient pas unanimes et constants dans leurs positions visà-vis du pasteur. L’une de ses forces, en effet, a été de maintenir tout au long de sa mission une école protestante dans
la langue abénaquise, contrairement aux écoles catholiques
du village, spécificité qui perdurera même après la fin de sa
mission (UCCA 1839 ; ASN 1875)
Osunkhirhine apparaît donc comme un être pragmatique, parfaitement conscient des débats qui dépassaient de
loin son village, et qui enseignait aux siens sa propre interprétation des Écritures et des valeurs protestantes. Il profitait pour cela de la dissonance de son organisation sur le
sujet, liée à la présence des différents courants du protestantisme en son sein. Pour preuve, aucune conséquence ne suivit
cet entretien et, dans une lettre datée de décembre 1847,
Osunkhirhine mentionne qu’il dispose d’une lettre de
l’ABCFM, écrite en mai 1844, l’autorisant à s’investir dans
des activités temporelles (UCCA 1847). Il resta en place
jusqu’à la fin des années 1850 et ni ses lettres ni le Missionary
Herald, journal de l’American Board, ne montrent que
l’organisation lui ait reproché ses méthodes ou ait reçu le
moindre commentaire du Révérend Burns. Au contraire,
dans son ouvrage de réflexion sur le protestantisme (1857),
il apparaît qu’il a conservé la même interprétation modérée
des Écritures, ce qui renforce sa position de penseur
(Osunkhirhine 1857). Il présente un extrait des idées contenues dans ce livre dans une lettre adressée à son correspondant de l’American Board, le Révérend Selah B. Treat, le 24
décembre de la même année : s’appuyant sur une discussion
qu’il aurait eue avec des défenseurs d’une vision « scientifique » des Écritures, qui intégraient la phrénologie3 dans
leur interprétation, il prend position dans un autre débat de
société. La thèse défendue par ces personnes est que l’être
humain étant formaté par des considérations purement
biologiques et physiques liées à la forme de son crâne, Adam
ne pouvait agir autrement que ce qu’il a fait. Or, Adam ayant
été modelé par Dieu, c’est donc ce dernier qui avait choisi de
le faire échouer dès le départ. À ce titre, aucune conséquence ou changement ne peut être imputé à son échec
puisque tout était « inscrit » dans son physique.
Je suis tombé sur un groupe qui défendait l’idée qu’aucun homme
ne pouvait véritablement comprendre les Écritures sans connaissance scientifique. Et pour avoir cette connaissance, il était nécessaire de connaître la géologie, la zoonomie et la théorie de Combe
sur la constitution de l’Homme pour comprendre que l’homme,
dans tout ce qu’il faisait, agissait de façon organique, comme il avait
été conçu par son créateur. À partir de là, ces gens soutenaient que
le fait qu’Adam soit passé du Bien au Mal n’avait rien changé,
puisqu’il avait agi conformément aux principes inhérents en lui,
organiquement créés et implantés en lui lorsqu’il avait été créé.
(UCCA 1857)
Quoique cette idée s’appuie sur une « pseudo-science »,
elle n’est pas sans rappeler la prédestination calviniste. Si la
forme du crâne prédit les gestes – et non le salut,
contrairement à la prédestination –, elle renvoie malgré tout
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à l’idée que le passage de la sainteté au démon d’Adam était
déjà écrit. De la même façon, le choix que fera un individu
de se convertir ou non au protestantisme serait aussi inscrit
dans la forme physique de chacun. La similitude entre les
deux est d’ailleurs clairement énoncée en 1853 par Pierre
Leroux dans son Cours de Phrénologie : « Dans les deux cas,
on rencontre la prédestination : divine pour la théologie,
scientifique pour la phrénologie où l’individu se trouve dès
la naissance par la forme de son crâne et la couleur de sa
peau. » (Leroux 1995) Le déterminisme qui transparaît
dans les idées de la phrénologie fait donc écho à celui qui
est théorisé dans la prédestination selon Calvin. D’ailleurs,
Osunkhirhine s’oppose à cette idée, qu’il perçoit comme
condamnant aléatoirement les êtres dans leurs choix
d’action, indépendamment de leur volonté – au même titre
qu’il se refuse à penser que la Rédemption ou la Damnation
est décidée dès la naissance. Selon lui, il n’existe aucune
force organique suffisamment puissante pour ainsi piper les
dés d’avance :
La responsabilité pour tout être moral de passer du Bien au Mal
n’est pas le travail de n’importe quel design organique constitutif,
parce qu’il n’existe pas et il n’a jamais existé aucune conception
morale ou du système organique pour concevoir et établir la nature
morale des choses. Aucun pouvoir pour l’organisation et la constitution morale n’a jamais existé dans aucune volonté pour organiser
et constituer l’immuabilité morale ou la capacité à changer de
n’importe quel être moral. Aucune volonté n’a eu un tel pouvoir en
sa possession. Ce qui est, en soi, une possibilité de la nature même,
rien ni personne n’a le pouvoir de changer cela en une impossibilité.
(UCCA 1857)
Apparaît ici une notion de libre-arbitre. Osunkhirhine
défend l’idée que l’être humain n’est pas prédestiné par sa
nature et la forme de son crâne à refuser la voie de Dieu ou à
l’accepter. En rejetant l’idée que l’être humain est prédestiné
organiquement, physiquement, à faire quelque chose, le
pasteur s’oppose aussi à la notion de prédestination calviniste – comme il l’avait déjà fait devant l’émissaire de l’Église
libre d’Écosse. Il estime, en effet, qu’il est impossible qu’une
caractéristique physique condamne un être humain à une
action qui aurait des conséquences plus grandes – celle
d’être damné, en l’occurrence, comme le fut Adam. Selon
lui, même Dieu n’a pas le pouvoir de choisir à la place d’un
être vivant, pas plus que de le prédestiner à la damnation ou
au salut. Cela apparaît clairement dans la suite de sa lettre
alors qu’il déclare qu’il est impossible que l’Homme soit
prédestiné car cela impliquerait que rien ne pourrait le
changer – or, le seul être qui ne peut être changé, selon lui,
c’est Dieu.
Dieu ne peut être tenu responsable du fait qu’on soit influencé, il
n’est pas responsable de nos changements et, bien sûr, il ne peut
faire de l’homme un être immuable ou inchangeable, à moins qu’il
en ait décidé ainsi. Mais l’homme est responsable par sa nature
même de son caractère influençable, il est bien sûr responsable de
ses changements, également sans qu’il y ait eu aucune volonté
de le créer ainsi. L’inexistence d’un tel pouvoir de conception par la
volonté rend impossible qu’un homme soit de la même façon
incapable d’être influencé et aussi immuable que Dieu. (UCCA 1857)
En outre, il souligne que Dieu, en tant que Créateur
omnipotent, aurait certainement changé le caractère versatile de l’être humain s’il avait choisi qu’il devait être irrémédiablement prédestiné :
Ainsi donc, nul n’est besoin de dire que Dieu ne peut pas ne pas
avoir su d’avance la responsabilité des êtres moraux en matière de
changement. Il aurait empêché toute possibilité de changement s’il
avait voulu. Il est évident qu’un tel empêchement supposé ne pourrait jamais être le fruit d’une volonté individuelle de déterminer ce
qui doit être changeable ou ce qui ne doit pas l’être, ou en d’autres
termes, nul n’est assez puissant pour concevoir et déterminer organiquement et constitutionnellement qui est moralement immuable
ou pour empêcher quelqu’un de changer. Si une telle personne
existait, elle ne pourrait pas être égale en tout au Créateur, elle ne
pourrait être que l’image de Dieu telle qu’il l’a créée. (UCCA 1857)
Il est pertinent de remarquer que le pasteur est non seulement resté fidèle à ses idées depuis sa rencontre avec le
Révérend Burns mais qu’il a suffisamment confiance en ses
capacités pour argumenter sur des sujets métaphysiques.
Ses arguments ne reposent jamais, cependant, sur des citations de la Bible : ils s’appuient uniquement sur ses convictions. Sa conclusion illustre d’ailleurs ce paradoxe :
Ceci explique la responsabilité des êtres moraux, ou pourquoi ils
sont responsables, puisqu’il n’y a pas d’autre élément qui dessine et
détermine les changements qui ont lieu à part l’homme. Car le
changement a été pensé et constitué organiquement en lui par son
créateur, il ne pourrait en aucune façon être responsable, toute la
responsabilité venant de sa constitution organique pour laquelle
aucun être créé ne pourrait être blâmé. (UCCA 1857)
Or, il n’a fait que répéter, tout au long de sa lettre, de
façon plus ou moins formelle, que les arguments avancés
par les néphrologues n’avaient aucun sens car personne
n’avait le pouvoir de dessiner par avance le destin d’un être
humain, quelle que soit la forme de son crâne. En somme, il
estime que Dieu a créé l’Homme avec un libre arbitre et
qu’aucune caractéristique physique ne pouvait prédire
s’il serait sauvé ou non. L’absence de références bibliques à
l’appui de ses convictions laisse donc à penser qu’il n’a en
rien modifié ses façons de faire et que sa connaissance de la
Bible demeure tout aussi lacunaire qu’en 1844 – ou en tout
cas qu’il estime son interprétation suffisante.
Peter Paul Osunkhirhine présente dans son ouvrage
(1857) et dans sa lettre le même type d’argumentation un
peu floue et théorique, fondée uniquement sur ses convictions. Même s’il conserve des idées modérées du protestantisme méthodiste, il fait montre d’un esprit pragmatique,
plus intéressé par les impacts que son discours a sur les
autres que sur l’adéquation de ses interprétations avec les
textes originaux de la Bible. Or, c’est à la toute fin de 1857
que le pasteur rédige cette lettre dans laquelle il présente des
extraits de son ouvrage ; la mission soutenue par l’American
Board of Commissioners for Foreign Missions était sur le
point de se terminer, à sa propre demande, et il se préparait à quitter le village pour une durée indéterminée afin
d’aller s’occuper d’une autre communauté autochtone
dans le Wisconsin, les Stockbridges (ABCFM Annual
Report 1858 : 17). De fait, il n’abandonnait pas son rôle de
missionnaire et se devait donc de renvoyer une image positive à son organisation, à qui il avait demandé de financer le
déménagement de sa famille et qui lui verserait son salaire
sur place.
Peter Paul Osunkhirhine apparaît donc comme un missionnaire protestant méthodiste aux idées modérées, parfaitement conscient des débats théoriques et théologiques qui
secouaient le protestantisme de son époque. Il se montre,
notamment, plus attiré par une connaissance et un partage
pragmatiques de sa religion, au risque de paraître ne pas en
connaître véritablement la teneur, et il construit ses
réflexions sur des convictions personnelles telles que celles
portant sur la Providence et le libre arbitre. Sa vision se
heurte aux interprétations plus radicales des presbytériens,
mettant en évidence les difficultés que pouvait rencontrer
son organisation pour concilier tous les courants qui la composent. C’est d’ailleurs ces idées parfois trop divergentes qui
ont conduit l’Église presbytérienne à quitter définitivement
cette alliance missionnaire protestante en 1870. Les presbytériens préférèrent créer leurs propres missions étrangères,
plus conformes à leurs convictions. Le pasteur abénaquis
marque aussi la spécificité de ses origines et de ses valeurs en
mettant l’accent sur la sincérité de sa foi plutôt que sur ses
connaissances de la théologie. Cela lui a permis de s’adapter
à la réalité de son peuple en valorisant les métaphores, le
discours inclusif, s’opposant en cela à celui de la peur utilisé
par le missionnaire catholique (UCCA 1836 et 1837), et de
rendre accessible le contenu de sa religion à tout un chacun.
Sa seconde lettre (UCCA 1857) illustre sa position d’entre
deux mondes qui s’appuie sur sa compréhension des
notions clés débattues chez les protestants – notamment
celle de la prédestination – pour rejeter les arguments
des néphrologues.
Jamais véritablement accepté ni rejeté par les Abénaquis
de Saint-François, le pasteur et ses idées ont suscité la polémique dans le village. Plusieurs lui ont reproché son prosélytisme, même si la plupart de ces critiques ont été ensuite
invalidées ou contredites par les enquêtes menées dans le
village par les autorités coloniales (BAC 1833). Il est
demeuré relativement soutenu par les siens tout au long de
sa mission et il a pu occuper plusieurs postes d’envergure
comme celui de chef ou de maître d’école. Son statut de
missionnaire protestant et ses réflexions le plaçaient dans
une position ambiguë qui le poussait parfois à se sentir plus
proche des familles américaines protestantes voisines du
village que de son propre peuple (UCCA 1838, 1842). L’un
des missionnaires auquel il s’opposa, l’abbé JosephAnselme Maurault, résuma en quelques mots la relation
particulière qu’Osunkhirhine entretenait avec les siens, du
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fait de son comportement et de ses opinions originales : selon
Maurault, dans un premier temps, les Abénaquis « repoussèrent avec horreur ses prédications » car, d’obédience
catholique, ils avaient une mauvaise image du protestantisme. Cependant, le fait que le pasteur traduisait, enseignait
et diffusait des écrits dans leur langue maternelle rendait
malgré tout le personnage intrigant (Maurault 1866 : 618).
N’ayant pas entendu quelqu’un prêcher dans leur langue
depuis cinquante ans, en 1830, ses pairs finirent par
l’écouter, voire par croire en la validité de ses sermons.
Cette place ambiguë du pasteur semble toutefois finir
en désamour, si l’on se fie à l’une de ses dernières lettres
en 1858 qui scelle son avenir de pasteur protestant à
Saint-François :
Je pense que je ne pourrais jamais faire mieux en continuant à
St. François. Je pourrais passer toute ma vie ici qu’aucune mauvaise
habitude ne serait perdue, qu’ils continueraient à aimer le péché
et ne deviendraient pas de bons chrétiens. J’aurais aimé qu’il y ait
un moyen de continuer à faire le bien pour mes malheureux
Indiens de mon propre peuple mais je ne peux rien si ce n’est les
plaindre en pensant que je dois les laisser. Ils seront toujours comme
des brebis errantes sans berger et leurs enfants seront bien sûr
perdus. (UCCA 1858)
Peu avant cette lettre, il venait de se tenir au village de
Saint-François une élection pour la nomination de l’agent
local. Par une requête rédigée par un notaire et adressée au
département des Affaires indiennes, une partie des membres
de la communauté prévoyant ne pas être présents pendant
le déroulement de l’élection avaient demandé que n’importe
qui soit nommé au poste d’agent, à l’exception de Peter Paul
Osunkhirhine (ASN 1858). Or, si le pasteur a toujours dû
faire face à une certaine opposition, elle émanait toujours
d’une même famille, les Gill, désireuse d’occuper les postes
importants du village (Boutevin 2012). Cette fois, pourtant,
la requête n’était signé par aucun de ses membres, rendant
d’autant plus vif ce rejet pour un populiste tel que le pasteur.
Si ce dernier n’avait jamais fait l’unanimité, en effet, ses
compétences avaient jusque-là toujours été suffisamment
reconnues pour qu’il occupe les emplois d’agent, de chef ou
de conseiller particulier de la communauté, en dépit de tous
ses opposants. Cette requête d’une partie de la population
semble donc indiquer que les réflexions du pasteur sur le
monde qui l’entourait et sa volonté de changement n’ont pas
réussi à lui garder jusqu’à la fin de son ministère la position
influente et la confiance de ses pairs.
Notes
1. Plus précisément, il est question de lancer une mission chez les
Iroquois de Caughnawaga. Or, finalement, aucune mission de
l’American Board ne sera lancée dans ce village d’autochtones
de la vallée du Saint-Laurent.
2. Les deux ne sont pas incompatibles, puisqu’il s’agit de l’organisation de la Congrégation : on la désigne comme « congrégationaliste » car tous les membres ont choisi librement de s’associer
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et ont accepté que l’autorité soit portée par toute l’assemblée.
C’est donc le fondement même de la création de l’ABCFM, qui
réunit plusieurs courants du protestantisme. L’assemblée a
alors le droit d’élire ou de destituer des pasteurs, de voter
le budget et de prendre les décisions qui concernent la
Congrégation : en somme, le congrégationalisme rejette la centralisation ecclésiastique pour accorder plus d’autonomie aux
Églises locales (Baubérot s.d.).
3. Plus précisément, la phrénologie est une théorie selon laquelle
les qualités et défauts d’un individu dépendraient de la forme de
son crâne. Franz Josef Gall, inventeur de la « craniologie »,
future phrénologie, la définissait comme l’« art de reconnaître
les instincts, les penchants, les talents et les dispositions morales
et intellectuelles des hommes et des animaux par la configuration de leur cerveau et de leur tête » (Torris s.d.).
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Affiquets, matachias et vermillon
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Ethnographie illustrée des Algonquiens du nord-est de l’Amérique aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.
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d’ornements et de décorations portaient-ils ? Comment vivaient-ils ?
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talents pour répondre à ces questions et tenter de créer une nouvelle
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